Harcèlement sexuel (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif au harcèlement sexuel. Étant donné la modification à l'ordre du jour, ce débat ne saurait dépasser minuit et demi.
À la suite de l'invalidation par le Conseil constitutionnel de la disposition de notre code pénal réprimant le harcèlement sexuel, le Sénat a mené un travail approfondi pendant la suspension des travaux en séance publique. Sept propositions de loi ont été déposées et un groupe de travail associant la commission des lois, la commission des affaires sociales et la Délégation aux droits des femmes a établi un rapport après avoir procédé à de nombreuses auditions. Je remercie le Gouvernement d'avoir pris en compte ces initiatives sénatoriales lorsqu'il a déposé son projet de loi relatif au harcèlement sexuel sur le bureau de notre assemblée.
Le texte établi par la commission des lois constitue une synthèse des travaux menés par ce groupe de travail...
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Tout à fait !
Mme la présidente. - ...et je tiens à en féliciter M. Alain Anziani, rapporteur du projet de loi, ainsi que l'ensemble de nos collègues qui se sont impliqués sur ce sujet.
Discussion générale
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice . - (Applaudissements à gauche) Dans le fait que nos travaux sont placés sous votre présidence, madame la présidente, je vois un symbole important au regard du texte que nous allons examiner.
Le Conseil constitutionnel a, le 4 mai, abrogé la loi relative au harcèlement sexuel. Placés devant ce vide juridique, nous avons voulu agir vite pour mettre un terme à cette impunité conjoncturelle. Les victimes seront mieux défendues mais, comme les peines seront plus sévères, il n'y aura pas de rétroactivité possible. Nous avons voulu que ce texte soit juridiquement sans reproche.
Le Sénat a saisi l'urgence de la situation. Dès le mois de mai, sept propositions de loi ont été déposées et un groupe de travail constitué. Je tiens à vous en remercier. La commission des lois a adopté à l'unanimité le projet de loi. M. Anziani, Mme Demontès et Mme Gonthier-Maurin ont apporté leur soutien à ce texte important car il est question de la dignité de la personne. Le harcèlement sexuel est un harcèlement de genre. Le sujet est universel : le succès du film de Mohamed Diab, Les Femmes du bus 618, en témoigne.
Une enquête nationale en 2000 a montré que le nombre de femmes harcelées est important. En Seine-Saint-Denis, 22 % des femmes se disent victimes de harcèlement sexuel, selon une étude menée en 2007 par le conseil général.
Ce texte n'est ni misérabiliste, ni victimaire. Le délit de harcèlement sexuel est entré dans le code pénal en 1994. La rédaction initiale faisait référence au rapport hiérarchique. La loi de 1998 a modifié la définition afin de réprimer les comportements qui imposaient des contraintes insupportables. À côté du harcèlement sexuel, le droit du travail interdisait les discriminations entre hommes et femmes. Le 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité par la Cour de cassation, a estimé que les éléments constitutifs de l'infraction n'étaient pas suffisamment définis. Le 10 mai, la Chancellerie a adressé une circulaire aux parquets en leur demandant de requalifier les faits en violences volontaires, harcèlement moral ou agression sexuelle, quand cela était possible. Le 7 juin, j'ai adressé aux parquets une circulaire au sujet des procédures en cours.
Les contempteurs de cette loi dénonçaient ce qu'ils considéraient comme une judiciarisation des relations personnelles. À quoi la chambre criminelle de la Cour de cassation a répondu qu'une attitude de séduction même dénuée de tact ne saurait être qualifiée de harcèlement sexuel.
À partir de 2004, le nombre de condamnations est passé d'une trentaine par an à 60 ou 70. La durée moyenne de l'instruction pour ces délits est de 27 mois. La peine d'emprisonnement a été prononcée dans 78 % des cas soumis à jugement, mais assortie d'un sursis dans presque tous les cas ; il n'y avait que 3 ou 4 condamnations à de la prison ferme. Les amendes s'élevaient, en moyenne, à 1 000 euros. La réalité sociologique du harcèlement sexuel dépasse sans doute sensiblement ces chiffres. Depuis 2003, 20 à 30 % des procédures font l'objet d'un classement sans suite pour inopportunité, et 30 % des affaires se soldent par un simple rappel à la loi.
Depuis le 4 mai, les parquets ont procédé à la requalification lorsque cela a été possible. Dès que cette loi aura été adoptée, une circulaire leur sera adressée, afin que le harcèlement sexuel ne soit pas utilisé pour déqualifier les agressions sexuelles ou le viol.
J'en viens au projet de loi qui poursuit trois objectifs : donner une définition propre à couvrir l'ensemble des situations, prévoir une répression adaptée en cohérence avec toutes les infractions sexuelles, identifier des circonstances aggravantes. Cela suppose de modifier le code pénal et le code du travail.
La définition de la directive européenne n'a pas été reprise telle quelle puisqu'elle n'est pas de nature pénale. Nous avons retenu des termes objectifs plutôt que de nous appuyer sur le ressenti des victimes, qui peut facilement être contesté. De même, le Gouvernement s'est inspiré des propositions de loi du Sénat et des auditions menées par votre groupe de travail.
Le harcèlement suppose une réitération, mais le fait unique, particulièrement grave, doit aussi être sanctionné. Il fallait donc prévoir deux définitions différentes.
Le harcèlement sexuel simple est prévu par l'alinéa 1 de l'article premier bis. Nous avons eu à l'esprit le propos de Mme Klès sur le supplice de la goutte d'eau. S'il appartient à la victime d'apporter la preuve des faits, elle n'a pas à prouver sa résistance à ces faits de harcèlement. Nous précisons que, lorsque les faits prévus à l'alinéa premier sont assortis de pressions, il s'agit de circonstances aggravantes. L'alinéa 2 prévoit le cas de l'acte unique, chantage sexuel, soit le fait d'user de menaces, de contraintes ou d'ordres dans le but d'obtenir une relation de nature sexuelle.
La commission des lois a repris notre définition initiale tout en la simplifiant, selon une double définition qui permet de couvrir l'ensemble des faits de harcèlement et préconisant la même peine de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende pour l'un et l'autre cas.
Le Gouvernement propose d'aggraver les peines lorsque les faits sont commis par un supérieur hiérarchique, lorsque la victime est un mineur de 15 ans, qu'elle est particulièrement vulnérable ou lorsque les faits sont commis en réunion. Les peines encourues sont alors de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende. Les discriminations seront aussi réprimées ; le code pénal doit donc être complété de même que le code du travail.
Le Gouvernement souhaite lever les obstacles au dépôt de plainte afin que les faits cessent le plus rapidement possible. Il propose que la minorité de 15 ans soit conçue comme une circonstance aggravante. Le Sénat s'est demandé pourquoi les jeunes de 15 à 18 ans n'étaient pas visés. Le seuil de 15 ans date de l'ordonnance de 1945. Un mineur de plus de 15 ans a le droit d'avoir des relations sexuelles librement consenties. En 1810, c'était 11 ans, seuil porté à 13 ans en 1865. La législation fixe donc le seuil à 15 ans. La cohérence de notre droit pénal justifie de conserver ce seuil. Pour les mineurs de plus de 15 ans, qui seront généralement des stagiaires, l'abus d'autorité pourra être retenu.
Votre commission a également voulu retenir la vulnérabilité économique et sociale. Cette appréciation peut être porteuse d'a priori idéologique. Il appartiendra à l'accusation de démontrer que cette vulnérabilité a favorisé le déclenchement du harcèlement sexuel.
Le Conseil constitutionnel a invalidé le texte pour non-respect du principe de légalité. Le Gouvernement a donc tenu à prendre toutes les précautions juridiques ; il s'est félicité de l'avis favorable émis par le Conseil d'État. Ce texte sera enrichi par votre assemblée. Le Gouvernement est ouvert à la discussion.
Si le harcèlement sexuel se trouve dans notre doit pénal depuis 1992, des textes sur les « bonnes moeurs » existent depuis les lois de 1874 et de 1892 XIXe siècle.
En 1905, à Limoges, des ouvrières se sont mises en grève contre le contremaître de l'usine Havilland à qui elles reprochaient de pratiquer un droit de cuissage. Elles ont introduit l'idée de dignité de la personne dans un conflit et elles ont ouvert les yeux de la société à ces phénomènes. C'est bien souvent la combativité des femmes qui permet de faire évoluer le droit.
