SÉANCE

du jeudi 14 avril 2011

93e séance de la session ordinaire 2010-2011

présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente

Secrétaires : Mme Michelle Demessine, M. Marc Massion.

La séance est ouverte à 9 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Simplification du droit (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la CMP sur la proposition de loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit.

M. Bernard Saugey, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.  - Ce troisième exercice législatif de simplification du droit achève ce matin son long parcours parlementaire. Le 6 avril, la CMP a élaboré un texte sur les 32 articles qui lui étaient soumis.

La proposition de loi s'est révélée pour le Gouvernement un réceptacle commode pour un bataillon de cavaliers en souffrance... Si le Sénat a supprimé plusieurs articles manifestement très éloignés de l'allègement et de la simplification du droit -je pense aux dispositions relatives aux fichiers de police, au droit de préemption ou à l'échelle des peines encourues par les preneurs d'otage-, il en a ajouté certains, comme en matière funéraire, pour les motocycles ou l'élagage d'office.

La CMP est donc parvenue à un accord. Elle a retenu la rédaction de l'Assemblée nationale aux articles premier, 9, 25, 58 ou 114 et celle du Sénat aux articles premier A, 27, 30, 33 ou encore 135 bis.

Plusieurs articles ont été adoptés dans une rédaction élaborée par la CMP, entre autres celui relatif au pluralisme de la composition de la Cnil.

Je regrette que n'ait pas été retenue la rédaction du Sénat à l'article relatif à l'abrogation automatique après cinq ans des rapports périodiques du Gouvernement ; il en restera finalement cinq.

Je forme le voeu de ne plus être confronté à cette forme impérialiste, touche-à-tout, de proposition de loi.

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est un voeu pieux !

M. Bernard Saugey, rapporteur.  - Ma piété est bien connue ! (Sourires) Nous devrons être saisis à l'avenir de textes thématiques.

Je vous propose d'adopter le texte ainsi rédigé. (Applaudissements)

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.  - Ce texte est le fruit d'un constat partagé sur l'évolution de notre droit, dont la complexité et l'incohérence croissantes ont créé de l'insécurité juridique ; 3 300 lois ont été adoptées depuis les débuts de la Ve République, avec une nette accélération ces vingt dernières années. Il est de notre devoir de rendre notre droit accessible et intelligible pour nos concitoyens ; un droit lisible est une exigence démocratique. Le Gouvernement ne peut donc que soutenir cette proposition de loi.

Je salue le travail du Sénat, qui a mobilisé quatre commissions, même si ses conclusions ne vont pas toujours dans le sens que le Gouvernement aurait souhaité. Je ne nie pas le caractère inventoriel et la complexité de ce texte. Désolé pour la piété du rapporteur, un autre texte est déjà en préparation... (Sourires)

L'Assemblée nationale et le Sénat sont parvenus à un accord. Les pierres d'achoppement ne sont même plus du gravier, c'est du sable ! Le Sénat a considérablement remodelé ce texte. La CMP l'a suivi sur des points très importants, comme sur les fichiers de police. Vous aviez souhaité que ces dispositions restent intégrées à la proposition de loi Escoffier-Détraigne, adoptée à l'unanimité par le Sénat et en attente d'examen par l'Assemblée nationale. De même pour les dispositions relatives au droit de préemption.

La CMP a également suivi le Sénat sur l'aménagement des entrées de ville, disposition à l'égard de laquelle le président Hyest a fait montre d'un enthousiasme modéré.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Un enthousiasme raisonné et raisonnable !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Ce sera un nid à contentieux : la rédaction est trop vague.

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Au total, ce texte réalise des avancées concrètes au service de nos concitoyens, ce dont je me félicite. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jacques Mézard.  - Comment faire simple quand on peut faire compliqué ? Ce texte est une macédoine dont certains fruits sont peu comestibles. Du sable, avez-vous dit, monsieur le ministre ? Celui du marchand de sable, pour mieux nous endormir... Première mauvaise nouvelle de la matinée, vous nous annoncez un nouveau texte. Je vous l'ai déjà dit : perseverare diabolicum...

M. Jean-Pierre Michel.  - Ils n'en auront pas le temps !

M. Jacques Mézard.  - Le rapporteur a sagement qualifié ce texte de touffu et hétéroclite. Alors, de grâce, ne recommençons pas ! Notre ordre du jour est à la limite de l'asphyxie. Il suffit de voir l'état des sénateurs ce matin. (Sourires)

Notre droit mérite à l'évidence d'être rendu plus lisible, plus accessible ; encore faut-il avoir le sens des priorités... Légiférer à la remorque des sondages n'a jamais été de bonne méthode légistique ; la déliquescence de notre code pénal en est la preuve manifeste. On persiste à multiplier des textes sans se soucier de leur cohérence. L'insécurité juridique, déjà dénoncée en 2006 par le Conseil d'État, ne cesse de s'aggraver. Mieux vaudrait, le rapporteur l'a dit, travailler sur des textes sectoriels. Le vice-président du Conseil d'État a encore récemment relevé que des textes législatifs proches font l'objet de modifications concomitantes. Et le recours croissant à la procédure accélérée, sans justification de l'urgence, multiplie le risque de malfaçons législatives -en la matière, il n'y a pas de garantie décennale !

