Système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi ratifiant l'ordonnance n°2012-827 du 28 juin 2012 relative au système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (période 2013-2020).

Discussion générale

Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie .  - La détermination de la France à lutter contre le réchauffement climatique est sans faille. Ce phénomène est irréfutable, le rapport de la Banque mondiale de novembre l'a confirmé : il s'accélère avec une hausse de la température de quatre degrés à l'horizon 2060. La crise écologique s'ajoute à la crise économique : vagues de chaleur, tempêtes ont des conséquences extrêmes sur la vie humaine et sur l'économie. À Doha, j'ai mesuré le décalage entre l'urgence de la situation et la lenteur des négociations internationales. Depuis l'échec de la conférence de Copenhague, ces négociations stagnent.

L'Europe s'est engagée sur une deuxième période du protocole de Kyoto. Le système d'échanges des quotas de gaz à effet de serre est au coeur du dispositif. En donnant aux émissions de gaz à effet de serre une valeur économique, il stimule les projets à faible émission et aide à canaliser les économies en transition. Il couvre 12 000 installations industrielles, responsables de 40 % des émissions de gaz à effet de serre dans l'Union européenne.

Une troisième phase a été lancée avec la directive du 23 avril 2009 modifiant la directive de 2003. Le périmètre du système d'échange est étendu, à la chimie et à l'aluminium notamment. Les quotas gratuits seront réduits de 80 % en 2013 à 30 % en 2020 ; la production d'électricité n'en bénéficiera plus. Quelque 170 secteurs, exposés à un risque de délocalisation, continueront toutefois à en bénéficier. Ce nouveau système d'attribution par enchère financera le plan de rénovation thermique de l'habitat. La ratification de l'ordonnance du 28 juin 2012, transposant la directive de 2009, est donc nécessaire. Je salue le travail de votre rapporteur, qui a enrichi le texte en précisant, à l'article 229-8 du code de l'environnement la suppression totale des quotas gratuits en 2027 : le Gouvernement soutient son amendement.

Le système européen d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre est confronté à une crise sans précédent, conséquence de la crise économique - tous les secteurs ont bénéficié d'un quota supérieur à leurs besoins, faute d'activité. Cela a entraîné une baisse du cours du carbone. L'incertitude des négociations européennes et internationales pèse également : le prix de la tonne de CO2 a chuté, et ne joue plus le rôle de signal pour infléchir la décision. Le charbon a fait son retour en 2012 : en Allemagne : + 5 % ; au Royaume-Uni : + 9 % ; en France même, où la part du charbon, quoique modeste, dans la production d'électricité a augmenté de 35 %. Pour l'ensemble de l'Union européenne, la consommation de charbon a augmenté de 7 %. Ces tendances contredisent la croyance en une évolution mécanique de nos économies vers moins d'émissions. Elles s'inscrivent dans un mouvement mondial : le charbon risque fort d'être la première énergie mondiale d'ici dix ans, avant le pétrole, selon l'AIE. La proposition de la Commission européenne de geler 900 millions de quotas jusqu'en 2019 représente une réponse à court terme, une réforme structurelle du système sera indispensable. Fixons dès à présent des objectifs de long terme, au-delà de 2020. Le président de la République a proposé un objectif de réduction de 60 % des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050. Cela permettra de relever le prix du quota. Il faut aussi mieux réguler le marché carbone européen. La Commission a engagé une révision de la taxation de l'énergie pour y intégrer une composante carbone ; nous soutenons ces travaux. L'Union européenne devra faire preuve de patriotisme écologique : la part des émissions de gaz à effet de serre liée à la production intérieure baisse quand elle augmente dans les produits importés...

La France est candidate pour accueillir à Paris en 2015 la conférence sur le climat. La ratification de cette ordonnance est indispensable à la poursuite de nos efforts. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la commission du développement durable .  - La ratification de l'ordonnance de transposition de la directive de 2009 nous laisse une marge de manoeuvre réduite, mais offre l'opportunité de nous pencher sur le fonctionnement du marché des quotas de CO2.