Notre travail, aujourd'hui, nous permettra, je n'en doute pas, d'avancer. Nous allons devoir répondre à de multiples interrogations au cours de cet examen. Comme disait Stendhal, l'admission des femmes à l'égalité parfaite serait le signe le plus sûr de la civilisation. (Applaudissements à gauche et sur certains bancs à droite et au centre)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Vive Stendhal !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes . - En 2007, un avocat du barreau de Paris rappelait une parole de victime après le jugement : « cela vaut la peine, la justice m'a rendu justice ! ».
Pourtant, le 4 mai, le Conseil constitutionnel a abrogé la loi sur le harcèlement sexuel. Je veux soutenir les femmes qui ont vu leur action s'éteindre brusquement, sans recours ou presque. Certes, Mme le garde des sceaux a demandé à ce que ces délits soient requalifiés, mais cela n'a pas toujours été possible. Cette situation nous oblige.
Le Sénat a été à la hauteur de cette ardente obligation, dès le 4 mai (M. le président de la commission des lois remercie) : sept propositions de loi, un groupe de travail qui a entendu en un temps record une cinquantaine de personnes. Je salue ce travail remarquable conduit dans un climat consensuel.
Le harcèlement sexuel est un fléau demeuré longtemps ignoré du code pénal, rappelle le président de la commission des lois. Aujourd'hui, en l'absence d'une instance capable de guider les pouvoirs publics, il faut remonter à l'enquête de 2000, suivie par quelques autres plus locales, comme celle de Seine-Saint-Denis. Quarante-cinq pour cent des femmes déclarent avoir entendu des blagues sexistes au travail et pour la moitié d'entre elles de façon répétée, 13 % ont subi des gestes déplacés, 9 % des avances sexuelles non désirées. Le harcèlement est une souffrance personnelle, mais aussi un fardeau collectif évalué à 250 millions d'euros par an (démissions, mutations, ruptures de contrat) selon une étude menée en Israël.
Depuis 2005, 1 000 procédures nouvelles sont enregistrées par an, mais plus de la moitié est classée sans suite, la plupart des peines d'emprisonnement sont assorties de sursis, les amendes se montent en moyenne à 1 000 euros. Pourtant, la démarche, pour les victimes, est lourde. Même sans la sanction du Conseil constitutionnel, il aurait fallu rouvrir le débat : sans respect, il n'est pas de justice dans une société.
Nous sommes donc tous convaincus de l'urgence, et avons le souci, avec Mme la garde des sceaux, d'agir vite, et de voir voter une loi efficace et applicable. Merci au président Sueur d'avoir accepté la procédure accélérée, et de n'y voir pas une mauvaise manière pour le Sénat. Nous voulons aussi un texte concerté : nous avons travaillé et continuons de travailler avec les associations, qui gardent quelques réticences. La commission des lois a permis de lever certaines de leurs interrogations, il faudra aller plus loin dans la pédagogie. La loi parfaite n'existe pas. Mais celle-ci sera un signal. Elle donnera lieu à une campagne de communication à l'automne. (M. Roland Courteau approuve)
Pour l'heure, je me réjouis du travail collectif mené avec vos commissions, qui a permis de construire le consensus sur la nécessité d'une approche globale, incluant le code pénal, le code du travail et le statut des fonctionnaires.
Consensus aussi sur la définition, inspirée du droit communautaire dans le respect de notre code pénal. Consensus, enfin, sur les sanctions et les circonstances aggravantes.
Comme ministre des droits des femmes, je veux insister sur trois points. Aucune situation ne doit rester hors du droit. Des faits non réprimés hier pourront l'être demain. Tous les actes qui instituent ce climat qui « pourrit la vie des femmes » selon les mots de Mme Tasca, le harcèlement quotidien aussi bien que le chantage sexuel, sans qu'il y ait de hiérarchie entre l'une et l'autre souffrance.
Le nouveau délit, avec ses circonstances aggravantes, s'inscrit dans notre échelle de peine globale. Certains les trouvent trop légères, mais il eût fallu revoir toute l'échelle : ce n'était pas le lieu. Peut-être faudra-t-il y revenir à l'avenir. Enfin, les discriminations liées au harcèlement seront désormais punissables.
Au-delà, l'accompagnement des victimes et la prévention sont indispensables. Je mobiliserai les réseaux d'information et d'accueil à cette fin, comme le souhaite votre Délégation aux droits des femmes. Il faut aussi mener un travail sur la prévention, les représentations et les stéréotypes.
Je l'ai évoqué au sommet social, ainsi que Mme Lebranchu. Mme Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, a également engagé une réflexion sur les procédures disciplinaires au sein de l'université. Nous avons souligné qu'il faudra beaucoup de détermination pour mener des actions concrètes de prévention et s'assurer de l'application de la loi. Mme la garde des sceaux et moi-même y serons, avec vous, attentifs. (Applaudissements à gauche)
M. Alain Anziani, rapporteur de la commission des lois. - Nous sommes les témoins d'une disparition rare, celle d'une infraction, et avec elle, de centaines, peut-être de milliers de procédures, plongeant les victimes dans la souffrance et l'incompréhension. Mais il était inévitable que le Conseil constitutionnel censure un délit qui, de texte en texte, avait fini par ne plus être défini que par une tautologie, contredisant le principe de légalité des délits et des peines figurant à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme.
Nous voici donc renvoyés à notre responsabilité de législateur : faire des lois claires.
Au-delà, il nous faut mieux appréhender ce phénomène mal cerné. Le harcèlement sexuel reste trop souvent assimilé à une mauvaise plaisanterie, à de la vulgarité machiste ou à une forme maladroite de galanterie. Sur 1 000 procédures annuelles, on n'aboutit qu'à quelque 70 à 90 condamnations. Peu de procédures, donc, parce qu'il est difficile pour la victime de porter plainte et parce qu'il est ensuite difficile d'apporter la preuve.
Notre mission : refonder une incrimination. Pour cela, nous disposons de cinq directives communautaires, de la convention du Conseil de l'Europe, des sept propositions de loi du Sénat, qui ne sont pas l'effet d'une frénésie, mais d'un réel intérêt.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Absolument.
M. Alain Anziani, rapporteur. - S'y ajoutent les travaux du groupe de travail, de la Délégation aux droits des femmes... Première observation : l'infraction requiert une nouvelle définition. L'infraction suppose des pressions répétées, et des dommages. Votre commission des lois, ce matin, a préféré le terme d'agissements à celui de comportements que portait le projet de loi, parce que plus précis et facilitant la preuve ; elle a également préféré renoncer à la notion d'environnement, issue du droit communautaire : un terme anglo-saxon, moins adapté à notre droit que celui de situation.
J'estime, pour ma part, que le terme d'environnement n'est pas si étranger à notre droit et pouvait être maintenu, d'autant que le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation m'a affirmé qu'il n'y avait pas de difficulté majeure d'interprétation.
Une fois précisée cette forme de harcèlement, bien des actes restent non couverts. Le terme de chantage sexuel, déjà présent dans le débat de 1992, n'avait in fine pas été introduit dans la loi. Si bien que depuis vingt ans, le débat se poursuit sur l'acte unique : est-il ou non assimilable à un harcèlement ? Selon le droit, non mais dans les faits, oui !
Avec Mmes Tasca et Klès, nous voulions donc introduire ce terme de chantage sexuel : la commission des lois, ce matin, ne nous a pas suivis.
Autre interrogation : l'alinéa sur l'acte unique porte-t-il des risques de déqualification d'agressions sexuelles ou de viol en simple harcèlement ? Je ne le crois pas. L'agression suppose passage à l'acte, donc contact physique : on sort du harcèlement. Je prends acte de la déclaration de Mme la garde des sceaux, qui annonce une circulaire de clarification.
Quelle peine fixer ? Nous estimons qu'il n'y a pas à hiérarchiser les souffrances, et avons donc retenu la même peine pour les actes répétés et l'acte unique : deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.
Reste le problème général de l'échelle des peines dans notre code, devenu incohérent puisque les agressions contre les biens sont punies plus sévèrement que contre les personnes. Mais ce n'était pas ici le lieu d'y revenir.
Sur les circonstances aggravantes, nous y reviendrons au cours de nos débats. Mais j'invite à considérer, en tout cas, la cohérence de l'ensemble du code pénal. Ainsi de la minorité de 15 ans, âge retenu pour la majorité sexuelle. Il serait choquant qu'un viol sur un mineur de 16 ans ne soit pas retenu comme une circonstance aggravante, mais un harcèlement sexuel oui. La commission des lois a, ce matin, émis un avis défavorable à l'amendement introduisant la notion de vulnérabilité économique, qui pouvait mettre les juridictions en difficulté pour en cerner la notion. Il faudra continuer d'y réfléchir : une personne en situation de précarité est une victime toute désignée. Reste enfin la question de l'orientation sexuelle : la commission des lois ne m'a pas suivi pour en faire une circonstance aggravante.
