Équilibre des finances publiques

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'équilibre des finances publiques.

Discussion générale

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement.  - Point de projet de loi de révision constitutionnelle qui laisse indifférent ! Celui-ci marque une étape décisive car il donne tout son poids à la notion de responsabilité en matière de finances publiques. Les déficits incessants depuis trois décennies montrent que la France souffre d'une incapacité structurelle à maîtriser ses comptes à moyen terme. D'où la mission confiée à M. Camdessus par le président de la République. Dès l'été 2010, nous mettions en oeuvre les préconisations de ce groupe de travail qui n'imposaient pas de révision constitutionnelle. Les lois de programmation des finances publiques, récemment créées, donnent une idée de ce que pourraient être les lois-cadres en la matière. Une circulaire rendait également obligatoire l'inscription des mesures fiscales et des recettes de la sécurité sociale dans les lois financières -loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale. Notre ambition est de consolider ces avancées en les inscrivant dans la loi fondamentale.

Il s'agit, d'une part, de créer un nouvel instrument juridique avec les lois-cadres d'équilibre des finances publiques, qui devront être respectées sous peine de censure. Tout déficit temporaire devra être accompagné des voies et moyens d'un retour à l'équilibre. Ces lois-cadres seront systématiquement déférées au Conseil constitutionnel avant leur adoption ; de plus, le Conseil constitutionnel vérifiera chaque année la conformité des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale à l'effort programmé en loi-cadre.

Nous voulons également éviter la dispersion des dispositions fiscales et sociales. Le Gouvernement s'impose déjà cette discipline, sur le fondement d'une circulaire adoptée en juin 2010 qu'il convient d'institutionnaliser. Ainsi évitera-t-on le foisonnement des niches fiscales et sociales. La nouvelle rédaction de l'article 34 que nous vous proposons n'apportera qu'une restriction formelle -et en aucun cas matérielle- à l'initiative parlementaire : des dispositions d'origine parlementaire pourront toujours intervenir sur tout sujet fiscal, mais pas à tout moment.

Les textes financiers rassemblent déjà la très grande majorité des articles fiscaux promulgués. Ainsi, le monopole fiscal proposé dans la révision constitutionnelle n'introduirait pas de rupture par rapport à la situation actuelle : il viendrait confirmer une évolution déjà largement engagée.

Lorsque des réformes fiscales ou budgétaires importantes exigeront un débat parlementaire spécifique, le Gouvernement pourra déposer des projets de loi ad hoc.

Le Gouvernement est ouvert à la discussion, pour autant qu'elle améliore le texte sans le dénaturer.

Enfin, nous voulons graver dans le marbre le principe de la transmission systématique au Parlement du projet de programme de stabilité, avant sa transmission à Bruxelles. Cela renforcera la puissance des engagements français face à nos partenaires européens. Le Gouvernement marque ainsi l'importance qu'il accorde aux parlementaires.

Avec ce projet de loi, nous souhaitons assurer la pérennité de l'effort de maîtrise des dépenses publiques.

Mme Nicole Bricq.  - Il faudrait déjà l'instaurer !

M. François Baroin, ministre.  - Ce projet de loi s'inscrit au contraire dans un effort de long terme, qui vise à garantir notre modèle social et notre souveraineté nationale pour les générations futures. Les règles que nous proposons aujourd'hui témoignent de notre détermination, tout en préservant les marges de manoeuvre des dirigeants publics. Je souhaite que nos discussions soient empreintes du même esprit de responsabilité. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.  - Cette réforme constitutionnelle, d'un style très particulier, est essentielle.

Le Gouvernement s'est engagé dans une démarche d'assainissement des comptes publics.

M. Guy Fischer.  - L'hyper austérité !

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Il s'agit de maitriser notre destin collectif. M. Fischer nous soutiendra donc ! (Sourires)

La restauration durable des finances publiques exige aussi une modification de notre gouvernance institutionnelle.

Pour les collectivités territoriales, la loi a posé de longue date le principe de l'équilibre des comptes. Il a ainsi été prévu que les recettes des privatisations iraient au désendettement ou à des dépenses en capital. Ce projet de loi va plus loin en inscrivant dans la Constitution l'objectif de retour à l'équilibre et d'en prévoir les moyens.

