Loi de finances pour 2014 (Nouvelle lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 2014, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Discussion générale
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget . - Je vous épargnerai de longs développements sur le contenu du projet de loi que j'ai eu l'occasion de présenter à maintes reprises, pour insister sur trois points. D'abord, ce texte s'inscrit dans une trajectoire de diminution continue des déficits depuis l'alternance intervenue en mai 2012. Il matérialise, en outre, la volonté du Gouvernement d'inverser la courbe du chômage. Enfin, il soutient le pouvoir d'achat des ménages, vecteur de la croissance tout autant que le rétablissement de la compétitivité des entreprises.
Le retour à l'équilibre structurel est un objectif fort du quinquennat. Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, le dernier chiffre connu était celui de 2011. Le déficit nominal était alors de 5,3 % du PIB. Il a été ramené, grâce à la loi de finances rectificative pour 2012, à 4,8 %, et non à 4,5 % comme nous l'espérions car nous avons dû affecter un budget supplémentaire à notre contribution européenne et recapitaliser Dexia en raison des mesures exceptionnelles qui nous ont été imposées par la situation de la zone euro. En 2013, nous nous conformerons à l'objectif de 4,1 %, comme nous tiendrons celui de 3,6 % en 2014. Voilà la trajectoire dont nous serons comptables devant la représentation nationale. Sous le précédent quinquennat, les déficits nominaux n'avaient jamais été inférieurs à 5 %. Nos résultats encourageants, nous les devons à un effort structurel qui, en 2012, était déjà considéré comme substantiel par la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques. De 1,3 % en 2012, il est de 1,7 % en 2013 et sera de 0,9 % en 2014.
C'est possible grâce à la maîtrise de la dépense. La dépense publique a crû de 2,3 % entre 2002 et 2007, de 1,7 % entre 2007 et 2012. Depuis 2012, elle ne progresse plus que de 0,4 %. Elle a augmenté de 170 milliards entre 2007 et 2012 ; certes, il y a eu la crise, mais la Cour des comptes considère que deux tiers de cette hausse ne lui sont pas imputables.
Nous nous proposons pour 2014 d'économiser 15 milliards d'euros sur les dépenses. D'aucuns trouvent cela insuffisant ; allez comprendre, ce sont pourtant ceux-là mêmes qui ont accru les déficits passés. Quand la RGPP a fait économiser 10 milliards en trois ans, c'était merveilleux ; quand nous réalisons 15 milliards d'économie en un an, ce serait du relâchement ! D'autres, ou les mêmes, arguent que ce chiffre serait virtuel car il se rapporte à une évolution tendancielle de la dépense ; si l'argument valait, la Commission européenne n'aurait pas donné son satisfecit. Elle compare tous les États membres à l'aune des mêmes outils statistiques.
Ces économies sont réelles ; elles se décomposent en 9 milliards sur l'État et 6 milliards sur la sphère sociale. Nous modernisons l'action publique après évaluation et non par coups de rabot. La dématérialisation des procédures fiscales rapportera 150 millions d'euros, le réaménagement des relations entre l'État et le Stade de France 15 millions d'euros. Autre mesure, le plafonnement des taxes affectées aux opérations de l'État. Le budget des opérateurs de l'État baisse de 4 % ; leurs effectifs diminuent, qui n'avaient cessé d'augmenter, de 1 250 ETP. Nous rationalisons notre politique de participation et révisons en profondeur nos aides aux entreprises. La loi de finances initiale pour 2014 reprend 50 % des préconisations de la MAP.
Les 6 milliards sur la sphère sociale résultent d'une meilleure maîtrise des dépenses d'assurance maladie : 650 millions seront économisés l'année prochaine grâce à la modernisation des procédures, 3 milliards sur l'Ondam. Les négociations avec les régimes complémentaires Agirc et Arrco permettront d'économiser plusieurs milliards d'euros. À quoi s'ajoute la réforme des retraites.
