Débat préalable à la réunion du Conseil européen
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 26 et 27 juin 2014.
Orateurs inscrits
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes . - Merci de m'accueillir au sein de la Haute assemblée avant le Conseil européen des 26 et 27 juin. Après les élections européennes, l'Europe a besoin d'une feuille de route claire pour renouer durablement avec la croissance et retrouver la confiance des citoyens. Tel sera le mandat qui doit être confié au prochain président de la commission européenne qui sera nommé lors de cette réunion. C'est dans cet esprit que la France défendra quatre priorités.
La première est le soutien à la croissance, à l'emploi et au financement de l'économie réelle. Beaucoup a été fait depuis 2008, l'intégrité de la zone euro est assurée, la spéculation est enrayée, l'Union européenne est désormais sortie de la récession mais le chômage frappe durement nos citoyens. La banque centrale européenne (BCE) a baissé ses taux et mis en oeuvre des mesures non conventionnelles. Il nous faut conforter la reprise en renforçant notre base industrielle et en finançant davantage l'économie réelle : une nouvelle étape du pacte de croissance de juin 2012. Elle passe par la coordination des politiques économiques au sein de la zone euro, l'utilisation de toutes les flexibilités offertes par le pacte de stabilité et de croissance, une stratégie d'investissement solide appuyée sur la banque européenne d'investissement (BEI), qui doit prendre davantage de risques et dont les mécanismes d'emprunt et de financement doivent être développés plus largement, comme ils l'ont été dans le numérique et les infrastructures de transport. Après la phase pilote des project bonds, nous travaillons à la création d'un nouvel instrument de mobilisation de l'épargne privée vers le financement des entreprises. L'Union doit aussi se doter d'une véritable politique industrielle, capable de faire émerger des champions européens.
Sur ce sujet comme sur d'autres, nous savons pouvoir compter sur la présidence italienne, qui veut faire du Conseil européen d'octobre celui de l'économie réelle. La simplification des normes et procédures ainsi que de la gouvernance de l'Union est une nécessité.
Deuxième priorité, l'affirmation d'une ambition sociale et en direction de la jeunesse. Nous ne pouvons pas accepter que les jeunes connaissent un taux de chômage supérieur à 25 %. Pour eux, nous voulons développer Erasmus, la garantie jeunesse -dotée de 6 milliards en 2014-2015-, contribuer à la mobilité en mettant en réseau les agences européennes pour l'emploi, en jouant notamment sur le transfrontalier, comme nous l'avons fait avec l'Allemagne. Nous plaidons pour la création d'un Eurogroupe social, pour la convergence fiscale et sociale au sein de la zone euro et au-delà, pour un renforcement de la lutte contre le dumping social.
Troisième priorité, la politique énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique. Nous devons mettre l'Europe en ordre de marche pour ne pas rater le grand sommet COP21 qui aura lieu à Paris en 2015. Les positions des États sont encore divergentes, mais il nous faut étudier les moyens de prendre en compte les spécificités nationales tout en visant les objectifs de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre et de 27 % d'énergies renouvelables d'ici 2030. La politique énergétique est évidemment liée à cette question fondamentale. Les conclusions du Conseil européen devront à la fois prévoir des mécanismes d'urgence et réfléchir à une stratégie à moyen et long termes pour réduire notre dépendance énergétique. Un cadre de négociation devra être fixé en vue du conseil d'octobre.
Quatrième objectif, établir un cadre commun de liberté, de sécurité et de justice et bâtir une politique d'immigration commune. Nous insisterons sur la préservation des libertés, notamment celle de circuler, essentielle, qui a pour contreparties le recours aux instruments de Schengen, qu'il faut mieux faire fonctionner, la lutte contre les réseaux d'immigration irrégulière et une politique de retour respectueuse de la dignité humaine. S'agissant de la surveillance des frontières, un équilibre doit être trouvé entre responsabilité et solidarité. Frontex doit améliorer son caractère opérationnel sa réactivité ; mettons en place des gardes-frontières européens, comme le demande l'Italie. L'immigration régulière doit être mieux régulée ; c'est en favorisant la mobilité, notamment celle des étudiants, et en développant les échanges que nous stabiliserons les flux migratoires.
Outre ces quatre priorités, le Conseil européen abordera l'action extérieure de l'Union. En Ukraine, le plus urgent est d'obtenir un cessez-le-feu. Une telle désescalade ne pourra avoir lieu que si tous les acteurs s'engagent dans une négociation. C'est le sens des contacts à haut niveau que le président de la République et Mme Merkel ont eu ces jours-ci, après qu'ils ont été initiés lors des cérémonies du 70e anniversaire du Débarquement, avec les présidents russe et ukrainien. À la Russie d'user de son influence pour désarmer les séparatistes. L'Union européenne apporte à l'Ukraine un soutien financier de 11,75 milliards d'euros sur la période 2014-2020. La réunion de ses ministres des affaires étrangères a largement été consacrée à ce pays ; sa position constante a été réaffirmée : même si les sanctions se sont montrées efficaces, la priorité est au dialogue et à la recherche d'une solution politique négociée dans la paix, entre l'Ukraine et la Russie comme entre les différentes composantes de la société ukrainienne.
