Programmation militaire

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.

Discussion générale

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense .  - La succession de crises internationales vient rappeler à la réalité ceux qui croient encore à la fin de l'Histoire et des conflits armés ; la France, elle, n'a jamais cessé d'être vigilante : elle l'a encore montré au Mali et en Syrie. D'autres enjeux apparaissent : en Centrafrique, au Proche et au Moyen-Orient, dans les mers infestées de pirates.

Cette loi de programmation s'inspire directement de nos expériences de ces derniers mois et de la tradition de la Ve République.

Comment préserver nos capacités militaires, afin de veiller aux intérêts de la France et de l'Europe ? Les menaces s'aggravent, les risques se diversifient, alors même que le désendettement s'impose pour garantir, là encore, notre souveraineté. Il n'y a là nulle antinomie : sans contrôle des déficits, point de maîtrise de nos choix stratégiques.

Pour réaliser des économies faciles, nous aurions pu décider des renoncements spectaculaires à certaines de nos responsabilités internationales. Au contraire, nous sommes tenus à une stricte sincérité dans la description des menaces et la définition des moyens pour y faire face.

L'effort consenti est important : un budget maintenu à 31,4 milliards de 2014 à 2016 pour atteindre progressivement 32,5 milliards les années suivantes, soit 190 milliards en euros courants d'ici 2019.

Des ressources exceptionnelles de 6,1 milliards d'euros viendront compléter les ressources budgétaires. Leur origine, cette fois, est explicitée : cessions d'emprises immobilières, de participations dans des entreprises publiques de fréquences hertziennes et redevances sur les fréquences antérieurement cédées. Une clause de sauvegarde complète le tout, conformément au souhait de votre commission.

Ce niveau de ressources, comme l'a voulu le président de la République, est à la fois ambitieux et réaliste. Le Parlement aura de nouveaux moyens pour contrôler l'exécution de la loi.

Notre stratégie répond aux trois missions principales de nos armées : protéger le territoire et les citoyens, assurer la dissuasion nucléaire, intervenir sur les théâtres extérieurs.

S'agissant de la première mission, 10 000 hommes pourront intervenir en renfort des forces de sécurité intérieure et une place particulière est faite à la cyberdéfense.

Lors des Opex, jusqu'à 7 000 hommes pourront être employés. Pour les opérations de guerre, nos armées pourront toujours être projetées en premier et des forces spéciales persisteront.

Enfin, aucune des deux composantes de notre dissuasion nucléaire n'est remise en cause parce qu'elles sont la condition de notre autonomie stratégique aussi longtemps que la prolifération est un risque avéré et que demeurent des formes possibles de chantage. On peut le déplorer, pas le nier.

Rares sont les nations dont les armées sont capables de répondre à ces trois missions. Nulle trace ici de déclassement stratégique : en 2020, la France restera aux premiers rangs dans le monde et en Europe.

Être autonome, ce n'est pas être seul : notre stratégie tient compte de nos alliances. Tous les programmes européens sont poursuivis et deux nouveaux programmes sont créés ; la mutualisation des moyens est une priorité. Quant à l'Alliance atlantique, la pleine participation de la France dans les instances de commandement est le complément de notre engagement en faveur de l'Europe de la défense.

Priorité sera donnée à la préparation opérationnelle et à l'entraînement des forces. La valeur de nos soldats s'est illustrée au Mali. Cependant, depuis quelques années, la préparation opérationnelle fléchit ; il faut inverser cette tendance.

Les crédits d'entretien programmé du matériel augmenteront de 4,3 % par an pour atteindre 3,4 milliards contre 2,9 dans la précédente loi de programmation militaire. Nous ne voulons pas d'une grande armée de papier mais des soldats bien entraînés et bien équipés.

Tous les programmes d'armement seront maintenus, d'autres seront lancés. L'effort atteindra, en 2019, 18,2 milliards d'euros par an. Parmi les équipements livrés, certains illustrent particulièrement notre capacité à intervenir dans des conflits d'importance : avions Rafale et A400M, hélicoptère Tigre, porte-avions Charles-de-Gaulle, satellites Musis. Certains de ces équipements seront polyvalents. À ces livraisons, il faut ajouter les rénovations des Mirage ou encore des frégates La Fayette. Nous aurons ainsi évité toute rupture de notre capacité militaire industrielle, que personne ne peut souhaiter au Sénat. Mutualisation et différentiation des armées contribueront à optimiser les moyens.