Par le protocole de Kyoto, l'Union européenne s'est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 8 % entre 1990 et 2012. De là le système d'échange de quotas mis en place par la directive du 13 octobre 2003. Chaque État détermine avec la Commission un niveau global de CO2, qu'il répartit ensuite sur son territoire. Jusqu'à présent, les quotas étaient attribués gratuitement, et pouvaient être rachetés à d'autres si besoin. Le système concerne aujourd'hui 11 000 installations en Europe, dont 10 % en France. Le marché secondaire a ses places d'échange, comme BlueNext à Paris ou ECX à Londres. À partir de 2013, les choses vont changer. La directive de 2009, issue du paquet énergie-climat de 2008, remanie le marché d'échange des quotas carbone et le fait évoluer vers des mécanismes harmonisés, gérés au niveau européen. L'objectif est désormais de réduire les émissions de 21 % en 2020 par rapport à 2005, soit 1,74 % par an. De nouveaux secteurs sont inclus, ainsi que de nouveaux gaz, dont le protoxyde d'azote. La directive met surtout un terme à l'allocation gratuite des quotas, sauf pour les activités exposées à un risque de « fuite de carbone », c'est-à-dire qui se délocaliseraient à cause du prix du carbone en Europe.

L'article 10 de la directive impose que la moitié au moins du produit des enchères soit affecté à des mesures de réduction des émissions. En France, il sera affecté à la rénovation thermique de l'habitat.

M. Roland Courteau.  - Très bien.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure.  - Les installations nucléaires de base sont intégrées au dispositif, tandis que les hôpitaux en sont exclus, même s'ils devront réduire leurs émissions.

Bref, l'ordonnance de 2012 transpose de façon rigoureuse la directive. Nous avons toutefois adopté un amendement pour préciser dans le texte l'échéance de suppression des quotas gratuits en 2027. L'enjeu ne réside plus dans la transposition. Le marché carbone fait face à des difficultés structurelles. De récents scandales, dont une fraude « carrousel » à la TVA portant sur 5 milliards d'euros interrogent sur la régulation de ce marché. La commission des finances du Sénat s'y est penchée à de nombreuses reprises. Il n'y a toujours pas de gendarme du marché européen du carbone. Le recul sur les compagnies aériennes illustre aussi les difficultés de ce marché : l'obligation de compenser 15 % de leurs émissions de 2012 a été suspendue, pour les vols intercontinentaux jusqu'à l'automne 2013.

Le cours du carbone s'est effondré : 5 euros la tonne, alors que le système n'est incitatif qu'à partir de 25 euros la tonne.

La Commission européenne a proposé le gel de 900 millions de quotas jusqu'en 2019 pour absorber l'excédent sur le marché. Cette proposition n'a toutefois pas encore été adoptée par le Parlement européen, encore moins par le Conseil. Or la Pologne a déjà fait savoir son opposition au gel des quotas.

Plus largement, il faut remettre à plat le système. Le président de la République a annoncé des objectifs ambitieux ; le système d'échange des quotas doit devenir un outil incitatif. Certains prônent sa suppression pure et simple.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Très bien !

Mme Laurence Rossignol, rapporteure.  - D'autres pistes existent, mais les questions sont nombreuses et les échéances sont proches. La France est attendue en Europe pour porter de nouvelles ambitions face à la nouvelle donne climatique. Mme la ministre nous a rassurés : nous ferons tout pour être au rendez-vous ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean Bizet .  - Avec ce projet de loi de ratification, nous mettrons en oeuvre la troisième phase du système d'échange de quotas de 2013 à 2020. Je m'en félicite : il fallait rattraper notre retard en matière de transposition, d'où l'habilitation à légiférer par ordonnance dans la loi du 5 janvier 2011. Quelles sont l'efficience et la portée de la législation communautaire ? Le bilan est mitigé... La situation actuelle du marché carbone pointe les limites du dispositif ; le prix de la tonne de carbone a chuté, du fait notamment d'une allocation initiale de quotas trop généreuse. Les avis divergent entre les commissions du Parlement européen sur la pertinence du gel des quotas. Comment être vertueux en matière d'environnement sans amputer la compétitivité de nos entreprises ? La Commission européenne prévoit d'ailleurs une dérogation pour les secteurs exposés à un risque de délocalisation. C'est bien notre talon d'Achille... Certains secteurs sont exclus, par principe, comme l'agriculture, mais l'inclusion du protoxyde d'azote frappera les producteurs d'engrais - donc, par ricochet, l'agriculture. Attention à ne pas renchérir le coût des intrants, alors que nos éleveurs sont déjà fragilisés. Il n'y a pas de prairies - ces puits de carbone - sans animaux, rappelons-le.

