Débat sur les agences de notation

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation.

Mme Frédérique Espagnac, présidente de la mission commune d'information sur le fonctionnement la méthodologie et la crédibilité des agences de notation .  - Je suis satisfaite de ce débat en séance publique. Il y a un enchaînement vertueux entre nos travaux et cette séance dont les citoyens peuvent se féliciter. Nous avons travaillé de manière collégiale, en essayant de porter le bon diagnostic, en organisant des missions à Londres, à New York, à Bruxelles, en faisant réaliser une étude comparative sur le marché et la règlementation des agences de notation dans les pays émergents ou de l'OCDE, en obtenant l'accès aux 30 000 pages communiquées par Standard and Poor's, Moody's et Fitch pour leur enregistrement auprès des autorités européennes.

Notre diagnostic, dans un rapport adopté à l'unanimité des groupes politiques, est dérangeant : les agences de notation sont devenues incontournables, sans retour en arrière possible à court terme. C'est que l'économie passe d'un financement par les banques à un financement par les marchés, lesquels sont de plus en plus mondialisés, ce qui accroît l'influence des agences de notation. Celles-ci répondent à un standard international, sachant que près d'un tiers de la dette obligataire mondiale est émise en direction de non-résidents. En France, il n'y a que moins de 10 % des émissions d'obligations et trois entreprises du CAC 40 à n'être pas notées.

Face aux crises successives, les autorités publiques ont fait appel aux notations pour s'assurer de la solidité des actifs des banques et des sociétés d'assurance. D'où les règles de Bâle ou de Solvabilité Il, qui ont érigé les agences de notation en quasi-régulateurs. En 1999, la réglementation américaine relative aux marchés de titres contenait plus de 1 000 références aux notations et celle relative aux banques près de 400. Les banques centrales font massivement appel aux notations pour apprécier la qualité des actifs que les banques leur apportent en garantie. Fin 2011, les trois quarts des garanties déposées auprès de la BCE faisaient l'objet d'une notation.

Pour se désintoxiquer des agences de notation, la première priorité est de réduire l'interaction entre les notations des dettes souveraines et le débat démocratique. Les agences doivent mieux se comporter. Nos amis grecs, espagnols, italiens, ont pâti du calendrier des agences. Nous préconisons que les agence publient à l'avance leur calendrier de notations et s'y tiennent. Les instituts de conjoncture et les banques centrales fonctionnent ainsi.

Nous devons être plus exigeants sur la qualité des notations. La question de la méthodologie a trop longtemps été éludée. Les documents publiés sont encore trop complexes. La transparence des méthodes doit faire des progrès, avec un label délivré par l'Autorité européenne des marchés financiers.

Il n'y a pas de bonne notation sans ressources humaines suffisantes. En 2009, 62 % des analystes affectés à la notation des entreprises avaient moins de cinq ans d'ancienneté. Pour la dette souveraine, 78 % des analystes de Moody's avaient moins de cinq ans d'ancienneté, et 30 % moins de deux ans d'ancienneté. En outre, la politique de formation continue des agences est à leur seule discrétion.

Un contrôle renforcé de l'Autorité européenne des marchés financiers s'impose. De petites structures de faible crédibilité ont été autorisées. Les mécanismes de sanction sont lents et les sanctions faiblement dissuasives. Dans cet esprit, nous avons intitulé notre rapport Pour une profession réglementée : il faut une réglementation juste et ambitieuse. (Applaudissements)

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur de la mission commune d'information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation.  - Je me félicite à mon tour de ce débat qui souligne la nécessité d'un dialogue entre le Gouvernement et le Parlement.