Depuis trente-cinq ans, aucun budget n'a été équilibré. Il faut donc rendre juridiquement contraignants -et donc crédibles et moins coûteux- les effets de réduction des déficits. L'instauration d'une norme financière contraignante est seule à même de préparer l'avenir. Comme pour la Lolf, votée il y a dix ans, cela suppose un consensus auquel je veux croire.

L'engagement de cinq commissions du Sénat -les trois commissions initiales des lois, des affaires sociales et des finances auxquelles il faut ajouter les commissions de l'économie et de la culture- est un signe favorable, auquel le Gouvernement est sensible.

La Constitution est aussi un pacte organisant le vivre-ensemble. Je salue donc le consensus des six rapporteurs.

Mme Nicole Bricq.  - Vous rêvez !

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Je compte sur votre accord, au moins in pectore. (Sourires)

Vos commissions ont approuvé la création de lois-cadres d'équilibre des finances publiques, qui constituent un outil essentiel de retour à l'équilibre. La période couverte par ces lois-cadres sera de trois ans au moins, ce qui ne fait pas obstacle au vote d'une unique loi-cadre pour une législature.

Les députés ont prévu la possibilité de modifier les lois-cadres en cours d'exécution pour tenir compte des variantes de la conjoncture. L'intervention du Conseil constitutionnel, après l'examen du texte à l'Assemblée nationale, semble complexe mais sera complète : un contrôle systématique en sus de la possibilité de la saisine. Un accord sur ces points semble possible au Sénat.

Le projet de programme de stabilité devra être adressé aux assemblées parlementaires deux semaines avant les instances communautaires ; il pourra faire l'objet d'un débat et d'un vote. Cette consécration constitutionnelle est très importante pour le Parlement. Je me félicite donc de l'accord qui paraît devoir se dégager ici sur le sujet.

Enfin, le projet de loi donne un monopole aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale sur les sujets de cette nature. Cela a été critiqué au nom des droits des parlementaires. Le malentendu là-dessus a été dissipé. (Manifestations d'étonnement à gauche)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Expliquez-nous !

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Il s'agit, pour le Gouvernement et le Parlement, de s'obliger à une discipline plus rigoureuse pour les niches sociales.

Mme Nicole Bricq.  - Vous parlez d'or ! 125 milliards de niches créées en dix ans !

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Je me félicite que vous suiviez le Gouvernement sur la voie de la discipline budgétaire.

Mme Nicole Bricq.  - Faites ce que je dis et pas ce que je fais !

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Il ne s'agit certes pas de mettre en cause les droits du Parlement, mais de l'impliquer pleinement dans la maîtrise des finances publiques. L'Assemblée nationale a invoqué l'article 41, sur le partage de l'initiative entre Gouvernement et Parlement, et souhaité que les parlementaires puissent déposer des propositions de lois financières, quitte à ce que le Conseil constitutionnel les censure. Ce dispositif subtil a les inconvénients de ses avantages. Le Sénat appréhende le monopole des lois de finances sous un autre angle, et manifeste son inquiétude sur la possibilité d'examiner une réforme d'ensemble sans en évoquer le financement. Je fais confiance à votre esprit de responsabilités pour aboutir à un équilibre acceptable par le Gouvernement.

Si j'osais formuler sinon un conseil, du moins un avis, monsieur le président de la commission des lois, ce serait d'en revenir à la définition de la loi et à celle du budget et notamment à l'arrêt du Conseil d'État de 1924, Syndicat général des assureurs conseils du Territoire de Belfort, selon lequel le budget est une loi dans la forme mais pas dans le fond.

M. Jean-Pierre Michel.  - Il existe bien d'autres textes !

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Je compte sur l'esprit de finesse des juristes...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois.  - Ne me tentez pas !

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Je fais aussi confiance à votre volonté d'aboutir. Il faut en finir avec « l'insoutenable légèreté de la dette » évoquée par votre rapporteur général !