La récente affaire de la viande de cheval dans les surgelés souligne les difficultés de l'élevage bovin français, qui connaît un déficit de production de 50 à 60 millions de tonnes. Veillons à ne pas fragiliser une activité qui contribue pour 11 milliards d'euros à l'excédent de notre balance commerciale - une contribution précieuse par les temps qui courent.

Comment concilier protection de l'environnement et compétitivité économique ? Il faut avoir le sens de la mesure et cesser de vouloir en faire toujours plus que les autres. Soyons précurseurs sans être naïfs et ne pénalisons pas unilatéralement nos forces vives. Oui à l'écologie innovante, non à l'écologie punitive. Je voterai ce projet de loi avec la majorité de mon groupe, en attendant avec impatience le plan de rénovation thermique en zone rurale. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Évelyne Didier .  - Vous le savez, notre groupe a toujours été opposé à l'instauration d'un marché carbone. Rendre économiquement rentables des comportements vertueux, cela ne marche pas. L'expérience a conduit 110 organisations de la société civile à demander son abandon pure et simple. Le marché, loin de répondre aux attentes, s'est révélé hautement spéculatif, d'autant qu'il n'est pas réservé aux industriels. Les premiers bénéficiaires ont été les plus gros pollueurs.

Mittal recevait 4 millions de tonnes de CO2 gratuites pour le seul site de Florange - même quand l'usine était à l'arrêt ! Le groupe a ainsi accumulé en Europe un bonus de 156 millions de quotas, soit un marché d'un milliard d'euros, alors même qu'il cassait l'outil de travail...

Extrêmement volatil, le cours du carbone s'est effondré. Le marché s'est révélé inefficace : les émissions des secteurs concernés diminuent moins vite que celles des secteurs ne relevant pas du système d'échange ! Enfin, la fraude est colossale - touchant dans certains pays jusqu'à 90 % de l'activité du marché carbone selon Europol.

Ce texte a le mérite de mettre fin aux quotas gratuits. Reste que 75 % de l'industrie manufacturière continuera d'en bénéficier ; les dérogations prévues, notamment pour l'Europe de l'Est, demeurent importantes. Surtout, il faut mieux encadrer ce marché. Le gel de 900 millions de quotas proposé par la Commission européenne est du bricolage, disent certains. Il faut avant tout une meilleure gouvernance. Sur le fond, la transition écologique et la réduction de l'empreinte carbone ne peuvent reposer sur un système financier. La marchandisation n'est pas la solution pour la préservation de notre planète.

L'urgence économique appelle des interventions de l'État en matière de recherche et d'infrastructures. Au lieu de libéraliser, il faut renforcer les services publics des transports, de l'eau et de l'énergie afin d'assurer la transition écologique, d'intérêt général. Le groupe CRC s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Marcel Deneux .  - La position constante et unanime du groupe centriste est de récuser le recours aux ordonnances : nous nous y opposons systématiquement, aujourd'hui comme hier et quelle que soit la couleur politique du gouvernement. Notre marge de manoeuvre est plus réduite quand ce projet de loi transpose une directive de 2009.

Je souscris totalement aux objectifs de réduction de 20 % des émissions en 2020, en saluant au passage l'action de Chantal Jouanno dans ses fonctions présentes et passées. La directive propose d'aller plus loin : - 21 % en 2020. Pourquoi pas. Mais le plus important, ce sont les mécanismes mis en oeuvre pour y parvenir. Nous soutenons l'harmonisation et la gestion au niveau européen des quotas. La directive intègre de nouveaux secteurs et de nouveaux gaz : c'est une bonne chose. Attention toutefois à ne pas pénaliser des secteurs déjà fragiles, comme l'agriculture, ou des entreprises susceptibles de délocaliser pour pouvoir polluer. La fin des allocations gratuites de quotas va également dans le bon sens, d'autant que le marché a pâti à la fois d'une allocation trop généreuse de quotas et d'une baisse de l'activité économique. Le prix de la tonne s'établit à 5 euros, alors qu'il faudrait qu'il dépasse les 20 euros pour être incitatif.

