Table des matières
Audition de Mme Françoise Héritier, professeur honoraire au Collège de France
Audition de M. Stéphane Nadaud, pédopsychiatre
Audition de M. Pierre Lévy-Soussan, pédopsychiatre et psychanalyste
Audition de représentants de l'Interassociative inter-LGBT
Audition de représentants de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL)
Audition de représentants de l'Association La voix de l'enfant
Audition de la représentante de l'Association Enfance et partage
Audition de représentants de l'Union nationale des associations familiales (Unaf)
COMMISSION DES LOIS
présidence de M. Jean-Pierre Sueur, Président
Mardi 5 février 2013
Audition de Mme Irène Théry, directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
M. Jean-Pierre Sueur, président. - La commission des lois du Sénat va procéder à de nombreuses auditions : pas moins d'une quarantaine en trois semaines. Son bureau a préféré des auditions d'une heure à des tables rondes, car notre objectif est de mener le travail le plus approfondi possible. Cet après-midi, nous entendrons des personnalités qualifiées dans le domaine de la sociologie, de l'anthropologie et de la psychiatrie.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Faut-il encore présenter Mme Irène Théry ? Directrice d'études à l'EHESS, ses travaux de sociologie de la famille font autorité ; son rapport sur le couple, la filiation et la parenté a inspiré les réformes du droit de la famille dans les années 1990.
Mme Irène Théry, sociologue, directrice d'études à l'école des hautes études en sciences sociales (EHESS). - Je vous remercie de m'entendre. Je centrerai mon intervention liminaire sur l'adoption par les couples de même sexe. Depuis quelques semaines, en effet, le débat a bien progressé : d'autres avec moi ont replacé le mariage des couples de même sexe dans l'histoire longue du mariage civil depuis 1792. Cette perspective progresse.
Aujourd'hui, le projet de loi ne prévoit pas de remplacer les termes de « père » et « mère » par ceux, improbables, de « parent A » et de « parent B » ; il dispose qu'un enfant adopté par une personne seule pourra avoir non seulement un père ou une mère, mais aussi un père et une mère. L'Union nationale des associations familiales (Unaf), majoritairement hostile au projet, déclarait en octobre, « ouvrir l'ensemble de l'adoption aux couples de même sexe pose en particulier la question de l'adoption plénière : alors qu'un enfant ne peut naître que d'un homme et d'une femme, l'accès éventuel à l'adoption plénière remettrait juridiquement en cause cette réalité, laissant croire qu'il est possible de naître de deux personnes de même sexe. C'est pourquoi l'Unaf est majoritairement défavorable à l'accès à l'adoption pour les couples de même sexe ». Il s'agit de lever ce malentendu : aucun défenseur du projet n'imagine possible de remettre juridiquement en cause cette réalité.
Revenons à l'histoire longue de la filiation depuis 1804, et le premier code civil. A l'époque, il était impensable, absurde, qu'un enfant pût avoir deux parents du même sexe. Depuis, à travers l'évolution de notre rapport à l'homosexualité et à la filiation en général, l'adoption s'est progressivement distinguée du modèle de procréation. La clef du changement est une réappropriation du mot « parents », lesquels ne sont plus forcément les géniteurs de l'enfant. On peut admettre une acception plus large de la filiation, dès lors qu'elle n'a plus la procréation pour unique fondement.
Cette perspective historique n'engage ni à un quelconque relativisme ni à un individualisme exacerbé avec le droit à l'enfant. Au contraire, elle est liée à l'affirmation des droits de l'enfant. D'abord, l'égalité entre enfants, quel que soit le statut de leurs parents. Nous sommes héritiers d'un modèle de filiation qui, contrairement à ce que l'on dit, n'est pas biologique mais matrimonial. Pour preuve, jusqu'en 1912, la recherche en paternité hors mariage était interdite : dès que les géniteurs n'étaient pas mariés, on se moquait éperdument de la réalité biologique. Dans ce modèle, la filiation dépend du statut des parents : la seule vraie filiation est la filiation légitime. L'enfant naturel, le bâtard, n'avait pas de père et n'entrait pas dans la famille de sa mère - une fille-mère. Il n'héritait pas de ses grands-parents. Hors mariage, il n'y avait donc pas de famille, au sens anthropologique et sociologique du terme, puisqu'il faut trois générations pour caractériser une filiation. On organisait l'irresponsabilité totale des pères biologiques.
Aux cocottes, prostituées et filles-mères, s'opposait la respectable mère de famille. Suivant un principe cognatique à inflexion patrilinéaire, son enfant bénéficiait d'une présomption de paternité, une fiction juridique d'importance qui emportait des conséquences sociales : la femme devait arriver vierge au mariage, l'adultère féminin était bien plus sévèrement puni que l'adultère masculin, etc. Ce modèle matrimonial correspondait à un idéal, celui de l'exclusivité de la filiation : un seul père, une seule mère ; pas un de moins, pas un de plus. La même personne est le géniteur de l'enfant, l'élève dans sa maison - c'est la dimension sociale et éducative - et est le parent au sens juridique.
Bien sûr, cela n'était pas toujours vrai : le mari n'était pas toujours le géniteur, mais l'on faisait comme si. « Le père est celui que les noces désignent », dit l'adage, tandis que l'idéal matrimonial veut que le père soit celui que le sang désigne. D'ailleurs, la rhétorique biologique valorise le mariage comme seule institution naturelle. Pour Rousseau, la famille est la société « la plus ancienne et la seule naturelle ».
Ce modèle matrimonial a été remis en question par une révolution de velours, l'émergence progressive des droits de l'enfant ayant accompagné l'affaiblissement de la complémentarité hiérarchique entre les sexes : autorisation de la recherche en paternité en 1912, substitution en 1970 de l'autorité parentale conjointe à la puissance paternelle, égalité entre tous les enfants par la grande loi de 1972, inspirée par le doyen Carbonnier.
En parallèle, la filiation s'est autonomisée du mariage. Le modèle matrimonial n'était pas très ouvert à l'adoption. Ce n'est qu'en 1939 que s'est développée la légitimation adoptive, suivie en 1966 par l'adoption plénière, mais selon un modèle de procréation. Avec cette loi, les parents adoptifs, en quelque sorte, devaient pouvoir passer pour ses géniteurs ; c'est une aggravation de la formule de Napoléon Bonaparte : « L'adoption singe la nature. » La loi de 1966 a effacé la première filiation de l'enfant : le nom des parents adoptifs figure sur l'acte de naissance. Ce modèle pseudo-procréatif ne va pas jusqu'à la falsification complète : le jugement d'adoption apparaît sur l'acte de naissance authentique. Les parents adoptifs n'ont longtemps été acceptés que comme des parents de seconde zone, de la fausse monnaie. D'où une tendance à taire la vérité de l'origine, à ne pas donner accès au dossier. A l'occasion de mon rapport, j'ai découvert que des collègues de mon École avaient appris à 50 ans qu'ils avaient été adoptés. Tout au plus distillait-on des renseignements non identifiants.
On a compris, petit à petit, que ce n'était pas conforme au droit fondamental de l'enfant, et que son intérêt ne se confondait pas avec celui de ses parents à garder le secret sur ses origines et éviter ainsi toute rivalité avec les parents biologiques. Surtout, les parents adoptifs ont de plus en plus revendiqué un autre modèle : celui de l'enfant qu'on prend par la main et à qui l'on montre le chemin, comme dit la chanson. Ils ont demandé la reconnaissance de l'adoption pour ce qu'elle était, parce qu'il est possible de s'engager envers un enfant dans un lien inconditionnel et indissoluble.
Cette évolution, depuis quinze ans a été facilitée par le développement de l'adoption internationale qui fait que les enfants ne ressemblent plus physiquement aux parents adoptifs... Au-delà, les parents géniteurs n'étaient plus perçus comme des rivaux potentiels par les parents adoptifs. A partir de là, on distinguait de la filiation l'origine personnelle de l'enfant, une distinction établie par la jurisprudence européenne. Je vous recommande le film Une vie toute neuve d'Ounie Lecomte qui retrace l'histoire d'un enfant adopté en Corée et sa souffrance devant le déchirement de son identité narrative.
Le modèle matrimonial de filiation a été remis en cause par le principe d'égalité des enfants, qui efface l'opposition entre filiation légitime et naturelle, entre honneur et honte, qui organisait le paysage social ; mais aussi par le principe de codirection masculine-féminine, et par le développement des droits des enfants. Dans ce contexte, on comprend les nouvelles revendications des parents homosexuels.
La loi autorise l'adoption par des célibataires depuis 1966, mais la pratique l'interdisait à des homosexuels. Cette situation, acceptée par l'arrêt « Fretté contre France », n'était pas propre à notre pays. Toutefois, en 2008, la France a été condamnée pour avoir refusé de confier un enfant à une célibataire en raison de son homosexualité. Cette condamnation se fondait sur cette nouvelle organisation juridique de la filiation, fondée sur un engagement inconditionnel. Pourquoi deux personnes de même sexe ne pourraient-elles prendre ensemble cet engagement ? Il n'est nullement question qu'elles se fassent passer pour les géniteurs de l'enfant - la peur de l'Unaf traduit une conception désuète. Nous ne sommes pas dans le passage du biologique au social.
Désormais, se dessine un droit commun de la filiation, devant lequel tous les enfants sont égaux, quels que soient leurs parents. Cette unicité du droit de la filiation n'empêche pas la pluralité des sources de la filiation. Au contraire, il existe une filiation par procréation, une filiation par adoption qui respecte l'histoire de l'enfant. Il y a aussi la filiation par engendrement avec la coopération d'un tiers donneur - donneur de sperme, donneuse d'ovocytes, donneuse de gestation. La question de la procréation médicalement assistée ne figure pas dans le projet de loi, mais je suis prête à en discuter avec vous.
Mme Nathalie Goulet. - Merci d'avoir ouvert ces auditions à l'ensemble des sénateurs. Membre de la commission des affaires étrangères, je regrette qu'aucune ne soit consacrée à la législation comparée. Notre droit est-il rétrograde par rapport à celui de nos voisins ?
M. Jean-Pierre Sueur, président - Nous avons commandé une étude de législation comparée qui est disponible sur le site du Sénat. Je vous la ferai parvenir.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - Comme vous, je crois que l'adoption est un engagement de lien pour la vie. Vous avez parlé de l'adoption plénière. Pouvez-vous dire un mot de l'adoption simple ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je suis très favorable à l'accès aux origines qui nous différencie des autres espèces animales. Ne pensez-vous pas que les noms des parents biologiques devraient toujours figurer sur l'état civil des enfants adoptés ?
Mme Irène Théry. - J'ai parlé du droit français, dont le modèle matrimonial a été commun aux grandes démocraties occidentales. En revanche, d'autre pays ont été plus sensibles que nous à la question des droits de l'individu et des droits de l'enfant en particulier, à commencer par celui de connaître ses origines. Le trouble - j'ai donné l'exemple de l'Unaf, mais j'aurais aussi pu citer Jean-Pierre Rosenczveig, qui vient de déclarer que la filiation, c'est « je suis issu de » - tient à la confusion entre le fait que tous ces enfants naissent de l'un et l'autre sexe - ce qui implique qu'ils ne sont pas enfermés dans une moitié d'humanité tout en n'ayant qu'un sexe - et l'éducation d'un enfant par des personnes de même sexe.
Un chiffre m'a toujours frappée : au XVIIIe siècle, un quart des mariages était des remariages ; et ceux-ci intervenaient six mois en moyenne après le veuvage. Pourquoi ? Parce qu'il existait une répartition des tâches dévolues à l'homme et à la femme dans l'éducation des enfants et que l'on n'imaginait pas élever un enfant sans une personne de l'autre sexe. Les questions se posent aujourd'hui différemment : un père peut maintenant donner un biberon sans déchoir de sa virilité.
L'adoption plénière se rapproche de plus en plus de l'adoption simple, laquelle est cumulative à partir de la filiation pivot. Elle évolue en effet vers une logique de l'addition : une logique du « et » remplace la vieille logique du « ou », même si les seuls parents selon la filiation sont les parents adoptifs.
Lors de la révision des lois bioéthique, j'avais d'ailleurs dirigé un numéro de la revue Esprit qui s'intitulait rien de moins que L'adoption saisie par la biomédecine, car nous avions face à nous les tenants du modèle pseudo-procréatif. Pour autant, on ne peut s'en tenir à l'adoption simple : il nous faut nous appuyer sur l'adoption plénière en gardant l'inspiration additive de la première, ce qui confortera les parents intentionnels, les parents par filiation.
L'histoire du refus de la pluriparentalité joue également pour la procréation médicalement assistée (PMA) qui fait débat à l'Assemblée nationale. Je crois pourtant qu'en respectant les droits des enfants, on respecte mieux les parents adoptifs. J'ai vu une jeune coréenne défendre sa thèse en présence de sa famille adoptive et de ce qu'elle appelait sa « famille coréenne ». Elle avait rassemblé les morceaux épars de son histoire.
Dans le cas de la PMA avec tiers donneur, nous sommes allés encore plus loin dans l'effacement de l'origine, dans la falsification de la filiation : le recours à cette technique n'est mentionné nulle part dans les actes d'état civil. C'est « le crime parfait », dit la juriste Marcella Iacub. L'homme qui n'est pas le géniteur va, par hypothèse, bénéficier de la présomption de paternité. Avons-nous respecté les droits de l'enfant ? C'est le même modèle que celui du dé-mariage. Les enfants revendiquent l'accès à leur dossier médical, à leur majorité. Peut-on les en priver ? Cette information est parfaitement connue et conservée : peut-on la leur cacher ?
Il faut distinguer les enjeux biomédicaux et ceux de la filiation. Sachons entendre la nouvelle génération quand elle proteste contre le sort qui lui a été fait.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Je remercie Mme Théry en votre nom à tous pour ce bel exposé.
Mme Nathalie Goulet. - Une audition, c'est bien mieux qu'un rapport !
Audition de Mme Françoise Héritier, professeur honoraire au Collège de France
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Nous sommes heureux d'accueillir le professeur Héritier pour cette seconde audition. Vous la connaissez tous. Elle est professeur honoraire au Collège de France, directeur d'études honoraire à l'EHESS et membre de l'Académie universelle des cultures. Nous sommes nombreux à guetter le livre qu'elle publie régulièrement chez Odile Jacob...
Mme Françoise Héritier, anthropologue et ethnologue, professeur honoraire au Collège de France. - Merci de m'avoir invitée à faire entendre la voix de l'anthropologie dans ce débat.
Certains évoquent parfois une « vérité anthropologique » pour refuser le mariage aux couples homosexuels. Le malheur veut que l'anthropologie ne soit pas enseignée dans nos écoles : on n'apprend pas comment fonctionnent les sociétés humaines. Certains l'invoquent donc parfois à mauvais escient...
Rien de ce qui nous paraît marqué du sceau de l'évidence n'est naturel : tout procède de créations de l'esprit, au cours de manipulations, autour d'un donné qui n'est pas contraignant. Dans le domaine de la parenté, l'anthropologie a isolé une liste de grands systèmes-types. Chaque société peut être analysée en fonction de son appartenance à tel ou tel sous-groupe, d'ailleurs corrélés selon un principe de non-contradiction. Une organisation ethnique ou étatique a une logique, une histoire. Il n'y a pas d'évidence simple fondée sur une nature commune. Ainsi, ne distinguons-nous pas entre nos cousins. Ainsi, le système matrimonial est-il fondé sur l'interdit. Ainsi, la filiation repose-t-elle sur un système cognatique, qui retranche l'enfant aux quatre lignes menant aux grands parents. Enfin, le mariage est hétérosexué et monogame. Nos compatriotes estiment que cela découle directement de la nature. Dans d'autres sociétés, on vit avec le même sentiment d'évidence naturelle une filiation unilinéaire : seule la ligne maternelle donne la filiation, et non quatre lignes. On s'y marie avec une cousine, on appelle « père » tous les frères du père, et « mère » toutes les soeurs de la mère. Ces situations sont dues à des combinaisons et manipulations de quelques faits élémentaires, que j'appelle « butoirs pour la pensée », c'est-à-dire des faits que l'esprit humain ne peut manipuler - du moins en l'état des savoirs qui les ont vu naître. Ces systèmes sont apparus au paléolithique supérieur. Dès lors, comment se référer à une vérité anthropologique, sans parler d'une quelconque supériorité ? Nous avons affaire à une réalité parmi d'autres, qui a évolué.
Tout enfant est amené culturellement, par ses habituations au quotidien, à juger normale et évidente la situation dans laquelle il vit. Il en serait de même dans le cadre de familles homoparentales. Pour lui, la déstabilisation procède de l'absence de reconnaissance officielle et, donc, du regard d'autrui. Dès qu'il y a reconnaissance officielle et non plus stigmatisation, la question de l'évidence au quotidien ne se pose plus.
Une ambiguïté sur les mots opacifie le problème : on confond filiation avec parentalité et avec engendrement ou enfantement. La filiation est la règle sociale qui détermine l'affiliation d'un enfant à un groupe, en lui conférant droits et devoirs. Elle se différencie de la vérité biologique, due à l'engendrement-enfantement et devenue en 1982 l'un des critères de la filiation. La parentalité, elle, se fonde sur l'investissement affectif et la responsabilité. Il faut bien distinguer ces trois notions : on peut être investi dans la parentalité et transmettre la filiation sans être géniteur : c'est l'adoption légale.
Notre société s'est accommodée pendant des siècles de l'existence de « bâtards », nés de « filles-mères », qui n'avaient qu'une moitié de ligne cognatique - sans qu'ils aient été pour autant des inadaptés ou des vauriens. On pourrait donc s'accommoder tout autant d'un doublement d'une même moitié, d'autant que les quatre lignes grand-parentales demeurent.
Tous nos systèmes sociaux dérivent de constats portant sur le monde sensible. Il y a 200 000 à 100 000 ans, les hommes et les femmes du paléolithique ont construit tout ce sur quoi nous vivons. Ils avaient le monde à penser, le savoir à mettre en route : un chantier sans équivalent ! Leurs créations mentales continuent à informer nos existences.
Quels sont ces butoirs pour la pensée ? Le premier est la néoténie de l'espèce humaine : les enfants humains sont ceux qui mettent le plus de temps à être autonomes, entre sept et dix ans quand une antilope court dix minutes après sa naissance. Cela implique la protection par les adultes et la dépendance des petits pendant des années.
