Gynécologie médicale (Questions cribles thématiques)
M. le président. - L'ordre du jour appelle des questions cribles thématiques sur la gynécologie médicale.
Mme Michelle Meunier . - (Applaudissements à gauche) La gynécologie médicale est une spécialité à laquelle les femmes sont très attachées ; 60 % consultent régulièrement un de ces professionnels qui assurent une prise en charge tout au long de la vie.
Avec les chirurgiens-obstétriciens, obstétriciens et sages-femmes, les gynécologues médicaux assurent un maillage sans pareil au service des femmes. La suppression, en 1984, de cette spécialité a suscité un tollé : d'où le rétablissement d'un DES en 2003. Mais cela ne suffit pas à combler les départs prévisibles : d'ici 2020, 60 % des gynécologues médicaux partiront à la retraite. Il faut quarante postes par an à l'internat, au lieu de trente, et la construction d'un vrai parcours hospitalo-universitaire : c'est ce que demandent les professionnels.
A l'heure où certaines pilules contraceptives font débat, cette spécialité est une sécurité pour les femmes, pour peu que soit vérifiée l'indépendance des gynécologues médicaux vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques. Comment voyez-vous, madame la ministre, la question du renouvellement des praticiens ? Est-il envisageable de leur confier un rôle de santé publique auprès des prescripteurs de leur territoire ?
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé . - La santé des femmes concerne la moitié de la population française. L'enjeu est donc loin d'être mineur pour notre système de santé. Les femmes sont 93 % à vouloir pouvoir consulter dans cette spécialité qui renvoie à l'intime.
Nous sommes confrontés à un problème de démographie : 70 % des gynécologues médicaux ont plus de 55 ans, bien plus que dans les autres spécialités, parce qu'on a arrêté, entre 1984 et 2003, de former des gynécologues médicaux. Il fallait d'abord conforter le DES en tant que spécialité à part entière. J'ai, pour cela, retiré le projet de décret qui rendait automatique l'agrément en gynécologie médicale des services de gynécologie-obstétrique. (Applaudissements à gauche)
Mme Michelle Meunier. - Merci de ces précisions et de la volonté dont vous faites preuve.
Mme Laurence Cohen . - Je me réjouis de cette séance proposée par notre groupe. La gynécologie médicale a connu dix-sept ans de non-recrutement. Dans certains départements, la spécialité a totalement disparu. Pourtant, elle concerne les femmes à tous les âges de leur vie ; elle est essentiellement préventive, donc évite des coûts liés à des traitements tardifs.
Le nombre d'internes ne correspond pas aux besoins : seulement trente postes sont ouverts. Dans le Val-de-Marne, la diminution du nombre de gynécologues a été de 9 % et le nombre de nouveaux installés est inférieur à celui des départs en retraite.
Combien de postes d'internes entendez-vous ouvrir au concours ? Comment aiderez-vous les ARS à prendre les bonnes décisions ?
Mme Marisol Touraine, ministre. - La relation entre les femmes et les gynécologues médicaux est précieuse. Les attentes sont grandes. Les difficultés auxquelles nous sommes confrontés viennent de la rupture que vous avez évoquée et qui a duré dix-sept ans. Seize places étaient offertes à l'internat en 2004, j'ai demandé l'ouverture de trente postes en 2012, sachant que les simulations montrent qu'il en faudrait quarante cinq à cinquante pour maintenir une densité raisonnable. J'ai demandé au président de l'observatoire national de la démographie des professions de santé d'être attentif à cet objectif -quarante cinq places en 2016.
Mme Laurence Cohen. - J'insiste pour qu'un réel suivi soit assuré. Les chiffres des ARS sont étonnants. En Auvergne, il y a 0,5 gynécologue médical pour 5 000 femmes et l'Auvergne n'aurait besoin de rien de plus ? Les stages en CHU doivent être pourvus.
Le recul des cancers du sein ou du col de l'utérus, nous le devons à l'existence de ces praticiens : nous comptons sur vous.
Mme Aline Archimbaud . - Les difficultés de la gynécologie médicale sont symptomatiques de l'insuffisante prise en compte de la spécificité du corps des femmes dans la médecine. La pratique et la recherche sont longtemps restées du domaine des hommes. Les femmes sont exclues des essais cliniques, au motif de la variation de leur cycle hormonal qui compliquerait le processus et en renchérirait le coût. Les antidouleurs, les anxiolytiques sont majoritairement testés sur des hommes -alors que les femmes souffrent davantage d'anxiété que les hommes.