L'article 2 traite d'un autre cas : celui du harcèlement suivi de discrimination, essentiel à prendre en compte puisqu'il permet de mettre en cause non seulement l'auteur du harcèlement mais l'employeur. L'article 3, enfin, vise à transcrire la définition du harcèlement dans le statut de la fonction publique.
Je vous invite à adopter ce texte en gardant présent à l'esprit que comme toute loi, il devra s'accompagner d'un travail d'informations et de prévention. (Applaudissements à gauche)
Mme Christiane Demontès, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - Notre commission ne pouvait se tenir à l'écart de ce texte. Le harcèlement est multiforme, mais intervient souvent dans le cadre professionnel. Le code du travail est donc concerné. D'autant qu'il y va aussi de la qualité de vie au travail. La décision du Conseil constitutionnel du 4 mai a laissé les victimes dans le désarroi. Il fallait donc agir d'urgence. D'où les sept propositions de loi, qui montrent bien que l'objectif transcende les clivages politiques. Si le Gouvernement a choisi de déposer un projet de loi, c'est signe de sa mobilisation : le texte n'en tient pas moins compte de nos travaux, il est le fruit d'un travail conjoint.
Ce texte répond à l'exigence de précision dans la définition et retient une incrimination suffisamment large pour couvrir tous les cas. Le harcèlement peut avoir des conséquences dramatiques sur la santé des victimes. Il s'apparente parfois à un chantage sexuel. Ce texte retient cette double définition. Il ne fait plus de la recherche de faveurs sexuelles une condition, ce qui permettra aux victimes d'obtenir plus facilement justice. Le texte alourdit les peines encourues, portées à deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende, pour un effet dissuasif.
La discrimination sera condamnable : le licenciement d'une employée ayant refusé de se soumettre à des avances sera sanctionné.
Le projet de loi corrige également une erreur de recodification dans le code du travail, qui avait fait disparaître une sanction.
Mayotte est engagée dans un processus de départementalisation : ce texte propose donc d'inscrire ces articles dans le code du travail qui lui est propre.
Est enfin intégrée la définition du harcèlement sexuel au statut général des fonctionnaires.
Je salue le travail de la commission des lois, qui a retenu presque tous nos amendements. Nous voulons, au-delà, insister sur l'importance de la prévention. Les inspecteurs du travail, les délégués du personnel, doivent jouer tout leur rôle, de même que les services de santé au travail.
Nous aurions souhaité introduire dans les circonstances aggravantes la notion de vulnérabilité économique et sociale. La commission des lois ne nous a pas suivis, estimant que la notion était trop subjective. J'entends ces arguments, mais nous allons présenter un amendement car la prise en compte de la précarité est une question qui mérite débat.
M. Roland Courteau. - Très bien !
Mme Christiane Demontès, rapporteur pour avis. - La loi ne fait pas tout. Il faut mener une politique globale de prévention des violences faites aux femmes. Nous demandons la création d'un observatoire (« Très bien ! » sur quelques bancs socialistes) La prévention doit commencer dès l'école : c'est elle qui peut défaire les stéréotypes qui assignent filles et garçons à un modèle. Dans le monde du travail aussi représentants du personnel, délégués syndicaux et personnels d'encadrement doivent agir pour prévenir et détecter le harcèlement. Il ne faut pas oublier l'accompagnement de victimes et nous saluons le travail réalisé par les associations.
En attendant que soit définie cette politique globale, il est urgent de combler le vide créé par la décision du Conseil constitutionnel : notre commission vous incite donc à adopter ce texte. (Applaudissements à gauche et au centre)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la Délégation aux droits des femmes. - Le vide juridique créé est en effet choquant : il faut le combler au plus vite, pour ne pas laisser les victimes démunies ni envoyer un message d'impunité aux harceleurs.
Nos travaux nous ont fait beaucoup avancer dans la réflexion sur la lutte contre ce fléau social contre lequel la loi ne peut pas tout. La prévention compte pour beaucoup. L'étude de 2000 sur les violences faites aux femmes commence à dater, et les études partielles comme celle de 2007 en Seine-Saint-Denis montrent que les violences faites aux femmes sont loin de reculer. C'est pourquoi nous demandons le lancement d'une nouvelle enquête et nous plaidons pour la création d'un observatoire, capable de coordonner les politiques menées en ce domaine. Vous nous avez dit, madame la ministre, l'accueil favorable que vous réservez, à titre personnel, à ces recommandations. Quelles suites le Gouvernement entend-il lui donner ?
Troisième recommandation : veiller à ce que le délit de harcèlement ne soit plus utilisé pour déqualifier des agressions plus graves.
Nous demandons un dépistage et une prévention renforcés du harcèlement en donnant un rôle plus actif aux médecins du travail. L'enquête de 2007 a montré que les victimes se confient d'abord à leur médecin traitant : tous les professionnels de santé méritent donc d'être formés.
Les délégués du personnel ont aussi leur rôle à jouer, de même que les associations de défense des droits des femmes, qui devraient pouvoir ester en justice aux côtés des plaignants, au civil comme aux prudhommes : les syndicats ne réclament aucun monopole.
La fonction publique ne doit pas être oubliée, non plus que l'enseignement supérieur : un collectif a attiré notre attention sur la faiblesse des protections dont disposent les étudiants et doctorants. La composition des sections disciplinaires pourrait y remédier.
Le harcèlement sexuel est d'autant plus choquant dans le monde sportif où il touche des enfants et des adolescents vulnérables. En 2008, un plan de lutte avait été lancé par le ministère des sports avec le CNOSF. Il ne faut pas en rester là. Très en amont, dès l'école, il faut aussi lutter contre les stéréotypes de genre.
La Délégation souscrit à bien des solutions rédactionnelles retenues par notre groupe de travail. Elle recommande de retenir comme circonstance aggravante la vulnérabilité sociale ou économique et défendra des amendements en ce sens.
Notre Délégation a adopté ses recommandations à l'unanimité et souhaite que ce texte, associé à une politique de prévention, contribue à la lutte contre les violences faites aux femmes. (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois . - Les victimes, d'abord les victimes, uniquement les victimes, c'est ce qui nous a guidés au Sénat, dès la décision du Conseil constitutionnel connue, le 4 mai, car s'ouvrait un vide juridique douloureusement vécu par les femmes qui avaient engagé des procédures judiciaires depuis longtemps et qui voyaient toutes ces années de lutte anéanties.
Sans doute le Conseil constitutionnel a-t-il eu raison puisque la loi en vigueur était tautologique. Mais pour la garde à vue, le Conseil constitutionnel avait accordé un délai au législateur. Pas ici.
Madame la ministre, je vous remercie de nous avoir dit oui lorsque nous avons sollicité -cela ne se reproduira pas de si tôt- que le Gouvernement veuille bien déclarer la procédure accélérée afin que le vide juridique soit le plus court possible et qu'un nouveau texte de loi soit promulgué d'ici fin juillet.
Je remercie Mme Gonthier-Maurin et Mme David d'avoir accepté de constituer un groupe de travail, qui a mené un nombre important d'auditions et entendu toutes les associations, même si certaines estiment ne pas l'avoir été.
Notre texte porte la marque de leurs demandes. Nous avons reçu des syndicats, des magistrats, des juristes, 50 personnes au total. C'était nécessaire. Nous le devions aux victimes.
Notre tâche était difficile. Je ferai observer avec humour au Conseil constitutionnel qu'il est plus facile de déclarer inconstitutionnel un texte que de donner du harcèlement sexuel une définition qui corresponde à toutes les situations. Pourtant, nous y sommes parvenus en deux alinéas. Le premier traite de la pluralité des actes. On peut le critiquer, mais cette définition a le mérite d'être précise ; et plus elle l'est, plus on aide les victimes et plus le procès est équitable.
Certes, le harcèlement par définition suppose une pluralité d'actes. Pourtant, comme l'ont bien dit M. Anziani et Mme Demontès, il existe des cas nombreux d'acte unique grave, inacceptable, traumatisant, où l'embauche ou l'acceptation d'une demande de logement est subordonnée sous contrainte à tel ou tel acte. C'est pourquoi nous avons introduit un second alinéa. Risque-t-on, ce faisant, de permettre de requalifier un viol ou une agression sexuelle ? Faisons confiance aux magistrats. Si nous n'avions pas prévu cette circonstance, nous n'aurions pas répondu aux demandes des associations.
