Dépenses de campagne pour l'élection présidentielle (Nouvelle lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen, en nouvelle lecture, du projet de loi organique relatif au remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle.
Discussion générale
M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales. - Ce projet de loi organique est à nouveau soumis à votre examen après l'échec de la CMP et le rétablissement par les députés du texte qu'ils avaient adopté. Il s'agit d'adapter à l'élection présidentielle les dispositions que vous avez votées dans la loi de finances, en portant le taux de remboursement par l'État des dépenses de campagne de 50 % à 47,5 % pour les candidats ayant obtenu plus de 5 % des voix et de 5 % à 4,75 % en deçà de 5 %. Les plafonds ont également été gelés jusqu'à disparition du déficit des administrations. Au total, ils diminuent de 8 %, pour une économie potentielle de 3,7 milliards d'euros.
Le Sénat était allé bien au-delà de l'objet initial en première lecture, proposant notamment de modifier le périmètre des dépenses de campagnes et leur mode de remboursement : cela aurait plongé les candidats à la prochaine élection dans l'insécurité juridique. La commission des lois étant revenue à son texte après l'échec de la CMP, je vous appelle à adopter celui de l'Assemblée nationale.
Mme Nathalie Goulet. - Avez-vous déjà fini ?
M. Gaëtan Gorce, rapporteur de la commission des lois. - L'Assemblée nationale ne veut pas plus que le Gouvernement d'une clarification des règles applicables aux comptes de campagne à l'élection présidentielle, au prétexte de la proximité du scrutin et de la gêne qui serait ainsi causée aux candidats déclarés. Mais le Gouvernement n'a-t-il pas lui-même mis le pied dans la porte en déposant ce projet de loi organique ? Il n'a pas à s'étonner que nous ayons voulu l'ouvrir un peu plus... C'est en quelque sorte l'histoire de l'arroseur arrosé...
M. le ministre prétend aussi que nos amendements rendraient la campagne de certains candidats déclarés incertaine ; c'est plutôt celle d'un candidat non déclaré qui le deviendrait, un candidat qui fait campagne avec les deniers de la République ! Cela ne vous émeut pas. Et, quand nous voulons une clarification, vous nous accusez d'excès... Une telle situation est contraire au bon sens et insatisfaisante du point de vue de l'équité.
Pour mettre un terme à ces ambiguïtés, la commission des lois a rétabli le texte adopté par le Sénat en première lecture. Aucun candidat ne doit pouvoir faire usage des moyens tirés d'un mandat public pour faire campagne -qu'il s'agisse du mandat de président de la République ou de celui de président du conseil général de la Corrèze...
M. André Reichardt. - C'est déjà le cas !
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. - N'est-ce pas le bon sens ? Cette règle n'est nullement superfétatoire car même si le Conseil constitutionnel peut aujourd'hui noter sa violation, celle-ci n'est assortie d'aucune sanction. Il y a quelque hypocrisie à se réfugier derrière la règle tout en se gardant de faire en sorte qu'on puisse l'appliquer.
En outre, toutes les dépenses engagées dans l'année précédant le scrutin doivent être retracées dans un compte de campagne si elles ont un lien avec le débat politique national : nous nous appuyons sur la jurisprudence du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) dans d'autres matières, pour inciter à la clarté et à la modération des dépenses.
Visons-nous un candidat plutôt qu'un autre ? Un candidat... qui ne l'est pas encore ! Cette loi s'appliquera à tous ! Faites que M. Hollande soit élu et elle s'appliquera à lui dans cinq ans !
M. Michel Delebarre. - Exactement !
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. - Vous déplorez les polémiques sur les déplacements du président de la République et l'utilisation des moyens de l'Élysée... Raison de plus pour instituer une règle claire ! Nous voulons donner une compétence officielle à la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP), pour lever les doutes et pour que la campagne soit consacrée aux vrais sujets -pour autant qu'il y ait de vrais candidats... En vertu du droit en vigueur, seul le candidat concerné peut déposer un recours contre la décision de la CNCCFP. Nous voulons que toute personne lésée puisse saisir le Conseil constitutionnel et faire trancher ce point de droit.
