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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
Décision du Conseil constitutionnel (Représentation devant les cours d'appel)
Avis de l'Assemblée de la Polynésie française
Questions prioritaires de constitutionnalité
Hommage au président de la République de Colombie
Responsabilité pénale des personnes atteintes d'un trouble mental
Flashball et Taser (Questions cribles)
Question prioritaire de constitutionnalité
Mission commune d'information sur l'organisation territoriale du système scolaire (Nomination)
Assistance médicalisée pour mourir
Article additionnel avant l'article premier
SÉANCE
du mardi 25 janvier 2011
64e séance de la session ordinaire 2010-2011
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : M. Alain Dufaut, M. Jean-Paul Virapoullé.
La séance est ouverte à 14 heures 35.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
CMP (Candidatures)
M. le président. - J'ai reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux recherches impliquant la personne humaine.
J'informe le Sénat que la commission des affaires sociales m'a fait connaître qu'elle a procédé à la désignation des candidats qu'elle présente à cette commission mixte paritaire.
Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l'article 12 du Règlement.
Décision du Conseil constitutionnel (Représentation devant les cours d'appel)
M. le président. - J'ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel par lettre en date du 20 janvier 2011, le texte d'une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi portant réforme de la représentation devant les cours d'appel.
Acte est donné de cette communication.
Avis de l'Assemblée de la Polynésie française
M. le président. - En application de l'article 9 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, j'ai saisi le 8 décembre 2010 le Haut commissaire de la République en Polynésie française en vue de la consultation de l'Assemblée de la Polynésie française sur la proposition de loi, présentée par M. Richard Tuheiava visant à actualiser l'ordonnance du 4 janvier 2005 portant statut général des fonctionnaires des communes et des groupements de communes de la Polynésie française ainsi que de leurs établissements publics administratifs.
Par lettre en date du 24 janvier 2011, j'ai reçu de M. le Haut commissaire de la République communication de l'avis favorable de l'Assemblée de la Polynésie française sur cette proposition de loi qui sera examinée le jeudi 27 janvier 2011.
Acte est donné de cette communication.
Fin de mandat de sénateurs
M. le président. - Par courrier en date des 19 et 21 janvier dernier, MM. Nicolas About et Pierre Fauchon m'ont fait connaître qu'ils remettaient respectivement leur mandat de sénateur des Yvelines et de sénateur du Loir-et-Cher, à compter du samedi 22 janvier 2011 à minuit.
Acte est donné de ces décisions.
À la suite de la cessation du mandat de M. Pierre Fauchon, sénateur du Loir-et-Cher, le siège détenu par ce dernier est devenu vacant et sera pourvu selon les termes de l'article L.O. 322 du code électoral lors du prochain renouvellement partiel du Sénat.
Conformément aux articles L.O. 325 et L.O. 179 du code électoral, M. le ministre de l'intérieur m'a fait connaître qu'en application de l'article L.O. 320 du même code Mme Roselle Cros est appelée à remplacer, en qualité de sénateur des Yvelines, M. Nicolas About.
Questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. - M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 21 janvier 2011, quatre décisions du Conseil sur des questions prioritaires de constitutionnalité.
Il a également informé le Sénat, le vendredi 21 janvier 2011, qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité.
Le texte de ces décisions de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Hommage au président de la République de Colombie
M. le président. - Il m'est particulièrement agréable de saluer la présence, dans notre tribune d'honneur, de M. le président de la République de Colombie. Mmes et MM. les Sénateurs se lèvent)
M. le Président Juan Manuel Santos Calderon avec qui nous venons d'avoir un long et très cordial échange, effectue une visite officielle dans notre pays : c'est sa première visite officielle hors du continent sud-américain depuis son élection, il y a six mois, et nous sommes heureux et honorés qu'il nous fasse l'amitié de venir en France. Je lui souhaite, en votre nom à tous, la bienvenue.
Le président Santos Calderon est accompagné de son épouse et d'une délégation de haut niveau. Je salue notamment Mme Maria Angela Holguin Cuellar, son ministre des affaires étrangères, dont nous avons eu le plaisir de faire la connaissance lors du bicentenaire de l'indépendance des pays d'Amérique latine.
Avant d'accéder à la magistrature suprême, le président Santos a été ministre de la défense et, à ce titre, était en charge de la lutte contre la guérilla des Farc. Il a été l'un des artisans de la libération d'Ingrid Betancourt, et je veux lui redire notre gratitude. Le président Calderon est aujourd'hui le maître d'oeuvre d'un vaste plan de réformes sociales, afin de construire une société plus équitable et plus juste.
Le Sénat entretient des relations interparlementaires importantes avec le Sénat de Colombie, et notre groupe d'amitié « France-Pays andins » s'est rendu en Colombie en septembre dernier. Nos collègues ont pu constater la force de nos liens, culturels, politiques et économiques, qui seront encore renforcés, notamment par un accord universitaire, politique et économique.
