Droit à l'eau
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur le droit à l'eau.
M. Christian Favier, pour le groupe CRC . - Permettez-moi de commencer avec cette remarque de Platon : « L'eau, est, de tous les aliments du jardinage, assurément le plus nourrissant, mais elle est facile à corrompre : ni la terre, en effet, ni le soleil, ni les vents, qui nourrissent les plantes, ne sont faciles à perdre. ».
Plus d'un milliard de personnes dans le monde n'ont pas accès à l'eau potable, parmi lesquelles les 80 millions d'Européens pauvres. Quelque 40 % des Européens ne bénéficient pas d'un système d'assainissement de base ; et ce, malgré des dizaines d'années de politiques publiques et de directives locales, nationales et européennes.
La directive-cadre d'octobre 2000 fixait pour objectif d'atteindre un bon état écologique des eaux en 2015 par un système de gestion de l'eau reposant sur l'adoption du bassin hydrographique comme unité de base de gestion de l'eau ; le principe de recouvrement des coûts totaux par un prix de l'eau au consommateur selon le principe « l'eau paie l'eau » ; une promotion de la participation des citoyens à la politique de l'eau. La conception européenne de la politique de l'eau est fondée sur deux exigences, celle du développement durable et celle de la « libéralisation » des services publics. Ces deux exigences ont été unifiées dans le cadre de la « Stratégie Europe 2020 » et l'objectif d'atteindre un bon niveau écologique des eaux a été repoussé à 2027.
Dans l'imaginaire collectif, l'eau est tenue pour un bien commun, non pour une marchandise. Elle doit donc rester sous la responsabilité des pouvoirs publics : un récent sondage l'a montré en France, ainsi que, plus nettement encore, un référendum de 2011 en Italie. Une initiative citoyenne aurait même recueilli deux millions de signatures.
Il faut s'intéresser au cycle de l'eau dans sa globalité. Les prélèvements demeurent excessifs, notamment pour les productions agricoles et énergétiques ; en outre, les rejets de déchets polluent les eaux. Une agriculture plus respectueuse de l'environnement serait un gage de qualité : le projet de loi sur l'avenir de l'agriculture en cours d'examen est encourageant.
La protection des fleuves et des nappes phréatiques demanderait des moyens accrus. Les drames du Var et de la Vendée sont aussi le résultat d'une organisation irréfléchie. La captation des eaux de pluie est insuffisante en France, laissée au bon vouloir de chacun. Les expériences ont pourtant été menées par certaines collectivités territoriales en d'autres pays.
Il importe également de lutter plus efficacement contre les pollutions, notamment par les produits phytosanitaires, en généralisant le « zéro phyto ». Les ressources gagneraient aussi à être mieux connues et la question des bassins hydrographiques, améliorée.
De grands groupes privés occupent une place croissante dans la distribution et l'assainissement de l'eau, qui exige des investissements importants. Le bilan est pour le moins contrasté, si bien que de nombreuses communes ont repris les activités en régie. Les collectivités territoriales ont également développé des formes de mutualisation : en Ile-de-France, le Siac contribue à la maîtrise publique de l'assainissement. Des coopérations internationales pourraient être développées.
Les usagers ont droit à plus de transparence sur les ressources et leur gestion, ainsi que sur la formation du prix. Beaucoup de locataires n'ont aucune visibilité sur leur consommation d'eau, incluse dans les charges locatives.
Les laboratoires publics d'analyse et de contrôle sont bien souvent livrés au secteur privé, sinon en voie de disparition. La veille est indispensable pour la protection de l'environnement et la sécurité alimentaire. On a pu mesurer, lors des crises sanitaires, l'importance d'une ingénierie publique ; un quart des laboratoires publics départementaux a déjà disparu !
La mise en commun des analyses obéit à la logique du moindre coût, avec pour conséquence les défaillances observées en 2012 en Languedoc-Roussillon lors de l'affaire « Eurofins ». A-t-on évalué les conséquences économiques et sociétales d'une crise sanitaire liée à l'eau ? Les scandales alimentaires des dernières années devraient nous alerter.
Les laboratoires publics sont des outils fiables de contrôle. Le cinquième Forum mondial de l'eau d'Istanbul n'appelle-t-il pas à renforcer le contrôle public du secteur ? Il serait légitime de reconnaître à ces laboratoires un statut de service d'intérêt général.
