TVA et presse (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à harmoniser les taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne.
Discussion générale
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication . - La presse française connaît une crise inédite, pas son ampleur et ses ramifications. Cette proposition de loi témoigne de l'importance que la République attache au pluralisme et à la vitalité de la presse.
J'ai dit en juillet que le Gouvernement approuvait l'alignement de la TVA sur la presse en ligne sur celle qui s'applique à la presse papier. En 2013, les quotidiens nationaux ont vu leur diffusion baisser de 7 % et même de 15 % pour les ventes au numéro. Celle des quotidiens régionaux a diminué de 5 %. Il y a urgence. L'Assemblée nationale et le Sénat ont été réactifs et le Gouvernement approuve pleinement cette proposition de loi. Elle établit l'égalité de traitement de toute la presse vis-à-vis de la TVA, à compter du 1er février.
C'est une question d'équité fiscale, car tout d'abord le taux varie actuellement de 2,1 % à 20 %, distinction artificielle qui équivaut à une discrimination entre l'article imprimé ou mis en ligne. Une harmonisation fiscale est nécessaire pour faire advenir un nouveau modèle de presse, au lieu de maintenir des frontières périmées, d'autant que c'est la technologie d'hier qui est favorisée par le différentiel de fiscalité.
Les spécialistes du secteur affirment que la neutralité fiscale est urgente : l'État ne doit pas privilégier un mode de diffusion, quand c'est la conjonction des deux qui fera l'avenir de la presse. Il a déjà été décidé d'aligner les taux de TVA pour les livres papier et numériques.
La Commission paritaire des publications et agences de presse veillera à ce que seule la presse bénéficie du taux réduit, non les autres services proposés en ligne.
Le deuxième objectif de cette proposition de loi, c'est le pluralisme de la presse, précieux pour toute démocratie. Par ce texte, le législateur proclame que la presse en ligne, elle aussi, contribue à la liberté d'informer, qu'elle revivifie ce qui a fait la force de la presse écrite depuis bientôt quatre siècles. Elle enquête, argumente, débat, explore de nouveaux sujets, éveille la curiosité de nouveaux lecteurs. Oui, elle est une chance pour la démocratie.
Il s'agit aussi de renforcer le dynamisme économique du secteur : voilà pourquoi nous n'avons pas choisi un alignement sur un taux intermédiaire, voire sur le taux de 20 %. Le taux super-réduit est le mode de soutien à la presse qui préserve le mieux son indépendance.
Cette modification peut provoquer un choc positif pour toute la presse. Son coût pour l'État, 5 millions au maximum, sera plus que compensé au bout de trois ans. D'une manière plus générale, le Gouvernement souhaite remettre à plat les aides à la presse : le fonds stratégique de développement de la presse sera réorienté vers le numérique. Une mission d'inspection est en cours sur la distribution de la presse. Enfin, j'ai incité la profession à améliorer les rémunérations et les conditions de travail des marchands de presse, comme les kiosquiers, qui peuvent être exonérés de contribution économique territoriale par les collectivités territoriales.
La France défend sans relâche une refonte de la fiscalité dans le domaine culturel, au niveau européen. La mission confiée à Jacques Toubon a été renouvelée. La Commission européenne a écouté la position française : espérons qu'elle l'aura entendue. La neutralité fiscale des supports est impérative : le Parlement européen s'est prononcé en ce sens, ainsi que le nouvelle coalition allemande. Mon homologue allemand a d'ailleurs dit son soutien à la présente proposition de loi.
La crise de la presse touche toute l'Europe. Ce peut être un danger radical : la culture est plus qu'un secteur économique, c'est l'âme du continent. Les procédures de la Commission européenne, légitimes, ne doivent pas être synonymes d'inaction. Continuons à montrer pourquoi nous aimons l'Europe et à quoi elle sert. Je suis convaincue qu'une décision européenne favorable sur la fiscalité culturelle est possible, je ne ménagerai pas mes efforts pour l'obtenir. (Applaudissements)
M. David Assouline, rapporteur de la commission de la culture . - L'actualité illustre encore une fois les difficultés considérables de la presse imprimée. Libération est en danger, d'autres titres le seront peut-être demain. Aucune catégorie n'est épargnée. Les quotidiens nationaux voient leurs recettes diminuer, y compris L'Équipe et Le Parisien. Seuls Les Échos et La Croix connaissent une petite croissance (moins de 1 %). Même la presse quotidienne régionale a vu son chiffre d'affaires chuter de 4 % en 2013. L'État est le garant d'une presse diversifiée et indépendante, pilier de notre démocratie. Il est temps d'organiser des assises pour la sauvegarde de la presse. Un sursaut collectif est nécessaire : l'État et tous les acteurs concernés doivent se saisir de cette urgence.
