Fiscalité locale (Questions cribles)
M. le président. - L'ordre du jour appelle des questions cribles sur la fiscalité des collectivités territoriales.
L'auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d'une durée d'une minute au maximum peut être présentée soit par l'auteur de la question, soit par l'un des membres de son groupe politique.
Ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sera rediffusé ce soir sur France 3, après l'émission Ce soir (ou jamais !) de Frédéric Taddéï.
M. Jacques Mézard. - Le groupe du RDSE a demandé la création d'une mission sénatoriale sur la suppression de la taxe professionnelle. Ce dossier était mal préparé, il a accru les charges de l'État et les collectivités n'y comprennent goutte : les rédacteurs des circulaires ne savent pas que ce qui se conçoit bien s'énonce clairement...
Le Gouvernement s'est d'ailleurs donné deux années supplémentaires pour mettre en place la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Quelles sont ses intentions ? Va-t-il revoir la clé de répartition de cet impôt ? L'Ile-de-France concentre la valeur ajoutée, ce qui va compliquer les choses lors de la stabilisation du fonds de garantie. Comment remédier au fait qu'il s'agit d'un impôt déclaratif ?
Sur la cotisation foncière des entreprises (CFE), les collectivités ne disposent pas des éléments techniques nécessaires pour délibérer et déterminer les bases de l'imposition forfaitaire et de celle qui s'applique aux entreprises réalisant plus de 100 000 euros de chiffre d'affaires. Pourquoi tant tarder à réviser les valeurs locatives des locaux professionnels ?
Ces questions illustrent les failles de cette réforme et la nécessité de la revoir en profondeur. (Applaudissements à gauche)
M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales. - Beaucoup de questions pour deux minutes de réponse...
La suppression de la taxe professionnelle a été intégralement compensée, elle coûte à l'État 5 milliards par an. Les entreprises ne sont plus pénalisées par la taxe professionnelle, qui constituait un véritable handicap.
S'agissant de la CVAE, les dossiers consolidés seront adressés aux collectivités prochainement. Il a fallut collecter les informations. C'est chose faite aujourd'hui.
Le Parlement ayant modifié le texte initial, il nous a fallu du temps pour procéder aux simulations nécessaires. Une péréquation départementale et régionale sera mise en place sur la CVAE en 2013.
En ce qui concerne les valeurs locatives, nous aurons sous peu les résultats des expérimentations en cours : le Parlement en débattra comme nous l'avions promis.
M. Yvon Collin. - Merci pour votre réponse... qui ne répond pas à toutes les interrogations. Les collectivités territoriales essaient de trouver leurs repères dans ce maquis inextricable. Les élus sont inquiets. La répartition de la CVAE revêt une « certaine dose de complexité », de l'aveu même de la directrice de la Législation fiscale. Quel euphémisme !
Vous comprendrez l'inquiétude, et même l'exaspération, de nombre d'élus locaux qu'il vous revient de rassurer. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Philippe Dallier. - Les collectivités locales ont jusqu'au 31 mars pour voter leur budget. Certaines, qui sont en difficulté, attentent la dernière limite pour y procéder. Or, de nombreuses incertitudes demeurent, notamment sur la réforme de la taxe professionnelle. L'année dernière, les bases ont été connues en décembre. Beaucoup de collectivités locales, par prudence, n'inscriront pas en investissement autant qu'elles auraient pu faire.
Le patron de la Banque postale nous a confirmé qu'il ne prendrait le relais de Dexia qu'au milieu de l'année.
Quels éléments pouvez-vous nous apporter d'ici fin février pour que les collectivités territoriales puissent investir ? (Applaudissements enthousiastes et amusés à gauche)
M. Philippe Richert, ministre. - Il a été mis en place de nouvelles procédures pour la CVAE, qui ont donné lieu à des régularisations en 2010, qui ont été communiquées jusqu'en juin 2011. Le Gouvernement s'est engagé à calculer la garantie des ressources dont bénéficie chaque collectivité.
Les collectivités locales devront bénéficier des évolutions de la CVAE d'ici fin janvier.
