Mandat des élus locaux(Deuxième lecture)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat.
Discussion générale
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique . - L'objectif principal de cette proposition de loi importante est d'améliorer l'exercice des mandats locaux. Il y a un an, le Sénat a adopté le texte sur la transparence dans la vie publique, à l'initiative de Mme Gourault et M. Sueur.
Garants de la continuité républicaine, les élus locaux font face à des contraintes de plus en plus lourdes. Représenter des citoyens et défendre l'intérêt général, beaucoup le font en conscience, en confiance, par devoir. Pour 80 % d'entre eux, les élus municipaux ne perçoivent aucune indemnité pour leur engagement au service de leurs concitoyens. Et cet engagement est d'autant plus lourd que, dans les petites communes, les élus doivent garder une activité professionnelle à côté de leur mandat, ce qui tend à réserver l'élection aux retraités, à des fonctionnaires ou à des membres de professions libérales. Je suis toujours choquée d'entendre un candidat avancer qu'il renoncera à son indemnité. Cela signifie que lui n'en a pas financièrement besoin. La société est composée de personnes aux situations variées, qui doivent toutes avoir accès à ces mandats.
La défiance actuelle qui entoure l'action publique pèse sur les élus. Le président de la République a souhaité renforcer l'exemplarité des élus en accroissant la transparence. Le maire est la démocratie en personne.
Depuis des années, le Sénat propose de modifier la définition de la prise illégale d'intérêt. Cela bouleverserait la jurisprudence et serait difficile à expliquer à nos concitoyens. Il y a moins de 30 condamnations chaque année pour 618 383 élus. C'est peu. Il n'y a donc pas lieu de protéger les élus contre des poursuites improbables.
M. Pierre-Yves Collombat. - Pour que les journaux n'en parlent pas ! Les lois bancaires sont plus laxistes.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. - Le Gouvernement souhaite que les choses soient claires. D'où l'intérêt d'un guide. Il faut savoir à quel moment il faut se déporter et ne pas voter telle ou telle subvention.
L'Assemblée nationale a conforté la proposition de loi du Sénat. Certaines de ses avancées vous conviennent, d'autres non. Elle a créé la possibilité, pour les élus, de se faire rembourser les frais de garde d'enfants, actuellement réservée aux conseillers municipaux qui n'exercent pas d'activité professionnelle. Que de réunions à 18 h 30 !
La France a besoin d'élus libres et compétents, animés par la passion du bien public et capables d'initiatives. Je vous remercie pour l'excellent travail accompli. Nos positions sont différentes mais j'aime le débat ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Bernard Saugey, rapporteur de la commission des lois . - Je me réjouis de ce débat après qu'une première proposition de loi adoptée à l'unanimité par le Sénat le 30 juin 2011 est restée sans suite à l'Assemblée nationale, laquelle a en revanche approuvé celle-ci le 18 décembre dernier.
Le Sénat a conforté la démarche de Mme Gourault et M. Sueur, qui se voulaient pragmatiques et réalistes, afin d'enrayer la chute des vocations à l'exercice du mandat local.
Le texte, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, harmonise le régime indemnitaire des fonctions exécutives. Il protège mieux les élus salariés et il encourage la formation des élus locaux. Reprenant une disposition adoptée par le Sénat en 2010, l'article premier A clarifie le champ des poursuites pour prise illégitime d'intérêt. L'Assemblée nationale l'a modifié ; nous souhaitons défendre le texte du Sénat, voté à l'unanimité : « intérêt personnel distinct de l'intérêt général » est plus clair qu'« intérêt quelconque ».
M. René Garrec. - C'est mieux !
M. Bernard Saugey, rapporteur. - Trente condamnations pour 600 000 élus, c'est peu ? Sans doute mais il faut aussi compter les dizaines, les cinquantaines d'élus inquiétés chaque année.
M. Jean-Jacques Hyest. - Et placés en garde à vue !
M. Bernard Saugey, rapporteur. - Je pense à un maire qui a voté une subvention au club de football de sa commune, un club d'un bon niveau. Il a été mis en cause pour prise illégale d'intérêt parce qu'un de ses neveux y jouait. Bien sûr, l'affaire a tourné en eau de boudin. Mais on lui a gâché une année de sa vie.
L'Assemblée nationale a institué une charte de l'élu local. Nous l'avons réduite de moitié car elle est parfois superflue. Faut-il vraiment préciser que les élus locaux doivent respecter la loi ? Elle a réintégré le dispositif de majoration des indemnités.