Le système d'aides est complexe, hétéroclite. La presse quotidienne a été exemptée de TVA dès son instauration en 1954 au nom du soutien à la diversité des opinions ; à compter de 1977, elle a bénéficié d'un taux super-réduit de 2,1 % (étendu par la loi de finances pour 1989 à l'ensemble des titres bénéficiant de la commission paritaire).
Pour y être éligibles, les publications doivent présenter un caractère d'utilité générale pour la diffusion de la pensée. Soit dit en passant, les deux cents titres bénéficiaires répondent-ils à ces critères ? J'en doute...
A contrario, en application de la législation européenne, la presse en ligne est soumise au taux normal de 20 %. Sur près d'un milliard d'euros d'aide à la presse, seuls quelques dizaines de millions d'euros sont destinés à la presse en ligne.
La modernisation du secteur passe pourtant par le développement du numérique, dont on escompte une croissance de 45 % par an. Le modèle économique de la presse digitale n'est pas uniforme : à côté des pure players, comme Mediapart ou Rue 89, on trouve des articles papier mis en ligne, etc. Les faibles gains des éditeurs sont annulés par le taux élevé de TVA : pour compenser la baisse de lectorat papier, le chiffre d'affaires de l'édition numérique du Monde doit doubler chaque année ! Les recettes numériques de L'Humanité sont inférieures de 90 % à celles de l'exemplaire papier. Même le site universel de référence du New York Times ne peut encore atteindre l'équilibre économique.
Des appels pour l'équité fiscale ont été lancés, à Berlin en 2011, par le quotidien Mediapart tout récemment. C'est un engagement de campagne du président de la République, une demande de nombreux parlementaires à laquelle vous avez fait écho à plusieurs reprises, madame la ministre. De nombreuses études ont été réalisées à ce sujet, la dernière en date après celles de Bruno Patino et de Roch-Olivier Maistre étant celle de Pierre Lescure : toutes ont souligné l'urgence de cette harmonisation fiscale.
Cette proposition de loi, adoptée le 4 février à l'Assemblée nationale, instaure l'égalité fiscale pour toute la presse à compter du 1er février 2014. J'ai déposé, avec le groupe socialiste du Sénat, une proposition de loi identique le 22 janvier. Les titres devront obtenir l'agrément d'une commission paritaire, sur la base de critères proches de ceux qui s'appliquent à la presse imprimée. Six cent cinquante sites recensés y répondent.
Une instruction fiscale a été diffusée dès le 31 janvier pour une application immédiate. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, l'équité fiscale s'oppose à ce que des services ou marchandises équivalents soient taxés différemment. Mais la directive TVA n'autorise des taux super-réduits que pour des biens et services qui en bénéficiaient auparavant, selon la clause dite de gel.
La France a fait fi des règles communautaires en harmonisant la TVA sur le livre papier et numérique, ce qui a donné lieu à une procédure en manquement. Cette proposition de loi nous exposerait à la même procédure, même si la Commission, comme le Parlement européen depuis 2010, se déclarait favorable à la neutralité fiscale. La Commission a annoncé pour début 2014 une proposition de révision de la directive TVA. Une fois qu'elle sera adoptée, il faudra que le Conseil l'avalise à l'unanimité des États membres. Le revirement de l'Allemagne depuis l'accession de la nouvelle coalition est un atout qui fait espérer des avancées...
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. - C'est une chance, en effet !
M. David Assouline, rapporteur. - Cette mesure permettra aux éditeurs d'investir pour renforcer leur qualité éditoriale et s'adapter à la transformation numérique.
Les redressements fiscaux imposés à Mediapart, Arrêt sur images ou La Lettre A ont été évoqués à l'Assemblée nationale : Patrick Bloche a rappelé le principe de non-rétroactivité de la loi fiscale. Modifier le texte allongerait la navette, au détriment des éditeurs. Je regrette cependant que malgré les initiatives parlementaires, la réforme ait tant tardé. Il serait dommage que le retard pris nuise aux titres que j'ai cités.
