Sécurité de l'emploi (Procédure accélérée - Suite)
M. le président. - Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la sécurisation de l'emploi.
Discussion générale (Suite)
Mme Patricia Schillinger . - Je me réjouis de ce texte qui fait suite à l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 et qui renoue avec le pacte social dont je déplorais l'abandon dans le rapport que je lui consacrais avec Joël Bourdin. Nous y regrettions que la France soit à la 137e place sur 144 pays pour ce qui concerne les relations au sein des entreprises. Oui, nous avons besoin de revenir au dialogue social, dont la rupture coûte, selon la Banque mondiale, un point de PIB par an à la France. Cette situation ne profite ni aux employés ni aux employeurs ; elle fait obstacle à la résolution des crises au sein des entreprises. Celles-ci résistent mieux à la crise quand le dialogue social y est bon.
Le Gouvernement a réussi son pari : ce texte apporte plus de flexibilité aux entreprises, avec les accords de maintien dans l'emploi et la mobilité au sein de l'entreprise, et plus de droits pour les salariés, avec l'extension de la couverture complémentaire et la refonte du temps partiel.
Pour mieux gérer les transitions et anticiper les formations, il fallait bâtir une formation professionnelle. Il fallait également mieux encadrer les licenciements collectifs : ce sera le cas avec l'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi par l'administration. Je me réjouis également de l'extension de la complémentaire santé à 400 000 nouveaux salariés ; elle sera financée au moins pour moitié par les employeurs.
Il était aussi grand temps d'ouvrir les conseils d'administration des entreprises aux représentants des salariés. Ce sera le cas dans les entreprises de plus de 5 000 salariés installées en France et celles de plus de 10 000 salariés ailleurs. Mettre du dialogue social là où il n'y en avait pas suppose de former les managers.
Ce texte s'ajoutera à l'arsenal législatif du plan de lutte pour l'emploi : contrats de génération, CICE et pacte de compétitivité, pour ne citer que quelques mesures. Nous vivons un moment historique d'importance : face à la crise, le Gouvernement a su agir. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Catherine Procaccia . - La négociation nationale interprofessionnelle existe depuis longtemps. Monsieur le ministre, vous avez cité les accords de 1936 sur les congés payés, les lois Auroux, les accords de Grenelle. Il y en a d'autres, plus récents, comme l'accord sur la formation professionnelle.
Vous voulez que ce projet fasse date. C'est mon souhait le plus véritable et le plus sincère. Encore faut-il ne pas dénaturer l'accord du 11 janvier 2013. Sans doute par tradition sénatoriale, le groupe CRC n'a déposé que 400 amendements, contre 4 000 à l'Assemblée nationale. Espérons que vous ne plierez pas devant les manifestants des deux syndicats qui n'ont pas signé l'accord.
Rendons à Gérard ce qui est Gérard : votre méthode de la concertation vient de la loi Larcher de 2007 sur la modernisation du dialogue social que j'avais eu l'honneur de rapporter.
La transcription de l'accord national interprofessionnel doit être loyale, ce qui n'est pas toujours le cas. L'article premier est contesté par l'Autorité de la concurrence. Soyez attentifs à nos amendements, on ne comprendrait pas que vous restiez campés sur la clause de désignation. Le dialogue et la concertation prônés par le ministre ne seraient alors que de vains mots. (M. Jean Desessard ironise) Comment le ministre du travail peut-il envisager la suppression de 50 000 emplois dans le secteur de l'assurance ? Ce chiffre est peut-être exagéré, il a le même genre de fiabilité que le comptage des manifestants de l'Étoile.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur pour avis. - Sans les violences, tout de même.
Mme Catherine Procaccia. - Je le souhaite. En outre, les contrats collectifs santé vont-ils continuer de bénéficier des dispositions fiscales existantes ?
M. Jean-François Husson. - Bien sûr !
Mme Catherine Procaccia. - Dans le cas contraire, ce serait un coup porté à une avancée de ce texte : l'extension de la complémentaire santé à tous les salariés.
Autre aménagement souhaitable, l'article 8 sur le temps partiel. Celui-ci n'est pas toujours subi : 50 % des personnes travaillant dans l'emploi à domicile s'en déclarent satisfaites. On ne pourra allonger le temps de prise des repas des personnes dépendantes ni augmenter le nombre d'heures des gens qui vont chercher les enfants à l'école, en dépit de la réforme de M. Peillon. Il faut de la souplesse sur le plancher des 24 heures. Ce n'est pas moi qui le dis, je porte la voix de la fédération des employeurs de l'aide à domicile. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. René Teulade . - Sans revenir sur le détail du projet de loi, je vous donnerai mon analyse de la philosophie de ce texte. Les dernières semaines, nous avons beaucoup parlé de progrès et d'avancée des droits dans cet hémicycle et, souvent, de manière passionnée. Avec ce texte, nous allons vers la négociation, les compromis, la discussion, ce qui va à l'encontre de notre culture du conflit. Je salue cette nouveauté.