Un effort substantiel de 730 millions par an pour la recherche sera consenti. (M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, approuve) À titre d'exemple, je pense en particulier au programme sur les drones du futur, qui sera doté de 700 millions. Cet effort bénéficiera à notre industrie de défense, qui est à la fois la condition de notre autonomie et un formidable levier de croissance et d'emplois.

Ce projet de loi est fondamental parce qu'il engage l'avenir. Cela vaut aussi pour son volet normatif.

Sur le renseignement, le texte définit l'équilibre entre le renforcement des moyens des services et celui du contrôle parlementaire. En ce qui concerne les moyens, les priorités vont à l'imagerie et à l'interception des communications électroniques. En contrepartie, une inspection générale sera créée. La délégation parlementaire au Parlement voit sa mission confortée. Elle intégrera en son sein la commission de vérification de fonds spéciaux et sera destinataire des principaux documents relatifs au renseignement : plan national et stratégie nationale d'orientation.

La lutte contre le terrorisme demeure évidemment au coeur de nos préoccupations.

L'accès aux fichiers de police administrative et judiciaire et la création de la banque de données passagers, dite « PNR », fournies par les compagnies aériennes, sont indispensables.

Il en va de même de la cyberdéfense, alors que la vulnérabilité de l'appareil d'État et des entreprises croît au même rythme que la dépendance de la nation aux systèmes d'information.

Avec ce texte, l'État pourra imposer des règles aux opérateurs. Les responsabilités du Premier ministre et les moyens de ses services en matière de sécurité et de défense des systèmes d'information stratégiques seront explicités dans le code de la défense.

Au-delà, le projet de loi prévoit le développement de nos capacités militaires et non militaires, défensives et offensives, la mise en place d'une chaîne opérationnelle, centralisée au niveau du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) de l'état-major des armées ainsi qu'un renforcement des moyens humains. Plusieurs centaines de spécialistes seront recrutés. Un effort financier significatif, enfin, permettra l'acquisition de nouveaux équipements ainsi que la réalisation d'études amont.

Pour financer ces priorités, le ministère de la défense devra consentir des économies qui seront réalisées sur le fonctionnement, les effectifs, la masse salariale, les coûts de structure. Ces économies difficiles appelleront de notre part des efforts d'accompagnement, d'analyse et d'explications.

Au titre de la présente loi de programmation militaire, 23 500 emplois seront supprimés, en plus des 10 500 inscrits dans la loi précédente. Cette baisse est cohérente avec nos choix opérationnels. Priorité sera donnée aux forces opérationnelles. La simplification et la clarification de l'organisation seront partout recherchées. Une analyse fonctionnelle préalable sera réalisée : je n'entends pas procéder de manière arithmétique ni automatique.

Le personnel doit être pleinement informé. Nous venons de lancer, à la demande du président de la République, la rénovation de la concertation militaire. La pleine implication du commandement et le strict respect de l'obéissance hiérarchique ne s'opposent pas au dialogue, bien au contraire. Le personnel doit ainsi bénéficier d'un accompagnement social afin que les départs, s'ils sont nécessaires, se fassent dans de bonnes conditions ; d'où les pécules, l'accès à la pension du grade supérieur, la promotion fonctionnelle -qui n'est pas, chère madame Demessine, l'ancien conditionnalat-, ou encore les dispositifs de disponibilité rénovée dans le projet de loi. Dans le même esprit, nous renforcerons la politique de reconversion pour les militaires et le reclassement dans la fonction publique pour les agents du ministère.

Au total, un plan d'accompagnement de près d'un milliard d'euros est prévu pour l'incitation à la mobilité et au départ.

Quant aux restructurations, mon objectif est de préserver au maximum les liens qui relient les armées et les territoires, d'aménager la transition pour les sites qui seront amenés à fermer. Tirant les enseignements des précédentes restructurations, les actions de l'État seront davantage concentrées, avec 150 millions d'euros au total pour les territoires les plus affectés. Ce plan sera complété par un dispositif d'aide des PME, appuyé sur la Banque publique d'investissement.

Ce texte, comme vous l'avez relevé, défend la singularité du soldat. Il met en place, comme l'avait souhaité le président de la République, divers outils juridiques afin d'éviter une judiciarisation inutile de l'action des militaires engagés en opération extérieure. Il ne s'agit pas de consacrer une quelconque immunité pénale des militaires, encore moins de priver les familles de leurs droits. Il s'agit simplement d'adapter le droit pénal à la réalité de ce qu'est un conflit armé : dans lequel nos militaires sont prêts à y donner leur vie comme à la prendre. Ces propositions ont été préparées en bonne intelligence entre mon ministère et les services de la garde des sceaux.

