SÉANCE
du mardi 17 septembre 2013
6e séance de la troisième session extraordinaire 2012-2013
présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires : M. Marc Daunis, M. Gérard Le Cam.
La séance est ouverte à 14 h 35.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Éloge funèbre de Jean-Louis Lorrain
M. le président. - (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent ainsi que M. le ministre des relations avec le Parlement) C'est avec une profonde tristesse que nous avons appris, le 27 juin dernier, la brutale disparition de notre collègue Jean-Louis Lorrain. Emporté, à 65 ans à peine, par une maladie implacable, il s'est éteint à son domicile, auprès de sa famille, dans ce département du Haut-Rhin auquel il était si profondément attaché.
Les obsèques de Jean-Louis Lorrain ont été célébrées le 3 juillet en l'église de Landser, commune dont il aura été le premier magistrat durant plus de trente ans. Cette cérémonie fut à son image, simple et attachante, au milieu de ses proches et de tous ceux qui lui étaient chers. La présidente Bariza Khiari, au nom du Bureau du Sénat, a exprimé, en cette émouvante occasion, notre profonde et commune tristesse. Nous la remercions d'avoir ainsi été notre interprète.
Cet adieu en terre d'Alsace, région qu'il a si fidèlement servie, devait trouver son écho aujourd'hui au Palais du Luxembourg, dans notre hémicycle, en présence de sa famille rassemblée dans nos tribunes.
Au nom de l'ensemble des sénatrices et des sénateurs de la République, je souhaite à mon tour rendre ici hommage aux très grandes qualités humaines de Jean-Louis Lorrain, élu de grande qualité qui manifesta en toutes circonstances un sens aigu de l'intérêt général et une grande autorité morale, mais aussi, et peut-être surtout, un homme de coeur très engagé, indiscutablement doté de vraies valeurs humaines.
Jean-Louis Lorrain était ouvert aux autres. Homme d'écoute, il se dépensait sans compter pour le bien-être de ses concitoyens, à commencer par les plus défavorisés d'entre eux. Par sa détermination, par son engagement sans faille dans la conduite des projets dont il avait la charge, par son sens du service public et son altruisme, il incarnait l'action politique dans ce qu'elle a de plus noble.
Ses qualités trouvèrent parfaitement à s'exprimer tout au long de ses mandats locaux successifs. Avant d'être membre de notre assemblée à deux reprises, Jean-Louis Lorrain fut en effet un élu local actif, maire de Landser de 1977 à 2008, conseiller général du Haut-Rhin de 1979 à 2011, mandat pendant lequel il assuma également les fonctions de vice-président du conseil général, mais aussi de président du Sivom du pays de Sierentz durant près de vingt ans.
Sa passion et son investissement inlassable dans le domaine social l'avaient ainsi naturellement conduit à s'impliquer dans les questions de solidarité au sein du conseil général du Haut-Rhin et à présider notamment l'Association d'entraide et d'insertion sociale du département, le conseil d'administration du Centre hospitalier de Rouffach et la Fondation pour le développement des neurosciences en psychiatrie.
Le médecin qu'était Jean-Louis Lorrain s'était en quelque sorte donné pour ambition de contribuer à guérir les maux qui frappent le corps social. Il se dévouait sans compter au service de ses convictions et de ses concitoyens.
Il était logique que ces traits de caractère, son naturel calme et modéré et son goût pour un travail approfondi, au service d'une éthique personnelle sans faille, conduisent Jean-Louis Lorrain à rejoindre le Palais du Luxembourg.
Il disait lui-même : « Un sénateur ne doit pas être un homme agité. Je suis un homme pondéré mais pas docile pour autant ».
Il se sentait donc à l'aise dans notre assemblée soucieuse de conduire une réflexion approfondie sur les sujets de préoccupation de nos concitoyens.
Jean-Louis Lorrain a siégé douze ans au Sénat. Il y fit son entrée à l'issue des élections sénatoriales du 24 septembre 1995, étant élu sur la liste conduite par notre ancien collègue Hubert Haenel, dont l'itinéraire avait, dès leur jeunesse, croisé le sien...