M. Jean-Pierre Michel.  - Et les frégates de Taiwan ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Cette réforme qui n'a ni pour objet ni pour effet d'abaisser le Parlement. Le débat qui s'ouvre, j'en suis convaincu, fera émerger des solutions réalistes pour en préciser les modalités. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois.  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Nous avons voté une réforme importante de la Constitution en 2008 pour renforcer les droits du Parlement.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - C'est le contraire aujourd'hui.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Le Gouvernement dépose aujourd'hui un projet de loi constitutionnelle...

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Pour annuler le précédent ! (Sourires)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Nullement : pour retrouver l'équilibre des finances publiques.

Mme Nicole Bricq.  - Voeu pieux !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Il est plus que temps de prendre des mesures fortes de rééquilibrage ; et comme dans d'autre pays, pourquoi ne pas chercher le secours du droit pour surmonter notre incapacité à juguler l'emballement de la dette.

Toutefois, l'encadrement nécessaire du pouvoir budgétaire doit peut-être moins viser le Parlement -l'article 40 est là- ou les collectivités locales que le Gouvernement.

Le Premier ministre a imposé par circulaire une discipline budgétaire bienvenue. Ce projet de loi constitutionnelle s'articule en trois volets et s'inscrit dans l'approche timide engagée en 2008 avec la loi de programmation des finances publiques. MM. Arthuis et Marini voulaient aller plus loin ; l'Assemblée nationale ne les a pas suivis.

Les lois-cadres d'équilibre des finances publiques remplaceraient ces lois de programmation. Une loi organique en précisera le contenu ; j'aurais aimé plus de précisions dans la Constitution elle-même, comme en Allemagne. Le caractère impératif de ces lois-cadres est renforcé par plusieurs dispositions de ce projet de loi. La procédure de leur adoption est calquée sur celle des lois de finances et de financement, dont l'Assemblée nationale a avancé les dépôts au 15 septembre et au 15 octobre.

Comme les lois organiques, ces lois-cadres feront l'objet d'un contrôle obligatoire par le Conseil constitutionnel.

Le vote annuel du Parlement sur le programme de stabilité est un progrès incontestable. On aurait pu en rester là, mais le groupe de travail Camdessus a souhaité l'inscription de la règle du monopole, approuvée par nos éminents collègues de la commission des finances. Cela pose tout de même un gros problème. La commission des lois de l'Assemblée nationale proposait purement et simplement de supprimer ce monopole, qui empêcherait d'accompagner une réforme d'une évaluation de son coût. En outre, son caractère à la fois fiscal et social alourdirait considérablement la procédure. Et surtout, on réduirait ainsi le pouvoir d'initiative parlementaire.

M. Jean-Pierre Michel.  - Quel abaissement du Parlement !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Enfin, le monopole poserait des problèmes d'articulation avec les irrecevabilités financières de l'article 40 de la Constitution. Adieu les gages !

Assez curieusement, et sans aucune explication, l'amendement de suppression de la commission a été retiré, au profit d'une construction compliquée d'irrecevabilité-inconstitutionnalité qui cadre mal avec l'actuel article 41 de la Constitution et ne valorise pas vraiment l'initiative parlementaire.

Je dois rappeler l'initiative du Sénat dans la révision constitutionnelle de 2008, instituant la validation par les lois de finances et de financement de la sécurité sociale des mesures fiscales ou relatives aux cotisations sociales prises dans les lois ordinaires ; c'est la solution qu'a retenue la commission des lois soutenue par celles de l'économie, des affaires sociales, de la culture.

Dans l'esprit de la proposition de M. Carrez, la commission des finances propose que toute loi ayant des incidences financières soit accompagnée d'une loi de finances, ou de financement, rectificative. Cette solution pose des problèmes d'articulation des travaux parlementaires et semble difficilement compatible avec l'application de l'article 72-2 de la Constitution. J'ai posé quatre fois la question : on ne m'a jamais répondu ! Le Sénat n'est pas prêt d'abandonner sa priorité pour les lois concernant les collectivités locales. (Vifs applaudissements au centre et à droite, quelques applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Yvon Collin.  - Très bien !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Et comment le Conseil constitutionnel exercerait-il son contrôle ?