Le même raisonnement vaut pour les textes en navette -je pense à la proposition de loi Escoffier-Détraigne, adoptée par le Sénat unanime, toujours en attente à l'Assemblée nationale...

Dois-je revenir sur le retard chronique de la publication des décrets, l'abolition de la frontière entre la loi et le règlement ou la qualité rédactionnelle des textes ? Dans ce capharnaüm législatif, plus personne ne peut s'y retrouver.

Il y a un fossé béant entre l'ambition de ce texte et la réalité. Bien des dispositions compliquent la norme au lieu de la simplifier, par exemple à l'article premier. Je dénonce à nouveau l'introduction de dispositions nouvelles qui ne simplifient ni ne clarifient -nous avons heureusement échappé à celles sur le GIP et le droit de préemption.

Cette proposition de loi n'est évidemment pas à rejeter en bloc. On ne peut qu'approuver l'article premier A ou la suppression de nombre de commissions et rapports. Mais le diable se cache dans les détails et nous conservons le souvenir amer de la précédente proposition de loi Warsmann qui avait permis à l'Église -l'Église, monsieur le ministre !- de scientologie d'échapper de justesse à la dissolution... J'espère que nous n'aurons pas de mauvaises surprises du même ordre.

Nous ne pouvons accomplir un travail sérieux quand la vérité des médias semble devenir la seule vérité qui vaille. « La loi, implacable, est imprévisible. Si nul n'est censé l'ignorer, nul, en revanche, ne peut la connaître » écrivait Georges Perec... Cette proposition de loi semble faite pour illustrer ce propos. En majorité nous voterons contre. (Applaudissements à gauche)

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - Votre simplification est un prétexte à création d'un droit nouveau quand cela vous arrange. On ne peut raisonnablement prétendre remettre de l'ordre dans un tel désordre.

La Cour des comptes avait relevé en 2006 que ces lois dites de simplification étaient l'occasion d'effets d'aubaine législative. Vous n'en démordez pas et récidivez dans cette pratique diabolique.

C'est à la représentation nationale de se saisir du problème posé par le véritable fléau qu'est l'inflation législative. Quand le rapporteur propose de supprimer des dispositions présentes dans d'autres textes, le Gouvernement s'y oppose... Qu'attend-il donc des parlementaires ?

Le maigre progrès de l'article premier A, sur les pacsés, ne suffit pas à nous faire revenir sur notre refus de ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il y a dans ce texte des points positifs. Je voudrais en relever trois. Je pense tout d'abord à la mention dans l'acte de décès du partenaire du pacs.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Cela lui est assez indifférent...

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - ...une fois mort. (Sourires)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Cela a une portée symbolique, à laquelle je suis très sensible, moi qui ai défendu nombre de textes sur les questions funéraires. Il faudra aller plus loin et traiter la question -source de conflits dans les familles- de la désignation de la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles.

Deuxième point positif : le dossier de l'autopsie judiciaire. Nos textes étaient très nettement insuffisants. Je rends hommage à ce citoyen du Pas-de-Calais, qui nous a alertés, et aux services du Médiateur, qui nous ont aidés à préparer ce texte.

On aurait dû faire une proposition de loi sur un tel sujet. Nous avons saisi l'occasion de le traiter ici.

Troisième point important : les entrées de ville. On ne dénoncera jamais trop le sinistre urbanistique que sont devenues nos entrées de ville.

M. Richard Yung.  - À Orléans ! (Sourires)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Toutes nos villes ont leur beauté et les élus font ce qu'ils peuvent pour embellir leur centre. Mais il faut, pour y accéder, traverser un bric-à-brac de pancartes, de cubes, de parallélépipèdes de tôle ondulée. Nos anciens, eux, accordaient une grande importance à l'esthétique des portes de ville.

Je remercie M. Saugey de nous avoir soutenus sur cette question. Il est vrai que nous renforçons, sur ce point, les pouvoirs du préfet. Nous sommes attachés aux libertés locales, mais la loi doit favoriser une certaine qualité urbanistique ; il y va de l'image de la France. Je souligne à cette occasion l'action de M. Ambroise Dupont, auteur d'un des articles consacrés à la question. Le but est de faire de ces voies rapides de vrais boulevards urbains. J'aurais aimé aller plus loin, considérant que nos villes sont issues de la juxtaposition d'espaces monofonctionnels ; la ville de l'avenir devra associer des fonctions diverses sur un même lieu.

Voilà pour le positif, sur lequel je me suis longuement étendu. Il y a du négatif, comme à propos des copropriétés à temps partagé qui ont fait la fortune de spéculateurs immobiliers et le désespoir des copropriétaires, en particulier en montagne, monsieur le sénateur de l'Isère.

