Exploitation cinématographique indépendante
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur l'avenir de l'exploitation cinématographique indépendante à la demande du groupe CRC.
M. Pierre Laurent, pour le groupe CRC . - L'année 2013 fut très mouvementée pour le cinéma français. Qu'il soit critiqué ou érigé en modèle, débats et polémiques ont illustré la vitalité des exigences autour de la création, de l'exploitation et de la diffusion du cinéma. Rien n'est jamais acquis. Et pour paraphraser le slogan des états généraux de la culture chers à Jack Ralite - « le cinéma français se porte bien, pourvu qu'on le sauve... »
La tribune de Vincent Maraval a créé la controverse en mettant en cause le modèle de financement du cinéma français. À cela s'est ajoutée la négociation de la convention collective du secteur, où les exigences légitimes des salariés se heurtent aux conditions de viabilité financière des productions à budget moyen. Je songe aussi aux négociations transatlantiques où la France doit défendre l'exception culturelle contre la tentation libérale de ravaler le cinéma au rang de marchandise ordinaire.
Oui, le cinéma français et ses mécanismes originaux de financement doivent être jour après jour défendus, c'est la condition de sa qualité et de sa diversité. Si sa situation est parfois enviée, c'est grâce à des choix politiques, faits à temps, qu'il faut poursuivre et renouveler pour relever de nouveaux défis.
Nous avons choisi de nous concentrer aujourd'hui sur la question de l'exploitation cinématographique au moment où les salles font face au défi du numérique et à un mouvement accéléré de concentration. Si les modes de diffusion évoluent, les salles restent essentielles ; de leur nombre et de leur nature dépendent l'accessibilité de tous et l'existence de la diversité culturelle. Les salles indépendantes - associatives, privées, municipales - sont menacées par l'essor des multiplex : comment assurer leur avenir ? Telle était la question aussi du colloque que nous avons organisé le 14 novembre à l'initiative du Manifeste pour la défense de l'exploitation indépendante. En 1996, le Centre national du cinéma (CNC) recensait 22 multiplex ; ils sont 181 aujourd'hui et plus de 45 projets ont été déposés en 2013 - un record depuis 2001. Ces ensembles fragilisent le modèle économique des salles indépendantes. Ils représentent 8,9 % des salles, mais 60 % des entrées et 70 % des recettes, avec une exploitation dominée par le critère de rentabilité, étouffant les salles indépendantes qui favorisent le cinéma indépendant et d'art et d'essai.
La concurrence est d'autant plus vive que les multiplex diffusent les films d'art d'essai qu'ils considèrent les plus porteurs, ceux-là même qui assureraient un certain équilibre financier aux salles indépendantes... L'accès aux copies est pour elles de plus en plus difficile, sans qu'elles obtiennent pour autant plus de copies de films commerciaux. La diversité des salles, donc celle des oeuvres, est menacée. La standardisation est en marche, accompagnée d'une durée de vie de plus en plus limitée des films. L'Inconnu du lac connaît un grand succès aujourd'hui, mais combien de multiplex ont-ils distribués auparavant des films de son réalisateur, Alain Guiraudie ?
Les multiplex sont souvent installés en périphérie, leur attractivité menace les salles indépendantes des centres-villes ; c'est bien souvent la fin d'un cinéma de proximité. Comment dans ces conditions favoriser l'accès de tous à la culture ?
L'enjeu n'est pas seulement économique et d'aménagement du territoire, il est aussi culturel. Les salles indépendantes sont souvent les seules à mener des actions culturelles, éducatives, à côté de la projection des films. Par leur travail d'animation, elles sont un lieu d'animation, de partage et de rencontre entre une oeuvre et son public.
De ce constat est née tardivement, en 1996, la réglementation de l'implantation des salles de 1 500 places dans la loi Royer votée dans les années 1970, seuil relevé ensuite à 2 000 places. Depuis 1997, 75 % des projets ont été autorisés... La réforme de 2007 a assoupli les règles, qui étaient contestées par les autorités européennes. La Commission européenne et la Cour de justice ont pourtant reconnu que la préservation de la diversité culturelle et la promotion de la culture sont des raisons impérieuses d'intérêt général qui justifient des restrictions à la liberté d'établissement.