J'ai toujours trouvé étrange la notion de « dépenses fiscales ».

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances.  - Elles coûtent pourtant très cher !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Ce sont en réalité des diminutions de recettes fiscales, essentiellement concentrées dans les lois de finances ou de financement de la sécurité sociale. Les dépenses fiscales sont très faibles hors des lois financières.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur pour avis de la commission de l'économie.  - Seulement 16 % !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - De plus, elles viennent, pour l'essentiel du Gouvernement : TVA sur la restauration, loi Tepa...

Il serait donc paradoxal d'instituer ainsi un super article 40, pour dissuader le Gouvernement.

J'espère avoir démontré qu'il n'y a pas, d'un côté, les laxistes et de l'autre les vertueux, mais que nous devons tous relever le défi d'une discipline budgétaire. Notre position n'est finalement pas très éloignée de celle de la commission des finances : on peut valider une disposition fiscale en déposant une loi de finances rectificative. (Très bien ! sur de nombreux bancs)

M. Jean-Pierre Michel.  - Voilà !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - La discipline budgétaire est nécessaire pour la réputation financière de notre pays, mais surtout pour ne compromettre ni la croissance, ni nous exonérer vis-à-vis des générations suivantes de notre responsabilité. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis de la commission des finances.  - Le rapport de la commission des finances s'ouvre sur cette question d'apparence anodine : « pourquoi une réforme constitutionnelle ? ». Parce que la France ne peut plus attendre (exclamations à gauche)...

Mme Nicole Bricq.  - Pourquoi avez-vous donc attendu si longtemps ?

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis de la commission des finances.  - ...avec une dette publique qui approche des 100 % du PIB. La mondialisation, la crise, Maastricht sont mis en cause. L'accusation est facile ; la réalité est que nous risquons de perdre la confiance de ceux qui nous prêtent, et donc de mettre en cause l'indépendance nationale.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Ah ! les marchés !

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis de la commission des finances.  - Quand on emprunte, on se met dans les mains des prêteurs.

Notre collègue Fourcade est le dernier ministre des finances à avoir présenté un budget en équilibre en 1975 ! (Applaudissements)

Nous aurons un débat délicat sur une prétendue atteinte à l'initiative parlementaire, qui devrait nous mener à un compromis sur l'essentiel.

Comme le disait un président de la République à propos du chômage, la France a, en matière de déficit, « tout essayé ».

L'équilibre des finances publiques est déjà un objectif constitutionnel selon l'article 34. On l'oublie... Désormais, le programme de stabilité est au sommet de la hiérarchie des lois financières.

Le Gouvernement a multiplié les normes en la matière. Ce n'est pas de normes que nous manquons, c'est de la volonté de mettre en accord actes et paroles.

Mme Nicole Bricq.  - C'est de l'autoflagellation !

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis de la commission des finances.  - Nos proclamations n'ont jamais été respectées ; nos programmations se contentent de décaler dans le temps le retour à l'équilibre qui se déplace, tel l'horizon, alors que la France n'a plus le droit à l'erreur. En 2012, nous avons le déficit le plus élevé de la zone euro, derrière la Grèce, l'Irlande, le Portugal. À ce rythme, nous serons bientôt sur le podium !

Ayons à l'esprit la mise sous perspective négative de la capacité des États-Unis à rembourser leur dette. Il est vrai que les américains inondent cyniquement le monde de leur dollar ; j'espère que le prochain directeur général du FMI y mettra bon ordre.

La nécessité d'une révision constitutionnelle résulte du constat que les outils existants n'ont pas fonctionné. Le prochain Conseil européen durcira les règles de stabilité. Il nous faut, en France, un frein à la dette.

Si le président de la République s'est engagé dans cette voie à la suite de l'Allemagne, ce n'est pas en raison d'une injonction de Bruxelles. La faute en revient à notre impéritie.

