Accueil et habitat des gens du voyage
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi visant à renforcer les sanctions prévues dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et l'habitat des gens du voyage.
Discussion générale
M. Pierre Hérisson, auteur de la proposition de loi . - Manifestement, cette proposition de loi n'attire pas les foules dans l'hémicycle...
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Elles arrivent...
M. Pierre Hérisson, auteur de la proposition de loi. - L'objet de ce texte ne traite pas de la problématique générale des personnes vivant de manière itinérante dans notre pays, une question dont j'ai eu à connaître comme parlementaire en mission à deux reprises, en 2005 et en 2011. Il n'est pas contradictoire avec l'autre proposition de loi, plus globale, que j'ai déposée en 2012.
Je veux commencer par tordre le cou à certains amalgames sur ce sujet important qui a pour fondation la loi Besson du 5 juillet 2000 que M Delevoye et moi-même avons rapportée respectivement pour la commission des lois et celle des affaires économiques. Elle n'a pas de visée électoraliste, ou alors il faudrait faire peser les mêmes soupçons sur la loi Besson, adoptée quelques mois avant les élections municipales de 2011, ou le report de la proposition de loi Raimbourg à mai 2014.
M. Antoine Lefèvre. - Il fallait le dire !
M. Pierre Hérisson, auteur de la proposition de loi. - Parlementaire en mission par deux fois, président de la Commission nationale consultative des gens du voyage, représentant de la France à la commission « Roms » du Conseil de l'Europe, je réclame, comme beaucoup, l'abrogation de la loi de 1969. Le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, a abrogé certaines de ses dispositions relatives au carnet de circulation ; je n'y reviens pas.
Oui, tordons donc le cou à certains amalgames. Les Roms sont une minorité ethnique, originaire pour l'essentiel de certains pays d'Europe de l'est ; ils sont soumis à un régime transitoire de circulation amené à prendre fin le 31 décembre 2013. Nous sommes nombreux, avec le ministre des affaires européennes, à souhaiter une extension de ce régime tant que ces pays sont dans l'incapacité de faire respecter les nouvelles frontières de l'Union. La proposition de loi ne concerne pas ces populations ; elle traite des gens du voyage, qui sont Français. Notre débat est donc franco-français.
La loi du 5 juillet 2000 fait obligation aux communes de réaliser des aires d'accueil et de stationnement sur des terrains aménagés à cet effet, dans le cadre d'un schéma élaboré au niveau départemental ; s'y ajoutent des dispositions relatives aux terrains familiaux et au logement social. Près de 400 000 personnes au total sont concernées, dont la moitié de sédentaires. Mon texte entend envoyer un signal aux 500 000 élus locaux de toutes tendances, à la suite des difficultés rencontrées à l'été 2013.
C'est un ministre de la République qui a signé en 2004 la recommandation du Conseil de l'Europe qui fait de la caravane un logement - dont la transposition est encore incertaine.
Cette proposition de loi ne traite pas des grands rassemblements - nous avons constaté à Nevoy, qui accueille la grande manifestation évangélique des gens du voyage, que les règles sont claires : la responsabilité est celle de l'État et il fait son travail ; les choses se passent bien. En revanche, les 40 000 aires d'accueil prévues n'ont pas été réalisées - nous en sommes à 25 000. Certains proposent de panacher terrains familiaux et aires d'accueil aménagées pour pouvoir répondre à la demande.
Les grands passages ont pour l'essentiel une origine cultuelle. Les règles, là encore, sont claires. Pourquoi dès lors, a-t-on rencontré autant de difficultés à l'été 2013, même dans les départements qui ont un schéma et un préfet efficace ? Tous ne sont pas concernés de la même façon.
Il faut envoyer un signal aux maires. Cette proposition de loi a un objet précis, bien délimité ; elle est par définition déséquilibrée.... Elle aggrave les sanctions contre ceux qui ne respectent rien, qui détruisent des terrains de sport, cassent les portails... La délinquance progresse et parmi les gens du voyage, comme dans toute population, il y a des gens respectueux de la loi et des gens qui le sont moins. Une relation de confiance doit s'établir avec les représentants des gens du voyage, je les ai invités à la Commission nationale consultative des gens du voyage. Même s'il faut toujours se faire pardonner les services qu'on rend...
Je plaide pour l'adoption de ce texte dans sa version initiale. L'article premier n'est qu'un signal, mais un signal important pour les maires. Je suis surpris, monsieur le président de la commission des lois, que l'intitulé du texte ait été modifié, ce n'est pas la tradition au Sénat. Mais vous avez sûrement de bonnes raisons de procéder ainsi...
Oui, j'ai de la suite dans les idées. Cette proposition de loi traite un sujet d'urgence ; elle s'inscrit dans la même logique que la proposition de loi Raimbourg, qui s'inspire de ma proposition de loi de 2012 et surtout de mon dernier rapport que j'avais intitulé Pour un statut proche du droit commun.
Mme Esther Benbassa. - Oui, il faut le droit commun !
M. Pierre Hérisson. - La très grande majorité des 36 700 maires et 500 000 élus locaux attendent ce texte, non à l'approche des élections, mais de la prochaine saison touristique. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Claude Carle. - Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - La commune de Nevoy reçoit chaque année au printemps le grand rassemblement organisé par l'association « Vie et lumière ». Son maire, comme les élus du Génois et les autorités préfectorales, font tout pour qu'il se déroule au mieux. Le problème, c'est qu'il est difficile d'organiser le même rassemblement deux mois plus tard, au coeur de l'été, au même endroit... Un nouveau terrain avait donc été demandé pour le pèlerinage estival. On en a trouvé un une fois, pas cette année. « Vie et lumière » souhaite que son deuxième pèlerinage se déroule ailleurs... C'est pourquoi j'ai sollicité un rendez-vous avec le ministre de l'intérieur, qui nous recevra prochainement. Accueillir des manifestions de cette ampleur, qui ont droit de cité en France, suppose une grande préparation. Il est toujours mieux d'anticiper.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur de la commission des lois . - Votre proposition de loi avait pour titre initial : Renforcer les sanctions prévues dans la loi relative à l'accueil et l'habitat des gens du voyage. La commission a essayé d'en rééquilibrer le contenu...
Le sujet est sensible et ne peut être traité dans la précipitation. Le statut des gens du voyage est toujours discriminatoire, en dépit de l'abrogation partielle de la loi de 1969 par le Conseil constitutionnel à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité en 2012. On ne peut se poser la question du respect de la loi sans évoquer les obligations des communes ; or seules 16 000 aires d'accueil sont réalisées à ce jour.
Quel statut pour les Français itinérants ? Et comment faire respecter la loi par les gens du voyage et par les communes ? Voilà les deux questions à traiter. Vous n'évoquez qu'un sujet, votre texte est déséquilibré. Vous l'avez d'ailleurs reconnu. J'espère que notre débat abordera toutes les questions.