Les commissions départementales et nationales d'équipement ont changé de nom et les critères ont été assouplis. Trois critères précis, en particulier, ont disparu : l'offre et la demande globales de spectacles dans la zone d'attraction ; la densité d'équipement en salles de spectacles ; l'effet potentiel du projet d'implantation sur la fréquentation des salles existantes dans la zone d'attraction et le respect de l'équilibre entre les différentes formes de l'offre de spectacles. Résultat, pas moins de 78 % des projets ont été autorisés depuis... Pour limiter la concentration, il est indispensable de revenir à des critères culturels et de réaffirmer l'objectif de diversité des lieux de diffusion.
Dans un premier temps, il convient de définir ce que sont les salles indépendantes et réformer sans attendre la procédure d'implantation - faire du respect de la diversité culturelle et de la diversité de l'offre de salles un préalable. Mais cette réforme ne suffira pas, il faut réfléchir à la rénovation des politiques de soutien au cinéma. La politique de classement « art et essai » permet à la moitié du parc de recevoir des subventions. Si les modalités de calcul et les critères d'appréciation de la programmation doivent être clarifiés, cette politique collective favorise la diversité des oeuvres sur les écrans français - ce qui nous distingue de nos voisins. Mais les moyens mis en oeuvre sont insuffisants et ne permettent pas une politique volontariste d'animation territoriale face à la concurrence des établissements commerciaux qui exploitent également des films d'art et d'essai à succès. Il faut favoriser l'accès prioritaire des salles indépendantes aux films d'art et essai et limiter le droit des grands groupes de s'en assurer l'exclusivité.
L'assiette de la TSA aujourd'hui limitée aux entrées en salle, devrait aussi être élargie, car le cinéma est parfois devenu un produit d'appel pour vendre des confiseries ou projeter des publicités.
Sans une action publique forte, de nombreuses salles seront menacées. Alors que les budgets des collectivités locales et des associations sont serrés, la responsabilité des pouvoirs publics est grande.
Nous souhaitons que ce débat ouvre la porte à des évolutions législatives. Le groupe CRC est prêt à prendre part à la réflexion, jusqu'au dépôt d'une proposition de loi déjà largement travaillée. (Applaudissements sur les bancs CRC, socialistes et UDI-UC.)
Mme Françoise Férat . - Ces vingt dernières années ont été marquées par des flux et reflux en termes d'ouvertures et de fermetures de salles comme de fréquentation. Dix multiplex s'implantent en moyenne chaque année depuis 1996 et 36 projets ont été déposés en 2013. Si ce mouvement s'est traduit par une hausse de la fréquentation, il a mis sous pression les salles indépendantes de nos villes petites et moyennes, qui luttent contre l'uniformisation et survivent grâce à une programmation exigeante et à une politique d'animation intense, en particulier en direction de la jeunesse.
Ce duopole est-il durable ? Comment l'équilibrer ? Il est de la vocation des salles indépendantes de contribuer à l'éducation culturelle et à un aménagement équilibré du territoire - sans parler du développement durable. Une nouvelle politique culturelle qui garantisse la diversité doit être menée, dans la continuité de celle de ces 50 dernières années ; qui redéfinisse, au sein des commissions départementales, les modalités de régulation de l'implantation en fonction de l'impact d'une ouverture de salle sur les salles existantes ; qui clarifie les modalités de calcul des aides au salles ; qui engage une péréquation horizontale élargie ; qui prenne enfin en compte pour le classement la programmation et les actions d'animation. Les salles indépendantes doivent avoir accès aux copies des films plus facilement. Et la pratique du cealsing, qui consiste à projeter simultanément un même film dans plusieurs salles grâce à une seule copie doit être exceptionnelle.
En outre, il faut relever le défi du numérique, car les nouveaux matériels vieillissent très vite. Sans une politique d'aide aux mutations, on verra se créer un parc à deux vitesses, des salles ultramodernes et d'autres qui, sans être vétustes, ne pourront diffuser certains films. Enfin, l'État doit réfléchir à des aides spécifiques à la diffusion, en concertation avec les collectivités territoriales volontaires. Le président du CNC a confié à Serge Lagauche la mission d'évaluer une nouvelle procédure d'autorisation au regard de la diversité de l'offre et de l'aménagement du territoire.