Je saisis cette occasion pour rendre hommage solennellement avec vous aux sept militaires tombés au combat dans l'opération Serval, et à leurs quarante camarades gravement blessés. Ils témoignent des dangers, de l'engagement et du dévouement si particulier pour le pays que représente leur métier. Nous leur devons la reconnaissance de la Nation.

Un projet de loi de programmation militaire est par définition perfectible, et je sais gré à vos commissions de leurs apports.

Vos réflexions préparatoires, la participation de trois d'entre vous à la commission du Livre blanc, votre contribution à la conception de la programmation et maintenant votre marque sur le texte même l'ont nourri ; cela donne tout son sens aux choix du Sénat pour l'examen en première lecture.

Ce projet, équilibré, confortera notre autonomie stratégique et notre ambition européenne, tout en contribuant au renforcement de notre souveraineté budgétaire. Cette situation n'est pas si fréquente, je le dis sans sentiment de supériorité. J'ajoute que ce texte déborde souvent le champ de la défense et s'étend vers celui de la sécurité nationale, dont je partage la responsabilité avec le ministre de l'intérieur.

En décidant le maintien de notre effort de défense, le président de la République a souligné que la France accomplissait cet effort non pour ses armées en elles-mêmes mais pour sa propre sécurité. J'ai confiance dans la représentation nationale pour confirmer cette ambition, dans l'intérêt de la France et le respect de celles et ceux qui la servent avec courage, professionnalisme et dévouement. (Applaudissements)

M. Jean-Louis Carrère, président et rapporteur de la commission des affaires étrangères .  - Me voici président et rapporteur ; ne vous inquiétez pas, nous voyons bien venir la fin du cumul des mandats. (Sourires)

Cette loi de programmation militaire, moment important pour notre défense, est propice au rassemblement républicain. C'est pourquoi, comme naguère le président de Rohan, j'ai voulu y associer le plus grand nombre de nos collègues, majorité et opposition, ainsi que les commissions des lois et des finances. Les groupes de travail, coprésidés par des membres de la majorité et de l'opposition au sein de notre commission de la défense, avaient préparé le terrain.

Malgré une situation économique très difficile, le président de la République a décidé de sanctuariser les moyens de la défense nationale. Au total, les dépenses atteindront 190 milliards d'euros d'ici 2019. C'est maintenir l'effort de défense tout en veillant au désendettement ; celui-ci représente un autre enjeu de souveraineté quand les intérêts de la dette forment le premier poste budgétaire de l'État. Alors que nos voisins sabrent dans leurs dépenses de défense, la France, elle, tiendra son rang. Cette décision doit être saluée.

Moins nombreuses mais mieux armées, nos forces seront plus efficaces. Je pense aux drones Male et aux ravitailleurs tactiques, qui ont fait cruellement défaut lors des dernières interventions.

La priorité donnée au renseignement, à l'équipement et à la cyberdéfense permettra à la France de disposer d'un outil de défense robuste et modernisé.

Le volet normatif du texte est important. Je pense notamment au renseignement : le contrôle parlementaire est une garantie d'efficacité. Avec ce projet de loi, nous franchirons une nouvelle étape, sans voyeurisme ni chicanerie. Je pense aussi aux dispositions pour éviter toute judiciarisation excessive de l'action des soldats en opération extérieure : le métier des armes n'est pas un métier comme les autres.

Tout se tient ici. Veillons aux conditions dans lesquelles nous entamerons l'exécution de cette programmation. Je m'inquiète des surcoûts liés aux Opex en 2013, de la levée de crédits mis en réserve et des surcoûts liés au système Louvois. Un report de charges de 3 milliards d'euros pèserait lourdement sur la défense. Il faut obtenir du ministère du budget un financement interministériel intégral du surcoût des Opex. (Marques d'approbations sur divers bancs)

Je remercie solennellement le Gouvernement pour éviter tout retard dans les cessions. Mais seront-elles toutes au rendez-vous ? La commission souhaite intégrer une clause de sauvegarde dans la partie normative du projet de loi. Comment s'y opposer, si l'on est de bonne foi ? Je vous le dis avec beaucoup de courtoisie, monsieur le ministre.