Ce budget est aussi celui de l'inversion de la courbe du chômage. Il accompagne la création de 340 000 emplois aidés, 250 000 contrats d'avenir, 200 000 contrats de génération, pour un total de 3 milliards d'euros, à destination des exclus du marché du travail. L'inversion de la courbe du chômage l'exige. Le CICE montera en puissance, pour 10 milliards. Si l'on neutralise l'effet de la lutte contre la fraude fiscale, l'allégement des prélèvements sur les entreprises atteint 2 milliards d'euros. Comment ne pas évoquer la réforme des plus-values de valeurs mobilière ? Celle du régime des jeunes entreprises innovantes, qui sont soutenues avec la dégressivité des cotisations sociales ? Comment ne pas citer l'aide aux entreprises qui investissent dans la robotisation avec le dispositif sur les amortissements ? Nous favorisons, en outre, la relance de la construction de logements.
Le pouvoir d'achat des ménages n'est pas oublié. Les dispositifs, injustes, qui ont fait entrer certains Français dans le barème de l'impôt sur le revenu, ont été corrigés avec la réindexation du barème, pour près de 800 millions d'euros. Mieux que cela : nous instaurons une décote, augmentons le RSA au-delà de l'inflation, étendons les tarifs sociaux de l'énergie, augmentons de 55 000 le nombre de bourses étudiantes.
Et tout cela, parce que la croissance ne résultera pas seulement de la compétitivité retrouvée de nos entreprises, mais aussi de la justice fiscale.
Les débats ont été riches au Sénat mais funestes pour l'équilibre de nos comptes puisque les amendements ici adoptés ont dégradé le solde de plus de 10 milliards d'euros.
Mme Michèle André. - 10,5 milliards !
M. Jean-Claude Lenoir. - Vous n'avez pas de majorité, voilà le problème !
Mme Michèle André. - Vous n'avez pas les milliards !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - Cela m'a vivement préoccupé. Dans la conjoncture actuelle, nous devrions plutôt nous unir.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Cela suppose que le Gouvernement respecte l'opposition !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - Bref, des mesures d'économies ont été remises en cause, sur le minimum vieillesse, la dématérialisation, le dispositif d'incitation à la rénovation thermique... pour un total de 300 millions ! Le Gouvernement avait pris soin de compenser les charges nouvelles par des économies en dépenses, un effort auquel chaque ministère participe.
Je fais le voeu que notre débat soit aussi riche aujourd'hui, et vous redis la pleine disponibilité du Gouvernement pour rendre des comptes au Parlement aussi souvent que nécessaire. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances . - La CMP a échoué.
M. Philippe Marini. - Brièvement.
M. François Marc, rapporteur général. - Le Sénat ayant rejeté le projet de loi, c'est sur son texte de première lecture que l'Assemblée nationale a statué en nouvelle lecture. Elle l'a davantage amendé qu'elle n'avait fait l'an dernier, et de manière plus substantielle.
Les recettes ont été revues à la baisse, conformément au projet de loi de finances rectificative pour 2013.
Dix amendements adoptés par le Sénat ont été repris, mais non les articles additionnels, dont certains ont été introduits dans le projet de loi de finances rectificative, comme celui relatif à la taxe Assouline sur les fréquences hertziennes.
À ce stade de la procédure, l'ensemble du texte reste en discussion. Lors de la dernière lecture du texte par l'Assemblée nationale, les seuls amendements recevables par les députés seront ceux adoptés par le Sénat en nouvelle lecture, à condition qu'il adopte le texte lui-même. Bref, nous ne sommes guère en mesure de faire évoluer le texte cette fois-ci, aucune majorité ne semblant se dégager pour voter ce budget.
M. Philippe Marini. - C'est vraisemblable...
M. François Marc, rapporteur général. - Je n'appellerai donc à aucun combat d'arrière-garde.
J'en viens aux modifications opérées par l'Assemblée nationale sur son texte, en commençant par la reprise d'apports du Sénat. Le taux intermédiaire s'appliquera aux engrais d'origine organique, c'est l'article 7 quater. À l'article 13, relatif à la réforme de la défiscalisation outre-mer, l'Assemblée nationale a adopté deux amendements conformes aux voeux de nos collègues Doligé et Mohamed Soilihi. À l'article 19, comme l'avait proposé la commission des finances, l'Assemblée a prévu que les constructions de logements situées à plus de 300 mètres et à moins de 500 mètres de la zone Anru, dont la demande de permis de construire a été déposée avant le 1er janvier 2014, pourront bénéficier d'un taux de TVA à 7 %.