La situation n'est pas saine. Les agences de notation ne veulent toujours pas admettre que leur statut de donneur d'avis a changé, alors que l'impact de celui-ci est considérable et que la liste de leurs erreurs s'allonge. Le 15 septembre 2008, quelques jours avant la faillite de Lehmann Brothers, la cinquième banque d'affaires américaine était notée comme l'un des premiers investissements outre-Atlantique. Les agences n'ont pas su détecter les fraudes chez Enron ni chez Parmalat. Standard & Poor's a d'ailleurs été condamnée pour ce motif en Italie.

Les agences ont péché par excès d'optimisme. Une fois que la crise a éclaté, elles ont dégradé brutalement leurs notations. Unanimement cotées AAA, les subprimes étaient considérées comme des junk bonds quelques mois après, ce qui a causé une catastrophe économique et sociale aux États-Unis et traumatisé les banques de nombreux pays. Même phénomène pour la Grèce. Enfin, le scandale des emprunts structurés a révélé des collusions entre les agences de notation et les banques qui les confectionnaient.

Il faut donc faire évoluer la réglementation publique des agences, avec un vrai régime de responsabilité civile : pas de pouvoir sans responsabilité. Même quand des fautes sont avérées, les procès en responsabilité intentés aux agences n'aboutissent pas à condamnation, faute que l'état du droit le permette. C'est pourquoi Moody's s'efforce d'imposer aux émetteurs français, notamment aux collectivités locales, de recourir à des contrats de droit anglais dans une tentative de délocalisation par le droit. Le règlement européen devra introduire un vrai régime européen de responsabilité qui inverse la charge de la preuve : ce doit être aux agences de notation de prouver la qualité de leur travail.

La relation entre les émetteurs et les agences de notation n'est pas saine. Entreprises et collectivités se plaignent de la position dominante des agences, qui relèvent sans justification leurs tarifs -les plus grandes entreprises allemandes s'en sont plaintes au début de l'année- et qui veulent imposer les normes comptables américaines grâce auxquelles on pénalise EADS face à Boeing. Il faut une transparence des frais payés, un droit de réponse des émetteurs. Les conflits d'intérêt entre les banques et les agences de notation autour des produits structurés sont mieux surveillés mais on doit passer à un modèle investisseur-payeur.

Le duopole mondial Standard and Poor's et Moody's est à l'origine d'une rente de situation. Les barrières à l'entrée du marché des agences de notation sont difficiles à franchir, or 64 % des investisseurs demandent plus de concurrence. Nous suggérons que les autorités nationales et européennes de la concurrence vérifient que les trois plus grandes agences n'abusent pas de leur situation dominante.

La stratégie de la Commission européenne consistant à renforcer la concurrence pour de petites agences n'est pas convaincante. Il est peu vraisemblable que les petits émetteurs y fassent appel. La création d'une agence publique européenne est une piste qui a peu de chances de prospérer, même si elle est justifiée. L'initiative d'États tentés de se doter de leur agence créerait un soupçon de la part des marchés.

Nous proposons la création d'une agence publique. Il faut diffuser des alternatives à la notation des agences. La Banque de France note environ 250 000 entreprises françaises ; la BCE note les États. La publication de ces notes devrait être envisagée. Pourquoi les banques commerciales ne peuvent-elle pas communiquer leurs notes à un organisme public européen ?

Il n'est pas admissible que l'Europe, première puissance économique du monde, laisse l'univers de la notation aux seules agences américaines. Il est indispensable de faire émerger un grand acteur de la notation. Nous proposons que la Commission européenne lance un appel à projets pour encourager la création d'une agence de taille mondiale.

M. Jean Bizet.  - Très bien !

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur.  - Notre mission souhaite l'émergence de ce grand acteur européen de la notation. Le conclurai avec Talleyrand : « les financiers ne font bien leurs affaires que lorsque l'État les fait mal » ! (Sourires et applaudissements)

M. Éric Bocquet .  - Un travail important a été accompli par cette mission. Nous regrettons avec elle que les agences de notation aient pris un rôle sans commune mesure avec leurs moyens et leur raison d'être.