Deuxième point, les générations s'enchaînent selon un certain ordre : les parents naissent toujours avant les enfants. La protection des parents se transforme en autorité et en domination. Rappelez-vous des mythes grecs, ou encore du film L'Étrange histoire de Benjamin Button...
Troisième point, l'opposition mentale entre l'identique et le différent, fondée sur l'opposition entre mâle et femelle. Elle est à la base de toutes les oppositions dualistes (le dur et la douceur, le rugueux et la souplesse, etc.), le masculin étant toujours supérieur au féminin.
Quatrième butoir : les hommes n'ont pas la faculté de mettre au monde des enfants ; il leur faut passer par des corps de femmes, qu'ils pensent comme des véhicules mis à leur disposition pour ce faire. Une supériorité est ainsi retournée au débit des femmes.
Autre point, l'humanité unipare, ou encore l'observation que le sang, support de chaleur et de mouvement, est à l'origine du sperme : voyez Aristote où le sperme est le produit de la coction du sang faite par des hommes, porteur de la forme humaine, de l'idéation et de tout ce qui relève de l'idéel.
Il y a un nombre extrêmement important de combinaisons possibles entre ces différents traits. Certaines n'ont pas été acceptées intellectuellement, par exemple si elles conduisaient à accorder la prééminence sociale aux femmes. D'autres étaient logiquement possibles mais informulables. C'est sans doute le cas aujourd'hui... La simple combinatoire d'éléments autorise à dire qu'un certain nombre de possibles existent logiquement dans le ciel des idées, qui relèvent pour le moment de l'impensé ou de l'impensable. Un jour, un de ces possibles devient formulable ; initialement rejeté, il sera peut-être désormais pensable pour une majorité et, donc, émotionnellement concevable - une condition sine qua non pour rendre ce possible réalisable et institué. Tel est le chemin suivi par le mariage homosexué, reconnu dans la pratique, même si réprouvé par un grand nombre de sociétés.
La théorie anthropologique depuis Durkheim s'accorde à penser que, pour construire un monde paisible, viable, l'humanité a dû sortir du temps des chasseurs, ce temps de la reproduction en vase clos dans des groupes de consanguins de vingt à vingt-cinq personnes. Les hommes ont cherché à s'unir avec d'autres, à se procurer des femmes ailleurs, par prédation. Le lien social est fondé sur l'exogamie, versant positif d'une institution longtemps pensée comme universelle : la prohibition de l'inceste, clé d'une société viable. Cette prohibition se retrouve dans toutes les sociétés, avec des définitions et des extensions variables. A cette grande règle fondatrice, reconnue par Claude Levy-Strauss, j'ajoute ce que j'appelle la valence différentielle des sexes, qui fait des femmes des mineures, des dépendantes, par rapport aux mâles. Elles sont considérées comme fournissant de la matière pure ou comme un pur récipient : la femme est une marmite dans laquelle va mijoter le sperme masculin, porteur de la vie. Elle est ainsi limitée à la maternité. Ce sont les femmes qui sont échangées entre groupes, jamais les hommes. En droit romain, le matrimonium signifie « entrer dans la main du mari » : uxor filiae locus optinet. En d'autres termes, la mère est assimilée à la fille. Il n'y a pas d'exemple absolu d'un pouvoir féminin sur la gestion de la reproduction.
Il a fallu une institution pour organiser cet échange entre groupes, le rendre valide pour une vie entière. Ce lien solide qui lie ensemble les générations successives, c'est l'institution du mariage hétérosexuel. Le commerce incestueux et la reproduction au sein du groupe d'origine sont passés de la règle à l'interdit. Il en est de même pour le commerce homosexuel, car il n'assurait pas de liens durables dans le fil des générations. Ils ont fait l'objet, au fil des siècles, de rejet, de détestation. Le doyen Carbonnier parle de « l'horreur sacrée » que l'idée de l'inceste susciterait. Les religions révélées, apparues récemment, n'ont fait que renforcer l'impact de ces constructions préalables de l'esprit humain en les érigeant en loi divine.
Malgré la prééminence de l'hétérosexualité, les unions homosexuées ont toujours existé dans la pratique. On trouve des cas d'unions temporaires permises, dans l'attente du mariage, dans les sociétés polygynes. Chez les Indiens d'Amérique du Nord, on reconnaissait un statut de travesti, compagnon alternatif de jeunes hommes en attendant que ceux-ci se marient. C'est la berdache, illustrée dans le film Little Big Man. Idem chez les Nuer : la femme stérile est perçue comme contre nature, comme un homme né par erreur dans une peau de femme ; quand elle a la capacité de payer une compensation matrimoniale, elle peut s'offrir les soins d'une épouse qui la servira : elle appointera un serviteur qui fera à celle-ci des enfants dont elle sera le père. En Nouvelle-Calédonie, on considère que les garçons naissent avec une dotation spermatique insuffisante : il faut l'accroître par les moyens que l'on imagine. C'est un devoir encadré. Il y a peu d'exemples d'homosexualités féminines recensées - sans doute du fait des observateurs plus que de la réalité.
L'humanité a fait en optant pour l'hétérosexualité un choix politiquement utile, politiquement correct. Toutefois, les conditions ont changé depuis le paléolithique. Avec sept milliards d'humains, il n'est plus nécessaire de fonder la paix sur l'échange des femmes et sur le mariage hétérosexué. Depuis le XVIIIe siècle, l'individu a été mis au premier plan : le mariage est désormais une affaire de choix individuel, de sentiment ; la durabilité n'est plus une fin en soi. Enfin, la révolution de l'optique nous a fait accéder à l'infiniment petit. On a identifié les gamètes et leur rôle, les techniques ont suivi : on sait ponctionner les ovules, les féconder in vitro, les repositionner dans l'utérus. Le principe de la conception hors du corps est une nouveauté bouleversante. De nouveaux possibles sont devenus pensables : l'utérus artificiel, la création d'un embryon à partir de spermatozoïdes et de cellules souches non germinales, greffe d'utérus d'une mère à sa fille...
Les grands bouleversements de notre paysage mental ont déjà eu lieu. Le propre de l'humain est de réfléchir à son sort et de mettre la main à son évolution. Il n'a aucune raison de refuser des transformations dans l'ordre social au seul motif que ses ancêtres ne vivaient pas ainsi il y a plusieurs millions d'années. Il accepte bien les innovations technologiques, il les recherche même. Pourquoi repousser celles ayant trait à l'organisation de la société ? Le mariage, cadre à forte charge symbolique, est devenu pensable et émotionnellement concevable comme ouvert à tous, ce qui correspond aux exigences comme aux possibilités du monde contemporain, donc de notre caractère d'être humain.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci de cet exposé clair et passionnant.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Qu'est-ce que l'altérité des sexes pour l'anthropologue ?
M. René Garrec. - Pouvez-vous citer des exemples de sociétés matriarcales ?
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Parmi tous les possibles que vous évoquez, y en a-t-il qui ne seraient pas acceptables ?
Mme Chantal Jouanno. - En quoi peut-on repousser ces fameux butoirs pour la pensée ? Peut-on imaginer qu'ils disparaîtront un jour ?
M. François Zocchetto. - L'endogamie génère le conflit, avez-vous dit, le mariage hétérosexuel a aidé à surmonter ces conflits. Dès lors que le mariage n'est plus strictement hétérosexuel, peut-il conduire à terme à de nouveaux conflits ?
Mme Françoise Héritier. - Non, il n'y a jamais eu de sociétés matriarcales, mais des mythes de matriarcat primitif, expliquant que les femmes auraient tellement mésusé le pouvoir qu'il avait fallu le leur ôter des mains. En Nouvelle-Guinée, on raconte ainsi que les femmes, qui ont la créativité en partage, auraient imaginé les arcs et les flèches mais s'en servaient en tirant derrière elles, tuant leurs enfants. En revanche, il y a des sociétés matrilinéaires, la filiation passant uniquement par la ligne de la mère. Les hommes y ont le pouvoir, en tant qu'oncle maternel.
Existerait-il des choses inacceptables ? Bien sûr : l'humanité s'est toujours entendue sur un minimum de choses inacceptables. L'altéralité commence avec la définition de la non-humanité. Il y a en quelque sorte des orbes concentriques autour d'un noyau intime, l'humanité se diluant progressivement : au centre les Grecs, puis les barbares, les sauvages, puis les sauromates, puis ceux qui n'ont pas de langage, puis pas de nom...
Des règles universelles, éthiques existent. On ne tue pas son semblable. Mais on a le droit de tuer celui qui ne l'est pas... Les Aztèques sacrifiaient des vaincus, venus de l'extérieur. Au Rwanda, la radio des Mille collines qualifiait les Tutsis de cafards, pas d'êtres humains... Et je ne parle pas du langage nazi. Enfin, une vieille paysanne ne s'inquiétait pas trop du sida chez les homosexuels - « tant que ça ne touche pas les êtres humains »... Il y a toujours une barrière de l'altérité. Nul ne peut user de son semblable à son propre bénéfice, ce serait inacceptable pour l'humanité.
La disparition des butoirs pour la pensée ? Certains d'entre eux, au cours des millénaires, vont s'amenuiser à force de triturer le matériau vivant. Des équipes travaillent sur la procréation hors du corps, les cellules totipotentes pouvant prendre la place de l'ovule, et la suppression de la rencontre des gamètes. Une évolution fondamentale à mon sens, car il n'y aurait plus besoin de deux sexes pour procréer. Cela sera-t-il bénéfique aux deux moitiés de l'humanité ? Il pourrait également en résulter une aggravation du modèle archaïque dominant de la femme perçue comme réservoir d'ovules ou comme simple utérus.
Les premiers humains ont construit le social, les savoirs, les règles qui nous ont été transmises. Nous avons désormais la possibilité de modifier ces données basiques : c'est une mutation absolue, qui ira vite. Ces évolutions impliquant des bouleversements plus profonds que le sujet de la loi qui nous occupe.
Que le mariage ne soit plus seulement hétérosexué engendrera-t-il des conflits ? Plus que vraisemblablement, cela fait partie des possibles que nous n'avons pas encore imaginés. Mais c'est vrai aussi pour le mariage hétérosexué. Prenons l'infanticide des filles en Chine et en Inde, qui se rapproche également de l'Europe, en Albanie notamment. Des pères utilisent le corps de leur fille pour obtenir des compensations matrimoniales plus élevées. Dans ce cas, on ne peut plus parler de liberté pour la femme. Oui, les conflits sont un possible, mais l'on ne peut pas tout prévoir par la loi.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - La loi établit des règles pour le vivre-ensemble. Il est important de vous écouter pour mener le travail législatif. Nous aurions aimé vous entendre plus longtemps discourir dans cette langue si pure ! Nous vous remercions sincèrement.
Mme Françoise Héritier. - J'ai simplement voulu apporter mon éclairage d'anthropologue à votre difficile travail.
Audition de M. Stéphane Nadaud, pédopsychiatre
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci à M. Stéphane Nadaud, pédopsychiatre, de nous rejoindre. Praticien hospitalier à l'hôpital de Ville-Evrard, et dans les centres médico-psychologiques de Montreuil et des Lilas, vous êtes également chargé de conférence en philosophie à l'EHESS. Vous avez consacré votre thèse de médecine aux enfants conçus et élevés par des parents homosexuels, la première en France sur ce sujet, et publié en 2002 Homoparentalité : Une nouvelle chance pour la famille ?, puis, en 2011, Fragments subjectifs.
M. Stéphane Nadaud, pédopsychiatre. - Vais-je répéter ce que j'ai dit devant l'Assemblée nationale ?
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Votre réflexion s'est enrichie depuis.
M. Stéphane Nadaud, pédopsychiatre. - Pour moi, il importe d'abord d'expliquer d'où je parle. En d'autres termes, à quel niveau de discours ce que je vais dire se réfère-t-il ? Je vous parlerai en pédopsychiatre et en philosophe, je récuse le terme d'expert.
A l'expression de mariage homosexuel, le préfère les termes de mariage pour tous les citoyens, parce que dans nos sociétés vivent des personnes qui ne sont pas encore des citoyens. Le mariage est fondé sur une double origine : canonique, renvoyant au sacré, et civiliste, laïque. D'un côté la volonté divine, de l'autre la raison. Nombre de collègues psy mettent l'accent sur le canonique. Le mariage est pensé comme une institution. Les termes de naturel et de symbolique reviennent dans leurs propos, comme si penser la nature en opposition avec la culture ne faisait pas fi d'un siècle d'anthropologie et de sociologie.
Vouloir, malgré les progrès de la science, calquer le modèle matrimonial sur la procréation, c'est oublier l'adoption, cette fiction civiliste qui est la nôtre depuis le code civil. L'adoption par un célibataire apporte la preuve et la garantie que notre droit tient aussi d'une conception civiliste. Dans les années 2000, la réalité de couples homosexuels élevant des enfants était perçue comme un fantasme. Des parents homosexuels, il n'en existait pas.
En tant que pédopsychiatre, mon souci était, non de montrer que l'enfant vivant avec des parents homosexuels vivait bien ou mal, mais de décrire une réalité. Par parenthèse, on réclame toujours des études sur le sujet mais on ne les finance pas, j'en ai fait l'expérience. En tant que clinicien, je ne me positionne pas en tant que moraliste, je dis ce qui est. Je suis là pour entendre les patients qui sont en souffrance. Tout cela pour dire qu'il n'est pas sérieux d'incriminer ce qui serait de l'ordre de l'homosexualité des parents dans le développement de l'enfant. Certes, il peut y avoir des répercussions, car la famille est atypique - qu'est-ce qu'une famille typique ? -, mais cela s'arrête là. Voilà ce que j'ai démontré en 1999, cinq ans après que l'homosexualité a été ôtée de la classification internationale des pathologies mentales et qu'elle ne peut plus être considérée comme un facteur de risque...
On ne peut pas attendre des travaux du clinicien une réponse univoque pour légiférer car, je le répète, nous ne sommes pas des moralistes. Les travaux disent, non ce qui doit être, mais ce qui est. Des moralistes, il y en a déjà beaucoup, qui se cachent derrière les oripeaux de la psychiatrie. Une telle position rend les niveaux de discours peu utilisables par les politiques.
Pour finir, quelques mots sur l'expert. Il ne doit pas être le pare-feu, le cache-sexe de la décision politique. Soyons vigilants à l'utilisation du discours, demandez des avis à des spécialistes, pas à des experts dictant ce qui devrait être.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je m'intéresse justement à « ce qui est » et que constate le clinicien. Les enfants que vous recevez en consultation souffrent-ils d'une stigmatisation possible de l'homosexualité de leurs parents ?
M. Stéphane Nadaud. - Les enfants qui viennent me voir souffrent de problèmes psychiques, par définition. Raison pour laquelle le discours de clinicien est, par construction, à prendre avec des pincettes.
On fait souvent feu de tout bois pour viser les parents homosexuels. Prenons un enfant dont les parents - de sexe opposé - se séparent, le père décidant de vivre son homosexualité. L'enfant va mal, la situation est conflictuelle. L'homosexualité du père est immédiatement mise en avant dans la discussion. Pourtant, elle n'est pas plus importante à mes yeux que le fait que le père soit au chômage ou se comporte comme un grand adolescent. Cet élément influence l'enfant... parmi mille autres. S'il y a stigmatisation, c'est que le corps social met la dimension homosexuelle au premier plan.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Autrement dit, il s'agit du corps social. Vous ne pouvez pas dire que les enfants de parents homosexuels vivraient objectivement des difficultés particulières, est-ce bien cela ?
M. Stéphane Nadaud. - Toute la difficulté est de savoir que faire de ces situations familiales et de les lier ou non à l'homosexualité. Le cadre familial présente nécessairement des particularités. Ces situations-là sont-elles prégnantes et sources de problèmes, ou bien est-ce l'homosexualité en amont ?
A l'avocate arguant qu'après une séparation l'enfant serait élevé dans un contexte de famille élargie, que c'était la séparation qui avait une influence, le procureur rétorquait en 1993 que dans la tête d'une célibataire lesbienne il y a image du père absent et dans celle qui vient de se séparer, image du père nié. En l'occurrence, le juge a refusé la garde à la mère. Pourquoi s'exprimer en ces termes alors que dans les deux cas, il y avait séparation des parents ? J'ai beau avoir une grande admiration pour Saint-Thomas, pareil raisonnement me paraît relever d'une bien pauvre scolastique... Oui, l'homosexualité entraîne des caractéristiques sociales, familiales : de fait, elle aura des conséquences sur les enfants. Est-ce inhérent à l'homosexualité ? Ma réponse est simpliste : l'homosexualité n'est plus une maladie mentale, il n'y a pas à la traiter comme telle.
Mme Virginie Klès. - Les parents homosexuels ont été des enfants, et, la plupart du temps, ont été élevés par un couple hétérosexuel, n'est-ce pas ? Ils ont eu une image du père et de la mère, qu'ils peuvent transmettre. Pourquoi ne revient-on pas à cette idée ?
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Les opposants affirment qu'il faut une figure paternelle et une figure maternelle, quel est votre point de vue de clinicien ? J'aurais également voulu vous entendre sur l'adoption, ce sujet problématique.
M. Claude Dilain. - Pour le pédiatre que je suis, nous sommes tous des enfants adoptés : les liens de l'amour sont plus forts que les chromosomes. Ce n'est pas L'amour en plus d'Élisabeth Badinter, mais « l'amour plus fort ». Avez-vous fait le même constat ?
M. Jean-Jacques Hyest. - Je n'ouvrirai pas une disputatio sur Saint-Thomas... Y a-t-il une différence entre des enfants élevés par des parents qui ont décidé de vivre leur homosexualité et ceux nés par PMA ou gestation pour autrui (GPA) ? Dans ce cas, se pose la question de l'origine. Les enfants conçus ou élevés, ce n'est pas la même chose.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Ou adoptés...
M. Jean-Jacques Hyest. - Les circulaires règlent tout...
Mme Chantal Jouanno. - J'ajouterai le cas des enfants adoptés par la voie traditionnelle : qu'en est-il de leurs conditions d'accueil dans des familles homosexuelles ? Les études sont contradictoires.
