Budget européen (Questions cribles)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur le budget européen.
M. Simon Sutour . - Où en est la négociation sur le cadre financier 2014-2020 ? De l'avis général, le président de la République a bien négocié, même si nous aurions préféré un budget plus ambitieux ; mais l'essentiel a été préservé et des perspectives sont ouvertes dans des domaines clés. Restent quelques zones d'ombre cependant, notamment les moyens insuffisants du programme Erasmus et l'aide aux plus démunis. Mais le dernier mot n'est peut-être pas dit ; conformément au traité de Lisbonne, le Parlement européen doit désormais approuver le cadre financier pluriannuel de l'Union à la majorité de ses membres. J'ai donc mis le sujet à l'ordre du jour d'une réunion conjointe des commissions des affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat avec les membres français du Parlement européen. Un large soutien s'est dégagé aux propositions du Parlement européen, clauses de flexibilité et de revoyure, ressources propres. Quelle est la position du Gouvernement sur ces sujets ?
M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes . - Le 8 février, la négociation du cadre financier pluriannuel s'est déroulée dans un contexte très difficile, marqué par l'opposition des gouvernements conservateurs. De leur proposition initiale de 820 milliards d'euros, nous sommes parvenus à 960 milliards. La phase de négociation avec le Parlement européen est ouverte, au cours de laquelle nous voulons concrétiser les acquis en faveur de la recherche et développement, des interconnexions, de l'aide aux plus démunis, de la lutte contre le chômage des jeunes. Nous abordons positivement les échanges avec le Parlement et sommes favorables à la clause de révision générale à mi-parcours qu'il demande, comme à une clause de flexibilité maximale et à une feuille de route claire sur l'ensemble du budget, y compris les chèques et rabais. Le budget doit trouver d'autres ressources que la TVA et la TTF. J'ai bon espoir que nous aboutissions sous présidence irlandaise à un budget qui favorise la croissance et l'emploi.
M. Simon Sutour. - Je le souhaite comme vous mais je suis moins optimiste sur les délais... Il est très positif que pour la première fois, le Parlement européen soit appelé à approuver le budget et que les parlements nationaux aient leur mot à dire.
J'insiste sur les régions en transition : les 3 milliards d'euros de crédits doivent être maintenus et même augmentés. Dix de nos régions pourraient être concernées, qui ne l'étaient pas sur la période 2007-2013.
M. Éric Bocquet . - Les chiffres d'Eurostat traduisent une dramatique augmentation du chômage des jeunes en Europe : près de 23 % des 15-24 ans sont sans emploi. Dans les trois quarts des régions, le taux de chômage des jeunes est le double du taux total.
L'Union européenne a prévu une enveloppe de 6 milliards d'euros dans son prochain budget, dont 3 milliards du Fonds social européen, pour financer une garantie pour les jeunes : tous les moins de 25 ans se verront offrir un emploi, une formation ou un stage quatre mois après leur sortie de l'enseignement ou la perte d'un emploi.
Parallèlement, des États membres passent des accords bilatéraux. Espagne et Portugal se sont entendus avec l'Allemagne pour lutter contre le chômage des jeunes. Nous faisons de même. Quelle est l'originalité du dispositif franco-allemand ? A-t-il vocation à être étendu à l'ensemble de l'Europe et comment s'articulera-t-il avec les décisions du sommet des 27 et 28 juin ?
M. Thierry Repentin, ministre délégué. - Les ministères français et allemands ont pris l'initiative de ce que la presse a appelé un New Deal contre le chômage des jeunes. Une ligne de crédit spéciale est créée pour stimuler la création d'emplois dans les petites entreprises ; pour stimuler la mobilité des apprentis, nous leur ouvrons le dispositif Erasmus ; nous facilitons, enfin la création d'entreprises par les jeunes via le réseau européen des pépinières d'entreprises et un accès plus facile au crédit.
Nous voulons mobiliser au plus vite la ligne de crédit de 6 milliards d'euros, en la concentrant sur 2014 et 2015. Le président de la République en parlera à l'issue de son entretien avec Mme Merkel ce soir.
M. Éric Bocquet. - Cette multiplication d'initiatives laisse perplexe, y compris le commissaire européen en charge de l'emploi. Elles sont prises sous la houlette de l'Allemagne.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. - Non.
M. Éric Bocquet. - En tout cas, elles font la part belle au modèle d'outre-Rhin, dont nombre d'études ont montré les limites ; il présente surtout l'avantage de rapporter plus aux employeurs qu'il ne leur coûte et d'attirer les jeunes des pays européens en crise...