La Colombie siège au Conseil de sécurité des Nations unies pour les deux prochaines années. C'est un pays important d'une région dont nous faisons partie, avec la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane. Alors que notre pays préside le G20 avec l'ambition de faire progresser une mondialisation mieux régulée, nos échanges ont été précieux. (Mmes et MM. les sénateurs applaudissent)
Mission commune d'information sur l'organisation territoriale du système scolaire (Démission - Candidature)
M. le président. - J'ai reçu avis de la démission de Mme Raymonde Le Texier comme membre de la mission commune d'information sur l'organisation territoriale du système scolaire et sur l'évaluation des expérimentations locales en matière d'éducation.
Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom du candidat proposé en remplacement.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du Règlement.
Responsabilité pénale des personnes atteintes d'un trouble mental
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l'atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d'un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits.
Discussion générale
M. Jean-René Lecerf, auteur de la proposition. - Ce texte, en continuité avec la loi pénitentiaire, démontre l'obstination du Sénat pour mettre fin à cette « honte pour la République » qu'est devenue la prison française. Des progrès ont été faits, comme l'obligation d'activité, le développement de l'emploi et de la formation en prison, le renforcement des aménagements de peine ou encore la création d'un Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Le Sénat doit veiller à la pérennité de ces progrès, en particulier quand il les estime mis en cause.
Cependant, la loi pénitentiaire, élaborée sans réelle concertation avec le ministère de la santé, n'a pas traité un problème essentiel : celui de la présence d'un trop grand nombre de malades mentaux lourds en prison, présence dérangeante pour tous et incompatible avec les valeurs de la République. Tous ceux qui visitent les prisons le savent, nous connaissons ces regards vides, ces visages hallucinés de détenus qui nous paraissent attendre un train fantôme qui les emmènera au loin. Albert Camus a dit qu'une société se juge au sort qu'elle réserve à ses détenus. Or, les drames entre détenus, aussi bien que les suicides, démontrent que nous avons encore bien du chemin à parcourir.
Quel est le sens de la peine pour ceux qui ne se rendent pas compte de la nature de l'établissement où ils sont enfermés ? Pour ceux que terrorisent les voix qui les hantent et les dominent, pour ceux dont la totale abolition du discernement n'a pas été reconnue dans la mesure où la prison est apparue aux cours d'assises comme le seul lieu susceptible de protéger durablement la société contre leur folie ?
À l'initiative des présidents About et Hyest, un groupe de travail a été constitué, dont les conclusions ont été bien accueillies. Cette proposition de loi en est la traduction législative. Le constat est accablant : plus d'un tiers des détenus souffriraient de troubles psychologiques, et un sur dix, de troubles très graves, au point que leur incarcération fait perdre tout sens à la peine. Cette situation ne répond pas aux exigences de l'éthique médicale ni à celles de la sécurité, non plus qu'à nos valeurs juridiques.
Cette situation s'explique par la réduction des capacités d'hospitalisation en psychiatrie générale ou encore par l'absence d'alternative. L'altération du discernement est souvent, dans l'esprit des jurys d'assises, un facteur aggravant de la peine : c'est une dérive contre laquelle cette proposition de loi entend lutter. Le texte précise l'article 122-1 du code pénal, pour en revenir à l'intention immédiate du législateur : l'altération du discernement ne rend pas irresponsable, mais elle devra être mieux prise en compte. Comme le notait le rapport Burgelin, le paradoxe est qu'une personne dont le discernement était altéré au moment des faits est souvent plus sévèrement sanctionnée qu'une personne qui avait pleinement conscience de la portée de ses actes. La proposition de loi réduit ainsi la peine du tiers lorsque le discernement est altéré, étant entendu qu'il appartient à la juridiction, dans la limite du plafond, de fixer la durée appropriée en tenant compte du fait que plus la personne est souffrante, plus sa situation justifie une prise en charge sanitaire de préférence à une incarcération. Dans un souci de meilleur équilibre entre réponse pénale et prise en charge sanitaire, la proposition de loi renforce parallèlement les garanties concernant l'obligation de soins pendant et après la détention. Elle prévoyait qu'une obligation de soins en cas de sursis avec mise à l'épreuve était prononcée ; le rapporteur a retiré à cette disposition son caractère systématique et prévu à la fois un avis médical préalable et la possibilité d'une décision contraire du juge.
Le juge d'application des peines pourra en outre retirer les réductions de peine en cas de refus de soins.
Enfin, l'article 3 applique aux personnes dont le discernement était altéré au moment des faits les mesures de sûreté introduites par la loi de 2008 pour les personnes reconnues irresponsables, sans leur donner cependant un caractère systématique : l'avis du médecin, ainsi que vous le proposera notre rapporteur, doit éclairer le juge qui pourra prendre une décision contraire.