M. Stéphane Nadaud. - Comment penser ce qui peut valoir dans le bon développement d'un enfant du côté de la réalité et de celui du désir ? Les praticiens ont déjà bien à faire avec la réalité concrète : un enfant vivant en société aura, de toute façon, une référence aux deux sexes. Imaginer le contraire est absurde. Rares sont les couples de lesbiennes qui refusent toute présence masculine ; par intériorisation de la norme, la plupart s'efforcent au contraire de la favoriser. Et quant bien même, l'enfant ne verrait pas d'homme chez lui, il en rencontrerait à l'école. Considérons que la référence aux deux sexes est nécessaire, la question pragmatique est de savoir si elle doit se réaliser dans la famille nucléaire ou dans la famille élargie. Il est spécieux d'imaginer qu'elle doit être dans la tête des parents. Mais la famille élargie ? Nous avons tous ici des oncles et des tantes. Mme Héritier l'a bien montré, les parents biologiques ne recoupent pas forcément les vrais parents. Sinon, il n'y aurait pas besoin de fiction juridique, ni de société.
L'adoption est l'élément le plus complexe à penser. Ma position politique - je suis fondé à la donner en tant que philosophe - est que la loi est distincte du « naturellement procréatif ». D'où ma crainte de voir des gens demander, à l'occasion de ce projet de loi, la suppression de l'adoption par les parents célibataires. L'adoption est cette preuve ultime de la naissance légale, depuis le code napoléonien jusqu'aux marraines de guerre. L'adoption est difficile à penser, précisément parce qu'elle distingue le géniteur du parent. On naît deux fois : biologiquement d'un géniteur, puis civilement de parents adoptifs.
M. Jean-Jacques Hyest. - Dans l'adoption plénière
M. Stéphane Nadaud. - Tout à fait. Ce laps de temps entre ces deux naissances mérite l'attention. Pour beaucoup de cliniciens spécialistes de l'adoption, celle-ci constituerait un élément instable sur une situation qui l'est déjà. Je n'envisage pas les choses ainsi : à mes yeux, dans notre façon d'être un sujet pensant, vivant, social, rien ne va de soi. Aucune situation familiale ne va de soi.
M. Dilain l'a dit : nous sommes tous des enfants adoptés. Néanmoins, l'amour ne suffit pas pour adopter : il faut la loi - mais une loi sans amour serait particulièrement triste. Néanmoins, l'adoption ne sera pas plus compliquée dans des familles homosexuelles que la PMA ou la GPA. Pour finir par une vignette clinique, je me souviens d'un couple de lesbiennes qui me disait sans cesse : « cet enfant doit absolument avoir un père », comme s'il n'en avait pas un, peu présent il est vrai. Exemple d'une introjection absolue du discours sur la nécessité du père. Or, cet enfant était en thérapie avec moi, un homme. Peut-être est-ce orgueilleux de le dire mais, en tous cas, cet enfant souffrait de bien d'autres choses que de l'homosexualité de sa mère.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci de cet apport de philosophe et de clinicien. Nous saluons votre capacité d'analyse.
Audition de M. Pierre Lévy-Soussan, pédopsychiatre et psychanalyste
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Vous êtes psychiatre, psychanalyste, chargé de cours à l'université Paris-Diderot, et avez beaucoup travaillé sur l'adoption et sur le secret des origines. Votre livre célèbre sur la psychiatrie en était en 2007 à sa troisième édition ; un autre, paru en 2010, s'intitule Éloge du secret. Vous avez également publié des articles tels que La filiation à l'épreuve des lois en 2011, ainsi que Éloges des secrets : illusion, soi et transformation.
C'est avec un grand intérêt que nous allons vous entendre.
M. Pierre Lévy-Soussan, pédopsychiatre et psychiatre. - Je veux expliciter le coeur de mon métier : interpréter, en l'occurrence, interpréter les enjeux juridiques d'un projet de loi à la lumière de mes connaissances sur la filiation, l'adoption, la famille, l'enfant et la société. Freud a jeté les bases de ce travail en énonçant que le développement de la culture va de pair avec celui de l'individu et travaille avec les mêmes moyens. L'évolution de la loi exerce une influence sur l'individu, de même que l'individu a un impact sur la modification des lois. Nous sommes loin, avec cette dialectique, de l'optique positiviste de ces anthropologues qui décrivent les possibles et semblent penser que toutes les plantes tropicales pourraient pousser sous nos latitudes, ignorant l'enracinement conscient et inconscient de tous les montages familiaux du monde dans l'espace mythique de chaque culture.
Mon analyse s'éloigne radicalement de celle de la sociologie juridique qui collectionne enquêtes d'opinion et prétexte des faits sociaux pour justifier une évolution législative. La loi de 2002 sur l'autorité parentale en donne un triste exemple : elle a fait, dans une logique arithmétique, disparaître le père et la mère au profit d'un parent unisexe. Je pourrais parler longuement des effets traumatisants de la formule « à temps égal, parent égal » sur les enfants de moins de six ans. Le bébé a un vécu très inégalitaire des relations avec son père et sa mère qu'il différencie dès son plus jeune âge, toutes les recherches le montrent. Les modes d'interaction et les compétences ne sont pas identiques, chacun a son rôle, complémentaire de l'autre.
Ces approches anthropologiques et sociologiques occultent le sens de la filiation, valident un self-service normatif délié de la raison qui organise la filiation.
Le problème dans ce texte n'est pas le mariage, c'est qu'il s'attaque à la filiation organisée par la naissance en la faisant reposer sur un acte de volonté. Le plus grave est la remise en cause radicale de l'adoption plénière comme base de la filiation adoptive. On mine le principe même de réussite de l'adoption et de filiations comme l'aide médicale à la procréation. Dans ces filiations particulières, on a dissocié, à un moment, l'origine de l'enfant de la scène familiale. Le montage actuel de la filiation est efficace parce qu'il permet à l'enfant d'avoir une re-naissance au sein d'un couple qui le désire et qui aurait pu l'engendrer. L'enfant adopté sait qu'il vient d'un ailleurs, parfois d'un autre pays, d'une autre ethnie. Là n'est pas le problème.
La greffe filiative marche à une seule condition : si l'enfant peut fantasmer qu'il aurait pu venir de cet homme et de cette femme-là, quelle que soit sa couleur de peau. C'est ainsi qu'il transforme ses parents adoptifs en ses vrais parents. Pour nous, psychiatres, la notion de parent biologique n'a pas de sens. Cela fonctionne même dans les adoptions tardives. On observe des phénomènes de régression différenciés : l'enfant de 5-6 ans recherche le peau à peau avec sa mère. On assiste à des scènes qui montrent que l'enfant se recrée une histoire : on joue à « la nuit où je suis né ». L'enfant plonge sous les draps et ressort à l'autre bout du lit des parents. Grâce à cette re-naissance, il dépasse un passé lourd en ouvrant une nouvelle page filiative. Même mécanisme pour les enfants issus des Cecos : l'enfant construit une situation psychique qui aura valeur de vérité. Le don est intériorisé : puisqu'il y a eu don, le père est bien le sien, comme s'il avait été engendré par lui. Et, dans la tête de l'enfant, cela a valeur de vérité. Car l'engendrement est le noyau de la filiation, pas la vérité biologique.
Pour un enfant, « parents de même sexe » n'a aucun sens. Un père ou une mère qui n'engendre pas, sur le plan réel ou symbolique, cela ne peut pas fonctionner. Être né de deux hommes ou de deux femmes n'est pas imaginable, ce n'est pas une fiction crédible. Les Romains s'étaient posé la même question : jusqu'où peut-on aller avec la technique juridique ? Ils se sont demandé si un adulte pouvait adopter un enfant plus âgé que lui. Ils ont considéré que la fiction n'aurait pas été crédible, raisonnable. Tous les enfants s'accrochent au côté originaire de la famille où ils sont.
Il y a échec de l'adoption quand l'enfant va du côté de ses origines biologiques pour rechercher ce qu'il n'a pas trouvé dans sa famille adoptive, ce qu'a autorisé la loi compassionnelle de 2002 sous la pression de mouvements militants avec le même discours médiatique sur la souffrance des gens. C'est la désorganisation de l'adoption, une impasse filiative. On me renvoie souvent au fameux besoin des origines, comme s'il était biologique, et non pas psychologique. La recherche des origines, qui intervient quand l'adoption échoue, est désormais ouverte aux soi-disant 300 à 400 000 adultes en souffrance allégués au moment de l'examen de la loi. Combien sont-ils venus dix ans plus tard ? Cinq mille, comme ceux qui se déplaçaient auparavant dans les conseils généraux ! Ce n'était pas la peine de faire une loi pour ça, en biologisant la filiation, ce qui dépossède le parent adoptif. Les associations militantes m'expliquent que l'enfant sait bien qu'il ne vient pas de deux hommes ou de deux femmes. Simplement, tout sera un échec de la filiation si l'on parle de parent biologique, voire de parent « spermatique ». Sortir la naissance comme référence filiative désincarne la filiation au sein du couple, et du coup elle se réincarne ailleurs. L'origine, ce n'est pas le biologique, mais le psychique.
Remettre en cause la notion de père et mère affectera tous les enfants et emportera une véritable déqualification parentale. La filiation unisexe aurait la même valeur pour tout le monde ? Cela discrimine les enfants adoptés par rapport aux autres, nés sous la couette : ils ne re-naîtront plus dans une scène originaire fantasmée. Tout est possible, et n'a aucune importance... Cela discrimine également les enfants adoptés entre eux : quand ils auront un père et une mère, ils auront les moyens de reconstruire quelque chose ; avec deux pères ou deux mères, ils n'auront qu'un seul type d'identification. L'État aura décidé qu'on peut les priver de père ou de mère. Les sociologues ont banalisé les histoires de vie, en oubliant les souffrances, la surmorbidité psychiatrique des enfants dans des situations atypiques. Non, un enfant ne peut tout traverser.
L'adoption nationale, c'est 500 à 700 adoptions sous secret, et 300 adoptions de pupilles ; l'adoption internationale représente 2 000 cas par an - un chiffre qui décroît d'année en année. Or, 28 000 couples sont agréés. Les dix premiers pays adoptent 32 000 enfants. Il y a 100 à 200 couples adoptants pour un enfant adoptable : les pays d'origine sélectionnent. Les professionnels raisonnent en termes de risque : aucun ne mettra un enfant dans une situation rendue plus complexe et plus difficile par une loi.
Ce projet créerait le droit d'amputer un enfant soit d'un père, soit d'une mère. Or, ces enfants ont vécu une première rupture, ont été privés de la construction d'une enfance. La société a une dette vis-à-vis d'eux : ceux-ci ont le droit d'avoir une situation banale, qui ne leur demandera pas un surcroît d'adaptation.
La boussole que nous utilisons dans nos consultations de pédopsychiatrie, c'est la naissance, les interactions spécifiques avec le père, avec la mère, les premiers liens, on le voit bien dans les situations de grave maltraitance, d'échec de la construction d'adoption. Si on retire cette boussole, quelle référence prendre ? Comment les magistrats vont-ils faire de leur côté ? Comment expertiser la volonté, la présomption de parentalité ?
Il fallait légiférer sur un statut éducatif, renforcer le statut du conjoint. Ce qui fonctionne, ce sont les situations claires. Une mère et son amoureuse, cela, ce n'est pas impensable, contrairement à l'existence de deux mamans - nous avons vu des reportages pathétiques sur les efforts des enfants concernés pour se conformer à ce que l'on attend d'eux.
Plutôt que de légiférer pour tous les couples en fonction de la minorité d'une minorité, il faudrait, non pas reconnaître l'homoparentalité, mais bien mettre l'accent sur une parentalité partagée, respectueuse de la logique de la filiation, de façon à ce que les termes de père et mère gardent leur sens. On voit bien la difficulté quand on aborde la question des noms propres : pour s'en sortir, on propose de juxtaposer les deux noms pour tout le monde. Pour nous, psychiatres, c'est une aberration. La transmission du nom du père est une manière, pour le père, de compenser le lien charnel de l'enfant avec sa mère. Si on donne le choix au couple, qui choisira ?
La filiation psychique est une construction. Le risque est de verser dans le tout biologique ou dans le tout sociologique, qui en aucun cas, ne donneront à l'enfant une origine crédible, raisonnable.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci pour votre exposé et pour votre conviction. Nous voulions entendre des approches différentes.
M. Jean-Jacques Hyest. - Avec des prémisses identiques, on aboutit à des conclusions inverses.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - « Les citoyens naissent libres et égaux en droit », dites-vous avant d'ajouter que certains enfants seront discriminés par ce projet de loi. Quid des enfants adoptés par des célibataires ? Sont-ils discriminés par rapport à ceux qu'adoptent des couples hétérosexuels ? Par ailleurs, n'est-ce pas le droit de tous les enfants de connaître leurs origines ? Pour ma part, je pense que ce n'est pas négociable.
M. Claude Dilain. - J'aurais souhaité quelques précisions sur la filiation. Vous avez évoqué une re-naissance, qui est tellement de l'ordre du fantasme, qu'elle est possible même quand la couleur de peau est différente. Cela éloigne totalement la biologie. Pourquoi la re-naissance serait-elle a priori impossible avec un couple homosexuel ? Le plus beau fantasme, n'est-ce pas Marie ? La filiation peut partir d'une femme. Pourquoi réintroduire une notion de biologie raisonnable, qui n'a rien à voir avec le fantasme ?
Mme Virginie Klès. - La biologisation est-elle indispensable ou disparaîtrait-elle ? Je comprends mal.
Le rejet de greffes d'adoption ne peut-il être lié à d'autres traumatismes que la filiation ? Avez-vous déjà soigné des enfants éduqués par des couples homosexuels ? Enfin, avez-vous déjà rencontré dans vos consultations des enfants éduqués par des couples homosexuels et ceux-ci rencontrent-ils les mêmes difficultés que les autres ?
M. Claude Dilain. - Vous parlez de l'absolue nécessité d'avoir un père ou une mère. N'est-il pas plus important d'avoir quelqu'un qui remplit une fonction paternelle ou une fonction maternelle ? Pour ma part, je suis un père qui remplit bien des fonctions maternelles.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Une loi émotionnelle n'est pas une bonne loi, dites-vous. J'entends autour de moi des couples pour lesquels l'adoption se pose en termes très concrets. Pourquoi « comme si » ? Les enfants des familles monoparentales ne sont pas toujours cabossés ou en danger.
Mme Nicole Bonnefoy. - La définition de la filiation varie : certains nous assurent qu'elle est fondée sur le geste, vous, que c'est l'engendrement...
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Il y a de l'émotionnel partout.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Moins au Sénat qu'à l'Assemblée nationale.
M. Jean-Jacques Hyest. - Les juristes sont souvent sans coeur, dit-on...
M. Pierre Lévy-Soussan. - Sur l'adoption par des célibataires, vous avez raison. Il y a plus de risque qu'un enfant adopté par une célibataire ait des problèmes. Je ne raisonne pas en termes de prédiction, mais de prévention. Quand nous avons un doute sur une situation, il doit profiter à l'enfant. Cette situation présente statistiquement six fois plus de risques. Quand cette adoption a été autorisée après la première guerre mondiale, la situation était très différente : il s'agissait d'anciennes mères qui recueillaient des orphelins.
Le droit aux origines biologiques va à l'encontre des origines psychiques. A partir de 2002, lorsqu'on a commencé à persécuter les parents biologiques pour obtenir leur identité, de l'identité, ils n'ont plus rien dit : les dossiers se sont vidés des histoires, du narratif qui répond à un besoin de l'enfant.
Quand je parle de l'axe biologique de la filiation, je vise deux choses : le lien du sang, idéalisé et valorisé par notre société, difficile à rompre même en cas de maltraitance, mais aussi la scène de conception. Le premier, on peut le dépasser, pas la seconde, pas la scène de conception biologique. Le roc, au sens freudien, c'est qu'on naît tous d'une femme. Cette loi dispense une partie de la population de cette scène de rencontre, d'altérité. A quel titre ? Nous sommes tous passés par cette scène, universelle, qui nous a tous constitués - et tous névrosés, au point que certains sont devenus psychiatres... Cet universel constitue le social. Au nom de quoi en priver les enfants ?
Bien sûr, il y a d'autres problématiques dans l'adoption qui conduisent à son échec. Mais leur voie commune est de considérer le couple parental, ou l'enfant, comme étranger à soi. Les causes sont multiples, liées au couple, à l'enfant, à une erreur d'appariement. Je n'ai parlé ici que du risque législatif.
Il y avait mille façons de consolider le statut du conjoint sans toucher à la filiation, sans entraîner de confusion des rôles. Tous les enfants dans une situation atypique, y compris dans une situation que les sociologues appellent monoparentale, ont une plus grande vulnérabilité. Statistiquement, ils ont plus de risque de dépression, de morbidité, de trouble. En termes de risque, toutes les études concordent : la situation la moins à risque, c'est homme-femme-enfant ; les autres, sans être impossibles, présentent plus de risques. Et il ne s'agit que de situations éducatives.
Je définis la filiation par le geste, par l'engendrement et par la construction de la filiation psychique : fromage et dessert ! La transformation d'un homme et d'une femme en père et mère ne va pas de soi, même pour les enfants faits sous la couette.
Le paternel de la femme ne sera jamais le même que le paternel de l'homme ; le maternel de l'homme ne sera jamais le même que celui de la femme. L'enfant différencie l'être propre. Le dialogue tonique entre la mère et son bébé n'est pas le même que celui qu'a le père. Un père ne sera jamais une mère comme les autres. Cela n'a rien à voir avec qui fait la vaisselle ou descend les poubelles, mais tout avec les places, réelle et symbolique, qu'il représente pour l'enfant.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Le rapporteur avait évoqué le droit à la connaissance des origines.
M. Pierre Lévy-Soussan. - Le parent biologique a récusé l'enfant comme un destin filiatique. Un abandon marque l'interruption d'un lien, mais à partir de là, il y aura construction filiative. Gare au piège des origines ! On a vu les désastres de la loi de 2002 : quand l'enfant recherche ses parents biologiques, il cherche un recours par rapport à une situation complexe dans la famille adoptive. Quand le père et la mère adoptifs sont sûrs de leur position de parents et ne tombent pas dans le piège, la famille sort de l'impasse. Dans le cas contraire, les origines servent de recours et, j'ai vu toutes sortes de quêtes, le plus souvent, il y a une déception à la clé. Le pouvoir originaire du désir, dans une scène de reconception, voilà ce que recherche l'enfant : avoir banalement un père et une mère comme les autres, ici et maintenant, dans sa famille adoptive.