M. André Gattolin . - Depuis 2008, le budget de l'Union européenne et le cadre pluriannuel relèvent de la codécision. Mais cela crée une anomalie démocratique, puisque le Parlement, qui n'est élu que pour cinq ans, vote un cadre de sept ans. À quoi s'ajoute une aberration économique : comment planifier un horizon si lointain ?
La fongibilité est devenue la règle. Je pense au volet agricole ; le risque est que les subventions l'emportent sur les lignes consacrées au développement rural et au verdissement de la PAC.
N'est-il pas temps de passer à un cadre quinquennal et de sanctuariser les crédits des politiques de transformation ?
M. Thierry Repentin, ministre délégué. - Nous devons garantir la légitimité démocratique des grands choix budgétaires de l'Union. Je me réjouis que le traité de Lisbonne ait consacré la place du Parlement européen. Le cadre financier fixe les grandes orientations pour sept ans, c'est une condition de prévisibilité des investissements et engagements à moyen et long terme - c'est un des facteurs qui expliquent le succès de la PAC ou de la politique de cohésion. Le nouveau Parlement aura toutefois son mot à dire, puisque le budget annuel est voté en codécision et qu'une clause de revoyure est prévue à mi-parcours.
La fongibilité est encadrée, elle n'est pas contradictoire avec une bonne utilisation de l'argent disponible. La France, à la différence d'autres pays, accepte la clause de flexibilité. Et le Parlement sera codécideur dans le cadre du budget annuel.
M. André Gattolin. - J'insiste : une programmation à cinq ans serait cohérente avec la durée du mandat. Merci de votre vigilance sur la fongibilité. Je travaille sur le programme de soutien à la surveillance de l'espace, la Commission européenne veut soustraire 45 millions d'euros à Galileo pour le financer. C'est inquiétant.
M. Jacques Mézard . - L'accord de février peut être vu de deux manières. On peut s'en réjouir après l'échec de novembre, mais aussi considérer qu'il n'est pas à la hauteur des enjeux, puisqu'il prévoit, pour la première fois, un budget en baisse. Très favorables à la construction européenne, nous sommes convaincus, même si nous sommes conscients des difficultés dues à la crise, que ce n'est pas avec un budget au rabais qu'on sortira de celle-ci. Le Parlement ne s'y est pas trompé, qui demande une rallonge. Il faut d'abord faire face aux impayés de 2012... L'Union européenne est-elle victime de l'austérité qu'elle a contribué à déclencher ? Il n'en reste pas moins que le retour de la croissance exige un budget européen conséquent.
Quid des ressources propres ? Comment réorienter les politiques en faveur de la croissance ? Se dirige-t-on vers l'émergence d'un gouvernement économique européen, comme le souhaite la France ?
M. Thierry Repentin, ministre délégué. - Je connais l'engagement de votre groupe et votre vigilance quant à la bonne consommation des fonds européens. Le cadre financier 2014-2020 garantira que seront engagés 50 milliards d'euros de dépenses supplémentaires par rapport à la période précédente, grâce aux cliquets posés sur les lignes consacrées à l'emploi, à l'innovation, aux infrastructures - plus 140% -, à Erasmus pour tous, qui passe de 8 à 12 milliards d'euros.
L'Europe se dotera-t-elle un jour de ressources propres plus solides ? C'est une voie que soutient la France, qui espère être rejointe pas d'autres États membres. Il faut être optimiste, je le dis en connaissance de cause...
M. Jacques Mézard. - Merci de ces informations. Que nous commencions à être écoutés est une bonne nouvelle. Les élus locaux ont tout intérêt à suivre attentivement les crédits européens - d'où notre attachement au cumul des mandats.
M. Thierry Repentin, ministre délégué. - Bien amené... (Sourires)
M. Jacques Mézard. - Montrons à nos concitoyens que l'Europe est capable du meilleur !
M. Jean Bizet . - Une vraie négociation sur le cadre financier pluriannuel est engagée entre le Parlement et le Conseil, longue et difficile, mais qui témoigne que le budget européen ne se décide plus à huis clos. C'est bon pour la démocratie et la crédibilité des institutions européennes. Je salue la position courageuse des eurodéputés, notamment ceux du PPE. Quel est, monsieur le ministre, le calendrier de la négociation ? Visez-vous un accord avant l'été ? Comment anticiper les conséquences sur la PAC ? La nouvelle PAC entrera-t-elle en vigueur avant 2014 et pourrait-il y avoir un accord sur la PAC avant le vote sur le cadre pluriannuel ?