Les unités hospitalières spécialement aménagées créées par la loi de 2002 (UHSA) implantées dans l'hôpital et sécurisées par l'administration pénitentiaire, sont un progrès pour les malades incarcérés. Mais n'encouragent-elles pas à condamner et incarcérer, avec bonne conscience, les malades mentaux ?
Alors que les unités pour malades difficiles accueillent indifféremment toutes les catégories de malades mentaux, ne pourrait-il en être de même pour les UHSA, à tout le moins en ce qui concerne les personnes ayant commis de graves infractions ? Sinon n'en arrive-t-on pas à priver de soins ceux qui, souvent par chance, n'ont pas encore commis l'irréparable ? Combien de parents désespérés racontent la tragédie vécue par l'un de leurs enfants dont ils ont en vain alerté de la dangerosité et que personne n'a écoutés avant que ne survienne le drame ?
La prison de Château-Thierry a longtemps été menacée ; je rends hommage aux équipes de ce établissement, qui accueille jusqu'à 80 % des psychotiques, et font avec des moyens très restreints un travail remarquable. Ce type d'établissement devrait faire école. Ni les UHSA, ni les UMD ne suffiront à faire face. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois. - Le constat est accablant : 10 % des détenus souffriraient de troubles psychiques graves. Or, si le code de procédure pénale prévoit une expertise en matière criminelle, les psychiatres, prudents, préfèrent souvent ne pas conclure à l'irresponsabilité et les jurés ont tendance à condamner plus lourdement les malades mentaux. La proposition de loi prévoit que l'atténuation de responsabilité est un facteur d'allégement du quantum de la peine ; en contrepartie, elle renforce l'obligation de soins pendant et après la détention.
Le principe de l'atténuation de responsabilité pénale du fait de la maladie mentale a été posé par la Cour de cassation en 1885 puis confirmé par la circulaire Chaumié de 1905. On a ensuite distingué entre abolition et altération du discernement, laquelle, laissant le prévenu responsable, devait atténuer la peine. Or c'est l'inverse qui se produit.
Cette proposition de loi réduit la peine encourue d'un tiers. C'est un souci de compromis qui nous a fait retenir ce quantum : méthode qui prévaut au sein de la commission des lois et que je salue, car elle permet d'avancer.
Le principe d'individualisation de la peine est respecté : le juge reste libre, dans le plafond défini légalement -comme c'est la règle dans les autres matières pénales.
Par souci d'équilibre, les auteurs ont prévu des obligations nouvelles de soins. Le juge, cependant, pourra passer outre après avis médical, et le juge d'application des peines pourra décider, après avis médical, de revenir sur les réductions de peine en cas de refus de soins.
Les psychiatres se sont montrés réticents, soulignant que l'incitation au soin est en elle-même une thérapie ; mais les soins ne sont-ils pas obligatoires lorsqu'une personne ayant commis une infraction grave et reconnue irresponsable, est hospitalisée d'office ? Il est donc légitime que la personne au discernement altéré, dont le quantum de peine a été diminué, soit obligée de se soigner : c'est le pendant de la responsabilité.
Enfin, l'article 3 permet l'application de mesures de sûreté à une personne condamnée alors que son consentement était altéré au moment des faits, par décision du juge après avis médical : il ne nous est en effet pas apparu légitime de rendre ces mesures systématiques.
Ce texte améliore le droit, dans un souci d'équilibre entre la peine et le soin. Il ne vise en rien à prendre à contrepied la politique sécuritaire du Gouvernement, mais à mieux prendre en compte la maladie mentale, afin de protéger tout à la fois le malade et la société. (Applaudissements)
Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. - Notre droit pénal a évolué au fil des ans pour mieux prévenir la récidive et obliger les détenus malades à se soigner. Ce gouvernement est très attentif à la question de la délinquance et du trouble mental : c'est le sens de la loi de 2008 relative à la rétention de sûreté et de celle de 2010 tendant à éviter la récidive, qui veillent à assurer l'équilibre entre les droits des détenus et la protection de la société.
Ce texte réduit d'un tiers le quantum de peine en cas d'altération du discernement au moment des faits, le principe d'individualisation de la peine étant, nous dit le rapporteur, pleinement respecté.