Le nombre de gynécologues médicaux est notoirement insuffisant. 48 % des gynécologues médicaux vont partir en retraite dans les cinq ans. C'est grâce au dépistage et au suivi de la contraception que l'on a fait reculer les pathologies féminines ; on fait peser un risque sur la santé des femmes en suscitant des inégalités et en grevant, pour l'avenir, les finances sociales.
Mme Marisol Touraine, ministre. - Je veux redire ma détermination : vingt sept postes en 2001, trente en 2013, et une perspective de quarante cinq en 2016. Au-delà, il est vrai que les défis vont croissant : jusqu'ici les comportements plus « vertueux » des femmes les protégeaient, ce n'est plus le cas -voir le cancer du poumon. Le renoncement aux soins et à la prévention concerne 16 % des femmes, contre 11 % des hommes seulement. C'est préoccupant. Les essais cliniques ? Certains ne peuvent être réalisés sur des femmes en âge de procréer. Pour autant, il faut mieux prendre en compte la spécificité des femmes dans les protocoles d'essai clinique. La France est très engagée au niveau européen : un conseil européen de la santé se tiendra le 28 juin, qui traitera entre autres de ce sujet.
Mme Aline Archimbaud. - Merci de ces précisions. Nous partons de loin : il faudra du temps et de la détermination sur la durée. J''étais, ce matin, dans un centre de santé à Saint-Denis. Dans cette ville de 100 000 habitants, il ne reste qu'une seule gynécologue. Certains territoires cumulent les inégalités. Merci de prendre le problème à bras-le-corps.
M. Yvon Collin . - Les menaces qui pèsent sur l'avenir de la gynécologie médicale fragilisent toute la politique de santé publique à l'égard des femmes. Les résultats d'un suivi régulier sont pourtant remarquables : en vingt ans, le nombre de cancers du col de l'utérus a été divisé par quatre et la survie à cinq ans au cancer du sein a été multipliée par deux.
Or, la pénurie menace, en particulier dans les zones rurales. Hervé Maurey et Jean-Luc Fichet ont remis leur rapport sur les déserts médicaux, qui est parlant. Il y a un handicap supplémentaire pour la gynécologie médicale, l'absence de diplômés entre 1986 et 2003. Les retards s'accumulent. La santé des femmes est en danger si vous n'agissez pas sur le numerus clausus. Que comptez-vous faire ?
Mme Marisol Touraine, ministre. - J'entends faire reconnaître la gynécologie médicale comme spécialité à part entière. Le décret qui donnait aux gynécologues-obstétriciens la qualité de gynécologue médical a été retiré. Le numerus clausus ? Je l'ai dit, ce sera trente postes en 2012, trente cinq postes en 2013 à l'examen classant national, avec un objectif de quarante cinq en 2016, peut-être plus tôt. J'ai sollicité le président de l'observatoire des professions de santé pour voir comment engager une montée en puissance rapide. Le problème concerne les zones rurales, mais aussi les villes. L'enjeu a été bien identifié.
M. Yvon Collin. - Je m'interroge sur la volonté à peine voilée dans les centres hospitaliers de fermer les consultations de gynécologie médicale, qui ont une approche non à l'acte mais globale -pour faire des économies. Le cabinet du gynécologue est un lieu de dialogue qui peut apporter, en termes de santé publique, un vrai bénéfice. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
Mme Marie-Thérèse Bruguière . - La France compte 1 000 gynécologues médicaux ; ils ne seraient plus que 180 en 2020, pour le même nombre de patientes. Les délais pour obtenir un rendez-vous s'allongent, jusqu'à six mois dans certains territoires. En 2010, 12,2 % des 19-24 ans déclarent ne pas avoir de suivi, lequel est pourtant essentiel en termes de prévention et de dépistage -les résultats ont été rappelés.
Les femmes d'âge mûr veulent pouvoir consulter non un obstétricien mais un gynécologue médical : elles ne veulent pas se retrouver dans une salle d'attente pleine de femmes enceintes jusqu'aux dents... A chacun son champ de compétences. Le 1er février 2013, un diplôme spécifique a été créé, à la suite d'années de combat. C'est essentiel, je le répète, pour les femmes, à tous les âges.