Nous ne voulons pas voir la masse salariale augmenter tandis que les effectifs diminuent. Nos bases sont sous tension, nous l'avons constaté à Mont-de-Marsan. Vous avez lancé, monsieur le ministre, une réflexion sur la restructuration de nos implantations. C'est indispensable mais l'accompagnement économique et social de telles réformes ne l'est pas moins.

La commission a également voulu renforcer les moyens du Parlement pour contrôler l'application de la loi de programmation militaire, non par défiance mais pour mieux vous soutenir, monsieur le ministre. J'aime l'arithmétique. Le Sénat s'était prononcé pour maintenir le budget de la défense à 1,5 % du PIB. Or, compte tenu de l'inflation, nous pourrions passer en-dessous de ce seuil d'ici 2019 alors qu'il faudrait plutôt tendre dès que possible vers 2 %.

La défense est la condition de la sécurité des Français. Nos forces, ces derniers mois, ont montré leur efficacité. Je souhaite que le Sénat sache se rassembler pour faire honneur aux femmes et aux hommes qui, dans nos armées, servent le pays, parfois jusqu'au sacrifice suprême. (Applaudissements)

M. Yves Krattinger, rapporteur pour avis de la commission des finances .  - La majorité sénatoriale s'étant retrouvée minoritaire en réunion, la commission des finances a formulé un avis défavorable au projet de loi. Toutefois, nous avons adopté à l'unanimité trois amendements.

Une loi de programmation ne lie ni le Gouvernement ni le législateur puisque la loi de finances, chaque année, détermine les crédits de la défense. Pour autant, elle a son importance : elle est une référence à laquelle chaque budget est comparé.

Préserver la sécurité nationale et le rang international de la France, développer nos capacités industrielles, rétablir les comptes publics : il est difficile de poursuivre ensemble les trois objectifs mais le texte y parvient. Il contribue au redressement des comptes publics, d'abord, avec une stabilisation des crédits en valeur au début de période et une stabilisation en volume en fin de période. Des ressources exceptionnelles viennent compenser la baisse de 500 millions de crédits en début de programmation. Elles baissent en fin de période, à mesure que les crédits budgétaires progressent, moins rapidement toutefois, de manière à préserver les investissements.

L'enjeu est la sincérité de la programmation, vous l'avez dit le 10 septembre 2013, monsieur le ministre. La trajectoire est soutenable pourvu que certaines conditions soient remplies. D'abord, des économies doivent être réalisées sur la masse salariale. Les dérapages constatés lors de la précédente programmation avaient obligé à tailler dans les crédits d'équipement. Pour que cela ne se répète pas, nous proposons de définir, dans le rapport annexé à la loi de programmation militaire, une trajectoire baissière de la masse salariale. C'est d'autant plus nécessaire que le ministère est en auto-assurance sur les crédits du personnel.

M. Jean-Louis Carrère, président et rapporteur de la commission des affaires étrangères.  - C'est vrai.

M. Yves Krattinger, rapporteur pour avis.  - Ensuite, les recettes exceptionnelles doivent être au rendez-vous. Elles seraient, par nature, aléatoires dans leur calendrier et leur produit. Cela est surtout vrai pour le calendrier des fréquences hertziennes. De plus, une clause de sauvegarde est prévue. Les cessions des emprises immobilières, pour être réussies, supposent que les procédures actuelles soient reconduites. La commission des finances vous proposera de prolonger le dispositif de la cession à l'amiable des emprises immobilières, en particulier aux collectivités territoriales.

Enfin, les aléas économiques sont forts. Ils sont liés au surcoût des Opex mais aussi à la hausse du prix des carburants : si le prix du baril augmente d'un euro, il en coûte 6 millions par an au ministère. Enfin, si les exportations d'avions Rafale prévues ne sont pas au rendez-vous, il faudra financer l'achat d'appareils supplémentaires pour maintenir la chaîne de production. Les 4 milliards d'euros ne sauraient être prélevés sur les autres dépenses d'armement. (M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, approuve) C'est pourquoi je vous proposerai d'inscrire une clause de sauvegarde dans le rapport annexé. De telles clauses sont justifiées, du moment que le ministère fait tous ses efforts pour contenir ses dépenses car, face aux menaces actuelles, nous ne saurions baisser la garde pour des raisons budgétaires.

Responsabiliser le ministère, lui donner les moyens juridiques de procéder à des cessions, sanctuariser ses ressources : voilà l'esprit de nos propositions. (Applaudissements)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois .  - Je m'exprimerai en tant que rapporteur de la commission des lois et, si vous me l'autorisez, de président de la délégation parlementaire au renseignement.