Le Gouvernement nous dit que l'essentiel est préservé ; mais l'agriculture française perd 52 milliards (M. le ministre le conteste). La contrepartie annoncée d'un milliard est étalée sur sept ans... Comment dans ces conditions préserver notre politique d'installation des jeunes et le soutien au verdissement ? Les crédits de gestion des crises seront-ils suffisants ?
M. Thierry Repentin, ministre délégué. - La position de la France sur les demandes du Parlement européen nous donne bon espoir. D'autant que nous avons répondu favorablement à la demande du Parlement pour solder les comptes : 7,3 milliards d'euros dès cette année, dont 960 millions d'euros à la charge de la France. Nous pouvons être optimistes sur l'adoption du budget lors de la session de juillet. La position de la France est ouverte pour trouver un accord. Le cadre pluriannuel comporte des avancées essentielles, il faut le préserver.
Les crédits qui iront aux agriculteurs ne baissent pas mais sont réaffectés entre les premier et deuxième piliers, celui qui finance le soutien au verdissement : rotation des cultures, prairies permanentes, surfaces d'intérêt écologique comme les haies. M. Le Foll m'a indiqué qu'un accord serait possible au 1er janvier 2015, 2014 étant une année de transition.
M. Jean Bizet. - Votre réponse manque de clarté. Avec 7,3 milliards, le compte n'y est pas ; il ne l'est pas plus pour la PAC. Le rattrapage d'un milliard porte sur sept ans, les agriculteurs ont tout lieu d'être inquiets. Ils seront moins bien accompagnés par les fonds européens alors que la concurrence, y compris intra-européenne, s'intensifie.
M. Jean Arthuis . - Le Conseil des 7 et 8 février est parvenu à un accord sur le cadre budgétaire pluriannuel au terme d'âpres négociations pour contenir l'évolution des crédits, notamment des dépenses administratives - dont les frais de personnel représentent 75 %. Les chefs d'État et de gouvernement ont exercé une pression forte sur la Commission pour qu'elle réduise ses dépenses. Pour y parvenir, la Commission propose de porter le temps de travail hebdomadaire de 37 h 30 à 40 heures sans compensation salariale et de porter l'âge de la retraite de 63 à 65 ans. Des économies de 5 % des frais de personnel sont attendues d'ici 2018. Le Gouvernement français soutient-il ces propositions ?
M. Thierry Repentin, ministre délégué. - La négociation a en effet été difficile, puisque plusieurs pays voulaient s'en tenir à 820 milliards. Nous avons obtenu que l'on aille jusqu'à 960 milliards, ce qui suppose de négocier, aussi, des efforts.
La fonction publique européenne doit rester forte et de qualité. Les négociations en cours s'attachent donc au statut. Nous avons indiqué à la Commission qu'elle ne pouvait s'exonérer des efforts qu'elle demande aux fonctions publiques nationales - efforts que la France accomplit pour ce qui la concerne. Un accord devrait aboutir d'ici le vote du budget européen en juillet.
M. Jean Arthuis. - Je rends hommage au Gouvernement pour son courage sur l'augmentation du temps de travail et de l'âge de départ en retraite. (Marques d'amusement au centre et à droite) Par souci de cohérence, il serait bon d'ouvrir de telles négociations en France. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Bernadette Bourzai . - Le Gouvernement français est entré dans un trilogue depuis le 13 mai, y compris dans le cadre de la PAC. M. Bizet pose inlassablement la question du montant du budget de la PAC. Je le lui dis comme ancienne membre de la commission agricole du Parlement européen, tout le monde savait que les crédits de la PAC allaient décroître ; le montant retenu est celui de 2013 multiplié par sept. La France a su tirer son épingle du jeu, en obtenant un milliard supplémentaire pour le développement rural.
Quid du développement durable dans le cadre stratégique « plurifonds » ? Du fonds d'aide aux plus démunis, où il manque un milliard d'euros ?
M. Thierry Repentin, ministre délégué. - Les retours espérés pour la France au titre de la PAC seront à la hauteur de la période précédente : 47,6 milliards d'euros au titre du premier pilier, 8,2 milliards au titre du deuxième pilier, renforcé - les défenseurs de la montagne y seront sensibles. Il fallait rendre la PAC plus juste pour les jeunes agriculteurs et les petits élevages, et plus verte.
Le renforcement du deuxième pilier contribuera à la cohésion et au développement rural. Tous les fonds structurels doivent être sollicités : FSE, Feder, Feader. Pour les régions en transition, que le précédent gouvernement n'avait pas voulu défendre, l'aide sera plus intense. Le Fonds d'aide aux plus démunis ? Le président de la République a demandé en février qu'il soit rétabli ; il a été pérennisé à hauteur de 2,5 milliards d'euros, et pourrait être relevé jusqu'à 3,5 milliards d'euros.