En instaurant le droit à l'eau, les Français seraient assurés de pouvoir accéder à une eau potable dont la qualité serait préservée et garantie. Au Gouvernement et au législateur d'exclure l'eau, parce qu'elle représente un bien commun inaliénable, des règles du marché intérieur soumis au régime de la libre concurrence. Ce serait un signal fort répondant aux attentes citoyennes, nationales comme européennes.
En nous fondant sur le principe de précaution, il nous revient de faire respecter l'eau, le bien commun de l'humanité ! (Applaudissements sur les bancs CRC, écologistes et du RDSE.)
M. Ronan Dantec . - L'accès généralisé à l'eau courante fut l'un des grands progrès du XXe siècle, aujourd'hui remis en cause, notamment pour les 85 000 personnes vivant dans des habitations de fortune, car les bidonvilles renaissent en France. Le droit à l'eau recoupe celui à un logement décent.
Chacun a le droit d'accéder à une eau de qualité. Déplorons les retards accumulés pour lutter contre les nitrates, qui ont valu à la France d'être condamnée. La présence occasionnelle dans l'eau de perturbateurs endocriniens est également préoccupante. C'est pourquoi nous nous réjouissons du vote par l'Assemblée nationale de la proposition de loi Labbé contre les pesticides.
Le plan national d'adaptation au changement climatique prévoit une baisse de 20 % de la consommation d'eau d'ici 2020. Plusieurs villes, depuis la loi de 2006, ont déjà établi une tarification progressive, d'autres des tarifs sociaux ; Dunkerque a réalisé une synthèse entre les deux. Mais les innovations sont juridiquement fragiles. L'État devrait surveiller de près ces expérimentations.
À Grenoble comme à Nantes, les prix et le niveau des prestations peuvent être comparés entre les secteurs public et privé. Nous appelons à la création d'un collège « société civile » dans les comités de bassin.
La proposition de loi de Jean Glavany tend à faire de l'eau un droit humain garanti par l'État, preuve que nous pouvons nous rassembler sur les questions essentielles. Une initiative de l'Union européenne va dans le même sens. Nous y reviendrons dans le cadre de la négociation des objectifs du développement durable au sein des Nations unies.
La prochaine conférence sur le climat, qui se tiendra à Paris en 2015, doit être l'occasion de progresser ! (Applaudissements sur les bancs CRC, RDSE, écologistes et centristes)
M. Christian Cambon . - Initiateur de la loi de 2011 sur l'accès à l'eau, je me sens naturellement très concerné par ce débat. Comment cibler les usagers en difficulté ? Comment les aider, tout en maîtrisant les coûts de gestion ?
La loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 7 février 2011 a mis en place un dispositif curatif : les services d'eau et d'assainissement peuvent affecter une part de leurs revenus à l'aide aux ménages qui dépensent plus de 3 % de leurs revenus pour l'eau. Une autre proposition de loi, celle de M. Brottes, était plutôt d'ordre préventif.
Le syndicat des eaux d'Île-de-France, dont je suis vice-président, a constaté que les dispositifs préventifs répondaient mal aux objectifs recherchés. Faut-il imaginer une première tranche gratuite ? Cela coûterait cher et profiterait aussi aux ménages aisés. En outre, la distribution a un coût qui doit être répercuté aux usagers, pour mieux les responsabiliser. Un tarif progressif ? Ce n'est pas toujours adapté et cela pénaliserait les habitants des grands ensembles, dans lesquels il n'y a pas de compteur individuel. Un tarif social ? Ce serait très difficile à mettre en place. Quel reste à charge prévoir ?
Nous avons donc préféré un dispositif curatif, pour faciliter l'accès à l'eau de tous les usagers, grâce à un prélèvement de 1 % sur les recettes. Les communes sont les mieux à même de juger de la situation des ménages. Le public visé est l'ensemble des ménages qui dépensent plus de 3 % de leurs revenus en eau ; 6 000 dossiers ont été retenus. Après trois ans, ce dispositif monte rapidement en puissance ; signe de sa pertinence, 16 000 familles ont déjà été aidées pour un total de 2 millions d'euros.