Trois entités principales existent aujourd'hui : Standard and Poor's, Moody's et Fitch. Si celle-ci est considérée comme française depuis qu'elle appartient à Marc Ladreit de Lacharrière, elles ont des intérêts convergents. Outre qu'elles ont des actionnaires communs, elles sont souvent juges et parties. C'est un peu comme si un participant d'une compétition sportive s'arrogeait le droit de qualifier le jeu de ses compétiteurs et adversaires sans en référer à l'arbitre.

L'imagination européenne est restreinte, lorsqu'elle se limite à des politiques d'austérité, au mépris de l'intelligence collective et du respect de l'environnement. Les agences de notation avaient produit des tensions néfastes dans les années trente en Grèce par exemple. Aucune d'entre elles n'a vu venir la crise des subprimes en 2008. Les algorithmes sophistiqués de la finance ont accru la dépendance des banques les unes envers les autres.

Pourtant, c'est à ce moment-là que nous avons entendu parler d'elles, du triple A, soudain devenu l'alpha et l'oméga de la gestion publique. La notation d'un pays par une agence de notation a-t-elle la moindre conséquence sur la réalité de la dette publique ? Les experts ont reçu une excellente formation, mais confier à deux analystes la notation d'un pays, est-ce raisonnable ? On ne le ferait pas pour une entreprise ! (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx approuve)

Quelle valeur accorder à la notation des agences ? Alors que le maintien du triple A est apparu un temps comme un objectif prioritaire de notre politique budgétaire, nous l'avons perdu et pourtant nous bénéficions de taux d'intérêt négatifs. La dette publique française est particulièrement bien jugée sur la planète finance et une banque suisse est intervenue pour faire baisser ces taux.

La mission commune d'information propose de confier le contrôle des agences de notation à la nouvelle entité européenne des marchés financiers. Il faudrait concevoir un outil de notation indépendant des marchés. C'est le cas de la Banque de France, dont l'indépendance est garantie. Il en va tout autrement des agences de notation, toutes rattachées à des sociétés cotées. Au moment où le gouverneur restructure son institution pour supprimer 2 500 postes de travail, cela doit nous interpeller. (Applaudissements sur les bancs CRC et de la commission)

M. François Fortassin .  - Je félicite la mission commune d'information menée par Mme Espagnac et M. de Montesquiou.

Il a fallu qu'on attende la crise des subprimes en 2008 pour s'apercevoir de l'existence des agences de notation. Sont-elles utiles ? Oui ! Si je vais voir le Crédit agricole, un fondé de pouvoirs analysera la capacité de mon entreprise à rembourser. Sur les marchés obligataires, il est évident que les agences de notation sont utiles. Sont-elles crédibles ? Catégoriquement non ! Leurs analystes font preuve d'un grand amateurisme. Que d'errements ! Ceux que j'ai rencontrés étaient cravatés comme des notaires de province et au garde-à-vous devant leurs chefs. Ce sont des plantes de serre qui ne résistent pas à la gelée alors qu'il faudrait des chênes de plein vent.

Il y a trois agences -je ne parle pas d'une obscure agence bulgare-, toutes américaines. On peut douter de leur objectivité. Une agence européenne ? Oui, si elle n'est pas rachetée par une agence américaine au bout de quelques mois.

Je veux pousser un coup de gueule : j'ai appris cet après-midi que le Crédit immobilier de France, qui a tellement fait pour l'accès à la propriété, a des fonds propres à hauteur de 2,4 milliards.