M. Jean-Pierre Sueur, président. - Merci de nous avoir parlé avec autant de conviction.
Mercredi 6 février 2013
présidence de M. Jean-Pierre Michel,vice-président
Audition de représentants de l'Interassociative inter-LGBT
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous reprenons nos auditions publiques sur le mariage pour tous. Mme Michelle Meunier, qui a été désignée rapporteure pour avis par la commission des affaires sociales ce matin, participe à nos travaux.
M. Nicolas Gougain, porte-parole de l'inter-LGBT. - Merci de votre invitation. L'Interassociative lesbienne, gaie, bi et trans fédère une soixantaine d'organisations militant contre les discriminations subies au quotidien par les homosexuels dans le monde du travail, à l'école, dans le sport, etc., mais aussi pour l'égalité des droits. Elle organise également la marche des fiertés, autrefois appelée la Gay pride. La revendication politique d'égalité n'est pas nouvelle. Nous sommes très émus d'être entendus au Parlement, cela a été très rare par le passé. Enfin, on parle de la prise en compte des familles, quelle que soit leur orientation sexuelle. Cela nous fait beaucoup de bien, car nous attendions depuis longtemps ce projet de loi, ce moment historique.
M. Mathieu Nocent, co-secrétaire de la commission politique de l'inter-LGBT. - Je commencerai par une anecdote. En mai 2012, Barack Obama s'est déclaré en faveur du mariage aux couples de même sexe. Une petite fille, Sophia Bailey Klugh, 10 ans, lui a écrit : « Je suis tellement heureuse que vous soyez d'accord avec le fait que deux hommes puissent s'aimer, parce que j'ai deux papas et ils s'aiment, mais à l'école les enfants pensent que c'est dégoûtant et bizarre, et cela me blesse et me fait mal au coeur. Si vous étiez à ma place, que feriez-vous ? ». Le président des États-Unis lui a répondu deux jours plus tard pour la remercier de cette si belle lettre : « En la lisant, je me suis senti fier d'être votre président, et j'ai ressenti encore plus d'espoir dans l'avenir de notre pays. Aux États-Unis, il n'y a pas deux familles qui se ressemblent. Nous sommes fiers de cette diversité. Nos différences nous unissent. Nous sommes chanceux de vivre dans un pays où nous sommes tous nés égaux, et ceci quelle que soit notre apparence physique, l'endroit où nous sommes nés ou l'identité de nos parents. »
En France, des dizaines de milliers d'enfants vivent la situation de la petite Sophia : ils sont élevés par deux papas ou deux mamans, par un papa et deux mamans, une maman et deux papas, ou par deux mamans et deux papas. Depuis quelques semaines, ils entendent dire à l'Assemblée nationale que le mariage consacre l'union d'un homme et d'une femme, dans le but de procréer. C'est ignorer la révolution juridique que le mariage a connue depuis le code napoléonien de 1804.
Cette conception est dépassée. Depuis 1972, les droits et les devoirs des enfants et des parents sont identiques dans le mariage et hors mariage ; depuis 2005, il n'y a plus de distinction entre filiations légitime et naturelle. Plus d'un enfant sur deux naît hors mariage ; bien des couples se marient sans avoir l'intention de procréer. Le coeur du mariage n'est plus la présomption de paternité mais le couple. Comment justifier désormais que les couples de même sexe n'y aient pas accès ?
Ils entendent dire que les enfants doivent avoir un père et une mère pour s'épanouir. C'est méconnaître la diversité des familles et faire injure aux enfants de familles monoparentales et homoparentales. La famille « idéale » renvoie à un jugement de valeur. Faisons confiance aux enfants pour gérer le pluralisme du monde dans lequel, de toute façon, ils vont vivre.
Ces enfants entendent aussi dire que leurs parents leur mentiraient et que l'État appuierait ce mensonge en reconnaissant une double filiation monosexuée. Aucun couple homosexuel ne prétendra être les parents biologiques de l'enfant ! Comme le dit Irène Théry, « la filiation adoptive n'est pas un décalque de la procréation. Loin de chercher à se faire passer pour ses géniteurs, les parents adoptifs revendiquent l'adoption pour elle-même, comme une façon pleinement légitime de construire la filiation sur l'engagement ». Personne n'a l'intention de faire passer les enfants issus de la procréation médicalement assistée (PMA) comme nés de deux femmes : c'est un fantasme. S'il y a un mensonge, c'est celui du droit qui fait croire, pour les enfants nés de la PMA, que le mari stérile est le géniteur...
Ces enfants entendent encore dire que ce mariage va contre la nature. Une vision naturaliste pour le moins audacieuse...Les Lumières sont-elles si éloignées ? A-t-on oublié que l'on est passé de la nature à la culture, d'un ordre religieux à un ordre civil ? La nature n'a pas force de droit et ne saurait imposer en droit la reconnaissance d'une seule structure familiale.
On leur explique enfin que la différence des sexes serait un référentiel indispensable à la construction de l'enfant. Mais elle est omniprésente dans leur environnement, dans leur quotidien ! Ce texte met à bas les stéréotypes et rétablit une pleine égalité entre les couples et au sein des couples.
Le président Obama terminait ainsi sa lettre à la petite Sophia : « Une bonne règle est de traiter les autres comme tu aimerais qu'ils te traitent. Rappelle cette règle à tes camarades s'ils tiennent des propos qui te blessent ». Cependant, alors qu'hier la Chambre des communes du Royaume-Uni a voté, à 400 voix contre 175, l'ouverture du mariage à tous, le député Bénisti parlait, à l'Assemblée nationale, d'« enfant Playmobil » ; Mme Dalloz réclamait que le principe de précaution ne s'applique pas qu'aux animaux ; le député Duyck parlait d'une régression monstrueuse ; son collègue Poisson s'inquiétait que l'on finisse par créer artificiellement des enfants « disponibles à toute forme de volonté, de désir », et Mme Genevard s'inquiétait des cris de détresse des enfants élevés sans père ou sans mère. J'ose croire qu'un jour, les enfants qui souffrent de ces outrances et de cette stigmatisation pourront dire à leurs camarades : « oui, j'ai deux papas, et alors ? »
M. Nicolas Gougain. - Le projet de loi ne vise pas à remplacer un modèle par un autre, il est inclusif. Il ne s'agit pas d'imposer un modèle, mais d'en reconnaître un autre en ajoutant à la diversité. Vous n'enlèverez rien aux familles hétérosexuelles en donnant aux familles homosexuelles le droit de vivre leur histoire comme elles l'entendent - que ce soit par le Pacs ou le mariage. Le rôle du législateur est de sécuriser la situation de ces familles et de garantir l'égalité des droits. Ce projet de vivre-ensemble contribuera à la lutte contre les discriminations et les stéréotypes.
L'attente est extrêmement forte. Il y a deux ans, la date de la marche des fiertés avait coïncidé avec la reconnaissance par l'État de New York du mariage homosexuel. Cela avait soulevé un formidable espoir.
Nous regrettons que la France, encore une fois, ait été doublée par un autre pays dans la lutte contre les discriminations. Mais aujourd'hui, nous y sommes, la France marche vers l'égalité des droits.
Vous recevrez bientôt le texte de l'Assemblée nationale, j'espère que vous l'enrichirez.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je tiens à vous rassurer : il y aura des oppositions au Sénat, mais on n'y tiendra pas les mêmes propos qu'à l'Assemblée nationale. Quant à la PMA, Mme Héritier, après un passionnant exposé anthropologique, nous a expliqué hier que nous allions nous prononcer sur un détail, que la principale révolution était devant nous : la procréation hors utérus. Rassurez-vous donc, bonnes gens !
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - On entend beaucoup les opposants au projet de loi. J'aimerais savoir ce que disent les associations depuis le début de ce débat. Constatez-vous un élargissement de votre audience et quels sont les effets du texte sur ceux qui y sont favorables ?
Mme Virginie Klès. - Vous avez parlé de mensonge. Il faut bien un homme et une femme pour faire des enfants, même si les fonctions éducatives peuvent être confiées à d'autres. Il importe de le rappeler pour éviter des dérives sur ce projet de loi.
On parle beaucoup des enfants éduqués dans des couples homosexuels, peu des parents d'homosexuels. Ceux-là sont-ils heureux de voir le mariage ouvert à leurs enfants ou, au contraire, inquiets ? Leur avis est important. Pour ma part, en tant que maman, je préfèrerais que mon fils ou ma fille soit heureux.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous auditionnerons ensuite d'autres associations, avec lesquelles nous reviendrons également sur la question des enfants.
Mme Maryvonne Blondin. - Ce projet de loi facilitera la vie des personnes trans, qui peinent à modifier leur état civil et, donc, à se marier.
Vous évoquez un manque d'écoute de la part du Parlement. Le Sénat, depuis quelque temps, a commencé d'auditionner les associations. Mme Meunier et moi-même auditionnons sur cette thématique, vous le savez.
Mme Corinne Bouchoux. - Le débat a fait découvrir à certains enfants qu'ils n'étaient pas comme les autres. En a-t-on pris la mesure ? Le bas niveau de certains propos ne donnera pas une bonne image des politiques... Vous connaissez bien l'association « Contact ». Moi aussi, je voulais parler des parents d'homosexuels qui vivent avec difficulté les propos homophobes proférés en France. On parle des homosexuels comme on ne parlerait pas des coléoptères... Le débat a été plus posé au Royaume-Uni et en Espagne. Pourquoi à votre avis prend-il cette tournure en France ?
M. Mathieu Nocent. - Nous ne nions absolument pas qu'un enfant naisse d'un homme et d'une femme. En revanche, nous distinguons le géniteur du parent. On entend qu'il faut lier l'homoparentalité à la problématique de l'accès aux origines. Personnellement, je ne voix pas très bien comment lier les deux. Nous parlons ici de filiation sociale et non de filiation procréative ou biologique. Dire qu'aujourd'hui, la filiation est une filiation procréative est déjà inexacte en droit, puisque la filiation adoptive n'est pas procréative par essence. La présomption de paternité n'établit pas que le père est le géniteur. Nous militons pour la reconnaissance d'une filiation sociale, qui existe déjà, de fait, dans notre droit avec l'adoption.
M. Nicolas Gougain. - J'ai été reçu au Parlement avec les associations trans lors de l'examen du projet de loi sur le harcèlement sexuel. Je remercie le Sénat de son initiative. Des parlementaires s'engagent pour faciliter le changement d'état civil des trans. Je salue ces personnes qui travaillent à l'égalité des droits.
Les conséquences du débat parlementaire ? « SOS homophobie » a reçu trois fois plus d'appels en décembre 2012 qu'en décembre 2011, quatre fois plus en janvier 2013 qu'un an auparavant. C'est un indicateur. Le débat a libéré des propos homophobes, on l'a vu sur les réseaux sociaux ou dans les réactions d'internautes aux articles de presse. Je reste néanmoins très optimiste pour l'avenir tant la société française a évolué depuis une quinzaine d'années. Le Pacs, qui avait suscité une vive opposition à l'époque, y a contribué - au point que les opposants au projet proposent de le renforcer.
Concernant les parents d'homosexuels, nous avons mobilisé des centaines de milliers de personnes le 16 décembre et le 27 janvier dernier pour soutenir le texte. Défiler quand on est pour un projet, et que ce projet est appuyé par une majorité politique ne tombe pas sous le sens. Cela relève de l'exploit. Parmi les manifestants, se trouvaient de nombreux parents, dont les miens. D'après un sondage du Parisien, les deux tiers des parents déclarent qu'ils assisteraient au mariage de leur enfant homosexuel. Comme tous les sujets polémiques, tels que l'avortement, la contraception et même la peine de mort, le débat s'apaisera et la réforme deviendra consensuelle. Bien au-delà d'une minorité, le texte intéresse toute la société, ainsi des associations de parents d'élèves ou des associations familiales laïques s'y sont déclarées favorables. Il s'agit aussi de familles.
M. Mathieu Nocent. - L'homoparentalité, tout le monde l'a compris, interroge la conception de la famille. Nous sommes en contact avec les familles adoptives, qui se sentent très touchées par ce débat. Elles aussi sont choquées que l'on mette autant en cause la filiation sociale.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Fin février, une série d'auditions sera consacrée à l'adoption. Le 21 février, nous entendrons le témoignage de parents qui ont accepté l'homosexualité de leur enfant. Nous ne pouvons entendre tout le monde. Nous avons demandé aux autres d'envoyer des contributions par écrit.
Pour l'heure, le texte ne propose que l'adoption. D'où la question de l'accès aux origines dont la connaissance, pour moi, nous distingue de l'animal. Quelle est votre position sur ce sujet ?
M. Nicolas Gougain. - Certes, l'adoption plénière substitue la filiation adoptive à la filiation biologique, mais cela ne fait pas obstacle à la connaissance des origines. Au reste, les familles adoptives, parce qu'elles assument la filiation sociale, expliquent à leurs enfants quelle est leur origine. Il n'est donc pas besoin de restreindre le texte à l'adoption simple.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Hier, nous avons auditionné deux pédopsychiatres qui tenaient, en s'appuyant sur des cas cliniques, des discours opposés. L'un soutenait qu'il fallait dire la vérité, l'autre que l'enfant devait faire corps avec ses parents adoptifs.
Mme Virginie Klès. - On a parlé des animaux, j'interviendrai en tant que vétérinaire. Chez les mammifères, la reconnaissance maternelle se fait dans les heures qui suivent la naissance par les phéromones, les gestes de léchage. Pour d'autres espèces, la reconnaissance n'est pas forcément le fait de la mère et passe par des stimuli visuels. L'adoption existe chez les animaux, les chevaux ou les chiens, mais, exceptionnelle, elle est liée à un comportement particulièrement maternant de certaines femelles. L'on n'en comprend pas bien les mécanismes.
Mme Esther Benbassa. - En cas de vote de la loi, qui traite de l'adoption plénière, comment l'adoption simple sera-t-elle gérée au sein des familles ?
M. Nicolas Gougain. - La question de l'adoption rejaillit dans le débat public. Celles de l'accès aux origines ou de l'insémination artificielle par donneur ne sont pas plus aiguës parce nous en ouvririons l'accès aux couples homosexuels. Nous espérons que le législateur se saisira de ces questions dans le futur. D'après les familles adoptives, l'adoption plénière est la formule la plus adaptée pour les adoptions internationales. Celles-ci sont en baisse partout, mais de manière encore plus prononcée en France. Peut-être faut-il mener une réflexion sur l'accompagnement de l'adoption par les consulats. En tout cas, les difficultés liées à l'adoption sont les mêmes pour tous. Il est malhonnête de mettre en concurrence familles homosexuelles et hétérosexuelles, repensons plutôt le dispositif d'adoption en tant que tel. A côté de la mesure d'égalité que nous attendons tous, engageons cette réflexion.
Je pense, enfin, que l'adoption par le conjoint est une attente très forte, car elle permettra de sécuriser la situation de l'enfant, suite à un accident de la vie par exemple.
Le partage de l'autorité parentale devra être traité au sein de la future loi sur la famille et l'ouverture de l'adoption au-delà des couples non mariés, de même que l'accès à la PMA pour les couples de femmes. Alors que beaucoup de couples se rendent en Espagne ou en Belgique pour se faire inséminer, il serait hypocrite de ne pas traiter ce sujet.
M. Mathieu Nocent. - J'ajoute le cas des couples séparés - car cela arrive également chez les personnes homosexuelles. Certains couples s'organisent pour maintenir le lien avec la mère sociale ; il faudrait encadrer juridiquement ces situations dans l'intérêt de l'enfant. On ne va tout de même pas demander à des femmes séparées de se marier et de divorcer pour créer un lien de filiation. Il faut penser ce lien de filiation, même hors mariage.
La création de la filiation hors adoption et hors mariage se posera également avec la PMA. La reconnaissance en mairie, la possession d'état sont ouvertes aux hétérosexuels : nous revendiquons la même chose pour les couples de même sexe. Prenons un couple de femmes qui fait une PMA à l'étranger : si la loi passe en l'état, la femme qui accouche sera la mère de l'enfant, la seconde mère devra entamer une procédure juridique pour adopter l'enfant, ce qui prend environ deux ans. Pendant ce temps-là, l'enfant ne sera pas protégé s'il arrive quelque chose à la première mère...
Obliger les homosexuels à se marier pour établir le lien de filiation serait discriminatoire par rapport aux couples hétérosexuels.
L'adoption simple est intéressante en ce qu'elle autorisera une tierce personne à adopter l'enfant, si les parents légaux sont d'accord : ce serait répondre à une vraie demande de certaines familles en co-parentalité, où le projet parental se construit à trois ou quatre personnes.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Merci. Nous aurons, je l'espère, l'occasion de vous entendre à nouveau lors d'un texte ultérieur sur la famille et sur la filiation.
Audition de représentants de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL)
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous accueillons l'APGL, association créée en 1986.
M. Dominique Boren, co-président de l'association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL). - L'APGL et ses adhérents vous remercient de votre invitation. Le 2 février 2013, jour de l'adoption du premier article du projet de loi par l'Assemblée nationale, l'égalité républicaine s'est remise en marche, pour donner des droits à des citoyens qui en étaient privés à raison de leur seule orientation sexuelle.
L'APGL est très reconnaissante à Mmes Bertinotti et Taubira et aux parlementaires d'avoir défendu cette première avancée. Nul ne doute que le Sénat votera à son tour cette loi.
Treize ans après l'adoption du Pacs, à laquelle M. le rapporteur Jean-Pierre Michel a tant oeuvré, la France est invitée à honorer son pacte républicain - l'égalité pour tous - et à répondre à l'impérieuse exigence de protéger toutes les familles, tous les enfants, sans distinction.
Pourquoi la France a-t-elle tardé ? Contrairement à ce que certains fantasment sur les bancs de l'opposition à l'Assemblée nationale, le projet de loi ne répond pas à « une revendication catégorielle portée par une minorité », organisée en je ne sais quel effroyable « lobby communautariste ». Nous demandons simplement les mêmes droits et les mêmes devoirs pour tous. Nous ne voulons pas d'un statut à part, d'un statut spécifique qui ferait des personnes LGBT une sous-catégorie de citoyens.
Ce projet de loi associe conjugalité et lien de filiation. La conjugalité homosexuée sera dorénavant au même niveau que la conjugalité hétérosexuée. La famille homoparentale obtient enfin une reconnaissance. Le mariage républicain, qui n'appartient à aucun parti, à aucune chapelle, qui est célébré dans la maison commune par un élu, remplira pleinement sa mission universaliste. En votant le texte, vous répondrez au besoin légitime de protection mutuelle et de solidarité de tous les couples.
