Garde à vue (Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la garde à vue.
Discussion générale (Suite)
M. François Pillet. - Pour la première fois depuis la révision constitutionnelle de 2008, nous tirons les conséquences d'une question préalable de constitutionnalité : nous avons en effet été requis par le Conseil constitutionnel de définir, dans la garde à vue, un nouvel équilibre entre les droits de la défense et le respect des droits de la société. La clé de la réussite de cet équilibre réside dans des règles de procédure claires. Le calendrier est très serré et pose une question de fond : nous devons réformer la garde à vue avant la nécessaire refondation de notre code de procédure pénale.
En posant le principe de la présence d'un avocat, nous avons tourné une page de notre histoire pénale, mais nous devons nous assurer que nos concitoyens vont s'approprier cette réforme et les persuader qu'elle n'empêchera pas la réforme de passer.
Le renforcement de la présence de l'avocat fait désormais consensus. Selon le président de la République lui-même, en 2009, « il ne faut pas craindre la présence des avocats pendant la garde à vue ; les enquêteurs eux-mêmes ont tout à y gagner ».
La garde à vue fait pour la première fois l'objet d'une définition. Ses objectifs sont clairement définis. Elle n'est plus possible que pour les délits et crimes encourant une peine d'un an d'emprisonnement. Elle s'accompagne d'une série de garanties nouvelles. La présence de l'avocat modifie le principe qui permettait de se passer, dans la phase préalable, de toutes les garanties juridictionnelles.
L'avocat aura accès aux procès-verbaux d'audition et pourra assister le gardé à vue dès le départ ; il pourra même poser des questions au terme de l'audition. Ce système est légitime dès lors qu'il ne sera pas utilisé pour porter atteinte à la sérénité de l'enquête. La durée de deux heures avant audition vise à assurer l'égalité sur le territoire, en permettant à l'avocat de se rendre sur les lieux de la garde à vue. Il s'agit en fait de sécuriser le processus pour éviter toute contestation ultérieure.
Je rends hommage au travail des procureurs de la République, qui remplissent des tâches difficiles aux conséquences redoutables avec le plus grand dévouement. Nous devons, dans le respect de la jurisprudence nationale et européenne, trouver exactement leur place dans la procédure. Il y va du fonctionnement général de la justice. Nous soutenons leur intervention en début du processus, avec intervention du juge la plus rapide possible. Ceci ne contrevient en rien à la jurisprudence de la CEDH.
Je soutiens également le souhait du rapporteur de faire confiance à la déontologie des avocats.
Reste qu'il sera difficile à certains barreaux d'assurer l'application de cette loi.
Nous ne devons pas prendre le risque de donner un coup de frein à la lutte contre la délinquance. Ce serait un mauvais signal pour nos concitoyens, nos forces de l'ordre et une injustice pour les victimes.
Nous sommes face à une réforme très attendue, mais techniquement complexe ; l'équilibre auquel nous sommes parvenus, grâce à la qualité du travail de notre rapporteur, convient au groupe UMP : nous voterons ce texte avec satisfaction. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Yves Détraigne. - C'est la quatrième fois depuis un an que nous nous penchons sur la question de la garde à vue : le sujet n'est donc pas nouveau pour nous ni pour notre rapporteur.
La réforme était devenue plus que souhaitable, indispensable : la décision du Conseil constitutionnel d'octobre 2010 nous forçait à agir. La Cour de cassation comme le CEDH avaient déjà relevé les insuffisances de notre système.
Cette réforme doit être l'occasion de remédier aux dérives de la garde à vue. Leur nombre atteint aujourd'hui des records : près de 800 000, soit plus d'un doublement en une décennie. Il faut en faire une utilisation plus rigoureuse, et en exclure l'usage pour les simples contraventions.
Il faudra une raison plausible de soupçonner un crime ou délit passible d'une peine d'emprisonnement. Sur le délai, il y a eu débat. Notre rapporteur a rappelé un principe fondamental : la garde à vue ouvre des droits, augmenter le quantum de peine risquerait de multiplier les cas de comparution libre, sans les droits assortis à la garde à vue.
Les incohérences dans l'échelle des peines mériteraient d'être levées, pour que le quantum soit réellement pertinent.
L'Assemblée nationale a supprimé l'audition libre, qui ne présentait pas les garanties requises : nous l'approuvons. Répondant aux critiques du Contrôleur général, elle a prévu la possibilité au gardé à vue de conserver des effets personnels : ceci contribuera à un meilleur respect de la dignité du gardé à vue. L'Assemblée nationale a également institué un délai de carence de deux heures avant audition.
À titre personnel, j'attire l'attention sur le fait que ceci risque parfois de nuire à l'efficacité de l'enquête, s'agissant de délinquants débutants, qui n'hésitaient pas à reconnaître d'emblée les faits. Deux heures de réflexion peuvent retarder la manifestation de la vérité...
Les avocats auront un défi important à relever pour assurer l'assistance sur tout le territoire. Le risque d'une discrimination entre villes et campagnes existe ; le rôle des barreaux sera déterminant. Entre un commissariat des Hauts-de-Seine et une brigade de gendarmerie de montagne, la différence est sensible. Cependant, une centralisation aurait des effets pervers : on créerait des catégories de brigades, les unes de plein exercice, les autres non.
Conserver notre maillage territorial supposera des moyens : je souhaite, monsieur le ministre, qu'ils soient effectivement budgétés.
Je crains qu'avec la prochaine réforme sur les jurés populaires en correctionnelle, qui n'est pas réclamée par grand monde, on recule encore la grande réforme de notre procédure pénale, pour continuer de modifier par petites touches notre droit pénal : ce n'est pas la meilleure méthode...
Cela étant, cette réforme est bienvenue : le groupe de l'Union centriste votera ce texte sur lequel notre commission a fait un excellent travail. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Virginie Klès. - Je ne partage pas l'optimisme de mes collègues.
Que d'efforts pour ce petit pas ! Vous n'agissez que le dos au mur, après être restés sourds et aveugles aux demandes de l'opposition comme à celles des professionnels ou de votre majorité !
Oui, mille fois oui, ce texte était nécessaire ; oui, mille fois oui, les officiers de police judiciaire, tous les intervenants, sont d'accord pour travailler mieux ensemble ; oui, mille fois oui, les principes énoncés dans ce texte sont indispensables, mais seront-ils efficaces, applicables et appliqués ? Le droit au silence, l'interdiction de condamner sur de simples aveux, certainement, mais pour le reste, j'en doute.
Votre façon de gouverner dans l'immédiateté, au rythme des échéances électorales et des faits divers, avec des réformes accomplies le dos au mur n'est pas celle d'une saine politique, surtout quand on touche aux fondements démocratiques de notre société. Le Gouvernement et le président de la République ont le don de transformer tout ce qui pourrait devenir de grandes réformes en petits textes minimalistes !
Comme M. Mézard, j'estime que les OPJ ne sont pas les responsables de votre politique pénale : l'abus de garde à vue est l'effet de votre politique. Si le nombre d'OPJ a augmenté, c'est qu'on a diminué leur niveau de qualification !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Ne dites pas cela aux gendarmes !
M. Alain Gournac. - Ils font un travail formidable !
Mme Virginie Klès. - Les gendarmes, oui, mais la garde à vue, moment essentiel pour la manifestation de la vérité, exige une formation poussée ! Si vous vous attachiez à la qualité plutôt qu'aux chiffres, nous n'en serions pas là. Aux chiffres, je préfère la dignité ! Pour cela, il faut augmenter les moyens, rénover les locaux, financer l'aide juridictionnelle. Si les moyens ne sont pas là, l'égalité ne sera pas assurée. Savez-vous ce que recevra un avocat pour aller de Rennes à Redon à deux heures du matin ? Soixante et onze euros !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - Ce n'est pas fixé !
Mme Virginie Klès. - C'est le chiffre annoncé !
La Grande-Bretagne consacre 3 milliards d'euros à l'aide juridictionnelle, la France dix fois moins ! Sans moyens, les beaux principes de ce texte resteront lettre morte. Avant de voter, nous serons très attentifs au sort réservé à nos amendements et aux moyens consacrés à la réforme, mais je suis assez pessimiste. (Applaudissements à gauche)
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Ce texte arrive bien tard. Cela fait des années que la CEDH rappelle le respect des droits des personnes gardées à vue. L'arrêt Murray de 1996 aurait dû nous faire réagir. La Cour de Strasbourg a défini précisément, depuis, les principes applicables à la garde à vue. J'en ai tiré les conséquences en déposant une proposition de loi en 2009, restée dans les limbes. Il a fallu la décision du Conseil constitutionnel pour vous faire réagir, après plusieurs condamnations de la France par la CEDH.
La présence de l'avocat marque certes un progrès, mais que d'insuffisances : modalités de placement, contrôle, déroulement...
Première insuffisance : l'intervention du parquet, anomalie procédurale que vous reconduisez ici. Le jugement de la CEDH, dans l'arrêt Moulin, est pourtant clair.
Il est vrai que sur cette question, le Conseil constitutionnel s'est montré frileux : vous vous être engouffré dans la brèche, malgré les arrêts Medvedyev de la CEDH.
Sans une réforme du statut du parquet, on voit mal comment ce texte nous mettrait en conformité avec les exigences de la Cour, qui estime que les magistrats du parquet ne sont pas des autorités judiciaires indépendantes.
Les sénateurs Verts présenteront une série d'amendements tirant les conséquences de cette jurisprudence. Le contrôle et le renouvellement de la garde à vue doivent être confiés au juge judiciaire : c'est au juge des libertés et de la détention que devrait en revenir la responsabilité.
Pourquoi vous attirer les foudres du Conseil de l'Europe, des magistrats, des universitaires par votre entêtement ?
Le seuil de déclenchement que vous retenez n'est pas non plus le bon : il ne permettra pas de diminuer le nombre de gardes à vue. Les sénateurs Verts entendent écarter le placement en garde à vue pour des infractions mineures, en retenant un seuil de trois ans.
Quant à l'intervention de l'avocat, le temps qui lui est imparti est insuffisant. On ne peut prendre connaissance des faits et des pièces en trente minutes. Cela porte atteinte aux droits de la défense. Nous avons déposé un amendement pour augmenter la durée d'entretien.
Ce texte dissimule son manque d'ambition derrière des dispositions incomplètes qui resteront inefficaces ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
La discussion générale est close.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - Merci de votre participation active à cette discussion générale. Beaucoup ont souligné les avancées qu'il marque dans la protection des libertés fondamentales, d'autres se sont montrés plus critiques, parfois de façon excessive.
Mme Cohen-Seat, MM. Anziani et Mézard et Mme Boumediene-Thiery nous reprochent d'agir trop tard et trop peu ; ils regrettent notamment l'absence d'une réforme d'ensemble du code de procédure pénale. Un travail important a été mené par un groupe de travail composé d'universitaires et de parlementaires de la majorité et de l'opposition.
M. Jean-Pierre Michel. - Ils ont eu tort !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - Ils ont eu raison : la réforme du code de procédure pénale concerne tous les Français !
Si nous commençons par la garde à vue, c'est pour des raisons de calendrier : nous sommes tenus de légiférer sur la garde à vue avant la fin du mois de juillet ! Mais je ne verrais que des avantages à publier les conclusions du groupe de travail.
Le Gouvernement n'a pas attendu les dernières décisions du Conseil constitutionnel, de la Cour de cassation ou de la Cour de Strasbourg pour réfléchir à la question : la loi de 2007 en témoigne.
Mme Boumediene-Thiery sait fort bien que ces questions très complexes exigent un temps de réflexion. Ce n'est que quatre ans après le premier arrêt de la Cour de Strasbourg, qu'un premier texte était présenté par Mme Lebranchu en 2000 sur la présomption d'innocence, sans rien changer à l'absence d'avocat dans les 48 heures de garde à vue en matière de terrorisme ; quant à la loi du 4 mai 2002, elle facilitait le placement en garde à vue ! Il ne s'agit pas de critiquer mes prédécesseurs, mais montrer la complexité des problèmes.
Les récentes décisions ne mettent pas le Gouvernement dos au mur, mais permettent de clarifier les exigences conventionnelles et constitutionnelles. Nous avons intégré dans ce texte l'ensemble des décisions du Conseil constitutionnel, de la Cour de Strasbourg, comme de la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Plusieurs orateurs ont estimé que le projet de loi n'était pas conforme à la jurisprudence de la CEDH. Je m'en suis expliqué dans mon propos liminaire : la France n'a jamais été spécifiquement condamnée pour une garde à vue réalisée sous le contrôle du parquet. Je ne veux pas dire par là qu'il n'y a pas de problème. Oui, le procureur n'est pas une autorité judiciaire au sens de la Cour.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Il n'est pas indépendant.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - Nous sommes d'accord, mais ce n'est pas le sujet ! L'exigence conventionnelle, c'est qu'un juge judiciaire soit saisi dans un délai de 48 heures ; le sujet, c'est le contrôle de la garde à vue pendant les premières 48 heures.
La France a choisi, et nous devrions en être fiers, de faire contrôler les premières heures de garde à vue par un magistrat.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Et la Constitution ? Le Conseil constitutionnel a jugé !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. - Le Conseil constitutionnel, en juillet dernier, a rappelé que nul ne peut être arbitrairement détenu -c'est notre habeas corpus- et que l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, est composée de magistrats du siège et du parquet. C'est parfaitement clair.
En Grande-Bretagne, le contrôle de la garde à vue, qui peut aller jusqu'à 26 jours, est entièrement entre les mains de l'officier de police judiciaire : notre système est plus protecteur. Notre Constitution nous oblige à introduire les obligations de la Convention européenne des droits de l'homme alors que le parlement de Westminster a rappelé il y a quelques jours la souveraineté de la Chambre des communes sur la Cour de Strasbourg. Il y a beau temps que la chose n'a plus cours chez nous, sous l'influence, peut-être, de M. Carré de Malberg, qui fut juge à Strasbourg, et qui a considéré que le parlementarisme absolu est dépassé.
Avec notre double garantie, conventionnelle et constitutionnelle, nous avons donc un droit très protecteur, même si rien n'est parfait.
Nous équilibrons mieux les exigences de la recherche de la vérité, et celles de protection des libertés fondamentales. Je tiens à rendre hommage aux policiers et aux gendarmes qui vont devoir consentir un effort avec la présence de l'avocat dès la première minute. La question des moyens est posée ; les négociations n'ont pas pu être conduites avant la rédaction de la loi. Je suis opposé à tout regroupement des gardés à vue, car je veux que toutes les brigades de gendarmerie soient de plein exercice. (Mme Nathalie Goulet s'en réjouit) Je suis ouvert à toute modification technique, pour garantir le libre choix de l'avocat. Je suis bien conscient des difficultés pratiques.
Nous devons effectivement indemniser correctement les avocats, tout en respectant nos contraintes budgétaires.
Enfin, sur le délai de carence, je défendrai une durée d'une heure, dans l'intérêt de l'enquête : vous trancherez.
Ce texte représente une véritable avancée, et vous l'avez tous reconnu ce dont je me félicite car cette réforme doit être appropriée par le plus grand nombre de Français. Nous devons passer d'une culture de l'aveu à une culture de la preuve, en apportant de nouveaux droits et en préservant la dignité des gardés à vue : c'est un renouveau de notre procédure pénale ! (Applaudissements au centre et à droite)