Bohémiens, saltimbanques, gens du voyage. Les dénominations ont changé ; la loi de 1912, qui instaure les carnets anthropométriques, les nomme « nomades » et on sait à quoi ont servi ces carnets entre 1940 et 1945... La loi de 1969 les a remplacés par des carnets de circulation et créé un statut dérogatoire pour les gens du voyage : ainsi, le droit de vote leur est retiré lorsqu'ils ne peuvent justifier d'un rattachement à une commune durant trois ans. Des Français entièrement à part et non des Français à part entière... Chacun doit trouver sa place dans la communauté nationale. Le Sénat s'honorerait à voter l'abrogation de la loi de 1969.
S'agissant du stationnement, la Cour des comptes reconnaît que nous n'avons pas assez d'éléments d'information. Ce manque de statistiques porte préjudice à la bonne application de la loi du 5 juillet 2000. Quoi qu'il en soit, pour 313 000 titres de circulation, l'objectif est de créer 41 000 places. Le décalage est flagrant...
La loi de 2000 confie aux communes la responsabilité de créer des aires d'accueil et de grand passage en prévoyant une compensation financière de la part de l'État. Les schémas départementaux, élaborés par le préfet et le président du conseil général, planifient les implantations et doivent être révisés tous les six ans. Les communes inscrites au schéma disposaient initialement de deux ans pour se conformer à leurs obligations, délai prorogé à deux reprises. Les communes ou les EPCI peuvent gérer les aires directement ou en confier la gestion à un délégataire public ou privé.
En 2010, 52 % des aires d'accueil et 29,4 % des aires de grand passage étaient en place. Ces chiffres ont évolué positivement depuis, pour atteindre aujourd'hui respectivement les deux tiers et le tiers de l'objectif. Certains départements sont à 100 %. Les taux les plus faibles sont à rechercher en Ile-de-France, dans les Bouches-du-Rhône ou dans l'Hérault. L'État contribue aux investissements à hauteur de 70 %, il peut théoriquement se substituer à une collectivité défaillante. Si la commune respecte ses obligations, le maire, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage peut demander au préfet l'évacuation d'un terrain occupé illégalement. L'ordre républicain doit s'imposer à tous. Les mécanismes de contrôle de l'application de la loi ne fonctionnent pas. La concertation en cours et la proposition de loi Raimbourg ont pour objectif de les rendre plus efficaces.
L'État peut suppléer aux défaillances d'une collectivité locale, mais la procédure n'a jamais été utilisée. En cas de stationnement irrégulier, l'autorité administrative est fondée à requérir la force si la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques sont menacées. Un recours devant le juge administratif demeure possible, il est suspensif.
Votre proposition de loi renforce l'arsenal répressif contre les occupations illicites. Il ne s'agit pas que de grands passages, contrairement à ce que vous avez indiqué. Au long de ses premiers articles, les motifs fondant la mise en demeure sont assouplis, les sanctions renforcées et les délais de recours contre les décisions administratives réduits de telles sortes qu'ils ne sont guère réalistes. Les deux derniers articles traitent d?une meilleure organisation des déplacements de grande ampleur. L'article 6 vise la responsabilité de l'État - pourquoi pas ? - mais ne concerne que les communes à police étatisée... L'article 7 prévoit une convention entre les représentants des gens du voyage et le maire, trois mois avant l'arrivée des caravanes - même pour une dizaine d'entre elles ?
Il faut équilibrer les exigences pour que la loi soit crédible. Le texte initial ne tire pas les leçons de la concertation engagée depuis dix-huit mois. J'ai proposé certains aménagements au texte, mais ils ont été refusés. Je le regrette, et forme le voeu que notre débat remédie aux déséquilibres du texte.
L'article premier, dont je demande la suppression, doublait les sanctions en vigueur - six mois de prison et 3 750 euros d'amende. Elles sont peu utilisées ; la menace suffit. L'article 2 semble contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel ; je propose que le préfet puisse s'abstenir de retenir le motif d'atteinte à l'ordre public exclusivement lorsqu'il existe des places disponibles dans un rayon de 30 kilomètres.
L'article 3 ramène le délai d'exécution de la mise en demeure à vingt-quatre heures. Comment expulser des gens en vingt-quatre heures ? Autant dire que l'on fait une loi uniquement déclarative ! L'article 4 sur la récidive suscite beaucoup de réserves, car beaucoup de mises en demeure ne sont pas nominatives.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Ce texte touche à notre conception de la République, de la Nation, de la fraternité. On ne fait pas une loi sous forme de communiqué de presse à destination des élus. Travaillons dans un esprit d'équilibre, celui de la proposition de loi Raimbourg. (Applaudissements à gauche)
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques . - Notre commission s'est saisie pour avis de ce texte, d'une part, parce qu'elle avait déjà rapporté pour avis la loi Besson et, d'autre part, parce que le sujet du logement et de l'urbanisme relève pleinement de sa compétence. Lors de la discussion du projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public, le groupe UMP avait proposé un amendement pour inclure les places en aires d'accueil dans les obligations faites aux communes au titre de l'article 55 de la loi SRU.
La France est l'un des rares pays à avoir une législation spécifique aux gens du voyage. La loi Besson du 5 juillet 2000 est une loi d'équilibre en ce qu'elle crée aux communes une obligation d'aménager des aires d'accueil en contrepartie de quoi elle dote les élus et les propriétaires des outils juridiques pour obtenir l'évacuation illicite d'un terrain. Un schéma départemental doit être élaboré ; l'État peut se substituer à une commune défaillante.
La proposition de loi initiale de M. Hérisson renforce les sanctions prévues en cas d'occupation illicite. L'article premier double les sanctions pénales ; l'article 2 supprime la condition d'atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques pour justifier une mise en demeure ; l'article 3 fixe le délai d'exécution à vingt-quatre heures maximum, et non plus minimum ; l'article 4 fixe à six heures le délai maximal d'exécution de la mise en demeure en cas de récidive, l'article 5 réduit de soixante-douze heures à quarante-huit heures le délai dans lequel statue le tribunal.
Ces dispositions, qui posent de sérieuses difficultés constitutionnelles, ont provoqué le scepticisme de la commission des affaires économiques qui, réunie au même moment que la commission des lois, n'a pas pu examiner le texte de celle-ci. Nous avons besoin de faire mieux respecter les obligations des communes et, plus généralement, d'une grande loi sur le statut des gens du voyage. Je m'étonne d'ailleurs que Pierre Hérisson, qui a déposé une proposition de loi sur ce sujet en juillet 2012, nous présente un texte si incomplet et déséquilibré. Je connais les difficultés rencontrées par les élus locaux, dont les médias se sont fait l'écho - j'y ai été confronté moi-même. Comme le disait notre ancien collègue rapporteur Jean-Pierre Delevoye, les efforts importants des communes doivent avoir pour contrepartie la répression effective du stationnement illicite. Mais ni le rapport d'octobre 2010 du Conseil général de l'environnement et du développement durable, ni le rapport de mars 2011 de la mission d'information de l'Assemblée nationale, ni le rapport de juillet 2011 de Pierre Hérisson, ni le rapport d'octobre 2012 de la Cour des comptes ne proposent un renforcement des sanctions. Alors, pourquoi maintenant ?