Le texte reflète l'esprit des orientations du groupe de travail Camdessus, auquel nous avons participé. Il nous revient de définir la bonne règle susceptible de garantir une bonne gouvernance des finances publiques. Cette règle doit être suffisamment contraignante pour tenir le cap de la réduction des dépenses, et suffisamment souple pour ne pas enfermer l'action politique dans une voie unique ; elle ne doit pas susciter de polémiques entre comités d'experts, Cour des comptes et Gouvernement, sauf à voir sa légitimité contestée ; elle doit être compréhensible par l'opinion. Aussi vos deux rapporteurs ont-ils promu, au sein du groupe de travail Camdessus, la création de lois-cadres plutôt que la notion allemande, trop subjective, de solde structurel. Ces lois fixeront plafond de dépenses et plancher de recettes. Nous approuvons de même les autres orientations retenues à l'Assemblée nationale.

Pour conclure, je veux rappeler la représentation nationale à ses responsabilités : la France ne peut plus offrir le spectacle navrant de l'emballement de sa dette. La commission des finances vous invite à voter ce texte. Pour autant, rien ne remplacera la volonté politique. (« Bien sûr ! » à gauche) Concilier notre pouvoir fiscal et notre devoir d'équilibre budgétaire, c'est toute la noblesse de notre mission de parlementaires. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances.  - Pour beaucoup, la Constitution de 1958 est notre bien commun ; elle inspire notre engagement politique. Faut-il la réviser ? demandait le président de la commission des lois en introduction. Le président Arthuis a rappelé le contexte international et ce que sont, dans ce monde si hasardeux, les notions de confiance et de crédibilité.

Ne prenons pas la Constitution pour ce qu'elle n'est pas et ne peut pas être : la loi fondamentale ne peut pas se substituer à la volonté politique, ni comporter une règle technique d'équilibre, ni nous éviter nos petites et grandes faiblesses...

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances.  - Corps de règles et de procédures décrivant le fonctionnement des pouvoirs publics, elle se doit d'être neutre par rapport aux expressions du suffrage. Tout le succès de la Ve République tient dans la flexibilité de ce texte fondateur.

Donc, de quoi s'agit-il ? Tout simplement de préciser la hiérarchie des normes juridiques en introduisant deux innovations : la création de lois-cadres s'imposant aux lois financières annuelles et de nouvelles modalités d'articulation entre les lois financières et les lois ordinaires. C'est tout cela mais ce n'est que cela !

M. Guy Fischer.  - C'est déjà beaucoup !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances.  - Demain, ces dispositions permettront la mise en oeuvre d'une politique de droite ou d'une politique de gauche. (« Non ! » à droite) Mais si ! On ne combat pas une révision constitutionnelle pour des motifs partisans ! (Rires moqueurs à gauche) La Constitution ne saurait être un carcan. (On le conteste à gauche)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - On est en démocratie ! Vous êtes totalitaires !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances.  - Si vous n'aviez pas de ce texte une vision a priori, vous verriez que ce projet de loi ne contient pas une virgule, pas une ligne à caractère partisan. (Exclamations à gauche)

La base, c'est le programme de stabilité et de croissance. Notre souveraineté nationale est en jeu...

M. Pierre-Yves Collombat.  - Elle est aux mains des marchés financiers !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances.  - Fi de ces déclarations « matamoresques » !

M. Guy Fischer.  - Le Matamore, c'est vous ! (Sourires)

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances.  - Ne vous en déplaise : les marchés financiers existent et ce sont eux qui définissent les conditions de nos emprunts ! (Brouhaha à gauche)

M. Pierre-Yves Collombat.  - Vous les laissez faire !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances.  - la révision nous permettra de voter sur le programme de stabilité, la commission des finances souhaitant que ce vote soit éclairé par une résolution.

