Maïs génétiquement modifié (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON810 (procédure accélérée).
Discussion générale
M. Alain Fauconnier, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires économiques . - Cette proposition de loi ne vise que l'interdiction de mise en culture commerciale de variétés de maïs génétiquement modifié ; elle ne fait obstacle ni à la recherche, ni à l'expérimentation, ni aux essais.
Par deux arrêtés du 7 février 2008 et du 16 mars 2012, le précédent gouvernement a instauré un moratoire sur la mise en culture du maïs MON810, mais l'un et l'autre texte ont été annulés par le Conseil d'État, le deuxième en août dernier. Les risques perdurent donc pour l'environnement. Le maïs MON810 contient une toxine qui nuit aux insectes non cibles ; et les larves des insectes cibles ont développé une résistance qui contraint les agriculteurs à employer des insecticides plus puissants et plus dangereux.
En outre, d'autres variétés de maïs génétiquement modifié sont en attente d'autorisation. Contrairement à l'avis de 19 États membres sur 28 et du Parlement européen, la Commission européenne pourrait autoriser l'utilisation du maïs TC1507, qui a les mêmes inconvénients que le MON810. La procédure de codécision ne s'applique pas dans ce domaine. Cinq États ont leur accord, mais quatre d'entre eux ne cultivent pas de maïs - ainsi la Suède...
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. - Bientôt peut-être pas, avec le réchauffement climatique...
M. Alain Fauconnier, rapporteur. - Peut-être ! Les citoyens européens refusent le développement des OGM sans être informés que ceux-ci se disséminent de plus en plus dans leurs assiettes et l'alimentation des animaux. Les enjeux économiques, sociaux, écologiques ne sont pas suffisamment pris en compte. Sur le plan scientifique, l'innocuité des plantes génétiquement modifiées devrait être démontrée sur le long terme avant qu'elles soient mises sur le marché. Leur effet sur l'environnement est très difficile à évaluer, les experts sont partagés, et les données ne sont pas toutes accessibles aux laboratoires publics.
En France, le Haut conseil des biotechnologies (HBC) étudie l'impact environnemental et sanitaire, mais aussi économique, social et éthique des OGM. L'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) n'étudie que certains aspects scientifiques et se refuse, pour sa part, à prendre en compte l'impact sur les autres cultures. Peut-on prendre le risque de voir les cultures d'OGM contaminer les cultures bio, donc d'annuler la liberté de choix des agriculteurs et des consommateurs ?
Nul dogmatisme dans cette proposition de loi, mais veillons à leur innocuité et à ne pas soumettre nos producteurs à l'emprise de quelques semenciers américains. (M. Roland Courteau approuve) Les semences font en effet l'objet de brevets interdisant le réensemencement, ce qui accroît notre dépendance à l'égard des multinationales. Le développement des OGM favoriserait celui de l'agriculture intensive, comme aux États-Unis et en Amérique du Sud. Est-ce là ce que nous voulons ?
L'autorisation de maïs génétiquement modifiés aurait des effets considérables sur l'organisation de la filière en France. La culture du maïs est très importante dans notre pays, plus de 100 000 exploitations, la moitié de la surface agricole utile de certains départements. Ne la mettons pas en péril.
Je suis particulièrement sensible aux conséquences de la culture des OGM sur la production du miel. La question de la traçabilité est centrale. Des cheptels d'abeilles entiers ont été décimés, en dix ans la production a baissé de 30 % ; ne peut-on envisager que des plantes comportant des pesticides dans leur ADN leur fassent courir de nouveaux dangers ?
L'intérêt de la culture du maïs MON810 en France est à démontrer, de même que son innocuité pour l'environnement, la biodiversité, le producteur et le consommateur. Voilà pourquoi cette proposition de loi réclame de nouvelles études préalables.
Nous ne mettons pas fin au débat. Bien au contraire, nous nous joignons à tous ceux qui, en Europe, réclament une refonte des modes d'évaluation des OGM.
La commission vous propose d'adopter cette proposition de loi dans le texte issu de ses travaux qui, hors l'intitulé, ne diffère pas de la proposition de loi initiale. (Applaudissements à gauche)
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt . - Le sujet est important. Il s'agit aussi de la recherche et de ses finalités.