Le plan de sauvetage proposé par la Commission européenne a été freiné par les divergences entre États ; le Parlement européen doit encore approuver le gel des quotas... Sur l'extension du marché à de nouveaux secteurs ou l'instauration d'un prix plancher, quel est votre avis, madame la ministre ? (Applaudissements au centre et à droite)

M. Raymond Vall .  - Je commencerai mon intervention par une citation de Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis : « Si l'un des liens de la chaîne de la nature est perdu, un autre se perd jusqu'au moment où tout disparaîtra, morceau après morceau ». Tout était dit. Notre biosphère forme en effet un tout. Tout ce qui vit est lié : si l'on en détériore un élément, c'est l'homme lui-même qui est menacé. Le réchauffement climatique est un enjeu vital. La biodiversité est une exigence. Or nous ne savons pas prendre en compte l'urgence environnementale dans nos décisions, nous continuons de piller les richesses de la planète. Qu'allons-nous laisser à nos enfants ?

Quand parviendrons-nous à mettre en place des politiques plus efficaces, à réguler nos activités ? À quand une véritable taxe carbone ? À quand une transformation de nos modes de production ? L'Union européenne doit être moteur, la France à l'avant-garde de ce combat, d'autant qu'elle souhaite accueillir, en 2015, la prochaine Conférence sur le climat. Cette échéance doit nous inciter à changer de système.

Dans ce contexte, la mise aux enchères des quotas d'émission dégagera des moyens pour lutter contre ces pollutions.

La prise en compte des industries les plus exposées au risque de délocalisation et l'exclusion de l'agriculture, même si elles sont en retrait sur la directive, se justifient. Je regrette l'entorse pour le transport aérien.

Malgré les lacunes, de nombreuses initiatives locales méritent d'être encouragées. Ainsi, l'entreprise Ecocert offre aux entreprises le moyen d'évaluer leurs émissions et de mener des actions de solidarité envers les pays du sud pour éviter la diffusion de notre modèle de croissance énergivore. Mon groupe votera ce texte. Je veux vous faire part d'un rêve : voir ratifiée la Déclaration universelle d'interdépendance de 1992, qui affirme que notre communauté de destin sur terre appelle à la proclamation du principe de l'intersolidarité planétaire. (Applaudissements à gauche)

M. Ronan Dantec .  - Le sujet, technique, ne passionne guère les foules. L'enjeu de ce texte est moins de lutter contre le réchauffement climatique que de sauver le système d'échanges des quotas de CO2. Nous soutenons le gel de 900 millions de quotas à condition de relever l'objectif de réduction des émissions de 30 % d'ici 2020. Le président de la République, au reste, a annoncé des chiffres ambitieux ; la Commission européenne vient aussi de publier un texte d'orientation en ce sens. Nous ne doutons pas que la France pèsera de tout son poids dans les discussions avec ses partenaires européens. Un retrait des quotas excédentaires sur le long terme et le relèvement du plafond linéaire de réduction, également, amélioreront l'efficacité du marché en relevant le prix du carbone.

L'outil doit être sauvé, car nous ne pouvons nous priver du seul outil de régulation existant. Cessons de saucissonner le débat. J'évoquais cet après-midi la perspective de l'accord entre l'Union européenne et les États-Unis. Lions économie et environnement si nous ne voulons pas réitérer l'échec de la conférence de Copenhague.

J'entends les critiques à l'encontre du marché carbone. Cela dit, ne lâchons pas la proie pour l'ombre : les grandes associations environnementales défendent une amélioration du marché carbone, non sa suppression. Ce qui manque aujourd'hui, c'est la régulation et la nécessaire solidarité avec les pays du sud. Pour avoir négocié à Cancun, je peux témoigner de l'attenTe - et de la déception - de ces derniers.

La moitié du produit des enchères doit être réinvestie dans la lutte contre le réchauffement climatique, nous y gagnerons donc.

Si polémique il doit y avoir, c'est sur la sous-estimation du réchauffement climatique. Il n'est jamais trop tard, soyons au rendez-vous de Paris 2015 ! (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Filleul .  - L'enjeu climatique est une question politique majeure. Avec la directive de 2009, nous entrons dans la troisième phase du marché carbone, l'un des principaux instruments européens de lutte contre le réchauffement climatique.

Le texte ratifie l'ordonnance du 28 juin 2012 pour la période 2013-2020. Le paquet énergie-climat de 2008 avait fixé deux priorités : moins 20 % d'émissions de gaz à effet de serre et plus 20 % d'efficacité énergétique.

Le marché d'échange des quotas aurait pu bien fonctionner s'il n'avait pas été exposé à la crise de 2008. Lors de la conférence environnementale de septembre dernier, la France s'est engagée à financer son plan de rénovation thermique avec le produit des enchères ; nous nous en réjouissons.

