Malaise des territoires (Questions cribles)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur le malaise des territoires. Ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sera diffusé ce soir sur France 3.

M. Pierre Jarlier.  - L'initiative et le développement locaux ont été portés par les collectivités locales. La population aspire à s'installer à la campagne. Mais nos collectivités sont menacées par la pénurie financière et les services publics sont remis en cause. Le pacte de confiance entre les collectivités et l'État est remis en cause. Quid de la péréquation verticale ? Quel avenir pour les investissements dans les zones de revitalisation rurales ? Comment assurer aux collectivités les ressources vigoureuses et pérennes nécessaires à la dynamique des territoires ?

M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales.  - La péréquation est et restera une préoccupation majeure du Gouvernement. En 2012, la DSR est renforcée de 40 millions, pour atteindre 891 millions contre 420 en 2004. Et la DSR cible sera reconduite, au bénéfice des plus fragiles. Un amendement sera déposé en loi de finances pour doter de 250 millions le Fonds de péréquation des dotations communales et intercommunales, avec la perspective d'atteindre 1 milliard d'euros à l'horizon 2015.

Les intercommunalités rurales sont le lieu privilégié de la solidarité nationale !

M. Pierre Jarlier.  - Et les ZRR ? L'attente est grande. Allez-vous les maintenir ? J'ajoute que nous passons d'une péréquation verticale à une péréquation horizontale puisque l'enveloppe est désormais fermée.

M. François Marc.  - Le malaise des territoires a trouvé ici, il y a quelques semaines, sa traduction. Les interrogations concernent d'abord les ressources, sachant que plus de 70 % de l'investissement public est le fait des collectivités territoriales. Diverses réformes récentes ont amenuisé les marges d'autonomie pour les collectivités, qui ne trouvent plus de banque pour les accompagner. Et le Gouvernement semble vouloir demander 200 millions d'euros d'effort supplémentaire aux collectivités, qu'il plonge ainsi dans l'incertitude. Si l'on ajoute à cela la détérioration des services publics de proximité, je crains qu'on n'aille au devant de la catastrophe.

M. Philippe Richert, ministre.  - Il revient aux collectivités comme à l'État de participer à l'effort de stabilisation des finances publiques. Si vous faites abstraction de ce que l'État verse aux collectivités territoriales, son budget avoisine les 280 milliards tandis que celui de celles-ci est d'environ 220. On est donc dans le même ordre de grandeur. L'État est plus endetté que les collectivités, je le sais, mais la suppression de la taxe professionnelle a été totalement compensée. (« Faux ! » à gauche) Avant cette réforme, les communes avaient une autonomie de 47 % sur les ressources de leur budget, 40 % aujourd'hui.

Le Premier ministre a demandé à la Caisse des dépôts et consignations de libérer 3 milliards d'euros, dont la moitié ira directement aux collectivités, l'autre aux banques chargées d'assurer leur refinancement afin qu'elles continuent à investir.

M. François Patriat.  - Les collectivités sont dans le désarroi, l'inquiétude devant des difficultés insurmontables. La colère monte, les urnes l'ont montré. Elles perdent leur autonomie et leurs ressources diminuent. La TIPP est en baisse ; personne ne connaît le montant de la CVAE promise, à la veille d'établir les budgets. Après leur avoir fait les poches, vous mettez les collectivités territoriales au pilori pour les difficultés actuelles. Avec l'inflation, celle que je préside a perdu 3 millions d'euros cette année ; nous ne savons pas ce qu'il en sera en 2012. Votre réponse est inacceptable ! (Applaudissements à gauche et sur certains bancs du centre)

M. Éric Bocquet.  - Le résultat historique des dernières sénatoriales est révélateur. (Exclamations sur les bancs UMP) Casse des services publics, perte d'autonomie, réformes malvenues, voilà d'où vient le malaise. La rupture est évidente : le gel est maintenu, pas un euro de plus pour la santé, pour l'éducation. Il est loin le temps où la politique de la France ne se faisait pas à la corbeille. Pourtant, les collectivités seraient un levier utile pour sortir de la crise.

Avez-vous l'intention de poursuivre dans votre logique de rationnement, de gestion de la pénurie ?

M. Philippe Richert, ministre.  - Les collectivités sont réactives devant les grands enjeux, elles sont un levier formidable. Mais nous ne pouvons pas faire comme si les contraintes internationales n'existaient pas -la crise s'est abattue, les recettes de l'État ont baissé de 20 %.