M. Alain Fouché.  - Avec une bonne gestion !

M. François Fortassin.  - Oui. Et là, au prétexte que Moody's l'a dégradé, il va disparaître. C'est scandaleux ! (On approuve vigoureusement)

Je n'ai rien d'un boutefeu, mais s'il fallait acheter une corde pour pendre quelqu'un, je l'achèterais immédiatement. (Applaudissements unanimes)

Mme Leila Aïchi .  - La crise financière que traverse le monde depuis la crise des subprimes ne cesse de défrayer l'actualité. La psychose collective de la perte du triple A a projeté les agences de notation comme des acteurs incontournables. Ce marché est oligopolistique. Ces organismes privés sont tous situés à New-York. Ils portent une conception anglo-saxonne de l'économie, tandis que les projets du français Coface et de l'allemand Roland Berger n'ont pas abouti.

Quelle est la légitimité de ces agences eu égard à leurs responsabilités ? Leur omnipotence pose problème. La crédibilité exige un contrôle démocratique. Les États-Unis, le Japon, la France ont perdu leur triple A -et pourtant empruntent à taux bas. L'Allemagne, meilleur élève économique de la zone euro, est placée sous surveillance.

Bref, ces acteurs à la légitimité discutable privilégient une vision anglo-saxonne de la finance, aggravée par la problématique des CDS. Ce produit financier dérivé n'est soumis à aucun contrôle public. Inventé en pleine période de dérégulation, il doit permettre au détenteur d'une créance de se faire indemniser au cas où l'émetteur d'une obligation fait défaut. On comprend ainsi comment la dégradation des notes qui minent la dette souveraine des Etats joue en faveur des spéculateurs.

Enfin, l'indépendance des agences est compromise par le modèle émetteur- payeur que les agences ont substitué progressivement au modèle investisseur-payeur. Cela a aggravé les risques de conflit d'intérêt et explique que Vivendi Universal ait été estampillé AAA deux semaines avant de faire faillite et Lehman Brothers deux jours avant son effondrement.

L'opacité du fonctionnement des agences de notation est loin de faire l'unanimité parmi les acteurs économiques. Les grandes agences de notation exercent un oligopole. La crédibilité de ces organismes privés est en question. La perte d'un ou plusieurs crans entraîne des conséquences désastreuses sur l'emploi.

L'Europe doit se doter de ses propres instruments de contrôle. Il faut renforcer l'Autorité européenne des marchés financiers, l'Autorité bancaire européenne et l'Autorité européenne des assurances. Oui au contrôle démocratique, oui à l'Europe, oui au TSCG ! (Applaudissements sur un certain nombre de bancs socialistes et RDSE)

M. Vincent Delahaye.  - C'est bon pour le traité, ça !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx .  - Vice-présidente de la mission commune d'information, je me suis passionnée pour ses travaux. Je remercie la présidente et le rapporteur pour ce travail collégial consensuel, qui a abouti à un rapport adopté à l'unanimité.

Nous proposons l'obligation pour les agences de notation de respecter un calendrier et de souscrire une assurance civile professionnelle. L'influence des agences de notation est démesurée. Comment les recadrer ?

Avec la mondialisation de la finance, les profits des agences de notation se sont accrus de manière spectaculaire. La notation financière s'est imposée comme incontournable. Le principe de l'émetteur-payeur leur confère un rôle de quasi-régulateur. Leurs méthodes sont opaques, leur réactivité est insuffisante. Elles sont parfois aveugles, voire incompétentes.

La crise a révélé leur opacité, leur manque d'anticipation, leur insuffisante anticipation, leur légèreté parfois. Elles ont amplifié la spéculation.

Les agences de notation justifient a posteriori des positions spéculatives, selon le modèle des prophéties auto-réalisatrices. La puissance publique elle-même leur a donné un statut d'auxiliaire de service public. Avec trois lettres, A, B, C, elles font trembler la planète finance.

L'intérêt supérieur de la Nation est en jeu. Le pouvoir politique ne peut y être indifférent. Les agences de notation sont des prestataires de services. Leur pouvoir est déraisonnable, quant à la notation des dettes souveraines. On ne peut appliquer les mêmes critères au corporate et au souverain. Il faut mettre fin au principe de l'émetteur-payeur et revenir à l'investisseur-payeur : ce modèle ne subsiste que pour les plus petites agences.