M. Pierre Hérisson, auteur de la proposition de loi. - À cause des événements de l'été !
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. - En réalité, le législateur est allé en la matière aussi loin que la jurisprudence du Conseil constitutionnel le lui permettait, comme l'écrivait le député Didier Quentin dans son rapport de 2011. Au regard de la décision du 9 juillet 2010 du Conseil constitutionnel, les articles 2, 3 et 4 paraissent bien périlleux.
Au-delà de la question constitutionnelle, cette proposition de loi, en abordant sous le seul angle répressif une problématique beaucoup plus vaste, est déséquilibrée.
Elle passe sous silence le statut juridique des gens du voyage, qui doit être rapproché du droit commun, comme le proposait lui-même M. Pierre Hérisson en 2012. La loi du 3 janvier 1969, déclarée en partie contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel le 5 octobre 2010, dénoncée par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et la commission nationale consultative des droits de l'homme, doit être abrogée. Sur mon initiative, la commission des affaires économiques a adopté un amendement en ce sens.
La proposition de loi fait également l'impasse sur les communes défaillantes. Seulement 52 % des aires imposées par la loi ont été réalisées. Pour les dix départements où cette obligation est la plus importante, ce taux de réalisation varie de 8 % dans les Alpes-Maritimes à 56 % pour la Seine-et-Marne ou la Haute-Garonne. Réfléchissons, avec les associations d'élus locaux, aux moyens d'améliorer l'effectivité de la loi Besson. On pourrait instituer un prélèvement sur les ressources des communes qui ne respectent pas leurs obligations, à l'instar du mécanisme prévu à l'article 55 de la loi SRU. Comme pour la construction de logements sociaux, l'éventuel constat de carence prendrait en compte les spécificités ou difficultés locales, comme l'absence de foncier disponible. Bruno Retailleau propose en outre de créer un poste de médiateur de ces questions.
Autre sujet non traité, l'habitat des gens du voyage qui tendent à se sédentariser. Cela pose deux problèmes : les aires permanentes qui les accueillent ne sont pas faites pour cela, et la rotation des occupants en est ralentie. Entre 2004 et 2012, seules 791 places en terrain familial ont été financées ! Il faut mieux prendre en compte les besoins de terrains familiaux et d'habitat adapté dans les schémas départementaux et coordonner ces derniers avec les Plan départementaux d'action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD)...
Je vous proposerai des amendements pour abroger la loi de 1969 et supprimer l'article 4 de cette proposition de loi qui pose des problèmes d'application et de constitutionalité.
Même si la commission des affaires économiques, qui s'est réunie concomitamment, n'a pu l'examiner, je salue, à titre personnel, le travail de la commission des lois, notamment la réécriture des articles 2 et 3. Je souhaite la discussion rapide de la proposition de loi Raimbourg, pour une discussion sereine et sans exclusive. Il est plus que temps, en effet, comme le disait Pierre Hérisson dans son rapport de 2012, de « restructurer le droit applicable aux gens du voyage autour d'une loi unique » ! (Applaudissements à gauche)
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, chargée de la réussite éducative . - Le Gouvernement a toujours privilégié une approche équilibrée entre attente des maires et besoin des populations. Or ce texte emprunte une autre voie : la répression, qui ne peut pas tout, et crée parfois plus de difficultés qu'elle n'en résout.
M. Hérisson le sait bien, lui qui a fait des propositions beaucoup plus nuancées dans sa proposition de loi du 31 juillet 2012. Nous gagnerions à traiter globalement cette question complexe.
Ne croyez pas, pour autant, que le Gouvernement n'entende pas les élus. Les occupations illicites sont inacceptables et encore moins comprises dans les communes qui respectent leurs obligations. Elles doivent être combattues fermement, le ministre de l'intérieur l'a souligné à maintes reprises, en ajoutant que l'absence d'aires d'accueil ne devait en aucun cas être prétexte à des violences.
Comment renforcer les sanctions sans abroger la loi de 1969 ? Sans demander aux maires de respecter leurs obligations ? Cette proposition de loi privilégie la répression. Pourquoi rétrécir ainsi votre approche ? Elle est, de plus, inutilement vexatoire, en accroissant des sanctions qui sont rarement prononcées par les tribunaux et en instaurant des procédures manifestement inconstitutionnelles.
La Cour des comptes a établi que la loi Besson demeure en grande partie lettre morte. Son rapport montre que seules 52 % des aires d'accueil avaient été réalisées au 31 décembre 2010, et 29 % pour les aires de grand passage. C'est trop peu.
En dépit des améliorations introduites par la commission des lois et celle des affaires économiques que je salue, le texte reste de plus hasardeux du point de vue juridique.
À l'article 2, vous supprimez la condition de menace à l'ordre public, mais ajoutez celle de l'existence d'une aire d'accueil dans un périmètre de 30 km, qui est en cours d'expertise au sein du Gouvernement. À l'article 4, l'évacuation est une mesure de police administrative, non une sanction pénale. La notion de récidive ne peut donc s'appliquer. Elle porterait atteinte au principe de l'égalité de traitement des citoyens devant la loi. La réduction à 48 heures (au lieu de 72 heures) du délai prévu à l'article 5 pour que le juge statue est contreproductive et peu opérationnelle. À l'article 6, la charge des grands passages et des grands rassemblements traditionnels appartient déjà à l'État. Hasardeux juridiquement, ce texte est donc également douteux au plan pratique.
Un sujet auquel je suis fonctionnellement sensible : l'éducation scolaire de tous les enfants sur leurs territoires est une obligation pour les communes dont la méconnaissance est passible de cinq ans de prison et 75 000 euros d'amende. À la lecture du rapport du préfet Hubert Derache, il reste des marges d'amélioration pour la scolarisation des enfants des gens du voyage au collège et au lycée. Nous avons réactivé le mouvement avec trois circulaires en mars 2012 - je salue le remarquable travail des enseignants pour aider ces enfants à rattraper leur retard ; je l'ai vu à Grenoble et à Paris dans une école du XIIe arrondissement.
Deuxième sujet, le refus de l'exclusion, de la stigmatisation - les gens du voyage se plaignent souvent du regard posé sur eux depuis des décennies, voire des siècles, qui n'amène qu'au repli sur soi. Nous touchons là au domaine de la loi de 1969. Le Conseil constitutionnel a censuré, le 5 octobre 2012, les dispositions imposant la détention et le visa régulier d'un carnet de circulation, au nom de la liberté d'aller et venir, ainsi que l'obligation de trois ans de rattachement à une même commune pour obtenir l'inscription sur les listes électorales, qui restreint l'exercice des droits civiques. Les parlementaires, à qui rien n'échappe, se sont saisis du sujet : une proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale en décembre 2010 par le groupe socialiste, au Sénat par le groupe socialiste en juin 2011, une autre par le groupe écologiste en juin 2012.
Les temps ont changé, les esprits sont mûrs. Dès octobre 2012, le Gouvernement a lancé une large concertation avec l'Association des maires de France, les représentants des gens du voyage et des parlementaires pour aboutir à une politique équilibrée, travaillée avec les ministres de l'intérieur et du logement...Il conviendrait de ne pas oublier l'éducation nationale !