L'enjeu, en somme, c'est de sauver le projet européen, plus indispensable que jamais, auquel nous voulons redonner force et capacité d'entraînement. Nous voulons une Europe réconciliée avec ses citoyens. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. André Gattolin . - Le moins qu'on puisse dire est que l'ordre du jour de ce Conseil européen est chargé. Cette réunion sera la première depuis les dernières élections, c'est donc la stratégie pour les cinq prochaines années qui sera discutée. Une double question se posera : celle des personnes qui incarneront, je l'espère, l'Europe et celle, qu'on aurait tort de mésestimer, de la répartition des compétences -donc des priorités
Faute d'ambition, la Commission européenne sortante s'est enfermée dans des dossiers techniques ou sectoriels, dont le traitement parfois catastrophique a eu des effets désastreux dans l'opinion. La commission Concurrence a pris le pouvoir, ce qui traduit un incroyable dogmatisme. On ne peut plus continuer ainsi.
La commission de l'industrie devrait en particulier avoir un poids relatif bien plus important qu'aujourd'hui. Qu'attendons-nous pour renforcer ses services, élargir ses compétences à l'énergie, au climat, à la recherche ? Qu'attendons-nous pour avoir une commission stratège comme nous avons un État stratège ? Pierre Moscovici et Michel Barnier ne disent pas autre chose... Le constat étant partagé, la France doit peser en faveur de cette solution.
Le Conseil européen se penchera sur l'espace commun de liberté, de justice et de sécurité. Trop souvent, il est perçu sous le seul angle de la lutte contre le terrorisme ou l'immigration irrégulière, alors qu'il touche à cette question si importante de la citoyenneté européenne. Un citoyen européen, c'est une personne disposant de la citoyenneté d'un des 28 États membres. Et voilà que la nationalité ici ou là est à vendre ! Pour 650 000 euros à Malte, assortie d'un an de résidence sur le territoire. Portugal, Espagne, Grèce lui emboîtent le pas avec la vente de droits au séjour ; les Pays-Bas y songent. Après l'Irlande et la Lettonie, il est urgent de mettre un terme à ces dérives qui s'assimilent à un marché de dupes. Chinois et Russes figurent en bonne place parmi les candidats.
Pour finir, un mot sur les questions climatiques et énergétiques. Le programme Horizon 2020, trop flou, donne lieu à des dérives. Je l'avais dit autrefois, cela s'est vérifié : 133 millions d'euros sont investis discrètement par l'Union pour financer le gaz de schiste, qui sont censés aller à la promotion de l'innovation et à la protection de l'environnement... Quelle alchimie douteuse que cette façon de transformer le vert en carbone ! Monsieur le ministre, dans la perspective du COP21, je vous invite à ne pas découpler enjeux énergétiques et enjeux climatiques. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean Bizet . - Lors du prochain Conseil européen sera choisi le président de la future Commission européenne. Pour la première fois, le choix des électeurs devra être respecté ; c'est un gage de démocratie. La droite et le centre défendent la candidature de Jean-Claude Juncker ; nous demandons au Gouvernement de négocier dans le respect des résultats du scrutin.
Le cap économique et financier de l'Union est un des points de l'ordre du jour du conseil ; or le Gouvernement français paraît rétif à se l'approprier... La zone euro se stabilise, jusqu'à la Grèce, même si sa position reste fragile. Le redémarrage de la croissance, bien que modeste, est réel : il faut s'en réjouir parce que c'est le résultat de la politique menée jusqu'à présent. Les efforts collectifs portent leurs fruits.
Néanmoins, restons prudents. Le chômage demeure élevé, comme l'endettement, qui atteint un niveau historiquement élevé dans un certain nombre de pays, dont la France. Ce n'est donc pas le moment de relâcher l'effort ni de contester le pacte de stabilité. Un des membres du directoire de la BCE relève que modifier le pacte serait attenter à sa crédibilité... Qu'a voulu dire le président Hollande, sous le choc du résultat des élections européennes, en déclarant qu'il fallait « réorienter l'Europe » ? La France fait de plus en plus figure de mauvais élève de l'Europe, elle est sous surveillance ; toutes les institutions, européennes comme nationales, estiment optimistes les hypothèses macro-économiques du Gouvernement, quoique dans un langage diplomatique. À chaque époque, sa vérité. Les richesses d'aujourd'hui ne permettent plus d'envisager les dépenses d'hier, notamment sociales. C'est dire qu'il faut ajuster nos dépenses à nos ressources et, pour cela, s'engager dans des réformes structurelles : celle de la fiscalité, celle du marché du travail, celle de l'efficacité de la dépense publique. Profitons du délai de deux ans octroyé par Bruxelles et des taux d'intérêts bas pour passer aux travaux pratiques -mais il est vrai que notre pays est plus enclin à la révolution et à la contestation qu'à la réforme et au dialogue... Nous devons scrupuleusement respecter les engagements pris auprès de nos partenaires européens. Le Gouvernement devra nous dire comment il compte combler les dérapages de 2014. Et nous sommes déjà inquiets pour 2015, la trajectoire de redressement semble de plus en plus compromise. (Applaudissements sur les bancs UMP et UDI-UC)
M. Aymeri de Montesquiou . - Coordonner pour concrétiser, c'est le sens du semestre européen. Les recommandations de la Commission européenne sont claires ; qu'en est-il de leur mise en oeuvre ? La France est sous mécanisme d'alerte, Bruxelles comme la Cour des comptes doutent de sa capacité à revenir aux 3 % en 2015. La Commission européenne relève le poids trop élevé des prélèvements obligatoires -45,9 % du PIB-, plaide pour une baisse des taux nominaux des impôts, s'inquiète du maintien de la surtaxe au niveau extravagant de 38,1 % sur les entreprises. L'importance des charges sur le travail limite la rentabilité de celles-ci. Qu'est devenu le rapport sur les normes dont l'auteur a été nommé secrétaire d'État à la simplification ? On attend toujours le choc annoncé.