La question de la légitimité de la notation du souverain ne se pose que depuis 2009. Les États peuvent lever l'impôt, créer de la monnaie : cela en fait un investissement sûr ! La notation doit prendre en compte la capacité d'un État à rembourser sa dette, mais aussi de sa volonté de le faire. La notation repose donc sur des éléments politiques et institutionnels ; l'appréciation est très largement qualitative. La grille, la méthode de notation ne peut être la même que pour le corporate.

Les États ne demandent pas la notation ; le défaut d'un État est très rare. La notation souveraine, subjective et hétéroclite, devient procyclique. Les agences de notation non aucune légitimité à noter les États ; elles n'en ont d'ailleurs pas les moyens. On ne note pas la France à deux, par conférence téléphonique ! La notation souveraine ne saurait relever d'une simple opinion : il faut pouvoir entrer dans la structure d'un budget, évaluer les dépenses productives, etc. C'est au-dessus des moyens des agences de notation.

Celles-ci se sont pourtant arrogé le droit de noter les États -surtout les États européens. Pour l'Union européenne, 27 notes ; pour les États-Unis, une seule alors qu'on connaît la situation d'un État comme la Californie... Derrière, il y a le financement de l'économie. Je souhaite une montée en puissance de la BCE. Le changement de majorité remet-il en question l'action de vos prédécesseurs ? (Applaudissements à droite et au centre)

M. Yannick Botrel .  - Ce débat est aussi opportun qu'important. Je salue le travail de la mission commune d'information. La crise financière a mis à jour les failles du système financier et son interdépendance. Facteur aggravant : notre dépendance aux agences de notation, oracles tout-puissants des temps présents. C'est l'année dernière, quand l'une de ces agences a dégradé la note de la France, que les médias se sont intéressés à leur rôle. Dans une économie globalisée, où les États se financent sur les marchés, rien de surprenant. La dette de l'État français est désormais exclusivement émise sur les marchés.

L'évaluation donne aux agences de notation un semblant d'autorité scientifique. La mauvaise note peut pourtant aggraver les difficultés, déclenchant un cercle vicieux : c'est un pouvoir qui peut être mortifère. Une erreur technique de Standard and Poor's se répercute immédiatement sur les taux supportés par la France ! Les conséquences sont lourdes, pour les États ou les entreprises, sans que la responsabilité des agences de notation puisse être mise en cause. Moody's contractualise ainsi selon le droit britannique, plus favorable à cet égard.

Qui peut garantir l'indépendance des agences de notation, l'absence d'éventuels conflits d'intérêts ? En matière de transparence et de rigueur, on peut mieux faire. Les régulateurs publics n'ont pas de moyen d'ingérence dans les méthodes utilisées. Les accords de Bâle ont paradoxalement renforcé le rôle des agences. Leur toute-puissance doit être stoppée. La notation doit rester consultative. Mais une fois un système institutionnalisé, difficile de s'en affranchir.

Les trois principales agences détiennent 95 % du marché. L'Europe doit se doter rapidement de sa propre agence. Une convergence réglementaire permettrait à l'AEMF de jouer pleinement son rôle ; la BCE doit investir davantage sa fonction d'expertise. Oui à une agence européenne. La diversification des sources limiterait les erreurs. La notation ne doit plus être obligatoire, mais consultative.

Il faut en outre encadrer les conflits d'intérêts entre agences et entités notées.

Enfin, un État ne doit pouvoir être noté sans que la représentation nationale soit impliquée. Les règles doivent être renforcées. Les agences de notation doivent apporter un service d'informations, nous ne leur demandons pas d'opinion politique. D'où l'exigence de transparence, et de responsabilité. Je me félicite de la volonté du Gouvernement de mettre en place cette agence publique.