Dans le texte du Gouvernement, il y avait une sanction pour le harcèlement sexuel, et une autre pour l'acte unique. Cela ne convenait pas : il peut exister une pluralité d'actes moins graves qu'un acte unique insupportable -ou l'inverse. Nous n'avons ainsi retenu qu'une seule sanction.
Bien sûr, ce texte peut être enrichi et il le sera. Écrire la loi est un acte de grande dignité. Un seul mot, dans sa rédaction, peut changer la vie des victimes. Ainsi du terme de « connotation » qui, dans la langue courante, s'oppose à celui de « dénotation », qui définit strictement une chose, quand la connotation recouvre le halo des significations associées. Ici, l'acte à connotation sexuelle inclut la dénotation. Sinon, nous ne serions pas assez précis. Si nous avons en outre accepté que le mot « agissement » se substitue à celui de « comportement », c'est que magistrats et praticiens nous ont rappelé qu'il était difficile de sanctionner l'intention ; le mot « agissement » est plus concret et implique davantage la volonté.
Enfin, sur le terme d'« environnement », il y a un vrai débat. En sa faveur, il faut relever que ce terme revient dans la loi et la directive.
M. Jean-Jacques Hyest. - Il y a même un ministre de l'environnement. (Sourires)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Je ne suis pas sûr que son titulaire entende ce mot dans le sens dans lequel il est ici employé. (Sourires) Nous lui avons préféré celui de « situation », qui, renvoyant à des faits concrets, nous a semblé plus efficace.
Nul ne détient la vérité absolue mais nous voulons que le vide juridique soit comblé le plus rapidement possible et que soit proposée la meilleure définition possible par respect des victimes. Nous souhaitons continuer à travailler avec Mme la ministre de façon aussi constructive que ce fut le cas ici. (Applaudissements à gauche)
Mme Esther Benbassa . - Il faut voter sans délai ce texte pour combler le vide juridique créé par la décision du Conseil constitutionnel du 4 mai. Pour illustrer l'urgence, je veux évoquer devant vous un cas exemplaire. J'ai reçu il y a quelques jours une lettre d'une jeune universitaire. Elle m'y explique qu'agrégée doctorante et allocataire monitrice, elle a été victime, de novembre 2005 à avril 2006, de harcèlement sexuel et d'agression sexuelle. Son agresseur était maître de conférences. Après plusieurs semaines de calvaire quotidien, elle a trouvé la force de déposer une main courante. La procédure a été longue. Le procureur de la République, frappé par la gravité des faits, a ordonné une enquête et la police l'a incitée à se porter partie civile, ce qu'elle a fait en juin 2007. Son agresseur a été placé sous contrôle judiciaire puis mis en examen pour harcèlement sexuel et agression sexuelle par personne ayant autorité. Il a ensuite multiplié les manoeuvres dilatoires. Ce n'est qu'en mai 2010 que le juge a demandé son renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris. En novembre 2010, le procès a eu lieu : l'agresseur a été condamné à dix-huit mois de prison avec sursis et il a été inscrit sur le fichier Europol des délinquants sexuels. Il a fait appel. En avril 2012, la cour d'appel de Paris a réduit la peine à trois mois avec sursis mais l'a condamné pour harcèlement sexuel et moral.
La décision du Conseil constitutionnel me prive du bénéfice de ces années d'efforts et de souffrance pour faire reconnaître la réalité du harcèlement.
La commission de discipline de l'université a infligé un blâme à mon agresseur, sanction confirmée par le Cneser mais que l'agresseur a réussi à faire annuler par le Conseil d'État pour vice de forme. Le Cneser en formation disciplinaire -dans une composition qui manifeste l'existence de conflits d'intérêts- s'est à nouveau réuni et, prenant appui sur la décision du Conseil constitutionnel, a relaxé l'agresseur. N'étant que témoin dans cette procédure, la victime n'est pas habilitée à déposer un recours.
Tout est dit ! Elle m'a dit au téléphone que placée aujourd'hui dans la même situation, elle renoncerait à porter plainte. On comprend qu'il y ait si peu de plaignantes...
Au cours de ces dernières semaines, nous avons collaboré de façon exemplaire avec le Gouvernement et les associations. Mais le cas que je viens de citer illustre le décalage entre les décisions des tribunaux et celles de certaines instances disciplinaires.
La loi de 1983 sur la fonction publique protège les agents publics contre le harcèlement sexuel. Mais le vide juridique a permis à l'instance disciplinaire compétente de blanchir en toute bonne conscience l'agresseur et de lui éviter tout accroc de carrière. Comment faire coïncider la décision de l'instance disciplinaire avec le jugement pénal ? Le projet de loi ne répond pas à cette question. Une circulaire serait en outre bienvenue pour veiller à l'équité et prévenir les conflits d'intérêts au sein des instances disciplinaires. Pourquoi ne pas y prévoir un quota de membres venant d'autres administrations ?
La définition du harcèlement sexuel dans ce texte le met à l'abri d'une censure du Conseil constitutionnel. Elle permet aussi d'éviter diverses dérives, comme l'assimilation d'un conflit entre employeur et salarié à du harcèlement sexuel ou l'aseptisation caricaturale de la vie sociale que connaissent par exemple les universités américaines. Enfin, n'oublions pas que certains hommes sont victimes de harcèlement sexuel, dont les homosexuels, ainsi que les transsexuels ou les transgenres.
Mon groupe a déposé quelques amendements pour préciser un texte que, dans son ensemble, il approuve. (Applaudissements à gauche)
Mme Muguette Dini . - La décision du Conseil constitutionnel a été prise après une question prioritaire de constitutionnalité déposée par un harceleur, ancien député, ancien secrétaire d'État, qui était mis en cause par trois employées de sa mairie, mères de famille vivant seules. Condamné en première instance puis plus sévèrement en appel, il a saisi le Conseil constitutionnel lors de la cassation. Ses avocats ont estimé que la définition du harcèlement sexuel en vigueur permettait « tous les débordements et toutes les interprétations ». Le Conseil constitutionnel leur a donné raison en abrogeant l'article 222-33.
Cette abrogation a pris effet immédiatement. Le harcèlement est désormais pénalement licite, sauf à requalifier les faits. C'est d'ailleurs à quoi invite une circulaire de la Chancellerie aux parquets. En attendant, les harceleurs se retrouvent blanchis, dont celui que j'ai évoqué qui a fait dans sa mairie un retour triomphal... Et les personnes définitivement condamnées n'ont plus à exécuter leur peine. Le Conseil constitutionnel avait pourtant la possibilité de reporter dans le temps l'effet de l'abrogation...
M. Roland Courteau. - Absolument !
Mme Muguette Dini. - ...ce qu'il avait fait pour la garde à vue au regard des conséquences de sa décision, ou encore pour la loi sur les OGM. (On le confirme à gauche) Le Parlement a eu le temps de corriger le texte incriminé.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Tout à fait.
M. Roland Courteau. - C'est ce qu'il fallait faire !
Mme Muguette Dini. - La loi sur les OGM est-elle donc plus importante que celle sur le harcèlement sexuel ? Je n'ose imaginer que les membres du Conseil, en majorité des hommes, aient pu inconsciemment considérer que leur décision était sans conséquence ; ou que leur décision soit le reflet de l'opinion largement partagée que le harcèlement sexuel n'est pas si grave ; ou encore que les Sages aient considéré qu'il n'y avait pas mort d'homme... Mais n'y aura-t-il pas mort de femme, suicidée par désespoir de n'avoir été entendue ?
M. Christian Bourquin. - Vous avez raison !
Mme Muguette Dini. - On sait le désarroi de ces trois femmes qui ont osé porter plainte, ont pris des risques, ont dépensé beaucoup d'argent et se retrouvent confrontées à celui qui, pendant des mois, leur a pourri la vie, n'ont pas la possibilité de changer de poste ni de lieu de travail. J'ai compris que le Gouvernement ne pouvait rien faire en l'état, mais il faut leur venir en aide.
Je salue ce texte que je voterai. Je me félicite de la définition retenue et des peines.
J'ai déposé cinq amendements, le premier concerne les mineurs de 15 ans. La majorité sexuelle n'a rien à voir ici, puisqu'il n'y a pas de passage à l'acte. Il faut que les jeunes, stagiaires ou apprentis, soient mieux protégés. Le délai de prescription du harcèlement sexuel doit en outre être allongé. Les victimes doivent être en état de dénoncer les agissements des harceleurs. J'avais déposé une proposition de loi sur cette question et plusieurs de mes collègues de l'actuelle majorité m'avaient suivie ; M. Godefroy estimait que trois ans, c'était trop court. Mon amendement propose que le délai de prescription ne coure qu'à compter du jour où la victime n'est plus en contact avec son harceleur ou agresseur.