Le rapport du préfet Derache a constitué une véritable feuille de route pour le Gouvernement. La proposition de loi Raimbourg, déposée le 5 décembre, répondra aux attentes des élus. Comme l'a dit le ministre de l'intérieur lors du colloque organisé à l'Assemblée nationale en juillet dernier, les élus, et ils sont nombreux, qui sont soucieux d'accueillir toutes les populations dans la dignité, ne doivent pas se sentir pris au piège. En même temps, parce que les droits ne vont pas sans les devoirs, il faut que les communes respectent mieux leurs obligations d'aménager des aires d'accueil.
Comme le préconise le rapport Derache, le Premier ministre vient de confier à la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) une nouvelle mission : le secrétariat et l'animation de la Commission nationale consultative des gens du voyage. Comme l'a annoncé Mme Duflot, lors de de la 8e Journée nationale des gens du voyage à Chambéry le 3 décembre dernier, la Dihal consultera très prochainement l'ensemble des membres de cette commission afin de revisiter son rôle et son mode de fonctionnement.
Le Gouvernement a confié à deux parlementaires, un de la majorité, l'autre de l'opposition, une mission de réflexion sur la définition d'un cadre stable et pérenne pour les grands rassemblements, question distincte de celle des aires d'accueil et de grand passage.
Efficacité, respect, équilibre, voilà les principes qui nous guident ! (Applaudissements à gauche)
M. Pierre Hérisson, auteur de la proposition de loi. - Bon voyage !
M. Jean-Claude Carle. - Il y a du boulot !
Mme Esther Benbassa . - Ma première réaction à la lecture de cette proposition de loi a été la colère. Oui ! Bafouer les principes fondateurs de notre République pour des raisons électoralistes ! M. Hérisson voulait rapprocher le statut des gens du voyage du droit commun en 2012 ; il veut désormais renforcer les sanctions. Comment expliquer ce brutal revirement ? Les élections ont leurs raisons que la raison ne connaît point, (M. Pierre Hérisson, auteur de la proposition de loi, s'exclame) en ces temps où le racisme et la xénophobie n'ont hélas de cesse de progresser. (Même mouvement)
Laissez-nous parler ! M Hérisson défendait plus de places en aires d'accueil pour les gens du voyage, avec raison. D'après la Cour de comptes, 52 % d'entre elles seulement ont été réalisées.
Je proposerai des amendements pour abroger l'archaïque loi de 1969, ainsi que pour obliger les communes à remplir leurs obligations, comme le recommandait Pierre Hérisson à la page 38 de son rapport de juillet 2011. Comment accepter que l'installation sur des terrains sans autorisation soit punie de lourdes peines alors qu'on peut encore lire, à l'entrée de maints villages, ces tristes panneaux : « interdit aux forains et aux gens du voyage » ?
Croit-on vraiment qu'en période électorale il ne faudrait songer qu'aux sanctions, dont on dit les Français friands ? Ne nous étonnons pas ainsi, de voir le Front national progresser, quand on libère la parole xénophobe et raciste. Ce texte fait des gens du voyage des étrangers sur leur propre sol. Notre République égalitaire peut-elle encore tolérer l'existence de sous-citoyens ? Gens du voyage : belle dénomination d'ailleurs ! N'oublions pas que 95 % des 6 000 Tziganes internés et déportés pendant la Seconde Guerre mondiale, y compris dans des camps situés sur notre territoire et dirigés par des Français, ont péri. Bien entendu, le groupe écologiste votera contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs écologistes.)
M. Jean-Claude Carle . - Ceci n'est pas un rappel au Règlement proprement dit, mais je veux dénoncer le dévoiement d'une tradition sénatoriale. Deux propositions de loi venant de l'UMP sont inscrites à notre ordre du jour dans le cadre de cette niche, aucune des deux ne sera examinée. Je suis co-auteur, avec M. Hérisson, de la première. Elle a été entièrement réécrite, sur le fond comme sur la forme, par la commission des lois. Et pourtant, le président Bel, le 24 mars 2009 déclarait : « À la lumière des nouvelles méthodes constitutionnelles, il nous faut revoir les règles d'examen des propositions de loi, afin de respecter effectivement la priorité reconnue aux groupes bénéficiaires de cette journée réservée ». Et de suggérer, y compris lorsque la commission est défavorable, l'examen du texte en séance, article par article, quitte à ce qu'il soit rejeté in fine. « Assentiment » général !
La révision constitutionnelle a consacré les droits de l'opposition, ce que rappelait la présidente Borvo, lors de la Conférence des présidents, du 19 mai 2010, lorsqu'elle déclarait à propos du renvoi en commission d'une proposition de loi communiste que « ce renvoi ne répond pas à une nécessité absolue et ne respecte pas les droits de l'opposition ».
Le président Sueur lui-même, lors de la Conférence des présidents du 16 novembre 2011, avait alerté sur le risque de dérive que nous déplorons, en insistant sur la nécessité du Gentlemen's agreement, qui prévalait jusqu'à ce jour. Un accord bafoué, M. Bel l'a dit hier soir lors de la Conférence des présidents, puisque le texte de M. del Picchia sur le vote par Internet pour l'élection des députés européens par les Français de l'étranger a fait l'objet d'une motion de renvoi, contre l'avis du rapporteur Antoine Lefèvre, et selon moi, contre l'article 48 de la Constitution. La présente proposition de loi a été agrémentée de quelque 75 amendements portant article additionnel avant l'article premier, afin d'abroger, article par article, la loi du 3 janvier 1969. Je tenais à dénoncer la méthode, qui contrevient, selon moi, à l'esprit qui doit prévaloir ici : c'est de l'obstruction parlementaire.
M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois. - Vous allez m'entendre !
M. Jean-Claude Carle. - J'en viens à l'objet du texte de M. Pierre Hérisson, que j'ai cosigné.
Les gens du voyage ont choisi un mode de vie que je respecte. C'est leur droit le plus strict. La République le leur reconnaît. Tout comme elle leur reconnaît le devoir de respecter la loi et ceux qui sont chargés de la faire appliquer...
M. Alain Gournac. - Très bien !
M. Jean-Claude Carle. - Nombre d'élus nous ont témoigné de leur sentiment d'abandon face à des individus qui connaissent parfaitement les failles de la loi pour en profiter, et vont jusqu'à agresser des élus dans l'exercice de leurs fonctions, comme récemment à Frangy en Haute-Savoie et à Verdun dans la Meuse.
Les lois Besson de 1990 et 2000 ont permis la création de 41 561 places réparties en 1 867 aires d'accueil et la réalisation de 350 aires de grands passages.
Rappelons la nécessité pour les élus d'appliquer la loi, pour contester sur son fondement les installations illégales.
Nous avons écrit ce texte pragmatiquement, sans discriminer personne ni stigmatiser quiconque. Nous avons veillé à éviter l'amalgame entre la question des Roms, qui relève des politiques publiques nationales et internationales de l'immigration et celle des gens du voyage, qui ressortit à la loi de 1969. J'en profite pour saluer le travail de Pierre Hérisson à la tête de la Commission nationale consultative des gens du voyage.
Notre approche se focalise sur l'installation illégale des gens du voyage. Elle procède d'abord d'un souci de responsabilisation. L'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales doit être modifié pour confier à l'État la responsabilité des grands passages et des grands rassemblements. Les collectivités doivent, en outre, être mieux informées et en temps réel, des modalités d'occupation de leur domaine.