On ne peut qu'approuver les propositions du rapport de la mission commune d'information. Il s'agit de relativiser le rôle des agences de notation, de restaurer la primauté de l'expression démocratique des peuples sur un pouvoir exorbitant détenu par un petit nombre. (Applaudissements à gauche)

M. Vincent Delahaye .  - Beaucoup de choses ont été dites. Je suis heureux que la proposition du groupe UCR de créer une telle mission ait été reprise.

Pendant des années, vivre à crédit ne posait problème à personne. Les dettes s'accumulaient, dans l'insouciance, mais les agences de notation ne s'en souciaient pas : les notes restaient bonnes. L'idée du défaut d'un État n'effleurait personne. Pourtant, l'expérience des années 30 aurait dû faire réfléchir. Les fiascos d'Enron, de Lehman Brothers, ont changé la donne. La crise grecque est due largement à cette carence d'anticipation et de mesures. Le Sénat américain s'est penché sur la question des agences de notation en 2011.

Il ne s'agit pas de supprimer les agences : ce n'est pas en cassant le thermomètre qu'on guérit le malade. Le problème est celui de la concentration des trois agences.

Une agence publique avec de l'argent public ? Nous n'en avons pas les moyens. Quelle serait en outre son indépendance ? Une telle agence va-t-elle dégrader la note de la France ou de l'Allemagne ?

Qui trop embrasse mal étreint : le problème de la notation est la concentration du marché. Il faut ramener la notation à sa juste place : une opinion, pas une parole d'évangile.

Quelques solutions de bons sens pour nous désintoxiquer de notre addiction à la notation, inspirées par le rapport de la mission comme par l'Institut Montaigne : mettre fin à l'oligopole, renforcer la transparence, instaurer un principe de responsabilité des acteurs. Supprimons autant que possible l'obligation légale de recourir à la notation.

Pourquoi ne pas renforcer la concurrence, avec une agence européenne, qui corrigerait le biais américain ? Il faut revoir les ressources humaines des agences, leur méthodologie, faire connaître les infractions commises, dans la presse économique, aux frais des agences coupables.

Il faut passer du modèle émetteur-payeur au modèle investisseur-payeur. Il convient de réinternaliser le contrôle des risques au sein des établissements de crédit, pour éviter de trop dépendre des agences de notation. Il faut instaurer une plate-forme de notation, qui offrirait une vue d'ensemble : on pourrait comparer les notes des agences et leur performance. L'idée d'un calendrier des notations souveraines est également bienvenue. Autant de propositions pragmatiques et réalistes pour réglementer un secteur dont, malheureusement, nous ne pourrons nous passer. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean Bizet .  - À mon tour de saluer cet excellent travail, qui atteste de l'intérêt que le Sénat porte à cette question essentielle. Depuis la crise des subprimes, les limites des agences de notation ont été pointées du doigt. Leur rôle d'accélérateur de la crise -en Grèce notamment- est apparu. Mais nous restons dépendants des agences de notation... Chaque annonce fait trembler les gouvernements et influe sur la stabilité de la zone euro. On est passé d'un financement de l'économie par les banques à un financement par les marchés -totalement globalisé. Les agences de notation sont devenues des quasi-régulateurs. Les notes ne sont plus de simples opinions mais influent sur le taux des emprunts et la crédibilité de l'émetteur. La transparence des méthodes d'analyse n'a jamais été exigée ni encadrée. Quelques propositions : un système de certification professionnelle des agences ; l'organisation de leurs missions pour éviter les conflits d'intérêt sur les produits structurés, l'émission de contrat de droit anglo-saxon, l'intrusion dans les opérations de fusion-acquisition. Oui à la responsabilité des agences, à la consultation des commissions des finances des parlements nationaux. L'absence de concurrence sur le marché de la notation frise l'abus de position dominante : l'émergence de nouveaux intervenants serait bienvenue. Je suis pour une agence européenne, privée, de taille mondiale, impartiale.