Au lieu d'imposer à tous une réponse unique, aidons les collectivités à choisir les dispositifs qui correspondent le mieux aux besoins de leur population. La contribution des distributeurs d'eau doit être systématisée. L'accès à l'eau est un droit imprescriptible, qu'il nous faut garantir. C'est notre honneur de faire vivre cette solidarité. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Henri Tandonnet . - Le groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec) a, en octobre 2013, annoncé une hausse des températures de deux degrés d'ici 2100, avec un relèvement de 26 à 92 cm du niveau des mers. Dans cette situation, le droit à l'eau, reconnu par l'article L. 210-1 du code de l'environnement, devient une question essentielle.
Deux défis se présentent à nous : le premier est celui de l'accès à l'eau sur notre territoire. La facture d'eau est de 340 euros en moyenne pour une famille constituée de deux adultes et de deux enfants. L'UDI-UC se félicite de l'expérimentation sur le tarif social de l'eau, lancée par la loi Brottes. Une première tranche gratuite pourra être mise en place, les tarifs modulés en fonction de la composition des familles.
Le comité d'évaluation que je préside rendra son rapport au Gouvernement d'ici 2015.
Plus les familles sont pauvres, plus l'eau leur revient cher, compte tenu du coût de l'abonnement. À cela s'ajoutent les difficultés liées au mode de paiement, résolues grâce à notre amendement au projet de loi relatif à la consommation. Je veillerai à ce qu'il survive en CMP.
Le deuxième défi est celui d'une gestion durable de l'eau. Comment garantir à chaque secteur d'activité une eau de qualité en quantité suffisante ? N'opposons pas les agriculteurs aux autres utilisateurs. Les conflits d'usages peuvent être résolus par la concertation au niveau de chaque bassin.
L'agriculture absorbe plus de 70 % de l'eau consommée. Le droit à l'eau est donc un impératif de sécurité alimentaire. Soit on subit, soit on anticipe ! Encourageons donc la constitution de réserves. Voilà vingt ans que l'on parle du barrage de Long.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. - Eh oui.
M. Henri Tandonnet. - Pendant ce temps-là, la métropole de Toulouse s'accroît de 15 000 habitants par an. Les nappes de surface dans le Lot-et-Garonne restent sous-utilisées. Plutôt que de se contenter de réduire la consommation d'eau en été, pourquoi ne pas développer les cultures méditerranéennes ?
Il est de notre devoir d'anticiper le changement climatique et de rechercher une meilleure adéquation entre les besoins et les ressources. (Applaudissements au centre et sur les bancs écologistes et du RDSE)
Mme Évelyne Didier . - L'eau, élément vital pour le vivant, pèse hélas de plus en plus dans le budget des familles. Son prix varie du simple au triple et la limite de 3 % du budget des ménages est souvent franchie. Le droit à l'eau, reconnu par la loi de 2006, reste une notion floue. On évite de poser la question des conditions d'exercice de ce droit et des responsabilités des pouvoirs publics.
Dans le domaine du logement, la puissance publique depuis les années 1970, a diminué ses aides à la pierre tout en augmentant les aides au logement : d'un État bâtisseur, on est passé à un État correcteur des dérives du marché. Le même constat vaut pour l'eau.
En 2009, notre proposition de loi prévoyait une allocation pour l'eau sur le modèle des APL, pour parer à l'urgence. Cela ne contredit en rien la nécessité d'une maîtrise publique du secteur. En déléguant les services publics de distribution et d'assainissement, les collectivités se sont placées entre les mains de grands groupes privés. Les choix de demain s'annoncent douloureux, vu la baisse des dotations.
Ce secteur est caractérisé par un quasi-monopole. Quelques groupes se partagent les profits. Nous plaidons pour un service public national de l'eau, chargé de la protection des ressources et du soutien public aux collectivités territoriales. La gratuité des premiers mètres cubes n'a de sens que si elle relève de la solidarité nationale. Un corps de fonctionnaires formés devrait être recruté. (M. Christian Cambon s'émeut) Les collectivités doivent avoir les moyens physiques et humains de mener les politiques qu'elles souhaitent, à défaut de quoi elles devront continuer de s'en remettre aux opérateurs privés. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)
M. André Vairetto . - Dès 2006, la France a reconnu le droit d'accès à l'eau, avant de soutenir l'adoption en 2010 d'une résolution de même sens de l'Assemblée générale des Nations unies.
Il existe donc un droit à l'eau et à l'assainissement.