Le renseignement est un sujet difficile ; je veux souligner la qualité du dialogue avec les services du ministère et la commission de la défense. Le Parlement contrôle l'exécutif et nous devons assumer cette tâche. Néanmoins, il est évident que des adaptations s'imposent pour le renseignement. La délégation parlementaire travaille sous le couvert du secret-défense afin de protéger les agents, auxquels je rends hommage.

Le texte accroît ses pouvoirs : nous prendrons désormais connaissance de la stratégie nationale du renseignement et du plan national d'orientation du renseignement. Je reviendrai sur le verbe choisi, « prendre connaissance ». Nous voudrions avoir accès à tous les documents, sans a priori. S'il est exclu de contrôler des actions en cours, nous aimerions pouvoir exercer notre mandat sur toutes les actions terminées. Ce point, strictement conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, doit être clairement inscrit dans la loi. Nous aimerions également auditionner les agents en présence du directeur des services de renseignement, comme a tenu à le préciser la commission de la défense, ainsi que tous les directeurs d'administration pour peu qu'ils soient en contact avec des activités de renseignement. Nous souhaiterions, enfin, être destinataires des rapports d'inspection, puisqu'une inspection est créée, dans le respect absolu du principe de l'anonymat, ainsi que des rapports de la Cour des comptes.

Ce projet de loi transforme la commission de vérification des fonds spéciaux en une sous-formation de la délégation parlementaire du renseignement. Si j'ai bien compris, ses quatre membres ne pourraient pas évoquer leurs travaux devant leurs autres collègues de la délégation. Nous aboutirions ainsi à un paradoxe : en voulant rapprocher ces deux entités, on les éloignerait. Plutôt que cette bizarrerie, procédons à une fusion : ce serait plus simple, plus logique et plus cohérent.

La question des fichiers est extrêmement sensible, en particulier celle du fichier européen PNR. Celui-ci porterait sur l'ensemble des déplacements entre l'Europe et les pays tiers. Ce fichier, qui n'est prévu que par un projet de directive, a fait l'objet des plus vives réserves du Parlement européen, du contrôleur européen à la protection des données personnelles et des Cnil européennes. La commission des lois, consciente de la nécessité de donner au renseignement les moyens d'une action efficace, n'est pas moins attachée à la défense des libertés publiques. Aussi nous sommes-nous attachés à définir les prérogatives de l'unité de gestion du traitement automatisé qui doit être créée. À cause du gigantisme de ces fichiers, les questions de ciblage et de profilage doivent donner lieu à une expertise particulière, humaine, avant 2017. Enfin, notre commission des lois ne peut que faire siennes les résolutions votées par le Sénat à l'initiative de MM. Détraigne et Sutour.

Concernant la géolocalisation, sur laquelle nous avons eu un dialogue fructueux avec le ministère, nous estimons que les dispositions afférentes doivent être intégrées dans la loi de 1991 sur les interceptions. Personne n'ignore, en effet, qu'un dispositif transitoire vient d'être prorogé dans la loi sur le terrorisme ; donnons-lui de la solidité.

Pour finir, quelques considérations sur la justice. Après un long débat, notre commission a décidé de vous suivre sur le monopole du parquet pour engager l'action publique sur les faits impliquant des militaires en temps de guerre ou en Opex. En revanche, nous ne vous suivrons pas sur la présomption simple, principe selon lequel ne serait pas déclenchée systématiquement une enquête en recherche des causes de la mort d'un militaire. Celle-ci, symbolique, serait dépourvue d'effets, a finement observé le conseil supérieur de la fonction militaire.

La commission des lois a donné un avis favorable à ce projet de loi, attendu par nos soldats dont je veux saluer l'engagement au service de la nation ! (Applaudissements)

M. Jean-Louis Carrère, président et rapporteur de la commission des affaires étrangères.  - La commission demande la réserve de l'examen de l'article 2 relatif au rapport annexé, après l'article 37. Je n'innove pas, tous mes prédécesseurs en ont usé ainsi.

Notre commission se réunit dans quelques instants dans notre ancienne salle 216, qui est devenue celle de la commission des lois.

M. Jean-Pierre Sueur, président et rapporteur pour avis de la commission des lois.  - Ce n'est pas la guerre ! Nous coopérons. (Sourires)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense.  - L'avis est favorable.

La réserve est de droit.

La séance est suspendue à midi quarante.

6

M. le président.  - Amendement n°52, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 358

Supprimer les mots :

(hors dépenses « hors socle »)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Ne remettons pas en cause la trajectoire de redressement des finances publiques par une clause de revoyure sur les dépenses « hors socle ». Le Premier ministre a arbitré.