Le dispositif actuel est satisfaisant. Si le kleptomane et le pyromane ne sont pas traités à l'identique, c'est qu'il est tenu compte de la dangerosité du second. La proposition de loi remet en cause l'équilibre de l'article 122-1 et est contraire à l'oeuvre récente du législateur. Le Conseil constitutionnel a rappelé, dans sa décision du 9 août 2007, que « le principe d'individualisation des peines (...) ne saurait faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions ; qu'il n'implique pas davantage que la peine soit exclusivement déterminée en fonction de la personnalité de l'auteur de l'infraction ». Le Conseil en a tiré la conséquence que les dispositions de l'article 122-1 « même lorsque les faits ont été commis une nouvelle fois en récidive légale, (...) permettent à la juridiction de prononcer, si elle l'estime nécessaire, une peine autre que l'emprisonnement ou une peine inférieure à la peine minimale ». Pour lui, l'atténuation de la responsabilité n'a pas pour conséquence d'entraîner obligatoirement une diminution de peine, contraire par nature au principe d'individualisation de la peine. Prévoir une réduction automatique conduirait à rigidifier le dispositif alors que ces situations requièrent une analyse au cas par cas. L'opinion ne comprendrait pas qu'un criminel ayant commis les faits les plus atroces bénéficie d'une atténuation de sa peine du fait de l'altération de son discernement au moment des faits.
L'article 2 prévoit un régime plus strict d'obligation de soins et impose au juge d'assortir systématiquement le sursis de mise à l'épreuve d'une telle obligation ; il prévoit également le retrait des réductions de peine en cas de refus de soin.
Si ces dispositions retiennent toute l'attention du Gouvernement, elles ne tiennent pas suffisamment compte des lois récentes sur l'injonction de soins. Et il faudrait ne pas viser l'injonction thérapeutique, qui concerne des situations très particulières.
Le texte propose en outre que le juge d'application des peines puisse revenir sur les réductions de peine prévues. Mais on ne peut mettre sur le même plan le traitement du trouble mental lié à l'origine de l'incarcération et celui, en détention, des troubles des délinquants. Certaines pathologies doivent certes être traitées dans le cadre de la peine -suivi socio-judiciaire assorti d'une injonction de soins. Mais l'injonction de soins ne peut être prononcée que s'il est établi par une expertise médicale que la personne poursuivie est susceptible de faire l'objet d'un traitement ; qu'il serait inefficace et contraire à la déontologie médicale d'imposer, sous peine de sanctions, des soins à une personne déjà privée de liberté. Le mécanisme proposé est donc plus sévère que celui résultant du suivi socio-judiciaire avec injonction de soins alors même que cette peine est prévue pour les infractions les plus graves.
Tout autre est la question du traitement en détention des troubles mentaux des personnes incarcérées.
L'article 3, enfin, conduit à une confusion entre irresponsabilité pénale et atténuation de responsabilité. Il propose en effet de régler la question de la sortie de détention des délinquants au discernement altéré dans la partie relative aux mesures de sûreté pouvant être ordonnées en cas de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Il s?agit d'une judiciarisation des soins des troubles mentaux : le juge d'application des peines pourrait, hors le cadre d'une peine ou d'une mesure de sûreté prononcée par une juridiction de jugement, imposer des soins et diverses obligations sous la contrainte -ce qui est contraire à la loi de 1990 comme aux exigences constitutionnelles.
Le Gouvernement, vous l'avez compris, est défavorable à ce texte.
M. le président. - J'ai le plaisir de saluer la présence parmi nous de Mme Roselle Cros, notre nouvelle collègue des Yvelines. (Applaudissements) Grâce à elle, nous comptons 80 sénatrices, c'est le record dans une assemblée nationale française depuis les origines de la République !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Il reste encore beaucoup à faire !
Votre discours nous surprend, madame la ministre, qui ne mentionne pas le nombre croissant de détenus atteints de troubles mentaux graves. Nous estimons que la proportion de 10 % est sous-évaluée. Ce nombre croît, malgré toutes les déclarations rassurantes sur l'individualisation de la peine : c'est que l'article 122-1 du code pénal est mal appliqué. L'altération est devenue la règle, l'abolition du discernement, l'exception. Et l'altération du discernement est devenue un facteur aggravant de la peine : l'inverse de l'esprit de la loi !
Sans compter que les lois plus récentes ont assimilé, non sans risque, maladie mentale, responsabilité pénale et dangerosité.
Cet amalgame, qui joue sur la peur, fait adopter des mesures dangereuses pour les libertés publiques, comme la rétention judiciaire. Les plus hauts responsables de l'État ne cessent de vouer les juges à la vindicte populaire. Comment s'étonner de la situation ? La rétention de sûreté replongera dans le milieu carcéral bien des détenus. Et que dire de la procédure de comparution immédiate, qui est systématiquement défavorable aux inculpés atteints de troubles mentaux ? Même si les peines prononcées dans ce cas sont de courte durée, ne vaudrait-il pas mieux une prise en charge psychiatrique immédiate ?
En fait, l'incarcération est elle-même pathogène.
Ce texte a le mérite de prendre en compte l'altération de discernement. Mais l'article 2 renvoie à des dispositions de droit commun qui ne corrigeront pas le manque de cohérence de la politique pénale, carcérale et psychiatrique ; des personnes dont l'altération de la responsabilité est reconnue se retrouveront en prison sans comprendre ni le sens de la peine ni l'injonction de soins.