M. Philippe Dallier. - La belle affaire !
M. François Marc, rapporteur général. - La date est certes rapprochée ; c'est que cela concerne surtout des dossiers en cours.
Le taux réduit de TVA sera appliqué à la fourniture de nourriture et d'hébergement par les logements-foyers, les foyers de jeunes travailleurs et les centres d'hébergement d'urgence.
Outre la reprise de certaines de nos propositions, l'Assemblée nationale a adopté 175 amendements, qui prévoient d'appliquer le taux réduit de TVA aux travaux induits par les travaux de rénovation énergétique, de renforcer les incitations à la reconstitution de titres de propriété immobilière, de rendre possible une défiscalisation pour les opérations de logement social, sans limite de chiffre d'affaires. Elle a étendu le crédit d'impôt sur les investissements productifs aux opérations portant sur le logement intermédiaire ; elle a maintenu l'abattement exceptionnel d'imposition des plus-values immobilières pour les opérations de démolition suivie de reconstruction de locaux destinés à l'habitation et réalisées dans les zones tendues, jusqu'au 31 décembre 2014, et jusqu'au 31 décembre 2016 si une promesse de vente a été signée avant le 1er janvier 2015 ; elle a fait en sorte que les PME et PMI grandes consommatrices d'énergie puissent bénéficier du maintien des tarifs actuels de taxe intérieure de consommation.
En seconde partie, de nombreuses modifications concernent les crédits : majoration des plafonds d'autorisation d'emploi du ministère du logement en raison de la création d'un commissariat général à l'égalité des territoires ; réattribution des restes à charge du second fonds départemental de péréquation des DMTO ; montant de la dotation de développement urbain porté à 100 millions d'euros ; suppression de l'article 74 bis.
Certains amendements relatifs aux collectivités territoriales reprennent ceux de Jean Germain et Pierre Jarlier, qui n'ont pu être débattus ici - la voix du Sénat a été entendue.
Au total, la nouvelle lecture du projet de loi à l'Assemblée nationale améliore le solde budgétaire de l'État de 10 millions d'euros. Conformément aux dispositions du projet de loi de finances rectificative, les recettes fiscales ont été minorées de 436 millions d'euros, les recettes non fiscales majorées de 17 millions, les dépenses à destination des collectivités territoriales réduites de 147 millions du fait de l'élargissement des mécanismes de péréquation et le prélèvement au profit de l'Union européenne majoré de 80 millions.
Le solde des comptes spéciaux a été amélioré de 60 millions. Les dépenses du budget général de l'État ont été réduites de 300 millions d'euros, ces économies étant réparties sur l'ensemble des ministères. Pour finir, le montant de l'amortissement de la dette s'est réduit d'un milliard d'euros, pour tenir compte du rachat de titres arrivant à échéance cet automne.
Je vous propose, en conséquence, d'adopter sans modification le projet de loi de finances pour 2014. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Christian Bourquin . - À nouveau, nous serons privés de l'examen de la seconde partie du budget. N'est-il pas regrettable pour notre République que la Haute Assemblée ne puisse se prononcer sur les choix budgétaires les plus importants de la Nation ?
Ce budget est certes loin d'être satisfaisant. Mais il est de notre rôle de discuter de la répartition de la DGF ou de la péréquation. Je suis frustré de n'être pas associé aux moyens de restaurer la compétitivité de nos entreprises.
La France doit tenir le cap de rééquilibrage des finances publiques. J'ai été attentif aux remarques positives de la Commission européenne. Mais la baisse des recettes fiscales et les perspectives de l'emploi m'inquiètent. Plus encore, l'accroissement de la pression fiscale risque de handicaper la reprise, et l'emploi n'est pas suffisamment soutenu.