Je me réjouis que le président Barroso ait été interpellé sur les propositions du rapport, comme le permet le traité de Lisbonne, même s'il ne se montre guère réactif comme je l'ai constaté lorsque je l'ai moi-même saisi à propos de l'aide alimentaire... Le lien avec la Commission européenne est d'autant plus pertinent que le projet du Sénat va dans le sens du projet Barnier. S'il faut saluer la volonté du président Obama de moraliser la finance américaine avec le Dodd-Frank Act, sa mise en oeuvre n'est pas encore effective... Il faudra harmoniser les règles au niveau mondial. La régulation, la réciprocité dans les échanges sont autant de défis pour la France. L'urgence, c'est maintenant ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances .  - Merci pour vos travaux, qui enrichissent la position du Gouvernement dans la négociation européenne et internationale

Le vrai sujet, c'est le contrôle du risque, la juste place de la finance, son emprise excessive sur l'économie. La réflexion sur le rôle des agences de notation doit donc s'insérer dans une stratégie plus complète. Nous y travaillons. Les agences de notation ne sont qu'une pièce du puzzle.

Au G20, à Bruxelles, la France est l'un des États les plus volontaristes. Nous espérons faire mieux que le précédent gouvernement, madame Des Esgaulx. Il faut rassembler nos partenaires autour d'un compromis exigeant. Des progrès ont été réalisés depuis 2009. Depuis 2011, les travaux du G20 de Los Cabos mettent l'accent sur la réduction de la dépendance mécanique des acteurs à la notation.

Le G20 de juin 2012 a aussi souhaité accroître la transparence et la concurrence. Un règlement européen de 2009 a fait sortir la régulation des agences d'un no man's land, mais il faut encore approfondir le cadre de la régulation, en menant la renégociation de ce texte, actuellement en cours. Le Parlement européen s'est prononcé en juin ; ses positions sont ambitieuses, en matière de concurrence, de responsabilité civile, de réduction de la dépendance à la notation. Nous sommes donc en phase de « trilogue » -excusez le jargon !

La France recherche un compromis ambitieux -il s'agit de convaincre nos partenaires.

Au sein du Conseil, les États membres se sont mis d'accord pour réduire la dépendance à la notation, mettre en place un régime de responsabilité civile -un peu moins ambitieux que celui que vous proposez, mais qui demeure exigeant. Nous avons obtenu que le texte européen prévoit un régime strict -sans aller jusqu'à interdire la clause limitative de responsabilité.

Autre sujet, l'encadrement des notations souveraines. Les discussions se sont concentrées sur les horaires et modalités de publication des notations. Les « surprises » des calendriers de notation sont à craindre -mais d'autres États membres sont réticents sur le sujet. Un compromis doit pouvoir être trouvé. Le règlement européen sera étendu aux perspectives de notation. Un travail a été accompli sur l'indépendance des agences, les conflits d'intérêts, la transparence. Les propositions vont dans votre sens.

La qualité des analystes et la formation vous inquiète à juste titre. Un accord a été trouvé sur la concurrence : l'obligation pour les émetteurs de changer d'agence tous les quatre ans va dans le bon sens. Reste à européaniser le système... avec de nouveaux acteurs.

La publication des notations de banques centrales et des banques commerciales est intéressante, mais nécessite d'être techniquement approfondie.

Un rapport sur le financement des agences sera prochainement publié. L'idée d'une plate-forme rassemblant les informations sur les produits structurés a été soutenue sans succès par la France en 2010. Les propositions actuelles pour favoriser la contre-expertise vont toutefois dans le bon sens.

La négociation européenne avance, sous l'impulsion de la France, il s'agit de dégager des compromis. La proposition d'agence européenne, soutenue par la France, est rejetée par une majorité écrasante de nos partenaires -a fortiori si cette agence devait être financée sur fonds publics.