L'enjeu est économique, démocratique et juridique. La commission vous invite à adopter le texte conforme. (Applaudissements à gauche)
Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture . - Je me félicite de cette initiative, portée et rapportée par David Assouline, soutenue par l'ensemble de la commission. Je me contenterai de deux observations.
S'agissant de l'Union européenne et de la Commission, aux règles fiscales myopes, les parlementaires doivent opposer leurs choix argumentés, fondés sur le principe de neutralité des supports. Je compte sur le Gouvernement pour faire valoir ce point de vue.
Seconde observation : voilà plus de deux ans que les sénatrices et sénateurs de la commission de la culture réclament, en vain, une harmonisation des taux de TVA. Comme si seuls les membres de la commission des finances avaient des neurones responsables ! Aujourd'hui, cette proposition de loi est soutenue par le Gouvernement et inscrite à l'ordre du jour dans une semaine qui lui est en principe réservée, et nous ne bouderons pas notre plaisir. Mais un peu plus de considération aurait allégé, ces derniers mois, les difficultés de la presse. Cela s'adresse bien sûr à votre collègue de Bercy, madame la ministre. (Sourires)
J'aimerais qu'un débat précède la rénovation des aides à la presse plutôt que la rédaction d'un décret dans les couloirs de Bercy. Notre devoir est aussi de veiller au respect des journalistes : je pense à ceux qui enchaînent les piges, au détriment de leurs congés, et de leur liberté, voire de leur congé de maternité, aux photographes spoliés. Des recommandations de bonnes pratiques ne suffisent pas. Oui, nous avons beaucoup à dire sur la conditionnalité des aides.
Cela dit, la commission a approuvé le texte unanimement (Applaudissements)
M. Robert Hue . - Harmoniser le taux de TVA applicable à la presse papier et à la presse en ligne est non seulement vital pour la survie du secteur : c'est aussi un impératif de justice et une nécessité démocratique.
La crise de la presse est perceptible depuis vingt ans.
Plusieurs quotidiens ont déjà mis la clé sous la porte, Libération éprouve de graves difficultés. De sept milliards d'exemplaires vendus par an au total, on est passé à cinq milliards en quelques années.
En 2013, tous les grands quotidiens nationaux ont vu leur chiffre d'affaires s'effondrer.
Les conséquences sociales sont désastreuses : 6 000 emplois disparus en quinze ans ! La précarité s'accroît dans le secteur.
La presse en ligne progresse, mais reste extrêmement fragile. Les aides publiques qui lui sont destinées se montent à vingt millions d'euros seulement, sur un milliard d'aides à la presse au total ; à cela s'ajoute un taux de TVA de 20 %.
Comment la différence de support pourrait-elle justifier une différence de taux ? La même question se posait pour les livres.
Pourtant, la directive TVA exclut la presse en ligne du taux réduit. Il faudra donc convaincre Bruxelles de la nécessité d'harmoniser. Croyez-vous à un consensus rapide, madame la ministre ? Comment évaluez-vous les risques de contentieux ?
L'exception culturelle passera aussi par des tarifs accessibles, par un accès universel, facilité par des taux de TVA réduits.
L'avenir de la culture passera nécessairement par le numérique. Surtaxer les supports numériques, c'est créer une distorsion de concurrence. Un presse libre, diversifiée, pluraliste est un fondement de la démocratie ; le numérique, comme vous l'avez souligné, madame la ministre, n'est pas une menace, mais une chance pour la culture. (Applaudissements)
Mme Sophie Primas . - La presse, considérée comme le quatrième pouvoir, constitue à tout le moins en France, un contre-pouvoir, qu'il importe de préserver.
Les despotes ont toujours muselé la presse, les révolutions démocratiques ont toujours garanti sa liberté : pensons à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, au premier amendement de 1791 à la Constitution américaine, à la loi de 1881 sur la liberté de la presse en France.
Aujourd'hui, tout citoyen peut devenir un relais ou une source d'information grâce à Internet. C'est une chance, un progrès démocratique indéniable, certes, mais aussi un danger.