La Commission évoque aussi des distorsions dans la structure des salaires, l'absence de flexibilité dans un marché du travail trop segmenté, un CICE qui ne bénéficie pas aux entreprises exportatrices. Les conclusions des assises de la fiscalité seront-elles mises en oeuvre ? Le Sénat conduit une enquête sur la réalité de l'impact sur l'emploi des exonérations de cotisations sociales ; quel accueil réserverez-vous à son rapport ?
Le Premier ministre a pris des engagements importants lors de sa déclaration de politique générale, dont 50 milliards de baisse de la dépense publique. Si on prend en compte la fiscalisation d'une large partie de la protection sociale, elles seront, en réalité, de 20 milliards sur trois ans, soit moins de 7 milliards par an. C'est très nettement insuffisant. La Cour des comptes préconise une réduction du nombre de fonctionnaires de 30 000 par an, l'entendrez-vous ?
Monsieur le ministre, votre poste de secrétaire d'État aux affaires européennes sera difficile à assumer si vous continuez d'être le premier secrétaire du parti socialiste, de plaider pour la retraite à 60 ans et la création de 60 000 postes de professeurs -toutes mesures qui vont à l'encontre des demandes de Bruxelles... Poursuivre dans cette inertie, c'est risquer de voir la France mise sous protocole -ultime humiliation !
Depuis 2012, l'endettement est passé de 1 700 milliards à 1 890 milliards d'euros ; le nombre de chômeurs a crû de 370 000 ; on n'a construit que 320 000 logements neufs, quand on en annonçait 500 000. L'économie est étouffée par l'impôt. Le gouvernement Fillon avait déjà augmenté les impôts de 30 milliards, dîtes-vous. Imaginez deux chauffeurs qui se relaient au volant d'une voiture sur une route départementale. Le premier roulait à 120 km/heure, le second à 150 km/heure ; celui-là perdra six points, à celui-ci -c'est vous-, on retirera le permis. Il faut couper dans les dépenses tout de suite ! Qu'attendez-vous pour mettre en pratique les mesures préconisées naguère par Manuel Valls : la suppression de l'ISF, la fin des 35 heures ?
Un mot sur le contentieux entre BNP Paribas et les États-Unis. Le Règlement européen 2271-96 interdit aux entreprises et aux personnes physiques de mettre en oeuvre les injonctions américaines en matière d'extraterritorialité. Allez-vous le faire appliquer et faire respecter l'Union européenne ? (Applaudissements à droite et au centre)
M. Michel Billout . - L'abstention et le vote en faveur des populistes europhobes, voilà la leçon à tirer des élections européennes. PPE et PSE ne totalisent que 55 % à eux deux, l'extrême droite 20 % ; la gauche unitaire passe de 32 à 52 sièges mais elle aura du mal à se faire entendre. Comme l'écrit une journaliste d'El Pais, « Il y a de l'écho dans l'histoire. Les grandes crises combattues au moyen de certaines recettes économiques poussent la démocratie à se retourner contre la démocratie ».
C'est la crise du capitalisme et l'austérité pour les plus faibles qui expliquent les résultats électoraux. Mais la crise n'est pas pour tout le monde... Alors que les entreprises sous-investissent, 85 % des profits vont aux dividendes... Comment, dans cette situation, renforcer encore l'austérité ? À lire les recommandations de la Commission, on reste pantois. Pourtant, François Hollande ne prétendait-il pas réorienter l'Europe et associer pleinement les parlements nationaux ? Je m'interroge sur notre rôle, qui s'apparente de plus en plus à celui d'un commentateur...
Projet de loi de finances rectificative, réforme territoriale, ces textes visent avant tout à faire des économies. Si certains en doutent, qu'ils se reportent aux déclarations des responsables européens. Voilà le vrai programme de cette Europe. Nos concitoyens n'en veulent pas. Nous avons besoin d'un renouveau démocratique, les choix doivent être débattus. Redonnons au peuple le pouvoir de trancher.
Notre politique sociale sera-t-elle également revue à la baisse ? L'hôpital public démantelé plus encore ? Verra-t-on une nouvelle réforme des retraites ? Le Conseil européen estime que le Smic français offre un pouvoir d'achat parmi les plus élevés de l'Union ; qu'est-ce à dire ?