J'en viens à la prévention. Dès l'école maternelle, il faut être attentif au comportement des garçons, leur apprendre que les filles sont leurs égales et qu'ils n'ont aucun droit sur elles ; sensibiliser les enfants au respect de la différence sexuelle comme de toute différence.
Je me réjouis que le Gouvernement ait réagi rapidement au vide juridique. Je souhaite que les victimes puissent réagir sans délai. Certains harceleurs n'ont pas l'impression de commettre de délit. J'espère que ce texte leur en fera prendre conscience. (Applaudissements au centre et à gauche)
M. Nicolas Alfonsi . - Qui se fierait au nombre de condamnations pourrait penser que le harcèlement sexuel est marginal. Il n'en est rien. Car ces chiffres ne rendent pas compte de bien des drames sociaux. Il nous appartient d'agir de façon responsable en votant ce texte juste et applicable. La décision du Conseil constitutionnel du 4 mai ne nous a pas surpris, tant la définition du harcèlement sexuel était insuffisamment précise. Le principe de légalité des délits et des peines n'était à l'évidence pas respecté.
On peut regretter que le Conseil constitutionnel n'ait pas différé dans le temps les conséquences de sa décision, comme ce fut le cas pour la garde à vue. Je tiens à rendre hommage à la réaction rapide du Sénat. Compte tenu de l'urgence, la Chancellerie a donné des instructions aux parquets pour requalifier les délits, mais de nombreuses affaires sont quand même tombées.
Il nous semblait incohérent d'établir une hiérarchie entre le harcèlement sexuel simple et le harcèlement aggravé. La commission des lois y a mis fin. Ce sera aux juges d'apprécier. N'aurait-il pas en outre été préférable de créer un délit spécifique et autonome de chantage sexuel ? Je comprends les raisons de la commission mais des problèmes subsistent. La question de la preuve demeure. N'existe-t-il pas un risque de déqualification des actes ?
Le harcèlement moral pourrait bientôt être d'actualité : la Cour de cassation devrait prochainement se prononcer sur une question prioritaire de constitutionnalité.
Mon groupe votera ce texte. (Applaudissements au centre et sur divers bancs à droite)
M. Jean-Jacques Hyest . - Le projet de loi et les sept propositions de loi s'expliquent aisément : il fallait aller vite et combler le vide juridique créé par la décision du Conseil constitutionnel. Celle-ci est intervenue le 4 mai, ce qui a posé problème, en période de vacance parlementaire, mais a eu la vertu d'autoriser de nombreuses auditions. Nous débattons désormais sur le texte de la commission des lois, saisie au fond, ce qui est un apport considérable de la révision de 2008.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - C'est en effet une avancée.
M. Jean-Jacques Hyest. - Vous allez voir qu'il y en a d'autres.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - La question prioritaire de constitutionnalité...
M. Jean-Jacques Hyest. - Le harcèlement sexuel était conçu, en 1992, comme n'existant que dans le cadre du travail. Nous avions eu alors de longs débats sur la réforme du code pénal. L'Assemblée nationale voulait que des actes uniques soient qualifiés de harcèlement, mais pas le Sénat. La jurisprudence a fait son office... Le Parlement avait veillé à bien distinguer le harcèlement sexuel de l'agression sexuelle, mais on assiste à la correctionnalisation d'actes qui devraient être qualifiés de viols. Nous devons éviter toute imprécision -mais le Conseil constitutionnel nous a donné dans sa décision un peu de liberté...
Beaucoup de propositions de loi se réfèrent aux directives européennes, mais aucune de celles-ci ne prévoit de sanctions pénales. La loi de transposition de 2008 n'a d'ailleurs pas modifié le code pénal ; les directives permettent des sanctions civiles. La commission des lois, lors de l'examen de la loi sur les violences faites aux femmes, n'avait pas voulu reprendre les termes de la directive ; le harcèlement sexuel peut être présent dans la vie de tous les jours, pas seulement au travail.
Nous avons beaucoup débattu de la question du chantage sexuel. Mais le chantage, dans le code pénal, n'a rien à voir avec ce dont il est question ici. N'apportons pas de confusion supplémentaire.
Je rappelle l'importance qu'a prise la question prioritaire de constitutionnalité, réforme attendue par certains depuis plus de vingt ans. M. Badinter, déjà... Elle ne peut qu'inciter le législateur à la vigilance quant à la garantie des droits. Comme la gauche a déféré nombre de textes au Conseil constitutionnel, celui-ci a été amené à se prononcer ; nous devrions désormais être assez tranquilles -surtout si nous imitons vos pratiques, maintenant que nous sommes à notre tour dans l'opposition (Sourires).
Sur le harcèlement moral, il y a eu une décision du Conseil constitutionnel, qui rappelait la nécessité de caractériser les infractions : ne modifions pas le texte, puisque le Conseil constitutionnel l'a déclaré constitutionnel. Il n'en va pas de même de l'article 222-33.
Mme Dini a lancé une attaque étrange contre le Conseil constitutionnel. Si un délit disparaît, on ne peut continuer à le faire vivre. On n'est pas dans le même cas que pour la garde à vue.
M. Christian Bourquin. - Trop facile. Il y a des victimes !
M. Jean-Jacques Hyest. - Cela ne justifie pas de déroger à la règle de droit, même si les cas que les uns et les autres ont cités font frémir.
M. Patrice Gélard. - Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. - Le premier alinéa de ce texte frappe par sa bizarrerie. Trois éléments ont fait l'objet de consensus : le caractère intentionnel du délit, l'inclusion de l'acte unique, la position sur l'échelle des peines.
Je ne reviens pas sur le terme d'environnement : la commission des lois a tranché, pour plus de précision juridique.
On ne pouvait introduire de circonstances aggravantes qui n'ont pas leur place dans ce débat : toutes les victimes de harcèlement sexuel sont égales. La fragilité économique et sociale ou la minorité de 15 ans ? Mais l'abus d'autorité couvre largement la possibilité de prononcer des peines en aggravation. Telles sont les observations que je souhaitais faire sur ce texte, que je voterai. (Applaudissements sur de nombreux bancs)
M. Roland Courteau . - Le harcèlement sexuel, fléau trop longtemps ignoré et minoré, porte atteinte à l'intégrité humaine et psychique. Le Sénat fut pionnier dans la lutte contre les violences faites aux femmes ; il est juste qu'il ait été saisi en premier de ce texte-ci. Je salue votre action, madame la ministre, et celle de notre assemblée, qui a su mener un travail conjoint pour enrichir le texte du Gouvernement : nous devrions déboucher sur un consensus, c'est l'essentiel.
Le dispositif proposé, complet, aidera à mieux combattre ce fléau. Je me félicite, pour une fois, compte tenu de l'urgence à agir, du choix de la procédure accélérée.
Je ne reviens pas sur les simplifications successives de la définition du harcèlement sexuel, qui ont conduit à la sanction du Conseil constitutionnel. Cent fois sur le métier remettre l'ouvrage ? Je constate que les révisions successives n'ont pas abouti au but escompté.
S'il est difficile d'évaluer précisément les victimes, l'ampleur du fléau est incontestable. Preuve de la nécessité d'un observatoire sur les violences faites aux femmes, que nous réclamons depuis longtemps, sans succès. Je me réjouis donc, madame la ministre, que vous vous soyez déclarée en faveur de sa création, comme en faveur de la prévention. J'avais moi-même préconisé l'information dans les collèges et l'institution d'une formation nationale, lors de l'examen de la loi sur les violences faites aux femmes. Dès le plus jeune âge, on enferme les enfants dans des représentations stéréotypées. (M. Jacky Le Men le confirme) « Tout commence sur les bancs de l'école », rappelait Romain Rolland. Hélas, aucune instruction n'a été donnée aux chefs d'établissements.
Pour combler le vide juridique créé par la décision du Conseil constitutionnel, j'ai déposé, dès le 16 mai, une proposition de loi. Si la décision du Conseil est bienvenue, il fallait prendre en compte la situation des victimes, engagées dans un long et pénible parcours judiciaire pour que justice leur soit rendue. L'abrogation sans délai fut un remède de cheval. Mme Dini a raison de souligner que le Conseil constitutionnel eût pu reporter l'abrogation dans le temps.