M. Daniel Raoul. - Quelle année ?
M. Philippe Richert, ministre. - Vous devriez vous réjouir de cette bonne nouvelle. L'état 1259 sera notifié fin février, début mars.
Si la DGF a été gelée, la péréquation s'est améliorée. Nous avons mis en place un montant maximum de diminution, avec un plafond de garantie à 90 %, pouvant aller à 100 % pour la DSU.
Sur les emprunts bancaires et le rôle de la Banque postale et de la Caisse des dépôts et consignations, j'aurai l'occasion de vous répondre sans doute.
M. Philippe Dallier. - Nous avons besoin du maximum d'informations pour établir nos budgets. Nos collègues de gauche se sont amusés de ma question. Nous avons tous intérêt à augmenter les investissements pour que notre pays se porte le mieux possible, quel que soit le gouvernement ! (Applaudissements à droite)
M. Pierre Jarlier. - Le rôle des collectivités territoriales sera déterminant, face à la crise. Encore faut-il qu'elles en aient les moyens. Ne stigmatisons pas les collectivités territoriales qui aménagent le territoire. Leurs ressources doivent être mieux réparties.
Le débat budgétaire a illustré ce propos : le mécanisme imaginé a des effets pervers. Des territoires fragiles sont pénalisés : c'est la double peine.
Qu'entendez-vous faire, monsieur le ministre, pour réduire ces inégalités ? (Applaudissements au centre et à droite)
M. Philippe Richert, ministre. - Les questions cribles ne doivent pas servir à la majorité sénatoriale à s'affronter avec le Gouvernement. Elles donnent l'occasion au Gouvernement de vous apporter des réponses précises.
La droite n'est pas seule à avoir demandé une révision de la fiscalité des entreprises. Cette réforme a été longue, divers gouvernements ont tenté de la mener à bien, sans succès. Aujourd'hui, c'est chose faite. Réjouissons-nous.
Le pourquoi de la péréquation et ses modalités ont été très discutés lors du débat budgétaire. Sur le principe, tout le monde y est favorable mais, sur les conditions, c'est une autre affaire.
Certaines collectivités renâclent, craignant d'y perdre, et il faut entendre leurs arguments. Selon qu'on est donateur ou récipiendaire, le point de vue est différent.
Fallait-il prendre en compte les ressources réelles ou potentielles ? Le débat a été tranché en faveur des ressources réelles mais nous le reprendrons à l'automne, en fonction des montants réellement perçus.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Merci de cette réponse. Il aurait fallu une réforme globale de la fiscalité locale.
Les dispositions prises lors du plan de relance -remboursement anticipé du FCT TVA- ont satisfait les élus locaux qui voudraient que ce dispositif perdure.
Mme Frédérique Espagnac. - Après le temps des réformes vient celui du bilan : vous avez porté un mauvais coup aux territoires et les collectivités territoriales verront se réduire leurs moyens.
Votre réforme n'a pas suscité l'adhésion des entreprises. Votre politique a allégé la charge de la taxe professionnelle sur les entreprises mais les impôts qui pèsent sur les ménages ne cessent d'augmenter. L'absence de revalorisation des bases provoque des inégalités. Il est temps de redéfinir une politique fiscale juste pour les ménages.
M. Philippe Richert, ministre. - En 2010, l'État a reversé 98 milliards d'euros aux collectivités territoriales. En 2011, 99 milliards, et il reversera 100 milliards en 2012. Voilà la réalité !
Nous avons réformé la taxe professionnelle : c'était un impôt injuste qui handicapait nos entreprises. Il est vrai que leurs contributions ont été allégées, notamment dans le domaine de la production. La suppression de la taxe professionnelle est une mesure antidélocalisation. Les collectivités territoriales ont-elles subi une injustice ? Non ! Nous avons réparti les ressources différemment entre les trois niveaux de collectivités, mais la charge des ménage n'a pas augmenté, madame la sénatrice.
Il faudra ajuster les valeurs locatives pour éviter que les inégalités perdurent : nous nous y sommes engagés.
Mme Frédérique Espagnac. - Je regrette que ces bases n'aient pas été ajustées plus tôt. Nous n'avons cessé de vous soumettre des propositions, que vous avez toujours refusées.