Cela dit, entre un prix trop bas du carbone et la crise économique, la directive de 2009 ne suffira pas à relancer un marché défaillant, d'autant que l'on a constaté trop de pratiques frauduleuses. Cela appelle à une réforme de fond. La Commission européenne y est-elle prête ? La crise ne favorise guère les négociations. Le gel de 900 millions de quotas ne sera sans doute pas approuvé par le Parlement européen. Il nous faut donc aller plus loin pour faire de ce marché un outil incitatif vers une économie sobre et pauvre en carbone.

Le groupe socialiste, bien entendu, votera ce texte. Nous comptons sur le Gouvernement pour défendre l'économie verte auprès de la Commission européenne. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Fabienne Keller .  - Le système d'échange des quotas, cela a été dit, représente le principal instrument de l'Europe pour respecter ses engagements pris dans le protocole de Kyoto.

La commission des finances du Sénat s'intéresse de longue date à ce sujet : j'ai écrit un rapport sur le prix du carbone en 2009, M. Marini, alors rapporteur général, avait introduit les premières mesures de régulation dans une loi de novembre 2010 ; Mme Bricq, et M. Marc aujourd'hui, ont suivi de près ce thème, qui n'est pas l'apanage d'un groupe politique.

Ce marché partait d'une bonne idée : donner un prix à une nuisance pour la limiter. C'était un moyen efficace pour éviter de pénaliser la compétitivité industrielle. La contribution carbone, voulue par le précédent président de la République, Mmes Jouanno et Nathalie Kosciusko-Morizet, visait le secteur diffus : les petites entreprises, l'administration. Elle avait été votée dans la loi de finances pour 2010 - avant d'être censurée par le Conseil constitutionnel, à la demande du groupe socialiste...

M. Alain Néri.  - Et la dette ? Vous avez la mémoire sélective !

Mme Fabienne Keller.  - Non, carbonée. (Sourires)

M. Alain Le Vern.  - Carbonisée, plutôt !

Mme Fabienne Keller.  - Allons !

Voilà pour l'historique. On parle aujourd'hui du diesel, tant mieux. Mais revenons aux quotas carbone. L'octroi de quotas à titre onéreux à des industriels va dans le bon sens - je rappelle que nous demandions une seule place pour les adjudications afin de préserver l'efficacité du système. Nous voterons donc ce projet de loi, mais en gardant les yeux ouverts sur les vols de quotas dans les registres et les fraudes à la TVA. Petit moment de tristesse, BlueNext a disparu... La France ne compte plus guère dans la finance carbone.

Autre difficulté, la chute du cours du carbone : il était à 17 euros la tonne en 2010 ; il n'est plus qu'à 4,03 euros hier soir, alors qu'on espérait le voir atteindre les 100 euros en 2020. Cela affecte l'idée selon laquelle le carbone représente un coût dans l'esprit de nos concitoyens. Il faut agir sur le plafonnement des émissions - la fixation d'un prix minimal ne fonctionnera pas.

Autre problème, l'attitude des autres pays : beaucoup ne veulent pas freiner leur croissance. Il faut intégrer le signal prix dans les biens fabriqués dans des pays plus laxistes. Un mécanisme d'inclusion au carbone aux frontières, tel que le propose la commission des finances, serait OMC-compatible.

Je souhaite être optimiste malgré tout. Madame la ministre, avez-vous la volonté de travailler sur une vraie taxe carbone, pour que ce système marche sur ses deux pieds ?

Le carbone a un coût pour la planète, qui doit se refléter dans le prix. Malgré ses défauts, le système d'échange des quotas présente bien des avantages. Amendons-le plutôt que de le supprimer. Nous avons besoin de plus d'Europe, de mieux d'Europe, pragmatique plutôt que technocratique. Qu'elle régule - via un comité de gestion - ce marché et se fasse entendre dans le monde face aux pollueurs, à commencer par l'aviation civile. La France doit être ferme et porter haut sa voix dans le monde ! (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs écologistes)

M. François Marc .  - Ce texte arrive à un moment paradoxal de l'histoire du marché des quotas : l'année 2013 aurait dû parachever l'édifice. Avec la mise aux enchères de quotas, l'Europe serait devenue leader mondial en matière d'économie verte. Où en sommes-nous ? Le paysage est dévasté et le marché ne sait plus où il va... Les fraudes et les attaques ont miné la crédibilité du marché carbone. Le cours du carbone est totalement déprimé. Nous espérions collecter plus d'un milliard d'euros par, an ; la recette sera au mieux de 400 millions, alors que l'Anah tablait sur 590 millions d'euros...