M. Bernard Saugey, rapporteur.  - C'est vrai.

M. Jean-Pierre Sueur.  - L'article 54 est immoral et sera soumis au Conseil constitutionnel : il suppose un accord a priori entre cocontractants sur le fait que l'un d'eux ne respectera pas la loi.

Si le président du tribunal administratif ou de la cour d'appel administrative le décide, le rapporteur public ne serait plus tenu d'exposer des conclusions sur des matières « fixées par décret ». Cette dernière mention est gravement inconstitutionnelle et contraire à l'article 34 de la Constitution, qui énonce que tout ce qui relève de la magistrature et des instances juridictionnelles doit être traité par la loi.

Troisième point sur lequel nous saisirons le Conseil constitutionnel : le classement de sortie des élèves de l'ENA. En première lecture, tous les sénateurs ont reconnu que ce classement présentait certes des inconvénients, mais bien moindres que tout ce que l'on pourrait lui substituer, qui favoriserait nécessairement l'arbitraire et le copinage.

Je ne reviendrai pas sur le statut de ce type de loi, auquel tout Gouvernement recourt. Il faudrait que le Parlement ait davantage de temps pour évoquer chaque sujet à fond. Face à l'inflation législative, il n'y a pas de miracle, sinon peut-être que l'on aille vers une réduction du cumul des mandats. Si nous voulons qu'il y ait moins d'ordonnances, il faut davantage de travail législatif. Face à la scandaleuse prérogative que s'attribue le Gouvernement de ne pas appliquer la loi en ne publiant pas les textes d'application, on ne peut, là encore, répondre que par l'octroi de pouvoirs accrus au Parlement.

À cause des trois points sur lesquels nous saisirons le Conseil constitutionnel, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. André Reichardt.  - Notre objectif est de simplifier et d'améliorer le droit. Quelques mesures proviennent directement de sollicitations des citoyens ; d'autres du Conseil d'État ; d'autres encore de la Cour de cassation. Hommage soit rendu au travail de notre rapporteur.

Dans un souci de cohérence, nous n'avons pas intégré à ce texte des dispositions présentes dans d'autres textes, comme la proposition de loi Escoffier-Détraigne. Certaines dispositions de fond, comme sur les peines encourues par les preneurs d'otages, relevaient de textes spécifiques.

La question des fuites d'eau et de la surfacturation qui en résulte est très importante pour nos concitoyens, tout comme l'obligation faite aux administrations d'échanger entre elles les pièces justificatives nécessaires aux démarches, ou les simplifications en faveur des personnes handicapées. Le chèque emploi associatif entrera dans le droit commun des congés payés.

Parmi les mesures relatives aux collectivités, notons l'organisation de consultations ouvertes sur internet, dont une synthèse sera publiée, ainsi que l'extension des délégations du conseil municipal. La gouvernance des entreprises sera simplifiée, ainsi que leur comptabilité. Les GIP se voient dotés d'un statut souple et cohérent : c'est un outil pour les collectivités.

En matière d'urbanisme, les mesures sur les entrées de ville sont à saluer. Merci à M. Sueur de l'avoir rappelé.

S'agissant des rapports au Parlement, ils seront soumis à abrogation automatique après cinq ans, sauf cinq d'entre eux...

Ce texte dense et hétérogène a fait l'objet d'un excellent travail de notre commission des lois. Je salue l'oeuvre de la CMP. Ce texte est sans doute imparfait mais utile. Il est indispensable de simplifier le droit. Légiférons moins pour légiférer mieux ! Le groupe UMP votera ce texte avec conviction et espérance pour l'avenir ! (Applaudissements à droite)

Les conclusions de la CMP sont définitivement adoptées.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Naguère, nous avions des lois portant « diverses dispositions d'ordre... » financier ou autre. C'est un peu le cas de ce texte. Il fallait régler un certain nombre de problèmes. Simplification, oui. Modification substantielle du droit, c'est autre chose... Les premières lois de simplification avaient rempli leur objectif, mais ne vaudrait-il pas mieux des lois thématiques que ces textes polymorphes. Sinon à quand les lois de simplification des lois de simplification du droit ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux.  - Nous partageons le même objectif. Pourquoi recourir à de telles propositions de loi plutôt qu'à la formule de DDO... ? La réforme de la Constitution a modifié la répartition de l'ordre du jour entre Gouvernement et Parlement... M. Hyest n'était d'ailleurs pas favorable au partage par moitié. Cette proposition de loi a été soumise au Conseil d'État, c'est une première. Nous devons continuer à simplifier le droit pour rendre la loi intelligible. Pourquoi pas des lois thématiques ou des lois avec des chapitres biens distincts pour lesquelles les assemblées pourraient nommer une commission spéciale ou des rapporteurs spécialisés ? Le Gouvernement est ouvert à la réflexion.