Tout cela est du simple bon sens. Mais vous voulez clore le débat ; il faudrait s'en tenir aux propositions du Gouvernement. Mais nous ne sommes plus au temps du Conseil des Anciens, où une assemblée délibérait et l'autre votait sans jamais qu'elles ne se rencontrent !
Admettons enfin que le suffrage universel ne puisse être remis en cause. D'éventuelles infractions doivent-elles pour autant demeurer impunies ? Un conseiller général doit renoncer à son mandat, un président de la République n'encourt d'autre sanction qu'un moindre remboursement de ses dépenses... Voler un oeuf, c'est la prison ; voler un boeuf, c'est l'absolution... Nous proposons donc, à l'initiative de M. Collombat, que la procédure de destitution du président de la République puisse être engagée sur la base d'une infraction grave constatée par la commission de campagne. C'est bien le moins que les deux assemblées décident souverainement des suites à donner. N'est-il pas scandaleux qu'un candidat ait pu être élu en finançant sa campagne par des moyens illégaux, commissions sur des marchés ou fonds fournis par des gouvernements étrangers ? Un président élu dans de telles conditions peut-il défendre l'intérêt général en face de ces mêmes gouvernements ? L'intérêt public ne peut y consentir. Si cela s'est produit, ce que j'ignore, assurons-nous au moins que cela ne se reproduira pas ; et si cela se produit, nous le saurons et pourrons sanctionner. Il eût été anormal que nous n'eussions pas saisi l'occasion de ce texte pour traiter de ces problèmes.
Nous proposons aussi que le remboursement soit proportionnel au nombre de voix obtenues : c'est la justice et, contrairement au texte du Gouvernement, une garantie de parcimonie budgétaire. Mme la ministre du budget devrait nous en féliciter ! Je comprends qu'elle ait bien besoin de ces 4 millions pour couvrir les milliards de déficit de l'État...
Vous rejetez nos propositions ; c'est sans doute, monsieur le ministre, connaissant votre bon sens, que vous avez reçu des instructions plus fortes. Car les règles que nous présentons dérangent. Elles dérangent le président de la République qui n'a pas conçu sa campagne dans une grande transparence. Que M. Sarkozy tarde tant à se déclarer montre bien la confusion dans laquelle nous sommes. C'est cette confusion que la majorité du Sénat veut faire reculer. Faisons en sorte que notre République fonctionne sur des bases claires et saines. (Applaudissements à gauche)
M. Philippe Richert, ministre. - Il ne me paraissait pas indispensable de développer à nouveau les arguments du Gouvernement. Mais je dois souligner que la majorité sénatoriale n'est pas seule à vouloir la transparence. Quelle arrogance, quelle suffisance une nouvelle fois ! (Mouvements divers)
Pour toutes les campagnes électorales sauf celle qui concerne la présidentielle, le Parlement a décidé de réduire le plafond de remboursement des dépenses. Pour l'élection présidentielle, il fallait une loi organique : c'est le seul objet de ce texte. Mais il n'est pas question de revoir les principes qui gouvernent l'élection à trois mois de l'échéance ! Dans le cas contraire, nous pourrions aussi bien débattre de façon approfondie des propositions de M. Masson !
Laisser entendre qu'en s'opposant à vos amendements, le Gouvernement et la majorité présidentielle entendent protéger le président de la République est inacceptable. Je n'ai reçu d'injonction de personne. Dès lors que nous demandons un effort à nos concitoyens, il est normal que nous en demandions un à tous les candidats, quelle que soit l'élection à laquelle ils se présentent. (Applaudissements à droite)
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. - Je suis ravi d'avoir fait sortir M. le ministre de ses gonds car le débat politique doit avoir lieu !
Je passe sur l'accusation d'arrogance portée contre celui qui a l'honnêteté d'être candidat ; l'humilité serait-elle du côté de celui qui ne l'a pas ? Mais c'est votre leitmotiv du moment, repris par tout membre de votre majorité...
Nous ne proposons nullement de revoir toutes les règles relatives à l'élection présidentielle ! Vous ne pouvez pas nier que la manière dont le président de la République use des moyens de la République avant sa déclaration de candidature suscite le débat et même le trouble dans l'opinion : voilà pourquoi il faut des règles claires.