Nous n'avons pas de leçon à recevoir d'un gouvernement qui a mis à mal la progressivité de l'impôt, au bénéfice des plus aisés. Comme l'a indiqué le Conseil des prélèvements obligatoires, seules les réformes des gouvernements de gauche ont permis d'accroître la justice. Les Français ne sont pas dupes, ils vous en donneront la preuve en juin prochain. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Philippe Richert, ministre. - Ne vendez pas la peau de l'ours !
M. Christian Favier. - Peut-on encore parler de fiscalité locale ? Il y a quelques années, les recettes fiscales représentaient 60 % des ressources des collectivités territoriales, dont trois quarts en fiscalité directe. Comme il a été dit lors de la réforme Raffarin de 2004, l'autonomie fiscale est une exigence démocratique. Nos concitoyens doivent pouvoir évaluer le montant de leurs impôts en fonction des services dont ils bénéficient.
M. Philippe Richert, ministre. - La Constitution n'accorde pas aux collectivités territoriales une autonomie fiscale mais financière. Le produit des DMTO fluctue considérablement d'une année sur l'autre, ce qui ne correspond pas du tout à l'évolution des dépenses sociales des départements, d'où la nécessité des dotations.
M. Alain Le Vern. - C'est laborieux !
M. Philippe Richert, ministre. - Les ressources des collectivités territoriales méritent donc un vrai débat.
M. Christian Favier. - Je ne suis pas convaincu. Vous confirmez la volonté du Gouvernement de limiter l'autonomie fiscale des collectivités territoriales. Vous voulez les mettre sous tutelle. La péréquation des DMTO ne tient pas compte de la réalité des dépenses : la Seine-Saint-Denis est contributrice alors que ce département connaît les plus graves problèmes sociaux ! Les collectivités sont transformées en simples services déconcentrés de l'État.
Quant aux communes, leur autonomie fiscale se borne à la taxe d'habitation, un impôt injuste puisqu'il ne tient pas compte des revenus.
Mme Corinne Bouchoux. - Deux ans après la réforme de la taxe professionnelle, le flou persiste et les collectivités ne savent toujours pas sur quelles ressources elles peuvent compter. Preuve qu'une telle réforme ne peut se faire sans préparation. Cette réforme a mis à mal l'autonomie financière des régions et des départements, transformés en gestionnaires du fait de la politique gouvernementale. Si gouverner, c'est prévoir, votre politique a mis beaucoup de collectivités dans une situation périlleuse. Comment, dans ces conditions, faire vivre la décentralisation ? Le miracle doit-il venir de la Poste ? Celle-ci ne peut pas en un jour s'improviser successeur de Dexia.
M. Philippe Richert, ministre. - La réforme de la taxe professionnelle n'a pas été improvisée. Le débat parlementaire s'est développé comme il se doit. Auriez-vous préféré qu'il n'ait pas lieu ? (Rires à gauche) Dès janvier, les collectivités connaîtront les valeurs. Elles pourront donc préparer leur budget.
M. Favier ne jure que par les hausses d'impôts.
M. Alain Le Vern. - C'est vous qui les augmentez, pour les plus pauvres !
M. Philippe Richert, ministre. Ce qui compte, c'est que les ressources des collectivités soient garanties.
M. Alain Le Vern. - Mensonge ! Vous faites le contraire de ce que vous dites.
M. Philippe Richert, ministre. - Il est vrai que la Seine-Saint-Denis est contributeur dans la péréquation des DMTO. Mais ce département est le quatrième de France pour le potentiel DMTO, il est donc normal qu'il contribue. Si vous ne le voulez pas, autant arrêter tout de suite de parler de péréquation ! (Applaudissements à droite)
Mme Corinne Bouchoux. - Véhémence n'est pas raison. Les transferts de compétences ont été imparfaitement et tardivement compensés. Certains départements doivent mobiliser leurs fonds propres pour le RSA avant de récupérer la part de l'État. Dans le Maine-et-Loire, le coût des transferts non compensés se monte à 280 millions d'euros, avec sans doute 40 millions de plus en 2012. (Applaudissements à gauche)
M. François-Noël Buffet. - Tout le monde en convient : les collectivités peinent à négocier avec les banques des emprunts à des taux corrects. La Cour des comptes a souligné l'impact des nouvelles règles prudentielles qui s'imposent au secteur bancaire sur les finances locales.