Fidèle en politique comme en amitié, Jean-Louis Lorrain participe à la même liste en vue des élections sénatoriales de 2004 car telle était sa conception, exigeante, de l'engagement politique. Et les faits lui donnèrent finalement raison puisque, s'il ne fut pas réélu en 2004, il redevint sénateur le 7 mars 2010 lorsque notre ami Hubert Haenel fut nommé membre du Conseil constitutionnel...
Durant ces années passées au Sénat, le médecin de formation donna toute sa mesure au sein de la commission des affaires sociales, dont il était le respecté vice-président. Passionné par les questions de santé en général et par les questions éthiques et médicales, dont il était devenu un spécialiste reconnu, il consacra toute son énergie à cette mission, acceptant même, pour cela, d'abandonner des fonctions locales auxquelles il était pourtant profondément attaché. La conception rigoureuse du travail législatif qu'avait Jean-Louis Lorrain s'illustra dans ses multiples interventions et dans ses nombreux rapports parlementaires. Beaucoup de ces travaux font encore référence, qu'il s'agisse des rapports successifs sur les projets de loi annuels de financement de la sécurité sociale -élaborés aux côtés notamment de nos anciens collègues Charles Descours, Alain Vasselle et Dominique Leclerc-, de ceux consacrés aux droits des malades et à la qualité du système de santé, à la responsabilité civile médicale ou encore à l'accueil et la protection de l'enfance.
Ces mêmes qualités avaient incité François Bayrou, alors ministre de l'éducation nationale, à lui confier une délicate mission temporaire sur les violences en milieu scolaire. Ses analyses éclairées sur ce thème, poursuivies au Sénat, ont connu un important et légitime succès et demeurent toujours pertinentes.
Son intérêt jamais démenti pour les affaires sociales, qui le conduisait à toujours placer l'homme au centre de ses préoccupations, fut illustré par toute son action au Sénat, mais aussi par ses multiples engagements en dehors du Palais du Luxembourg. Il fut ainsi membre du Comité national de l'organisation sanitaire et sociale, du Conseil national du Sida, du Conseil national d'éthique ou encore de la Commission nationale d'agrément des associations représentants les usagers dans les instances hospitalières ou de santé publique. Dans chaque cas, il donna le meilleur de lui-même, apportant sur des dossiers complexes une expertise reconnue, qu'il s'agisse des liens entre nanosciences et progrès médical, des incidences du téléphone mobile sur la santé ou encore des soins palliatifs.
L'inlassable curiosité intellectuelle de Jean-Louis Lorrain ainsi que sa volonté de défendre en permanence les idées humanistes qui étaient les siennes l'avaient également conduit à participer, en 1999, à la 52e session de l'Institut des hautes études de la défense nationale, puis, en 2001, à la 13e session de l'Institut des hautes études de sécurité intérieure. Elles l'amenèrent également à préparer avec passion, alors qu'il était déjà très engagé dans sa vie prenante d'élu, un second doctorat sur l'éthique et les sciences de la vie. De multiples publications témoignent de la vigueur et de la force de son engagement pour les idées et les valeurs qu'il avait faites siennes.
Jean-Louis Lorrain tenait aussi à transmettre son savoir et sa compétence à travers des activités universitaires et pédagogiques : il présida ainsi pendant de longues années l'Institut supérieur de service social de Mulhouse et souhaita rester membre de l'équipe du Centre européen d'enseignement et de recherche en éthique en charge du master consacré aux questions d'éthique, au sein de l'université de Strasbourg.
Jean-Louis Lorrain avait la volonté de participer aux débats d'idées et de faire partager ses convictions sur le plan international. Il représenta ainsi le Sénat au sein de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, où il siégeait naturellement à la commission des questions sociales et participait avec le dynamisme qui le caractérisait aux travaux de cette assemblée en matière de respect des droits de l'homme.
Mais Jean-Louis Lorrain resta peut-être avant tout, et jusqu'à son dernier souffle, un médecin passionné, profondément inspiré par ses convictions chrétiennes.