Mieux identifier les interlocuteurs permettra de restaurer la confiance.
La liberté de circuler s'arrête là où commencent les libertés des autres : droit de propriété, puissance de l'ordre public. Une juste sanction aux atteintes à la loi doit être définie. Nous persistons à vouloir doubler les sanctions existantes : nous déposerons un amendement rétablissant la rédaction initiale du texte. En Haute-Savoie, vingt expulsions ont été décidées depuis le début de l'année, soit plus qu'en une décennie. Je salue l'action du préfet et du ministre de l'intérieur, tout en soulignant que ce chiffre reflète une situation aggravée. Le droit administratif joue en faveur de ceux qui pratiquent le contre-la-montre ou la politique de la terre brûlée. Les délais relatifs à la mise en demeure, ainsi que les délais de recours contre une décision de mise en demeure doivent être raccourcis.
Les citoyens sont égaux, quel que soit le mode de vie qu'ils adoptent. Nous n'acceptons pas les leçons de morale que certains lancent à la tribune tout en demandant au ministre et au préfet plus de fermeté sur le terrain. M. Mézard l'a bien dit en commission : « La loi de la République doit être respectée par tous, communes et gens du voyage. Quand ceux-ci s'installent n'importe où, sauf sur l'aire aménagée à cet effet, et que le représentant de l'État ne bouge pas, que faire ? Le personnel communal est souvent injurié, parfois agressé, dans l'indifférence des pouvoirs publics ».
Cette proposition de loi doit être adoptée dans l'esprit qui était le sien lorsqu'elle a été déposée sur le bureau du Sénat. Elle n'est pas parfaite, certes, mais elle répond à une situation qui a beaucoup évolué depuis les années 1990. Pour le Savoyard que je suis, mieux vaut avancer pas à pas que de rester immobile. (Applaudissements à droite)
présidence de M. Jean-Claude Carle,vice-président
M. Vincent Delahaye . - Cette question occupe beaucoup les élus locaux ; il est normal que le Sénat s'en saisisse. La loi Besson n'est pas exactement restée lettre morte, madame la ministre, mais elle n'a pas réglé tous les problèmes. Un équilibre reste à trouver entre droits et devoirs des gens du voyage et des collectivités, lesquelles ne sont pas toutes également touchées...
Elles ont, certes, le devoir de mettre en place des aires d'accueil. Les taux d'application de ces dispositions ont été rappelés, ainsi que le caractère virtuel de la procédure de substitution de l'État aux carences des collectivités territoriales. L'aire d'accueil que j'ai créée à Massy a été financée avec l'aide de l'État.
Mes voisins, maires d'Évry et de Palaiseau, maintenant au Gouvernement, n'en ont réalisé aucune. À Massy, les enfants des gens du voyage sont scolarisés ; l'entretien de cette aire coûte 150 à 250 000 euros par an. Le loyer est très bas, mais le taux d'impayés considérable. Nous aurions préféré un texte plus équilibré, cette proposition de loi reste opportune. J'ai beau avoir écouté attentivement la ministre, je n'ai pas compris en quoi consistait la stratégie du Gouvernement. J'aimerais qu'il fonde sa politique sur un autre support qu'une proposition de loi, celle du député Raimbourg, parce que je crois savoir, tout jeune parlementaire que je suis, qu'il en sort rarement grand-chose. Si nous quittions cet hémicycle avec des perspectives et un calendrier, nous aurions fait un grand pas en avant. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Cécile Cukierman . - L'ordonnance de Colbert de 1662 confondait le nomadisme avec l'oisiveté et l'errance, et en faisait un délit. En trois siècles de législation sur les gens du voyage, les choses ont peu évolué. La peur, la méconnaissance, le manque de pédagogie demeurent. Pourquoi, à la veille des municipales, proposer de renforcer la répression ? Sanctionner toujours plus lourdement les gens du voyage n'a pas de sens tant que les maires ne respecteront pas leurs obligations.
Vingt-et-une propositions de loi ont été déposées depuis la dernière grande loi sur le sujet. L'alourdissement des sanctions ne peut faire changer les mentalités vis-à-vis de ceux qui vivent différemment, sans parler du risque d'inconstitutionnalité.
La loi de 2000 comporte des avancées importantes : réservation de terrains communaux, interdiction du stationnement en-dehors de ces emplacements. Mais il aurait été utile de donner aux communes les moyens de remplir leurs obligations. Le déficit d'aires d'accueil est grand : celles qui en ont créé, subissent la pression des gens qui veulent s'y installer, et se trouvent pénalisées par rapport aux communes qui n'ont pas rempli leurs obligations.
Il faut trouver un équilibre entre, d'une part, la liberté constitutionnelle d'aller et venir, celle de disposer d'un logement décent et, d'autre part, l'impératif pour les collectivités territoriale d'éviter des installations illicites qui posent un problème de coexistence avec les résidents.
Nous proposerons des amendements pour abroger la loi de 1969, reconnaître l'internement des nomades pendant la Seconde Guerre mondiale et supprimer les articles 4 et 5 parce qu'ils portent atteinte à l'équilibre qu'il faut bâtir.
Le groupe CRC défendra toutes les mesures qui concilient le droit à un habitat adapté et la liberté de circulation, dans le respect de l'équilibre des droits et des devoirs de chacun, ce que ne fait pas la proposition de loi.
M. Jean-Claude Requier . - Cette proposition de loi renforce essentiellement les sanctions contre les stationnements illicites. La République ne saurait introduire de distinctions entre ses citoyens, en dehors de celles fondées sur le mérite. Cependant, nous qui dirigeons encore des exécutifs locaux, nous savons ce qu'il en est de l'accueil des gens du voyage : cohabitation sans problèmes ici, occupations illicites ailleurs. De nombreuses collectivités se trouvent démunies, sinon abandonnées par l'État qui ne prête pas le concours de la force publique pour faire évacuer les occupants.
Après la loi de 2000 qui se fixait des objectifs sans doute trop ambitieux, les schémas départementaux n'ont pas tous été élaborés ; après la décision de l'État en 2008 de ne plus subventionner que les projets en cours, certaines communes se sont trouvées dans l'impossibilité matérielle d'appliquer la loi.
Certains groupes n'hésitent pas à se réclamer des grands passages pour s'installer illégalement et abuser des services offerts par les collectivités. Aux maires qui subissent les conséquences de ces comportements indélicats, nous devons apporter notre soutien.
La proposition de loi de M. Hérisson soulève plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Celle de M. Raimbourg adopte une autre méthode, en supprimant la loi de 1969.
Il faut aider les collectivités territoriales à remplir leurs obligations et être intraitable avec les fauteurs de troubles. Nous déterminerons notre vote en fonction de nos débats. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Pierre Hérisson, auteur de la proposition de loi. - Très bien !
M. Jean-Pierre Michel . - Je veux d'abord rendre hommage à Pierre Hérisson. Il a montré dans le passé toute la connaissance qu'il avait de ce sujet. Nommé deux fois parlementaire en mission, il est l'auteur d'un remarquable rapport intitulé Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun, et d'une proposition de loi qui reprenait ses préconisations en juillet 2012. Vraiment toutes mes félicitations ! Je n'en dirai pas autant aujourd'hui...