Celui qui sera candidat mais ne se déclare pas joue de la confusion et de l'ambiguïté. Nous voulons la clarté, vous voulez rester dans la confusion. (Applaudissements à gauche)
Mme Éliane Assassi. - C'est en toute conscience que je ferai preuve de ce que M. le ministre appelle arrogance : il s'agit pour moi d'un appel à la clarté. Le président de la République, qui n'est pas candidat tout en l'étant suffisamment pour critiquer ceux qui le sont, s'est livré dimanche à un exercice d'autosatisfaction sans le moindre respect pour la démocratie.
Nous sommes appelés à discuter des règles du « match », alors que celles-ci sont de plus en plus perverties. Que M. le ministre des transports fasse campagne dans les capitales étrangères pour l'élection dans la onzième circonscription des Français de l'étranger avec la flotte du Gouvernement, soit. Que Mme la ministre de l'outre-mer, candidate en 2012 dans la quatrième circonscription de Guadeloupe, fasse de même, cela ne me surprend pas : elle l'avait déjà fait avant les élections régionales de 2010.
Mais il s'agit à présent du président de la République, qui s'est livré à un nombre incalculable de cérémonies de voeux, déclinant ses propositions et critiquant celles des candidats déclarés et qui, dimanche, a occupé pendant plus d'une heure le meilleur créneau horaire sur huit chaînes de télévision pour une allocution à peine ponctuée par des interventions des journalistes. Voilà qui donne un relief particulier au présent débat.
Ce projet de loi organique, dans son état d'origine, n'offre aucune garantie supplémentaire : en réduisant le remboursement des dépenses de campagne, il ne fait que traduire une vision populiste de la gestion de la dépense publique. Je ne sais pas combien ont coûté les déplacements de M. Sarkozy en Guyane ou à Marseille, frais de maintien de l'ordre compris, mais il me semble que les économies potentielles ont déjà été dépensées ! (Mme Corinne Bouchoux applaudit) Foin de cette hypocrisie !
Nous voterons le texte de la commission des lois, tout en proposant un amendement relatif à la répartition de l'enveloppe de remboursements. (Applaudissements à gauche)
M. Pierre-Yves Collombat. - En première lecture, le Sénat avait apporté des réponses à deux problèmes difficiles : le champ des dépenses à prendre en compte et l'impossibilité de sanctionner un candidat élu qui aurait eu un comportement gravement délictueux en matière de dépenses de campagne. Le Gouvernement s'y est opposé ; députés et sénateurs sont priés de s'occuper des seuls sujets sur lesquels le Gouvernement veut qu'ils se penchent : après le parlementarisme rationalisé, voici le parlementarisme rationné...
Le rapporteur de l'Assemblée nationale considère que les dispositions que nous proposons sont « à la limite de la constitutionnalité » ; qu'est-ce que cela signifie ? Il nous accuse ensuite de réécrire la Constitution : il n'en est rien. Aucune injonction n'est faite au Parlement quant aux suites à donner aux informations reçues.
Le système actuel est d'autant plus rigoureux pour les maladroits qu'il est bienveillant pour les gros malins. Ce qui s'est passé en 1995 refait surface, les valises de billets se promènent, mais le Gouvernement...
Mme Nathalie Goulet. - Selon que vous serez puissant ou misérable...
M. Pierre-Yves Collombat. - ...tel Tartuffe devant le sein de Dorine, ne veut pas voir la réalité : la complaisance avec laquelle le Conseil constitutionnel présidé par M. Dumas a validé les comptes de M. Balladur en témoigne. M. Jacques Robert, un de ses anciens membres, a expliqué en 2011 qu'« avant le vote, M. Roland Dumas [avait] passé une heure à l'Élysée avec Jacques Chirac, alors président de la République. Sans doute lui-a-t-il dit que la situation était délicate. Conclusion : notre impression fut que Jacques Chirac, Édouard Balladur et Roland Dumas se tenaient par la barbichette et que nous avons servi de caution à une entourloupe ». (On se récrie à droite)
Allons-nous nous résigner à servir de caution à de futures entourloupes au motif qu'il est urgent de faire 3,5 millions d'économies ? (Applaudissements à gauche)
M. André Reichardt. - Nous soutenons l'initiative prise par le Gouvernement de réduire le remboursement des dépenses électorales, afin que les partis contribuent au rééquilibrage des finances publiques. Faut-il rappeler que nous sommes en crise ? Nous pourrions économiser jusqu'à 4 millions d'euros.