Au-delà, l'avènement de la démocratie sociale dans notre Constitution s'annonce prochaine. L'État garant remplace le mythe de l'État qui peut tout. Yann Algan et Pierre Cahuc écrivaient, en 2007, dans La société de défiance, que l'étatisme et le corporatisme alimentaient la défiance entre Français. Il est primordial que l'État prenne de la hauteur tout en répondant aux aspirations de proximité avec la décentralisation. La verticalité n'est plus la pierre angulaire de notre modèle social et sociétal. La création d'une mobilité externe sécurisée est parfaitement adaptée à notre société mondialisée : le salarié pourra diversifier son expérience tout en retrouvant son poste. D'ailleurs, l'article 10 sur la mobilité interne témoigne de cette demande accrue d'épanouissement personnel. Nous devrons veiller, en tant que législateurs, à ce que cette mobilité ne soit jamais subie.
Autre signe de modernité et de progrès, l'entrée des délégués du personnel dans les conseils d'administration pour une gouvernance plus horizontale, le renforcement des pouvoirs du comité d'entreprise.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. René Teulade. - En cette période ténébreuse de chômage, faisons vivre l'espoir et donnons aux Français le goût de cette belle aventure qu'est la vie ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. le président. - La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Michel Sapin, ministre. - Parlez-nous de la vie et de l'accord national interprofessionnel ! (Sourires)
M. Gérard Larcher . - L'accord national interprofessionnel est un compromis entre flexibilité et sécurité. Depuis longtemps, nous parlons au Sénat de la sécurisation des parcours professionnels. Le titre de l'accord « Pour un nouveau modèle social » marque l'ambition de ce texte, peut-être pas historique mais important dans la ligne de la loi du 31 janvier 2007...
M. Michel Sapin, ministre. - ...que vous avez portée.
M. Gérard Larcher. - Cet accord doit être respecté. D'abord parce qu'il a donné lieu à des négociations difficiles ; respectons le travail réalisé par les signataires. Ensuite parce qu'il est peut-être un peu tôt pour parler de démocratie sociale et vouloir l'inscrire dans la Constitution quand nous travaillons encore sur la représentativité des organisations syndicales. Respectons donc scrupuleusement la lettre et l'esprit de l'accord.
Un petit aparté sur la loi de 2007 qui institutionnalise l'obligation du dialogue social tripartite, selon trois principes, la concertation, la consultation et l'information préalable entre l'État et les partenaires sociaux, avant tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement dans le champ social. C'est le président Chirac qui a souhaité « sortir de la logique du conflit pour fonder une culture de la négociation, du compromis, de la responsabilité ». Je disais à l'Assemblée nationale, le 17 janvier 2007, que « le besoin de souplesse des entreprises doit se concilier avec la préservation et le renforcement de la cohésion sociale. La modernisation de notre modèle social impose une démarche collective, avec un principe qui se nomme concertation. Les réformes nécessaires ne peuvent s'accomplir que dans un climat de confiance, dans lequel chacun prend et prendra ses responsabilités ».
Or, disons le tout net, le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale déroge sur certains points à l'accord. On a ajouté de nombreuses pages au code du travail pour protéger les salariés. Pour avoir cherché à codifier le code du travail, je conviens de la difficulté de l'exercice : on a remplacé une brouette par deux ! (Sourires)
Le retour à la décision du juge, les procédures à n'en plus finir, les expertises ne vont pas dans le sens des salariés. Inutile d'insister sur l'accélération du chômage : plus 10 % l'an dernier, après dix semestres d'augmentation. Sans croissance, il ne faiblira pas. L'inversion de la tendance semble over horizon, comme on le dit en vieux français...
M. Michel Sapin, ministre. - Datant au moins d'Aliénor d'Aquitaine ! (Sourires)
M. Gérard Larcher. - La croissance est bloquée par le matraquage fiscal, le climat de défiance alimenté par les déclarations de certains ministres. Vous n'êtes pas en cause, mais le Gouvernement est un. Pour paraphraser un homme célèbre, il faudrait passer à la « croissance attitude ».
Quant à la boîte à outils française, elle ressemble à nos machines outils. Nous attendons toujours le choc de compétitivité. Nous devons tenir nos engagements européens et maîtriser la dépense publique. Quoi qu'on en dise, la réforme Hartz IV de M. Schröder a remis l'Allemagne sur le chemin de la croissance, même si cette politique de modération salariale ne correspond pas à notre modèle social. (M. Michel Sapin, ministre, le confirme)
Nous sommes devant une vaste réforme du marché du travail. Peut-on continuer, comme je l'ai fait en 2007, à inscrire plus de 20 milliards au budget pour financer les allégements de charge ?
M. Jean Desessard. - Non !
M. Gérard Larcher. - La compétitivité, ce n'est pas seulement le coût du travail ; c'est aussi la recherche, l'innovation et la formation professionnelle.
Enfin, nous n'échapperons pas à une réflexion globale sur l'indemnisation du chômage, mais aussi sur la qualité de vie au travail comme sur les instances représentatives.