M. Pierre Hérisson, auteur de la proposition de loi. - La situation a changé...
M. Jean-Pierre Michel. - La vérité, c'est que nous approchons des élections et que cela nous vaut un texte visant uniquement à renforcer les sanctions. Ce n'est pas digne de notre Sénat.
Monsieur Carle, qui voudriez restreindre le droit d'amendement des parlementaires, je vous indique qu'il ne tient qu'à votre groupe de voter un amendement pour que cette proposition de loi soit adoptée dans les délais de quatre heures prévu par notre Règlement.
Depuis cet été, nous assistons à une surenchère face aux gens du voyage, parfois assimilés aux Roms. Elle est le fait de l'extrême-droite, mais aussi d'une partie de la droite républicaine. Certains élus multiplient les déclarations agressives, qu'ils disent ensuite regretter : quand sont-ils sincères ?
Notre pays est le seul à avoir mis en place une législation sur les gens du voyage. La catégorie juridique des gens du voyage n'est pas ethnique mais fondée sur un mode de vie. Il n'y a pas si longtemps, les gitans et autres bohémiens circulaient librement. Désormais, chacun défend son pré carré, ceinture son jardin de haies par peur de l'autre.
Définie, cette communauté n'est pas pour autant bien appréhendée. Certains parlent de 500 voire 600 000 personnes ; en réalité il y en a plutôt 250 à 300 000.
Les textes récents sont bienvenus, mais ne sont guère appliqués. Les rapports parlementaires disponibles sont de qualité, dont celui de M. Hérisson. Comme les travaux universitaires, ils fournissent une première base documentaire. Et il y a une série de décisions des juges judiciaires, administratifs et constitutionnels.
Cette proposition de loi est incomplète. Elle ne traite pas totalement des grands passages et ne tire pas toutes les conséquences de la décision du 5 juillet 2012 du Conseil constitutionnel. Comme toujours, celle-ci est très balancée et très hypocrite.
M. Pierre Hérisson, auteur de la proposition de loi. - Ces propos n'engagent que vous !
M. Jean-Pierre Michel. - Il faut sans doute y voir la main du secrétaire général et de ceux qui l'entourent. À force d'être balancées, ces décisions ne débouchent sur rien.
Notre amendement, lui, va au bout de la logique, en supprimant tout bonnement la loi de 1969.
Il nous restera à examiner la proposition de loi de M. Raimbourg...
M. Pierre Hérisson, auteur de la proposition de loi. - C'est la même que la mienne !
M. Jean-Pierre Michel. - ... qui vient, comme tant d'autres propositions de loi, largement du Gouvernement car pour établir un texte solide on a besoin de la compétence des services ministériels. Puisque cette proposition de loi a l'aval du Gouvernement, elle sera discutée et vous pourrez l'amender, monsieur Hérisson.
Ce texte est hasardeux. La procédure d'évacuation d'urgence hors les cas de menace à l'ordre public risque fort d'être contraire à la Constitution. Le tribunal administratif de Nice s'est déjà prononcé en ce sens, contre un arrêté de votre ami M. Estrosi.
Ce texte est enfin inapplicable, car le tribunal administratif devra statuer dans les 48 heures, y compris les jours fériés... De plus, une convention devra être rédigée entre maires et riverains trois mois avant l'arrivée de la moindre caravane ! C'est tout bonnement irréaliste, et risquerait de raviver les contentieux. Bref, c'est une façon de manifester son hostilité à l'arrivée des gens du voyage.
Nous voterons par conséquent contre votre texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée . - Mme Benbassa a eu raison de souligner la fragilité juridique du texte et la menace qu'il fait peser sur la cohésion républicaine.
Monsieur Carle, le nombre d'amendements déposés illustre la vitalité du débat démocratique et la complexité du problème ; sur tous les bancs on cherche des dispositions acceptables.
Monsieur Delahaye, le Gouvernement n'a pas l'intention de déposer un projet de loi : M. Raimbourg travaille avec les associations et les ministères et nous sommes très attentifs à ce qu'il pourra proposer. La ville de Massy respecte la législation mais d'autres communes ne le font pas. Les aires d'accueil sont en nombre insuffisant .
Le Gouvernement a pris des engagements à Bruxelles et créé une délégation interministérielle.
Mme Cukierman a eu raison de rappeler les persécutions dont les gens du voyage ont été victimes. Cette communauté fait pourtant partie intégrante de notre société, comme l'a rappelé M. Michel. Il faut mieux organiser les grands déplacements, en lien avec les gens du voyage eux-mêmes. Ainsi, nous oeuvrerons pour une société vivable pour tous, quel que soit leur mode de vie.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLES ADDITIONNELS AVANT L'ARTICLE PREMIER (Supprimé)
M. le président. - Amendement n°1, présenté par M. Dilain, au nom de la commission des affaires économiques.
Avant l'article premier
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe est abrogée.
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. - La proposition de loi est incomplète. La commission des affaires économiques a donc adopté un amendement abrogeant la loi de 1969. Celle-ci est discriminatoire, c'est incontestable. Les gens du voyage sont la seule catégorie de citoyens pour laquelle la détention d'une carte nationale d'identité ne suffit pas. Le Conseil constitutionnel en a abrogé une large partie, mais certaines de ses dispositions demeurent en vigueur, qui ont été dénoncées par la Halde en 2009. Notre commission s'est prononcée à l'unanimité en faveur de cette abrogation.
M. le président. - Amendement identique n°7, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Mme Esther Benbassa. - Cet amendement abroge la loi du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile, ni résidence fixe, qui est source de stigmatisation et de discrimination pour certains de nos compatriotes.
Ce n'est certes pas nouveau : de mars 1908 à juillet 1909, 7 790 nomades ont été photographiés par les brigades de Clemenceau, prélude à la constitution du carnet anthropométrique.
En octobre 2012, le Conseil constitutionnel a abrogé l'obligation pour certaines catégories de gens du voyage de faire viser régulièrement leur carnet de circulation, ainsi que la condition de rattachement pour l'inscription sur les listes électorales. Mais le titre de circulation reste en vigueur.
La décision du Conseil constitutionnel, importante sur le plan symbolique, appelait surtout le législateur à abroger ce régime dérogatoire infligé aux gens du voyage qui, je le rappelle, ne sont pas des Roms mais des Français, nés Français, depuis des générations, et même depuis la nuit des temps. Il est temps de faire entrer les gens du voyage dans le droit commun, comme le voulait Pierre Hérisson dans son rapport de 2011.
M. le président. - Amendement identique n°27, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe CRC.
Mme Cécile Cukierman. - L'objet est le même : abroger un statut dérogatoire réservé à ceux qu'on a appelés successivement les forains, les saltimbanques et les bohémiens. Le droit commun doit s'appliquer à tous de la même manière, comme l'ont demandé les associations et diverses organisations internationales.
M. le président. - Amendement identique n°40, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés.
M. Jean-Pierre Michel. - Le Conseil constitutionnel, c'est subtil, a censuré le visa trimestriel du carnet de circulation mais non le carnet lui-même. Le député Quentin et notre excellent collègue M. Pierre Hérisson ont proposé la suppression de tous les titres de circulation. Poursuivons ce mouvement.