J'avais déposé un amendement substituant l'enfermement par un accueil au sein d'un établissement de soins adapté ; cet amendement a été déclaré irrecevable par la commission des finances, laquelle vient pourtant d'accepter un amendement sur la proposition de loi sur l'euthanasie reconnaissant un droit universel à l'accès aux soins palliatifs dans un service ad hoc. En quoi cet amendement est-il plus recevable que le mien ?
Il est clair qu'un suivi médico-social est toujours plus pertinent.
Reste que cette proposition de loi a le mérite de poser le problème : on ne peut envoyer en prison des malades mentaux. J'étais tenté par l'abstention, mais je voterai pour. (Applaudissements à gauche)
M. Antoine Lefèvre. - Ce texte est issu des travaux de notre groupe de travail sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions.
Accablant constat : l'altération du discernement conduit le plus souvent à une aggravation de la peine, alors qu'elle devrait être une circonstance atténuante. D'où la présence de 25 % de personnes atteintes de troubles mentaux en détention, alors que bien souvent, pour eux, la peine ne revêt aucun sens, et que la présence de malades en prison est source de violences.
Vous proposez une réduction de la peine encourue, en laissant le juge libre de décider, et en l'assortissant d'une obligation de soins.
Mais les détenus ne peuvent recevoir de soins qu'avec leur consentement. Quant aux mesures de sûreté que vous proposez, elles n'auront pas d'effets si elles ne s'assortissent d'une prise en charge.
Dans mon département, l'établissement de Château-Thierry fait un travail de qualité, qui mériterait de servir de modèle.
Il faut savoir concilier impératifs médicaux et judiciaires : la majorité du groupe UMP votera ce texte. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Paul Amoudry. - Les textes consensuels sont suffisamment rares pour mériter d'être salués. Celui-ci est le fruit d'un consensus, fruit de notre groupe de travail conjoint. Je salue le travail de nos trois collègues.
L'article 122-1 distingue abolition et altération de discernement, qui vaut irresponsabilité dans le premier cas, atténuation dans le second.
Or, dans les faits, l'altération du discernement conduit à une aggravation de la peine.
La proposition qui nous est soumise n'est pas l'expression d'une défiance à l'égard du pouvoir judiciaire. C'est un texte équilibré qui ne réduit pas le pouvoir d'appréciation du juge, lequel reste libre, dans la limite du plafond, et restera libre de décider la durée de la peine la plus appropriée.
Le chiffre de 10 %, qui a été cité, ne concerne que les malades atteints de tels troubles que la peine n'a aucun sens : voilà qui remet en cause le principe fondamental de notre droit pénal, depuis Beccaria jusqu'à Marc Ancel, celui de la summa divisio entre personnes responsables et personnes irresponsables.
Le manque de psychiatres rend difficile la prise en charge des malades : faute de soigner, on incarcère. C'est inacceptable.
Nous sommes dans une configuration de l'aveugle et du paralytique, à la confluence de la justice et de la santé, face à deux administrations qui, faute de moyens opérationnels suffisants, sont contraintes de se renvoyer la balle. Au législateur d'intervenir ; mais il ne règlera pas le problème tant que les moyens médicaux manqueront. Soyons-en conscients en votant ce texte ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jacques Mézard. - Je salue MM. Lecerf, Michel et Mme Demontès, dont l'initiative heureuse poursuit le travail de nos deux commissions.
C'est l'honneur du Parlement de se saisir d'un dossier peu médiatique et inchangé par les dix-huit lois pénales intervenues depuis huit ans -sauf par celle du 25 février 2008, qui a rendu plus difficile la déclaration d'irresponsabilité. De fait, nous en sommes restés à cet adage : cachez en prison ces malades que nous ne voulons pas voir ! La reconnaissance d'irresponsabilité en cas de « démence » date de 1810, mais le système initial, trop manichéen, s'est progressivement amélioré.
La notion de « démence » ne prenant pas en compte l'ensemble des troubles mentaux, le législateur, en 1992, a ensuite distingué, avec l'article 122-1, abolition et altération du discernement. Mais cette distinction pose problème depuis vingt ans.
L'abolition du discernement est rarement prise en compte, et l'altération, surtout en assises, conduit souvent à une aggravation de la peine, les jurys privilégiant la protection de la société. Cette situation n'est pas satisfaisante.
Il faut avoir vécu des audiences de cour d'assises pour se rendre compte que, plus l'acte commis est grave, plus la notion de personnalisation de la peine s'estompe par rapport au spectre de la récidive. Il faut aider les jurys à le comprendre. Et est-il raisonnable, à ce compte, de vouloir introduire des jurés en correctionnelle ?
En matière délictuelle, l'organisation psychiatrique est le plus souvent inexistante. Une fois la peine prononcée, l'incarcération elle-même est un facteur pathogène.