Pour combattre la rumeur, la manipulation, il importe que les titres de presse reconnus et structurés occupent eux aussi l'espace numérique en exerçant leur responsabilité éditoriale.
La presse est en crise. Il est temps pour les grands quotidiens de réaliser leur révolution numérique. L'Opinion est d'emblée paru sur la toile, en même temps que le format papier.
Les obstacles cependant sont nombreux. Psychologiques d'abord. La rédaction est souvent organisée en fonction du support papier : au moment de quitter Libération, Nicolas Demorand a souligné que les journalistes n'écrivent en moyenne que 0,1 % d'articles par semaine pour le site internet.
N'oublions pas que France-Soir, qui employa jusqu'à 400 personnes, a disparu...
La presse a résisté à la concurrence de la télévision ; elle ne pourra résister au numérique qu'en l'accompagnant.
Cette proposition de loi lève l'obstacle fiscal, en harmonisant les taux de TVA, ce que nous approuvons. Nous ne saurions cependant cautionner l'instruction fiscale qui valide la décision unilatérale et illégale prise par certains titres d'abaisser leur taux en ligne. Quel signal désastreux à l'égard des acteurs économiques qui pourraient décider eux-mêmes de la légitimité des taux !
J'ai bien entendu les discours convergents de M. Bloche à l'Assemblée nationale et de notre rapporteur.
En revanche, un étalement de cette dette fiscale pourrait être décidé par l'administration.
Si cette proposition de loi était votée unanimement, cela adresserait à Bruxelles un message fort. Le parlement suédois a adopté en mai 2011 une résolution similaire. La fiscalité applicable à la presse ne doit pas discriminer les supports de diffusion. La Cour de justice de l'Union européenne y voit un principe constitutif de la libre concurrence. Mettons en oeuvre ce principe de neutralité. Sa légitimité juridique supérieure pourrait contribuer à annuler les redressements fiscaux en cours.
Le groupe UMP votera cette proposition de loi avec le regret de la précipitation et l'espoir d'un débat prochain plus profond. (Applaudissements des bancs écologistes à la droite)
Mme Catherine Morin-Desailly . - Le numérique ébranle toute l'économie traditionnelle. Peu de secteurs y échappent. Bien évidemment, les médias et la presse pas davantage que les autres. Connectés partout et à toute heure, les Européens sont avides de contenus en ligne, meilleur marché que sur support papier. La directive de 2006 fixe les matières sur lesquelles peut s'appliquer le taux exceptionnel de 2,1% et reconnaît à la presse son caractère nécessaire à la bonne santé de nos démocraties. Nous ne pouvons admettre que ce taux réduit ne s'applique qu'au seul support papier : c'est le contenu qui prime. Appliquer à la presse numérique une TVA dix fois plus élevée qu'à la presse papier est un non-sens.
Curieusement, monsieur le rapporteur, votre majorité n'avait pas voté hier ce que vous préconisez aujourd'hui. Auteur d'un amendement sur le même objet, il y a deux ans, j'en sais quelque chose...
Harmoniser la fiscalité est une mesure de bon sens, qui ne peut se restreindre au seul cadre national. Une obole de Google de 60 millions d'euros ne suffira pas à adapter notre presse aux enjeux immenses du numérique. Seule l'Union européenne a la dimension critique pour peser dans le cyberespace et appréhender les nombreux défis de la société numérique. Un nouvel écosystème est né, à l'écart de secteurs traditionnels. Google diffuse une quantité considérable d'articles de presse sans s'acquitter d'aucun droit ni taxe.
L'objectif de diversité culturelle doit être inscrit dans la réglementation des services en ligne. La problématique est européenne. En témoigne la réunion des éditeurs au sein d'associations à l'échelle de l'Union européenne. Il faut reterritorialiser la perception de la TVA sur les services en ligne sur le lieu de leur consommation. Faisons aussi avancer la réflexion internationale sur le modèle OCDE de convention fiscale, afin que les acteurs de l'internet s'acquittent des impôts dus. Les autorités européennes de la concurrence doivent être vigilantes sur la neutralité des services. L'intermédiation obligatoire menace la diversité culturelle et le pluralisme de la presse.
Une réflexion globale s'impose. Nous regrettons que cette proposition de loi soit déconnectée d'une démarche plus approfondie à l'égard de la presse : où en est la réforme des aides à la presse ? Pourquoi ne pas avoir proposé un texte complet sur une industrie que vous jugez essentielle ?
