Égalité professionnelle entre hommes et femmes (Questions cribles)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la réponse du Gouvernement aux questions cribles thématiques sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. En application de la décision de la Conférence des présidents, cette séance se déroulera désormais le jeudi après-midi, en alternance avec les questions d'actualité. Ce débat est retransmis en direct sur France 3, que je remercie au nom du président du Sénat.
Mme Michelle Meunier . - En France, un salarié sur cinq occupe un emploi à temps partiel ; dans 70 % des cas, c'est une femme, qui généralement voudrait accroître son temps de travail. Celles qui s'autocensurent considèrent qu'elles n'ont que peu de chance d'accéder à un temps plein ou que les frais de garde des enfants amputeraient le gain occasionné. Les femmes non diplômées, les employées, les étrangères, celles qui ont entre 35 et 44 ans, subissent plus souvent que les autres le temps partiel. Selon le Conseil économique, social et environnemental, les services, le nettoyage, l'hôtellerie, les collectivités locales sont les secteurs les plus touchés. La moitié des femmes concernées gagnent moins de 800 euros, qui est le seuil d'ouverture des droits sociaux. Un tiers des foyers monoparentaux vivent dans la pauvreté.
Les données sont connues, il faut engager des changements concrets. Comment entendez-vous agir dans ce chantier transversal ? (Applaudissements à gauche)
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement. - Vous mettez le doigt sur un sujet crucial, le temps partiel subi, où sont surreprésentées les femmes. Les politiques publiques l'ont trop longtemps laissé de côté. Le temps partiel est un phénomène récent : en trente ans, on est passé d'1,5 à 3,7 millions de salariés concernés, qui représentent le tiers des emplois féminins. Cela explique largement l'écart de rémunération moyenne entre les hommes et les femmes, dont une des causes est cette spécificité française qu'est l'inégale répartition des tâches domestiques.
La conférence sociale a permis d'avancer : les partenaires sociaux rendront des conclusions avant le 10 mars pour mieux protéger les femmes, sanctionner davantage les entreprises qui abusent du temps partiel, favoriser le passage au temps complet. Le 19 novembre, nous organiserons une conférence de progrès pour articuler les réponses. (Applaudissements à gauche)
Mme Michelle Meunier. - Merci de ces éléments de réponse, qu'il faudra articuler à l'échelon européen ; la directive renforçant le nombre de femmes dans les conseils d'administration des entreprises est un signal encourageant.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Le temps partiel pèse en effet pour une part comprise entre un tiers et un quart dans les inégalités salariales entre hommes et femmes. Souvent présenté comme le moyen de mieux articuler vie personnelle et vie professionnelle, il est en réalité le plus souvent subi et vient gonfler la cohorte des travailleuses pauvres. Il faut mieux l'encadrer. Notre délégation aux droits des femmes a émis une série de propositions ; la négociation collective peut apporter des améliorations, mais sur certains points, il faudra recourir à la loi. Comment entendez-vous engager l'action ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Le temps partiel est particulièrement difficile à vivre pour les mères seules. Vous avez raison de dire qu'il est plus souvent subi que choisi : avec ses horaires souvent imprévisibles, il les empêche d'avoir une vie personnelle et familiale. Oui, il faut sanctionner les entreprises qui abusent ; le statut des heures complémentaires devra être revu, les partenaires sociaux y travaillent. La question de l'amplitude des horaires se pose également, comme celle du minimum d'heures : des temps de travail trop courts ne donnent pas accès à certains droits sociaux. On peut penser à fixer un nombre minimum d'heures de travail mais ce ne pourrait être que par branche.
Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à un accord, l'État prendra ses responsabilités. D'où la conférence prévue le 19 novembre.
M. le président. - Veuillez conclure, madame la ministre !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Il faut aussi s'intéresser aux donneurs d'ordre, y compris les collectivités territoriales et l'État, qui imposent parfois des horaires très matinaux ou très tardifs, pour les tâches de nettoyage, par exemple.