M. Jean Bizet. - Il n'y en a plus !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Nous avons besoin de rationalité et d'objectivité ; d'un débat démocratique aussi. Certaines multinationales s'approprient l'intérêt général, se chargent des grands enjeux de l'humanité en proclamant que les OGM nourriront le monde. Rappelons-nous-en !
M. Roland Courteau. - Eh oui !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Cela mérite pourtant discussion !
Le vrai sujet est celui de la législation européenne. Je ne peux me satisfaire des procédures actuelles : comme M. Fauconnier l'a dit, la voie de l'autorisation du maïs TC1507 a été ouverte contre l'avis d'une majorité d'États. Parmi ceux qui ont donné leur accord, il en est qui ne produisent pas de maïs... Il faut changer les règles, objectiver le débat, avoir un raisonnement coût-bénéfice-avantages-inconvénients. Des OGM qui paraissent la première année très intéressants économiquement se révèlent, à l'épreuve, dangereux pour l'environnement et beaucoup moins rentables à long terme... On le voit aux États-Unis et même en Espagne. La compétitivité de la filière semencière française ? Elle est excellente...
Un changement de législation européenne est nécessaire, nous avons déposé un texte qui est en discussion. Des critères doivent être fixés qui permettront un débat démocratique. Une nouvelle page va s'ouvrir pour les OGM. Améliorer le taux de vitamine A dans un riz pour lutter contre la cécité, voilà un vrai sujet... Les nouvelles règles doivent permettre de faire des choix, discutés et acceptés, au nom de critères reposant sur l'intérêt général.
Jusqu'ici, les OGM prolongeaient un certain modèle de production. Les modèles méritent d'être mis en question, sans remettre en cause le niveau de la production ; je le dis et le répète, les dimensions économiques et écologiques ne sont pas incompatibles.
Les questions de court terme doivent aussi être traitées. Depuis l'autorisation du maïs MON810 en 1998, de l'eau a coulé sous les ponts, plusieurs mesures d'interdiction ont été prises par les autorités françaises. Le Conseil d'État a estimé abusive l'invocation de la clause de sauvegarde ; c'est ce qui nous conduit à agir par voie législative.
Cette proposition de loi, certes, est contraire au droit européen.
M. Jean Bizet. - Eh oui !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Mais l'autorisation de mise sur le marché de 1998 était valable dix ans... Même au plan juridique, nous avons de bons arguments.
M. Daniel Raoul, président de la commission. - Très bien !
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Une décision doit être prise, car les semis de printemps se rapprochent...
Encore une fois, il ne s'agit pas de s'opposer par principe aux OGM mais de répondre dans le court terme à la décision du Conseil d'État. Et à moyen terme, de renégocier les règles à l'échelle européenne.
En attendant, je soutiens la proposition de loi de M. Fauconnier. Un débat aura lieu à ce sujet le 1er avril - aucun poisson là-dessous - sous l'égide du Haut conseil des biotechnologies. Des choix démocratiques doivent être faits qui fassent prévaloir l'intérêt général. (Applaudissements à gauche)
M. Joël Labbé . - À la veille des semailles, cette proposition de loi discutée selon la procédure accélérée est un signal politique fort.
Ce qui s'est passé à Bruxelles sur le maïs TC1507 est révoltant. Malgré l'opposition de dix-neuf pays sur vingt-huit et du Parlement européen, l'absence de majorité qualifiée n'a pas permis de s'opposer à la demande du groupe américain Pioneer. Nous appelons la Commission européenne à prendre en compte cette opposition. La délivrance de l'autorisation serait une insulte à la démocratie.
Quant au MON810, la France est une opposante historique... mais la mise en culture reste autorisée depuis la décision du Conseil d'État. La proposition de loi se contente de préserver notre territoire. On dira que les écologistes sont opposés au progrès de la science...
M. Daniel Raoul, président de commission. - C'est vrai !
M. Jean Bizet. - Ah ! Très bien !
M. Joël Labbé. - On nous a reproché tant de choses ; nous avons été précurseurs...
Mme Éliane Assassi. - Vous n'êtes pas les seuls !