Il est moins motivé, semble-t-il, pour créer la taxe sur les transactions financière. Les 30 à 35 milliards qu'elle rapporterait pourraient servir à financer la reconstruction de notre économie. L'accord du 5 mai dernier était inquiétant ; quelle est la position du Gouvernement aujourd'hui ?
Les citoyens européens rejettent cette Europe, il faut répondre à leurs inquiétudes. Le résultat des élections est un signal d'alarme. Nous devons bâtir un projet d'espoir pour l'Europe, fondé sur l'humain. Il y a urgence à agir. (M. Jean-Pierre Chevènement applaudit)
Mme Bariza Khiari . - Le 25 mai dernier, les citoyens européens étaient appelés aux urnes. Beaucoup ne se sont pas déplacés, ceux qui l'ont fait ont placé des partis europhobes en tête dans nombre de pays. Cela est inquiétant, bien sûr, mais il n'est pas dit que cela modifie mathématiquement les équilibres au sein du Parlement européen ; et les Français ne veulent pas sortir de l'Europe. Pour reprendre une phrase un peu galvaudée, tirons les leçons de cette crise.
La crise économique, la précarité, l'inquiétude sociale favorisent l'abstention et le vote contestataire. Les extrêmes tirent habilement profit des frustrations identitaires et prônent la sortie de l'euro, la déconstruction de l'Union, le rétablissement des frontières nationales.
Il n'est pas question pour nous de revenir sur les grands principes européens, à commencer par la liberté de circuler, mais il faut réorienter l'Europe. Trop longtemps, on n'a pas su -ou pas voulu- parler d'Europe -les médias ont leur part de responsabilité.
L'urgence est de redonner du sens, de la visibilité et de la hauteur de vue à l'action européenne. Il s'agit de résister, comme le dit le pape François, à la mondialisation de l'indifférence.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Belle référence !
Mme Bariza Khiari. - Luttons contre l'optimisation fiscale des grands groupes qui entament le consentement à l'impôt. La Cour européenne a ouvert une enquête sur les pratiques fiscales de l'Irlande, du Luxembourg et des Pays-Bas. Où en est-on ? Depuis six mois, le Parlement travaille sur une proposition de loi visant à rétablir un peu d'équité entre les libraires indépendants et les géants de la vente à distance ; j'en suis la rapporteure. Eu égard à l'unanimité des deux chambres sur la question, notre commission de la culture a décidé de passer outre les réserves de la Commission européenne -espérons que nous serons entendus.
Deuxième sujet, la politique de l'asile et la question des réfugiés. Il faut une approche respectueuse des droits de l'homme et des valeurs de la démocratie occidentale. En 2011, le Sénat demandait, dans une proposition de résolution, l'octroi de la protection temporaire pour les Afghans. La Convention de Genève doit être respectée, il nous faut anticiper un afflux de réfugiés irakiens. En 2013, l'Union européenne n'a réinstallé que 5 000 réfugiés, contre 50 000 pour les États-Unis. Rappelons à nos concitoyens, comme le fait la maire de Lampedusa, qu'« aucun d'entre nous n'aurait le courage de monter à bord d'un de ces bateaux en laissant tout derrière soi... Cette folle odyssée en mer ou en camion a sans doute des raisons impérieuses ». Nos concitoyens attendent de l'Europe qu'elle les rende fiers, qu'elle soit porteuse de valeurs. Ainsi éviterons-nous les crispations identitaires orchestrées par des partis qui se nourrissent de la détresse pour installer la haine et la défiance.
L'opération Mare nostrum a permis de sauver des milliers de vies. Que peut faire l'Europe pour conjuguer sauvetage et respect du droit d'asile ?
Troisième défi, les questions budgétaires. Il nous paraît indispensable d'exclure du calcul du déficit les dépenses d'investissements d'avenir, la contribution au budget européen et le coût des réformes structurelles. Un ministre allemand s'y est déclaré favorable, la future présidence italienne prépare une initiative en ce sens. Même le FMI appelle à assouplir les critères du pacte de stabilité. Où en est la réflexion sur les règles de calcul ?
Je salue enfin la recapitalisation de la BEI et la mise en place de la garantie jeunesse. Nous avons tenu bon sur le volet social de l'Europe. Le projet européen ne fait plus rêver une jeunesse touchée par le chômage. La prise en compte de cette situation est indispensable pour restaurer la confiance. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Pierre Chevènement . - La Commission européenne va soumettre, en vertu du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, une série de recommandations par pays censées guider les État membres dans leur politique budgétaire et de réforme. Je les ai lues soigneusement : c'est un programme d'assainissement à perte de vue dans tous les pays européens à la fois, visant à ramener le déficit structurel à 0,5 % du PIB et le niveau d'endettement à 60 % du même. Dans un cadre aussi contraint, l'Allemagne ne peut jouer son rôle de locomotive de la croissance européenne. Pour la France, c'est une mise à la diète généralisée : retraites, allocations familiales, aides au logement et -curieusement- réforme territoriale, comme si celle-ci pouvait réduire le déficit à 3 % d'ici 2015 -objectif hors d'atteinte... Et encore : baisse du coût du travail, mise en cause du crédit impôt recherche, hausse des tarifs du gaz et de l'électricité, réforme des indemnités chômage, j'en passe et des meilleures... Ultime et cocasse recommandation : un gestionnaire des infrastructures de chemin de fer indépendant de la SNCF. On croit rêver ! Sur quelle planète les technocrates de Bruxelles vivent-ils donc ? Ils vont jusqu'à préconiser une réforme de l'éducation nationale ! Bonjour la subsidiarité ! C'est la mise en tutelle généralisée de la démocratie républicaine.