La capacité de l'Europe à lutter contre le réchauffement climatique est en cause. Certes, le Parlement ne bouleversera pas ce texte - inutile d'ajouter aux difficultés actuelles de ce marché.

On évoque un prix plancher pour les enchères ou encore un gel en attendant un hypothétique avenir meilleur... Cela ressemble à un grand sauve-qui-peut.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Absolument !

M. François Marc.  - Le vice vient du mécanisme de l'allocation initiale : les quantités ont été allouées avant la crise et sont totalement décalées. En cette période de gros temps, ne faut-il pas revoir la méthode et prévoir des modulations en fonction de la croissance réelle de chaque pays ? On conserverait ainsi la contrainte carbone. Un pays comme la Pologne, opposé à l'approche rigide de la toise identique pour tous, pourrait être favorable à un tel système.

Si ce gouvernement n'est nullement responsable de cette crise, il doit porter une parole forte au sein de l'Union européenne. Nous comptons sur sa détermination pour garder le cap ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Alain Le Vern .  - L'action politique doit apporter une réponse aux défis de notre planète de manière globale. Nous avons besoin de plus d'Europe, et de mieux d'Europe.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Alain Le Vern.  - Depuis plusieurs mois, la ministre s'y emploie, comme lors de sa visite vespérale en Normandie ou en organisant le débat sur la transition énergétique.

Un dispositif vertueux améliorerait aussi nos chances d'atteindre nos objectifs en matière d'énergies renouvelables puisque la directive prévoit que les recettes des enchères doivent financer, pour moitié, des investissements dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ce n'est pas négligeable à l'heure où nous cherchons des crédits pour l'innovation et la recherche, par exemple sur les éoliennes flottantes et l'éolien offshore sur les côtes haut-normandes.

Recourir au charbon et au lignite, comme le font certains pays donnés en exemple, alimente les émissions du gaz à effet de serre. ?uvrons plutôt pour développer les énergies renouvelables. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Delphine Batho, ministre .  - Madame Rossignol, trois pays ont pris position contre le gel des quotas : la Pologne, Chypre et la Grèce. Onze se sont prononcés pour. L'Allemagne n'a pas encore pris position. La décision se prenant à la majorité qualifiée, les négociations sont en cours, et peuvent très bien aboutir. Faut-il renégocier la directive de 2009 ? Le risque serait de détricoter le seul instrument européen existant. Réformons-le plutôt pour le sauver.

Merci à M. Bizet de son soutien. Concernant les intrants, qu'il s'agit aussi de diminuer, on pense à remplacer l'azote minéral par de l'azote organique.

Mme Didier a rouvert un débat historiquement légitime : fallait-il marchandiser le carbone ? Cela dit, un abandon constituerait un recul, réformons plutôt le mécanisme. Dans la troisième phase, une entreprise qui cessera son activité ne se verra plus attribuer de quotas gratuits - l'exemple de Mittal cité ne se reproduira donc plus. Le mécanisme d'inclusion aux frontières ? La question est en suspens : figurera-t-elle dans le Livre vert de l'Union européenne ? C'est en tout cas à nos yeux un corollaire indispensable.

Monsieur Deneux, nous discuterons, lors du Conseil européen du 22 mai, des questions de long terme, de la gouvernance de ce marché, de la régulation du prix du carbone de même que du mécanisme d'inclusion aux frontières. Déjà, certaines idées font leur chemin.

Merci à M. Vall de ses propos sur le lien entre les questions d'environnement et de développement économique. Il faudra trouver une solution internationalement acceptée pour lever les blocages concernant l'aviation civile.

Monsieur Dantec, vous êtes un fin connaisseur des conférences sur le climat. Nous aurons besoin de toute l'expérience des parlementaires dans les négociations à venir et, dès la fin de l'année, à Varsovie.

Merci, monsieur Filleul, d'avoir souligné l'urgence à agir.

Madame Keller, les travaux suivent leur cours sur la base de la feuille de route de la conférence environnementale. Je salue la réflexion sur l'inclusion aux frontières, qui est en effet OMC-compatible.