Si certains des compléments apportés par les députés améliorent notre dispositif, votre commission des lois ne les a pas tous repris à son compte. Ainsi modifiée, cette proposition de loi confortera l'engagement des élus. (Applaudissements)
Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation . - Cette proposition de loi, qui règle des questions très concrètes, fait suite aux états généraux de la démocratie locale. Il y a bien, dans le code général des collectivités locales, les éléments constitutifs du statut d'un élu local, mais ils sont insuffisants. Cette proposition de loi répond aux attentes les plus importantes. Elle n'est pas exhaustive, même si elle traite du droit d'absence, du droit de suspension du contrat de travail, de l'indemnisation des maires des petites communes, de la formation des élus. Le spectre balayé est donc large. Nous souhaitons favoriser l'exercice des mandats locaux par les salariés du secteur privé, pour lesquels cet exercice est plus difficile que pour les fonctionnaires.
L'Assemblée nationale a procédé à plusieurs ajouts, dont l'institution d'une charte de l'élu local largement discutée au sein de notre commission des lois. Le rapporteur a fait un énorme travail pour tenter de concilier notre position avec celle de l'Assemblée nationale, afin de donner à cette proposition de loi toutes ses chances d'aboutir.
En 1982, alors que l'acte premier de la décentralisation prenait forme, Marcel Debarge présentait un rapport sur le statut de l'élu local et l'article premier de la loi du 2 mars 1982 a prévu que des lois déterminent le statut des élus.
M. Pierre-Yves Collombat. - Ce n'est toujours pas fait !
Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. - La loi du 3 février 1992 apporta aux élus des droits et des garanties de base. La présente proposition de loi s'inscrit dans cette ligne. L'extension de la protection sociale à l'ensemble des élus au 1er janvier 2013, progrès indiscutable, s'est faite sans véritable concertation, ce qui génère des difficultés de mise en oeuvre.
Sempiternel débat que celui entre bénévolat et professionnalisation des élus. MM. Dallier et Peyronnet y ont consacré un récent rapport, que la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales connait bien. Il est difficile de concilier la figure de l'élu compétent et disponible avec la nostalgie d'une époque où il n'était pas demandé de compétences particulières aux élus, tous issus du vivier homogène de notables locaux.
Le métier d'élu, précaire par essence, s'exerce différemment selon la taille des collectivités. Il ne peut donner lieu à la constitution d'une carrière. Pour autant, la nécessité d'une formation initiale pour l'exercer a été retenue. Ce n'est pas un milieu comme les autres : pas d'entretien d'embauche, pas de barrière académique, pas d'échelons à gravir chaque année.
Cette proposition de loi est une nouvelle étape dans la construction du statut de l'élu. Pour finir, une réflexion de Vladimir Jankélévitch, qui illustre le travail persévérant du législateur pour élaborer les droits et garanties des élus locaux : « l'entreprise humaine se développe dans une monde de facteurs occasionnels qui à la fois l'entrave et le favorise. L'homme est l'ingénieur des occasions ».
C'est dans cet esprit que nous vous présentons cette proposition de loi, qui constitue une nouvelle étape dans la construction du statut de l'élu local. Je souhaite que le Sénat l'adopte et qu'elle soit inscrite rapidement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale afin que ses dispositions puissent bénéficier à ceux qui seront aux élus lors des prochaines municipales. (Applaudissements)
M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois . - Le Sénat est attaché à ce texte. La commission des lois en a débattu pendant quatre heures dans l'espoir d'arriver à un accord avec l'Assemblée nationale et le Gouvernement. Nous comptons sur une deuxième lecture à l'Assemblée nationale et sur une CMP. Madame la ministre, nous vous demandons donc instamment de ne pas brusquer les choses ce soir.
Mme Nathalie Goulet . - Dexia, la banque des collectivités territoriales, a augmenté de 30 % le traitement de plusieurs de ses dirigeants, le faisant passer à 450 000 euros, tandis que son patron émarge à 600 000 euros. Cette banque a perdu plus de 15 milliards d'euros en trois ans et a été renflouée par la France et la Belgique pour 5,5 milliards en 2012. Elle est responsable des emprunts toxiques qui ont empoisonné nos collectivités territoriales. Elle a, en outre, réduit de 22 000 à 1 300 le nombre de ses salariés.
Un an après sa première lecture, revoici cette proposition de loi. Les mois de janvier sont propices aux élus locaux : sans remonter jusqu'au rapport Debarge de 1982, je rappelle que, le 18 janvier 2001, le Sénat a adopté un texte sur le statut de l'élu, qui n'a jamais été examiné par l'Assemblée nationale.