Mme Marisol Touraine, ministre. - Comment en est-on arrivé là ? Michèle Barzach, ministre de la santé du gouvernement Chirac, a supprimé, en 1986, la spécialité -elle était pourtant elle-même gynécologue. Mme Bachelot a réduit le nombre de places à l'examen classant au motif que la gynécologie médicale, de plus en plus spécialisée, devait se développer à l'hôpital tandis qu'en ville, les femmes pouvaient se tourner vers d'autres professionnels. Cette approche hospitalière a évidemment pesé sur la démographie de la profession.
Les femmes doivent pouvoir trouver, en ville, un gynécologue médical. Avec les mesures que j'ai prises, nous aurons formé, fin 2016, 50 % de gynécologues médicaux de plus que si on en était resté au numerus clausus de 2011. Une étape importante aura été franchie. (Applaudissements à gauche)
Mme Muguette Dini . - Il serait nécessaire de clarifier le rôle de chacun des professionnels partie prenante à la gynécologie : gynécologue médical libéral, gynécologue obstétricien libéral ou en établissement, généraliste, sage-femme.
Pour plus de clarté, ne faudrait-il pas réserver le titre d'obstétricien aux médecins qui pratiquent les accouchements et opèrent en gynécologie ? Si le nombre d'obstétriciens diminue, qui prendra en charge les parturientes ou les grossesses pathologiques ? Les services de maternité connaissent un surcroît d'activité sans avoir les moyens d'y faire face : n'allons pas les pénaliser davantage encore.
Comment distinguer un gynécologue médical, qui a quatre ans de spécialité, et un généraliste formé qui n'en a qu'une ? (Applaudissements à droite)
Mme Marisol Touraine, ministre. - L'essentiel est de garantir la possibilité, pour les femmes, d'accéder à un professionnel de leur choix. Certaines préfèrent se tourner vers leur médecin généraliste, pour une question de globalité de la prise en charge ; c'est très positif. D'autre souhaitent clairement différencier le suivi gynécologique.
C'est cela qu'il faut garantir, en assurant une coopération entre les professionnels au long d'un parcours de soins coordonné et maîtrisé. La grossesse peut être détectée par le généraliste, qui oriente vers un gynécologue médical, avant que la femme ne fasse le choix d'un obstétricien. (Applaudissements à gauche)
Mme Muguette Dini. - Je ne suis pas sûre que toutes les femmes fassent la distinction entre gynécologue médical et gynécologue obstétricien. Si, comme l'a dit M. Collin, la gynécologie occupe trop de temps à l'hôpital, on aurait tout intérêt à distinguer.
M. Claude Jeannerot . - Les Français sont attachés à leur système de santé. Seule l'organisation publique de la santé garantit un égal accès aux soins. Mais les inégalités territoriales se creusent, les déserts médicaux s'étendent. La gynécologie médicale n'y échappe pas ; elle joue pourtant un rôle central dans la prévention des cancers et des IVG - celles-ci en augmentation préoccupante, notamment dans le Doubs.
Quelle analyse faites-vous de la situation ? Comment remédier aux inégalités territoriales ? Quelle politique envisagez-vous pour rétablir l'équité ? (Applaudissements à gauche)
Mme Marisol Touraine, ministre. - La gynécologie médicale est une spécialité de premier recours : les femmes doivent pouvoir y accéder dans des conditions pratiques et financières satisfaisantes. Les femmes consultent un gynécologue tous les dix-huit mois en moyenne. La prévention est l'urgence. On l'a vu avec l'accès à une contraception de qualité : le dialogue avec le médecin est essentiel. Dans le débat sur la pilule, n'allons pas mettre en cause le principe de la contraception. C'est la relation avec le médecin qui doit lever les doutes, c'est à ce dernier de définir la contraception la mieux adaptée à chaque femme.
Si les femmes sont à moins de trente minutes d'un gynécologue médical, les délais de consultation sont trop longs. Le pacte territoire-santé entend renforcer la médecine de proximité ; la gynécologie médicale est concernée. (Applaudissements à gauche)
M. Claude Jeannerot. - Merci de ces assurances. J'ai souvenir qu'au-delà de nos critiques sur la loi HPST, nous regrettions l'absence, dans ce texte, d'un volet « santé publique ». Merci d'avoir souligné l'importance de la prévention et de nous avoir donné des garanties pour l'avenir. (Applaudissements à gauche)
Mme Catherine Procaccia . - L'accroissement du numerus clausus est satisfaisant, mais quarante cinq postes, c'est moins d'un gynécologue pour deux départements. Dans le Val-de-Marne, il n'y aura plus que vingt neuf gynécologues médicaux en 2017. Vu le nombre de femmes de plus de 15 ans, chacun devrait recevoir soixante cinq patientes par jour ouvré dans l'année... Comment ferons-nous face demain ?