Les mesures relatives aux collectivités territoriales, modifiées par l'Assemblée nationale, ne nous conviennent pas du tout. Le nouveau fonds de péréquation des DMTO verra ses ressources réparties d'une manière excessivement complexe. L'objectif de justice fiscale passe par une meilleure lisibilité de notre système de prélèvement.
M. Philippe Marini. - Certes !
M. Christian Bourquin. - Toutefois, en cohérence avec notre position en première lecture, nous soutiendrons ce texte malgré toutes ses imperfections. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
M. Philippe Dallier . - Après le rejet du texte par le Sénat et l'échec de la CMP, le budget pour 2014 nous revient, frappé des mêmes défauts : insincérité, iniquité, inefficacité. (Vives protestations sur les bancs socialistes)
L'action du Gouvernement est confuse depuis 2012. La pause fiscale est devenue ralentissement de la hausse, puis un big bang fiscal, finalement reporté sine die... Le consentement à l'impôt est gravement remis en cause, donc la confiance des Français.
L'hypothèse de croissance a été revue : de 1,2 % à 0,9 % ; quant au déficit, il atteindra 71,9 milliards en 2013 et non 61,6 milliards comme le prévoyait la loi de finances initiale. Heureusement que les taux d'intérêt sont historiquement bas ! À 43,6 % du PIB, le taux de prélèvements obligatoires bat un record, minant le consentement à l'impôt qui est un principe consubstantiel au vivre ensemble. L'impôt est estimé confiscatoire, d'autant que son produit sert des fins démagogiques. Le président de notre commission des finances, M. Marini, l'a dit. De même que le rapporteur général de l'Assemblée nationale, M. Carrez, pour lequel « les moins-values fiscales sont très préoccupantes dans un contexte mondial plutôt favorable et dénotent un comportement réfractaire à l'impôt ». Matraquage fiscal, moindre croissance, à vous de trouver la solution à cette équation : 3,1 milliards de moindres recettes sur l'impôt sur le revenu, 5,6 sur la TVA, 3,8 milliards sur l'impôt sur les sociétés... Les conséquences sont patentes. De plus, les effets du CICE sont gravement sous-estimés.
Les efforts en dépenses sont réels mais bien tardifs.
M. Jacques Chiron. - Qu'avez-vous fait pendant dix ans ?
M. Philippe Dallier. - Nous battons le record de dépense publique rapportée au PIB. Vous avez accumulé les dépenses nouvelles : CICE, pour 9,7 milliards en 2014 et plus de 20 milliards par an après 2016 ; emplois d'avenir, pour 3,45 milliards par an ; retraite à 60 ans pour 3 milliards en 2017 ; nouveaux postes dans l'éducation nationale pour 1,9 milliard par an ; revalorisation du smic, RSA jeune - 600 millions d'euros ; allocation de rentrée scolaire ; suppression du jour de carence, aide médicale d'État, compte pénibilité... Sans parler de la réforme des rythmes scolaires, supportée par les collectivités territoriales !
Les verrous qui tenaient les dépenses publiques ont été supprimés, ainsi en matière de dépenses d'assurance maladie. De même pour le retour sur la politique de non-remplacement d'un départ en retraite sur deux dans la fonction publique.
Le matraquage fiscal ne peut que susciter un ras-le-bol fiscal, et freiner la croissance. Le groupe UMP votera contre ce projet de loi de finances pour 2014.
M. Vincent Delahaye . - Nous avons beaucoup débattu de la loi de finances et de la loi de finances rectificative. Je reprendrai le plan du ministre, mais en faisant entendre une autre musique.
La trajectoire de rééquilibrage des comptes est un préalable, vous avez raison. Mais les pourcentages ne disent pas grand-chose. Dans cette loi de finances, on nous présente un déficit à 82 milliards, avec 12 milliards d'investissements d'avenir. Pour nous, si l'on tient compte du CICE, le déficit s'approche des 120 milliards. (Protestations à gauche) La diminution du déficit n'est pas là.