Certes, des progrès ont été enregistrés : les objectifs du millénaire ont été atteints dans l'Union européenne avant 2015. Cela dit, la référence allait à une eau améliorée et non à une eau potable de qualité. Si l'on retient ce dernier critère, la moitié de la planète n'a pas accès à l'eau potable.
Pour l'assainissement, la situation est plus dramatique : 2,5 milliards de personnes ne bénéficient pas d'un système d'assainissement.
Hélas, le droit à l'eau n'appartient pas à la liste des objectifs onusiens pour les années 2015 à 2020.
La France demeure un pays où l'accès à l'eau est relativement bon. Le prix de l'eau représente 1,5 % du budget d'un ménage, 430 euros environ pour une famille de quatre personnes. Pour quelque deux millions de personnes, la facture de l'eau dépasse les 3 % du budget.
Dans cette situation, la proposition de loi de M. Glavany est bienvenue. Restons prudents sur la tarification progressive, qui poursuit d'abord l'objectif environnemental de réduire la consommation ; elle a des conséquences sociales et économiques. La loi sur l'accompagnement de la transition écologique autorise les collectivités territoriales à lancer des expérimentations ; usons de ce droit d'autant qu'il existe des mécanismes correctifs tels que le fonds de solidarité pour le logement ou les chèques-eau. L'accès à l'eau doit être garanti à chaque citoyen !
M. François Fortassin . - Sans remonter au tribunal de l'eau siégeant depuis des siècles sur les marches de la cathédrale de Valence, je vous dirai mon expérience dans les Hautes-Pyrénées, celle de mon syndicat de la Barrousse-Comminges-Save qui couvre le plateau de Lannemezan. Le partage de l'eau n'est pas une question de loi, mais de pratique.
Le canal de la Neste déverse 13 m3 d'eau, alors que la basse Neste ne coule pas à flots... Il n'en résulte aucune catastrophe, je le dis à l'intention de nos collègues écologistes. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous avons obligé EDF à nous livrer 50 millions de mètres cubes pour alimenter ce canal. Pour une eau de qualité, il faut préférer les systèmes gravitaires, qui coûtent plus cher que les pompages, mais seulement les premières années... Et puis, on garde l'eau des sources, bien meilleure. Il faut aussi entretenir le réseau : 8 000 km pour mon syndicat...
Ne cédons pas à la démagogie : économiser de l'eau dans les Pyrénées ne réglera pas le problème du Sahara ! (Rires.)
Mme Nathalie Goulet. - C'est pertinent.
M. François Fortassin. - Le prix de l'eau doit être juste. Si l'usager ne paie pas, ce sera le contribuable !
Enfin, nous devons constituer des réserves, y compris pour l'agriculture : un grain de blé nécessite autant d'eau qu'un grain de maïs à cela près qu'ils n'ont pas besoin d'eau à la même période : l'hiver pour le blé, l'été pour le maïs.
Voilà, j'ai tenu des propos de bon sens ; j'ai voulu parler de mon vécu. J'espère avoir fait entendre une autre petite musique ! (Applaudissements sur les bancs du RDSE.)
Mme Nathalie Goulet. - Le Sahara est rassuré !
Mme Hélène Masson-Maret . - Même si cela a été dit, je veux insister sur le droit de chaque individu à l'eau, car même dans un pays comme la France, il n'est pas garanti. Je veux aussi rappeler le lien indissociable entre droit à l'eau et droit à l'assainissement, c'est-à-dire à l'hygiène, à la santé, à la salubrité. Assurer ces droits, ce n'est plus une question d'infrastructures, comme par le passé, c'est un problème d'argent.
La loi de 2011 de M. Cambon a marqué une étape. Est-ce suffisant ? Peut-on aller plus loin ? Oui, avec la tarification solidaire sur le modèle de Dunkerque. Il est également possible de réduire notre consommation : un Américain consomme 400 litres d'eau par jour, un Français 250 à 300 litres. Quant aux sans-abris et à ceux qui vivent dans les logements non raccordés, ne pourrait-on leur assurer l'accès à des installations sanitaires de qualité ?
Dernier point, la disparité des prix, pointée dans un rapport de 2013 de la Confédération nationale du logement. Elle creuse une inégalité entre les territoires et, partant, entre les citoyens. Que compte faire le Gouvernement ?