La cohérence à établir entre lois pluriannuelles et lois annuelles doit être triple : juridique, économique et temporelle. Pour la commission des finances, les premières doivent être glissantes sur quatre ans. La cohérence juridique sera assurée par le Conseil constitutionnel. Sur ce point, notre commission est en ligne avec celle des lois : les juges du pavillon de Montpensier doivent jouer leur rôle de gardiens de la hiérarchie du droit. La cohérence économique, nous le savons, ne passe pas uniquement par la loi fondamentale. Nous devons trouver de nouvelles méthodes pour être plus transparents vis-à-vis de Bruxelles : le calcul des hypothèses, en particulier du taux de croissance, doit être neutre, et non le reflet d'une volonté politique. J'ajoute que, pour arriver aux 3 % de déficit en 2013, il faut instaurer une règle de cohérence temporelle afin de rectifier la trajectoire si besoin est. Nous serons amenés à pratiquer cet exercice dès les prochains collectifs budgétaire et social.

La commission des finances enfin, tenant compte des observations de celle des lois et de son rapporteur, a exprimé une position de « ni, ni » : ni le texte de l'Assemblée nationale, ni la voiture balai. Monsieur le président de la commission des lois, je reconnais être allé un peu vite. Depuis, vous avez su toucher mon coeur et ma raison de juriste ! (On s'en félicite à droite) En revanche, peut-on, comme vous le souhaitez, instaurer un tel différé de plusieurs mois entre les annonces agréables et le paiement de la note ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Ce n'est pas tout à fait ça !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances.  - La circulaire de M. Fillon s'applique depuis un an, les membres du Gouvernement la respectent. La commission des finances propose donc la procédure suivante : le dépôt simultané de deux textes pour une même réforme ; une loi financière et une loi ordinaire faisant l'objet d'un dépôt concomitant, d'une étude en amont par les rapporteurs des commissions concernées et d'une discussion générale commune.

Cela dit, le Sénat tient beaucoup à l'article 72 de la Constitution. Peut-être faut-il imaginer une exception à la règle de la compétence des lois de finances et de financement quand sont concernées les collectivités territoriales... Puissions-nous trouver ici la voie raisonnable que les députés seront susceptibles de suivre. (Applaudissements à droite)

M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Nous partageons les objectifs et le constat : il faut agir pour rétablir l'équilibre. En revanche, nous nous divergeons sur les modalités. Plusieurs propositions sont sur la table. Réussirons-nous à trouver un accord entre nous, puis avec nos collègues députés ? Ce n'est pas certain en cet instant ; mais je ne désespère pas que nous y parvenions avec l'aide du Gouvernement.

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Je m'y emploie.

M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.  - M. Baroin s'est absenté, mais il m'a semblé avoir une position plus tranchée que la vôtre...

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - C'est la jeunesse !

M. Alain Vasselle, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.  - Le déficit des finances sociales ne dépassait pas 3,5 milliards il y a dix ans. Après avoir travaillé à corriger cette situation entre 2003 et 2008, nous avons dû affronter la crise ; le déficit atteindra probablement 19,5 milliards fin 2011, contre 24 fin 2010. Je rappelle que 130 milliards de dette sociale ont été transférés à la Cades et que nous nous sommes attaqués à un certain nombre de niches fiscales et sociales lors des dernières lois de finances et de financement. Mais nous sommes encore loin de l'équilibre.

Employer ce mot dans le domaine social a quelque chose de tabou. Les lois de financement de la sécurité sociale devaient, à l'origine, s'appeler lois « d'équilibre » de la sécurité sociale ; un amendement parlementaire a modifié leur intitulé. La prise en charge de la maladie, de la vieillesse, de la dépendance peut-elle répondre à une logique strictement comptable ? (« Non ! » à gauche) Je ne le crois pas ; aucun gouvernement, aucune majorité n'a jamais agi en ce sens. Mais la situation actuelle menace l'existence même du modèle social français. Malgré la reprise de 130 milliards par la Cades, une nouvelle dette de 20 milliards s'est déjà reconstituée. Je crois donc à la nécessité de lois-cadres quinquennales qui ne soient pas des gadgets, fixant de façon impérative plafond de dépenses et plancher de recettes. On me rétorquera que seule la volonté politique compte. Soit, mais les déficits se creusent depuis plus de trente ans. Qu'a fait le Gouvernement Jospin de la fameuse cagnotte ? (Exclamations à gauche où l'on note qu'alors, on constatait des excédents plutôt que des déficits) Je n'ai cependant pas la naïveté de croire que ces lois seront intangibles ; on a vu, avec l'allongement de la durée de vie de la Cades, que les verrous institutionnels pouvaient sauter...