Nous déplorons le retard pris ces deux dernières années, alors que l'économie de la création est menacée. (Applaudissements à droite)
M. Pierre Laurent . - Cette mesure est nécessaire, nous l'approuvons, en regrettant le caractère tardif de cette décision, qui a pour conséquences l'engagement d'une procédure de redressement fiscal particulièrement inopportune à l'encontre de plusieurs titres de la presse en ligne, dont Médiapart.
Le taux super-réduit doit être attribué en fonction d'un contenu, non d'un support. Le Gouvernement avait affirmé, face à nos propositions, vouloir faire avancer la réflexion européenne avant toute initiative.
Alors que le secteur de la presse traverse une crise très grave, menaçant l'existence de plusieurs titres, il est urgent d'accompagner la transition des modèles économiques de la presse. Je me réjouis que le Gouvernement ait décidé cette harmonisation, oui, mais ce n'est qu'un premier pas face à une crise très vaste. La survie des titres de la presse d'information générale est en jeu.
Le projet des actionnaires de Libération n'est en aucun cas un modèle à suivre. Transformer un grand quotidien national en un espace marchand ou un réseau social à but lucratif revient à tuer le journal sous couvert de sauver le titre.
Ces difficultés sont emblématiques de celles de toute la presse quotidienne d'information. Ajoutés à la crise économique, les nouveaux usages déstabilisent la presse. Cette révolution technique est mise à profit par les géants du Web, notamment Google, pour piller les auteurs, ce qui concurrence la presse traditionnelle et diminue la rentabilité économique des offres des journaux. L'accord entre Google et les éditeurs de presse, promu par le Gouvernement, n'a fait qu'entériner cette problématique en échange d'une somme symbolique.
Il convient de déployer de nouveaux modèles combinant et non opposant le papier et le numérique. Nous avons besoin de nombreuses mesures pour lutter contre la concentration, repenser la distribution, maintenir et non diminuer les aides à la presse.
Nous voterons cette proposition de loi qui va dans la bonne direction. Elle devra s'accompagner rapidement d'autres dispositions. (Applaudissements sur les bancs du CRC)
M. André Gattolin . - C'est avec une vive satisfaction que nous accueillons cette proposition de loi et, sans surprise, nous la voterons conforme. En rétablissant la neutralité fiscale et technologique, cette baisse du taux de TVA sur la presse en ligne répare une injustice qui devenait chaque jour plus criante. Elle ouvre la possibilité de raisonner globalement, sans s'arrêter à d'artificielles frontières technologiques. Elle concerne l'ensemble des titres d'information qui ont développé des offres numériques en complément de leurs éditions sur papier.
Il s'agit de redéployer le modèle économique de la presse sur Internet vers le payant. Il faut en finir avec l'illusion de la gratuité, prétendument payée par la publicité, car celle-ci est en fait captée en amont par les agrégateurs et moteurs de recherche, comme Google, capables de commercialiser pour leur compte des contenus qu'ils n'ont pas créés, tout en traçant les internautes.
Cette mesure offre une bouffée d'air dans le monde sinistré de l'information. Pourquoi si tard ? La réglementation européenne, nous a-t-on dit. Cet argument repose sur une interprétation restrictive de la directive, il ignore la place du principe de neutralité technologique dans le droit fiscal européen, tel qu'il est construit par la jurisprudence de la Cour de Luxembourg. Le risque de sanction encourue par la France est en fait proche de zéro.
Si les procédures de recouvrement engagées à l'encontre de Mediapart et d'Arrêt sur images aboutissent, elles se solderont par des redressements de plusieurs millions d'euros, faisant du directeur de l'administration fiscale un directeur de publication de facto, situation ubuesque. Une amnistie fiscale devrait être décidée.
Trop d'argent a été attribué pour de pseudo-innovations technologiques. L'innovation ne se décrète pas, elle doit être accompagnée avec intelligence et souplesse. Depuis trop longtemps, la presse subit la mutation numérique au lieu d'en tirer parti. (Applaudissements à gauche)
Mme la présidente. - Je salue l'orateur suivant, M. Didier Marie, nouveau sénateur et qui monte à la tribune pour la première fois.
présidence de M. Thierry Foucaud,vice-président
M. Didier Marie . - Dans la déclaration de Berlin de mars 2011, plus de 200 professionnels européens demandaient cette mesure, de même que les milliers de signataires de l'appel de Mediapart et les nombreux parlementaires emmenés par notre rapporteur dans le cadre du débat sur le projet de loi de finances.