Mme Laurence Cohen . - Les emplois à temps partiel généralisent la précarité au travail. Les partenaires sociaux ont leur rôle à jouer, mais le rôle central revient à l'État : l'égalité hommes-femmes est inscrite dans notre Constitution. On pourrait faire en sorte que les entreprises aient les mêmes charges patronales pour un temps partiel que pour un temps plein. (Applaudissements sur les bancs CRC)
Mme Aline Archimbaud . - Les salaires féminins, à responsabilité égale, stagnent : moins 27 % par rapport à ceux des hommes. Si seulement 6 % des hommes vivent un changement professionnel à l'arrivée d'un enfant, c'est le cas de 46 % des femmes. Les charges de la vie familiale incombent avant tout aux femmes.
Comment encourager les entreprises à mieux prendre en charge la parentalité ? Un rapport de l'Igas suggère de réformer le congé de maternité, en réservant quatre semaines à un congé d'« accueil de l'enfant » pour le père et la mère, non fractionnable et non transférable entre parents, pour un meilleur partage de la responsabilité parentale.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Je souris en entendant des trentenaires me dire qu'ils ont réalisé un partage des tâches égalitaire : les études montrent que dès qu'arrivent les enfants, tel n'est plus le cas.
La conférence sociale a permis d'aboutir à trois principes. Il faut, en premier lieu, sanctuariser le congé de maternité à seize semaines. (Applaudissements sur les bancs CRC) Nous relançons d'ailleurs les négociations sur la directive européenne, actuellement bloquée. Il convient, ensuite, de mieux protéger les femmes de retour de congé de maternité : le délai de quatre semaines pendant lequel elles ne peuvent être licenciées pourrait être allongé. Je souhaite, enfin, inciter les pères à prendre effectivement leur congé de paternité.
Le congé parental de longue durée pose problème : ce peut être une trappe à inactivité pour les femmes. Nous expérimentons un meilleur accompagnement par la formation. Le nombre de places collectives pour l'accueil des jeunes enfants compte aussi beaucoup.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Très bien !
M. Alain Richard. - Et la stabilité du financement !
Mme Aline Archimbaud. - Il faut encourager tout ce qui donne aux femmes et aux hommes les mêmes chances d'articuler harmonieusement vie professionnelle et vie personnelle. Cela passe par une amélioration du congé de paternité. Nous aurions tous à y gagner.
M. le président. - Je vous invite à respecter votre temps de parole, afin que toutes puissent bénéficier de la retransmission télévisée.
Mme Françoise Laborde . - C'est grâce à Yvette Roudy, en 1983, que la bataille législative a été engagée dans notre pays. Mais les efforts déployés n'ont pas permis de briser le plafond de verre. Les mesures incitatives ne suffisent plus.
Le directeur de l'Observatoire des inégalités juge que « au moment de l'arrivée dans le monde du travail, il est déjà trop tard ». Je partage son diagnostic. Entre 2006 et 2010, au concours d'entrée à l'ENA, 45,5 % des candidats étaient des femmes alors qu'après le grand oral elles ne formaient plus que 34,5 % des admis. Une ancienne présidente du jury tente une explication : « les garçons sont, dès l'école primaire, plus couramment interrogés et mis en confiance à l'oral que les petites filles, invitées à se tenir discrètement dans la réserve ».
Le chantier de refondation lancé par M. Peillon constitue une formidable occasion de refondre le parcours scolaire. Quelles propositions concrètes comptez-vous lui faire pour améliorer l'égalité dès le plus jeune âge ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Il faut, de fait, agir sur les représentations dès le plus jeune âge. Il ne s'agit pas de nier les différences physiologiques mais de refuser qu'elles se traduisent par une inégalité. Apprendre l'égalité n'a rien de simple. Les enseignants doivent y être formés : un module de déconstruction des stéréotypes est prévu dans la réforme. L'expérimentation menée à Saint-Ouen est très intéressante, pour faire entrer l'égalité dans les faits, pas seulement dans la loi.