M. le président. - Amendement n°41, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 2 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe est abrogé.
M. Jean-Pierre Michel. - Si les amendements de suppression de l'article n'étaient pas adoptés, nous proposons d'abroger la loi de 1969 par division.
M. le président. - Amendement n°42, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les articles 3 et 4 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe sont abrogés.
M. Jean-Pierre Michel. - Défendu.
M. le président. - Amendement n°43, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 6 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe est abrogé.
M. Jean-Pierre Michel. - Défendu.
M. le président. - Amendement n°8, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les articles 7 à 10 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe sont abrogés.
Mme Esther Benbassa. - Amendement de repli. Les titres de circulation de la loi de 1969 sont le prolongement des livrets anthropométriques de la loi de 1912.
M. le président. - Amendement n°44, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 7 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe est abrogé.
M. Jean-Pierre Michel. - Défendu.
M. le président. - Amendement n°45, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 8 de la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe est abrogé.
M. Jean-Pierre Michel. - Défendu.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Avis défavorable à tous ces amendements. Je rappelle toutefois que la décision du Conseil constitutionnel, prise à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité en 2012, a supprimé les éléments les plus choquants de la loi de 1969 : de quel droit a-t-on privé les Français itinérants du droit de vote ? Ce serait l'honneur du Sénat de reconnaître à tous les Français les mêmes droits. À titre personnel, je voterai l'amendement de suppression de l'article.
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. - Très bien !
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. - M. Jean-Pierre Michel se montre bien sévère à l'égard du Conseil constitutionnel. Tout de même, il a censuré des dispositions inacceptables en jugeant disproportionnés au but de la loi le visa trimestriel, la sanction de la circulation sans carnet et l'obligation de rattachement de trois ans à une commune pour être inscrit sur une liste électorale.
Nous nous en remettrons à la sagesse du Sénat sur les amendements n°s1, 7, 27 et 40. L'abrogation de la loi de 1969, division par division, ne serait pas satisfaisante car elle aboutirait à un résultat déséquilibré.
Les gens du voyage sont Français, effectivement. Les autorités européennes ne nous facilitent pas toujours les choses avec les discours sur les Roms. Quant à nous, nous défendons l'égalité pour tous les citoyens.
M. Pierre Hérisson, auteur de la proposition de loi. - On cite mes rapports, ma proposition de loi. En somme, j'aurais vu juste, jusqu'au jour d'aujourd'hui. L'abrogation de la loi de 1969 relève plutôt de la proposition Raimbourg.
Cessez de vous référer au carnet de circulation, il n'existe plus depuis la décision du Conseil constitutionnel. Le livret, oui, et les maires l'ont intégré. En revanche, le Conseil constitutionnel n'a pas voulu abroger totalement la loi de 1969, il a maintenu la limite des 3 %. La sagesse voudrait donc qu'on renvoie cette question à la proposition de loi Raimbourg.
Je rappelle que 10 700 communes comptent moins de 500 habitants ; les électeurs rattachés pourraient y devenir majoritaires, attention ! J'ajoute qu'en abrogeant la loi de 1969, on créerait d'autres discriminations ; cela été bien vu lors du colloque organisé à l'Assemblée nationale, si on ne proposait pas un texte de substitution. Le groupe UMP votera contre ces amendements.
Mme Esther Benbassa. - Désolée, monsieur Hérisson ! Que les maires aient intégré le livret de circulation ne signifie pas, pour l'historienne que je suis, qu'il ne faille pas le supprimer ! Ils avaient bien intégré le carnet de circulation qui a remplacé le carnet anthropométrique de 1912, inspiré du système de signalement d'Alphonse Bertillon, chef de service de l'identité judiciaire dans les années 1880, sur les criminels récidivistes. Franchement, qu'on en soit là au XXIe siècle !
À la demande des groupes UMP et socialiste, les amendements n°s1, 7, 27 et 40 sont mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin n°93 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Pour l'adoption | 159 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. - Je m'en remets à la sagesse sur les amendements n°s41, 42, 43, 8, 44 et 45.
À la demande du groupe UMP, l'amendement n°41 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin n°94 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 316 |
Pour l'adoption | 178 |
Contre | 138 |
Le Sénat a adopté.
À la demande du groupe UMP, l'amendement n°42 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin n°95 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 347 |
Pour l'adoption | 347 |
Contre | 0 |
Le Sénat a adopté.
À la demande du groupe UMP, l'amendement n°43 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin n°96 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Pour l'adoption | 178 |
Contre | 168 |
Le Sénat a adopté.
À la demande du groupe UMP, l'amendement n°8 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin n°97 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Pour l'adoption | 159 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
À la demande du groupe UMP, l'amendement n°44 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin n°98 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Pour l'adoption | 159 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n°45 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°52, présenté par M. J.P. Michel et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant l'article 1er de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art... L'action menée en faveur de l'accompagnement et l'insertion des personnes dites gens du voyage s'inscrit dans un cadre interministériel avec le souci de préserver l'équilibre entre la reconnaissance des droits et l'abrogation des mesures discriminatoires d'une part, le rappel des devoirs et la nécessité de conduire des politiques spécifiques à l'égard d'une population particulière dont l'habitat traditionnel est constitué de résidence mobile ou qui se trouve en situation de semi-sédentarisation, d'autre part.
« Elle repose sur une évaluation continue des besoins et des attentes des membres de cette communauté et des collectivités territoriales chargées de les accueillir.
« Elle est mise en oeuvre par l'État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, les organismes de sécurité sociale ainsi que les associations qui représentent les gens du voyage dans leurs relations avec les pouvoirs publics. »
M. Jean-Pierre Michel. - Cet amendement énonce les fondements sur lesquels doit reposer une politique globale en faveur des gens du voyage, qui associe de nombreux acteurs : associations, collectivités territoriales, État, et, au sein de l'État, de nombreux ministères : le logement, les affaires sociales, l'intérieur, l'éducation - vous n'êtes pas là par hasard, madame la ministre - mais aussi ponctuellement la défense ou la santé. Tout le monde déplore le manque de coordination au niveau national et même au niveau local, ainsi que l'absence de statistiques fiables. M. le Premier ministre a souhaité la définition d'une stratégie interministérielle sur les gens du voyage, reposant sur un équilibre entre droits et devoirs des collectivités territoriales et des gens du voyage.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Favorable, même si on peut s'interroger sur la cohérence de cet amendement avec ce qui vient d'être voté...
Mme Cécile Cukierman. - C'est sûr !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Diplomatie et sagesse caractérisent M. Leconte !
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. - Nous sommes un peu perplexes sur ce qu'apportera cet amendement. Nous travaillons déjà en coordination interministérielle - pour preuve, la circulaire sur le schéma départemental des gens du voyage. Une telle disposition de portée générale n'est donc pas utile. En outre, cet amendement a-t-il une portée normative ? On peut en douter. L'avis du Gouvernement n'est donc pas très favorable.