M. Pierre-Yves Collombat.  - La faute à qui ?

M. Philippe Richert, ministre.  - Ce fut pareil partout. (Applaudissements sur les bancs UMP) Et nous avons maintenu les reversements aux collectivités, avec des moyens qui ne sont certes pas en expansion mais qui permettent de faire face. Nous ne sommes pas au garde-à-vous face aux agences de notation, mais nous ne rêvons pas de démondialisation, nous ne croyons pas que le monde autour de nous n'existe pas. La France fait partie des pays qui tiennent le haut du pavé ! (Applaudissements à droite)

M. Éric Bocquet.  - Toute dépense publique serait excessive : voilà l'idée de laquelle il faudra sortir. La dernière réforme des collectivités territoriales a été refusée par tous les élus. Il faut en finir avec le carcan du contrat de stabilité et de croissance, qui interdit toute solidarité verticale, et mettre en place un véritable outil de péréquation : nous avons proposé de mettre à contribution les actifs financiers à cette fin, pour relancer l'investissement local. (Applaudissements à gauche)

M. Alain Bertrand.  - La ruralité a souffert encore plus que le reste du pays de votre brutale réforme des collectivités et de leurs finances. La réforme de la taxe professionnelle nous met dans la précarité. Le gel des dotations est inacceptable, sans parler de la crainte de voir interdire les financements croisés. Ça fait beaucoup ! Et, cerise sur le gâteau, les capitaines de l'équipe locale, les conseillers généraux doivent disparaître. Les maires ruraux n'ont plus confiance, à l'heure du découpage que vous préparez : ils craignent tous les tripatouillages. Les maires sont le sel de la République ! (Applaudissements à gauche)

M. Philippe Richert, ministre.  - En 2010, la compensation de la taxe professionnelle a représenté 1,7 % de plus que le produit de la taxe de l'année précédente. Répéter des choses inexactes ne suffit pas à les transformer en vérités. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Réforme à marche forcée ? Elle fut débattue ici ! Les regroupements intercommunaux ont été décidés ici.

Mme Françoise Cartron.  - Pas par nous !

M. Philippe Richert, ministre.  - Nous avons demandé aux préfets d'établir un schéma. Ils feront émerger le consensus.

M. Bernard Piras.  - À la hussarde !

M. Philippe Richert, ministre.  - Non, ils doivent faire émerger le consensus sur le terrain. Quant aux financements croisés, ils restent possibles pour le tourisme, le sport et la culture, ainsi que sur d'autres sujets s'il y a accord avec le département. (Applaudissements à droite)

M. Christian Bourquin.  - Mettez le nez à la fenêtre, venez nous voir. À la crise mondiale, vous avez ajouté une crise territoriale.

Vous nous étranglez et vous vous en prenez à nous ! Vous pensez que tout peut se décider depuis l'Élysée. La démocratie locale, on en a besoin ! (Vifs applaudissements à gauche)

Ces lois, ces pratiques, vous feriez mieux de les oublier. Vous n'entendez pas ce que les grands électeurs vous disent ! Les préfets sont chargés de temporiser, mais il faut purement et simplement abroger ces lois. Sinon, c'est le peuple de France qui vous le rendra ! (Applaudissements à gauche)

M. Antoine Lefèvre.  - Le Gouvernement a engagé la réforme territoriale avec pour objectif l'optimisation de notre organisation. (Voix à gauche : « C'est raté ! ») L'achèvement l'intercommunalité est la condition de la pérennisation du maillage du territoire national par nos 36 682 communes, auxquelles nous sommes profondément attachés. Les discussions ont été lancées avec les élus, mais dans des conditions telles que l'esprit de la loi est parfois dévoyé. Certains préfets ont adopté des positions maximalistes en particulier pour la suppression de syndicats auxquels les élus ont donné beaucoup de temps et d'énergie.

Quel est le sens des instructions données aux préfets ? Il faut rechercher le consensus, pas la contrainte ! (Applaudissements sur les bancs UMP et sur quelques bancs de la gauche)

M. Philippe Richert, ministre.  - Les préfets ont pour mission de préparer un schéma, sur lequel la commission départementale de l'organisation intercommunale se prononcera. Dans la plupart des départements, c'est bien ainsi que cela se passe mais dans certains l'organisation est « gigantissime ». Le travail doit rendre compatible le projet avec la réalité du terrain. Si cela n'est pas possible d'ici au 31 décembre 2011, nous remettrons au-delà ! (« Et la loi ? » sur les bancs socialistes)

L'Association des collectivités de France a demandé à Rennes, la semaine dernière, par la voix de son président, M. Delaveau, de conserver comme norme la date butoir du 31 décembre prochain, quitte à accepter que, dans quelques départements, elle soit dépassée si c'est utile pour parvenir à un consensus.