Cette proposition de loi est donc bienvenue : c'est un signe pour les juridictions, qui conserveront un large pouvoir d'appréciation.
Elle conforte l'obligation de soins et sanctionne son refus : nous y sommes favorables.
Reste posée la question de l'insuffisance du nombre de psychiatres et la diminution des lits de psychiatrie. Comment favoriser les soins et la réinsertion, à ce compte ? La création des UHSA ne suffira pas à régler le problème.
Ce texte constitue un progrès, mais en appelle un autre : c'est une question tant d'humanité que de sécurité. Nous le voterons à l'unanimité de notre groupe. (Applaudissements)
Mme Christiane Demontès. - Cette proposition de loi fait suite à notre rapport d'information. Je salue les présidents About et Hyest qui ont mis en place un groupe de travail pour remédier au problème de l'incarcération des malades mentaux.
Le code pénal de 1810, dans son article 64, posait le principe d'irresponsabilité ; le nouveau code pénal, dans son article 122-1, introduit un distinguo entre abolition et altération du discernement qui devait, dans l'esprit du législateur, atténuer la responsabilité en mettant en place un « régime spécifique ». Tel n'a pas été le cas. Pour les jurés d'assises, la dangerosité justifie une détention prolongée. Contrairement aux idées reçues, si le nombre de non-lieux a baissé, la part de ceux dus à l'article 122-1 est restée stable. De l'avis concordant des magistrats et d'experts le principe d'altération a conduit à une aggravation de la peine, si bien que pour 10 % de la population pénale, la peine n'a aucun sens. Cette situation heurte nos principes humanistes et contrevient à l'éthique médicale. Il fallait donc rompre avec cette logique pour mieux concilier réponse pénale et prise en charge sanitaire.
L'article premier de notre proposition de loi prévoit une réduction d'un tiers du quantum de la peine encourue. En cas de mise à l'épreuve avec suivi, une obligation de soins devra l'accompagner. L'article 2 donne au juge le pouvoir de revenir sur la réduction de peine en cas de refus de soins, dans la logique de notre code pénal. L'article 3 laisse la possibilité de prononcer une obligation de soins en cours de peine. Au-delà, se pose la question des moyens. La prise en charge médicale de ces personnes ne sera possible que par un renforcement de la psychiatrie. Les SMPR doivent être renforcées sur tout le territoire. Les juridictions ont de plus en plus de mal à trouver des experts psychiatres. Qu'en sera-t-il demain si nous ne faisons rien ? Notre rapporteur préconisait la création de nouveau SMPR. Quant aux UHSA, dont la première a été inaugurée à Lyon en mai dernier, il est important de disposer de statistiques sur le profil des détenus, pour évaluation régulière.
Je comprends mal, madame le ministre, votre opposition à ce texte. Puissions-nous débattre bientôt à l'occasion d'une loi, toujours reportée, sur la psychiatrie ! Si nous ne faisons rien, le sens de la peine se trouvera perverti, l'objectif de l'insertion abandonné, notre système pénitentiaire remis en cause ! (Applaudissements)
présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Les questions pénitentiaires sont au centre de nos préoccupations. Je n'ai eu de cesse de dénoncer, lors des débats sur la loi pénitentiaire, les atteintes graves à l'encontre des droits des personnes détenues. Mes amendements visent à mettre notre droit en conformité avec le droit communautaire. La quasi-totalité des décrets n'a pas été prise : cela prouve l'inadaptation de cette loi.
Le constat est inquiétant : 10 % des détenus souffrent de troubles si graves que la peine n'a pas de sens, alors que son but n'est pas seulement de protéger la société, mais aussi de réinsérer les détenus et prévenir la récidive. Ces malades doivent trouver une solution adaptée à leur situation. Comment, sinon, lutter contre la récidive ? D'autant que la détention aggrave souvent les pathologies, quand elle ne les suscite pas.
L'article 122-1 du code est mal appliqué : il devrait constituer une circonstance atténuante, mais les peines sont le plus souvent alourdies en cas d'altération du discernement. Je m'étonne que Mme la ministre voie dans une réduction de quantum une mise en cause de la liberté d'appréciation du juge et de l'individualisation de la peine : un plafond n'est pas un plancher ! L'article 3, en revanche, me pose problème. On risque de renvoyer en prison des malades et de recréer le cercle vicieux. On n'oeuvrera pas ainsi en faveur de la guérison.
J'attire enfin l'attention sur la question des moyens.
On sait dans quelles conditions travaillent les personnels pénitentiaires et soignants. Souhaitons que le programme de construction des UHSA soit à la hauteur !
Les Verts sont favorables à ce texte auquel ils apportent tout leur soutien.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
Article premier
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Ceux dont le discernement est alterné pourraient, si l'on adoptait cet article, bénéficier d'une atténuation automatique de peine.