La Commission européenne pointe l'absence de ciblage du CICE alors qu'elle impose elle-même la non-discrimination entre les entreprises... Le cadenassage de nos choix politiques se resserre. Entendez-vous le cliquetis des chaînes que je vous annonçais lors de la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ? Que reste-t-il de la liberté de vote du budget par le Parlement, de la liberté de la France de s'organiser en tout domaine, de l'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de l'article 3 de la Constitution ? Notre République n'est plus libre de ses décisions.
Nous sentons le poids de la doxa économique qui sous-tend ces recommandations. La faiblesse de l'inflation, dit Mme Lagarde elle-même, présente « de graves menaces pour la reprise européenne ». Bravant le conformisme ambiant, elle appelle la BCE à acheter des obligations souveraines. Quelle audace !
Le vice-chancelier allemand s'est prononcé pour davantage de souplesse budgétaire. Commençons par faire baisser le taux de l'euro ; à l'Allemagne de prendre ses responsabilité. La BCE doit cesser de combattre, tel Don Quichotte, les dangers imaginaires que ses statuts lui commandent de terrasser pour enfin aborder les problèmes réels.
Je ne saurais conclure sans évoquer l'Ukraine. Le président Porochenko propose la paix mais fait la guerre. La Russie a facilité la tenue de l'élection ukrainienne du 25 mai.
M. Jean-Yves Leconte. - Comment ?
M. Jean-Pierre Chevènement. - La France a toujours déclaré ne pas vouloir placer l'Ukraine devant un choix impossible entre l'Union européenne et la Russie. Un accord d'association est-il envisageable, avec un pays dont le président refuse la paix ?
M. Jean-Yves Leconte. - Il a été élu au premier tour !
M. Jean-Pierre Chevènement. - Oui, par des gens qui voulaient la paix. La dernière opération antiterroriste a fait 200 morts. Il y a déjà trois fois plus de morts de ce côté des militants que de celui des occupants de la place Maïdan.
M. Jean-Yves Leconte. - Ce ne sont pas des militants !
M. Jean-Pierre Chevènement. - Et le commissaire bruxellois qualifie cette violence de « proportionnée » ! Tant qu'une négociation n'a pas été engagée, il serait normal de suspendre les discussions sur l'accord d'association. D'autant que 11 milliards d'euros ont d'ores et déjà été promis. À côté, la Grèce n'aura été qu'une « bagatelle », dit-on à Bruxelles.
L'Union européenne ferait mieux de se préoccuper de ce qui se passe au sud, vers l'Afrique, que de vouloir toujours reculer sa frontière orientale. Le Conseil européen doit reprendre le contrôle de la politique de voisinage, abandonnée à des incapables qui croient habile de négocier séparément avec la Russie et avec l'Ukraine. Une certaine russophobie est de mise dans certains cercles qui voudraient construire l'Europe contre la Russie. Mais la Russie fait partie de l'Europe ! En l'oubliant, l'Union européenne se mettrait définitivement à la remorque d'intérêts qui ne sont pas les siens. Une nouvelle guerre froide n'est de l'intérêt ni de la France, ni de l'Europe, et encore moins de l'Ukraine. (Applaudissements sur les bancs RDSE et sur plusieurs bancs UMP et UDI-UC)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances . - Le prochain Conseil européen, qui marquera la conclusion du semestre européen, verra l'adoption par les États des recommandations par pays sur la base des propositions de la Commission européenne. Cette « recommandation de recommandation », comme dit le jargon, sera-t-elle contestée par le gouvernement français ? Tous les États suivront-ils la Commission ou préféreront-ils un assouplissement de la discipline commune ?
Pour la France, je relève que la Commission prévoit un niveau de déficit de 3,4 % quand le Gouvernement nous parle de 3 %. L'horrible austérité ne fait pas l'objet de mesures fort étayées. Une fois de plus, l'opacité prime. Les mesures d'économie annoncées par le Gouvernement, qui font tant réagir certains, ne sont pas suffisamment détaillées pour être crédibles. Cette opacité est aggravée par l'utilisation de la notion de « solde structurel », nouveau et moderne rideau de fumée. Certes, nous avons transposé en droit interne le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Mais le Gouvernement se dispense de nous dire sur quelles hypothèses il se fonde pour justifier la trajectoire qu'il propose : « Je vous demande de me faire confiance. Circulez, il n'y a rien à voir... ».
M. Aymeri de Montesquiou. - Dormez, bonnes gens...
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Les finances publiques demandent plus qu'un acte de foi. Les réformes structurelles prévues ne prendront effet qu'à moyen terme, notamment celle concernant les collectivités territoriales. Le président de la République nous promet un miracle en la matière... Il faudrait nous communiquer une trajectoire détaillée de rétablissement des finances publiques.