Le cinéma est un art, avant d'être une industrie. Les salles de cinéma sont des lieux de partage et de dialogue que nous devons défendre. Faut-il une énième table ronde ? Je souhaite que le soutien au cinéma fasse l'objet de toute l'attention des pouvoirs publics.
M. Michel Le Scouarnec . - Ce débat aurait mérité un coup de projecteur plus appuyé que cette dernière séance en nocturne... qui nous rappelle cependant le plaisir des salles obscures ! (Sourires) Il s'agit au fond de défendre la diffusion d'oeuvres dites confidentielles que les multiplex ne trouvent pas assez rentables.
Ces temps de crise ne sont pas le temps des cerises pour la culture. Certes, madame la ministre, vous avez de l'enthousiasme. Mais il en faudrait plus encore pour faire de la culture un moyen d'émancipation et de progrès social et être fidèle à André Malraux... Depuis des années, les structures demeurent tant bien que mal mais les moyens diminuent et l'égalité des territoires n'est plus assurée. La culture est pourtant un gage d'ouverture d'esprit, un apprentissage de la citoyenneté, un moyen de lutte contre les inégalités. Dans les territoires ruraux, les populations ont de plus en plus de difficulté pour accéder aux salles. À Auray, dans le Morbihan, un cinéma indépendant, porteur d'une programmation exigeante, est menacé par l'implantation d'un multiplex. Ce serait une vraie perte pour le lien de proximité et la qualité. Certes, les multiplex accueillent plus de spectateurs, mais la diversification des publics et la démocratisation de la culture doivent s'accompagner d'un réseau différencié, associant tous les acteurs comme les collectivités locales, qui se sont fortement engagées et attendent un soutien de l'État.
N'oublions pas les intermittents du spectacle : ils sont inquiets car les annexes 8 et 10 sont arrivées à échéance. Leur renégociation serait l'occasion d'une répartition plus juste des indemnités et de mettre fin aux abus et aux détournements. Pour faire vivre l'exception culturelle française, il faut aussi traiter le dossier des droits d'auteur et reconnaître la spécificité du métier d'exploitant de salle indépendante.
L'exception culturelle ne se conjugue pas au passé. La culture, c'est le soleil dont nous avons besoin par mauvais temps - je suis breton. Il faut reconstruire un grand service public de la culture pour que les oeuvres capitales de l'esprit humain soient accessibles à tous sur tout le territoire. Jean Vilar en rêvait, à nous de le mettre en pratique. (Applaudissements à gauche et au centre)
Mme Danielle Michel . - En 2009, Quentin Tarantino s'écriait au festival de Cannes : « Vive le cinéma ! ». Oui, vive le cinéma et vive la diversité ! Une diversité qui demeure, à Paris notamment, où l'on compte 400 écrans, dont 100 d'art et d'essai. Ce succès a ses racines rue de Rennes, où les frères Lumière ont organisé en 1895 la première projection publique. La fréquentation ne cesse d'augmenter depuis les années 1990, avec 207 millions de spectateurs en 2010. Les parts de marché du cinéma français dans notre pays sont uniques en Europe. Je salue les victoires du Gouvernement en faveur de la diversité culturelle.
Le septième art est une économie de premier plan et un secteur stratégique qui emploie de dizaines de milliers de personnes. Il faut sauver la diversité de la création et de l'offre ; favoriser un maillage territorial et un équilibre entre centres-villes et périphéries. Le modèle redistributif de l'aval vers l'amont, fondé sur des taxes affectées et le Centre national du cinéma, doit être préservé.
En 2013, le seuil de 200 millions d'entrées n'a pas été atteint et le nombre de films français ayant attiré plus d'un million de spectateurs a diminué. Si quelques films connaissent de grands succès, la part des petits films, comme leur durée d'exploitation, diminue. Le risque est de voir un fossé se creuser entre les grandes salles et les petites ; 20 % des salles captent 80 % des entrées. Il faut un plan d'action sur le temps long, car les évolutions en cours sont profondes et durables - mutations technologiques, diversification des supports qui entraînent un changement de modèle économique, chronologie des médias obsolète... Méfions-nous cependant des discours alarmistes : l'apparition de la télévision n'a pas tué le cinéma, et la diversification des supports n'a pas empêché les entrées d'augmenter de 90 % depuis 1992.
Le dynamisme de ce secteur est lié à la question des salles et à leur exploitation. Les exploitants sont bien à la source du financement de la création. Aujourd'hui comme hier, c'est l'avenir des salles face aux évolutions technologiques, économiques et sociologiques qui est en cause.