Mais l'imminence de l'échéance de 2012 a fait oublier l'objectif initial de ce texte : c'est regrettable. Ne cédons pas à des tentatives de manipulation qui rabaisseraient le débat démocratique. Les mesures que nous adopterons doivent s'appliquer dès la prochaine campagne : il y a urgence.
En temps de crise, les stratégies partisanes devraient être mises de côté. J'en appelle au Sénat pour rendre son sens à ce texte. (M. René Garrec applaudit)
Mme Corinne Bouchoux. - Le Gouvernement prétend diminuer le remboursement des dépenses sans toucher au reste. M. le rapporteur, nullement « arrogant » mais brillant et convaincant, a bien dit qu'il était à l'honneur du Sénat de poser les questions qui dérangent. Un non-candidat fait campagne avec les deniers publics, et se livre à un véritable hold-up audiovisuel : le 29 janvier au soir, selon moi, tout a changé. Du reste, pour sa prochaine allocution, je fais de modestes propositions : réquisition de toutes les chaines de télévision et de radios et même des réseaux sociaux -demandez aux Chinois comment faire-, fermeture des cinémas et des théâtres, diffusion obligatoire auprès des plus de 16 ans dans les transports en commun et les aéroports... On se croirait revenu au temps de l'ORTF ! Cette affaire est inédite dans les annales démocratiques depuis dix ans !
Les candidats détenteurs d'une charge publique ne doivent pas en tirer parti pour faire campagne. Dimanche dernier, M. Sarkozy a sans doute dépensé les 3 millions et quelque que le Gouvernement veut nous faire économiser !
Le Conseil constitutionnel s'est cruellement ridiculisé dans une affaire désormais bien connue ; les propositions du rapporteur sont bienvenues. La responsabilité d'un président élu grâce à des comptes frauduleux doit être engagée.
Nous soutenons la position du rapporteur. Il faut rompre avec des pratiques anciennes : Karachi, ça suffit ! (Applaudissements à gauche)
M. Jean Louis Masson. - Certes, la France est confrontée à un déficit considérable, mais présenter un projet de loi organique à quelques semaines de l'élection présidentielle à seule fin de porter de 50 à 47 % le plafond de remboursement ne laisse pas de surprendre.
Nos collègues de gauche parlent de transparence. Ils disent vouloir laver plus blanc que blanc. Eh bien, qu'ils acceptent de revoir la règle scandaleuse des parrainages. Elle est traitée par le même article de la loi de 1962 que celui que vise le texte.
Mais tout le monde prend soin de ne pas laisser sortir le lapin du sac...
M. David Assouline. - Sauf vous !
M. Jean Louis Masson. - Heureusement que je suis là ! Les deux partis dominants s'entendent pour profiter d'un système injuste et improductif. On l'a vu en 2002 et 2007, il n'empêche pas la présentation de candidats farfelus mais il handicape des partis dont la légitimité est pourtant incontestable. Il ne sert à rien que le vote soit secret si la publicité des parrainages autorise toutes les pressions...
En 2002 comme en 2007, on nous a promis -avant l'élection- d'y réfléchir et de réformer -après- le système et le président de la République l'a inscrit dans la feuille de route de son Premier ministre. Puis la commission Balladur a constaté que le système n'était pas juste et a proposé une réforme.
M. le président. - Concluez !
M. Jean Louis Masson. - Les sept non-inscrits ont trois minutes, les dix écologistes six : ce n'est pas équitable. On ne m'empêchera pas de parler : c'est pourquoi je défendrai des motions.
M. David Assouline. - Au nom de qui parlez-vous ?
M. Alain Anziani. - Drôle de période... Marquée par l'arrogance ? En tout cas par une étrange précipitation. Il suffit de se pencher sur l'ordre du jour de nos travaux. En quelques heures, en fin de mandature, en extrême urgence, il faudra voter, après une réforme de l'exécution des peines, une TVA sociale et d'autres mesures d'importance.