M. Daniel Raoul, président de la commission. - Vous lancez des OPA sur tout !
M. Joël Labbé. - Rendre une plante insecticide et tolérante aux herbicides, quel progrès ! Mais science sans conscience... Le business, lui, ne se préoccupe pas de la ruine de l'âme... Oui, monsieur Bizet, il y a de larges perspectives pour la recherche, au service de l'humanité. Oui, l'agroécologie a de l'avenir.
Les risques liés à la culture de semences de maïs OGM sont connus. On voit apparaître des insectes résistants aux insecticides, des adventices tolérants aux herbicides - la nature est bien faite... Étudiant, j'ai lu sur un mur ce graffiti en anglais « if you f... the nature, one day the nature will f... you » (M. Gattolin applaudit ; mouvements divers)
M. Jean Bizet. - C'est mieux en anglais, en effet !
M. François Fortassin. - Speak French !
M. Joël Labbé. - Il faut faire jouer le principe de précaution.
M. Jean Bizet. - Que vous n'avez pas voté !
M. Joël Labbé. - C'est à l'honneur de la France de ne pas céder à la pression des lobbies, je soutiens le Gouvernement dans ce combat.
Nous oublions un peu vite nos importations massives d'OGM pour nourrir le bétail, importations qui nous rendent totalement dépendants et exposés à la volatilité des prix ; nous en retrouvons des traces jusque dans nos assiettes.
Aux producteurs de l'agro-business qui osent dire que les OGM seuls permettront de nourrir le monde, nous répondons qu'il faudrait déjà cesser de l'appauvrir et de l'affamer.
Espérons que nous ne commettrons pas la folie d'inclure l'agriculture dans les négociations commerciales transatlantiques. Nous voterons cette proposition de loi avec enthousiasme. (Applaudissements à gauche)
M. Jean Bizet . - Les conditions d'examen de cette proposition de loi, déposée il y a quelques jours seulement, sont déplorables. Cette mascarade (M. André Gattolin proteste) se déroule sous le regard complaisant du Gouvernement, voire à sa demande... (Exclamations à gauche). La procédure accélérée nous privera d'une relecture. Nous dénonçons cette manoeuvre mais en percevons bien l'objectif : contourner la décision des autorités européennes - l'autorisation du TC1507 devrait être prochainement donnée -, au risque d'un dispositif juridiquement fragile. Tout cela ne grandit pas le rôle du législateur, qui ne peut dès lors aborder la question sereinement.
Prononcer une interdiction générale, avoir une position dogmatique, c'est aux antipodes du travail lancé naguère avec Jean-Marc Pastor.
J'ai bien noté qu'il y aurait un débat démocratique au Haut conseil, mais je reste dubitatif : nous faisons aujourd'hui mentir les agences que nous avons-nous-mêmes créées, au niveau national comme au niveau européen... Je note aussi et j'y souscris, que vous êtes prêt, monsieur le ministre, à ouvrir une deuxième page de l'histoire des biotechnologies.
Il est dommage d'alimenter la défiance à leur égard, d'entretenir la confusion. Ce dossier est éminemment stratégique : la propriété intellectuelle est une arme qui échappe aujourd'hui aux entreprises françaises et européennes.
M. Joël Labbé. - Ce qu'il faut entendre !
M. Jean Bizet. - L'exposé des motifs de la proposition de loi multiplie les approximations scientifiques et les amalgames. Aucune autorité scientifique n'a conclu aux risques que ferait courir la culture du maïs MON810 à l'environnement (M. Joël Labbé le conteste) ou aux abeilles qui, d'ailleurs butinent peu le maïs... Il faut revenir à la raison. Notre arsenal juridique, constitué lors de la transposition de la directive de 1998, est pleinement respectueux du principe de précaution ; il y est affirmé la liberté de produire et de consommer avec ou sans OGM. Un régime de responsabilité sans faute a été créé en cas de dissémination d'OGM. Au sein du Haut conseil, le législateur a tenu à distinguer l'avis des experts de la parole des citoyens. Employons donc cet arsenal à bon escient et cessons de dresser des rideaux de fumée, en opposant à répétition des clauses de sauvegarde vouées à être annulées. Point n'est besoin d'interdire, sauf à défendre une position idéologique et se priver de toute analyse rigoureuse.