La régulation est le bon levier pour maintenir un tissu industriel vivant et une production attractive et diverse. Or les petites salles sont confrontées au déploiement de la numérisation, qui est onéreuse ; l'effort n'est possible que grâce à un soutien public - toutes les salles de mon département ont été numérisées avec un financement public de 80 %... Il faut aussi faciliter l'accès des petits exploitants aux copies numériques - la médiatrice du cinéma a été saisie du problème. La durée d'exploitation est trop courte, tandis que les grands exploitants diffusent des films indépendants porteurs.
Dans les villes universitaires, les villes moyennes et en milieu rural, les salles indépendantes sont un élément de diversité face au modèle hollywoodien. La programmation doit relever de la responsabilité des exploitants et ne pas être par défaut.
Dans ce contexte mouvant, les exploitants ne restent pas inactifs : réunions, débats, festivals, expositions...
Dans mon département, le conseil général mène une politique ambitieuse de soutien à l'ensemble de la chaîne, des producteurs aux exploitants, jusqu'à l'installation des salles. Les Landes ont renouvelé avec le CNC la convention qui court désormais sur la période 2014-2016.
Un nouveau plan d'action global est nécessaire. Je pense à la négociation avec la Fédération du cinéma français pour faciliter l'accès du jeune public - 4 euros la place pour les moins de 14 ans. Je pense aussi à la modernisation du financement de la création pour un meilleur soutien au cinéma d'auteur. Je pense à l'acte II de l'exception culturelle à l'ère du numérique et aux 50 propositions pour une meilleure répartition des risques entre salles indépendantes et multiplex, la réorientation des financements vers les « films du milieu », l'amélioration de la diffusion des oeuvres. Les conditions générales de location devraient être revues pour prévoir une exposition minimale des films et une meilleure promotion en salle. A-t-on un calendrier de mise en oeuvre de ces préconisations ? Le projet de loi « création » sera sans doute le bon véhicule ... Quand sera-t-il examiné ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Philippe Esnol . - En 1988, dans Cinema Paradiso, Philippe Noiret nous rappelait le plaisir incomparable des salles obscures. Cette évocation soulève une certaine nostalgie... Le groupe CRC ne nous appelle pas à la nostalgie mais à regarder l'avenir.
Le monde du cinéma s'interroge aujourd'hui. Déjà à l'époque de Cinema Paradiso, les films d'art et d'essai étaient confrontés aux films de masse et les salles indépendantes aux multiplex. Mais la pression est aujourd'hui plus forte des grands sur les petits. La concurrence a certaines vertus pourvu que les pouvoirs publics mènent une politique intelligente qui préserve cet écosystème et la diversité de l'offre de salles, privées, associatives, municipales. Ce sont souvent les festivals de cinéma qui favorisent l'accès à des oeuvres originales. À Conflans coexistent une salle indépendante en centre-ville, avec une programmation de qualité, et un multiplex.
La rentabilité des salles indépendantes ne peut être la même que celle des multiplex. Entendons leurs inquiétudes sur la réglementation de l'implantation des salles et le soutien aux activités d'animation. Sans la rencontre avec le public, les oeuvres n'ont pas d'existence réelle : le soutien aux salles n'est donc pas séparable du soutien à la production.
Je n'entends pas déconsidérer l'industrie cinématographique, qui contribue aux loisirs et crée des emplois. Mais les salles indépendantes doivent être aidées, vu le rôle de quasi-service public qu'elles jouent. La modernisation des salles coûte cher. Le CNC a créé un fonds de soutien, les collectivités territoriales y participent aussi.
Reste la question des autorisations d'implantation. Là aussi, les pouvoirs publics ont le devoir de réduire les inégalités territoriales.
Merci encore au groupe CRC qui nous permet de parler ce soir de cinéma. Concilier culture et économie n'est pas simple à l'évidence. Le Sénat est prêt à y contribuer. (Applaudissements à gauche)
M. Michel Le Scouarnec. - Très bien !
Mme Marie-Christine Blandin . - En France, grâce au CNC, la production cinématographique est foisonnante, mais nous devons aussi nous préoccuper de la distribution. Face aux mastodontes adossés à des grands groupes atteignant parfois, comme dans ma ville, 23 salles et 7286 sièges, comment les salles indépendantes peuvent-elles survivre ? Le CNC les a aidées à se numériser ; s'il n'avait pas été écrêté par Bercy, il aurait pu oeuvrer pour l'accessibilité des oeuvres.