Deux agences sur trois ont maintenu la notation AAA de la France, mais les collectivités s'inquiètent de la dégradation prononcée par Standard & Poors. Je note d'ailleurs que la presse a peu parlé de ce maintien de notre notation.
Comment le Gouvernement peut-il aider les collectivités territoriales à obtenir des crédits convenables ?
M. Philippe Richert, ministre. - Cette dégradation ne devrait concerner qu'une trentaine de collectivités territoriales, lesquelles devraient trouver à se financer, grâce au reliquat de 5 milliards de la Caisse des dépôts et consignations. A l'heure actuelle, les banques continuent à prêter. Il pourrait y avoir un problème vers le milieu de l'année mais la nouvelle banque des collectivités devrait pouvoir prendre alors le relais. Nous ferons le nécessaire pour assurer la transition.
M. François-Noël Buffet. - Merci de ces précisions, dont les élus doivent être informés.
Mme Christiane Demontès. - C'est sûr, ils vont être rassurés !
M. Vincent Eblé. - Les départements ont été pris en ciseaux, entre leurs dépenses sociales qui augmentent et les compensations qui stagnent. Il faut une réforme globale, y compris sur la dépendance. Les départements les plus actifs ont été privés des fruits de leurs efforts. Désormais, les recettes des départements sont figées, ou très peu dynamiques : le produit de la taxe sur les assurances a même diminué de 700 000 euros en Seine-et-Marne !
Qu'entend faire le Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Philippe Richert, ministre. - L'avez-vous remarqué ? Nous sommes en crise. L'effet de ciseaux dont vous avez parlé, et dont ont souffert les départements, est incontestable -pour 2009. Mais nous avons compensé en 2010 cette diminution de 2 milliards des DMTO. Et, en 2011, elles ont dépassé les 8 milliards, contre 7,4.
S'agissant du RSA, 100 millions d'euros supplémentaires ont été inscrits au budget. Voilà la réalité des chiffres !
M. Vincent Eblé. - Les départements savent bien qu'il y a une crise : ils constituent le dernier rempart pour les ménages les plus fragiles. Au lieu de faire comme Robin des Bois qui prenait aux riches pour donner aux pauvres, vous prenez aux plus dynamiques. C'est une absurdité économique ! La part des départements reste stable dans la dette publique, alors que leurs dépenses d'équipement s'accroissent. Ils pâtiront de la perte du triple A et de votre mauvaise gestion !
M. Jean-François Husson. - La Caisse des dépôts et la Banque postale doivent s'associer pour financer les collectivités, pas avant cet été avez-vous dit : ce n'est pas pour nous rassurer. Les banques acceptent de moins en moins de prêter à long terme : bientôt, les collectivités ne pourront plus réaliser de très gros investissements, dont l'équité exige qu'ils soient financés par plus d'une génération. De nombreuses banques ont annoncé qu'elles refuseraient désormais aux collectivités des lignes de trésorerie, pourtant indispensables, notamment pour payer des fournisseurs. Que compte faire le Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. - Une banque des collectivités va être créée. En attendant, la Caisse des dépôts et consignations va mettre 5 millions à leur disposition. Que s'est-il passé avec Dexia ? Elle empruntait à court terme mais elle prêtait à très long terme aux collectivités. Elle a donc connu un problème de refinancement qu'elle n'a pu résoudre.
Jusqu'ici, on amortissait en général les projets sur vingt-cinq ans. Désormais, il faudra faire une analyse au cas par cas. Les règles prudentielles empêchent les banques de prêter à très long terme. La durée moyenne des emprunts devrait être de quinze ans ; au-delà, il faudra se tourner vers la Banque européenne d'investissement mais en aucun cas, on ne pourra atteindre des prêts à trente ou quarante ans comme ce fut parfois le cas par le passé. Aucun oukase n'y changera rien !
M. Jean-François Husson. - Certains équipements exigent pourtant des financements à long terme. Il faut y réfléchir collectivement.