Notre commission propose que les lois-cadres soient examinées par une commission spéciale, constituée à parité de membres des commissions des affaires sociales et des finances. La constitution au cas par cas d'une telle commission n'est pas satisfaisante au regard du caractère contraignant de ces lois. Le refus de ce travail en commun marquerait le début de l'absorption de la loi de financement par la loi de finances, alors que ces deux textes répondent à des logiques différentes et que nos deux commissions collaborent désormais dans de bonnes conditions.

Autre difficulté majeure : le monopole des lois financières empêchera le Parlement d'appréhender les réformes dans leur globalité, restreindra drastiquement l'initiative parlementaire -alors que l'article 40 s'applique déjà- comme la cohérence de l'examen des textes et le primat de la discussion au Sénat des projets de loi relatifs aux collectivités territoriales. L'équilibre des finances publiques ne passe pas par l'affaiblissement du Parlement. (Applaudissements à droite)

La commission des affaires sociales proposera donc un amendement identique à celui de la commission des lois. Je rappelle, d'ailleurs, comme l'a fait M. Hyest, que le Sénat avait adopté une disposition organique en ce sens en 2008, que l'Assemblée nationale avait refusée.

Oui, monsieur Marini, nous pouvons trouver un compromis. Mais le dépôt d'un projet de loi de finances rectificative pour chaque loi ordinaire qui l'impose ne règle pas la question de l'article 72. Le Sénat est attaché à examiner en premier les textes relatifs aux collectivités. (Applaudissements à droite) Ces applaudissements le confirment. Tant qu'une solution ne sera pas trouvée à ce problème, nous proposons d'en rester aux propositions des commissions des lois et des affaires sociales. (Applaudissements à droite)

présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur pour avis de la commission de l'économie.  - Européen convaincu et conscient de la difficile situation des finances de la France, je soutiens ce projet de loi. J'en appelle aux responsabilités de chacun : les conséquences seraient graves si le texte était rejeté.

En tant que parlementaire, j'attire surtout votre attention sur le monopole des lois financières. Ce dispositif a été supprimé par cinq des sept commissions qui ont eu à l'examiner.

Sommes-nous si dépensiers qu'il faille, pour lutter contre une dette publique de 1 600 milliards, enlever aux parlementaires la possibilité d'examiner des propositions de loi contenant des dispositions fiscales ? Les parlementaires sont-ils responsables des dérapages constatés ? Non, ceux-ci proviennent à 84 % des lois financières, pour 16 % seulement des lois sectorielles. En outre, ils sont, pour la plupart, décidés par le Gouvernement. Quelle que soit la commission à laquelle nous appartenons, nous sommes tous responsables. Dans la loi Nome, nous avons créé de nouvelles recettes. Cela serait rendu impossible si ce texte était adopté en l'état. Quel bilan de la révision constitutionnelle si nous concentrions le pouvoir budgétaire dans les mains d'une seule commission ? Que dirons-nous à nos collègues, demain, si nous acceptons d'être saisis en second du volet financier de textes relatifs aux collectivités ? Si nous ne pouvions évoquer les compensations en même temps que les transferts de compétences ?

M. Guy Fischer.  - C'est bien, ce qu'il dit ! (Sourires à gauche)

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur pour avis de la commission de l'économie.  - Dans cet esprit, nous proposons de différer au 1er janvier suivant l'entrée en vigueur des dispositions fiscales votées dans l'année.

Monsieur Mercier, vous qui connaissez bien cet hémicycle, faites confiance aux parlementaires et acceptez la suppression du monopole ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Pierre Bel.  - J'en appelle au Règlement ! Nous venons de vivre deux heures de monologues : deux ministres et cinq rapporteurs nous ont exposé les vertus de ce texte. Peut-être pourrons-nous dans un instant entendre des orateurs de sensibilité politique différente... De surcroît, nos débats seront interrompus par une séance de questions cribles. Voilà une belle illustration de ce qu'il faudra changer si l'on ne veut pas que se perpétue l'image d'une langueur sénatoriale. (Applaudissements à gauche)

Mme la présidente.  - L'organisation de nos débats est décidée par la conférence des présidents...