Nos emprunts ne bénéficieront pas toujours de taux aussi faibles, et notre dette continue d'augmenter. Quels sont les projets du Gouvernement en matière de redressement à moyen et long terme de nos finances publiques ? Selon la Commission européenne, même les axes forts de la politique économique du Gouvernement sont lacunaires : la réduction annoncée du coût du travail ne comblerait que la moitié du fossé entre la France et la moyenne de la zone euro en termes de cotisations patronales. La détérioration de notre balance commerciale, notre manque de compétitivité coût et hors prix sont pointés du doigt avec une sévérité accrue.
La Commission européenne avait usé jusque-là d'une expression plus modérée à notre égard. Cela ne peut que nourrir les doutes sur la viabilité de votre politique économique.
Quelle est la position du Gouvernement sur un assouplissement des règles budgétaires ? S'agit-il de simples déclarations dominicales ou pensez-vous que la France puisse réellement desserrer la contrainte ? Si oui, qui faut-il croire ? Ceux qui annoncent 50 milliards d'économies ou ceux qui estiment qu'un tel effort pénaliserait la croissance ? À dire une chose et à ne pas la faire, à dire une chose et son contraire, on risque d'affaiblir un peu plus la crédibilité de notre pays, que beaucoup considèrent déjà comme l'homme malade de l'Europe. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes . - En mars dernier, du fait de la suspension des travaux du Sénat, nous avions eu ce débat au sein de notre commission des affaires européennes. Je me félicite de l'avoir aujourd'hui en séance publique, et pas dans le « petit hémicycle ».
Au lendemain d'élections européennes qui ont montré la défiance croissante des citoyens, il est urgent d'agir pour rétablir la confiance. Le Conseil européen devra respecter la volonté des citoyens pour nommer le président de la Commission européenne : c'est une grande première. Quelle Europe voulons-nous ? Quel projet doit porter la nouvelle Commission européenne ?
La situation en Ukraine continue de nous inquiéter, je partage bien des observations de M. Chevènement. Il faut respecter la diversité de l'Ukraine, et donc aller vers une plus grande décentralisation, réunir les conditions d'un dialogue apaisé avec la Russie. Une amorce de dialogue a eu lieu le 6 juin sous l'égide de François Hollande. Poursuivons dans la voie du dialogue, la confrontation ne peut conduire qu'à une impasse.
Le Conseil européen adoptera des recommandations par pays. La Commission a estimé que la politique de notre Gouvernement allait dans le bon sens, associant assainissement budgétaire et retour de la croissance. Nous ne sommes pas l'homme malade de l'Europe, monsieur Marini ! Ce France bashing est assez déplaisant : nous n'avons pas à parler ainsi de notre pays
Le chômage des jeunes atteint des niveaux insupportables ; il faut soutenir la croissance et l'emploi. La France défend cette position depuis juin 2012.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - En paroles !
M. Simon Sutour. - Il y a encore beaucoup à faire pour construire un véritable espace européen. Il y a urgence à mettre en place une politique européenne d'immigration, avec un corps de gardes-frontières européens. Il faut réduire les disparités en matière d'asile et renforcer la coopération policière. Le rôle d'Interpol doit être renforcé. S'agissant du parquet européen, nous nous sommes opposés au projet de la Commission, trop centralisé et irréaliste. La négociation évolue au Conseil européen dans le bon sens.
La protection du droit des personnes doit être une priorité : l'affaire Snowden le rappelle avec force. Au Gouvernement de défendre nos positions.
Enfin, le Conseil européen doit débattre du climat et de l'énergie. Le sommet des Nations unies de septembre est l'échéance majeure.
L'Union européenne doit réduire sa dépendance énergétique et les risques de rupture d'approvisionnement. Pour une politique énergétique ambitieuse, utilisons l'outil fiscal.
Ce débat préalable au Conseil européen est le premier du ministre et le dernier de notre mandature ; le prochain aura lieu en octobre. Je saisis cette occasion pour remercier tous les membres de la commission des affaires européennes, ainsi que tous les sénateurs qui s'intéressent à l'Europe et, s'y intéressant, la font avancer. (Applaudissements)
M. Harlem Désir, secrétaire d'État . - Je vous remercie pour ce débat organisé à ce moment si important.
M. Gattolin a insisté sur l'importance toute particulière de ce Conseil européen. Oui, il faut réconcilier les citoyens avec le projet européen : le résultat des élections européennes met en cause, sinon l'existence de l'entité européenne, du moins son fonctionnement et ses résultats face à la crise. Oui, il faut changer. Donner la priorité à une véritable politique industrielle ? Nous en sommes d'accord. S'agissant du gaz de schiste, la France a interdit la fracturation hydraulique à cause de son impact environnemental avéré et faute d'études démontrant que l'exploitation en serait rentable en Europe : nous n'avons ni la même géologie ni la même densité de population que les États-Unis. Nous veillons à ce que la politique énergétique de l'Union européenne repose sur la diversification, avec un bouquet moins carboné. Je serai vigilant sur l'utilisation des fonds du programme 20/20.