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur.  - Certes ! Nous sommes conscients des efforts faits pour contenir l'évolution de la masse salariale mais avec votre système, plus il sera difficile de reconvertir les militaires, plus il faudra comprimer les rémunérations ou accentuer la déflation des effectifs... C'est la double peine. Je comprends que Bercy y soit favorable mais la régulation ne doit s'opérer que sur le fondement de dépenses sur lesquelles le ministère peut agir. Faisons le bonheur de M. le ministre malgré lui !

L'amendement n°52 n'est pas adopté.

L'article 2, modifié, est adopté.

Interventions sur l'ensemble

Mme Nathalie Goulet .  - Une fraction de seconde pour dire que la majorité du groupe UDI-UC votera ce texte qui doit beaucoup aux efforts de diplomatie et à l'énergie employés par notre président-rapporteur.

Une simple observation : il n'est pas de golfe arabo-persique, comme on le mentionne dans l'annexe, mais un golfe persique.

Mme Corinne Bouchoux .  - Je me réjouis de ces débats constructifs, de leur ton apaisé malgré nos désaccords sur la dissuasion nucléaire. Ensemble, nous avons complété la loi Morin de 2010 sur l'indemnisation des victimes. Un regret : outre que nous n'avons pas été associés à la préparation du Livre blanc, il n'a pas été tenu assez compte de la green defense ; les conflits de demain seront liés aux questions de la raréfaction des ressources et du changement climatique.

En raison de son désaccord sur la question de la dissuasion, le groupe écologiste votera contre, hormis une abstention.

M. Daniel Reiner .  - Cette loi de programmation militaire met en forme le Livre blanc, donne priorité à l'équipement de nos forces : tous les grands programmes sont maintenus, nous commençons même à combler nos lacunes capacitaires -190 milliards sur six ans, ce n'est pas rien. Les moyens consacrés à la recherche sont renforcés. Le groupe socialiste votera ce texte en soulignant la qualité des travaux du rapporteur. (Applaudissements)

M. Jean-Pierre Chevènement .  - Tout le groupe RDSE votera ce texte largement amélioré par la commission parce qu'il donne à la France les moyens de rester une grande puissance militaire. C'est important pour l'Europe et notre environnement régional. Bravo et merci au président Carrère de son travail. (Applaudissements)

M. Dominique de Legge .  - Nos débats, animés par la poursuite de l'intérêt général, ont été de haute tenue. Le groupe UMP, dans sa majorité, votera cependant contre cette programmation : avec un budget en dessous de 1,5 % du PIB, c'est la crédibilité de notre défense qui est atteinte. Les clauses de sauvegarde ne serviront de rien : elles ne sont pas financées. La programmation est fragile.

Certains d'entre nous s'abstiendront, par volonté de faire entendre la voix du Sénat. Ce qui ne contredit en rien notre constat que je veux redire avec force : cette loi n'est pas à la hauteur de nos ambitions.

Mme Michelle Demessine .  - Nos débats ont été sérieux, pacifiques et marqués par l'écoute réciproque. Un regret, ils ont davantage porté sur la partie normative -la discussion sur le renseignement a été riche grâce au président de la commission des lois- que sur la programmation proprement dite. Grâce au président de la commission des lois, le contrôle parlementaire sur les services de renseignement ont été renforcés.

Si ce texte réussit le tour de force de maintenir le budget de la défense, nous déplorons la réduction drastique des effectifs, de même que nos discussions inabouties sur la dissuasion nucléaire -quoique nous appréciions le débat avec M. Chevènement. Mais nous nous félicitons que trois thèmes qui nous sont chers aient été abordés, la lutte contre la prolifération nucléaire, la politique commune de défense et la légalité internationale des Opex. Compte tenu de ces éléments, le groupe CRC s'en tiendra à une position d'abstention positive. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Yves Pozzo di Borgo .  - Nous déplorons le manque d'unanimité devant cette loi : c'est faire fi du travail de la commission de la défense et du dialogue fructueux avec le Gouvernement, que nous ne dédouanons pas de ses responsabilités dans l'état de notre économie et de nos finances. À nous de protéger nos soldats de la contrainte budgétaire. L'intérêt général a primé. Maîtrise de la masse salariale, contrôle parlementaire et clauses de revoyure incitent la majorité du groupe UDI-UC à voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs UDI-UC)

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur .  - Au terme de ce débat, je veux remercier M. Sueur pour son opiniâtreté, son enthousiasme et la pertinence de ses arguments. Contrairement à ce qu'on a pu entendre ici et là, nulle divergence fondamentale entre nous ; l'intérêt général a prévalu. Merci aussi à M. Krattinger, dont les observations ont été précieuses.