La crise de la presse est connue. Le lectorat recule, le réseau de distribution est affaibli, le chiffre d'affaires diminue, les marges s'effondrent, les emplois sont supprimés, en témoigne la situation à Libération, mais aussi à Var Matin ou à Nice Matin.
Nous avons besoin d'une presse libre, indépendante et pluraliste, pour faire vivre le principe énoncé par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme, socle des aides à la presse. La mutation numérique est vitale pour l'ensemble du secteur. Les deux tiers des ménages, 38 millions de personnes en France sont raccordés à Internet. En 2017, il y aura 20 millions de tablettes numériques.
Le différentiel de TVA est un lourd handicap pour une presse en ligne qui a une rentabilité trop faible au regard des investissements qu'elle exige. Nous sommes fondés à opposer à cette injustice le principe de neutralité technologique de la fiscalité : le Royaume-Uni fut condamné en 2011 pour avoir appliqué des taux de TVA différents à des prestations semblables. L'objectif du taux de 2,1 % est de rendre attractive sur Internet l'offre des sites professionnels, bien différents des sites qui se contentent de reprendre des contenus sans rien vérifier.
Le coût de la mesure est faible. Ce manque à gagner relatif de quelque 5 millions d'euros serait compensé en quelques années par le développement du secteur. Le Parlement européen s'est prononcé trois fois et la Commission a annoncé une étude exhaustive. Le ralliement de la grande coalition allemande à la position française, soutenue par dix pays, augure favorablement de l'évolution de la réglementation européenne. Quoi qu'il en soit, l'urgence est là. Cette baisse de TVA est un soutien plus intéressant que le versement d'aides directes. Le droit européen actuel contredit l'obligation constitutionnelle, pour les pouvoirs publics, de soutenir ce secteur.
Faisons valoir l'exception culturelle, au nom de l'intérêt général et de la démocratie. La France a toujours eu un rôle moteur pour le respect de la liberté. Ce texte en apporte une nouvelle démonstration. Le groupe socialiste est fier de le soutenir. (Applaudissements à gauche)
Mme Bariza Khiari . - Cette proposition de loi, issue d'un long combat mené par les deux assemblées à la suite de nombreux travaux, fait l'objet d'un consensus. Pour garantir le principe constitutionnel du pluralisme de la presse, un socle de mesures s'est constitué au fil des années : loi Bichet de 1947, qui assure la distribution de tous les titres dans chaque point de presse ; taux préférentiel de TVA ; aides à la distribution. Or ce socle est aujourd'hui menacé par la raréfaction des points de presse et la mutation numérique, la presse en ligne ne bénéficiant que d'une faible partie des aides publiques et étant soumise au taux normal de TVA.
Il faut tout d'abord mettre fin à l'injustice que représente la différence des taux de TVA applicables à la presse papier et en ligne. L'harmonisation donne, symboliquement aussi, la même valeur à l'une et à l'autre. Il faudra aller plus loin. Face au déferlement des images et des données, la presse quotidienne d'information générale se trouve dans une situation difficile. Depuis la création des chaînes d'information continue, la presse quotidienne nationale n'a plus l'apanage du scoop, de la nouvelle. Le lecteur attend de son quotidien une analyse, une médiation, une explication. Ce rôle de formation de l'opinion, joint à celui d?interpellation, justifie pleinement la qualification de quatrième pouvoir, d'autant que la masse d'informations à analyser est devenue considérable, dans des délais de plus en plus courts.
Son équation économique est presqu'insoluble, car les revenus de la presse papier diminuent, alors que la presse en ligne est soumise à une culture de la gratuité qui met en danger son modèle économique. Certains éditeurs ont fait le choix d'une offre payante uniquement sur le Web ; ces pure-players, nouveaux entrants du secteur, seront les premiers bénéficiaires de l'abaissement du taux de TVA. Pour les autres éditeurs, mixtes, l'impact à long terme de cette mesure n'est pas assuré.