Ce souci de l'autre explique sans doute son attachement pour l'Association pour le logement des sans-abris, qui défend l'accès de tous aux soins et au logement grâce à un accompagnement social adapté. Notre regretté collègue se sentait d'autant plus proche de cette association que son engagement revêtait une dimension éthique et profondément humaine.
C'est pour ces raisons que sa disparition brutale a laissé tous ses amis désemparés. Qu'ils sachent que, de même qu'il occupera à coup sûr une place de choix dans la mémoire de la vie politique alsacienne, Jean-Louis Lorrain restera présent dans nos mémoires, ici, au Palais du Luxembourg.
Mais l'heure est, à cet instant, au recueillement. A ses collègues du groupe de l'UMP, une nouvelle fois éprouvés par la disparition de l'un de ses membres, j'adresse les sincères condoléances du Sénat unanime. Aux membres de la commission des affaires sociales, j'exprime la sympathie attristée de leurs collègues.
A vous, madame, à Nicolas et à Frédéric, et à tous vos proches, je vous présente, au nom de l'ensemble des sénatrices et sénateurs de la République, mes très vives condoléances et je veux vous dire notre grande tristesse.
M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. - C'est avec une profonde tristesse que le Gouvernement a appris la disparition de Jean-Louis Lorrain. Son mandat à la Haute assemblée prolongeait une longue carrière d'élu local, en Alsace. Son oeuvre à Landser témoigne de son engagement. Il y repose aujourd'hui entouré de l'estime de ceux qui furent ses administrés et ses patients pendant plus de trente ans.
Entré au Palais du Luxembourg en 1995, il adhéra au groupe de l'union centriste. Homme de conviction, centriste de coeur, il rejoignit ensuite le groupe UMP.
Il fut un membre actif de la Haute assemblée, de sa commission des affaires sociales comme de celle de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Élu de terrain soucieux des autres, c'était un honnête homme, au sens de Pascal et Montaigne, qu'il appréciait. Il a accompli son travail de législateur avec passion, exigence et mesure.
C'était un parlementaire écouté. Lors de ses dernières interventions, il regrettait la disparition des médecins en milieu rural. Dans sa dernière question écrite, il déplorait l'expulsion des étrangers gravement malades.
Cet humanisme, nourri de l'étude des peintres par cet ancien auditeur du Louvre comme de celle des premiers médecins philosophes dans lesquels il voyait les précurseurs de l'épistémologie moderne, cet humanisme véritable trouva son expression dans le métier de médecin. Il exerça son art selon la maxime de Pasteur : « guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours ».
Il poursuivit ainsi des travaux de recherche sur la souffrance, jusqu'au doctorat, obtenu en 2009. Il intitula son étude Figures de la souffrance psychique -approche éthique, avec cet incipit : L'autre souffrant ne peut laisser indifférent.
Il y a quelques mois, pour le trentième anniversaire du Comité national consultatif d'éthique, il participa au volume d'études publiées aux Presses universitaires de France. Jean-Louis Lorrain fut un membre éminent du Centre européen d'enseignement de recherche en éthique. Soucieux de sensibiliser les étudiants aux questions éthiques, il enseigna aussi l'importance de la responsabilité sociale des entreprises.
Ce travail éthique d'enseignement et de recherche, Jean-Louis Lorrain le concevait comme le prolongement de son action politique. Ce niveau élevé d'exigence et d'engagement restera un exemple pour ceux qui l'ont connu.
Une maladie éprouvante qu'il s'efforçait de surmonter avec courage, sans oublier son attention aux autres, l'a finalement emporté.
Je présente les très sincères condoléances et la sympathie attristée du Gouvernement à sa famille, aux habitants de Landser et à tous ses collègues de la Haute assemblée.
M. le président. - Mes chers collègues, je vous invite à partager un moment de recueillement en la mémoire de Jean-Louis Lorrain.
Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.
présidence de M. Jean-Patrick Courtois,vice-président
La séance, suspendue à 14 h 55, reprend à 15 heures.