M. Antoine Lefèvre.  - Nous resterons vigilants.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Aux raisons structurelles du malaise -le naufrage des services publics- s'ajoute une raison conjoncturelle : la dernière réforme des collectivités. Et même à droite, les élus ont cessé de grogner, ils sont passés à l'acte par la voix de leurs grands électeurs.

La date de publication des schémas de coopération intercommunale a été repoussée. Mais le problème est moins le calendrier que le fond. On modifie les périmètres des EPCI sans savoir pourquoi on les a dessinés comme on l'a fait. On supprime des syndicats sans savoir qui va assumer leurs missions.

M. Philippe Richert, ministre.  - Les bassins de vie sont notre référence, quelle que soit leur taille. Des dérogations aux 5 000 habitants sont possibles et pas seulement dans les zones de montagne. Nous avons ainsi cherché à prendre en compte la diversité. La date du 31 décembre 2011, dans la loi, est fixée pour les départements où un schéma a pu être élaboré à cette date. Mais au-delà, on peut continuer à travailler !

M. Pierre-Yves Collombat.  - Mais pourquoi définir des périmètres avant de savoir ce qu'on va mettre dedans ? On élabore des schémas de coopération mais à partir du 31 décembre, le préfet peut faire ce qu'il veut ! Votre démarche n'a aucun sens.

M. Joël Billard.  - L'Association des maires ruraux appelle les sénateurs à mieux prendre en compte leurs besoins. Comme secrétaire national de l'UMP en charge de la valorisation des atouts des territoires ruraux, (« ah ! » à gauche) je m'en étonne car nous n'avons de cesse de les défendre, en soutenant la politique menée, avec un bilan dont on n'a pas à rougir. (Sarcasmes à gauche)

Où en sommes-nous dans la mise en oeuvre des décisions prises en faveur des territoires ruraux ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire.  - Ils sont une chance pour la France et nous devons leur apporter des solutions nouvelles, en développant la solidarité -par exemple avec des conventions sur les lignes secondaires SNCF, avec des conventions sur l'accès aux soins, etc.

Il faut aussi penser au développement économique : tel est le sens des ZRR, afin que les territoires ruraux ne deviennent pas des dortoirs. Tel est aussi le sens des pôles d'excellence rurale.

Et l'accès au numérique haut débit est une priorité.

M. Joël Billard.  - Ces réponses éclaireront les maires ruraux. (Rires à gauche) Ceux-ci s'adressent aux sénateurs comme à leurs défenseurs : ils ont raison. Confier la ruralité à des conseillers qui n'ont pas la légitimité du suffrage et ne sont jamais allés dans les territoires n'est pas raisonnable...

M. Martial Bourquin.  - La RGPP a créé des situations angoissantes dans de nombreux territoires. Suppression de postes dans l'enseignement, baisse d'effectifs dans la gendarmerie et la police, Office national des forêts privé d'agents... Comment mener une politique d'aménagement du territoire avec de telles saignées ? « Il faut rendre des postes », telle est la réponse récurrente dans les préfectures et les rectorats. Nous attendons l'État stratège pour relancer l'investissement car la situation est grave. (Applaudissements à gauche)

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Un État stratège, oui, mais qui pense le monde de demain, non celui d'hier ; qui apporte des solutions modernes et économes et non pas qui dépense toujours plus. (Applaudissements sur les bancs UMP) Nous ne maintenons pas une classe unique dans chaque village ni un bureau de poste qui ne reçoit que deux personnes par jour.

Vous mentionnez l'ONF. Si la France ne profite pas mieux de l'exploitation de la forêt, qui couvre le tiers de sa superficie, ce n'est pas à cause de l'ONF. Les raisons en sont à chercher du côté de la valorisation de la filière bois, de la structuration de celle-ci, de sa compétitivité économique.

Pour défendre la ruralité, le plus efficace, à l'heure actuelle, c'est de consacrer 2 milliards à la généralisation du très haut débit.

M. Martial Bourquin.  - Votre réponse est très idéologique et ne traduit pas une vision d'avenir. Pour continuer à produire de la valeur, il faut non supprimer des services publics mais trouver un mix subtil entre les politiques publiques et les entreprises. Cela commence par une fiscalité plus juste. Il n'est pas admissible que les entreprises du CAC 40 paient 8 % d'impôt sur les sociétés quand les PME paient 33 %. Il faut retrouver du dynamisme, de l'équité. (Applaudissements à gauche)

La séance est suspendue à 17 h 50.

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présidence de M. Didier Guillaume,vice-président

La séance reprend à 18 h 15.