Surtout, je m'inquiète de la santé des jeunes filles. Dans notre rapport sur les mutuelles étudiantes, il est apparu clairement qu'existait une très forte demande en gynécologie. Les services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé qui proposent des consultations dans cette spécialité connaissent un grand succès. Mais ce n'est pas le cas de celui de Créteil ; les jeunes filles doivent donc se tourner vers le privé, où les praticiens sont le plus souvent en secteur 2, pratiquent des dépassements d'honoraires et ne prennent pas toujours la carte vitale...
Mme Marisol Touraine, ministre. - J'entends vos préoccupations pour l'avenir. Pour autant, on ne peut considérer que toutes les femmes voudront consulter un gynécologue médical, comme vous le supposez dans vos calculs : elles peuvent s'adresser aux généralistes ou aux sages-femmes.
Il est vrai que dans cette spécialité, la proportion de médecins en secteur 2 pratiquant des dépassements d'honoraires est importante. Je ne stigmatise pas les médecins, je ne fais que constater une situation. Je souhaite que les suites de la négociation sur l'avenant 8 permettent d'y remédier. Votre rapport fait des propositions utiles pour une meilleure prise en charge des jeunes filles et une meilleure adaptation de la contraception. Allons ensemble de l'avant pour trouver des situations adaptées à tous les territoires. (Applaudissements à gauche).
Mme Catherine Procaccia. - Je n'entendais pas stigmatiser ces médecins mais souligner les difficultés qui se posent aux jeunes filles et aux étudiantes. Pour les gynécologues-obstétriciens, dans mon département, la situation est tout aussi inquiétante.
Mme Catherine Deroche . - Le manque de praticiens pose problème. Il faut augmenter le nombre d'internes, mais aussi renforcer les formations post-internat.
L'argument du partage des tâches a justifié, par le passé, le blocage de postes. Mais on sait l'insuffisance du nombre de généralistes ; et 10% d'entre eux seulement pratiquent des frottis. Quant aux obstétriciens, si certains se tournent vers la gynécologie médicale, c'est souvent pour des raisons de responsabilité civile et de conditions de travail. La loi HPST a donné de nouvelles responsabilités aux sages-femmes mais, quel que soit leur professionnalisme, elles ne sont pas médecins ; prescrire une pilule est un acte médical. Le rapport de la Cour des comptes sur la vaccination contre le papillomavirus préconise un dépistage généralisé ; encore faut-il pouvoir l'organiser.
Quelle est votre vision de la délégation des tâches ? La décision de déremboursement de la pilule Diane 35, sans pour autant en interdire la commercialisation, fait polémique : pouvez-vous nous rassurer ?
Mme Marisol Touraine, ministre. - Je suis favorable aux parcours de soins : une femme doit pouvoir être suivie par différents spécialistes. Les sages-femmes font bien partie des professions médicales, même si elles ne sont pas des médecins.
Les femmes doivent pouvoir être prises en charge à tous les âges de leur vie, depuis la première contraception jusqu'à la prévention du cancer du sein. Elles doivent pouvoir compter sur le bon conseil au bon moment.
La contraception ? Il faut distinguer entre les différentes pilules. Diane 35, médicament contre l'acné, est utilisé comme contraceptif en dehors de son autorisation de mise sur le marché (AMM). Elle est suspendue jusqu'à ce qu'une décision européenne nous oriente.
Le déremboursement des pilules de troisième et quatrième générations ne tient pas au risque mais à l'absence de valeur ajoutée par rapport à celles de deuxième génération. Au médecin de déterminer, avec sa patiente, la contraception la plus adaptée. (Applaudissements à gauche)
Mme Catherine Deroche. - Il était important d'apporter ces clarifications. Reste que les pilules de troisième génération peuvent avoir des indications médicales précises : un remboursement pouvait se justifier.
La séance est suspendue à 15 h 55.
présidence de M. Didier Guillaume,vice-président
La séance reprend à 16 heures.