De même pour la dette ; elle avait progressé de 500 milliards sous le précédent quinquennat, passant de 1 717 à 1 954 milliards d'euros. Elle a crû de 240 milliards en dix-huit mois seulement !
Tout cela, parce que l'effort d'économie n'est pas suffisamment soutenu. Exemple, on budgète 60 millions pour la réforme des rythmes scolaires quand elle coûtera 250 millions sur l'année. Même chose pour la Garantie universelle des loyers (GUL) qui est en train d'être votée à l'Assemblée nationale : elle représente une dépense non financée. L'inversion de la courbe du chômage ? Il est trop tôt pour le dire. Vous donnez 20 milliards aux entreprises avec le CICE, mais vous leur avez prélevé 30 milliards. Quand on leur retire 10 milliards, ce n'est pas un cadeau !
Le soutien du pouvoir d'achat ? Les salaires ont progressé l'an dernier de 1,6 %, la baisse du pouvoir d'achat ne peut donc que procéder de la pression fiscale. Le Premier ministre a parlé de remise à plat fiscale avant que le président de la République ne l'enterre en la remisant à cinq ou dix ans...
En conclusion, monsieur le ministre, nos débats ont peut-être été riches et nourris. Pour ma part, je suis déçu du résultat : sur les 70 amendements que nous avons adoptés, 10 seulement ont été repris par l'Assemblée nationale.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. - 10 amendements, 10 milliards d'euros !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Ne caricaturez pas, monsieur le ministre !
M. Vincent Delahaye. - Le Sénat est en danger.
M. François Marc, rapporteur général. - Ce n'est pas la faute au Gouvernement !
M. Vincent Delahaye. - Il n'y a pas de majorité et notre voix n'est pas entendue. Pour le Gouvernement, la discussion au Sénat s'apparente plutôt à un mauvais moment à passer qu'à un temps pour enrichir la discussion.
Un bon élu est celui qui accorde ses discours et ses actes. J'attends des économies de dépenses réelles, des réformes structurelles, une vraie pause fiscale. Rien de tout cela dans ce texte, le groupe UDI-UC ne pourra donc pas le voter. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Très clair et très argumenté !
M. Jean-Vincent Placé . - J'ai dit, en première lecture, les raisons de l'abstention du groupe écologiste sur ce texte. Tournons-nous donc plutôt vers l'avenir, la préparation du prochain budget, qui nous oblige à relever plusieurs défis. D'abord la fronde fiscale, dont je ne retracerai pas la genèse.
Le consentement à l'impôt est un ciment du pacte républicain, sa contestation, en ces temps de poussée de l'extrême droite, est inquiétante.
M. Philippe Dallier. - Parlez-en à M. Mélenchon...
M. Jean-Vincent Placé. - Il faut rappeler que l'impôt n'est pas confiscation, mais mutualisation, que le service public n'est pas un poids mort qui pèse sur la richesse produite par le seul secteur privé. Il faut cesser de comparer notre niveau de prélèvements obligatoires avec ceux de pays où la protection sociale n'est pas la même. Il faut poser sans tabou la question de la justice fiscale : la remise à plat annoncée par le Premier ministre est une excellente nouvelle. Ce sera l'occasion de rapprocher fiscalité du travail et du capital, de rendre la CSG progressive, de même que l'impôt sur le revenu, de limiter le recours à la TVA, de limiter le transfert de charge des entreprises vers les ménages, autant d'engagements de campagne de François Hollande...
M. Philippe Bas. - Il faut faire tout le contraire !
M. Jean-Vincent Placé. - ... et la nécessaire lutte contre la fraude fiscale. En cette dernière matière, les efforts déterminants du Gouvernement sont à saluer, amplifions-les.
Au-delà de la question du consentement à l'impôt, travaillons à la réduction de la facture énergétique : à 70 millions, elle est équivalente au déficit de la balance commerciale et au déficit budgétaire. On est loin du mythe de l'autonomie énergétique ! La France, comme tant de ménages, est en situation de précarité énergétique, elle ne peut plus payer. Fixons l'énergie à son juste prix, plutôt que d'importer des énergies fossiles et investissons dans les énergies renouvelables, qui représentent 380 000 emplois en Allemagne. Nous serons très attentifs à la future loi sur la transition écologique.