Vous nous invitez à la transparence, alors mettons sur la table toutes les dépenses étranges d'un candidat non-candidat.
Transparence... sauf pour les dépenses cachées ? La majorité actuelle n'a pas de candidat mais Mme Merkel le soutiendra. Est-ce en qualité de président de la République que le chef de l'État critique un candidat déclaré, l'accord entre le parti socialiste et les verts ou les 35 heures ?
Un déplacement du président de la République se monte à 95 000 euros selon la Cour des comptes, sans parler des dépenses engagées sur place -location de salle, affrètement de cars par l'UMP comme l'a admis le responsable du Var-, à quoi s'ajoutent les dépenses de sécurité -200 000 euros-, les sondages, le tour de France d'un conseiller -M. Guaino, qui critique François Hollande... Une douzaine de collaborateurs à l'Élysée travaillent sur la campagne numérique du non-candidat.
Pourquoi écartez-vous d'un revers de main les propositions de notre rapporteur, par exemple sur le périmètre des dépenses -« celles engagées au profit du candidat et qui ne sont pas dénuées de lien avec le débat politique national » ? C'est une formulation du Conseil d'État lui-même, qui n'a rien de flou comme le prétend l'Assemblée nationale. Celle-ci refuse aussi la saisine de la CNCCFP pendant la campagne. Cela troublerait la sérénité du débat : étrangement... Et la transparence ? Voyez ce qui se passe pour les cantonales, le juge peut être saisi avant même l'élection.
M. le rapporteur propose aussi qu'un candidat ne puisse faire usage des deniers publics : certes, cela est inscrit dans le code électoral mais les candidats semblent l'ignorer et le Conseil constitutionnel ne donne pas suite : sa jurisprudence est très bienveillante.
Le Gouvernement propose d'économiser 3 millions d'euros sur 220. Nous posons une question plus large : comment assurer l'égalité entre les candidats ? (Applaudissements à gauche)
M. Michel Delebarre. - Ce projet de loi est devenu très symbolique de la façon dont le président de la République et le Gouvernement mettent en oeuvre les règles de la démocratie.
Le projet de loi a été présenté comme ambitieux à l'origine ; à présent, après une CMP qui a duré moins de trois minutes, le ministre ne lui accorde plus qu'une portée très limitée.
Une économie de 3,7 millions au regard d'un déficit cumulé de 1 600 milliards d'euros... Effectivement ! L'allégement de l'ISF, 1,5 milliard d'euros, l'été dernier, est à rapprocher de ces chiffres, et je ne reviens pas sur la fameuse loi Tepa.
La fulgurance de la CMP n'a pas permis de prendre en compte les excellentes propositions de M. Gorce, comblant des lacunes telles que l'absence de sanctions pour non-respect des règles et des plafonds de dépenses et incitant le Conseil constitutionnel à revenir sur sa jurisprudence. Les Français qui ont suivi les affaires Karachi ou Bettencourt dans la presse n'acceptent plus ces pratiques.
Des zones d'ombre entourent aussi le financement par le ministère de l'intérieur et les collectivités des déplacements du chef de l'État qui s'apparentent à une tournée électorale dans des villes en état de siège : 75 visites en province cette année contre 45 en 2010...
Le texte de notre commission des lois pose les bases d'une démocratie régénérée. L'Assemblée nationale aura le dernier mot mais le travail mené par le Sénat trouvera un large écho dans les semaines qui viennent. Écoutez la mise en garde d'un élu d'un département du littoral : lorsque l'on se trouve sur des sables mouvants, plus l'on gesticule et plus l'on s'enfonce ! (Vifs applaudissements à gauche)
M. Philippe Richert, ministre. - L'appréciation des gesticulations dépend du lieu où l'on se trouve.
Nous ne proposons certes que des économies limitées.
M. Michel Delebarre. - Nous sommes d'accord.
M. Philippe Richert, ministre. - Mais les 3,7 millions d'euros d'économies sont à comparer non aux 220 millions d'euros dépensés mais aux 46 millions remboursés et la proportion n'est pas si méprisable : 8 % de la dépense de l'État.