M. Christian Bourquin. - Très bien !
M. Roland Courteau. - Le juge pénal pouvait dans l'intervalle neutraliser le texte de l'incrimination en opérant un contrôle conventionnel, mais la règle pénale pouvait aussi subsister quelque temps, pour réprimer des situations inadmissibles : pour se reconstruire, les victimes ont besoin de voir reconnue la responsabilité de l'agresseur. Les troubles liés au harcèlement sexuel sont légion.
Une femme qui a subi des harcèlements m'écrit qu'elle a enfin décidé de porter plainte, ajoutant qu'elle ne pensait pas que ce qu'elle a subi aurait de telles conséquences sur sa vie. Elle nous exhorte à prendre les bonnes décisions : on ne saurait mieux dire. (Applaudissements sur la plupart des bancs)
Mme Éliane Assassi . - Pour la première fois de son histoire, le Conseil constitutionnel s'est arrogé le droit de se substituer au législateur en abrogeant une loi. Il serait urgent, à notre sens, de réformer la composition et le mode de nomination de cette instance. L'abrogation a fait tomber toutes les affaires en cours, au grand dam des victimes, contraintes de tout reprendre à zéro : le préjudice moral et financier doit trouver une solution.
Il était urgent, donc, d'y revenir. Le groupe de travail du Sénat a conduit un travail collectif, rigoureux, studieux, pour parer à l'urgence. Plusieurs propositions de loi ont été déposées, dont une de mon groupe, qui visait à rechercher une définition, la plus protectrice possible.
Car la reprise mot pour mot de la définition de la directive ne va pas de soi : elle est mal compatible avec les principes qui fondent notre droit pénal. Elle pouvait néanmoins servir de base.
Sur l'élément matériel de l'infraction, nous avons voulu éviter l'énumération, restrictive a contrario, et qui pouvait être rapidement débordée par l'imagination des agresseurs. Un acte unique, grave, est sans conteste déstabilisant pour la victime : il fait peser de ce fait une pression continue sur celle-ci, ainsi que l'on fait valoir les associations. Le débat avait été ouvert en 1992, mais la jurisprudence n'a cessé de faire référence à la pluralité des actes, en dépit de l'intention du législateur.
Dans les pays anglo-saxons, on envisage le harcèlement sous l'angle de la discrimination et cela s'est traduit dans la directive. Le législateur français retient une autre approche : le harcèlement n'est pas pour lui une simple variété de discrimination. On aboutit à une impasse quand le harceleur s'attaque aussi bien à l'un qu'à l'autre sexe. Cependant, le législateur n'en institue pas moins le harcèlement sexuel comme motif de discrimination : ce texte l'intègre dans le code pénal. Encore faut-il distinguer harcèlement sexuel et harcèlement sexiste, dont l'objet trouve sa raison dans le sexe de la victime : c'est le genre qui est bien objet de harcèlement. Ce harcèlement sexiste serait alors une variété de harcèlement moral. Mais cette approche forme le caractère sexué du harcèlement : il serait bon de mieux prendre en compte, à l'avenir, le harcèlement sexiste.
Nous avons souhaité exclure toute référence à l'obtention de faveurs sexuelles, qui empêchait de qualifier de harcèlement sexuel des actes attentatoires à la dignité de la personne, des agissements qui ne sont pas sous-tendus par une intention sexuelle mais créent une certaine ambiance.
La définition retenue pour l'acte unique est trop proche de celle de l'agression sexuelle : elle fait courir le risque d'une déqualification des agressions sexuelles en harcèlement. En droit, le chantage relève d'une infraction contre les biens. On crée ici un chantage sexuel, atteinte aux personnes, mais avec une sanction très inférieure à celle qui est prévue pour l'atteinte aux biens : c'est un problème, que nous entendons traiter.
La question de la minorité ? Nous préconisons de ne pas la limiter à la majorité sexuelle : c'est la vulnérabilité de la victime face à l'agresseur qui compte. La référence à la majorité sexuelle est donc inopportune.
Le texte que nous adopterons doit être le plus juste et le plus efficace possible, c'est le sens de nos amendements. (Applaudissements sur les bancs CRC et sur certains bancs socialistes)
Mme Michelle Meunier . - Oui, il y a urgence à agir contre des comportements intolérables. Je pense aux victimes, celles qui n'osent porter plainte, celles qui l'ont fait et ont vu leur procédure interrompue par la décision du Conseil constitutionnel. Je pense aussi aux auteurs, renforcés dans leur toute puissance, qui ne prendront toujours pas la mesure de leurs actes.
Le harcèlement sexuel est sournois, invisible, difficilement repérable. Mais les victimes se comptent par centaines, selon les associations. Il faut donc combattre les comportements de prédateurs, pour une même société de l'égalité. La loi doit sanctionner toutes les violences avec des réponses pénales adaptées pour prévenir et empêcher des passages à l'acte plus graves. Mais les preuves de harcèlement sexuel sont difficiles à établir. Les harceleurs sont, sauf exception, des hommes, témoignage d'une inégalité qui se décline dans toutes les sphères de notre vie, et que les femmes elles-mêmes en sont venues à considérer comme normales. Cependant, les mentalités ont commencé à évoluer, ce qui doit nous engager à aller de l'avant. Je souhaite que la précarité socio-économique soit retenue comme circonstance aggravante.
Il faut faire savoir aux femmes les plus vulnérables qu'elles peuvent se défendre. Une campagne d'information sera donc bienvenue.
Il faut compléter la loi sur la discrimination et ajouter la notion d'identité sexuelle. Le modèle dominant de notre société reste le couple hétérosexuel. Nous avons été sensibles à ce que nous ont dit les transsexuel(le)s sur les harcèlements subis durant la phase de transition. Seule une évolution des comportements fera rempart à la bêtise et à la méchanceté.
Une loi, c'est bien ; son application, c'est mieux : au-delà de la loi, des campagnes d'information devront être menées. Une communication grand public pourrait aider à faire le point, en novembre, sur les violences faites aux femmes, sous l'égide du ministère aux droits des femmes. Pour lutter contre ces violences, il faut pouvoir mesurer l'ampleur du phénomène. Compte aussi la volonté. Je ne doute pas de celle de notre Haute assemblée. (Applaudissements à gauche et sur divers bancs du centre)
M. Christian Bourquin . - Nous regrettons que le Conseil constitutionnel ait décidé d'une abrogation immédiate, ce qui nous oblige à légiférer dans l'urgence, ainsi que l'a déploré Mme Dini. Reste que la définition du harcèlement sexuel doit répondre aux exigences d'intelligibilité et de clarté, et être suffisamment large pour que justice se fasse. Car les poursuites pénales sont aussi rares que leur issue est incertaine.
Ce texte doit répondre à ces exigences. Il innove, en ouvrant la possibilité de poursuivre des faits accomplis dans des circonstances particulières, sans que les incriminations plus graves soient abandonnées. Mais notre ambition va, avant tout, à modifier les comportements, dont certains considèrent qu'ils cimentent les relations sur le lieu du travail.
M. Roland Courteau. - Très bien !
M. Christian Bourquin. - Le harcèlement sexuel a fait l'objet de bien des études en psychopathologie, qui mériteraient d'être mieux prises en compte. Des enquêtes, comme celle menée en Seine-Saint-Denis, mériteraient d'être plus nombreuses.
En Languedoc-Roussillon, une délégation régionale aux droits des femmes a été mise en place dès 2003. Pour ma part, j'ai voulu créer un observatoire régional, travaillant à obtenir la certification à l'égalité professionnelle. Pourquoi ne pas généraliser de telles initiatives, qui visent avant tout à promouvoir l'égalité ?
Le texte de la commission des lois distingue entre deux formes de harcèlement sexuel. Mais la confusion possible entre harcèlement sexuel et agression sexuelle nous inquiète. Il ne faudrait pas ouvrir une brèche. Vous avez pris l'engagement de ne pas prendre, madame la ministre, d'ordres individuels, conformément aux engagements du président de la République. La loi doit en être d'autant plus précise. Cette inquiétude, que je voulais manifester, ne conditionne cependant pas le soutien de mon groupe à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)
Mme Chantal Jouanno . - La décision du Conseil constitutionnel nous a choqués, non parce qu'elle abrogeait un texte important, mais parce qu'elle l'abrogeait sans délai. Les victimes, qui ont pris de gros risques, se trouvent donc sans recours. N'est-ce pas manquer de considération à l'égard des femmes ? Car les chiffres sont éloquents : 40 % des femmes s'estiment, selon l'enquête européenne, avoir été ou être victimes de harcèlement.