En vérité, et j'en ai parlé hier avec le président de la République, (marques d'étonnement amusé à droite), la discussion budgétaire devrait être préparée beaucoup plus en amont avec les groupes politiques. Il n'est pas normal que nous découvrions les plafonds budgétaires dans les lettres de cadrage, en juillet ! Le parlement doit pouvoir jouer tout son rôle.
M. le président. - Veuillez conclure !
M. Jean-Vincent Placé. - Le groupe écologiste s'abstiendra avec l'espoir que la gouvernance au sein de la majorité progresse.
Mme Michèle André . - Ce budget, résolument de gauche, s'attache à retrouver le chemin de la croissance et de l'emploi. Rappelons que la dette a gonflé de 860 milliards d'euros entre 2001 et 2013 et le déficit a plus que doublé durant la même période.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Écoutez ce qu'a dit M. Delahaye !
Mme Michèle André. - Grâce à la gestion lucide du Gouvernement Ayrault, le déficit a été ramené de 5,2 % du PIB en 2011 à 4,1 % en 2013 pour arriver à 3,6 % en 2014. Grâce à la réindexation du barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation, la décote et la hausse du revenu fiscal de référence, 7,2 millions de foyers paieront moins d'impôts et 300 000 foyers resteront non imposables.
La hausse des prélèvements obligatoires est de 0,15 % du PIB, dont 0,1 % au titre de la lutte contre la fraude fiscale : la hausse des prélèvements n'est donc que de 0,05 %.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste vous invite à voter sans réserve ce budget pour 2014. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Colette Giudicelli . - Suppression de l'exonération sur la couverture complémentaire santé des salariés, hausse du revenu fiscal de référence et hausse de TVA appliquée sans discernement grèveront le pouvoir d'achat des ménages. Au reste, le Stif, présidé par M. Huchon, a décidé de ne pas répercuter cette hausse de TVA. Sans parler des incohérences de votre politique énergétique, de la baisse des dotations aux collectivités locales : 79 % des Français, selon un sondage d'octobre dernier, désapprouvent votre politique fiscale et 78 % l'estiment en contradiction avec les engagements de campagne du président de la République. Le groupe UMP s'opposera à ce texte défavorable au pouvoir d'achat des Français. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances . - L'aspect inhabituel de la discussion parlementaire lors de notre séance de nuit de vendredi dernier m'a empêché d'adresser, comme il se doit, mes remerciements à tous ceux qui, parfois ardents, participent à cet exercice parfois ingrat et aride du débat budgétaire, aux services de la séance et, bien sûr, aux membres du Gouvernement, bien que nos opinions divergent.
Cela étant dit, je ne peux pas me satisfaire de ce texte. Encore moins que l'an dernier, aucune majorité ne se retrouve pour le voter. Faut-il s'en indigner ? Non pas. C'est un fait, c'est une réalité politique.
Monsieur le ministre, vous avez beau jeu de nous reprocher des amendements dégradant le solde budgétaire. Ne nous culpabilisez pas ! Comme l'a si bien dit M. Dallier, nous aurions fait d'autres choix que les vôtres, qui auraient été autant d'économies. Mettre l'accent comme vous le faites sur le solde qui se dégage de quelques additions comptables est quelque peu fallacieux. Vous nous vouez aux gémonies et à l'ombre pour la singulière raison que nous ne partageons pas votre raisonnement... Acceptez que l'opposition s'oppose et existe ! Il y a d'autres façons de raisonner que celle du Gouvernement et du parti socialiste.
Peut-être allons-nous aborder la deuxième partie, peut-être abrégerons-nous la discussion. Pour ma part, je considère qu'il vaut mieux renvoyer d'emblée cette mauvaise copie à l'Assemblée nationale et vous laisser, monsieur le ministre, régler en cette fin d'année les derniers dossiers qui requièrent beaucoup d'assiduité à votre bureau. Le début de l'année 2014 sera difficile, nous verrons comment se réalisent vos prédictions tant en recettes qu'en dépenses. Vous êtes à la manoeuvre, aux responsabilités ; souffrez que nous nous avisions d'apprécier vos mérites, qui sont très relatifs.