Quant à la transparence, je vous rappelle qu'il n'y avait pas de budget de l'Élysée jusqu'en 2007, ni de contrôle de la Cour des comptes : c'est l'actuel président de la République qui a mis cela en place.
Le président de la République n'est pas encore déclaré mais déjà en campagne, dites-vous.
M. Michel Vergoz. - Il dépense beaucoup !
M. Philippe Richert, ministre. - En 1988, François Mitterrand s'était déclaré à la mi-mars seulement...
M. Pierre-Yves Collombat. - Il était toujours en retard.
M. Philippe Richert, ministre. - Dans une période si difficile, quoi d'anormal à ce que le chef de l'État gère les affaires du pays ? Le président de la République n'aurait plus le droit de prononcer ses voeux ? C'est à son initiative !
Vous y aller un peu fort. Le président de la République a déjà fait beaucoup pour la transparence.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. - Je ne peux vous laisser ignorer que c'est le général de Gaulle qui a refusé que le budget de l'Élysée puisse être augmenté à discrétion.
Quant à la transparence, elle ne se ménage pas plus que la vertu : on ne peut se contenter d'un entre-deux.
Les comptes de l'Élysée, c'est bien ; les comptes de campagne, ce serait mieux.
Enfin, ce sont bien les dépenses engagées par l'État qui se montent à 220 millions d'euros : permettez-moi de le dire sans arrogance...
La discussion générale est close.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°13, présentée par M. Masson.
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, relatif au remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle.
M. Jean Louis Masson. - Je termine mon propos de discussion générale... Le président de la République a demandé au Premier ministre de normaliser le système des parrainages en 2007. Puis il a créé le comité Balladur, qui a recommandé une réforme des parrainages.
Et délibérément, on n'a rien fait. Il fallait bien couvrir toutes les turpitudes, des grands partis -je note le silence assourdissant du parti socialiste- qui veulent conserver leur mainmise. Les victimes du système sont par exemple M. Dupont-Aignan, Mme Boutin ou M. Poutou.
Mme Le Pen m'a adressé un courrier, comme à d'autres je présume, dans lequel elle invoque de possibles représailles sur les maires qui la soutiennent.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx et M. Jean-Jacques Hyest. - Nous n'avons rien reçu !
M. Jean Louis Masson. - Le 31 janvier, ajoute-t-elle, soit vous agissez en républicain et modifiez la loi, soit vous suivez les grands partis. Elle a raison : comme les candidats dangereux dans la Russie de Poutine ou l'Égypte de Moubarak, certains candidats en France doivent être écartés ! (On s'indigne de l'argument sur plusieurs bancs)
Je serai seul peut-être à refuser d'esquiver le débat mais je me ferai entendre. Un système transparent et démocratique en apparence peut conduire à des déviances -car la manière de l'appliquer compte pour beaucoup.
La Constitution et les engagements internationaux de la France imposent le respect des principes fondamentaux de la démocratie. Le respect du suffrage universel exige que le vote soit secret et exempt de toute pression directe ou indirecte. Or le filtrage des candidatures par le biais de parrainages rendus publics permet d'exercer des menaces, un chantage ou des représailles à l'encontre des parrains potentiels. Cette atteinte grave à la liberté de candidature vicie manifestement l'expression du suffrage universel.
La publicité des parrainages est prévue par l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962, qui fait l'objet du projet de loi organique. En votant le projet de loi, nous entérinons implicitement une situation contraire aux principes constitutionnels et à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
En première lecture, j'avais rappelé que j'accorderai mon parrainage à M. Dupont-Aignan, non parce que je partage ses convictions mais parce que je veux aider l'un des petits candidats victimes du système.
Chantage aux subventions, menaces de représailles, parfois menaces physiques, tous les coups sont permis. Mme Aubry, avec M. Hollande, rapporte Le Figaro, a fixé la feuille de route : aucun maire socialiste ou apparenté ne doit manquer à l'appel. Côté UMP, il en va de même.