M. Bocquet s'inquiète des moyens effectifs employés par les agences de notation pour évaluer la dette des États. La France a obtenu que l'AEMF se penche sur cette question. Monsieur Fortassin, l'exemple du CIF est bien choisi : le moment de la dégradation a créé un choc. Hélas le problème n'est pas entièrement là. Le modèle économique et financier du CIF était condamné. Sans dépôt, même bien capitalisée, une banque ne peut survivre.

Je m'emploie à ce que les personnels trouvent une solution -il y aura une garantie d'État- et que l'activité utile soit reprise. Je rencontre demain la Fédération française des banques.

Mme Aïchi a souligné les défauts du mode de financement des agences. Je partage cette analyse, mais les alternatives ne sont pas faciles à trouver. La Commission européenne prépare un rapport sur le sujet. Oui à davantage de transparence !

Madame Des Esgaulx, il faut en effet se désintoxiquer de la notation par les agences. Je suis sensible à la qualité de la signature de la France, qui doit être crédible : nous voulons tenir les 3 %, pour ne pas subir des taux insupportables. Nous ne voulons pas une France serve mais une France souveraine ! Le Gouvernement poursuit l'action de son prédécesseur et au moment où il faut progresser dans l'intégration européenne, nous entendons faire mieux.

Je salue le rôle de la BCE. L'intégration européenne a progressé. Le Gouvernement plaide pour des avancées sur les agences de notation avec conviction.

Monsieur Botrel, la future directive comporte des avancées réelles en matière de responsabilité et s'inspire d'ailleurs de la réglementation française. C'est un compromis, nous ne baissons pas les bras ! Il en va de même pour l'agence européenne.

Monsieur Delahaye, le Gouvernement partage l'objectif de renforcer la concurrence dans le secteur, et la transparence. Mais cela ne passe pas par une décision administrative, mais par l'arrivée de nouveaux acteurs pour sortir de la situation oligopolistique d'esprit anglo-saxon.

Monsieur Bizet, l'AEMF exerce déjà un contrôle de la formation des analystes. Il faut aller plus loin encore.

Je salue la qualité de vos travaux, formidablement consensuels. Ses résultats seront très utiles à la démarche du Gouvernement. Merci de votre soutien. (Applaudissements)

Prochaine séance mardi 9 octobre 2012, à 14 h 30.

La séance est levée à minuit cinq.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du mardi 9 octobre 2012

Séance publique

À 14 HEURES 30 ET LE SOIR

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à la suspension de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A (n° 27, 2011-2012)

Rapport de Mme Patricia Schillinger, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 8 2011-2012)

Texte de la commission (n° 9, 2011-2012)

Projet de loi autorisant la ratification de la convention du travail maritime de l'Organisation internationale du travail (n° 376, 2011-2012)

Rapport de M. André Trillard, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 4, 2012-2013)

Texte de la commission (n° 5, 2012-2013)

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation du protocole additionnel à l'accord de partenariat et de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil, relatif à la création d'un centre de coopération policière (n° 3, 2011-2012)

Rapport de M. René Beaumont, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 694, 2011-2012)

Texte de la commission (n° 695, 2011-2012)

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale du Nigéria (n° 352, 2011-2012)

Rapport de M. Jean-Paul Fournier, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 413, 2011-2012)

Texte de la commission (n° 414, 2011-2012)

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure, de sécurité civile et d'administration (n° 498, 2011-2012)

Rapport de M. René Beaumont, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 696, 2011-2012)

Texte de la commission (n° 697, 2011-2012)

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Géorgie relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure (n° 524, 2011-2012)

Rapport de M. Raymond Couderc, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 698, 2011-2012)

Texte de la commission (n° 699, 2011-2012)

Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social

Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant création des emplois d'avenir

Rapport de M. Claude Jeannerot, rapporteur de la commission mixte paritaire (n° 1, 2012-2013)

Texte de la commission (n° 2, 2012-2013)