La discussion générale est close.
M. le président. - Je vais suspendre la séance afin que la commission des finances examine la motion n°I-7 déposée par Mme Beaufils.
La séance, suspendue à 16 heures, reprend à 16 h 15.
Question préalable
M. le président. - Motion n°I-7, présentée par Mme Beaufils et les membres du groupe CRC.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, de finances pour 2014 (n° 229, 2013-2014).
Mme Marie-France Beaufils . - Ce texte ressemble singulièrement à celui du 21 novembre dernier, si ce n'est quelques ajustements de 10 millions sur 356 milliards d'euros. Tout s'est passé comme si, de seconde délibération en vote bloqué, le Gouvernement n'avait pas voulu discuter avec le Sénat à partir du moment où un groupe de la majorité lui faisait prétendument défaut. Le même scénario s'était produit pour la loi transposant l'ANI. Certes, ce texte rétablit les comptes publics mais dans des limites qui sont celles de la croissance. Elle est faible : 0,1 % cette année ; 0,9 % en principe l'an prochain.
La question du statut de cette loi de finances se pose car le collectif prévoit déjà la hausse programmée de la TVA et une remise à plat fiscale a déjà été annoncée. Nous y travaillons depuis longtemps et y participerons activement. Contrairement à M. Dallier, l'impôt ne nous semble pas confiscatoire : ce projet de loi réserve 100 000 euros d'allégements à 7 000 foyers redevables de l'ISF. Marions justice du prélèvement et réponses aux besoins sociaux. La fiscalité est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls fiscalistes, il est temps que le peuple, dans sa grande sagesse, s'en mêle. Comme le disait René Char, « l'homme est capable de faire ce qu'il n'est pas capable d'imaginer ». Réforme des plus-values mobilières, du quotient familial, cadeaux aux entreprises et amputation du pouvoir d'achat des ménages, voilà le résumé peu satisfaisant de ce texte qui ne porte pas l'espoir soulevé en mai 2012. C'est le moins qu'on puisse dire.
1 400 emplois publics disparaîtront en 2014. Après quoi, des centaines de milliers d'emplois suivront. Demain, parce que nous aurons fait ces choix, nos hôpitaux et nos transports publics ne répondront pas aux besoins, de même que les services fiscaux ne pourront pas lutter contre la fraude fiscale qui mine le consentement à l'impôt.
Non, ce texte n'est pas un budget de gauche ; il est un exercice comptable pris sous les diktats de la Commission européenne alors que le projet européen, à considérer la crise espagnole et grecque et le chômage, se perd dans les sables mouvants de la méfiance, voire dans ceux de la xénophobie ; il ne rassemble plus la jeunesse. L'élection de Mme Merkel, à laquelle le SPD se réjouit d'arracher un smic inférieur au nôtre, nous interdit d'espérer une mutualisation des dettes souveraines, que d'aucuns nous présentaient comme la panacée à la crise.
Nous l'avons souvent dit à l'occasion de l'examen des textes financiers : réduire la dépense publique, c'est réduire la croissance. Amputer les ressources des collectivités territoriales d'1,5 milliard aura des conséquences lourdes pour les habitants de nos communes et l'emploi.
Pour toutes ces raisons, nous opposons la question préalable à l'examen en nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2014. (Applaudissements sur les bancs CRC)
Mme Michèle André . - Pour la majorité des présents, rien ne servirait d'ouvrir la discussion tant nos désaccords sont insolubles. Le rejet de la première partie du texte en première lecture a fait obstacle au bon déroulement des débats. Les prolonger n'apporterait rien de concret dès lors que le texte serait rejeté - M. Marc l'a bien expliqué. L'Assemblée nationale ne pourrait de toute façon reprendre nos propositions...