L'ouverture sans restriction de l'adoption et l'adoption intrafamiliale marque une rupture bienvenue : ce sera reconnaître légalement la filiation homosexuée.
Les parents sociaux ont le droit d'exister, eux qui, au quotidien, sont déjà des parents à part entière - et perçus comme tels à la crèche, à l'école. Mais nos lois n'en font que des fantômes, sans statut, au risque de fragiliser les familles - parfois jusqu'à la rupture.
Je vous invite à voter cette loi, telle qu'elle sortira de l'Assemblée nationale. Vous écrirez un nouveau chapitre dans l'égalité de tous les citoyens de la République.
L'égalité réelle commande que le mariage ouvre les mêmes droits en termes de filiation, avec la substitution de la présomption de parentalité à la présomption de paternité. Elle commande aussi que la filiation homosexuée, hors mariage, puisse être établie par une reconnaissance de paternité en mairie, devant l'officier d'état-civil : mêmes droits que pour les autres. Dans le cadre de la co-parentalité, les enfants ont le droit d'avoir des parents qui jouissent tous des mêmes droits. Une piste serait d'ouvrir l'adoption simple à plus d'une ou deux personnes.
L'égalité commande que, dans les couples non mariés, le parent qui n'est pas le parent légal mais a désiré, entouré, élevé l'enfant puisse maintenir un lien avec lui en cas de séparation, et faire reconnaître par le juge ce lien de parenté.
L'égalité commande, enfin, que la PMA soit ouverte à toutes les femmes. Je vous engage à vous saisir de cette première loi et de préparer la prochaine. L'année 2013 doit être celle de l'égalité.
Mme Fathira Acherchour, porte parole de l'APGL. - Merci de votre invitation. L'ouverture du mariage aux couples de même sexe est une question d'égalité : elle facilitera la vie de nombreux adultes et enfants en reconnaissant les parents sociaux. Il faut toutefois élargir le débat. Avec le mariage proposé en l'état, ces personnes ne pourront pas faire famille dans les mêmes conditions de sécurité que les hétérosexuels. La seule possibilité actuelle, c'est la délégation-partage de l'autorité parentale. Elle n'assure pas l'égalité entre les deux parents. Pourquoi imposer au conjoint du parent de se soumettre à l'arbitraire d'un jugement d'adoption afin d'établir la filiation, là où d'autres n'ont qu'une simple déclaration à faire ? C'est tout le contraire de l'égalité et de la justice. En outre, la loi reconnaîtra le mariage pour tous, mais pour l'adoption, il n'en sera pas de même. Tous les enfants ne seront pas adoptables par le conjoint de leur parent, notamment en cas d'adoption simple ou s'il existe déjà deux filiations reconnues.
La loi doit prémunir, prévenir, anticiper. Des propositions existent. Pour tenir compte des histoires de vie, de famille, d'enfants et des réalités familiales, il faut élargir la présomption de paternité à une présomption de parenté. Cela implique d'écrire l'article 312 du code civil ainsi : « L'enfant né d'une personne mariée a pour parent le conjoint de celle-ci ». Cela évitera aux couples homosexuels de se soumettre à un jugement pour chaque enfant. Idem pour la PMA... J'espère qu'avant la fin de l'année nous aurons enfin une loi.
Le projet de loi doit aussi viser la filiation hors mariage : il faut pouvoir établir la filiation en prévoyant une simple déclaration d'engagement parental, en mairie, comme pour les personnes hétérosexuelles, à qui l'on ne pose aucune question ! La simple expression de la volonté de reconnaissance suffit.
La loi doit être protectrice. Pour certains parents, le mariage sera impossible comme voie d'établissement de la filiation, je pense aux couples séparés, ou à ceux dont l'un des conjoints est originaire d'un pays où l'homosexualité est réprimée...
L'APGL vous appelle à prendre vos responsabilités : le mariage doit ouvrir aux couples de même sexe tous les droits attachés au mariage, et ce au nom de l'égalité.
Mme Marie-Claude Picardat, co-présidente de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL). - La loi ne devra laisser aucune famille, aucun enfant sur le bord du chemin. Le nombre de Pacs approche celui des mariages. Les homosexuels seront-ils les seuls à être obligés de se marier pour établir une filiation ? Vous devez ouvrir des droits à ces parents sociaux sans statut. Nouvelle vie, nouvelles familles, nouvelle loi ! Il peut y avoir plus de deux parents à l'origine d'un projet familial. Il vous revient de penser la coparentalité, la pluri-parentalité, avec un statut pour tous les parents sociaux et les beaux-parents. Ces derniers se font le plus souvent débouter par les tribunaux quand, après une séparation, ils réclament un droit de visite auprès des enfants qu'ils ont élevés pendant des années.
Des propositions existent, sur le partage de l'autorité familiale, les aspects patrimoniaux, la filiation. Il y aura bientôt une loi sur la famille, nous dit-on. Mais, en l'état, faute d'être allé suffisamment loin, le texte va créer de nouvelles situations de non-droit que nous redoutons. Certains changements pourraient être intégrés dans ce texte afin de protéger les familles existantes qui n'entrent pas dans le cadre du mariage et de l'adoption. Les enfants sont là, ils ont grandi, les familles se sont parfois défaites, voire déchirées. La France a signé en 1990 la convention internationale des droits de l'enfant, qui prescrit le maintien des liens entre l'enfant et tous les adultes qui l'ont élevé. La loi de 2002 en prend acte, mais du bout des lèvres. L'amendement n° 5255 du rapporteur Erwann Binet pour l'Assemblée nationale va également dans ce sens, mais il faut aller plus loin et créer un véritable statut de beau-parent et de parent social, dans l'intérêt de l'enfant. A vous, sénateurs, de vous en charger - en incluant le partage de l'autorité parentale avec le parent social, même si le parent légal n'y est pas favorable.
Pensons aux fratries qui sont éclatées - il faut les protéger. La possession d'état doit pouvoir être utilisée par les familles homoparentales et pluri-parentales. Le juge devra avoir les moyens de vérifier qu'il n'y a pas de conflit entre le parent social, souvent à l'origine de la naissance de l'enfant, et le nouveau conjoint marié de l'autre parent, doté de nouveaux droits...
Réformons dès maintenant l'adoption simple... Celle-ci autorise déjà plus de deux filiations, jusqu'à quatre parents, deux de naissance, deux adoptifs. La limite, c'est que les parents adoptifs ont seuls l'autorité parentale - même si celle-ci peut être déléguée. En outre, l'adoption simple n'est possible que par une seule entité, couple marié ou personne seule. L'adoption par deux personnes n'est possible que si elles sont mariées - cela n'a aucun sens pour des familles recomposées, par exemple, quand l'enfant a déjà, en quelque sorte, quatre parents.
Les députés socialistes ont voté le Pacs en pleine épidémie du sida, malgré les manifestations et les déferlements de haine. Il est aujourd'hui plébiscité. Merci à Jean-Pierre Michel et Patrick Bloche, qui en étaient les initiateurs ! Ils ont tenu bon pour que les dispositions soient inscrites, au sein du code civil, au chapitre « droit des personnes » et non au chapitre « droit des contrats ». Avec le vote de l'article premier du projet de loi, la France rejoint le groupe de tête des pays qui font avancer les droits de l'homme. Il faut continuer, protéger le peuple et ses composantes les plus vulnérables - les personnes homosexuelles mais plus encore leurs enfants, aujourd'hui privés de filiation, bâtards de la République.
Mmes et MM. les Sénateurs, votez le mariage, votez l'adoption ; mais modifiez ce texte en pensant aux enfants, et en dessinant un droit de la famille... qui ressemble aux familles. C'est une bataille parlementaire historique et j'espère qu'à son issue, aucun enfant, aucune famille ne restera au bord du chemin.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - La marche vers l'égalité est, effectivement, un long chemin. Vous nous invitez à dépasser le cadre fixé au présent projet de loi. Pour ma part, je pense qu'il faut attendre le futur projet de loi sur la famille pour revisiter les liens familiaux, la PMA, le statut du beau-parent.
Mme Corinne Bouchoux. - Une question concrète : pouvez-vous illustrer les stigmates dont sont victimes ces familles au quotidien, dans les relations avec l'école ou avec le monde médical ? Pouvez-vous citer des préjudices - de chances et de droits - dont pâtissent ces enfants ?
M. Henri Tandonnet. - Ces interventions étaient très intéressantes. Une réforme de la filiation s'impose. Je crains cependant qu'en n'abordant pas le sujet dans sa globalité, mariage, parentalité et filiation, nous nous trouvions en porte-à-faux lors de la deuxième loi. Ne serons-nous pas, alors, contraints par le premier volet ? Car il y a un changement de la nature du mariage. Il faut en tenir compte.
Mme Marie-Claude Picardat. - Nous demandons une régularisation des situations existantes.
Paradoxalement, au quotidien, les familles homoparentales sont très bien acceptées : il y a un décalage entre le politique et le social. Les administrations, santé, école, tout comme les télécoms ou la SNCF, intègrent nos familles. Nos adhérents ne nous font pas remonter beaucoup de réactions homophobes au quotidien. Les enseignants ont vu les familles changer et ils accompagnent tranquillement l'évolution sociale.
En revanche, des décisions peuvent être soumises à l'arbitraire. Un exemple : une enfant souffrant d'asthme chronique. Un jour, c'est la maman non reconnue légalement qui l'accompagne aux urgences - les médecins ont beau connaître la famille, ils n'hospitalisent pas la fillette car la mère légale, en voyage à l'étranger, ne pourrait pas signer l'autorisation de sortie ! Dans des cas plus graves, la mission médicale prend le pas sur le reste mais, le plus souvent, la décision dépend du bon vouloir des uns et des autres. C'est particulièrement vrai chez les magistrats... Pour déléguer l'autorité parentale, à Toulouse, c'est très simple, il suffit au parent légal de remplir un papier ; à Paris, il y a enquête de police et les décisions rendues sont souvent contradictoires. L'enfant peut voir son parent social désavoué par un inconnu. Or, dire devant un enfant à son parent, pour motiver un refus : « Vous n'êtes rien pour lui », c'est placer les enfants dans des situations psychiquement très éprouvantes.
Le droit doit changer plus vite. Sans quoi, le parent social ne pourra pas faire reconnaître son lien avec l'enfant si le parent légalement reconnu se remarie. Il y a aussi dans notre association des gens séparés qui sont prêts à se marier pour pouvoir adopter l'enfant ! Imaginez la gymnastique !
Mme Esther Benbassa. - Cela vaut pour toutes les familles recomposées, y compris hétérosexuelles. Il faut revoir l'ensemble !
Mme Marie-Claude Picardat. - Absolument. Le droit de la famille ne peut plus reposer sur le mariage. Allons au bout de la logique. N'oublions pas que dans les familles recomposées hétérosexuelles, les liens de filiation, de fratrie, ne sont pas remis en cause. Dans les familles homoparentales, ils ne sont même pas établis.
M. Dominique Boren. - Le projet de loi ne donne pas des droits aux familles homosexuelles en en retirant aux familles hétérosexuelles : nous ne prenons rien à personne ! Nous ne voulons pas d'un statut spécifique pour les homosexuels. La deuxième loi devra donner des droits à tout le monde. Nous sommes des hommes et des femmes comme les autres, des citoyens à part entière : nous ne nous résumons pas à notre orientation sexuelle !
Mme Marie-Claude Picardat. - Le projet de loi ouvre certes le mariage, mais sans la filiation : ce n'est pas le même mariage pour tous, même si c'est un premier pas.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Le Gouvernement serait bien inspiré de saisir le Sénat en premier sur la loi famille !
Audition de représentants de l'Association La voix de l'enfant
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur - L'association La voix de l'enfant est membre de la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Elle a pour mission d'être à l'écoute de tous les enfants en détresse.
Mme Martine Brousse, déléguée générale de l'association La voix de l'enfant. - Merci d'entendre La voix de l'enfant, qui regroupe 78 associations et intervient dans une centaine de pays.
Nous travaillons sur la question des enfants dans les familles homosexuelles depuis plus de sept ans, avec pour souci majeur de faire entendre la voix de tous les enfants : nous somme le parti de l'enfant.
Me Bertrand Colin, membre de l'association La voix de l'enfant. - Je suis avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. J'interviens ici en tant que membre de la commission juridique de l'association.
Ce projet de loi entend répondre à un triple impératif : réparer une inégalité et supprimer une discrimination indirecte ; intégrer en ouvrant à tous l'accès à une institution républicaine ; compléter les droits ouverts par le Pacs et protéger. Comme l'a dit le professeur de droit privé à l'université de Toulouse Claire Neirinck, quelle que soit son orientation sexuelle, on peut ressentir l'exigence viscérale de se survivre, de donner la vie. Cependant la situation des couples de même sexe est différente de celles des couples hétérosexuels et l'impossibilité pour deux personnes du même sexe de concevoir un enfant peut justifier en droit un traitement différent. Il n'en reste pas moins que la filiation, l'adoption, la procréation médicalement assistée (PMA) et la gestation pour autrui (GPA) sont des problématiques communes à tous les couples.
Fonder une famille est une aspiration légitime pour les époux. Toutefois, parce que nous avons en vue l'intérêt supérieur de l'enfant, nous considérons inopportun d'ouvrir l'adoption aux couples de même sexe dans ce texte qui ne porte que sur le mariage, sans débat préalable sur l'adoption et sur les autres modes de procréation, PMA ou GPA. La Voix de l'enfant lance une mise en garde, prononce un double refus : non à l'instauration immédiate de l'adoption par les couples de même sexe sans réforme générale de l'adoption et des modes d'établissement de la filiation ; non à une famille qui fait passer le droit à l'enfant avant les droits de l'enfant.
En l'état actuel, le projet de loi maintient la logique qui prévaut dans le code civil et le lien entre mariage et adoption. Or, il serait concevable de dissocier les deux. Cela reflèterait d'ailleurs fidèlement la réalité, puisque 55 % des enfants naissent hors mariage et que l'adoption est ouverte aux célibataires. Depuis quarante ans, on tend à dissocier conjugalité et filiation. En tout état de cause, il faut au préalable qu'un débat général et approfondi sur l'adoption ait lieu, je le répète. Ainsi le Portugal a ouvert le mariage aux couples homosexuels en 2010, mais pas l'adoption.
Je vois trois inconvénients à ce projet de loi.
Comment faire apparaître dans les actes d'état civil la conception par un homme et une femme d'un enfant adopté par un couple homosexuel ? Il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur ces enfants ; le but est de leur donner accès à leurs origines. Le temps est révolu où l'on cachait aux enfants qu'ils étaient adoptés. L'acte d'état civil ne saurait entretenir la fiction d'un enfant conçu par deux personnes de même sexe. L'accès aux origines, la conciliation du droit de l'enfant à l'information et du droit d'accoucher sous X de la mère, toutes ces questions sont laissées de côté par le projet de loi, c'est une lacune. Il ne prévoit pas les conséquences de l'ouverture de l'adoption aux couples homosexuels.
L'exposé des motifs avance que le texte apporte une réponse à des situations existantes, celles des couples homoparentaux qui ont déjà des enfants. N'est-ce pas un leurre ? Car le projet ne traite pas de l'ensemble des situations d'homoparentalité. Pour une simple et bonne raison : il ne donne pas de statut à toutes les personnes qui entourent l'enfant. La difficulté se pose dans les mêmes termes pour les familles recomposées. Adoption simple, délégation de l'autorité parentale et tutelle testamentaire qui existent aujourd'hui doivent être adaptés, afin que tout le monde soit pris en compte.
L'Assemblée nationale s'est saisie de ce problème et a introduit dans le texte des dispositions relatives au maintien des liens avec l'enfant. Il est regrettable que l'article figure dans un texte relatif au mariage entre personnes du même sexe et non dans une loi sur la famille et la filiation.
Autre inconvénient de ce texte, il prend les questions dans un ordre inverse à la logique. Le nombre d'enfants adoptables en France diminue et il est très inférieur au nombre des demandes. Les conditions de l'adoption à l'étranger ne sont pas plus satisfaisantes. Ouvrir un droit à l'adoption avant de réformer les conditions de l'adoptabilité et les critères d'accès à l'adoption internationale n'a pas de sens.
Enfin, ce texte autorise l'adoption plénière de l'enfant du conjoint, mais laisse de côté les revendications concernant la PMA et la GPA. Or, admettre l'adoption plénière revient à valider implicitement la PMA et la GPA. Par exemple, la conjointe d'une femme qui irait en Belgique se faire inséminer pourra ensuite adopter l'enfant. La démonstration vaut pareillement pour un couple d'hommes qui aurait recours à l'étranger à une mère porteuse, ce que le droit français n'autorise pas. On ouvre alors un droit à la licéité douteuse.
Ces exemples montrent bien qu'il faut dissocier les questions du mariage et de l'adoption.
La voix de l'enfant dit non à une famille qui ferait primer le droit à l'enfant sur le droit de l'enfant. Nous maintenons notre opposition radicale à la PMA, sinon dans les cas d'infertilité médicale diagnostiquée ou pour éviter la transmission de maladies graves, ainsi qu'à la GPA. L'enfant n'est pas une marchandise, un produit ; les femmes ne sont pas un véhicule, un instrument, elles méritent qu'on respecte leur dignité.
Nous invitons le législateur à s'en tenir au mariage, sans ouvrir pour l'instant l'adoption.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Je suis perplexe : nous allons trop loin pour certains, pas assez loin pour d'autres...
M. Alain Fauconnier. - Si j'ai bien compris, vous souhaitez une réforme générale de l'adoption. Dans ce cadre, êtes-vous pour l'ouverture de l'adoption aux couples de même sexe ?
Mme Virginie Klès. - En quoi votre opposition à la PMA et à la GPA justifie-t-elle votre refus de l'adoption par les familles homosexuelles dans ce texte ? Je comprends mal le lien...
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous examinerons, après ce texte, une loi sur la famille. Il conviendra de mettre tout à plat, familles recomposées, décomposées, hétérosexuelles, homosexuelles, beaux-parents, quatre parents, etc. Peut-être réviserons-nous également la loi de bioéthique pour adapter le droit aux progrès de la science ? Quelle sera alors votre position ?