Pour conclure, revenons au rapport du Conseil d'État de 2010. Y était dénoncé le sous-investissement chronique dans les infrastructures, et la prise en compte insuffisante du changement climatique.
Le Parlement européen, quatre ans après les Nations unies, va s'emparer le 17 février du droit à l'eau, composante essentielle des droits de l'homme. Comment le Gouvernement va-t-il aider les collectivités territoriales à assurer ce droit ? (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Philippe Kaltenbach . - Depuis la déclaration des Nations unies de 2010, l'accès à l'eau de qualité est considéré comme un droit humain que la loi de décembre 2009 a consacré en France.
Ce droit ne doit pas rester incantatoire. Depuis la loi de 2011, le gestionnaire peut opérer un prélèvement de 1 % de ses recettes pour aider les ménages fragiles. M. Brottes a déposé une proposition de loi à l'Assemblée nationale. Moi-même, j'ai rédigé une proposition de loi en 2013 pour une tarification progressive de l'eau par tranches, en me référant au système mis en place depuis 2012 à Dunkerque.
Ayons conscience des limites de ces mécanismes. À mon sens, la problématique centrale est celle de la disparité des tarifs d'une région à l'autre. En novembre dernier, le magazine Que choisir a publié des comparaisons éclairantes. Dans les Hauts-de-Seine, j'ai dénoncé les tarifs exorbitants pratiqués par le prestataire, une société privée bien connue, dont le chiffre d'affaires atteint 350 millions d'euros par an : c'est le niveau le plus élevé d'Europe. Le Sedif lui-même évalue les surfacturations à 40 millions d'euros. En dépit d'une vaste mobilisation citoyenne, le contrat a été reconduit en 2008 par vote à bulletin secret... Vive le courage des élus !
D'où une remunicipalisation de la gestion de l'eau, qui conduit à une baisse des prix. En 2012, Antibes a fait jouer la concurrence et obtenu de ramener le prix de 3,47 euros à 1,45 euro pour les cent premiers mètres cubes.
La justice sociale passe par la maîtrise publique. Je suis impatient d'entendre les propositions du Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et CRC)
M. Raymond Couderc . - C'est un lieu commun de dire que l'eau est essentielle au vivant. De tout temps, les hommes se sont installés à proximité des fleuves et des sources ; ils ont laissé libre cours à leur imagination pour construire ponts et aqueducs. Dans nos pays tempérés, ce n'est que depuis le XXe siècle que l'État a dû, en raison du développement de l'agriculture et de l'industrie, réguler l'usage de l'eau.
Hors de ses frontières, la France a activement défendu le droit à l'eau et à l'assainissement, inscrit dans la résolution des Nations unies de 2010.
Certains comparent l'eau à l'air. Erreur ! L'air est inépuisable, nul besoin de l'acheminer, de le traiter. Certains, par dogmatisme, estiment qu'il n'y a de salut que par la maîtrise publique. (M. Philippe Kaltenbach et Mme Évelyne Didier protestent)
Entre la régie et la délégation de service public (DSP) il n'y a pas toujours de différence de prix. (On le confirme à droite) En outre, certaines régies sont des DSP déguisées.
M. Christian Cambon. - Comme à Paris, où la ville a conclu un contrat avec Veolia !
M. Philippe Kaltenbach. - C'est moins cher qu'une DSP !
M. Raymond Couderc. - Grâce aux DSP, on peut faire jouer la concurrence ! À chaque territoire sa solution. Ne soyons pas dogmatiques. Aux élus de prendre leurs responsabilités afin d'apporter des réponses raisonnables et adaptées. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Marie-Françoise Gaouyer . - Chaque jour, nous, élus, prenons un peu plus conscience des enjeux environnementaux. Il est un sujet dont on parle trop peu : le droit à l'eau. Je me réjouis que le Sénat en débatte.
Finalement, l'eau est partout ; elle fait partie de notre quotidien. Avant le petit cycle de l'eau potable qui coule de nos robinets, il y a le grand cycle des fleuves et des rivières. C'est de ce cycle de l'eau qu'il faut parler, reliant les populations de l'amont et de l'aval.
Tout se tient.
Les nombreux bénéfices que nous tenons de ce maillage naturel portent en eux les germes de leur destruction. C'est pourquoi parler du droit à l'eau est opportun.
Notre connaissance du grand cycle est insuffisante. Le Conseil d'État le pointait dans un rapport de 2010 « L'eau et son droit ».