Le Conseil d'État a été clair : le maïs MON810 n'est pas plus susceptible de poser de problème pour l'environnement que le maïs traditionnel - il s'appuie sur l'avis des agences. Si nous contournons cet avis lorsqu'il ne nous convient pas, où allons-nous ? Le Conseil d'État a souligné l'erreur manifeste d'appréciation du ministre, relevé le caractère hypothétique des risques allégués : tout cela invalide l'invocation du principe de précaution, de même que l'absence de toute urgence. C'est pour contourner cette décision qu'on nous propose aujourd'hui un texte contraire au droit communautaire et aux règles du commerce international. Toute mesure protectrice de la part de l'Union européenne nous exposerait à des mesures de rétorsion de la part des États-Unis.
Il faudrait aussi tenir compte du fait que l'Europe est très dépendante des importations pour l'alimentation de son bétail. La France importe 3,5 millions de tonnes de tourteaux de soja OGM sur les 5 millions consommés à cette fin. Certes, la production de biocarburants a corrigé notre dépendance...
M. Joël Labbé. - C'est un autre débat !
M. Jean Bizet. - Interdire les importations d'OGM renchérirait les produits agricoles, au détriment du consommateur. Ce n'est pas envisageable.
En alimentant les peurs, en entretenant la confusion, en ne sanctionnant pas les fauchages volontaires, nous faisons fuir nos chercheurs en sciences du vivant. Il est temps de donner à la recherche un cadre sécurisé : il y va de notre indépendance. Déjà 80 % des traits génétiques appartiennent à des entreprises non européennes. Quand on détruit des essais, trois à cinq ans sont perdus... Il s'agit ici d'une interdiction politique, qui n'est fondée sur aucun argument scientifique.
Pour finir, je citerai ces mots de Jacques Rueff, d'une cruelle pertinence : « Soyez libéral, soyez socialiste, mais ne soyez pas menteur ! ». (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Jacques Lasserre . - Ce sujet mérite attention et mesure. Pourquoi ce texte maintenant ? L'argument des semis de printemps est peu crédible, puisque l'examen à l'Assemblée nationale n'aura lieu que le 10 avril, quand beaucoup auront été faits.
Pourquoi n'avoir pas préféré le véhicule du projet de loi d'avenir pour l'agriculture ? Pourquoi y avoir fait l'impasse sur les OGM, les nouveaux modes de culture, qui sont bien des sujets d'avenir ? Pourquoi ne pas répondre, enfin, une fois pour toutes, à la question de la recherche et de l'expérimentation en plein champ, comme à celle de la mesure des conséquences de la dissémination sur l'environnement ? C'est une question évidemment scientifique, les réponses partisanes nous égarent. On ne pourra pas réunir dans l'urgence les assemblées à chaque autorisation d'OGM. Il faut un cadre général.
Autre paradoxe : il n'y a pas de consensus en Europe pour interdire la commercialisation des OGM. La majorité qualifiée n'a pas été atteinte au conseil des ministres et c'est la Commission européenne qui devra se prononcer, sans doute en faveur de la mise en culture. Il n'y a aucun consensus européen pour l'interdire, ce qui est problématique pour ce texte, d'autant que de nombreuses populations ne sont pas concernées.
C'est grâce à la recherche et à l'expérimentation que nous avançons. Or cette proposition de loi ne l'autorise pas explicitement. La France est en pointe pour demander le renforcement des contrôles, avec le Haut conseil des biotechnologies. Ce sujet n'est pas sans rappeler celui du gaz de schiste : là aussi, on refuse la recherche...
M. Jean Bizet. - Très juste !
M. Jean-Jacques Lasserre. - Il ne s'agit pas de dire oui à tout, mais de ne pas s'interdire de dire oui, ou non, en fonction de la recherche. Or l'interdiction est le maître-mot de cette proposition de loi. La prudence ne doit pas être un frein. Le vote de la motion est un choix raisonnable : c'est le nôtre. Nous réserverons notre vote final. (« Très bien ! » et applaudissement au centre et à droite)
M. Thierry Foucaud . - Cette proposition de loi répond en partie aux propositions portées par notre groupe depuis de nombreuses années, afin d'éviter l'envahissement de notre sol par les OGM. Notre opposition se limite à la production, la commercialisation mais pas à la recherche. Evelyne Didier l'a dit ici : « il serait hasardeux de justifier la culture d'OGM par la nécessité de nous mettre en conformité avec le droit communautaire ». Oui, la Commission européenne doit écouter un peu, de temps en temps, l'opinion publique.