Mme Martine Brousse. - Notre position est très claire : dès le mois de septembre dernier, nous avons dit à Mme Bertinotti notre souhait que l'adoption fasse l'objet d'un débat, avant toute décision. Je rappelle que 10 % des enfants adoptés retournent à l'Aide sociale à l'enfance, que beaucoup d'enfants adoptés viennent de pays, tel Haïti, qui n'ont pas ratifié la convention de La Haye, ou encore, que l'on compte environ 600 accouchements sous X par an alors que 27 000 familles attendent un enfant à adopter...
A l'Assemblée nationale, on a affirmé que la loi régulariserait les situations existantes. Je n'en suis pas certaine. Ne faisons pas croire aux couples homosexuels qu'ils pourront adopter, quand 27 000 familles attendent. De plus, la loi n'étant pas rétroactive, cela ne résoudra pas les situations existantes. Avec les avocats et les magistrats qui sont membres de notre association, nous avons néanmoins cherché à comprendre quelles étaient ces situations existantes. La France a le plus bel arsenal législatif de protection de l'enfant. Ce qui nous manque, ce sont des moyens. Il se trouve que l'adoption simple, qu'on avait complètement oubliée ces dernières années, et la délégation d'autorité parentale pourraient répondre aux difficultés actuelles, à condition d'être légèrement adaptées.
La protection de l'enfant doit primer. Or ce texte créerait des discriminations indirectes au sens de la Cour européenne à l'encontre des enfants issus des personnes de même sexe : leurs parents seront obligés de se marier ou n'auront pas les mêmes droits que les autres.
Autre raison de notre opposition : l'état civil. On a parlé d'un « parent 1 » et d'un « parent 2 », la Chancellerie a finalement tranché : on écrira dans le livret de famille « père et mère » pour les couples hétérosexuels, « père et père » ou « mère et mère » pour les couples homosexuels... Or, l'état civil vous suit toute une vie ! Ce tiers, qu'est l'enfant, au-delà du désir d'égalité de ses parents, a des droits et notamment celui d'être reconnu issu d'un homme et d'une femme. Nous nous battrons toujours pour leur reconnaissance mais, avant de prendre position sur l'adoption, nous attendons des réponses conformes à l'intérêt supérieur de l'enfant.
M. Jean-René Lecerf. - Nous avons tous reçu des messages de célibataires en attente d'adoption qui craignent que ce texte ne complique encore leurs démarches. Le nombre d'enfants adoptables ne cesse de diminuer... Cela dit, quand une famille est déterminée à adopter, elle y arrive généralement : deux de mes nièces y sont parvenues, via l'adoption internationale et l'Aide sociale à l'enfance.
Ensuite, il faudrait réformer l'adoption car le maintien d'un lien, même ténu, avec les parents biologiques suffit actuellement à interdire l'adoption.
Mme Martine Brousse. - Oui, il faut réformer l'adoption auparavant ! Je tiens à signaler que, depuis la reconnaissance du mariage homosexuel en Belgique, on y a dénombré trois adoptions internationales seulement. Les chiffres de l'Espagne ne semblent guère plus encourageants. Il faut en tenir compte : certains pays refuseront-ils l'adoption par des couples français après une telle évolution législative ?
Nous demandons à Mme Bertinotti un travail de fond. Aujourd'hui, 40 à 50 000 enfants patientent dans des foyers de l'Aide sociale à l'enfance parce qu'ils reçoivent un coup de fil ou une carte postale par an. Eux n'ont pas le droit à l'adoption ! Ils sont abandonnés en droit. Combien de jeunes SDF, de jeunes délinquants issus de l'Aide sociale à l'enfance... Mme Simone Veil avait proposé, pour eux, l'adoption par des parrains, avec reconnaissance juridique.
Enfin, ne l'oublions pas, l'adoption internationale, c'est pour les riches : elle coûte 15 à 20 000 euros. Il y a là aussi une question d'égalité des droits.
Me Bertrand Colin. - En un mot, nous ne sommes pas, par principe, contre l'adoption par des couples homosexuels - nous ne les considérons pas inaptes, ou moins aptes que les autres, à élever un enfant. Nous estimons toutefois qu'elle mérite une réflexion approfondie avant de légiférer.
Audition de la représentante de l'Association Enfance et partage
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'association Enfance et partage promeut, comme la précédente, les droits des enfants. Peut-être aura-t-elle un point de vue différent...
Mme Isabelle Guillem, secrétaire générale de l'association Enfance et partage. - Nous défendons les droits des enfants depuis 35 ans. En 1988, nous avons créé le premier numéro vert d'écoute pour les situations de maltraitance. Les pouvoirs publics ont pris le relais avec le 119 ; tant mieux, les associations sont là pour montrer la voie. Nous avons une trentaine de psychologues et cinquante avocats spécialisés, car nous prodiguons aussi un accompagnement juridique et pouvons nous porter partie civile. Nous menons des actions de prévention dans les écoles. Dans ce cadre, nous avons créé un numéro « Allo parents bébé » en 2008 et proposons depuis peu un rendez-vous avec un psychologue aux personnes qui nous téléphonent de façon répétée, non pas pour les recevoir régulièrement sur la durée, mais pour les orienter vers d'autres professionnels.
Nous n'affichons aucune obédience politique, philosophique ou religieuse, notre souci est l'intérêt de l'enfant, que la convention de La Haye reconnaît comme étant « d'une importance primordiale ». Si le mariage relève de la liberté individuelle, ce n'est pas le cas de l'adoption. Nous sommes choqués, tout comme Dominique Baudis, le Défenseur des droits, que le projet de loi fasse de l'adoption une question secondaire découlant du mariage.
Notre position ne se fonde pas sur une expérience de terrain : lorsque l'on nous appelle pour un cas de maltraitance, nous ne posons pas de questions sur l'orientation sexuelle des parents.
En revanche, nous devons aux 40 000 à 100 000 enfants qui vivent dans des familles homoparentales un statut protecteur. Les enfants doivent être égaux, quel que soit le statut de leur parent. Distinguons bien le géniteur du parent. L'enfant a également le droit de savoir d'où il vient, or l'accès à l'origine n'est pas éclairci dans le texte. Le droit évolue, aujourd'hui on ne parle plus d'enfants « légitimes » ou « illégitimes ». Il est temps de tenir compte également des nouvelles parentalités.
Ne faisons pas non plus des parents biologiques des rivaux de parents adoptifs. Hier, la psychologue Sophie Marinopoulos, lors d'un colloque organisé par « Allo parents bébé » a insisté sur la construction psychologique de l'enfant, indissociable de la connaissance de son histoire, de ses origines.
Nous nous inquiétons de constater que la réponse contenue dans le projet de loi n'est pas adaptée à l'intérêt des enfants. Que le débat se déroule dans un climat passionnel, une atmosphère électrisée, ne nous étonne pas. Car on touche là, comme le disait fort bien hier Sylvain Meissonnier, « aux poutres maîtresses de l'architecture du sujet ». Comme lui, faisons le départ entre la polémique et le débat. Nous entendons porter un message de tolérance et d'humanité.
M. Jean-Pierre Michel, président. - Rassurez-vous : le Sénat n'est pas l'Assemblée nationale.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Vous regrettez que l'adoption soit traitée comme une question secondaire : mais ce texte est consacré au mariage des personnes de même sexe... Comme l'association précédente, mais dans une perspective différente, vous demandez une réflexion globale sur l'adoption, qui dépasse le cadre du seul mariage.
Vous avez raison : il y a eu assez d'invectives !
Mme Isabelle Guillem. - Enfance et partage a créé un jeu pour faire découvrir aux enfants leurs droits dans les écoles : y figure le droit à une famille. Mais attention, on ne peut plus décrire la famille comme étant fondée par un papa et une maman, sinon des petits doigts se lèveront pour poser des questions, car la société a évolué !
Mme Virginie Klès. - Avez-vous constaté une explosion des appels sur votre numéro vert à la suite des outrances de ce débat médiatisé ?
Mme Isabelle Guillem. - Non. Les appels concernent de moins en moins des cas de maltraitance, de plus en plus des situations où l'enfant est objet ou otage du conflit parental. C'est plutôt cela, le sujet d'actualité.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je suis moi aussi en faveur de l'accès aux origines. La question se posera forcément si on légalise la PMA. Qu'en pensez-vous ?
Mme Isabelle Guillem. - Je pense qu'un enfant doit connaître la vérité sur la manière dont il est venu au monde. Il a besoin de savoir son histoire pour se construire. Voilà ma réponse de terrain.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - C'est aussi mon opinion.
Mme Virginie Klès. - Des origines à l'histoire, il y a un glissement sémantique. Ce n'est pas la même chose : nom et identité ne font pas une histoire. C'est cette dernière qui compte le plus !
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - J'ajoute que ces histoires ne sont pas toutes heureuses, loin s'en faut. Oui à l'accès aux origines, mais n'oublions pas le droit pour les femmes d'accoucher sous X.
Mme Virginie Klès. - D'où l'importance de l'histoire !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Merci. Demain, nous auditionnons les associations familiales.
Jeudi 7 février 2013
présidence de M. Jean-Pierre Michel,vice-président
Audition de représentants de l'Union nationale des associations familiales (Unaf)
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous poursuivons nos auditions avec les représentants des associations familiales. L'Unaf, parce qu'elle fédère une multitude d'associations, est l'interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. Comme lors des débats sur le Pacs, elle est divisée sur ces questions. Nous entendrons d'abord la position majoritaire de l'Unaf par la voix de son président, M. François Fondard, puis d'autres associations minoritaires, laïques et catholiques.
M. François Fondard, président de l'Union nationale des associations familiales. - Merci de votre invitation. Nous souhaitons que la navette parlementaire permette au Sénat de jouer pleinement son rôle. La présentation précipitée de ce texte n'a pas permis de procéder aux consultations nécessaires ; ainsi, le Conseil national de l'adoption n'a pas eu le temps de rendre un avis sur le fond. Nous souhaitons que tous les points de vue des experts soient rendus publics. Par exemple, l'audition du Défenseur des droits à l'Assemblée nationale n'a pas été retransmise, alors qu'il soulignait des manques s'agissant des droits des enfants...
L'Unaf regroupe 700 000 adhérents autour de 22 unions régionales et 99 unions départementales. La loi lui confie la charge de représenter les 17 millions de familles françaises ; c'est à ce titre qu'elle est consultée sur ce projet de loi qui, contrairement à ce que laisse penser son intitulé, va bien plus loin que l'ouverture du mariage aux couples de même sexe.
Le mariage comporte des conséquences sur l'adoption et la filiation. Le Défenseur des droits l'a bien noté : « Contrairement à la question de l'ouverture du mariage aux personnes de même sexe, qui relève de la seule responsabilité du Gouvernement et du Parlement, la question des enfants, de l'adoption et de la filiation, doit s'inscrire dans le cadre des obligations internationales souscrites par la France. La procédure suivie pour l'élaboration du projet de loi qui vous est soumis présente à cet égard une évidente lacune. En effet, l'étude d'impact qui accompagne le projet ignore totalement la convention internationale des droits de l'enfant. Pas une page, pas une ligne ne lui est consacrée. »
Il est impossible de dissocier le mariage de la filiation.
Ce projet de loi touche toutes les familles parce qu'il se trouve à la croisée de plusieurs droits : droits des adultes, droits des femmes, droits des enfants, droit des pères, droits des mères...Tous ces droits pris séparément ont leur légitimité, mais quand ils viennent en concurrence, il faut choisir.
La majorité de l'Unaf est favorable à l'ouverture de nouveaux droits aux couples de même sexe, mais la majorité de son conseil d'administration considère qu'elle doit prendre une autre forme que le mariage ; à une très forte majorité, elle est opposée au recours à l'aide médicale à la procréation (AMP) pour les personnes de même sexe et, a fortiori, à la légalisation de la gestation pour autrui (GPA).
Comment ouvrir de nouveaux droits aux personnes homosexuelles ? Choisir le mariage, c'est choisir la filiation, car le mariage est un tout. Pour nous, la réponse n'est ni dans le mariage ni dans le Pacs. Elle réside dans l'union civile, qui permet l'ouverture de droits sociaux et patrimoniaux et l'officialisation de l'union en mairie. Celle-ci, à notre grand regret, a été évacuée en quelques lignes dans l'étude d'impact, qui indique même que les associations familiales se sont montrées « résolument opposées » à ce dispositif. Nous avions dit le contraire ! Pourtant, c'est la solution appliquée en Allemagne où a été créé un « partenariat de vie » qui confère des droits sans assimilation au mariage ; seule l'adoption de l'enfant biologique du partenaire est possible, permettant aux deux membres du couple d'exercer conjointement l'autorité parentale sur l'enfant. L'Unaf s'est d'ailleurs prononcée majoritairement pour l'adoption simple de l'enfant du conjoint dans le cadre d'une union civile. Une adoption plénière, nous l'avons dit dès les premières consultations ministérielles, remettrait en question la filiation adoptive pour tous les couples et l'unicité d'un lien maternel et d'un lien paternel pour l'enfant.
Ce projet de loi ouvre à la parenté : dès lors se pose la question de l'ouverture à l'AMP et à la GPA. Le président de la République nous a indiqué il y a quinze jours qu'un projet de loi sur la famille serait présenté et qu'il saisirait le comité consultatif national d'éthique. Pour l'Unaf, si les accidents de la vie peuvent priver un enfant d'un de ses parents, la loi ne doit pas priver volontairement dès sa conception un enfant de père ou de mère : l'AMP revient à confectionner des enfants sans père, la GPA revient à priver les enfants de leur mère. L'Unaf souhaite donc limiter strictement l'accès à l'AMP et maintenir l'interdiction de la GPA. Ces questions doivent faire préalablement faire l'objet d'états généraux organisés par le comité consultatif national d'éthique.
L'AMP pour les couples homosexuels serait contraire à l'article 311-20 du code civil qui prévoit une double filiation : une mère et un père ; elle serait contraire au principe d'ordre public qui interdit l'établissement d'un double lien de filiation maternelle. Quant à la GPA, elle correspond à une marchandisation du corps humain contre laquelle il faut toujours lutter.
La réforme du mariage est, en fait, la porte d'entrée d'une réforme qui ne dit pas son nom : celle de la parenté, comme le reconnaît d'ailleurs l'exposé des motifs. Avec les amendements balais, les termes de « père » et « mère » ont été maintenus à l'Assemblée nationale. Selon le président de la République, l'Unaf aurait convaincu sur ce point. Il faudra toutefois les interpréter par le mot de « parents » pour les couples homosexuels. On peut s'interroger sur la conformité aux objectifs constitutionnels de clarté, d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ...
Quel rapport entre la norme juridique avec le réel quand « père et mère » peuvent désigner indifféremment un homme et une femme, deux femmes ou deux hommes ? L'article 4 du projet de loi exclut le titre VII du livre premier relatif à la filiation du champ de la réforme ; ce titre comprend notamment la présomption de paternité, pour laquelle les termes de « père » et « mère » seront d'interprétation stricte. Quelle cohérence à désigner par des termes identiques deux réalités dans le même code ?
Dans le titre VII, l'article 310 consacre le principe fondamental de l'égalité entre tous les enfants, naturels ou légitimes. Cette égalité vaut également entre enfants issus d'une filiation adoptive ou biologique. Or, le projet de loi se limiterait aux seuls enfants issus de couples hétérosexuels ...
La question de l'état civil n'est toujours pas résolue. Le nouveau texte ne modifie pas l'article 34 du code civil, la garde des Sceaux ayant précisé que ce point serait traité par décret. Pour l'heure, donc, pas de désexualisation explicite de l'état civil. En apparence seulement, car malgré nos demandes répétées, nous n'avons pas obtenu d'éclaircissements. A partir du moment où la réforme avalise l'existence de couples parentaux formés de deux mères ou de deux pères, cela aura des conséquences. Pour légiférer en connaissance de cause, le Parlement doit avoir communication des décrets d'application ; les parents de même sexe auront-ils un livret de famille spécifique ?
Quant une femme accouche, sauf sous X, elle est désignée comme mère ; si sa compagne adopte son enfant, celle-ci sera-t-elle désignée comme parent ou comme seconde mère ? La mère restera-t-elle mère ou deviendra-t-elle parent ?
Ce projet de loi remet également en cause les droits de la mère : il aménage la majoration de la durée d'assurance accordée au titre de l'incidence sur la vie professionnelle de la naissance, de l'éducation ou de l'adoption ; pour les couples de même sexe, il y a un partage égal pour les trimestres non liés à l'accouchement ; pour les couples de personnes de sexe différent, l'attribution de la totalité de trimestres à la mère. Il n'y a donc plus égalité de traitement entre les mères biologiques selon qu'elles vivent avec un homme ou une femme. La question se pose également pour l'assurance maternité.
Enfin, le projet de loi modifie pour tous les règles de dévolution du nom de famille. Jusqu'à présent, l'enfant prend par défaut le nom de son père. Le projet de loi prévoyait que les enfants adoptés prendraient les noms de leurs deux parents, dans l'ordre alphabétique ; afin d'éviter une rupture entre filiation biologique et filiation adoptive, l'Assemblée nationale vient d'étendre ce changement à toutes les familles. Cette transformation majeure n'a fait l'objet d'aucune étude préalable et n'a pas sa place dans ce texte ; nous demandons au Sénat de revenir sur ce point.
Cette réforme soulève donc de nombreuses interrogations non résolues ; nous vous remerciant pour votre écoute.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Merci pour votre intervention fouillée. Nous entendrons le Conseil supérieur de l'adoption, une fédération d'associations consacrées à l'adoption ainsi que le Défenseur des droits, qui s'est substitué au Défenseur des enfants.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - L'Unaf est représentative du mouvement familial ; comment analysez-vous les évolutions de la famille ? Votre mouvement rassemble des représentants de familles monoparentales, recomposées ou encore en co-parenté : la famille se décline au pluriel dorénavant. Comment accueillez-vous les familles homoparentales ? Quelles seraient les conséquences de ce texte pour les familles hétérosexuelles ? Pour ma part, je n'en vois pas : elles concernent surtout les personnes de même sexe qui attendent de se marier.
M. François Fondard. - L'Unaf est ouverte à toutes les familles et prend en compte toutes les situations familiales. Sur 15 millions d'enfants mineurs, 76 % vivent avec leurs deux parents, selon l'Insee. La famille n'est donc pas si éclatée qu'on veut le dire !