Mme Françoise Laborde. - Merci de votre détermination.
Mme Chantal Jouanno . - Les inégalités hommes-femmes persistent dans bien des domaines et beaucoup reposent sur les stéréotypes inculqués dès le plus jeune âge. L'hypersexualisation des petites filles est un vrai problème de société : magazines, jeux vidéo y contribuent. La délégation aux droits des femmes a fait des propositions pour mettre un terme aux excès, par exemple lors des concours de « miss ». Entendez-vous les reprendre ? (Applaudissements sur la plupart des bancs)
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - J'ai étudié le rapport dans lequel vous dénoncez une hypersexualisation qui peut être dévastatrice pour les petites filles, bien sûr, mais aussi pour les petits garçons. Vous recommandez des mesures à la fois d'interdiction et d'incitation. Surtout, c'est l'éducation au respect, à la dignité qui manque à l'école, dans les médias. Les agences de régulation ne regardent les images que sous la lorgnette de la dignité ; nous voudrions qu'elles prennent aussi en compte le sexisme. Par exemple ces stéréotypes sur la nécessaire domination masculine sur le corps des femmes.
Mme Chantal Jouanno. - Il est vrai que la France n'est pas encore la plus touchée par l'hypersexualisation, des barrières demeurent. Je n'ai pas oublié la charte Bachelot sur l'image de la femme dans les médias. Nous devons réagir collectivement et ne pas enterrer le sujet.
Mme Catherine Morin-Desailly . - Je veux aborder la question sous l'angle culturel : sur 38 directeurs de centres dramatiques nationaux ou régionaux, 3 seulement sont des femmes. Il n'y a que 4 % des maisons d'opéras, 9 % des centres dramatiques, 5 % des concerts, à être dirigés par des femmes ; celles-ci n'occupent que 18 % des postes dirigeants de l'administration culturelle.
Il revient à l'État, non d'intervenir dans l'acte artistique, mais de garantir un égal accès dans les arts du spectacle, comme y invite la directive européenne. Comment envisagez-vous de faire appliquer ses recommandations ? Pourquoi ne pas mettre en oeuvre une charte de l'égalité dans le domaine de la culture ? Adjointe aux affaires culturelles de Rouen, j'ai fait en sorte qu'à compétence égale il y ait autant de femmes que d'hommes aux postes de responsabilité. (Applaudissements sur la plupart des bancs)
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Oui, les inégalités sont partout, y compris dans la culture. J'ajouterai aux exemples que vous avez donnés que les spectacles mis en scène par des femmes récoltent des subventions moindres que ceux mis en scène par des hommes. Plus de 90 % des directeurs d'institutions vouées au spectacle vivant sont des hommes. Et ces chiffres n'évoluent pas.
En septembre, j'ai réuni les ministres dans des « collèges de l'égalité ». Avec Aurélie Filippetti, très investie sur ce sujet, nous avons établi une feuille de route pour atteindre sans délai les 50 % de nominations. Les contrôles d'objectifs et autres conventions comporteront systématiquement une exigence d'égalité.
Mme Catherine Morin-Desailly. - J'aurais aussi pu citer l'audiovisuel. Je me réjouis de la nomination d'une femme à la tête de l'Audiovisuel extérieur de la France. La commission récemment mise en place doit travailler sur ce sujet de l'audiovisuel, auquel nous sommes ici très attentifs.
Mme Catherine Génisson . - Au-delà des inégalités de salaire, d'embauche, de mobilité, les conditions de travail contribuent à former le plafond de verre. Il faut traiter le problème dans le monde du travail, mais aussi en amont : dans l'enseignement, dans la famille. Dans les négociations sociales, il faudrait poser la question de la féminisation de la représentation. On pourrait envisager des mesures positives favorisant les entreprises qui font des efforts. Ne serait-il pas bon de prévoir une loi-cadre pour faire prendre conscience que ce sujet est prioritaire ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Les organisations syndicales, c'est vrai, ne mettent pas nécessairement cette question de l'égalité dans leurs priorité, ce qui pose la question de la représentativité. Oui, c'est un sujet qui fait partie de la négociation.