Le numérique, c'est l'obsolescence programmée. Le soutien public restera donc indispensable aux salles indépendantes - qui, elles, ne retirent pas un film de l'affiche dès que les entrées flanchent. Les films dits « exigeants » exigent, justement, un accompagnement durable.
Gigantesques bâtiments métalliques entourés de parkings et de fast food, voilà ce que sont devenues certaines salles. On y apporte son cerveau, comme on apporte son caddie au supermarché. Voilà pourquoi les écologistes soutiendront toujours les salles indépendantes.
La fréquentation augmente, mais le nombre des salles diminue. Près de 60 % des entrées sont faites dans les multiplex : la concentration est patente. Les missions des salles indépendantes sont menacées et certains élus, tout en prétendant les soutenir, autorisent l'implantation de nouveaux multiplex...
De nouveaux critères doivent donc présider aux autorisations et le niveau de décision devrait être un peu plus éloigné du destinataire des retombées économiques éventuelles. Nous serons attentifs aux recommandations du rapport que prépare Serge Lagauche. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Pierre Leleux . - Comme, sur la question de l'exploitation, je partage largement l'avis des orateurs précédents, j'aborderai aussi la question de la production.
Oui, notre réseau capillaire de salles doit être préservé. Le dispositif mis en place par le Centre national du cinéma a montré sa nécessité. Le cinéma français affiche une telle vitalité grâce à quelques films phares, mais connaît des déséquilibres : deux tiers des films seulement affichent un résultat positif. La part de marché du cinéma américain s'accroît : 54 % en 2013, contre 43 % en 2012. Le manque de fonds propres, les problèmes de partage des risques, les difficultés d'exploitation des films fragiles ont été soulignés.
Comment réagir ? Avant même l'étude du Centre national du cinéma de décembre 2013, le rapport Bonnell formulait des recommandations pour réduire les coûts de production, grâce à plus de transparence. Les salaires des acteurs et du réalisateur devraient être publiés et séparés du reste des coûts, les à-valoir supprimés ; les sources de financement du secteur doivent aussi être diversifiées car l'apport des chaînes de télévision, aux premiers films notamment, diminue. Le rapport n'étudie pas les sujets polémiques, comme les sorties directes en vidéo ou la chronologie des médias. Celle-ci doit probablement être assouplie.
Sans doute suis-je un peu hors sujet (Mme la ministre s'en amuse), mais j'aimerais connaître les intentions du Gouvernement. Je souhaiterais obtenir des précisions sur le droit des procédures collectives dans les sociétés de production. Leur faillite peut mettre en péril l'accessibilité des oeuvres, car le sort du patrimoine immatériel est incertain. Ainsi, les auteurs peuvent obtenir la résiliation de leur contrat de production après trois mois, en cas de liquidation. Ce délai devrait être porté à dix-huit mois au moins. Le rapport Gaschet recommande de légiférer ; votre projet de loi sur la création pourrait en fournir l'occasion.
Le cinéma français, reconnu dans le monde entier, doit être protégé (Applaudissements)
Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication . - À mon tour, je remercie M. Laurent de nous avoir donné l'occasion de débattre sur ce sujet trop souvent ignoré.
L'année 2013 fut riche pour le cinéma français, avec la Palme d'or pour La Vie d'Adèle, l'Oscar du meilleur film étranger à Amour, une coproduction française, et la réaffirmation du principe d'exception culturelle dans le cadre des négociations transatlantiques.
C'est grâce à ce principe que le cinéma continue d'employer 100 000 personnes en France, et de représenter 0,5 % du PIB. Une convention collective a été conclue dans le secteur de la production. Chacun connaît le rôle des salles indépendantes pour la diffusion des oeuvres et l'animation culturelle. La part de marché du cinéma français ne fut que de 33 % en 2013, mais il demeure que le cinéma se porte bien.