L'enquête épidémiologique sur la santé mentale de 2006 a permis de dresser des constats accablants : 37 à 45 % des détenus sont malades ou gravement malades, dont une grande part présente des antécédents manifestes, et beaucoup des symptômes d'addiction.
Cependant, cette situation est mieux appréhendée aujourd'hui. Les UMD suivent ces personnes et préparent un dossier de sortie. Les UHSA prennent en charge les malades jusqu'à leur stabilisation. Il est vrai qu'une seule est encore ouverte.
Pour toutes ces raisons, l'article premier ne me semble pas approprié. Les juges prennent déjà en compte la situation des personnes mises en examen. Il est normal que le kleptomane ne soit pas sanctionné comme le pédophile. Uniformiser la peine ne se justifie pas. Je suis avocate : je crains que cette disposition devienne un enjeu primordial de défense. On plaidera l'altération du discernement pour obtenir un jugement automatiquement plus clément. L'opinion publique ne le comprendra pas.
Il serait plus important d'accentuer les efforts de suivi déjà engagés, pendant et à l'issue de l'incarcération. (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Je ne peux laisser dire n'importe quoi. J'étais député quand on a révisé le code pénal. Le rapporteur du Sénat, Marcel Rudloff, excellent juriste, et le garde des sceaux, ont alors rappelé que l'altération entraînait une réduction de la peine.
Nous avons institué la rétention de sûreté pour parer au problème de la dangerosité. Mais si l'on confond responsabilité et dangerosité, il n'y a tout simplement plus de droit !
Si les pédophiles sont condamnés plus sévèrement, c'est que la pédophilie ne procède pas d'une altération de jugement !
Mais pour ceux qui sont dangereux pour eux-mêmes et pour les autres parce qu'ils ne sont pas conscients de leurs actes, il faut trouver une solution, comme l'ont fait nos voisins européens.
Pour avoir visité bien des établissements, j'ai conscience, comme M. Lecerf, qu'il faut agir pour éviter de faire de nos prisons de grands hôpitaux psychiatriques qui n'auraient pas les moyens de l'être ! (Applaudissements à droite)
M. Jean-René Lecerf. - Le code de 1810 était très manichéen, mais la réalité est rarement blanche ou noire : elle est souvent grise. La démocratie ne gagne pas à accepter la double peine. Je comprends que l'on s'inquiète de la sécurité, mais la situation actuelle ne règle pas le problème. Les malades mentaux dangereux le seront autant à leur sortie, surtout s'ils ne bénéficient d'aucun soin.
J'ai visité des établissements dits de défense sociale : si je n'y suis pas favorable, je reconnais qu'ils ont, dans les circonstances présentes, leur légitimité. (Applaudissements à droite)
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC-SPG.
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
du tiers
par les mots :
de moitié
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Les avocats, madame Des Esgaulx, défendent toujours l'altération de la responsabilité. Mais ce sont les juges qui décident.
Je plaide pour une réduction de moitié du quantum, comme pour les mineurs.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - La commission est défavorable.
L'excuse de minorité et le repentir entraînent certes une réduction de moitié de la peine encourue -sans limiter, madame la ministre, le pouvoir d'appréciation du juge- mais une réduction d'un tiers nous apparaît, dans ce cas, suffisante.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. - Le Gouvernement est opposé au principe même de réduction du quantum, préférant laisser le juge apprécier. Avis défavorable.
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°2, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC-SPG.
Alinéa 2, dernière phrase
Remplacer les mots :
est assortie
par les mots :
peut être assortie
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Le caractère automatique du sursis avec mise à l'épreuve d'une obligation de soins constitue une violation du principe d'individualisation des peines ; nous supprimons ce caractère systématique.
M. Jean-Pierre Michel. - Vous êtes satisfaits puisqu'il n'y a pas d'automaticité : j'ai introduit la nécessité d'un avis médical, sur la suggestion d'ailleurs de la Chancellerie.
L'amendement n°2 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°3, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC-SPG.
Alinéa 2
1° Dernière phrase
Après le mot :
assortie
rédiger ainsi la fin de cette phrase :
des obligations visées aux articles 131-36-1 et 131-36-12
2° Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le non-respect de ces obligations peut entraîner après expertise médicale et psychologique, sauf décision contraire de la juridiction, l'application du 3° de l'article 132-45.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous considérons qu'avant d'imposer à la personne condamnée une injonction de soins dont l'efficacité est contestée, il serait préférable de mettre en place en priorité un suivi socio-judiciaire.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. - Avis défavorable : il y a confusion entre des mesures qui ne sont pas associées.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. - Même avis.
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
L'article premier est adopté ainsi que l'article premier bis.
Article 2
Mme la présidente. - Amendement n°4, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC-SPG.