Oui, monsieur Bizet, le résultat des élections européennes doit être respecté. Le parti populaire européen est arrivé en tête, il lui revient donc de proposer son candidat. Mais il faut aussi tenir compte de l'équilibre. Aucune formation politique ne détenant la majorité absolue, il faut constituer une majorité et se rassembler pour relever les défis de la croissance, de l'emploi, de la cohésion sociale. Le président de la République a réuni neuf chefs d'État et de gouvernement ce samedi. Ensemble, ils sont convenus de soutenir M. Juncker, mais aussi de fixer comme orientation politique de l'Union européenne la croissance, et non l'austérité. (M. Philippe Marini, président de la commission des finances, s'exclame)
Les recommandations par pays nous paraissent équilibrées. La Commission européenne valide la politique du gouvernement français, estimant que notre programme national de réformes permettra de résorber nos déséquilibres économiques. Elle souligne le caractère adapté et ambitieux du plan d'économies du Gouvernement ; les précisions demandées figureront dans le projet de loi de finances rectificative et le PLFSSR.
La Commission tient compte de l'agenda de réformes structurelles engagées : allégement du coût du travail, réforme du marché du travail, choc de simplification, réforme territoriale. L'enjeu réside dans la bonne mise en oeuvre de ces recommandations autour de trois piliers : réduction du déficit structurel et baisse de notre ratio de dette, diminution du chômage, renforcement de la compétitivité des entreprises.
Le pacte de responsabilité doit aller plus loin et plus vite, dit M. de Montesquiou. C'est en reconnaître donc le bien-fondé. (M. Aymeri de Montesquiou n'en disconvient pas) Plutôt que de se mettre en cause mutuellement pour des dépassements de vitesse, reconnaissons qu'aucun gouvernement n'a jamais pris de mesures aussi fortes de baisse des prélèvements et d'aide à la compétitivité des entreprises.
M. Aymeri de Montesquiou. - Après avoir fait le contraire !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - L'objectif est de ramener le déficit à 3,8 % en 2014, après 4,3 % en 2013, 4,8 en 2012 et 5,2 en 2011. La France est en train de se réformer, d'être un des acteurs du retour de la croissance en Europe.
Sur BNP-Paribas, Laurent Fabius s'est exprimé clairement : s'il y a eu faute, il est normal que l'entreprise soit exposée à des sanctions, pourvu que celles-ci soient proportionnées. Or les chiffres évoqués ne le sont pas. Il n'est pas question pour nous d'accepter que l'avenir de l'une des grandes banques européennes puisse être mis en danger dans son rôle de financement de l'économie.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Très bien !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Nous serons donc vigilants dans nos relations avec notre partenaire américain.
Monsieur Billout, la Commission européenne n'a pas le pouvoir d'imposer ses recommandations à la France. Nous soutenons que l'on ne sortira pas de la crise par l'austérité. Il nous faut certes réduire notre endettement, car il y va de notre souveraineté, mais aussi relancer l'activité.
La taxe sur les transactions financières ? Une étape décisive a été franchie lors du conseil Écofin du 6 mai. Cette taxe, dont on parle depuis des années, sera une réalité avant la fin 2016. Son assiette est élargie aux produits dérivés. À en juger par la réaction de ceux qui s'y opposent, c'est une avancée indéniable.
Mme Khiari a insisté sur la priorité à donner à la croissance et à l'emploi mais aussi sur l'harmonisation fiscale. C'est ainsi que la France a demandé un établissement d'un fichier de type Fatca pour lutter contre l'évasion fiscale par un échange d'informations systématique, le 22 mai 2013. Nous avons enfin obtenu, après six années de négociation, que soient levées les réticences de certains pays, tels l'Autriche et le Luxembourg, sur la révision de la directive concernant la fiscalité de l'épargne, adoptée le 24 mars. La législation européenne contre l'optimisation fiscale de certaines grandes entreprises a été renforcée et la directive mère-filiale sera modifiée et transposée d'ici le 31 mai 2015.
Sur la garantie jeunesse, la réunion de Turin est reportée, non annulée, pour que toutes les conditions soient réunies afin de mieux lutter contre le chômage de jeunes.
M. Chevènement comme M. Sutour ont évoqué la crise ukrainienne. La situation reste instable dans l'est. Effectivement, le règlement durable de la crise passera par un dialogue entre l'Ukraine et la Russie, ainsi que par un dialogue interne à l'Ukraine, pour aboutir à l'indispensable réconciliation nationale. Le processus des tables rondes inclusives a été suspendu depuis l'élection présidentielle du 25 mai dernier ; il doit reprendre. Notre position est claire.
Le président m'invite à conclure ; merci pour ce débat. Je répondrai avec plaisir à vos questions. (Applaudissements)
Débat interactif et spontané
Mme Colette Mélot . - La question de l'Ukraine et de notre relation avec la Russie a été abordée. Approfondissons-la. Depuis 2007, M. Poutine travaille à imposer une Russie puissante, capable de régler les conflits. Il met ainsi en place une union douanière avec les pays voisins. La géopolitique nous rappelle que l'Ukraine est stratégique pour la Russie. Force est de constater que la Crimée a été annexée. Où en est le dialogue avec la Russie ? Comment la France y participe-t-elle ? Comment affirmer notre amitié à l'Ukraine sans altérer nos relations avec la Russie ?