Il y a une dimension culturelle de l'agriculture et de l'alimentation dans notre pays. Restons prudents. Or les autorisations de mise sur le marché s'accélèrent en Europe. En novembre dernier, le Conseil de l'Europe a autorisé dix plantes génétiquement modifiées (PGM).
Nous militons en faveur d'une meilleure information des consommateurs. Il semble que les protéines produites par les gènes puissent présenter des risques de toxicité. L'impact environnemental des cultures OGM est bien établi, sur les insectes et les vers de terre en particulier. Nous connaissons le cas de cet apiculteur allemand qui a intenté une action en justice, après avoir constaté la présence de pollen OGM dans son miel. Le risque est disproportionné et injustifié pour la filière apicole.
Comme l'a indiqué le Haut conseil des biotechnologies en 2012, la modification des pratiques culturales entraîne des suppressions d'emplois, des conséquences sur le temps et les conditions de travail des agriculteurs. Les pratiques agronomiques de la culture des PGM sont contraires à notre modèle agroécologique. L'Institut national de la recherche agronomique (Inra) et le CNRS ont établi en 2011 l'apparition d'adventices résistantes nécessitant des désherbages supplémentaires avec des herbicides. Les OGM contribuent à une diminution de la biodiversité.
Monsieur le ministre, vous avez annoncé une proposition de loi-cadre européenne, pour permettre aux États membres de légiférer dans un cadre national. Une réforme en profondeur des procédures européennes est souhaitable.
Le développement des OGM participe d'une soumission croissante des agriculteurs à l'agro-industrie. Les enjeux de la brevetabilité du vivant ne doivent pas être ignorés, la capacité d'innovation nationale est en jeu...
M. Jean Bizet. - C'est vrai !
M. Thierry Foucaud. - Les négociations commerciales transatlantiques sont lourdes de conséquences : elles pourraient autoriser les firmes internationales à poursuivre les États qui refuseraient leurs catalogues de produits OGM. Parce que le groupe CRC défend notre modèle agricole et alimentaire, nous voterons le texte de la commission des affaires économiques, en regrettant son objet restreint et en appelant le Gouvernement à veiller à la cohérence de sa politique au niveau européen et international.
M. François Fortassin . - À deux reprises, la France a tenté de s'opposer à la décision européenne de mettre en culture le maïs MON810, à deux reprises le Conseil d'État a annulé ces arrêtés.
M. Jean Bizet. - Là, ce sera pareil !
M. François Fortassin. - L'apparition soudaine à l'ordre du jour réservé au groupe de cette proposition de loi, rédigée à quatre mains et à plusieurs cerveaux (sourires) s'explique sans doute par la hâte qu'a le Gouvernement de montrer qu'il agit avant la campagne d'ensemencement.
S'agit-il d'une initiative purement politique pour rassurer une opinion publique apparemment en majorité hostile, par incapacité à tenir un débat public non biaisé ? Les inquiétudes sont légitimes mais l'opposition manichéenne doit être dépassée : l'agriculture intensive n'est pas toujours le contraire de l'agro-écologie. En tant que parlementaire, nous devons raison garder. (M. Jean Bizet approuve)
Nous n'avons aucune sympathie particulière pour Monsanto, mais il serait stupide de se priver a priori des biotechnologies. Le raisonnement vaut pour le gaz de schiste, je n'y reviens pas ! Veillons à ce que le principe de précaution ne vire pas au principe de paralysie ! Il n'y a plus d'OGM en France, plus rien à faucher, plus rien à détruire: c'est d'autant plus regrettable que notre pays est en pointe dans la recherche sur la génétique végétale. M. le rapporteur l'a dit, il y a des grandes lacunes dans l'évaluation des OGM. Raison de plus pour donner à l'Inra les moyens et la liberté nécessaires pour expérimenter davantage.