Mais une question préalable porte un message par son objet même. L'année dernière, nous avions déposé une motion qui ne signifiait pas condamnation du Gouvernement ; elle tirait les conséquences de l'absence d'accord dans l'hémicycle qui rendait vain un nouveau débat. C'était une manière de nous prémunir contre les artifices de l'opposition. Le Conseil constitutionnel n'avait rien trouvé à y redire, notant que, face à un tel blocage, elle ne relevait pas d'un usage manifestement excessif de la procédure. À l'inverse, la présente question préalable n'est pas un constat technique mais politique.
Prenant acte de l'appariement de minorités contradictoires, l'une, dont nous avons pu apprécier les qualités de gestionnaires et l'autre, qui se contente de postures, toutes deux bien en peine de proposer un texte commun, considérant l'absence de majorité positive au sein de notre assemblée...
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Cela viendra !
Mme Michèle André. - ... et parce que nous soutenons le Gouvernement et déplorons de ne pouvoir peser davantage sur ce texte, nous voterons contre cette question préalable.
M. François Marc, rapporteur général . - Le dépôt d'une question préalable est un moment grave pour notre assemblée. Je ne partage pas les motifs qui sous-tendent celle déposée sur le projet de loi de finances 2014 par le groupe CRC, c'est-à-dire une contestation radicale de la politique fiscale et budgétaire du Gouvernement. Je vous propose donc d'émettre un avis défavorable à cette motion. La commission, faute de majorité, n'a pas donné un tel avis.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué . - Avis défavorable du Gouvernement.
M. Philippe Dallier . - Suspense. Le groupe UMP votera-t-il, oui ou non, cette motion ? La réponse est oui.
Le groupe CRC déplore l'incapacité de la majorité de gauche à trouver des compromis : ce n'est, bien sûr, pas notre affaire.
Le respect du Parlement ? Le Gouvernement a utilisé des procédures qui figurent dans notre Constitution, une Constitution qui donne à l'exécutif les moyens de gouverner et c'est tant mieux. Sur la contestation des choix budgétaires et fiscaux du Gouvernement, nous pouvons rejoindre le groupe CRC, sauf sur l'austérité : la France, contrairement à certains de ses voisins, n'en est pas là. Nous déplorons l'absence d'efforts supplémentaires en matière de dépense publique.
Nous pourrions débattre des heures encore, aucune majorité positive ne se dessinerait. Abrégeons les souffrances du rapporteur général, qui a du mal à accepter l'absence de majorité au Sénat... Il n'y a pas de majorité, c'est vrai ; mais ce n'est pas la faute de l'opposition...
M. Vincent Delahaye . - Prolonger davantage nos débats, que le ministre a jugés « riches et intéressants », n'aurait aucun sens. Le Gouvernement a tiré peu de cette richesse... Nous voterons la question préalable, sans en partager évidemment toutes les motivations. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC et UMP)
M. Jacques Mézard . - Dix-huit des dix-neuf membres du groupe RDSE voteront contre cette motion. La question est claire : soutient-on, oui ou non, le Gouvernement ? Le vote du budget est un acte clé de la vie politique ; si on ne le vote pas, il faut en tirer les conséquences...
Si nous ne sommes pas toujours d'accord avec les choix de l'exécutif, nous saluons ses efforts et sommes convaincus de l'impératif de redresser nos comptes publics. Prenons garde néanmoins à l'impact négatif qu'une telle politique budgétaire pourrait avoir sur la croissance. L'équilibre est difficile à trouver - pour tout gouvernement. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)
Mme Marie-France Beaufils . - Nous ne sommes pas que dans l'opposition. Nous avons proposé des solutions alternatives et appelons de nos voeux une véritable réflexion sur l'impact récessif des politiques menées jusqu'à présent.
La motion n°I-7 est mise aux voix par scrutin public de droit.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin n°108 :
Nombre de votants | 334 |
Nombre de suffrages exprimés | 334 |
Pour l'adoption | 189 |
Contre | 145 |
Le Sénat a adopté.
M. le président. - En conséquence, le projet de loi de finances pour 2014 n'est pas adopté.