Il est vrai que le harcèlement sexuel est difficile à prouver. Bien des victimes, qui portent le poids d'une culpabilité, hésitent à engager une procédure. D'où la difficulté de la tâche qui nous incombe. Avant tout, il faut considérer que le harcèlement sexuel n'est pas une version dégradée de l'agression sexuelle : c'est en partant de ce principe que l'on votera un bon texte.
Sur le fond, il n'y a pas de divergence entre nos groupes politiques. C'est pourquoi je regrette la méthode retenue par le Gouvernement : pourquoi ne pas s'être appuyé sur le travail très consensuel mené ici dans la concertation ? Je connais par expérience le souci d'affichage d'un Gouvernement, mais nous ne voulons pas faire du harcèlement sexuel un jeu politique.
Un point sera tout particulièrement débattu : l'acte unique. Certains se sont émus qu'on puisse condamner à la prison quelqu'un qui a mis une main aux fesses. Cela m'a fait bondir ! Prenons garde au deuxième alinéa de l'article premier, proche de l'agression sexuelle. Le risque est d'autant plus fort qu'il va falloir prouver l'intention de l'auteur, ce qui a posé problème dans la précédente loi.
Je proposerai trois améliorations : la prise en compte de la vulnérabilité économique de la victime, notamment les femmes seules qui élèvent leurs enfants. Je suis réservée sur circonstance aggravante de la minorité de 15 ans parce que je ne veux pas de continuité entre harcèlement et agression. Enfin, il faut ouvrir le débat sur les transsexuels.
Notre groupe votera ce texte. Madame la ministre des droits des femmes, je continuerai à vous entretenir de l'hypersexualisation des enfants, sujet qui me tient à coeur. (Applaudissements à droite et sur divers bancs à gauche)
M. Philippe Kaltenbach . - Le délit de harcèlement sexuel a été introduit dans notre droit en 1992, et modifié ensuite. La censure du Conseil constitutionnel est intervenue en mai, conduisant à l'abandon des procédures en cours. Ce déni de justice a suscité l'émoi de l'opinion publique.
Notre assemblée a montré sa capacité d'initiative : au total, sept propositions de loi, dont la mienne qui s'appuyait sur la directive européenne.
Contrairement à ce qu'affirme Mme Jouanno, les deux ministres ont témoigné un grand intérêt pour nos travaux tout en élaborant un projet de loi. Il ne s'agit pas de tirer la couverture à soi, mais d'être efficace, en travaillant main dans la main. Je me félicite de ce début du quinquennat de François Hollande, car les cinq dernières années, le Parlement avait trop souvent été ignoré, malgré la révision de 2008.
Le projet de loi comble un vide juridique inacceptable. Je salue la rapidité avec laquelle M. Sueur, Mme Demontès et Mme Gonthier-Maurin ont constitué un groupe de travail qui a conduit beaucoup d'auditions. Le groupe a proposé une définition du harcèlement sexuel précise qui apporte une protection large aux victimes.
Je déplore néanmoins la non-rétroactivité de la loi. Heureusement, Mme la garde des sceaux a demandé, par circulaire, de requalifier les faits pour éviter, autant que faire se peut, le vide juridique.
La décision du Conseil constitutionnel nous interroge et je remercie Mme Dini d'avoir posé la question. Le législateur doit aussi battre sa coulpe : pourquoi avoir conservé aussi longtemps une définition du harcèlement sexuel aussi vague ? Le précédent gouvernement aurait dû se saisir de cette question. Une proposition de loi relative aux violences faites aux femmes proposait, à son article 19, une nouvelle définition du harcèlement sexuel. Au Sénat, le rapporteur, soutenu par Mme Morano, a supprimé cet article. Sans cette lourde erreur, la censure du Conseil constitutionnel ne serait pas intervenue.
Ce qui touche les victimes, c'est le manque de reconnaissance de leurs souffrances. Chaque année, 80 affaires sont jugées, chiffre particulièrement bas. L'enquête de 2000 avait d'ailleurs révélé des faits bien plus nombreux. Pourquoi ne pas lancer de nouvelles enquêtes sous l'égide d'un observatoire national ?
Longtemps le harcèlement sexuel n'a pas été pris au sérieux et présenté comme une forme de séduction appuyée, de l'humour déplacé. En 2000, ce ne sont pas moins de 200 000 femmes qui déclaraient avoir subi du harcèlement sexuel au cours des dix derniers mois. Avec ce projet de loi, le Gouvernement et le Sénat ont démontré qu'ils avaient conscience de l'étendue du phénomène. Il a été question de prévention par l'éducation ; j'ajouterai le rôle du médecin du travail qui doit être sensibilisé à la détection des souffrances psychiques.
Ce texte est complet et répond aux attentes des victimes. Le groupe socialiste sera fier de le voter, même s'il voulait que certains amendements soient adoptés pour l'enrichir. (Applaudissements à gauche)
M. François Pillet . - Nos concitoyens sont inquiets de la violence qui se métastase dans le corps social. Plusieurs lois sur les violences au sein du couple, les violences faites aux femmes, ont été votées ces dernières années, pour répondre à ces inquiétudes. Nous poursuivons ce travail avec ce texte.
Nous devons apprécier les souffrances des victimes de harcèlement sexuel : la centaine de jugements rendus chaque année ne reflète pas les véritables chiffres. Je souhaite que notre travail encourage les victimes à sortir du silence. Il nous appartient d'apporter une définition suffisamment précise et large à la fois et de prévoir des peines dissuasives. La forme la plus grave de harcèlement sexuel avait été moins punie qu'une atteinte aux biens. Je salue donc le travail de M. Anziani. La transposition pure et simple de la directive aurait été une mauvaise solution. Notre rapporteur a tenu à renforcer le texte en ne faisant pas référence au ressenti de la victime. Il fallait être objectif, pour éviter toute nouvelle censure.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Absolument !
M. François Pillet. - Assimiler l'acte unique à du harcèlement sexuel est une excellente solution.
Des agissements bénins peuvent, lorsqu'ils sont réitérés, devenir insupportables. Mais un fait unique grave doit aussi être sanctionné.
En dépit du consensus, nous déposons deux amendements de clarification. Nous devons être vigilants sur le choix des mots. Celui de « situation » convient mieux que celui d'« environnement ». Le législateur doit tout faire pour faciliter la preuve en évoquant des éléments positifs. Nous proposons de remplacer, pour les mêmes raisons, le mot « comportements » par celui d'« agissements ».
La décision du Conseil constitutionnel nous oblige à donner une nouvelle définition du harcèlement sexuel, ni trop vague, qui englobe d'autres infractions, ni trop précise, qui conduise à la relaxe. (Applaudissements à droite)
Mme Virginie Klès . - Beaucoup a déjà été dit : le vide doit être comblé. Pas plus de 80 condamnations pour 1 000 dépôts de plaintes, et les faits condamnés relèvent souvent de l'agression. C'est souvent sur le lieu de travail qu'ils se produisent, mais c'est aussi là que de nombreux couples se forment -80 % dans certaines professions. La situation est donc complexe.
Pour que le droit soit efficace, chaque mot doit être pesé. Une définition précise s'imposait donc.
Le harcèlement sexuel, c'est le supplice de la goutte d'eau. Le supplice de chaque mot, de chaque phrase, chaque geste pour humilier celui qui est visé. C'est donc bien d'un comportement que nous traitons, qui chosifie la victime. Il s'agit d'actes psychologiques qui visent à détruire l'autre.
Je me félicite de l'assimilation du chantage sexuel au harcèlement sexuel. Un harceleur réitérera son comportement à l'égard d'autres victimes, même quand il s'agit d'actes uniques.
Les victimes se replient sur elles-mêmes, elles perdent toute confiance en elles et en autrui, jusqu'à commettre le geste fatal parfois.
Se pose le problème de la preuve, qui a suscité beaucoup de débats. J'ai même entendu évoquer l'hypothèse d'une inversion de la charge de la preuve.
Dès qu'il y a plainte pour harcèlement sexuel, il y a forcément un auteur et une victime. Si la plainte n'est pas fondée, c'est le présumé auteur des faits, qu'il n'a pas commis, qui est la victime.
Si les faits sont classés, on laisse les deux personnes en présence, quel que soit l'auteur et la victime. C'est inacceptable et c'est ce qui fait la complexité de notre débat. Pour autant, faut-il ouvrir une brèche dans la présomption d'innocence ?