Quelle cohérence pour nos décisions au sein de l'Europe ? Nous importons des produits à base d'OGM. Autrement dit, on ne cultive pas chez nous ce que nous mangeons tous les jours, telle est la vérité !
La communauté scientifique est divisée, il y a les pros et les antis et l'on en est réduit à se fier à son intime conviction. L'intime conviction du groupe RDSE n'est pas unanime. Certains, dont je suis, voteront ce texte, non sans réserves ; d'autres ne peuvent s'y résoudre. Tous, nous appelons au plus vite à la tenue d'un débat, où ni l'immobilisme, ni le sectarisme, ni les arrière-pensées électorales ne doivent prendre la moindre place. Monsieur le ministre, nous comptons sur votre savoir-faire pour échapper aux foudres de la Commission européenne.
Mme Nicole Bonnefoy . - Par ce texte, la majorité et le Gouvernement réaffirment leur opposition à la mise en culture du maïs MON810, tout en anticipant la préalable autorisation d'un nouvel OGM TC1507.
Les études mettent en évidence l'impact environnemental, plus élevé que les insecticides, sur la biodiversité. En témoigne la diminution des populations de lépidoptères. Des mesures de confinement et de distance de sécurité sont nécessaires. Monsanto n'est pas assujetti à ces mesures pour les décisions européennes d'autorisation. La mise en culture des maïs OGM MON810 et TC1507 entraînerait des risques supplémentaires pour les abeilles. Leur toxicité n'a jamais été évaluée. La surmortalité des abeilles a des origines multiples. Elle fait peser un risque écologique majeur pour la pollinisation, donc la biodiversité des végétaux. C'est aussi toute une filière qui souffre : en vingt ans, la production de miel a chuté de moitié. Notre pays est devenu importateur. En 1995, la France était autosuffisante. Elle importe les deux tiers de sa consommation. Les apiculteurs doivent éloigner leurs ruches des cultures OGM. D'autres filières de production sont évidemment concernées.
En attendant la décision finale de la Commission européenne, il conviendrait de voter sans hésitation cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche)
La discussion générale est close.
présidence de M. Thierry Foucaud,vice-président
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°1, présentée par M. Bizet et les membres du groupe UMP.
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié MON810 (Procédure accélérée) (n° 363, 2013-2014).
M. Jean Bizet . - L'exception d'irrecevabilité, prévue par l'article°44 du Règlement du Sénat, a pour objet de faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles, légales ou réglementaires.
Nous considérons que la proposition de loi est contraire à la Constitution, notamment à son article 88-1, qui affirme la primauté du droit européen sur la loi française, mais également à des dispositions légales ou réglementaires.
La proposition de loi ne se réfère nullement aux dispositions légales ou réglementaires existantes en la matière, elles-mêmes issues du droit communautaire, notamment à la loi du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés.
On raye ainsi d'un trait de plume un corpus juridique pesé au trébuchet.
La majorité entend ainsi contourner l'arrêt du Conseil d'État en date du 28 novembre 2011, fondé sur l'avis de l'AESA.
Pour prendre des mesures de suspension ou d'interdiction de l'utilisation ou de la mise sur le marché d'un OGM tel que le MON810, l'État membre doit informer la Commission des mesures envisagées et établir, outre l'urgence, l'existence d'une situation susceptible de présenter un risque important et manifeste pour la santé humaine, la santé animale ou l'environnement.
Quelle est l'urgence aujourd'hui d'interdire la mise en culture de ce maïs MON810 ? Serait-elle établie, qu'il faudrait respecter la procédure européenne méconnue par cette proposition de loi. Les raisons alléguées ne sont pas fondées juridiquement. Monsieur le ministre, vous demanderiez à la commission de venir publiquement exposer sa position en France, avez-vous dit.
M. Stéphane Le Foll, ministre. - Ce n'est pas ce que j'ai dit.
M. Jean Bizet. - C'est mon interprétation de votre propos. Respectez les données scientifiques, ne soutenez pas une proposition de loi explicitement contraire au droit communautaire. C'est jeter un discrédit sur l'Europe comme sur le Parlement.
Il est facile de rendre l'Europe responsable de tout !