La gestion du grand cycle fait également défaut. Nous avons récemment progressé sur la prévention des inondations, il reste pourtant des marges de manoeuvre.
Réguler, gérer, connaître, protéger, il faut des personnes compétentes. Ce sont celles qui garantiront une eau de qualité et préviendront les conflits d'usage. Les établissements publics territoriaux de bassin, je connais celui de la Bresle, qui coule entre la Haute-Normandie et la Picardie, sont au nombre de 36. Notre pays est insuffisamment couvert par les schémas d'aménagement et de gestion des eaux. Les six agences françaises de l'eau, elles, interviennent à un niveau beaucoup plus large.
Renforçons les EPTB. Premièrement, ce sont les outils les plus efficaces au niveau le plus approprié : le bassin versant.
Le mode de gouvernance que nous choisissons pour le grand cycle de l'eau dit quelque chose de la gouvernance de nos territoires.
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Marie-Françoise Gaouyer. - C'est une opportunité pour nos territoires. L'eau, à n'en pas douter, sera la préoccupation de demain.
M. Félix Desplan . - L'histoire prête à la Guadeloupe un second nom, celui de Karukera, « l'île aux belles eaux ». La ressource y est abondante. Basse-Terre est le château d'eau de la Guadeloupe, mais les usages sont concentrés en Grande-Terre. En saison sèche, l'eau est plus rare, alors que la demande est plus forte : les coupures sont longues, des tours doivent être organisés.
À ces deux inadéquations naturelles, viennent s'ajouter deux problématiques mettant à nu l'état de la gestion de l'eau en Guadeloupe. On estime à 40 % la population raccordée au réseau collectif, contre 90 % dans l'Hexagone. L'autonomie est de 0,65 jour contre un ou deux jours préconisés. En cas de crise, les différentes unités ne peuvent pas se secourir en raison du manque d'interconnexion du réseau.
Même si l'eau est globalement de bonne qualité, certaines sources sont polluées au chlordécone. Les installations sont vétustes ; elles datent des années 1960, voir du XIXe siècle.
La presse locale se fait régulièrement l'écho des difficultés des populations.
Certains, à Basse-Terre, doivent stocker des jerricans d'eau ; se lever en pleine nuit pour satisfaire leurs besoins personnels.
Le prix de l'eau est bien plus élevé qu'en Métropole : 3,61 euros. Cela laisse perplexe, quand la consommation a reculé de 10,6 % en 2011 par rapport à l'année précédente.
Mon intention n'est nullement de faire le procès de la gestion de l'eau en Guadeloupe.
Le conseil général et l'office de l'eau de Guadeloupe viennent de lancer un appel à projet pour une entité unique de gestion de l'eau. Les prix pourraient bientôt baisser...
Pour conclure, nonobstant sa consécration en 2010, le droit à l'eau se concrétise malheureusement au goutte-à-goutte.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation . - Bien que j'aie grand plaisir à vous répondre sur un sujet qui m'intéresse à tous points de vue, je demande votre indulgence, puisque je remplace M. Philippe Martin.
Ce débat a été riche en références, depuis les aqueducs en passant par le tribunal de l'eau sur les marches de la cathédrale de Valence, jusqu'à l'EPTB de la vallée de la Bresle et la Guadeloupe.
Beaucoup ont, à raison, insisté sur ce bien commun que représente l'eau et les difficultés que certains ont à y accéder.
Si l'eau couvre 71 % de la superficie de la planète, 1 % de cette ressource seulement est utilisable et consommable. C'est donc une ressource précieuse et rare, que chacun doit économiser.
Le Gouvernement a lancé une évaluation de la politique de l'eau dans le cadre de la MAP. Ses conclusions ont été rendues lors de la conférence environnementale des 20 et 21 septembre 2013, et des décisions prises dans la feuille de route rendue publique le 27 septembre - qui seront déclinées dans les outre-mer.
Sans accès à l'eau et à l'assainissement, point d'hygiène, point de salubrité. Ils font encore défaut à des centaines de millions de personnes dans le monde, et six millions de personnes meurent chaque année suite à des maladies liées à l'absence ou à la mauvaise qualité de l'eau. C'est pourquoi l'ONU s'est fixé, parmi les objectifs du millénaire, la réduction de moitié, d'ici 2015, du nombre de personnes n'ayant pas accès à l'eau potable ni aux services d'assainissement de base. Les progrès restent cependant insuffisants : 11 % de la population mondiale, soit 780 millions de personnes, n'ont pas accès à l'eau potable. La situation reste critique en Afrique subsaharienne et les disparités régionales, sources de tensions, sont toujours fortes. C'est dire que le chemin est encore long.