S'il est admis que la gratuité du journal numérique n'est pas tenable, les solutions payantes n'ont pas toutes fait leur preuve. Les éditeurs tâtonnent entre le gratuit et le payant, entre le papier et le numérique, entre l'interactif et ce qui ne l'est pas. Pour les journalistes, l'écriture de blogs devient une nécessité.
Le modèle actuel n'est pas stable. Les quotidiens sont fragiles. La mutation numérique les affecte bien davantage que les hebdomadaires, quoique... Le lancement réussi d'un nouveau quotidien, L'Opinion, dans un contexte défavorable, montre que l'environnement du secteur n'est pas figé.
La réorientation des aides à la presse doit rendre possibles tous les modèles. Des choix sont à opérer, non seulement sur le numérique, mais sur l'ensemble des aides à la presse. Il s'agit de participer à la restructuration du secteur, en encourageant l'invention et les initiatives.
Quelle sera votre politique, madame la ministre, à l'égard du portage ? L'adoption de cette proposition de loi devrait contribuer à forger un modèle économique viable à long terme.
L'adoption prochaine d'une ordonnance sur le financement participatif devrait permettre à un nouveau modèle économique d'émerger. La presse quotidienne devra renouer avec la confiance du lectorat. Il s'agit non seulement d'un enjeu économique, mais d'un impératif démocratique. (Applaudissements)
présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente
Mme Aurélie Filippetti, ministre . - Tout n'est pas dans cette proposition de loi, qui ne représente qu'un aspect d'un plan global, que j'ai lancé en juillet dernier. Merci à M. Gattolin d'avoir évoqué ce club des innovateurs : les éditeurs de presse en ligne y siégeront. Les dispositifs de droit commun doivent leur être ouverts. Ils doivent siéger aussi dans le fonds stratégique.
J'ai réformé les aides à la presse afin de les cibler vers la modernisation, en particulier numérique, et de mutualiser l'effort entre plusieurs éditeurs de presse.
J'ai maintenu, monsieur Laurent, le fonds d'aide au pluralisme, avec son fonctionnement, sans diminuer son budget.
Quant aux autres aides, à la diffusion et au portage, une mission d'inspection conjointe travaille sur la cohérence entre la diffusion par portage, par postage et par vente au numéro. J'ai veillé à ce que l'aide au portage soit multi-titres. Les aides au transport postal baissent de 82 millions d'euros. Nous étudions la réalité des coûts pour les objectiver et voir où l'État doit faire porter l'effort. La transparence des aides était attendue ; elle est désormais totale : les aides sont publiées sur le site du ministère de la culture, accessible à tous.
M. David Assouline. - Très bien !
Mme Aurélie Filippetti, ministre. - La réforme se poursuit : l'AFP sera renforcée.
J'ai demandé aux éditeurs de presse d'améliorer la rémunération et les conditions de travail du niveau III, celui des kiosquiers. Cet effort concerne aussi les photo-journalistes, un projet de décret instituerait un barème, qui fait débat.
Certes, le fonds Google ne règle pas tout. Les éditeurs de presse en sont néanmoins satisfaits : il s'agit de 60 milliards d'euros. Les Allemands ont choisi la voie législative ; ils se heurtent à l'opt-out proposé par Google, qui vide leur loi de sa substance. Notre approche pragmatique se trouve justifiée.
La conférence des éditeurs se réunira en avril pour examiner les conditions de travail des journalistes et des photo-journalistes.
Vous avez évoqué les redressements fiscaux de quelques entreprises de presse. Les enquêtes fiscales ne font l'objet d'aucune instruction de la part du Gouvernement, ni dans un sens ni dans l'autre. C'est un principe démocratique. La proposition de loi que vous votez s'appliquera à partir du 1er février, mais ne sera pas rétroactive. (Applaudissements)
La discussion générale est close
Discussion des articles
L'article premier est adopté.
Mme la présidente. - Une belle unanimité !
L'article 2 demeure supprimé.
L'ensemble de la proposition de loi est définitivement adopté.
M. David Assouline, rapporteur. - Ce vote favorise une application rapide. Je tiens à remercier toutes celles et tous ceux qui y ont contribué, à commencer par notre présidente de commission, qui a fait en sorte que notre ordre du jour soit bousculé. Cela fait plaisir de voir que la persévérance et les convictions aboutissent. (Applaudissements)