Il faut certes plus de contrôle des entreprises, avec des sanctions renforcées mais aussi des mesures d'accompagnement. Nous le faisons dans neuf régions expérimentales pour promouvoir les bonnes pratiques : réunir les quinze grosses entreprises les plus exemplaires d'un département en la matière et leur demander d'agir auprès de leurs PME sous-traitantes.
Mme Catherine Génisson. - Peut-être faudrait-il également demander des rapports comparatifs dans l'éducation nationale, afin de peser sur les orientations.
Mme Catherine Procaccia . - La loi du 12 mars 2012 prévoit la nomination graduelle de 40 % de femmes aux postes de responsabilité de la fonction publique, avec pénalités à la clé. Le fait est que, dans les plus hautes sphères publiques, les femmes ne représentent que 21,4 % aux postes de direction alors qu'elles sont 54 % des fonctionnaires. Vous semblez vous inscrire dans la logique de la loi du 12 mars : le 27 juin, un haut fonctionnaire a été nommé par décret auprès de chaque ministre, chargé de vérifier sa bonne application. Mais cette volonté est-elle réelle ? Depuis mai 2012, les nominations de hauts fonctionnaires ne vont pas dans ce sens. Sur 31 nominations de préfets, 28 hommes et 3 femmes ; sur 6 nominations de recteurs d'académie, 2 femmes. Sur 9 ambassadeurs, 8 hommes.
Je ne doute pas, madame la ministre, de votre volonté mais comment envisagez-vous de rétablir l'équilibre ? (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - L'État doit être exemplaire. Le Premier ministre a mobilisé l'ensemble du Gouvernement : sa circulaire du 23 août rappelle que l'objectif de 40 % doit être atteint avant la fin de la mandature. Ce qui complique les choses, c'est l'absence du fameux « vivier ». Il faut donc penser à l'avenir pour le constituer. Nous ferons preuve d'une parfaite transparence. Un suivi hebdomadaire et un bilan annuel seront publiés sur le site du Gouvernement. Soyez convaincue de notre détermination.
Mme Catherine Procaccia. - L'absence de « vivier » est une antienne en politique. Comment sera constitué ce vivier, repérées les potentialités ? Si c'est par les hommes en place, les choses n'avanceront pas. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Colette Mélot . - Si les jeunes filles obtiennent de meilleurs résultats jusqu'au bac, elles sont moins nombreuses à s'engager ensuite dans les filières sélectives. Situation qui s'explique pour beaucoup par des facteurs sociaux contre lesquels l'école a son rôle à jouer. Or les manuels véhiculent beaucoup de stéréotypes. Il faut mieux sensibiliser les conseillers d'orientation au problème. Quelles sont les pistes que vous envisagez, madame la ministre, dans le cadre de la réforme de l'école ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. - Qu'il n'y ait pas de malentendu sur le terme de vivier. C'est entre 30 et 40 ans que les femmes sont moins présentes que les hommes dans les promotions. Se poser la question du vivier, c'est peut-être réfléchir aux règles qui président à ces promotions.
La lutte contre les stéréotypes dans l'éducation nationale est le bon moyen de saisir globalement le problème. C'est aussi au rôle des conseillers d'orientation que nous devons réfléchir. Les manuels scolaires ne sont pas rédigés par l'État ; nous avons engagé un dialogue avec les éditeurs pour leur faire prendre conscience des clichés qu'ils colportent.
Mme Colette Mélot. - Merci de votre réponse. Il faut insister sur l'orientation, pour que les filles aient connaissance de tout le panel qui s'offre à elles.