Les administrateurs du Sénat nous ont beaucoup aidés. Je suis parfois sourd... C'est l'âge, que voulez-vous ! Voilà vingt-et-un ans que je siège ici... Il est légitime que les Landais choisissent plus allant et plus jeune... tandis que nous irons retrouver nos belles palombières et la langueur du temps qui passe...

Je vous remercie, monsieur le ministre, qui avez toujours montré de la considération pour les parlementaires. Vous êtes un homme de parole ; pour le Sénat, cela compte beaucoup, beaucoup.

Pour paraphraser M. Pozzo di Borgo, je fais de la politique depuis de longues années ; j'ai beau être plutôt bagarreur, je me réjouis que le sens de l'intérêt général ait pris le pas sur les fausses rixes. Puisse cela arriver plus souvent : il y va de l'image de la classe politique, qui mérite mieux que ce qu'on dit d'elle. (Applaudissements)

A la demande de la commission et du groupe UMP, l'ensemble du projet de loi est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 347
Nombre de suffrages exprimés 303
Pour l'adoption 163
Contre 140

Le Sénat a adopté.

(Vifs applaudissements)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre .  - Merci pour ce vote qui manifeste une volonté, une volonté pour notre pays, pour notre défense, pour notre sécurité. Merci aussi pour la qualité et la sérénité de nos échanges sur un sujet qui touche aux valeurs fondamentales de la Nation. Grâce à vous, grâce au président Carrère et aussi au président Sueur, nous avons donné une image de responsabilité et de force. L'objectif est bien de faire de la France la première puissance de défense européenne en 2019. Je ne doute pas qu'il sera atteint. (Applaudissements)

Convention fiscale France Canada

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Canada tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et la fortune.

Discussion générale

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger .  - Cet avenant à la convention fiscale entre la France et le Canada, du 2 mai 1975, résulte de négociations entamées en 2004. Il a été signé le 2 février 2010.

Cet accord s'inscrit dans le mouvement continu de mise à jour de nos conventions bilatérales avec les standards de l'OCDE. En ce sens, c'est un pas de plus dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

L'avenant contribuera également à l'indépendance économique de la Nouvelle-Calédonie en créant les conditions de développement de projets miniers menés par la co-entreprise Koniambo Nickel SAS, détenue à 51 % par la société minière du Sud Pacifique et à 49 % par la société canadienne Xstrata Nickel.

Les investissements devraient déboucher sur l'ouverture d'une usine pyrométallurgique, d'un port en eaux profondes et de dispositifs de dessalement de l'eau de mer. Les retombées sociales et économiques seront importantes dans le nord de l'île. (Applaudissements)

Mme Michèle André, rapporteur de la commission des finances .  - Cet avenant ne modifie pas la convention fiscale qui nous lie au Canada, déjà modifiée et conforme aux standards de l'OCDE ; elle l'étend à la Nouvelle-Calédonie pour que soit réalisé le programme d'investissement dans le nord de l'île.

La société canadienne Falconbridge, rachetée par Xstrata, ne doit pas être imposée plusieurs fois. Elle doit bénéficier du régime canadien de la société mère. Il ne s'agit pas d'autoriser un montage dérogatoire : le dispositif prévu s'applique à toutes les entreprises.

Des garde-fous sont prévus. Une charte environnementale a été signée avec la province nord. Le schéma de mise en valeur des richesses minières, adopté en 2009 par le Congrès de Nouvelle-Calédonie, en application des accords de Nouméa, conditionne explicitement le bénéfice de certaines aides au strict respect des normes environnementales.

En outre, le texte renforce notre coopération sur l'échange d'informations fiscales, pour aller vers l'automaticité. La lutte contre l'évasion fiscale est une exigence impérieuse, à l'heure où tous les Français doivent consentir des efforts.

J'insiste sur l'importance du projet de développement de la province nord de Nouvelle-Calédonie. La nouvelle usine de nickel pourrait employer directement et indirectement 5 200 personnes et porter à 15 % la part de la Nouvelle-Calédonie dans la production mondiale de nickel. Le Congrès néo-calédonien a approuvé ce projet d'avenant en septembre 2012 et le président du FLNKS de la région nord y est très favorable. Ce projet s'inscrit dans la perspective à long terme du développement économique de la Nouvelle-Calédonie, qui a depuis longtemps mobilisé l'attention de notre commission et de nos collègues du Luart, Torre et Doligé.