M. Joël Labbé. - La procédure européenne n'est pas démocratique !
M. Jean Bizet. - Un État membre n'est pas autorisé à se dispenser de respecter le droit communautaire. (Applaudissements à droite)
Mme Éliane Assassi . - La plus grande prudence s'impose. La question plus vaste des OGM dépasse l'objet de cette proposition de loi. Contrairement à ce qu'a prétendu le groupe UMP, il ne s'agit pas de s'opposer à la recherche et à l'innovation. Cette recherche est nécessaire. Il importe, dans des décisions aussi sensibles pour l'opinion publique, de lui donner toute sa place, afin d'informer nos concitoyens. Le peuple français peut adopter les lois qui lui semblent justes et conformes à l'intérêt général, indépendamment d'éventuelles sanctions. Nous voterons contre cette motion.
M. Alain Fauconnier, rapporteur . - Cette proposition de loi ne fait aucune référence aux dispositions légales et réglementaires, dit M. Bizet. Mais une loi se substitue aux dispositions légales existantes et elle n'a pas à mentionner les dispositions réglementaires existantes. Nous ne sommes pas dans le cadre d'une loi de transposition. Donc votre invocation du contrôle de ce type de loi par le Conseil constitutionnel est sans objet.
Il y a un partage des rôles entre l'exécutif et le législatif. La procédure européenne prévoit qu'un État membre peut prendre des mesures conservatoires dans l'urgence. Le Parlement vote un texte d'interdiction, le pouvoir exécutif devra notifier à la Commission européenne les mesures prises ainsi, sachant que ce texte ne sera pas promulgué de suite puisqu'inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le 14 avril.
La plupart des États, dont certains étaient précédemment favorables, se sont prononcés contre l'autorisation de culture du maïs OGM et huit ont adopté un moratoire pour le MON810. Enfin, la Commission européenne a fait des propositions pour donner aux États un droit plus explicite à interdire la commercialisation d'OGM sur leur territoire, sans recours à la clause de sauvegarde.
Je vous propose de rejeter cette motion.
M. Daniel Raoul, président de la commission. - Très bien.
M. Stéphane Le Foll, ministre . - Vos compétences, votre travail, monsieur Bizet, méritent le respect. La France est depuis longtemps opposée à la culture des OGM. Il n'y a pas de solution juridiquement irréprochable, car la clause de sauvegarde suppose qu'il y ait urgence. Vous évoquez les études scientifiques. L'autorisation décennale donnée au MON810 a expiré il y a plusieurs années. En Espagne, des diminutions de populations de papillons sont avérées.
Réglons d'abord ce qui est lié à la décision du Conseil d'État. Engageons ensuite un débat européen, en fixant des critères clairs de droit positif. En attendant, prenons une décision politique, législative, claire, défendue par le rapporteur. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Très bien !
Mme Nicole Bonnefoy . - Que penser de la règlementation européenne, qui est en passe d'autoriser la mise en culture du maïs OGM TC1507, contre l'avis majoritaire des citoyens européens, du Parlement européen, de dix-neuf États membres, alors que quatre pays, et non des moindres, se sont abstenus ? Il reviendra à la seule Commission européenne d'exercer son pouvoir. Il est regrettable qu'une minorité puisse décider ainsi. Cette procédure très imparfaite doit être révisée. La clause de sauvegarde ne suffit pas, car elle ne peut être appliquée qu'en cas de danger imminent.
La sécurité sanitaire et environnementale est au coeur de cette proposition de loi. L'AESA a souligné les risques que le maïs présente pour l'environnement et la nécessité des mesures de gestion et de surveillance, malheureusement facultatives et que Monsanto n'applique pas. La France a appliqué deux fois la clause de sauvegarde, la première fois à l'initiative du précédent gouvernement. Ce texte ne vise que la mise en culture et non la recherche et l'expérimentation, qui relèvent d'une autre réglementation, donc d'un autre débat.
Le Gouvernement est à l'initiative pour faire réviser la directive européenne sur les OGM, afin qu'un cadre réglementaire mieux adapté laisse plus de liberté aux États membres. Il s'agit de faire preuve de précaution et de responsabilité.
À la demande du groupe UMP, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin n°146 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 171 |
Contre | 169 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.
Prochaine séance demain, mardi 18 février 2014, à 9 h 30.
La séance est levée à 20 h 10.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques