Immigration (Deuxième lecture)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité.
Discussion générale
M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. - Aujourd'hui, des pays du sud de la Méditerranée s'engagent à leur tour dans la voie de la démocratie. Plutôt que de rester de simples observateurs, nous devons faire face avec responsabilité à cette situation nouvelle et à la pression migratoire qu'elle occasionne. Dans ce contexte, ce projet de loi est l'occasion de traiter avec pragmatisme la question de l'immigration clandestine. Ce texte tourné vers l'efficacité républicaine est attendu par des services qui se chargent, jour après jour, de lutter contre l'immigration clandestine ; il permet également de transposer intégralement la directive Retour.
Nous avons pris le temps de la réflexion démocratique, il est temps de passer à l'action. L'excellent travail de votre commission des lois a permis des rapprochements entre la position du Gouvernement et celle de la Haute assemblée.
Notre politique migratoire s'appuie sur deux principes : la reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière, sauf cas particulier, et l'accueil des étrangers en séjour régulier.
Le septième rapport au Parlement sur les orientations de la politique migratoire montre une baisse du regroupement familial, une baisse de l'immigration professionnelle et une progression de l'immigration étudiante.
La première de nos priorités, c'est la lutte contre l'immigration irrégulière. Depuis 2007, ce sont plus de 110 000 personnes qui ont été éloignées vers leur pays d'origine, et plus de 102 000 personnes qui ont été refoulées à. la frontière. Grâce à la Loppsi, entrée en vigueur le 15 mars dernier, nous disposons d'un cadre juridique clair et fiable
Il nous appartient également de tirer parti des nouvelles technologies, notamment les visas biométriques. D'ici le mois de juin, 150 points d'accès à la base des visas biométriques seront développés.
Du 23 février au 6 avril, 1 921 Tunisiens débarqués à Lampedusa ont été éloignés. Nous oeuvrons dans le cadre du droit communautaire et des conventions bilatérales en nous opposant aux pratiques non coopératives. J'ai rencontré à Milan mon homologue italien et nous nous sommes mis d'accord pour monter, dans le cadre de Frontex, des patrouilles communes au large des côtes tunisiennes.
La lutte contre l'immigration irrégulière passe également par un dialogue renforcé avec des pays du sud ; j'insisterai sur ce point lors de la réunion des Vingt-sept.
Deuxième priorité, la maîtrise de l'immigration régulière : Le regroupement familial ne représente plus que 15 000 titres de séjour par an, contre 25 000 avant la réforme. Nous devons aujourd'hui nous poser la question d'une nouvelle étape dans la maîtrise de l'immigration légale. C'était le sens de mes propos de la semaine dernière. C'est pourquoi je ferai, dans les prochains jours, des propositions de réduction du nombre de titres de séjour délivrés chaque année.
Notre troisième priorité est celle de l'intégration.
La France doit rester fidèle à elle-même, à ses valeurs ; pour éviter ces tensions, les préjugés, voire la xénophobie, les flux migratoires doivent rester proportionnés à ce que notre pays est en mesure d'accueillir. (M. David Assouline soupire)
Depuis 2003, près de 500 000 personnes ont signé un contrat d'accueil et d'intégration. J'étais ce matin même dans le Val-d'Oise, avec votre collègue Hugues Portelli, pour faire le point sur notre politique d'aide à l'apprentissage du français. J'ai rencontré, à cette occasion, des responsables associatifs et des migrants. Leur exemple le prouve : maîtriser notre langue, c'est trouver plus facilement du travail et avoir plus de prise sur l'éducation de ses enfants.
Enfin, notre quatrième priorité est de garantir la soutenabilité de notre système d'asile. L'asile politique, qui doit rester une valeur cardinale de la République, ne doit pas devenir une nouvelle filière d'immigration. Il faut donc réduire les délais de demandes. D'où le renforcement des moyens de l'Ofpra et de la CNDA : 40 postes à l'Ofpra et 50 à la CNDA. Les délais passeront de dix-neuf mois à un an dès la fin de cette année. Le projet de loi apporte des améliorations procédurales qui vont dans le même sens.
Ce texte constitue un nouvel outil au service de cette stratégie d'ensemble. Il transpose trois directives, dont la directive Retour. Cette directive apporte trois innovations majeures.
Première innovation : la directive Retour pose le principe du « délai de départ volontaire » pour la mise en oeuvre des mesures d'éloignement. Ce délai de départ volontaire peut être compris entre sept et 30 jours ; nous le fixons à 30 jours, par cohérence avec le régime actuel des obligations à quitter le territoire français.
Ce délai peut être refusé si l'étranger représente une menace pour l'ordre public, s'il y a risque de fuite ou si un visa a déjà été refusé. Dans son avis du 21 mars dernier, le Conseil d'État a refusé l'application de cette présomption de fuite tant que le texte n'aura pas été voté.
Deuxième innovation : la directive Retour encadre davantage le régime de la rétention administrative, en prévoyant que celle-ci n'est justifiée que lorsqu'une mesure moins coercitive ne suffirait pas. C'est pourquoi le projet de loi crée une mesure d'assignation à résidence qui constitue une alternative à la rétention.
Troisième innovation: la directive Retour crée un dispositif d'interdiction de retour à portée européenne. Cette mesure, qui peut accompagner la mesure d'éloignement, est entourée de nombreuses garanties.
Enfin, ce texte propose de nouvelles voies d'accès à la nationalité française pour les personnes au parcours exceptionnel, renforce l'examen de l'adhésion à nos valeurs et l'objectivité du critère de maîtrise de la langue français. Tout candidat à la naturalisation devra signer une charte des droits et devoirs du citoyen français.
Le maître-mot de ce projet de loi est l'efficacité. D'où la création de zones ad hoc pour les cas de débarquements massifs d'étrangers. Le 22 janvier 2010, lorsque 123 Kurdes ont débarqué sur une plage de Corse, ce dispositif nous aurait été utile... Nous allongeons également la durée maximale de la rétention à 45 jours pour accroître le nombre des laissez-passer consulaires, lesquels sont la première cause de l'échec des procédures d'éloignement. Cette durée est raisonnable ; c'est la plus courte d'Europe.
Depuis que vous l'avez adopté, ce texte a évolué. Le Gouvernement a préféré les mesures pratiques aux mesures symboliques.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Très bien !
M. Claude Guéant, ministre. - D'où la suppression de la déchéance de nationalité, qui n'était qu'une des 75 mesures de ce texte.
M. David Assouline. - C'était la seule mesure du discours de Grenoble !
M. Claude Guéant, ministre. - Merci au président Hyest et au rapporteur Buffet d'avoir clarifié la rédaction de l'article 17 ter sur le droit au séjour des étrangers malades. Le Gouvernement soutiendra leur amendement.
Quelques mots de la réforme du contentieux de l'éloignement. Elle apportera plus de sécurité juridique en préservant le droit des étrangers. Il demeure une nuance entre le Gouvernement et le Sénat : vous prévoyez que le juge des libertés et de la détention (JLD) intervient au terme de quatre jours ; nous préférons cinq jours. Votre solution risque de réduire à 24 heures le délai accordé à l'étranger pour déposer un recours -ce qui est sans doute inconstitutionnel- ou à 48 heures le délai dans lequel le juge administratif peut statuer.
Aucune de ces deux options ne paraît satisfaisante car ce texte accroîtra le nombre de demandes, lesquelles seront plus complexes ; enfin, réduire le délai de jugement à 48 heures, obligerait le juge à statuer le week-end sur les demandes déposées le vendredi... D'autres problèmes d'organisation se posent. C'est la raison pour laquelle les vice-présidents du Conseil d'État se sont prononcés en 2003 et en 2006 pour un délai de jugement de 72 heures. Enfin, le délai de cinq jours ne paraît pas excessivement préjudiciable aux étrangers ; nos voisins ne font pas mieux.
La réforme est proportionnée à l'objectif poursuivi : améliorer la sécurité juridique et l'administration de la justice.
Ce texte apporte des réponses républicaines à la question de l'immigration : une réponse efficace et une réponse humaine. (M. David Assouline s'exclame) Il y va de la cohésion de la société française. (Applaudissements à droite)
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois. - Nous sommes parvenus à un accord avec l'Assemblée nationale sur de nombreux points, à commencer par les dispositions transposant la directive Retour qui créent une mesure unique d'obligation de quitter le territoire français, assortie ou non d'un délai de départ volontaire. Cette simplification va dans le bon sens, d'autant que les députés ont accepté que l'interdiction de retour ne soit pas automatique mais décidée par le préfet.
Nous sommes également tombés d'accord sur la transposition de la directive Libre circulation, ce qui apaisera le débat sur les Bulgares et les Roumains.
En revanche, restent des points à régler concernant les zones d'attente ad hoc.
La connaissance de l'histoire, de la culture et de la société françaises doit être appréciée selon la condition de la personne.
L'Assemblée nationale s'est ralliée à la position du Sénat sur la déchéance de nationalité.
Enfin, concernant la lutte contre les employeurs de travailleurs irréguliers, nous sommes d'accord sur l'essentiel.
J'en viens maintenant aux points qui restent en discussion.
Au préalable, et même si ce n'est pas l'usage ici, je veux faire une mise au point. Je regrette que les députés aient rejeté sans explication aucune des améliorations que nous avions apportées au texte. Surtout, je regrette que le rapporteur de l'Assemblée nationale ait opposé les travaux du Sénat à ceux de la représentation nationale. Que je sache, nous sommes tous élus au suffrage universel ! (Applaudissements ; Mme Catherine Tasca renchérit)
Mme Jacqueline Gourault. - Très bien !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Parmi les points restant en discussion figurent les zones d'attente ad hoc. En effet, le texte issu de l'Assemblée nationale permettrait de créer des zones d'attente ad hoc à caractère pérenne ce qui ne correspond ni à l'intention initiale du Gouvernement ni à l'idée que l'on peut se faire d'un dispositif temporaire. La commission a donc adopté un amendement qui permet de préserver ce caractère exceptionnel du dispositif, en fixant une durée maximale de 26 jours.
L'Assemblée nationale a adopté en séance publique un amendement supprimant le principe de l'acquisition automatique de la nationalité française à 18 ans pour les enfants nés en France de parents étrangers et ayant leur résidence habituelle en France. Sans même avoir à se prononcer sur le fond, une telle disposition, qui constitue une mesure nouvelle sans lien direct avec une disposition du texte en discussion, ne satisfait pas à la règle de l'entonnoir. Dura lex, sed lex...
Votre commission a également rejeté la modification des dispositions en vigueur relatives au séjour des étrangers gravement malades. La volonté de revenir à l'état antérieur à une jurisprudence excessivement libérale du Conseil d'Etat semble toutefois légitime.
Concernant l'incrimination des mariages gris, les députés n'ont pas suivi le Sénat, qui avait replacé celui-ci dans le cadre du droit et de l'échelle des peines en vigueur. La commission a donc rétabli la rédaction votée par le Sénat en première lecture.
Enfin et surtout, le débat reste ouvert sur la difficile question du contentieux des mesures d'éloignement.
Au délai de cinq jours pour l'intervention du juge des libertés et de la détention, saisi par le préfet pour prolonger la rétention administrative, votre commission des lois a préféré, sur proposition de son président, un délai de quatre jours. Ce délai est en effet déjà en vigueur pour les zones d'attente. Le risque de censure semble donc moindre, d'autant que la commission prévoit que le juge administratif doive se prononcer sur les décisions prises par le préfet à l'encontre de l'étranger dans le même délai de quatre jours. Sera ainsi préservé l'objectif de clarification des procédures juridictionnelles, qui constitue le sens même de cette réforme.
Voilà les grandes lignes de ce texte dont nous avons à débattre. (Applaudissements à droite)
M. Jean Louis Masson. - Ce texte apporte des réponses à de vrais problèmes. Pour autant, je regrette qu'il n'aille pas assez loin. L'immigration préoccupe beaucoup de nos concitoyens dont je fais partie, qui souhaitent plus de fermeté. Les élections cantonales ont montré que les personnes qui se lèvent tôt veulent que l'on s'occupe davantage d'elles !
Mme Éliane Assassi. - Scandaleux !
M. Jean Louis Masson. - En revanche, je regrette l'instrumentalisation, à des fins politiciennes, de problèmes qui mériterait d'être traités plus sérieusement. Chaque année, nous avons droit à un ou deux textes sur la délinquance ou l'immigration : ça suffit ! Vous avez sorti de votre chapeau le lapin de la déchéance nationale. Mieux aurait valu des mesures plus coercitives. Il y a un dévoiement politicien des problèmes de fond. (M. Jean-Louis Carrère s'amuse) Autant je suis partisan d'un durcissement de la politique migratoire, autant je suis profondément hostile aux gesticulations politiciennes. Les résultats des élections cantonales doivent inciter à réfléchir, et ce au plus haut niveau de l'Etat !
Mme Anne-Marie Escoffier. - Il n'y a aucune raison que la mondialisation de s'étende pas aux flux migratoires ; maîtrisée, l'immigration participera à la richesse de la France, qui a toujours été une terre d'accueil. Voilà ce que disait en substance le ministre de l'intérieur en 2002 aux préfets. Ces propos ont une résonance particulière aujourd'hui ! Nous sommes nombreux à penser que l'immigration légale est une chance ; nous sommes nombreux à refuser l'immigration irrégulière qui fait de ces personnes des non-êtres, des sans-papiers. Nous sommes donc d'accord sur les principes, mais peut-être pas sur les moyens...
Rappelons qu'une myriade de textes a été adoptée sur l'immigration ces dernières années. Bien malin celui qui s'y retrouvera ! Ce nouveau projet de loi a plusieurs sources : les directives européennes, le rapport de la commission Mazeaud et le débat sur l'identité nationale. Rien qui vienne apparemment dans ce texte heurter nos principes... Pourtant, à y regarder de près, ce texte rompt avec notre tradition.
Je veux saluer la raison, celle du président de la commission et notre rapporteur : ils ont refusé la restriction du droit au séjour des étrangers malades, ils ont lié l'utilisation de la visioconférence devant la CNDA au consentement de l'étranger. Il n'en reste pas moins que ce texte, pour la majorité du groupe RDSE, est inacceptable.
D'abord, parce que vous allongez la durée de la rétention administrative pour atteindre vos objectifs chiffrés, et parce que les zones d'attente ad hoc ne garantissent pas aux étrangers tous leurs droits ; la logique du retour volontaire dans la directive « Retour » n'est pas respectée.
Il faut rester vigilant face au durcissement systématique de dispositions qui limitent les droits des étrangers, soumis, par exemple, à un véritable examen d'intégration, ou qui voient entamée la liberté du mariage.
Reviendra-t-on sur le regroupement familial ou l'immigration professionnelle ? Je veux faire confiance à la raison, au bon sens, à notre tradition républicaine d'accueil. Je veux bien croire à la nécessité de maîtriser les flux migratoires, de lutter contre l'immigration irrégulière ; je crois bien davantage à des mesures généreuses, efficaces, qui assurent aux étrangers des conditions de vie heureuses. Espérons qu'un prochain texte (M. David Assouline s'exclame) leur permettra de vivre sur notre terre leur légende personnelle ! (Applaudissements à gauche)
Mme Éliane Assassi. - Le contexte a changé depuis que nous avons examiné ce texte en première lecture. D'abord, un troisième ministre, qui en est sans doute l'auteur réel. Idéologie constante... Ensuite, les révolutions arabes, qui ont fait perdre leur sang-froid à certains membres de l'UMP, qui n'y voient qu'un risque d'invasion... Les petites phrases se sont succédées : Mme Brunel, qui voulait remettre les immigrés dans les bateaux ; le Président de la République, qui évoque « des flux migratoires incontrôlables » ; vous-même, monsieur le ministre, qui soulignez que « les Français ne se sentent plus chez eux ». On chasse sur les terres du Front national, mais les électeurs préfèrent l'original à la copie : Mme Le Pen ramasse la mise...
M. François Trucy. - Ce n'est pas « l'original ! ».
Mme Éliane Assassi. - Le débat sur l'islam -enfin, sur la laïcité- a été décrié par les six principaux cultes et critiqué jusque dans les rangs de l'UMP. On comprend mieux, à cette lumière, les propos de Nicolas Sarkozy sur le rôle du curé, les racines chrétiennes de la France, ou les vôtres sur la « croisade » française en Lybie. Vos propos récents ne sont pas sans rappeler ceux de M. Hortefeux, qui a été condamné pour injures raciales... (Exclamations à droite) En quelques semaines, vous en aurez dit plus que votre prédécesseur en plusieurs mois...
Le fiasco du débat sur l'identité nationale aurait dû vous servir de leçon... Mais les élections approchent, avec un Président plus impopulaire que jamais qui tente de se refaire une santé en réactivant les thèmes de 2007...
La laïcité serait en danger, et non l'égalité, la fraternité, la liberté, pourtant mises à mal par vos réformes ultralibérales ? Mais là, pas de débat ; rien sur la casse de la protection sociale ou les coupes drastiques dans l'éducation nationale. La question de fond n'est-elle pas celle des inégalités et du vivre ensemble ?
Entre les deux lectures, le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs dispositions de la Loppsi 2 ; en rappelant quelques principes fondamentaux, il a mis un frein à la volonté de l'UMP d'inscrire dans la loi son idéologie ultra répressive. Mais ce texte n'est qu'affichage, et n'a pas vocation à être appliqué. Comme le note le rapporteur, son efficacité dépendra de son acceptation par les acteurs de la chaîne administrative et judiciaire. En réalité, sa seule efficacité sera de nourrir la xénophobie et l'exclusion. L'UMP entretient l'amalgame entre insécurité, islam, immigration et terrorisme, banalise les idées du Front national en stigmatisant et en criminalisant les étrangers, en créant un climat de peur, en désignant des boucs émissaires -toujours utiles à la droite. Tout cela pour faire oublier les vraies préoccupations des Français, emploi, pouvoir d'achat !
Cette politique a pourtant un coût : visioconférence, gigantesque centre de rétention administrative au Mesnil Amelot, retours forcés ou volontaires, contrôles aux frontières extérieures de l'Union européenne -88 millions pour Frontex... Et pour quel résultat ? On oublie souvent, en revanche, que les étrangers versent pour 60 milliards d'impôts et de charges sociales et reçoivent pour 48 milliards d'allocations : c'est donc un gain net de 12 milliards pour l'État !
M. David Assouline. - Il faut le dire !
Mme Éliane Assassi. - Cette politique a aussi un coût humain : migrants disparus en mer, déchirement des familles. Vous tentez de faire croire que vous avez la solution miracle ; mais l'Union européenne a pourtant besoin de main-d'oeuvre dans les secteurs du bâtiment, de l'agriculture et du tertiaire. D'ici 2040, la France elle-même aura besoin de 10 millions d'immigrés pour pallier le vieillissement de sa population. Vous ne dites pas que les migrants préfèrent le Canada ou les États-Unis. Le BIT, dans un rapport de 2007, a dénoncé l'existence de discriminations à l'emploi en France ; la France n'est qu'au sixième rang mondial pour l'accueil des immigrés. Mais tout cela, vous le passez sous silence pour agiter le spectre de l'invasion !
Et vous vous attaquez désormais au regroupement familial et à l'immigration « choisie », professionnelle, pourtant prônée par Nicolas Sarkozy. La France a déjà un des dispositifs le plus restrictif d'Europe. Un pas de plus vers les thèses du Front national...
Je regrette que l'Assemblée nationale ait réintroduit des dispositions scandaleuses, notamment sur l'accueil les étrangers malades. Certes, elle a fait machine arrière sur l'extension de la déchéance de nationalité. Encore heureux ! Mais ce recul ne saurait faire oublier d'autres articles dangereux, notamment celui qui remet en cause le droit du sol au travers de la suppression du caractère automatique de l'acquisition de la nationalité française à 18 ans.
Restons vigilants, quand bien même le rapporteur fait mine d'être moins sévère que l'Assemblée nationale... Nous ne sommes pas dupes, d'autant que le Gouvernement s'acharne. Qui nous dit ce qui sortira de la CMP ? La droite parlementaire est d'accord sur la maîtrise autoritaire de l'immigration et la multiplication des dispositions restrictives envers les étrangers, jusqu'à leur bannissement ! Vous avez une vision étriquée d'une France repliée sur son petit hexagone, vous agitez le chiffon rouge de l'invasion. Nous défendrons une autre vision, et voterons contre ces mesures qui bafouent les droits des étrangers et nos principes constitutionnels. (Applaudissements à gauche)
M. François Zocchetto. - Ce texte modifie sensiblement notre corpus législatif en matière d'immigration. Si les objectifs font consensus, les moyens font débat. En première lecture, le Sénat a fait un travail de fond, parfois contre l'Assemblée nationale et le Gouvernement. Le groupe UC a toujours été opposé à l'extension de la déchéance de nationalité. Le vote du Sénat a été clair. Je salue les députés ; ils ont entendu nos arguments. Hélas, ils nous ont surpris en remettant en cause, via un amendement, le droit du sol ; depuis 1889, malgré une brève parenthèse récente, un enfant né en France de parents étrangers qui vit dans notre pays de façon continue, devient automatiquement Français à sa majorité. Je ne veux pas y voir un lien, mais les mêmes parlementaires étaient à l'origine de la proposition sur la déchéance de nationalité...
Sur la forme, cet aménagement ne respecte pas la règle constitutionnelle de l'entonnoir, M. Buffet l'a rappelé en commission. Sur le fond, il est inopportun et injustifié. C'est remettre en cause, sans raison valable, un principe majeur de notre droit. La commission des lois a été bien inspirée de voter contre, à l'unanimité.
Le contentieux de l'éloignement connaît de graves incohérences procédurales ; il était urgent de trouver une solution. M. le ministre a défendu le délai de cinq jours avant l'intervention du juge des libertés et de la détention. Le juge administratif ne peut-il se prononcer en 48 heures ? Nous sommes enclins à suivre le Conseil constitutionnel et la solution du président Hyest -quatre jours- nous paraît satisfaisante.
La question des étrangers malades a fait débat. La jurisprudence du Conseil d'État, du 7 avril 2010, impose de faire évoluer le droit. En première lecture, nous avions décidé de rejeter l'article 17 ter. Aujourd'hui, le rapporteur propose une nouvelle rédaction, plus claire, qui permet de prendre en compte des circonstances particulières tenant à la situation du demandeur. Je salue le travail de M. Buffet, qui a su écouter, faire progresser la rédaction, dans le sens des principes généraux de notre droit ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Richard Yung. - Comme le sparadrap du capitaine Haddock, ce projet de loi vous colle aux doigts. Monsieur le ministre, dans la nouvelle distribution des rôles au Gouvernement, vous incarnez le méchant, la tendance autoritaire et répressive, l'hostilité à tout ce qui n'est pas, disons, berrichon ; vos récentes déclarations sont sans doute calibrées. Certains disent que vous murmurez à l'oreille du Front national. Je pense, moi, que vous dites tout haut ce que Nicolas Sarkozy pense... Puisque vous avez échoué à limiter l'immigration illégale, vous vous en prenez à l'immigration légale. Mme Lagarde, Mme Parisot ne s'y sont pas trompées ; et le Parti socialiste est sur la même ligne que Mme Parisot ! (Sourires)
Depuis le déclenchement des mouvements populaires au Proche Orient, vous agitez, dans un réflexe pavlovien, le chiffon rouge de l'invasion. Quelque 20 000 personnes ont débarqué en Italie, le chiffre est important, mais de là à parler d'invasion... Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'entre vous et le délicat M. Berlusconi on ne discerne pas de franche coopération... Mais ces gens fuient une situation dangereuse, ils cherchent à se protéger, pas à venir travailler en Europe ! Pour y faire face, il faut activer la protection temporaire, prévue par une directive de 2001, qui organise le partage du fardeau entre États membres. Je l'ai proposé il y a un an, mais on a trouvé l'idée saugrenue...
La vérité, c'est que vous naviguez à vue ; votre échec est patent. L'immigration de travail représente 15 % des admissions sur le territoire -votre objectif est de 50 % ; l'immigration familiale a baissé de 10 %, le nombre de bénéficiaires du droit d'asile de 30 %, celui des sans-papiers reste constant ; la régularisation s'est tarie, tandis que les étrangers sont contrôlés ou soumis à des contraintes inutiles. Aux cantonales les Français vous ont dit qu'ils ne voulaient pas de ces débats bâclés en trois heures sur la laïcité !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Vous avez bien bâclé un projet en une après-midi !
M. Richard Yung. - Et vous, 140 amendements en 40 minutes ce matin en commission !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Évidemment, vous proposez de supprimer tous les articles !
M. Richard Yung. - Vous avez une vision négative de la société et des Français, vous n'êtes pas porteurs d'espoir pour la France...
Le Parti socialiste n'aurait pas de politique d'immigration ? Je vous renvoie à un excellent document intitulé « Le changement », paru ce week-end.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - C'est le programme Joxe ? Chevènement ?
M. Richard Yung. - Loi de programmation, retour à une politique de régularisation au cas par cas sur la base de critères précis, délivrance d'une carte de séjour de trois ans après un an de séjour en France...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Eh bien !
M. Richard Yung. - ...traitement digne des étrangers par l'administration -la préfecture de police de Paris n'admet que dix personnes par jour ! (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois le conteste) Une nouvelle organisation de la police de l'air et des frontières, sévérité accrue contre les employeurs de sans-papiers...
Revenons à ce projet de loi. Décidément, Nicolas Sarkozy n'aime pas les juges des libertés et de la détention, qui à ses yeux remettent en cause sa politique du chiffre. D'où le report de leur intervention à cinq jours. Ce délai ne résout rien. Seul avantage : on pourra en expulser certains avant qu'ils n'aient vu le juge... À écouter le ministre, il n'est même pas favorable aux quatre jours proposés par M. Hyest...
Durcissement des conditions de délivrance et de renouvellement des titres de séjour, qui en fera basculer beaucoup dans la clandestinité ; cas des étrangers malades ; suppression des dispositions introduites par le Sénat pour simplifier la délivrance des titres ; stigmatisation des couples binationaux, fantasme récurrent ; création des zones d'attente ; bannissement des étrangers par l'interdiction de retour sur le territoire -j'arrête là.
Le débat de seconde lecture à l'Assemblée nationale nous a déçus. Le rapporteur a repris une partie des dispositions votées ici en première lecture, tenté de faire flotter notre drapeau un peu plus haut, mais les compromis consentis ne nous satisfont pas. Nous nous battrons contre. (Applaudissements à gauche)
Mme Catherine Troendle. - Ce texte avait suscité de nombreux débats en première lecture. Au coeur du pacte républicain, la lutte contre l'immigration irrégulière est indispensable pour favoriser l'intégration. Comment ignorer la situation en Méditerranée ? Il faut persévérer dans notre politique d'immigration choisie ; agir, voilà l'ambition d'un texte qui repose sur deux piliers : l'amélioration de l'accueil et de l'intégration et la lutte contre l'immigration illégale et ses filières.
Je salue le travail minutieux et équilibré du rapporteur.
Les flux migratoires ont changé, il faut des réponses législatives adaptées. La France a le droit de choisir qui elle veut et peut accueillir, comme tout autre pays. Un étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit, sauf circonstance exceptionnelle. L'accueil, humain et généreux, des étrangers en situation régulière doit s'accompagner de fermeté contre l'immigration illégale.
Ce texte, n'en déplaise à l'opposition, est nécessaire. Il transpose trois textes européens, les directives Sanctions, Carte bleue européenne, et Retour ; la France doit se conformer au droit communautaire, d'autant qu'elle en est largement à l'origine. Le projet de loi transcrit d'ailleurs une partie du pacte européen approuvé par nos partenaires unanimes sous présidence française.
Le Parti socialiste veut accueillir tous ceux qui le souhaitent... (Protestations indignées à gauche)
Mme Bariza Khiari. - Nous ne disons pas ça !
M. David Assouline. - C'est un mensonge !
Mme Catherine Troendle. - ...et fait ainsi le lit du Front national... Nous voulons, nous, une politique à la fois ferme et généreuse. (Exclamations à gauche)
La commission des lois aligne la sanction des mariages gris sur celle des mariages de complaisance ; c'est raisonnable et cohérent. Quant à la remise en cause du droit du sol, c'est une mesure nouvelle sans lien direct avec le texte ; elle n'a pas sa place ici, nous souhaitons en rester au droit actuel. Concernant l'accueil des étrangers malades, nous ne pouvons laisser perdurer des situations de détresse. Le groupe UMP soutient la position du Gouvernement, qui confirme le droit en vigueur avant la décision excessive du Conseil d'État. Nous avons le devoir d'aider ces étrangers particulièrement fragiles.
L'allongement du délai d'intervention du JLD à cinq jours a pu sembler excessif ; nous soutenons la position de la commission, qui prône un délai de quatre jours.
Nos principes fondamentaux sont respectés. Cessez de faire croire que les mesures proposées sont dénuées d'humanité. Nous ne pouvons laisser faire ceux qui sèment la terreur dans notre pays... (Exclamations indignées à gauche)
M. David Assouline. - De qui parlez-vous ? (Mouvements divers à droite)
Mme Bariza Khiari. - Quelle honte !
M. David Assouline. - Il n'y a plus de différence avec le Front national ! (Protestations à droite)
Mme Catherine Troendle. - La différence est fondamentale. L'UMP votera ce texte avec conviction. (Applaudissements à droite)
Mme Bariza Khiari. - Je vois que l'on a libéré la parole raciste...
L'Assemblée nationale est revenue sur l'ensemble des modifications apportées par le Sénat. Tout juste a-t-elle supprimé l'extension de la déchéance de nationalité, mesure qui n'avait pas porté ses fruits électoraux... Mais l'arbre ne peut cacher la forêt. Vous renchérissez encore sur le Front national. Monsieur le ministre, ancien haut fonctionnaire, vous connaissez le poids des mots : vos propos récents ne sont pas anodins ; c'est une mise en bouche pour la campagne électorale à venir. Ministre des cultes, vos interventions glissant de l'immigration irrégulière à la diabolisation de l'islam ne sont pas dignes de notre conception de la laïcité. L'Auvergnat de M. Hortefeux sera bientôt une plaisanterie...
Vous cherchez à diviser les Français ; à force de fabriquer des ennemis intérieurs, vous passez à côté des préoccupations des Français. Vous criminalisez les étrangers et en faites des parias. Exemple parmi d'autres : le mariage gris. La Française serait dupe d'un odieux escroc, qui la trompe pour obtenir un titre de séjour... Si de tels cas peuvent exister, il n'y a pas lieu de faire une loi à partir de quelques faits divers ! C'est violer le caractère sacré de la loi. On ne bâtit pas une politique sur la rubrique des chiens écrasés.
Je dénonce une politique qui stigmatise les étrangers au prétexte de conforter l?intégration. Mme Lagarde a heureusement corrigé vos propos sur l'immigration professionnelle : on sait que celle-ci est indispensable à la croissance ! Certes, votre objectif n'était pas économique, mais politique. « Trois millions d'étrangers, trois millions de chômeurs » ? On sait d'où vient la formule...
Votre idéologie vous aveugle au point que vous proposez des mesures qui brouillent l'image de la France dans les pays du sud de la Méditerranée. Quid de l'Union pour la Méditerranée et du soutien aux mouvements démocratiques dans le monde arabe quand en même temps vous voulez fermer les frontières ? Une véritable schizophrénie ! Quand comprendrez-vous que le véritable ennemi n'est pas le migrant, le musulman, mais le déclassement, voire la misère ? Vous nous objecterez que la France reçoit toujours le plus grand nombre de demandes d'asile : de demandes oui, mais pas de demandeurs !
Nous vous combattrons, de nouveau, dans cet hémicycle parce que par idéologie vous refusez de reconnaître la réalité ! (Applaudissements à gauche)
Mme Alima Boumediene-Thiery. - L'examen de ce texte en deuxième lecture a lieu dans un contexte particulier. Porté par un ministre dont le portefeuille a disparu -je m'en félicite-, il avait fait l'objet de vifs débats en première lecture. La commission des lois a rétabli la vision plus progressiste du texte sur laquelle l'Assemblée nationale était revenue en seconde lecture. Le contexte est nauséabond : vous dites que les Français ne se sentent plus chez eux. Mme Le Pen a proposé de vous délivrer une carte de membre d'honneur du Front national. Et pour cause ! Vous travaillez pour elle. Vous parlez de « franco-musulmans », une nouvelle catégorie après les Français de souche et les Français de papiers... Comment justifier cette dichotomie entre Français ? Pour vous, l'accroissement du nombre de musulmans depuis 1905 « pose problème ». Pour moi, ce qui pose problème, ce sont vos petites phrases ! D'ailleurs, des membres de votre majorité ont cru bon de vous reprendre.
Le débat sur la laïcité visait l'islam. Beaucoup de bruit pour rien ? Si, pour la stigmatisation ! Vous ne vous êtes pas exprimé mais nous connaissions votre vision : les usagers des services publics ne doivent pas porter de signes religieux... C'est glisser de la laïcité à l'inquisition. Certains s'émeuvent dans vos propres rangs de ces déclarations : de fait, elles relèvent du n'importe quoi !
Après la « croisade » en Lybie, vous déclarez vouloir limiter l'immigration régulière et familiale. Rien de tout cela dans ce texte... Comment seront appliquées ces consignes ? Par voie de circulaires ? L'arbitraire va-t-il encore présider ? Cela annonce-t-il un nouveau projet de loi ? Tout cela est aussi inquiétant que ce projet de loi qui s'en prend à toutes les branches du droit des étrangers, via les zones d'attente, et stigmatise les couples mixtes.
Après le faux étudiant et le faux malade, voici la nouvelle figure du faux marié, le marié « gris ». Enfin, vous créez une mesure de bannissement, impossible à contester. Les sénateurs Verts sont indignés. Nous voterons contre ce texte qui est contraire à notre Constitution, aux conventions internationales et aux droits fondamentaux, à commencer par le droit de libre circulation et le droit de vivre en famille ! (Applaudissements à gauche)
M. Roland Ries. - En tant que vice-président de la commission des affaires européennes, je mettrai l'accent, dans mon intervention, sur la transposition des directives via ce texte.
Je me félicite de ce regain d'intérêt du Gouvernement pour la transposition du droit communautaire. En revanche, je m'élève contre l'instrumentalisation que vous faites des directives.
Rappelons que les directives fixent des objectifs, non des moyens ; elles prescrivent le droit national pourvu qu'il soit « mieux-disant ». Prenons l'exemple de l'allongement de la durée de la rétention de 32 à 45 jours, ou encore la zone d'attente portative, une exception selon les directives dont vous faites une règle. En outre, vous ajoutez des dispositions nouvelles sur les étrangers malades ou les mariages « gris ». L'Europe a bon dos !
L'allongement de la saisine du JLD de 48 heures à cinq jours ne correspond pas à la lettre de la directive. Vous restreignez le droit de la défense des étrangers sans tenir compte de l'accent mis sur les mineurs par la directive. L'Europe, c'est aussi la CEDH, dois-je le rappeler en tant que maire de Strasbourg. Cette Cour sera le dernier rempart contre ces réformes régressives ! (Applaudissements à gauche)
La séance est suspendue à 16 h 50.
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présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente
La séance reprend à 17 heures.