Certains craignent les conséquences environnementales du projet Koniambo. Je rappelle que les accords de Nouméa insistent sur le respect des normes environnementales. Il faudra rester vigilant. La commission des finances vous invite à voter ce projet de loi. (Applaudissements)

M. André Gattolin .  - L'avenant proposé étend à la Nouvelle-Calédonie la convention en vigueur avec le Canada pour permettre l'achèvement du projet minier de Koniambo. L'économie néo-calédonienne repose en grande partie sur des ressources minières. Les Kanaks ont fait de la réalisation d'une usine de nickel au nord un préalable aux accords de Nouméa, espérant s'affranchir des transferts de l'État français en vue de gagner les moyens de l'indépendance.

Pour que l'investissement soit rentable, Falconbridge doit pouvoir rapatrier ses bénéfices au Canada, où est le siège de sa société mère. C'est un dispositif de droit commun.

Les écologistes se demandent s'il faut vraiment fonder le développement sur l'exploitation d'une seule ressource minière, qui plus est vouée à s'épuiser, sachant en outre que la production et le commerce du nickel sont un domaine très spéculatif, où l'on ne compte pas que des enfants de choeur. Nous nous inquiétons donc des effets de cet avenant mais restons très attachés à l'affranchissement de la Nouvelle-Calédonie d'un modèle économique néocolonial. Les bénéfices de l'usine seront réinvestis pour dynamiser l'économie locale. Reste que l'extraction de ressources minières exige une grande transparence. Le groupe écologiste approuvera cet avenant.

M. Dominique de Legge .  - Je ne suis pas sûr que cet avenant méritait ce débat tardif. La commission des finances proposait d'ailleurs un examen simplifié. Il s'agit seulement d'étendre à la Nouvelle-Calédonie la convention fiscale qui lie la France au Canada. Ainsi, la société Falconbridge bénéficiera d'une franchise d'impôts sur ses dividendes au Canada. Ne nous perdons pas en considération éloignées de l'objet de ce texte. Le groupe UMP le votera sans réserve. Voyez que je sais être bref ! (Applaudissements)

Mme Isabelle Pasquet .  - Veuillez excuser M. Bocquet.

Ce projet de loi ne nous a d'abord pas inquiétés. Toutefois, réticents face à la procédure simplifiée, nous l'avons lu attentivement et nous avons constaté qu'il s'agissait de favoriser une société canadienne investissant en Nouvelle-Calédonie.

La mine de Koniambo est exploitée à 49 % grâce à des capitaux canadiens. Ce projet est prometteur et c'était une condition des accords de Nouméa. Pour exploiter la mine, la Société minière du Sud Pacifique a choisi le canadien Falconbridge. Le montant des investissements dépasse largement les prévisions. Est-il pour autant légitime d'autoriser le versement de dividendes en franchise d'impôts ? Vu le droit fiscal canadien, 40 % des dividendes ne seront soumis à aucune imposition. Le vrai patron de Falconbridge est domicilié à Baar, une localité du canton de Zoug, un paradis fiscal qui, avec un peu plus de 110 000 habitants, accueille 200 000 sociétés dont Glencore, Metro, Pelikan, le gestionnaire de fortunes dénommé Saint-Graal, et aussi le groupe Petroplus, bien connu à Petit-Couronne.

Nous voterons contre.

La discussion générale est close.

L'article unique du projet de loi est adopté.

M. Robert del Picchia.  - Tout ça pour ça !

Prochaine séance aujourd'hui, mardi 22 octobre 2013, à 14 h 30.

La séance est suspendue à minuit cinquante-cinq.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du mardi 22 octobre 2013

Séance publique

A 14 heures 30 et le soir

- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (n°851, 2012-2013)

Rapport de M. Claude Dilain et M. Claude Bérit-Débat, fait au nom de la commission des affaires économiques (n°65, 2013-2014)

Avis de Mme Aline Archimbaud, fait au nom de la commission des affaires sociales (n°29, 2013-2014)

Avis de M. Jean-Luc Fichet, fait au nom de la commission du développement durable (n°44, 2013-2014)

Avis de M. René Vandierendonck, fait au nom de la commission des lois (n°79, 2013-2014)

Texte de la commission (n°66, 2013-2014)