Sur ces 15 millions d'enfants mineurs, 16 % vivent dans des familles monoparentales, mais cette situation est le plus souvent transitoire. Les familles recomposées représentent 6 % du total. Les 2 % restant, soit 300 000 enfants, sont des mineurs placés en famille d'accueil ou en établissement. L'accueil des familles homoparentales ? Quelques associations de familles homosexuelles ont fait des demandes d'adhésion ; pour l'heure, aucune n'a été agréée car leurs statuts n'étaient pas conformes au code de l'action sociale et des familles. L'ADFH avait ainsi demandé à adhérer à l'Unaf de Paris, mais n'a pas été agréée car elle n'a pas fourni la liste de ses adhérents - ce qu'exige le code de l'action sociale et des familles. Si elle le fait, nous n'aurons aucune raison de ne pas donner suite à sa demande.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'APGL a-t-elle présenté une demande ?
M. François Fondard. - Cette association avait présenté une demande en 2000-2001. Mon prédécesseur, Hubert Brun, avait eu alors des échanges avec la ministre de la famille de l'époque, Mme Ségolène Royal. Là encore, ses statuts n'étaient pas conformes au code de l'action sociale et des familles.
M. François Edouard, vice-président, président du département « Droit de la Famille et Protection de l'enfance » de l'Unaf. - Oui, le texte aura bien des conséquences pour toutes les familles, notamment sur le livret de famille.
Des arrangements entre adultes ne doivent pas se faire au détriment des enfants !
Un statut de beau-parent ? Nous sommes très vigilants sur ce point : ce beau-père aura-t-il plus d'importance que le père ? La loi de 2002, qui autorise une délégation de l'autorité parentale, constitue déjà une solution. Les adultes doivent s'entendre pour le bien-être de l'enfant.
Dernier exemple, le nom de famille : l'Assemblée nationale a prévu d'accoler systématiquement les deux noms pour tous les enfants adoptés.
M. Jean-Jacques Hyest. - Les débats à l'Assemblée nationale me lassent un peu, je ne les suis pas de très près... Très peu de couples hétérosexuels demandent à ce que l'enfant porte le nom des deux parents ! Ce serait extraordinaire d'imposer une telle règle à tous.
L'Unaf a accompli un beau travail juridique. Reste un problème : la France ne connaît pas de contrôle de conventionnalité a priori. Or le texte, tel qu'il va sortir de l'Assemblée nationale, n'est pas, à mon sens, conforme à nos engagements internationaux, notamment à la convention de New York sur les droits des enfants et, même, à la convention européenne des droits de l'homme.
Mme Guillemette Leneveu, directrice générale de l'Unaf. - En l'état actuel du texte, les deux noms des parents seraient donnés par défaut à tous les enfants. Auparavant, l'enfant héritait par défaut du nom du père.
Mme Catherine Tasca. - Le psychanalyste Serge Tisseron suggère de distinguer le document qui établit le mariage de celui qui établit la filiation. Qu'en pensez-vous ?
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Les enfants placés en famille d'accueil tissent souvent des liens très forts avec celle-ci et sont parfois adoptés par elles. Qu'est-ce qui fait famille pour l'Unaf ?
En ce qui concerne le nom, 99 % des femmes mariées prennent le nom de leur époux, même si ce n'est pas mon cas personnel !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Ce n'est qu'un usage bourgeois hérité du XIXe siècle. En droit, les femmes conservent leur nom.
M. François Fondard. - Qu'est-ce qui fait famille ? Cela renvoie aux problématiques des 2 % d'enfants qui font l'objet de mesures de placement et de délégation de l'autorité parentale. Nous en reparlerons lors du projet de loi sur la famille. L'autorité parentale, renforcée dans la loi de 2002, est un élément fondamental. Elle ne doit pas être remise en cause par la création d'un statut de beau-parent.
Mme Guillemette Leneveu. - L'article de Serge Tisseron confirme notre analyse : cette réforme va bien au-delà du mariage ; c'est pour cela que l'Unaf préconise l'union civile, qui évite des modifications trop importantes.
M. François Edouard. - Qu'est-ce qui fait famille ? A l'évidence, l'arrivée de l'enfant dans le couple. Cette famille va évoluer ; généralement, les géniteurs élèvent l'enfant, mais les aléas de la vie font que ce n'est pas toujours le cas. Ceux qui les élèvent peuvent leur donner tout leur amour : les enfants sont néanmoins toujours curieux de leurs origines, ils en ont besoin pour se construire. Raison pour laquelle l'Unaf préfère l'adoption simple pour ne pas gommer les origines de l'enfant.
Le psychiatre M. Lévy-Soussan le dit bien, un enfant ne peut pas avoir deux mères ; il a une mère et la compagne de sa mère. Au reste, il a demandé à une femme élevée par deux femmes chez qui elle était allée habiter après la séparation du couple ; elle a répondu spontanément : « Chez maman » ! C'est pour cela qu'il n'est pas anodin de supprimer les mentions de père et de mère dans l'état civil.
Audition de représentants de la Confédération nationale des associations familiales laïques (Cnafal), de l'Union des familles laïques (Ufal) et de la Confédération syndicale des familles (CSF)
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous recevons la Cnafal, l'Ufal et la CSF.
M. Jean-Marie Bonnemayre, président de la Confédération nationale des associations familiales laïques (Cnafal). - La Cnafal existe depuis plus de 45 ans au niveau national, et les associations familiales laïques depuis plus de 65 ans. Après la loi de juillet 1975 sur les associations familiales, nous avions fait le choix d'adhérer à l'Unaf. Les années 1970 ont marqué de grandes ruptures dans la conception de la famille ; le divorce par consentement mutuel, la libre contraception, la levée de l'interdiction de l'avortement et la pleine capacité juridique des femmes ont fait éclater le modèle de la famille patriarcale. Aujourd'hui, les familles monoparentales sont nombreuses, mais elles sont souvent la transition vers des familles recomposées.
Le parallélisme est saisissant, 45 ans après ; les familles homoparentales doivent obtenir une reconnaissance pleine et entière de leurs droits : mariage, adoption, PMA. La Cnafal était la seule association familiale à soutenir le Pacs. A qui fera-t-on croire que seuls 15 % des adhérents de l'Unaf sont favorables au mariage homosexuel, seuls 6 %, favorables à l'adoption ? La question de la représentativité de l'Unaf doit être posée. D'ailleurs, la Cnafal a soutenu la demande d'agrément de l'association des parents gays et lesbiens (APGL) à l'Unaf.
Vous avez auditionné des personnalités prestigieuses comme Irène Théry ou Françoise Héritier qui sont des habituées de nos colloques. La Cnafal mettra donc l'accent sur ses convictions et non sur les arguments qui vous sont connus. Nous considérons qu'il n'y a pas de famille standard, normée, même si l'Église catholique a tenté d'imposer son modèle. Pour nous, toute discrimination est génératrice d'exclusion et de stigmatisation. Laïcs, nous prenons en compte l'intérêt de l'enfant : le principe de protection de l'enfant doit s'appliquer pleinement, quelle que soit la situation familiale. Les homosexuels revendiquent des droits, mais aussi des devoirs ! « Il n'y a pas de meilleure éducation que celle qui vous permet de remettre en cause celle que l'on a reçue », disait Paul Valéry.
Nous sommes pour l'accès des enfants à leurs origines. La réalité des liens qui unissent les membres d'une famille doit être prise en compte ; reconnaissance symbolique et reconnaissance juridique vont de pair. Maintenir la situation actuelle, c'est continuer d'ostraciser les homosexuels, de les laisser de côté. Le Pacs a été une avancée, mais reste une boîte où l'on a tenté de maintenir les homosexuels. Les familles homosexuelles ont droit aux droits, à l'invisibilité par la banalisation de leur situation. L'opprobre et la honte, c'est le venin qu'on inocule dans la construction de l'être.
Les couples gays et lesbiens sont attachés à la famille, d'autant plus qu'ils en ont souvent été exclus. Ils veulent faire famille. Marcel Proust parlait ainsi des homosexuels dans Sodome et Gomorrhe : « Race sur qui pèse une malédiction et qui doit vivre dans le mensonge et le parjure, puisqu'elle sait tenu pour punissable et honteux, pour inavouable, son désir ; [...] fils sans mère, à laquelle ils sont obligés de mentir toute la vie et même à l'heure de lui fermer les yeux ».
Messieurs les parlementaires, je vous invite à mettre fin à cette malédiction.
M. Michel Canet, président de l'Union des familles laïques (Ufal). - L'Ufal apporte son soutien à ce projet de loi, qui constitue une étape vers l'égalité entre les différentes formes de couples. Nous sommes attachés au caractère laïc du mariage civil. Nous souhaitons que le Pacs évolue vers des droits comparables à ceux qu'offre le mariage, avec une cérémonie en mairie. L'Ufal souhaite un même contrat civil pour tous les couples. Ce contrat civil républicain doit être bien distingué du mariage religieux ; dans une République une, indivisible, laïque, démocratique et sociale, les couples homosexuels doivent être traités à égalité avec tous les autres.
L'adoption doit être ouverte à tous. La refuser aux couples homosexuels serait incompréhensible quand elle est ouverte aux célibataires. De même, le livret de famille doit être unique pour tous. Le code de l'action sociale et des familles doit reconnaître comme famille les couples pacsés et les concubins associés aux père et mère isolés, avec à terme un statut de beau-parent.
Enfin, l'Ufal regrette que le projet de loi n'ouvre pas l'AMP à tous les couples de femmes, avec filiation automatique.
Mme Marie-Françoise Martin, présidente de la Confédération syndicale des familes (CSF). - La CSF se situe dans le mouvement de l'Unaf, qui regroupe une pluralité de mouvements.
La CSF, implantée dans 70 départements, regroupe des familles des quartiers populaires des grandes villes depuis 1946 et prend en compte la globalité de la vie des familles : consommation, logement, éducation, santé, culture, loisirs... Notre mot d'ordre est le faire avec, le faire ensemble, et non le faire pour ou à la place de ; la CSF défend les familles dans leur diversité.
La société évolue, les familles aussi. Le droit vient accompagner ces évolutions et assurer la protection des personnes. Le statut de la femme a bien changé au XXe siècle ; la CSF s'était investie pour la reconnaissance des femmes chefs de famille et la défense des jeunes femmes célibataires qui subissaient l'opprobre de la société. Elle s'est battue pour les droits propres des familles monoparentales. Les attentes de la société sont très diversifiées, le code de la famille a dû s'adapter : autorité parentale, divorce, avortement... Depuis 1982, l'homosexualité n'est plus perçue comme une tare, une maladie, voire une déviance, mais la question du mariage et de l'adoption par les couples de même sexe continue de faire débat.
Le droit au mariage est un droit fondamental de la personne. L'égalité entre époux a été progressivement reconnue : le mari ne doit plus protection à la femme et la femme obéissance au mari... Le mariage civil constitue une double démarche, de la part du couple mais aussi de la société ; le code civil recentre les droits du couple sur les questions patrimoniales.
Aujourd'hui, on peut organiser sa vie de couple de différentes façons : union libre, Pacs, concubinage. Mais sur le plan symbolique, le mariage représente l'entrée dans la norme et l'accès à un statut social. Rappelons que 13 000 élus avaient signé une pétition contre la célébration du Pacs en mairie ; si la loi sur le mariage pour tous est adoptée, elle devra être appliquée partout.
Le Pacs n'ouvre pas les mêmes droits que le mariage. Les tribunaux refusent les demandes d'adoption simple aux compagnes homosexuelles des mères biologiques, ce qui n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant.
Parce que le mariage est une affaire entre adultes, la CSF, très attachée à l'égalité des droits, est favorable au mariage pour tous.
Mme Aminata Koné, secrétaire générale de la CSF. - Nous sommes favorables à l'adoption par les familles homoparentales, mais l'adoption pose problème : l'adoption simple ne donne pas suffisamment de garanties à l'enfant, mais l'adoption plénière gomme l'histoire de l'enfant. Nous souhaitons donc une réforme de l'adoption dans le cadre du mariage pour tous, en renforçant les garanties de l'adoption simple, mais en permettant à l'enfant de connaître son histoire personnelle.
Ce débat m'a émue, tant il a mis en cause les choix de vie des minorités. Tous les citoyens ont droit à la protection de la loi. Sans loi, les minorités sont en difficulté. Il faut apaiser les tensions sociales et que toutes les familles aient les mêmes droits et devoirs.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Les débats au sein de l'Unaf ont dû être passionnants, mais difficiles puisque vous représentez une position minoritaire.
J'ai entendu parler de droits des mères : je ne sais pas ce que c'est ; vous parlez de droits des femmes : je m'y retrouve davantage ! Où se situe le point de clivage avec la position majoritaire de l'Unaf ?
M. Yves Détraigne. - Quelle est votre définition de la famille aujourd'hui ? Est-elle liée à l'enfant ?
Mme Marie-Odile Pelle Printanier, vice-présidente de la CNAFAL. - Selon Irène Théry, « l'ignorance est le terreau de toutes les peurs ». L'Unaf a refusé toutes les évolutions récentes de la famille : le Pacs, la réforme du divorce... Le clivage est donc ancien. Je rappelle que le président Fondard qui vient de s'exprimer au nom de l'Unaf, fait partie de la CSF qui tient un discours en rupture avec la position de l'Unaf. Cette ambiguïté est gênante...
Nous aurions voulu dire un mot sur la PMA.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Elle n'est pas dans la loi.
Mme Marie-Odile Pelle Printanier. - Nous voulions la voir inscrite dans le texte, ne serait-ce que dans ses conditions actuelles. La Cnafal a rencontré Mme Bertinotti, qui a organisé cinq colloques dans toute la France, pour faire mieux connaître ces sujets de société. La ministre nous a expliqué pourquoi la PMA figurerait dans la loi famille et pas dans ce projet de loi-ci ; elle nous a convaincus.
La saisine du comité d'éthique nous inquiète : on risque de ne pas avancer beaucoup, si j'en juge par le rapport du professeur Sicard sur la fin de vie ! Et pour avoir participé aux précédents états généraux sur la bioéthique, j'estime - avec M. Leonetti - que les débats n'avaient pas été très objectifs. Or le comité d'éthique n'a pas changé.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - L'avis du comité d'éthique est purement consultatif ; le Gouvernement et le Parlement feront ce qu'ils voudront.
Mme Marie-Odile Pelle Printanier. - Nous faisons confiance au Parlement.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous voulons un débat apaisé. Chacun sait que je suis favorable au mariage, à la PMA et à la GPA pour tous. Mais par étape : nous avons bien attendu quinze ans après le Pacs avant de créer le mariage pour tous.
M. Jean-Marie Bonnemayre. - Dès lors qu'un couple se constitue dans la durée, il fait famille, avec ou sans enfant. Avec l'évolution de la société, un homme et une femme peuvent faire plusieurs familles, successivement.
Le statut juridique doit assurer la protection de l'enfant, notamment en matière patrimoniale et en cas de séparation. Nous voulons une société plus adulte et plus protectrice des intérêts des enfants.
M. Michel Canet. - L'Unaf a pris son envol à une époque où les associations laïques n'y participaient pas. Les associations traditionnelles y sont majoritaires, l'évolution est donc très lente...
A l'Unaf, nous avons tous la même vision de l'intérêt de la famille. Tout le monde souhaite aider les familles les plus défavorisées, lutter contre les inégalités... Mais, dès lors qu'il faut prendre une position de principe, c'est le repli stratégique et nous devenons ultra-minoritaires ! L'Unaf évoluera. En attendant, je suis un peu déçu.
M. Charles Arambourou, administrateur de l'UFAL. - L'Unaf, c'est le lobby familialiste. Les principales associations de l'Unaf sont contre le mariage pour tous, même si l'Unaf a construit quelques contre-feux, comme la proposition d'une union civile pour les homosexuels. Dommage qu'il y ait un tel décalage entre l'Unaf, institution ayant pignon sur rue, et la réalité de notre pays !
La famille, c'est d'abord des personnes qui ont des liens de parenté : ascendants, descendants, collatéraux, alliés...au total, une nébuleuse assez vaste !
La famille nucléaire, dans l'acception traditionnelle, regroupait papa, maman et les enfants. Il existe dorénavant, non une, mais des familles. Il y a même des concubins non cohabitant ! L'évolution de la société est vertigineuse.
Le devoir du Parlement est d'assurer que les principes républicains s'appliquent à toutes les situations dès lors qu'elles ne violent pas l'ordre public. N'oublions pas non plus les familles monoparentales ; elles existent, bien qu'on refuse aux femmes célibataires la PMA. Cette dernière aurait dû être traitée dans le texte sur le mariage pour tous.
L'Ufal s'inquiète de l'avis demandé au comité d'éthique, dont la composition est étrangère aux principes laïcs de notre République : on y trouve des gens qui sont là à raison de leurs convictions ! Sur un certain nombre de sujets, ses avis n'ont pas placé la France en pointe parmi les démocraties occidentales...
Mme Aminata Koné. - L'Unaf connaît un blocage culturel et historique. La CSF était un mouvement ouvrier ; elle comprenait quelques religieux, mais s'est déconfessionnalisée. Nous ne pouvons pas avoir la même position que la majorité de l'Unaf, car les familles populaires ne sont pas attachées au mariage. Les gens sont libres de leur choix !
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Un enfant sur deux naît hors mariage.
Mme Aminata Koné. - Si les notaires conseillent le mariage à ces familles, c'est pour protéger le conjoint survivant. Le mariage offre en effet une protection solennelle : tout le monde a droit à cette protection.
Nous ne sommes pas attachés à la famille mais aux familles, dans leur diversité. Le fait familial, pour nous, est l'ensemble de ce qui constitue notre société.
Sur l'AMP, le débat n'est pas fermé ; il nous faut du temps pour mener la réflexion à son terme. Les lois sont faites pour protéger, ne l'oublions pas. La famille hétérosexuelle peut aussi être violente envers l'enfant !
Le président de l'Unaf est certes membre de la CSF mais il défend la position de l'institution, c'est-à-dire la position majoritaire. L'Unaf a bien fini par accepter le Pacs, naguère considéré comme la fin du monde ; elle propose aujourd'hui une union civile. J'espère que cette loi sera votée, et s'appliquera pour que toutes les familles puissent vivre leur projet familial avec sérénité.