Des représailles ont eu lieu contre des chasseurs ayant parrainé des écologistes ; personne n'en a le monopole. Dans mon canton, deux maires avaient parrainé le Front national : l'un a été si malmené qu'il en a fait une crise cardiaque ; l'autre, Jean-Marie Boer, annonce qu'il ne parrainera jamais plus personne. Sollicité, il avait accepté de parrainer le Front national, à la veille du délai-limite, au nom de la démocratie. Il l'avait fait aussi pour Dominique Voynet auparavant. Mais cette fois, il a été menacé, insulté, invectivé pendant des semaines.
Quelle mauvaise foi de prétendre que la publicité des parrainages ne nuit pas à la démocratie ! L'expérience de 2002 a en outre montré que des candidatures farfelues n'étaient en rien exclues : les candidats étaient très nombreux, celui qui a fait le plus bas score à l'élection, M. Glickstein, avait plus facilement trouvé des parrains que le candidat du Front national, arrivé deuxième...
Il est temps de rétablir le secret des parrainages et d'exonérer de parrainage les candidats qui, à une élection antérieure, ont obtenu au moins 5 % des voix. Prévoyons aussi des sanctions contre ceux qui exercent des pressions.
Les modifications qui nous sont proposées sont marginales. Le Gouvernement déclare l'urgence mais feint d'ignorer les vrais problèmes. L'UMP et le parti socialiste s'entendent pour continuer à profiter du système. Oui, il y a urgence à réformer l'article 3 de la loi de 1962, mais pour assurer le secret des parrainages et la liberté des votes et pour prévoir des sanctions pénales contre ceux qui exercent chantages ou représailles.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. - Défavorable à cette motion qui ressemble comme deux gouttes d'eau à celle de première lecture.
M. Philippe Richert, ministre. - J'ai déjà exprimé mon avis sur une extension de l'objet du présent projet de loi, à trois mois de l'échéance présidentielle.
Nous nous limitons à tirer les conséquences de la loi de finances et nous refusons à une telle réforme de fond. Défavorable.
La motion d'irrecevabilité n'a pas lieu d'être car les modifications que nous apportons sont marginales. L'avis sera le même sur les deux motions suivantes.
La motion n°13 est mise aux voix par scrutin public de droit.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l'adoption | 1 |
Contre | 339 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. - Motion n°14, présentée par M. Masson.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, relatif au remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle.
M. Jean Louis Masson. - Sous prétexte des déficits budgétaires, le projet de loi organique fait passer les remboursements de l'État de 50 à 47,5 % du plafond des dépenses. La mesure n'a qu'une incidente limitée, à 2,5 %. Son seul but est de donner bonne conscience aux grands partis politiques dont les dépenses électorales démesurées sont mal comprises par nos concitoyens, surtout en période de crise.
En outre, une réduction des remboursements sans réduction corrélative du plafond des dépenses autorisées accentue les distorsions entre les candidats des grands partis, qui bénéficient de financements abondants et les autres, qui dépendent pour l'essentiel des remboursements de l'État.
La logique de la réforme du financement des campagnes électorales consistait à un remboursement proportionnel aux dépenses -50 % de celles-ci. Nous sommes là en rupture avec ce principe. Et les propositions de la majorité sénatoriale aggraveront encore les distorsions entre petits et grands candidats.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. - Défavorable, le système que nous préconisons est plus juste au regard des effets de seuils ; et cette distinction entre « grands » et « petits » candidats n'est pas admissible, la légitimité s'acquiert par le suffrage : un grand parti est un parti soutenu par de nombreux électeurs.
M. Philippe Richert, ministre. - Même avis défavorable.
La motion n°14 est mise aux voix par scrutin public de droit.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l'adoption | 1 |
Contre | 339 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. le président. - Motion n°15, présentée par M. Masson.
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, relatif au remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle.
M. Jean Louis Masson. - En 1962, quand le général de Gaulle a voulu que le président de la République fût élu au suffrage universel direct, il a chargé les maires et autres grands élus d'écarter les candidatures farfelues. Or rien n'est plus subjectif que de déterminer les critères d'un candidat présentable. C'est d'ailleurs ce que le général de Gaulle pensait, lui qui avait dit au Conseil des ministres du 2 octobre 1962 : « Ou bien les élus accordent une véritable investiture, et il faut y aller carrément (...) Ou bien on adopte le suffrage universel dans toute son ampleur et il ne doit pas y avoir de condition préalable ». Comme le confirmera par la suite Alain Peyrefitte, il ne voulait pas d'un filtre entre électeurs et candidat.