Le duo Gourault-Sueur a encore frappé ; il veut compléter notre accord juridique. Malgré tout le respect que j'ai pour lui, il ne s'agit que d'une rustine. On traite le problème de l'élu mais celui de la protection du candidat à l'élection n'est pas réglé. Je vous préviens que mon intervention est de mauvaise humeur.
Le président de la République nous a annoncé hier une recomposition des régions. Nous souhaitons davantage de cohérence. Faisons confiance à l'intelligence territoriale. L'Assemblée nationale vient de voter l'interdiction du cumul des mandats. D'ailleurs, l'intitulé du texte parle de « leur mandat », au singulier. De réforme en réforme, les élus sont démotivés. Les candidats aux élections municipales vont manquer car les règles se sont complexifiées.
Merci à Mme Gourault et à M. Sueur de cette rustine, qui ne règle en rien le problème. À continuer ainsi, les élections municipales verront une avalanche de votes Front national dont nous ne voulons pas.
M. Christian Favier . - Ce texte est une nouvelle étape dans l'égalité d'accès de tous aux fonctions électives. Le vote des étrangers non communautaires reste l'arlésienne de cette législature, toutefois. Il faut bâtir un véritable statut de l'élu. Faciliter l'exercice d'un mandat pour un salarié est bienvenu.
La proposition de loi encourage la formation des élus locaux. Pour que ce droit à la formation soit effectif, une mutualisation des dépenses de formation doit être envisagée.
Je salue la programmation de ce texte. Les députés ont apporté leur pierre à l'édifice. Il ne s'agit pas seulement des droits des élus, mais aussi de leurs devoirs. Dans ces circonstances, toute demande de vote bloqué serait très mal perçue. Cette réforme restaurera la confiance en nos institutions. Il faudrait aussi revoir les modes de scrutin et garantir aux collectivités territoriales des moyens de mener à bien leurs actions.
Vu l'usage actuel de l'article 40, seul un texte du Gouvernement peut remédier aux difficultés. Je vous engage donc, madame la ministre, à consacrer un temps parlementaire à ces sujets. Le groupe CRC votera ce texte. (Applaudissements à gauche)
M. Alain Anziani . - Le statut de l'élu peut être envisagé diversement. On peut vouloir, comme en 1982, le Grand Soir ou prendre en considération la diversité des situations individuelles. Nous devons nous opposer à la vision populiste selon laquelle les élus coûtent trop cher.
Ce texte comporte deux points sensibles, à commencer par la prise illégale d'intérêt. À cet égard, il existe trois solutions. On aurait pu en rester à la législation actuelle parce que nous savons où nous allons, que la jurisprudence est claire. Mais voilà que les députés ont renversé la table. Je ne vois que des inconvénients à la rédaction qu'ils ont choisie, elle créera de l'insécurité. Avec elle, la Cour de cassation devra, dans les dix prochaines années, définir ce qu'est l'objectivité ou, encore, l'indépendance. En attendant, des élus seront condamnés à Bordeaux quand d'autres ne le seront pas à Strasbourg.
Reste un troisième texte, celui du Sénat.
M. Bernard Saugey, rapporteur. - Adopté à l'unanimité.
M. Alain Anziani. - Par deux fois ! L'amendement de M. Collombat correspond aux attentes que les élus ont exprimées lors des états généraux. Le refuser, ce serait balayer d'un revers de main la contribution du Sénat.
Deuxième débat, la charte de l'élu local. J'ai un point de vue un peu différent de celui de mes collègues. Faut-il vraiment rappeler que les élus doivent respecter la loi ou se conformer aux règles budgétaires ? Merci à M. Saugey d'avoir récrit cette charte pour la raccourcir. En revanche, il faut une charte. L'Allemagne en a une, l'Assemblée nationale a un code de déontologie. Après tout, pourquoi ce qui serait bon pour les députés ne le serait-il pas pour les élus locaux ? Allons un peu loin : les avocats jurent qu'ils doivent exercer avec probité, et même humanité. Les architectes prêtent également serment.
M. René Garrec. - Et les médecins : le serment d'Esculape !
M. Alain Anziani. - Ma marotte : la formation. Les élus devraient-ils tout savoir sur tout parce que des électeurs leur ont fait confiance ? Non, il faut une obligation de formation. Enfin, le texte doit s'appliquer dès 2014. Que mes collègues de l'Assemblée nationale acceptent d'inscrire ces deux heures de débat dans leur ordre du jour certainement surchargé ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)