Vous avez montré la détermination du Gouvernement à traiter ce débat, madame la garde des sceaux. On ne doit pas laisser les choses en l'état : donnez des instructions pour que les plaintes soient rapidement traitées et qu'on sache qui est victime et qui ne l'est pas.
Le comportement des harceleurs étant parfois pathologique, il faut prévoir l'intervention de psychologues lors des enquêtes.
Bien évidemment, je voterai ce texte. (Applaudissements à gauche)
M. Alain Gournac . - Le harcèlement sexuel est une plaie sur laquelle, d'ailleurs, la Délégation aux droits des femmes s'est penchée. Il fallait donc agir rapidement après la décision du 4 mai du Conseil constitutionnel.
Nous avons entendu la colère et le désarroi des victimes. La Chancellerie a demandé au parquet de requalifier les faits, quand cela était possible. Nous avons tous notre part de responsabilité, même si le Parlement a en toute bonne foi cru bien faire à l'époque. Le juge pénal n'est pas lié par la qualification retenue par le ministère public, nous a-t-on dit lors d'une audition. Si la décision du Conseil constitutionnel était lourde de conséquences, elle n'entraîne pas une annulation automatique de toutes les procédures en cours. Sa décision a pourtant montré notre manque de vigilance. Le harcèlement sexuel est intolérable, nous l'avons dit. En 1992, sa définition comportait trois éléments constitutifs ; en 1987, la loi a retouché à la marge cette définition pour la rapprocher de celle du code du travail. Avec la loi de 2002, voulant bien faire, nous avons manqué de vigilance. Nous avons vidé la définition de toute substance : la subordination hiérarchique disparaissait, ainsi que les éléments matériels. Ne restait plus que l'intention... Le harcèlement sexuel n'était plus défini que par sa finalité. Le législateur avait voulu bien faire, les condamnations ont été multipliées par deux, mais cela a abouti à la censure du Conseil constitutionnel. Je veux saluer M. Sueur, le groupe de travail, la Délégation aux droits des femmes qui ont immédiatement réagi pour réparer une faute vieille de dix ans.
Aujourd'hui, c'est avec bonheur que je voterai ce texte. (Applaudissements à droite)
M. Maurice Antiste . - Nous devons légiférer en urgence pour combler le vide juridique créé par la décision du Conseil constitutionnel du 4 mai. Les conséquences sont dramatiques : les victimes se trouvent dans une détresse encore plus grande alors qu'elles avaient osé porter plainte.
En Martinique, et plus généralement dans les départements d'outre-mer, les femmes commencent à présent à dénoncer ces actes. L'urgence à légiférer est donc évidente. Depuis dix ans, nous savions qu'il fallait revenir sur cette définition, mais en vain.
Lors du débat sur la proposition de loi relative aux violences faites aux femmes, en 2010, l'Assemblée nationale avait adopté une définition plus précise du harcèlement sexuel. Malheureusement, le 16 juin 2010, le Sénat a supprimé cette disposition, avec l'accord du gouvernement de l'époque.
Engagé dans la lutte pour l'égalité des femmes et des hommes, je voterai ce projet de loi issu des travaux de la commission. Nous enrichissons ce texte juste et efficace pour les dizaines de milliers de personnes touchées par ces violences sexistes.
Je salue le travail du Gouvernement, qui s'est rapidement attelé à la rédaction de ce projet de loi. (Applaudissements à gauche)
La discussion générale est close.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux . - J'ai écouté avec beaucoup d'attention tous les intervenants. Je voudrais répondre à chacun.
Tout d'abord, merci à vous tous pour avoir travaillé de façon aussi intense. Votre aide m'a été précieuse. Les rapporteurs ont fait un travail de grande qualité. Merci aussi au président de la commission des lois pour son engagement. Nous voulons produire une belle loi qui ne compensera pas le vide juridique ni le désarroi des victimes mais qui sera utile à l'avenir.
Mme Jouanno a regretté que le Gouvernement ait présenté un projet de loi. Mais c'est la preuve de l'engagement du Gouvernement et de sa mobilisation pour le service après vote !
J'ai demandé aux parquets de me faire remonter les réquisitions : sur 130 procédures, 50 ont fait l'objet d'une requalification. Naturellement, c'est frustrant pour les autres plaignantes mais il n'y a pas eu une totale extinction de l'action publique.
M. Pillet s'inquiète de l'institution d'une sanction pour atteinte aux personnes moins lourde que celle pour atteinte aux biens. Mais c'est que l'échelle des peines n'a cessé d'être bousculée ces dernières années avec une profusion de lois circonstancielles ! Il y a aujourd'hui un grand désordre, un véritable problème de cohérence dans notre code pénal, qui pose celui de l'échelle des valeurs dans la société. Nous avons pour l'instant paré au plus pressé, en veillant à la cohérence des peines encourues pour les infractions sexuelles.
Le fait, monsieur Anziani, que l'on élargisse le champ de l'infraction fait nécessairement ressurgir la crainte de déqualification. Mais il faut faire confiance aux magistrats, et éviter que les juridictions travaillent dans l'urgence, ce qui peut les contraindre à tous les pis-aller. La circulaire d'application pourra attirer l'attention du parquet sur ce risque. Sur les mineurs, la circulaire aussi pourra demander qu'entre 15 et 18 ans, il soit volontiers recouru au facteur aggravant par abus d'autorité. Mais attendons de voir le sort réservé à l'amendement que vous allez examiner sur cette question.
L'essentiel des autres points concerne les amendements, j'y répondrai précisément lors de leur examen.
Je remercie encore le Sénat d'avoir pris cette question à coeur. Je suis intimement persuadée qu'avec lui que nous allons faire oeuvre utile. (Applaudissements à gauche)
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre . - Je ne doute pas que les débats n'enrichissent le texte. Merci à Mme Gonthier-Maurin pour ce qu'elle a rappelé. La création d'un observatoire nous semble, comme à elle, importante, comme la nécessité de renforcer les sanctions à l'université, à quoi nous travaillerons avec Mme Fioraso. Vous souhaitez sensibiliser le milieu du sport : Mme Fourneyron y travaille également. L'attention portée à la médecine du travail rejoint les préoccupations du Gouvernement. La campagne que nous lancerons à l'automne sera très large.
J'ai apprécié, madame Dini, vos propos -je suis du même département que vous et les entends d'autant mieux. Je vous rejoins sur la nécessité de la prévention et de la sensibilisation dès le plus jeune âge, du combat contre les stéréotypes. Le Gouvernement est mobilisé. Mon ministère est de plein exercice et dans toutes les administrations, un fonctionnaire est désormais en charge de l'égalité entre hommes et femmes, ce qui doit faciliter les choses. Vous avez évoquez les élus : des peines complémentaires existent, ce sera aux magistrats d'apprécier au cas par cas.
Les sanctions disciplinaires, madame Benbassa, sont un sujet important : nous y travaillerons avec Mme Fioraso.
Merci à M. Courteau de son travail assidu de plusieurs années. Je me réjouis que l'idée d'un observatoire fasse l'unanimité.
Mme Assassi a rappelé à juste titre que le harcèlement est une atteinte à l'égalité ; elle souhaite un texte efficace pour les victimes : c'est aussi notre voeu. Le seul avantage de l'abrogation, outre qu'on n'a jamais autant parlé de harcèlement sexuel, est qu'il nous oblige à remettre l'ouvrage sur le métier pour l'améliorer.
Droits des femmes et égalité entre les sexes, madame Meunier, appellent un travail de déconstruction des codes et des clichés : j'espère que la loi nous y aidera. Il faut en effet un travail de recensement des violences et de communication.
Oui, monsieur Bourquin, l'action pour l'égalité entre les sexes doit être menée par tous et les expérimentations locales méritent d'être généralisées.
Mme Jouanno a soulevé la question des transsexuels. Nous y reviendrons, mais je rappelle que le texte la prend en compte. C'est avec grande attention que j'ai pris connaissance de son rapport sur l'hypersexualisation, d'autant que nous menons un travail interministériel sur les représentations.
Monsieur Kaltenbach, merci pour votre appréciation sur un texte qui est, comme l'a dit M. Pillet, équilibré, grâce à notre travail commun.
Je suis sensible, madame Klès, monsieur Antiste, à votre engagement dans le temps. Oui, la loi de juillet 2010 fut une occasion manquée. Harcèlement aujourd'hui, violences demain : nous réformons notre droit pour mieux protéger les victimes. (Applaudissements à gauche)
La séance est suspendue à 19 h 45.
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présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente
La séance reprend à 21 h 50.