Merci à M. Marc de son intervention. Une clé de répartition de l'effort prenant en compte la situation économique de chaque pays est une piste à creuser pour débloquer les discussions européennes. Les conséquences budgétaires du faible prix du carbone sont réelles mais l'Anah a, dans l'immédiat, les moyens de faire face à ses missions.

M. Le Vern a évoqué le financement de la transition énergétique. L'engagement en matière d'énergies renouvelables ne doit pas être dissocié de l'engagement sur les réductions des émissions de gaz à effet de serre. Concernant l'éolien offshore, nous travaillons à un tarif de rachat pour les opérateurs, qui devrait répondre à vos attentes. (Applaudissements à gauche)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

M. Roland Courteau .  - Ce projet de loi est une avancée et démontre notre volonté politique de préserver l'environnement pour les générations futures. Le protocole de Kyoto en 1997 a marqué une prise de conscience : pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il prévoyait des mesures concrètes. Je rends hommage à l'action de l'Union européenne, qui s'est très tôt positionnée comme un ardent défenseur de ce protocole. La directive de 2009 représente un nouveau progrès. Le montant global de quotas sera réparti entre secteur ; une partie de la vente des quotas financera la rénovation thermique.

La commission du développement durable a adopté un amendement visant à rappeler l'échéance de 2027 pour la suppression des quotas gratuits. Le président de la République a souhaité fixer des objectifs très ambitieux, cela a été dit et redit : moins 40 % d'émissions de gaz à effet de serre en 2030 et moins 60 % en 2040. Il faut donc impérativement un système incitatif, si nous voulons réussir la lutte contre le changement climatique. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - Au Parlement européen, je siégeais à la commission environnement. J'ai toujours été fondamentalement opposée au mécanisme du marché des quotas. Une stratégie de transition énergétique suppose une visibilité à long terme du coût du carbone. Or le marché est, par nature, erratique. Une stratégie alternative est possible. Mais, puisqu'elle n'est pas sur la table, ne bloquons pas la directive. Reste que la France doit oeuvrer pour des politiques industrielles innovantes, avec des objectifs de réduction carbone et des financements publics. Le mécanisme actuel ne pousse pas à l'innovation maximale qui n'est pas immédiatement rentable, et, donc, à l'investissement de long terme.

Nous avons perdu notre industrie de l'aluminium. Elle est partie pour le Canada. Nos émissions de gaz à effet de serre ont baissé, elles ont augmenté de 40 % au Canada. Qu'y a gagné la planète ?

La grande révolution sera celle du bilan carbone obligatoire pour tous les services et toutes les productions. Modifier la directive est un petit pas ; il en faudra un grand pour opérer une vraie transition énergétique. (Applaudissements sur quelques bancs socialistes)

L'article premier est adopté.

L'article 2 est adopté.

Le projet de loi est adopté.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure.  - Je me réjouis de l'adoption de ce texte, d'apparence technique. La discussion a fait émerger une convergence d'appréciation. Nous constatons tous l'absence de résultat du marché carbone. Il n'y a pas d'alternative aujourd'hui - sans doute est-ce la conséquence du choix initial...

Souhaitons que le Sénat tout entier continue à réfléchir avec le Gouvernement sur ce système d'échange des quotas.

Mme Delphine Batho, ministre.  - Je remercie tous les sénateurs. Oui, il faut maintenant travailler ensemble à des propositions de réforme structurelle du marché carbone. Je ne verrais que des avantages à le faire avec le Sénat. Enfin, merci de votre indulgence : j'ai laissé ma voix dans la tempête normande !

M. le président.  - Merci pour la référence normande ! (Sourires)

Prochaine séance demain, mercredi 13 mars 2013, à 14 h 30.

La séance est levée à 23 h 45.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du mercredi 13 mars 2013

Séance publique

À 14 H 30 ET LE SOIR

1.Désignation des vingt-sept membres des deux missions communes d'information sur :

l'action extérieure de la France en matière de recherche et de développement

la filière viande en France et en Europe : élevage, abattage et distribution

2.Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers intercommunaux, et modifiant le calendrier électoral et du projet de loi organique, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à l'élection des conseillers municipaux, des conseillers intercommunaux et des conseillers départementaux

Rapport de M. Michel Delebarre, fait au nom de la commission des lois (n°404, 2012-2013)

Textes de la commission (nos405 rect. et 406 rect., 2012-2013)