Mme Bernadette Bourzai. - Je salue votre détermination et celle de M. Le Foll. La répartition des aides doit être plus juste, en faveur des zones défavorisées et de l'élevage. Nous venons, à la commission des affaires européennes du Sénat, d'adopter une proposition de résolution pour faire de 2014 une année de lutte contre le gaspillage alimentaire. Les produits agricoles doivent être respectés et consommés.
M. Philippe Dallier . - Nous nous réjouissons de l'engagement réaliste et responsable du Parlement européen, en particulier de nos collègues du PPE. Plus que jamais, il faut afficher notre ambition politique pour l'Europe et un budget plus élevé à terme et surtout plus efficace. Comment le Gouvernement agit-il pour relancer la croissance en Europe ? Entend-il soutenir des projets transfrontaliers à forte plus-value ? Il faudrait nous accorder avec nos partenaires. Est-il prêt à accepter la clause de revoyure demandée par le Parlement ? À plus de fongibilité dans la gestion des crédits ? À une RGPP européenne ?
M. Thierry Repentin, ministre délégué. - Je me réjouis de ce que nous avons obtenu, 100 milliards d'euros de plus que ce qui était prévu par la majorité précédente. Sur la relance de la croissance, le pacte de juin 2012 a permis la recapitalisation à hauteur de 10 milliards de la Banque européenne d'investissement, soit un effet de levier de plus de 60 milliards d'euros de prêts sur les années 2013 à 2015 - 21 milliards pour la France ; les PME en bénéficieront. Une ligne de 6 milliards d'euros va accompagner l'emploi des jeunes, que nous voulons concentrer sur 2014 et 2015. Une politique de grands travaux - comme le canal Seine-Nord, la liaison ferroviaire entre la France et l'Italie - est engagée. Il y a à la clé des emplois non délocalisables.
M. Philippe Dallier. - Les élections européennes approchent. Nous sommes tous inquiets de ce qui pourrait sortir des urnes, tant le sentiment anti-européen progresse.
Mme Cécile Cukierman. - Demandez-vous pourquoi !
M. Éric Bocquet. - Il faut revoir les bases !
M. Dominique Watrin. - Promouvoir l'Europe sociale !
M. Philippe Dallier. - Il faut faire preuve de pédagogie et de responsabilité, rappeler que l'Europe a protégé les Européens pendant la crise...
M. Jean Arthuis. - Très bien !
M. Philippe Dallier. - Faisons tout pour que le sentiment européen puisse continuer à progresser. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Richard Yung . - Ma question porte sur le financement de la garantie pour la jeunesse. Cette initiative est bienvenue alors que près d'un jeune actif sur quatre est au chômage - ils sont 7,5 millions en Europe. C'est un cancer qui ronge nos sociétés de l'intérieur.
Le cadre financier pluriannuel a prévu 6 milliards entre 2014 et 2020. Cela paraît beaucoup, mais divisé par six ans et 7 millions de chômeurs, cela ne fait que 150 euros par jeune chômeur. (M. le ministre le conteste) Le président de la République propose de mobiliser dès à présent une partie de ces fonds. Comment l'organiser avant que le cadre financier soit voté ? M. Moscovici indique qu'il envisage d'affecter une partie de la taxe sur les transactions financières à ce financement. Qu'en pense le Gouvernement ?
M. Thierry Repentin, ministre délégué. - La lutte contre le chômage des jeunes est l'affaire de tous. Certains pays ont un taux de chômage à 50 %, la France n'en est heureusement pas là. Nous n'en souhaitons pas moins engager ces 6 milliards le plus vite possible, en concentrant l'effort sur les régions où le chômage est le plus fort, au bénéfice de huit régions et de l'ensemble de l'outre-mer. Concentrer l'effort sur deux ans sera plus fructueux : nous nous employons à en convaincre nos partenaires. Le programme Erasmus passera de 8 à 12 milliards pour que les apprentis puissent en bénéficier. La garantie jeunesse, enfin, engage les États à faire à leurs jeunes une proposition d'emploi, de formation ou de stage avant que soient passés quatre mois après leur sortie du système scolaire ou la perte d'un emploi. Le Gouvernement mettra en oeuvre en septembre ce dispositif, à titre expérimental, dans dix départements avant de l'élargir ; l'objectif est de toucher 100 000 jeunes.
M. Richard Yung. - Merci de ces indications. Concentrer l'effort paraît en effet judicieux.
La séance est suspendue à 15 h 50.
présidence de M. Jean-Pierre Raffarin,vice-président
La séance reprend à 16 heures.