La France, patrie des droits de l'homme, a une responsabilité particulière. Elle fut pionnière dans la reconnaissance d'un droit à l'eau : dès 1992, le législateur a affirmé que l'eau faisait partie du patrimoine commun de la nation. La Lema du 30 décembre 2006 a consacré le droit de tous d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables.
Mais beaucoup reste à faire pour le rendre effectif ; il y faut une gouvernance forte et transparente, permettant les initiatives locales et l'association de toutes les parties prenantes. La France promeut une gestion par bassin versant, avec une planification et des instances de concertation, d'où le rôle crucial des élus locaux.
La loi du 27 janvier 2014 a introduit une disposition particulière sur la gestion des milieux aquatiques avec les établissements de bassin et les établissements publics d'aménagement et de gestion des eaux (Epage), pour mieux valoriser les Sage.
L'accès à l'eau implique des investissements qui rendent la gratuité impossible. (M. Christian Cambon approuve) En même temps, il est inacceptable que des personnes soient privées d'eau faute de pouvoir payer. En France, l'eau est bon marché, et pourtant des milliers de foyers peinent à payer leurs factures. En moyenne, ce poste de dépense représente 1 % seulement du budget des ménages, mais ce pourcentage peut considérablement varier. D'où les dispositifs mis en place en partenariat avec les CCAS ou les Cias, l'intervention du FSL ou les remises gracieuse.
Mais il s'agit là de systèmes curatifs d'urgence. Pour garantir vraiment le droit à l'eau, il faut développer des solutions préventives. Les parlementaires ont pris des initiatives vigoureuses : la loi du 15 avril 2013 doit être saluée, ainsi que les sénateurs, Mme Didier, MM. Kaltenbach et Cambon, qui y ont tout particulièrement contribué. Une tarification progressive de l'eau pourra être expérimentée pendant cinq ans, jusqu'en 2018. Une première tranche pourra être instaurée pour satisfaire les besoins essentiels. Le plafond des subventions versées au FSL pourra atteindre 2 % de la redevance. Des collectivités se sont déjà portées candidates, et une circulaire sera adressée aux préfets dans les tout prochains jours.
La transparence exige de travailler sur le cadre des factures d'eau. Les données doivent être accessibles, publiques et compréhensibles.
Enfin, les conflits d'usagers doivent être limités, grâce à l'implication de tous les acteurs.
Un programme d'action renforcée de lutte contre la pollution due aux nitrates va être lancé. Sur les pesticides, je salue le travail de nos amis écologistes qui a abouti au vote de la loi interdisant l'usage des produits phytosanitaires par les collectivités d'ici 2022. Quant à M. Le Foll, il défend bec et ongles l'agro-écologie dans la loi d'avenir pour l'agriculture.
S'agissant de l'irrigation, Philippe Martin promeut des projets de territoire que l'État accompagnera. La loi Brottes ouvre la voie à des expérimentations et des évolutions législatives pourront être envisagées au fur et à mesure ; deux rendez-vous intermédiaires au moins sont prévus d'ici 2018.
Un tarif unique de l'eau est impossible, car les ressources varient selon les territoires.
M. Raymond Couderc. - C'est le bon sens.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. - Le prix moyen de l'eau, au 1er janvier 2013, est de 2 euros TTC par mètre cube, soit une facture annuelle de 240 euros pour une consommation de 120 mètres cubes. Le tarif peut varier de 0,5 euro à 5 euros. Les disparités dépendent des situations d'exploitation, de l'état de la ressource, de la densité de population, de la stratégie de renouvellement d'infrastructures. Le prix moyen de l'assainissement collectif est de 1,9 euro TTC par mètre cube et peut varier de 1 à 3 euros. Là encore, tout dépend des circonstances.
Le Gouvernement est mobilisé. L'eau appartient à tous, elle doit être préservée et garantie à tous, par tous, à tous les niveaux. Ce débat nous aidera à mettre en oeuvre cette solidarité indispensable. (Applaudissements à gauche et au centre)