M. Michel Canet. - Le code de l'action sociale et des familles considère comme famille les couples mariés et les personnes seules avec enfant, mais pas les personnes pacsées sans enfant. Nous demandons depuis longtemps la reconnaissance comme familles des pacsés et des concubins déclarés sans enfants.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Les débats sur le Pacs ont été très âpres. Il s'agissait d'un débat sur le couple, pas sur la famille. Le groupe socialiste, à l'époque, soutenait l'idée que les personnes pacsées étaient deux célibataires vivant ensemble !
Mme Marie-Odile Pelle Printanier. - J'ai défendu le Pacs à l'Assemblée générale de l'Unaf à Perpignan sous les huées et les sifflets. Depuis, les choses ont évolué, puisque l'Unaf demande maintenant une amélioration du Pacs pour refuser le mariage pour tous. Je ne doute pas qu'elle évoluera encore, mais nous souhaiterions des débats plus apaisés et moins énergivores !
Plus de la moitié des premiers enfants naissent hors mariage : les couples ne se marient plus pour avoir des enfants, mais parce qu'ils en ont déjà !
Mme Catherine Tasca. - Le Pacs découlait aussi de l'idée que notre société était handicapée par le secret : la majorité des homosexuels vivaient leur choix dans le secret ; le Pacs leur donnait l'occasion d'en sortir et de faire reconnaître leur existence par la société. En matière de filiation, il faudra poser la question de l'accès aux origines pour les enfants. De nouveaux secrets ne doivent pas venir peser sur notre société. Il n'y a pas pire que le mensonge, pour les relations interpersonnelles et pour la société.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Lors du débat sur le Pacs, M. Brun a été honnête et nous a précisé que la motion votée à Perpignan était majoritaire, mais que la minorité était en désaccord.
Audition de représentants de Familles de France et de la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC)
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Nous recevons, pour terminer cette série d'auditions, les associations familiales catholiques. A priori, elles ne sont pas favorables à ce texte.
M. Roland du Luart. - Laissez-les donner leur avis...
M. Antoine Renard, président de la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC). - Merci de nous recevoir. D'emblée, je veux dire notre forte hostilité à ce texte et à la méthode employée. Dès 2001, nous disions qu'il n'existait plus de consensus sur ce qu'est le mariage civil républicain. Il aurait fallu répondre à cette question, se demander si le mariage est la bonne réponse aux vraies questions posées par les couples de même sexe, avant d'adopter cette solution bancale, choquante et qui nous heurte pour deux raisons majeures.
D'abord, on entame une partie de notre pacte républicain. Avec ce texte, il ne s'agit pas seulement d'étendre le mariage mais de le modifier en profondeur, d'en changer la nature même ; on le dilue, on en change la nature, quand tant de jeunes aspirent encore au mariage.
Ensuite, l'ouverture à l'adoption plénière - conséquence automatique du mariage - privera les enfants de l'accès aux conditions de leur naissance. Comment l'accepter ?
Ce texte pose beaucoup plus de questions qu'il n'en résout et crée une injustice au nom d'une fausse égalité. Et le tout aux dépens du plus faible : l'enfant, protégé jusqu'ici par l'institution républicaine du mariage. Forcer le destin en passant par le mariage n'est pas la bonne solution.
Mme Clotilde Brunetti, chargée du droit de la famille et de la protection de l'enfance à la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC). - Je m'exprimerai ici en tant que juriste, universitaire, directeur d'un centre de recherches international.
Tout d'abord, le projet modifie en profondeur le droit des personnes et de la famille.
La commission des lois de l'Assemblée nationale, pour éviter de supprimer « père » et « mère » dans plus de 90 articles du code civil, a introduit un article 6-1, juste après les principes qui définissent l'ordre public, qui indique que lorsqu'il est fait mention du père et de la mère ou du mari et de la femme, il peut s'agir de deux hommes ou de deux femmes. Cette disposition est contraire à l'ordre public. Depuis le droit romain, notre législation protège l'enfant et la famille afin de ne pas les mettre dans le commerce, à la merci d'un accord privé.
Or le projet de loi permet à une convention ou à une décision individuelle de mettre l'enfant dans le commerce. En effet, la loi permet l'adoption de l'enfant par un couple homosexuel. En faisant cela, la mère peut cacher à son enfant soit l'identité du père, soit le recours à la PMA. Dans tous les cas, la loi donne donc effet juridique à une décision privée portant sur une règle jusque là d'ordre public. Cela sera encore plus vrai dans le cadre de l'adoption plénière, puisqu'elle interdira à l'enfant de rechercher en justice sa filiation biologique.
Le projet de loi ouvre la parenté aux personnes de même sexe et, donc, la parentalité. On donnera donc à la femme, qui n'est pas la mère biologique, des droits sur l'enfant. On dit que c'est bien pour cet enfant que la compagne de la mère puisse lui verser une pension alimentaire : mais on ne dit pas que l'enfant devra peut-être lui verser une pension alimentaire ! La compagne de la mère pourra obtenir la garde de l'enfant en cas de séparation, et même des droits de succession aux dépens de l'enfant.
J'ai beaucoup parlé des couples de femmes ; les hommes aussi sont concernés, à en croire la fameuse circulaire qui atténue les dispositions sur la GPA.
Le législateur n'a peur de rien : même le droit du nom est modifié ! Demandez à M. Hauser, à Mme Dekeuwer-Défossez, à tous les grands juristes, ce qu'ils pensent de ce texte ! Ils vous diront la même chose que moi.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Cela ne suffit pas.
Mme Clotilde Brunetti. - Ce projet heurte aussi les droits de l'enfant et nos principes fondamentaux.
Il y a un principe fondamental de notre droit, rappelé encore le 7 juin 2012 par la Cour de cassation, selon lequel un enfant ne peut pas être inscrit à l'état civil comme né de deux parents de même sexe.
De même, l'article 7-1 de la convention des droits de l'enfant indique que l'enfant a le droit de connaître ses origines et d'être élevé par ses parents ; c'est la Cour de cassation qui exerce un contrôle de conventionnalité.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - J'ai bien suivi votre raisonnement, mais les juristes se font une opinion, et l'habillent ensuite d'arguments juridiques : je le sais, pour avoir été magistrat. Ce que vous dites, par exemple pour les successions, vaut pour tous les couples, y compris les couples hétérosexuels lorsqu'il y a un beau-parent.
Mme Clotilde Brunetti. - Lorsqu'il y a recomposition familiale.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Cela ne vaut pas pour les seuls nouveaux couples.
Mme Clotilde Brunetti. - On institue la parenté par l'adoption !
M. Patrick Chrétien, secrétaire général de Familles de France. - Notre mouvement n'a aucune attache politique, syndicale ou confessionnelle. Il représente environ 70 à 80 000 familles selon les années, soit 300 000 personnes. Dès la publication du programme de François Hollande, nous nous sommes interrogés sur la proposition n° 31. L'ouverture du mariage concernerait 1 % des familles ; cette réforme qui est tout sauf anodine mérite, à tout le moins, un grand débat national. Ce mouvement familial, qui est divisé, s'inquiète de voir ce texte discuté par le seul Parlement et adopté selon des consignes de vote données par les grands partis.
Le droit des enfants est-il secondaire par rapport au désir des adultes ? Voilà la question. Nous demandons un référendum sur les trois questions suivantes : êtes-vous pour ou contre le mariage de couples de même sexe ? Êtes-vous pour ou contre l'adoption par des couples de même sexe ? Êtes-vous pour ou contre l'ouverture de la PMA aux couples de même sexe ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Je tiens à vous rassurer : nous appartenons tous, sauf quelques individualités, à des partis politiques, mais le mandat impératif est nul ; au Sénat, plus peut-être qu'à l'Assemblée nationale, le vote est libre et, sur les grandes questions, chacun se détermine en conscience ; il y aura des voix discordantes au sein des grandes formations politiques.
Faut-il débattre du référendum ? La révision constitutionnelle de 2008 a introduit le référendum d'initiative populaire à l'article 11. La majorité qui l'avait voté n'a, hélas, pas pris de loi organique, ce qui en empêche l'application.
Consulter le peuple, bien sûr, mais tous les référendums ont toujours tourné autour d'une seule et même question : êtes-vous pour ou contre le président de la République ?
M. Charles Revet. - C'est bien de poser la question !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - On se souvient du résultat du référendum sur la Corse : il a servi à dire non à Sarkozy. Mais je m'arrête là : c'est un autre débat.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Ma question s'adresse surtout à la CNAFC. Nous connaissons votre position, elle est tranchée. Il existe pourtant, dans les familles catholiques, des homosexuels qui vivent leur foi chrétienne. Comment les intégrez-vous dans vos associations ?
M. Jean-Jacques Hyest. - Même si l'on n'organise pas de référendum, ce sont les sondages qui font la loi. Même si personne ne le dit, tout le monde est plutôt favorable à une union civile, sur le modèle allemand ou un mariage sans adoption, comme au Portugal. De plus, certains des pays qui ont voté le mariage pour tous n'ont pas les mêmes traditions juridiques que nous. Vous avez parlé de la Cour de cassation, soit. Mais sa jurisprudence change quand la loi évolue... sauf contrôle de conventionnalité que la Cour de cassation s'arroge souvent.
Mme Clotilde Brunetti. - Vous mettez le doigt sur l'essentiel.
M. Jean-Jacques Hyest. - Une loi non-conforme à nos engagements internationaux aura des conséquences.
Mme Nicole Bonnefoy. - Vous avez affirmé que le mariage pour tous portait atteinte à l'ordre public. Considérez-vous que les couples homosexuels qui existent actuellement et qui élèvent des enfants y portent atteinte ?
M. Yves Détraigne. - Selon M. Renard, « on entame une partie du pacte républicain ». Mais 20 % des enfants ne vivent pas dans des familles traditionnelles, et la majorité d'entre eux naissent déjà hors mariage. En quoi notre pacte est-il entamé ? Par l'instauration du mariage pour les couples homosexuels ou par ses conséquences ?
M. Charles Revet. - Les couples homosexuels existent, cette réalité est indéniable. Pour eux, le problème n'est pas de se voir reconnaître le mariage ; il est de renforcer le Pacs : à peine 4 % des personnes pacsées sont des homosexuels. Améliorer le Pacs semble normal ; passer par le mariage est choquant : il suffit d'ouvrir le dictionnaire pour savoir que c'est l'union d'un homme et d'une femme en vue de procréer.
M. Thierry Vidor, directeur général de Familles de France. - Qu'est-ce qui fait famille ? Deux personnes de même sexe vivant ensemble font famille ; oui, le mariage n'est pas aujourd'hui nécessaire pour faire famille. En revanche, les sondages le montrent, s'il existe un large consensus autour d'une union civile pour les couples homosexuels, la majorité de nos concitoyens s'inquiète de l'ouverture aux couples homosexuels de l'adoption, de la PMA et de la GPA. Le problème, ce n'est pas le mariage : il n'intéresse qu'1 % des Français, et encore... Le problème, c'est que le mariage en France ouvre des droits, dont le droit à l'adoption, ce qui bouleversera notre rapport à l'enfant. C'est ouvrir la boite de Pandore : dire à des couples de même sexe qu'ils ont droit à l'enfant, c'est introduire un biais dans notre pacte républicain. Des couples gays ou lesbiens diront « J'ai droit à un enfant ». Résultat, on ouvrira la voie à la marchandisation du corps - es greffes d'utérus existent déjà et à la marchandisation de l'enfant, que l'on observe déjà dans certains pays européens.
Mme Clotilde Brunetti. - Les couples homosexuels existant ne heurtent pas l'ordre public puisque, en l'état du droit actuel, l'enfant d'un couple de femmes peut entreprendre une action en recherche de paternité. Avec ce texte, on priverait définitivement l'enfant de sa filiation paternelle ou de sa filiation maternelle. C'est une conséquence de l'adoption, qui est irrévocable.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Certes, quand on est adopté, on ne peut pas faire de recherche de paternité, puisque le père est le père adoptif ; en revanche, ça n'interdit en rien d'avoir accès à ses origines.
Mme Clotilde Brunetti. - C'est difficile... et c'est autre chose.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - C'est la même chose pour la PMA !
Mme Clotilde Brunetti. - La PMA n'est pas autorisée pour l'instant.
Mme Michelle Meunier, rapporteure pour avis. - Si, pour les couples stériles.
Mme Clotilde Brunetti. - La PMA n'est pas ouverte aux couples de femmes.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - A titre personnel, j'étais très réticent sur la PMA avec tiers donneur, puisqu'on interdit à l'enfant de connaître son père biologique.
Mme Clotilde Brunetti. - C'est un autre sujet...
Le juge doit appliquer la loi ; il ne peut faire prévaloir des principes supérieurs qu'au nom d'une convention. La Cour de cassation pourra donc refuser les adoptions en s'appuyant sur la convention sur les droits de l'enfant. Jusqu'à présent, jamais le législateur n'a mis en cause ces principes fondamentaux qui remontent à la nuit des temps - d'où leur formulation en latin ; ce serait une première ! La Cour de cassation a tenu à publier le 22 janvier 2013 un arrêt disant que les droits de l'enfant ont rang constitutionnel ; c'était une façon d'adresser un message au législateur : elle défendra les principes supérieurs.
Le nouvel article 6-1 fait entrer dans notre code civil la théorie du genre. Formulée par des féministes extrémistes, dont la figure de proue est Judith Butler, elle postule que les enfants naissent fondamentalement inégaux, le garçon naissant avec un sexe qui le pousse à la domination de la femme ; dès lors, il faut supprimer toutes les conséquences sociales et juridiques du sexe masculin. Cette théorie me fait peur ; elle est désormais dans notre code civil.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Si je puis me permettre, la loi qui a le plus bouleversé les principes fondamentaux est celle de la filiation, rédigée avec l'aide du doyen Carbonnier !
Mme Clotilde Brunetti. - Cette loi ne touchait pas comme aujourd'hui aux principes supérieurs, et c'était toujours par voie d'exception.
M. Antoine Renard, président de la Cnafc. - Ce sont les associations qui sont catholiques, pas les familles ! Notre source d'inspiration est l'enseignement familial et social catholique. Nous n'en sommes pas pour autant un mouvement confessionnel, et nous sommes ouverts à tout le monde. Mais à partir du moment où la famille est encore constituée d'un père, d'une mère et des enfants, les associations familiales peinent à accueillir les familles homosexuelles. Quant à l'Église, vous le savez, elle réfléchit à ces questions, et Mgr Paglia a tenu récemment des propos intéressants. Mais nous ne sommes pas l'Église !
La rupture du pacte républicain tient à la fois à l'ouverture du mariage et à ses conséquences. Les mots ont un sens ; c'est quand même Soljenitsyne qui a invité les Français à retrouver l'usage de leur dictionnaire ! Le député martiniquais M. Azérot l'a dit mieux que moi : les Martiniquais s'inquiètent d'une rupture du pacte républicain qui pourrait les conduire à quitter la République. C'est très grave !
Chacun est libre de se marier, mais personne n'est libre de dire ce qu'est le mariage. Aujourd'hui, tout le monde sait ce qu'est mariage ; demain, nous serons en plein brouillard.
Mais le plus grave, c'est l'accueil de l'enfant. Je considère que nous sommes dans un monde sexué. Le mariage précède les religions, contrairement à ce que dit l'exposé des motifs du texte, parce qu'il est la capacité d'accueillir un enfant dans un monde sexué. Je ne soutiens pas le référendum qui conduit à un affrontement, alors qu'il faut trouver un consensus. Comment y parvenir ? Je compte sur votre liberté...Étonné par le trouble des députés socialistes, j'ai regardé les statuts du parti socialiste : selon l'article 5-4-3, les élus respectent en toutes circonstances les instructions et la tactique du parti. J'espère que les sénateurs exerceront leur liberté de conscience et prendront le relais des Français, qui sont en pleine confusion : 60 % sont favorables au mariage entre personnes du même sexe, et 60 % sont contre l'adoption par des personnes de même sexe, alors que la loi ne permet pas de distinguer les deux. C'est aux politiques de trouver un consensus.
M. Bernard Mantienne, représentant de la Cnafc. - Maire pendant 30 ans, je constate le désarroi de nos concitoyens. Ils s'inquiètent de cette ouverture du mariage et de l'adoption. J'ai écrit au Président Hollande pour lui dire qu'il commet, avec ce texte, une erreur et une faute. Une erreur car les Français vivent déjà beaucoup de difficultés : pourquoi en rajouter ? Une faute parce que, de ce texte, que sortira-t-il demain ? Un de mes administrés d'origine maghrébine est venu me voir pour me demander si avec cette loi il pourrait faire venir en France sa deuxième femme et se marier avec elle. Je n'ai su lui répondre...Après tout, quand tout est permis, il suffit de faire pression ! Je crois que la pression qui s'exerce en faveur du mariage pour tous est minoritaire, et qu'il y avait des solutions plus adaptées...
Je crains que nous ne soyons dans la situation des schlitteurs, ces bûcherons vosgiens qui transportent le bois en retenant un chariot qui glisse sur des rails en bois : il suffit du moindre faux-pas pour provoquer une catastrophe !
M. Thierry Vidor. - En ces matières, nous n'avons pas assez de recul, ni d'études sérieuses. Tout le monde est d'accord pour faire évoluer le Pacs vers un contrat d'union civile, mais ouvrir l'adoption semble très dangereux à la majorité des Français ; la question mérite une réflexion et des études approfondies.
En Belgique, la loi a été votée il y a une dizaine d'année : depuis la reconnaissance du mariage homosexuel, il n'y a pas eu d'adoption pour les couples homosexuels. Dès que nous adopterons cette réforme, nous serons en effet au ban de la communauté internationale et la plupart des pays refuseront des donner des enfants à l'adoption en France. Cela tient du mensonge d'État : on dit à ces gens qu'ils pourront adopter, or ils ne le pourront pas. Il y a déjà 6 000 adoptions par an, et 30 000 couples qui veulent adopter ! Et qui choisira entre un couple homme-femme, un couple femme-femme et un couple homme-homme ? Au nom de la lutte contre les discriminations, les couples d'hommes réclameront la GPA, et l'égalité pour tous débouchera sur la marchandisation du corps de la femme.
Il est trop tôt ; ne votons pas dans la précipitation une loi non consensuelle, d'autant que le président Hollande n'a pas été élu sur la proposition n°31...
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Merci. Nous poursuivrons notre série d'auditions la semaine prochaine.