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - La semaine dernière, la chancelière allemande a noué des contacts avec MM. Poutine et Porochenko. La France n'accepte pas l'annexion de la Crimée. Une position de fermeté, donc, assortie de sanctions, tout en affirmant que le dialogue doit reprendre. L'Ukraine ne doit pas être mise en position de devoir choisir entre l'Europe et la Russie. C'est pourquoi nous avons repris les négociations sur l'accord d'association et invitons l'Ukraine et la Russie à renouer des relations pacifiques économiques, y compris sur les questions gazières, qui soient profitables aux deux parties.
M. Jean-Yves Leconte . - La BCE vient d'annoncer un relâchement de sa politique monétaire. Puisque des moyens nouveaux existent, cela implique un renforcement de la vigilance et des contrôles. Qu'est-ce qu'une Europe à 28 si les personnes physiques et morales sont gérées par 27 conventions fiscales ? Comment s'assurer que la nouvelle Commission européenne mettra en place la politique de grands travaux annoncée ?
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Le 5 juin dernier, Mario Draghi a annoncé, en effet, un paquet de dispositions sans précédent. Nous saluons cette mesure, elle servira à lutter contre le risque de déflation pointé par M. Chevènement. La BCE réoriente son action vers la croissance et l'emploi. Il faut aller plus loin, financer les interconnexions et mieux mobiliser l'épargne.
M. Christophe-André Frassa . - Nous nous préoccupons plus aujourd'hui des conséquences que des causes. Prenons un exemple : notre incapacité à faire face à des flux migratoires exceptionnels, le départ de jeunes Européens partant combattre en Syrie résultent de défaillances à nos frontières. À la veille du Conseil européen, la France doit nous dire quelle position elle prendra sur le programme post-Stockholm.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - La politique migratoire et la lutte contre le terrorisme sont des sujets majeurs, qui ne sont certes pas liés. Nous ne pouvons pas laisser l'Italie seule face au drame des immigrants qui traversent la Méditerranée dans des conditions précaires. La réponse doit être européenne, avec la montée en puissance de l'agence Frontex. Nous consoliderons ainsi l'espace de liberté et de circulation qu'est l'espace Schengen. Ce n'est qu'un aspect de notre politique migratoire, au côté de la gestion des flux d'immigration régulière.
L'Europe doit s'organiser de manière beaucoup plus ferme et plus coordonnée pour combattre le terrorisme.
M. Aymeri de Montesquiou . - Monsieur le ministre, vous avez évoqué l'Ukraine. Un peu de pragmatisme ne nuirait pas. On ne conteste pas la doctrine Monroe des États-Unis. On accepte l'installation de fusée en Tchéquie, on fait entrer la Moldavie et la Géorgie dans l'Otan. Tout se passe comme si l'on sous-traitait la politique étrangère de l'Union européenne aux États-Unis. Quand une officielle américaine s'exclame « Fuck Europe »...
M. Jean Bizet. - C'est choquant !
M. Aymeri de Montesquiou. - ...est-ce que Mme Ashton proteste ? Je suis loin de donner dans l'anti-américanisme de principe mais c'est à nous qu'il devrait revenir de traiter les questions qui intéressent l'Europe. Je comprends très bien le besoin d'indépendance de l'Ukraine face à la Russie mais leurs économies sont liées et les diktats américains sont malvenus. Les révélations de M. Snowden auraient dû ouvrir les yeux des Européens !
M. Jean-Pierre Chevènement. - Très bien !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Je ne peux que me répéter : nous voulons une résolution politique du conflit entre la Russie et l'Ukraine. Ce pays est indépendant, il a choisi l'accord d'association avec l'Europe. En même temps, il doit avoir des relations de bon voisinage avec la Russie. L'Ukraine a accumulé une dette considérable auprès de Gazprom ; il faudra trouver un accord équitable. Nous sommes favorables à des discussions tripartites, impliquant aussi l'Union européenne, sur les conséquences de l'accord d'association pour l'économie ukrainienne. Tous nos efforts visent au dialogue entre l'Ukraine et la Russie et au dialogue interne à l'Ukraine, dans le respect des principes de cessez-le-feu et de désarmement.
M. Jean Bizet . - Je veux évoquer le sujet du climat et de l'énergie. Quels objectifs seront fixés ? Devons-nous aller plus loin dans l'énergie décarbonée ? Réduire la part du nucléaire dans notre mix énergétique aura un coût, les Allemands l'ont constaté.
Comment harmoniser notre bouquet énergétique avec ceux de nos partenaires ? Quel calendrier ? Quelle méthode ? Quels objectifs ?
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. - Les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre seront fixés lors du Conseil européen d'octobre : moins 40 % en 2030, avec 27 % d'énergies renouvelables en France, voire davantage, avec le projet de loi de transition énergétique. Le nucléaire, que nous plafonnerons, est un atout pour développer les énergies renouvelables sans en faire supporter le prix aux entreprises et aux ménages. Nous consommerons moins d'énergie, des énergies plus renouvelables, pour faire de l'Europe un continent pionnier dans cette transition énergétique tant recherchée dans le monde.
Le débat est clos.