Pour soutenir ce secteur, j'ai obtenu la baisse du taux de TVA à 5,5 % pour les tickets d'entrée. Notre parc se monte à 5 508 écrans, répartis dans plus de 1 600 communes : un tel maillage est unique au monde. Toutes nos 118 agglomérations de plus de 50 000 habitants sont équipées en salles de cinéma. La moitié des salles appartiennent à la petite exploitation mais les 181 multiplex totalisent 66 % des entrées. Les salles indépendantes concourent à la diversité de l'offre. Aussi sont-elles soutenues par les pouvoirs publics via le CNC. Grâce au fonds pour la numérisation, la quasi-totalité des salles françaises sont désormais numérisées : là encore, c'est unique au monde. Le CNC a aidé 1 521 écrans ; 68 % des établissements aidés sont situés en zone rurale ou dans des villes de moins de 20 000 habitants. Une aide est spécifiquement attribuée aux salles indépendantes. Cette aide sélective est très fortement sollicitée.
À cela s'ajoute l'aide au cinéma d'art et d'essai, qui représente 14 millions d'euros par an, sachant que 56 % des établissements classés sont situés dans des communes de moins de 20 000 habitants. Le soutien automatique lui-même est très redistributif, les petites salles ayant un taux de retour sur le TSA de 80 %, contre 30 % pour les grands groupes.
Après les aides, la réglementation. Les nouvelles implantations sont soumises à l'autorisation de la commune, qui se prononce en fonction de critères fondés sur la diversité de l'offre et l'écosystème local. Le taux de refus atteint 47 % pour les grandes salles, contre 22 % en moyenne.
Il serait très préjudiciable que les films à succès soient réservés aux multiplex. Le CNC doit continuer à veiller à ces équilibres. La question de l'accès aux films porteurs sera donc abordée dans le cadre des travaux lancés à la suite du rapport Bonnell. Un groupe de travail sera consacré à la diffusion.
La France a souscrit à des engagements de programmation visant à promouvoir le cinéma européen, la diversité de l'offre et le « hors cinéma », comme la diffusion d'opéras en salle. Certains proposent de limiter le nombre d'écrans qui peuvent être consacrés à la diffusion de films européens ou indépendants, porteurs, pour favoriser les indépendants. Le CNC en discutera avec les opérateurs dans un souci d'équilibre et de visibilité des oeuvres.
Il importe également de réaffirmer l'importance des salles, qui sont les meilleurs écrans pour découvrir une oeuvre, son premier écrin. Des dérogations à la chronologie des médias peuvent cependant être envisagées.
Les nouveaux acteurs doivent respecter la législation culturelle et participer au financement de la création. Le transfert de la riposte graduée au CSA figurera dans le projet de loi Création qui est prêt et sera présenté en conseil des ministres avant la fin de l'année.
Le rapport Bonnell recommande aussi que les « films du milieu » - dont le budget est compris entre 4 et 7 millions - bénéficient à l'ensemble des salles. Des mesures législatives pourront être prises.
Les salles participent aussi à l'éducation au cinéma. En 2011-2012, 1,4 million d'élèves ont bénéficié de programmes tels que « École au cinéma ». Ces dispositifs seront maintenus, en coopération avec l'éducation nationale qui développe aussi la formation initiale et continue des professeurs.
L'accès aux salles des personnes handicapées doit aussi être amélioré. Un arrêté sera bientôt publié en ce sens. Pour ce qui est des handicaps sensoriels, le Centre national du cinéma a participé au sous-titrage et à la réalisation de versions audiométriques de films. La transmission des salles est un autre enjeu, car beaucoup d'exploitants arrivent à l'âge de la retraite. Des aides à la région doivent être imaginées.
Je serai très attentive aux conclusions du rapport Lagauche sur la procédure d'autorisation préalable. Toutes les auditions concluent à son maintien, mais il faut faire en sorte que les nouveaux établissements s'adaptent mieux à l'offre existante. Le Gouvernement soutient le découplement de ce dispositif de la procédure d'autorisation commerciale, qui devrait être inscrit dans le projet de loi sur l'artisanat.
L'exploitation cinématographique connaît des évolutions économiques, technologiques et sociétales qui méritent toute notre attention. Enfin, monsieur Leleux, je vous ferai parvenir les informations demandées sur le droit des faillites. (Applaudissement.)
Prochaine séance demain, jeudi 6 février 2014, à 10 heures.
La séance est levée à 23h 20.
Jean-Luc Dealberto
Directeur des comptes rendus analytiques