Sur la suggestion du Conseil constitutionnel et depuis 1976, il faut, pour être candidat, avoir recueilli plus de 500 signatures d'élus. Mais la liberté du suffrage est ainsi mise en cause. Le parrainage est assimilé à un soutien et les élus ont le plus grand mal à faire comprendre qu'ils veulent seulement que puissent s'exprimer tous les courants d'opinions significatifs. En 2012, M. Copé et Mme Aubry ont exigé qu'aucun élu de leur parti respectif ne parraine un autre candidat que celui du parti : c'est contraire à l'esprit de nos institutions.
M. Bernard Piras. - Chacun est libre !
M. Jean Louis Masson. - La publicité des parrainages porte atteinte aux principes du secret du suffrage et d'égalité devant l'élection. Les grands partis bénéficient de réseaux d'élus. Les maires sont très sollicités à l'approche des scrutins. En 2002, si l'on met à part les quatre candidats des grands partis, les autres n'avaient obtenu qu'un peu plus de 500 parrainages, y compris M. Le Pen, pourtant présent au deuxième tour.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. - Regrettez-vous 2002 ?
M. Jean-Marc Todeschini. - Peut-être les candidats n'ont-ils pas fait connaître tous les parrainages obtenus !
M. Jean Louis Masson. - En 2006, à peine un maire sur dix avait l'intention de parrainer un autre candidat que ceux du « système des quatre »...
Je regrette que M. Sarkozy n'ait pas suivi l'avis de la commission Balladur, malgré ses engagements.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. - Il avait fait beaucoup de promesses...
M. Philippe Richert, ministre. - Qu'il a tenues !
M. Jean Louis Masson. - Les parrainages peuvent aussi servir de moyen de chantage contre un adversaire. Le système actuel favorise les grands, les puissants et les riches. Les grands partis manipulent les petits candidats de l'autre bord. Ainsi Mme Garaud fut-elle parrainée par la gauche en 1981, comme M. de Villiers en 1995 ; Mme Laguiller entre 1974 et 2007, Mme Voynet en 1995, M. Besancenot en 2007 obtinrent des parrainages de la droite.
M. Le Pen, plus dangereux, n'a pu se présenter en 1981 faute de parrainages.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. - En 1962 non plus, pendant la guerre d'Algérie.
M. Jean Louis Masson. - Tocqueville insistait sur l'importance de la démocratie communale : « c'est dans la commune que réside la force du peuple libre ». Les maires des petits communes offraient une garantie contre la politisation excessive. Mais ils craignent à présent d'accorder leur parrainage : ils sont même soumis à un chantage aux subventions. (On se récrie sur plusieurs bancs)
Il est extraordinaire que le Gouvernement tienne à une modification microscopique de l'article 3 de la loi de 1962 et veuille ignorer l'ampleur du problème posé par les parrainages.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. - Avis défavorable : le parrainage est un acte politique, une présentation de candidature. Il y a d'ailleurs près de 42 000 signataires potentiels ; si l'on n'en convainc même pas 500, c'est peut-être que les élus sollicités s'interrogent en leur âme et conscience. On pourrait vouloir ouvrir la désignation à tous les citoyens ; ce n'est pas ce que vous faites : vous vous battez contre la publicité des parrainages alors que la démocratie appelle clarté et transparence. (Applaudissements à gauche)
M. Philippe Richert, ministre. - Le renvoi en commission changerait-il quelque chose à l'affaire ? Quoi que je pense de ses conclusions, je dois constater que la commission des lois a amplement étudié le sujet.
M. le rapporteur a rappelé la nature politique du parrainage. A quelques mois du scrutin, changer les règles parce que certains candidats ne trouvent pas les parrainages nécessaires, est-ce acceptable ? Que ceux qui sont à la peine s'interrogent ! On ne peut pas décrier constamment les élus, puis les solliciter.
La motion n°15 n'est pas adoptée.
La séance, suspendue à 16 h 55, reprend à 17 heures.