M. Thierry Foucaud.  - Je souscris aux propos de M. Bel.

La question est celle-ci : faut-il réduire à néant ce qui demeure de notre Parlement ? Ce texte met sous le boisseau l'initiative parlementaire et met l'État sous tutelle des politiques de convergence européenne.

M. Guy Fischer.  - Un bâillon !

M. Thierry Foucaud.  - L'Europe, voilà le véritable objet de ce débat. De fait, ce projet tient à la volonté du président de la République de faire de la France le meilleur élève de la classe européenne ; ce n'est rien d'autre que l'application du traité de Lisbonne qu'on a imposé aux peuples. Et j'entendais parler tout à l'heure de souveraineté nationale...

Nous voyons pourtant les effets désastreux du libéralisme, qui impose la concurrence fiscale dans l'Euroland quitte à imposer aux salariés et à la société toute entière des contraintes insupportables. Avec la monnaie unique, on prétendait juguler la spéculation. Cela n'a pas empêché la surchauffe des marchés financiers en 2008. Résultat, les peuples grec, irlandais, portugais, espagnol peut-être demain, sont à genoux et les patrimoines nationaux sont bradés.

M. Guy Fischer.  - C'est l'hyper austérité.

M. Thierry Foucaud.  - Le bilan n'est pas à la hauteur des objectifs annoncés. Et les inégalités, le chômage des jeunes, la xénophobie et le populisme de prospérer.

On voudrait faire des parlementaires français les garçons de course de la Commission européenne, les serviteurs zélés de M. Barroso... En fait, ce texte, au mieux, condamne les parlementaires à l'impuissance, au mieux à l'inconséquence ; mais à coup sûr, à devenir les enfants de choeur de la grand-messe de l'austérité budgétaire.

M. Guy Fischer.  - Belle formule !

M. Thierry Foucaud.  - On sait pourtant quels sont les résultats désastreux des décisions prises par l'aréopage des experts européens en orthodoxie budgétaire.

La vassalisation des débats parlementaires est un grave problème démocratique. La règle d'or, c'est la loi d'airain d'une austérité sans limite... qui a quelque faiblesse face au mur de l'argent : on renonce à mettre à contribution ceux qui ont plus sinon tout et donc à répondre aux besoins de ceux qui ont peu ou seulement moins. Cela fait quelques temps que l'on nous impose une orthodoxie budgétaire toujours pire. Ni M. Arthuis, ni M. Marini ne me contrediront.

M. Guy Fischer.  - Ils sont partis !

M. Thierry Foucaud.  - Tout est fait pour se plier aux exigences de Bruxelles et ici la majorité a passé des nuits à voir comment alléger l'impôt des plus favorisés. Et ceux qui nous promettent la camisole de force vont nous proposer un collectif budgétaire scandaleux qui va faire perdre 2 milliards de recettes publiques, en divisant par deux le rendement de l'ISF.

Vous ne cessez d'alléger impôts et cotisations sociales des plus aisés, pour quel résultat ? Faire travailler ces « salauds de pauvres », selon la formule consacrée. On les voit les vrais assistés, ceux qui ne peuvent investir sans défiscalisation ni construire une usine sans subventions.

Dégageons-nous du joug de Bruxelles et du carcan de ce projet de loi ! (Applaudissements sur les bancs CRC et divers bancs socialistes et RDSE)

M. Bernard Frimat.  - Le président et le rapporteur général de la commission des finances ne daignent pas nous entendre. Notre débat va être coupé par les questions cribles. Pour certains, le débat parlementaire consiste à se congratuler pendant deux heures avant de partir.

Nous sommes si médiocres qu'il ne leur est pas utile de nous écouter. Mais j'aimerais entendre tranquillement M. Chevènement et sans doute M. Chevènement m'écoutera-t-il aussi. Je souhaite donc une suspension de séance. (Applaudissements à gauche)

La séance est suspendue à 16 h 35.

*

*          *

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 17 heures.