À la demande du groupe UMP, l'amendement n°52 est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin n°99 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 327 |
Pour l'adoption | 159 |
Contre | 168 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. le président. - Amendement n°12, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au I de l'article 1er de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, le mot : « traditionnel » est remplacé par le mot : « permanent ».
Mme Esther Benbassa. - L'article premier de la loi du 5 juillet 2000 utilise l'adjectif « traditionnel » pour qualifier l'habitat des gens du voyage. Cet adjectif est à la fois stigmatisant et inopérant. En effet, les gens du voyage appartiennent à une catégorie administrative désignant une population hétérogène, qui réside habituellement en abri mobile terrestre. L'adjectif « permanent » sera plus approprié et plus adapté à notre société.
Le terme de gens du voyage est apparu en 1938 lors de la sortie en France du film de Jacques Feyder, Les gens du voyage, qui se déroulait dans un cirque. Peu à peu, il a remplacé celui de forains ou de nomades avant d'être repris dans les travaux préparatoires de la loi du 3 janvier 1969 puis généralisé dans les textes officiels et l'administration ; il apparaît dans une loi de 1990.
L'expression a en réalité deux sens : au sens légal, c'est une catégorie administrative française qu'on retrouve dans la loi du 3 janvier 1969 et le décret du 31 juillet 1970 ; au sens commun, elle désigne des personnes itinérantes vivant habituellement en caravanes, perçues comme appartenant à un groupe particulier - et dangereux. Dans notre législation, elle n'a aucune connotation ethnique ou communautariste, conformément aux principes constitutionnels. L'adjectif « traditionnel » n'a plus lieu d'être utilisé. D'où cet amendement.
M. le président. - Amendement identique n°34, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe CRC.
Mme Cécile Cukierman. - Cet amendement est très attendu par les associations qui luttent contre la stigmatisation des gens du voyage. L'expression « habitat traditionnel », en apparence neutre, ne l'est pas ; elle participe d'une vision communautariste, qui n'a pas lieu d'être dans la loi.
M. le président. - Amendement identique n°75, présenté par M. Leconte, au nom de la commission des lois.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Le terme « traditionnel » fait référence à l'origine des populations ; on peut y voir, avec raison, une ethnicisation, une stigmatisation des gens du voyage. L'expression « habitat permanent », plus neutre, convient mieux à une catégorie administrative.
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. - Nous partageons la volonté de ne pas stigmatiser une partie de la population. Mais remplacer le mot « traditionnel » par « permanent » est, en l'espèce, contradictoire, voire constitutif d'un oxymore. Avis défavorable.
M. Jean-Claude Requier. - Pour venir du monde rural, je n'ai rien contre la tradition. Je ne vois pas en quoi le mot est stigmatisant. Dans sous-préfet, il y a bien « sous » : ce n'est pas insultant pour autant... (Sourires) Nous ne sommes pas à la Sorbonne !
M. Antoine Lefèvre. - Nous avons parlé de tradition, d'histoire, de poésie avec Baudelaire et c'est heureux... Mais il faut rappeler ce qui se passe sur le terrain. Ce texte doit répondre aux problèmes auxquels sont confrontés les élus, au premier rang desquels le non-respect des lois de la République. Si on veut inciter les élus à se conformer à leurs obligations, il importe que ceux qui font des efforts d'aménagement puissent avoir le concours de la force publique en cas d'occupation illégale.
En 2008, nous avons inauguré avec une certaine fierté une aire d'accueil, que j'ai dû fermer par un arrêté du 28 avril 2010. Cette aire, pour une collectivité de 44 000 habitants, représentait un gros investissement : 1,4 million d'euros et 87 000 euros en frais de gestion. Ella été dégradée, nous ne pouvons pas la reconstruire. Et nous avons subi des occupations sauvages, sans que le représentant de l'État intervienne. Voilà le témoignage de terrain que je voulais apporter sans reprendre le mot d'angélisme qui a été utilisé en commission. On ne peut méconnaître la réalité.
Mme Cécile Cukierman. - Le non-respect de la loi, la dégradation de biens publics doivent être condamnés, quel que soit le choix de mode de vie ; tout le monde le reconnaît. Mais ne sous-entendons pas que les gens du voyage respecteraient moins la loi que les autres et gardons-nous des dérives sécuritaires comme de l'angélisme. Le dossier serait sans doute moins sensible si toutes les communes de 5 000 habitants respectaient leurs obligations...
Attention à ne pas invoquer la tradition à mauvais escient. En l'occurrence, le mot « tradition » renvoie à une communauté. Nous ne voulons pas du communautarisme. Nous savons le risque d'affrontement lorsqu'on renvoie les gens à leur communauté.
Madame la ministre, on peut avoir un habitat mobile et permanent : ce n'est pas contradictoire.
Mme Esther Benbassa. - Je rejoins Mme Cukierman. Monsieur Lefèvre, personne n'a dit que les gens du voyage pouvaient se garder de respecter la loi. Mais rien n'empêche de réfléchir sur les mots, Sorbonne ou pas... Si on disait que les Français étaient traditionnels, vous le contesteriez !
M. François Fortassin. - Non !
Mme Esther Benbassa. - Dans les religions, on sait qu'il y a des traditionalistes et d'autres qui ne le sont pas. D'après le syndicat des forains, plus de 60 % des gens du voyage sont sédentarisés. (M. Jean-Claude Requier bougonne) Opposer les intellectuels à ceux qui connaissent le terrain, c'est du populisme !
M. Antoine Lefèvre. - Parlons seulement des réalités !
Mme Esther Benbassa. - Parlons d'un peuple discriminé.
M. Antoine Lefèvre. - Pas chez nous ! Ils votent !
Mme Esther Benbassa. - Les gens du voyage ont été traités de voleurs de poules et rejetés aux marges de la société durant des siècles, ne l'oublions pas. Faire des catégories, c'est diviser. Et nous ne voulons pas diviser, mais rassembler.
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. - Attention à ne pas opposer stérilement les angélistes aux sécuritaires. Comme l'a dit M. Retailleau en commission, il ne saurait être question d'un clivage gauche-droite dans cette affaire. Personne n'est laxiste, personne n'accepte que les lois soient violées.
M. Antoine Lefèvre. - Alors comment fait-on ?
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. - Les choses ne s'amélioreront pas par le doublement des sanctions, c'est tout ce que nous disons. C'est un écran de fumée.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Je veux dire ma frustration. J'ai essayé de rendre la proposition de loi équilibrée et opérationnelle mais votre refus de l'abrogation de la loi de 1969 et la batterie de scrutins publics qui a suivi nous ont empêchés d'aller au fond des choses.
Les communes vertueuses doivent disposer de moyens plus efficaces et plus rapides pour faire respecter la loi, c'est vrai. Mais ce ne sont pas vos coups de trompette à l'approche des élections qui apaiseront les angoisses des maires...
Les amendements identiques nos12, 34 et 75 sont adoptés et deviennent articles additionnels.
M. le président. - Je vais suspendre la séance. Il appartiendra au groupe UMP, s'il le souhaite, d'inscrire la suite de ce texte dans son espace réservé. La proposition de loi tendant à autoriser le vote par Internet pour les Français établis hors de France pour l'élection des représentants au Parlement européen est, elle renvoyé au 21 janvier 2014.