L'accord national interprofessionnel est une première étape. Ne nous racontons toutefois pas d'histoires : nous sommes loin d'une démocratie sociale mûre. Écoutez monsieur Cardoux et madame Procaccia, revenons à l'accord ! Si tel n'était pas le cas, je serais contraint de m'abstenir, une abstention positive toutefois.
En ces temps populistes où d'aucuns parlent de « salauds » et de « coup de balai », je préfère le dialogue social et la confiance. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Michel Sapin, ministre . - Peut-être est-il un point qui nous rassemble tous : nous voulons un dialogue social de qualité, qui ne soit pas de façade mais qui pèse sur la réalité des choses, de la société et des entreprises. Je rends hommage, monsieur Larcher, à votre loi de 2007. Le principe du dialogue social simple ne date pas d'hier : avant de réformer, on saisit les partenaires sociaux.
Pour être historien, je me méfie du qualificatif « historique ». Raison pour laquelle j'ai simplement dit que cet accord ferait date. Il marquera notre temps parce qu'il couvre l'ensemble du champ du droit du travail, et pas uniquement la lutte contre la précarité ou la formation professionnelle.
Personne ici ne nie l'importance du dialogue social, personne ne nie la nécessité de passer des accords. Certains s'en réjouissaient pour le contrat de génération hier, qu'ils continuent aujourd'hui.
Faut-il être fidèle à cet accord ? Évidemment ! Sans quoi, nous jetterions par-dessus l'épaule le dialogue social. Cela n'empêche nullement les critiques. Pour autant, un accord n'est ni un monument, M. Gérard Larcher le sait bien, ni une convention internationale que vous adopteriez par le vote d'un article unique. L'accord doit être transcrit dans la loi, qui n'est pas son langage. A nous de lui donner consistance. Il ne me viendrait pas à l'idée de contester votre droit d'amendement.
Mme Procaccia me rétorquera que la clause de désignation à l'article premier n'existait pas dans l'accord. Elle existe néanmoins dans notre droit, la Cour européenne l'a même validée. Le Medef et l'UPA n'étaient pas d'accord : cela arrive, y compris entre syndicats (sourires), d'où la formulation en noir et blanc qui figure dans l'accord. Dans la loi, il fallait trancher. Je vous expliquerai les raisons qui m'ont poussé à faire ce choix.
Pourquoi, autre reproche que l'on m'a fait, ai-je prévu le licenciement pour motif économique du salarié qui refuse un plan de mobilité interne à l'entreprise fixé par accord collectif ? Parce que, ministre du travail, je suis garant de nos engagements internationaux. La France est l'un des membres fondateurs de l'OIT, je ne peux pas passer outre ses principes. Après que le Conseil d'État m'a alerté, j'ai voulu sécurisé les procédures. Raison pour laquelle je me suis écarté de l'accord, pour des raisons juridiques mais avec l'assentiment des organisations signataires.
Ce texte met-il à mal la souveraineté populaire ? Non, et je suis d'ailleurs un farouche partisan du Parlement dans la tradition républicaine qui est la nôtre. Au Pays-Bas, il existe un domaine réservé aux partenaires sociaux, ce que mon homologue néerlandais se fait fort de me rappeler lorsque je défends l'idée d'un Smic européen -car je crois à l'Europe sociale.
En France, c'est la loi qui dit le droit, même si un accord l'a précédée. Nous ne sommes pas dans la négation du pouvoir des partenaires, nous les mettons en valeur.
Enfin, je n'aime pas qu'on me dise que cet accord soit made in Medef ou que cet accord a été écrit avec l'encre du Medef.
Mme Catherine Procaccia. - Très bien !
Mme Éliane Assassi. - On assume !
M. Michel Sapin, ministre. - Moi, je respecte toutes les organisations syndicales. Celles qui ont signé l'accord et celles qui ne l'ont pas signé. Du reste, elles se respectent entre elles plus que vous ne le faites.
Mme Éliane Assassi. - Hors sujet !
M. Michel Sapin, ministre. - Le contrat de génération que vous avez voté était de la même encre que celui-ci !
M. Pierre Laurent. - Le CNPF a combattu les lois Auroux !
M. René-Paul Savary. - Si vous préférez, on peut vous laisser discuter entre vous.
M. Michel Sapin, ministre. - Eh bien ce texte prolonge les lois Auroux. M. Jean Auroux a signé une tribune avec moi à ce sujet.
Ce débat mérite que nous nous respections les uns les autres. Vous dites que sur tel ou tel point, ce texte ne va pas assez loin, je l'entends. En revanche, je ne peux pas accepter qu'on parle d'un recul à propos de l'extension de la complémentaire santé (Mme Catherine Procaccia approuve) ou des 24 heures hebdomadaires.
Mme Éliane Assassi. - Les dérogations !
M. Michel Sapin, ministre. - A l'Assemblée nationale, les communistes, finalement, se sont abstenus.
Mme Éliane Assassi. - Ne jouez pas à cela, ça ne marche pas !
M. Michel Sapin, ministre. - Ne caricaturez pas car vous n'aimez pas qu'on vous caricature ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
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