Supprimer cet article.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Cet article place dans le droit commun les personnes dont le discernement est altéré : je proposais de le supprimer, par cet amendement d'appel. J'avais un amendement pour obliger à un accueil en établissement, la commission des finances lui a opposé l'article 40, alors qu'elle a accepté un amendement qui a les mêmes conséquences pour les deniers de l'État sur le texte venant en discussion ce soir, sans m'expliquer pourquoi : c'est inacceptable.
L'amendement n°4 est retiré.
L'article 2 est adopté.
L'article 3 est adopté.
L'ensemble de la proposition de loi est adopté à l'unanimité.
(Applaudissements)
CMP (Nominations)
Mme la présidente. - Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux recherches impliquant la personne humaine.
La liste des candidats établie par la commission des affaires sociales a été affichée conformément à l'article 12 du Règlement.
Je n'ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire : titulaires : Mmes Muguette Dini, Marie-Thérèse Hermange, M. Paul Blanc, Mme Catherine Deroche, MM. Jean-Pierre Godefroy, Ronan Kerdraon, François Autain ; suppléants : M. Gilbert Barbier, Mme Brigitte Bout, MM. Guy Fischer, Marc Laménie, Jacky Le Menn, Jean-Louis Lorrain, Mme Patricia Schillinger.
La séance est suspendue à 16 heures 35
présidence de M. Gérard Larcher
La séance est reprise à 17 heures.
Flashball et Taser (Questions cribles)
M. le président. - L'ordre du jour appelle huit questions cribles thématiques sur l'utilisation du Flashball et du Taser par les forces de police. Merci à chacun de respecter son temps de parole.
Mme Anne-Marie Payet. - Face aux violences envers les personnes détentrices de l'autorité publique, certains élus locaux ont souhaité doter leurs polices municipales de moyens de force intermédiaires, Flashball et Taser. Suite aux observations du Conseil d'État, l'armement des polices municipales a fait l'objet du décret du 26 mai 2010. Quelles conditions prévoit-il pour la formation et l'utilisation de ces moyens par les polices municipales ?
M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. - L'équipement des polices municipales par ces armements est à la diligence du maire et conditionné à une convention avec l'État ; il doit être proportionné aux missions accomplies. Une formation préalable est assurée par le CNFPT complétée par une autre session, deux fois par an.
Chaque utilisation doit faire l'objet d'un rapport écrit au maire, lequel présente à son tour un rapport annuel au préfet et au procureur de la République.
Les conditions d'emploi sont les mêmes que pour la police et la gendarmerie nationales. À ce jour, dix-sept communes sont équipées.
Mme Anne-Marie Payet. - Merci pour cette réponse précise.
M. François Fortassin. - L'utilisation du Taser aurait, à l'étranger, provoqué la mort de plusieurs centaines de personnes. En France, il y a déjà eu des morts : cette arme est dangereuse. Elle est parfois utilisée dans des situations qui ne le justifient pas. Elle inflige des souffrances aux personnes que les forces de police cherchent à neutraliser. Le comité contre la torture de l'ONU s'est inquiété de cette forme de torture infligée et des risques mortels qu'elle fait encourir.
Pourquoi ne pas préférer la prudence, en suspendant l'usage de cette arme ?
M. Brice Hortefeux, ministre. - Quelle alternative proposez-vous, autre que les armes à feu ? Ces armes à létalité réduite ne peuvent être utilisées qu'en situation de légitime défense.
En 2010, 3 400 Flashballs équipaient la police et la gendarmerie ; ils ont été utilisé 1 481 fois, contre 1 600 fois en 2009 ; les 3 006 lanceurs de balles défense n'ont quant à eux fait l'objet que de 491 utilisations ; quant aux 4 051 Taser, ils ont été utilisés à 815 reprises, contre 907 en 2009.
Ces armes, depuis 2006, ont été utilisées à 12 000 reprises, donnant lieu à 22 incidents -soit un taux de 0,290 seulement.
M. François Fortassin. - Quand il y a des morts avec des armes traditionnelles, on parle de « bavure », mais quand c'est à cause du Flashball ou du Taser, ça paraît moins grave ! (Exclamations) Or il y a d'autres moyens d'être dissuasifs !
M. Antoine Lefèvre. - L'emploi des moyens dits intermédiaires est encadré, mais des incidents conduisent nos concitoyens à s'inquiéter.
Quel est le cadre réglementaire de l'usage de ces armes ? Quel contrôle, notamment a posteriori ?
M. Brice Hortefeux, ministre. - L'usage de ces équipements est encadré par la loi, par la définition de la légitime violence et de l'état de nécessité. Les instructions d'emploi sont mises à jour : en 2009 pour la police, en 2010 pour la gendarmerie.
La traçabilité est totale : une puce enregistre tous les paramètres de tir, une caméra associée au viseur filme l'intervention.
A ce jour, aucun décès n'a été imputé par la justice à l'emploi de ces armes.
M. Antoine Lefèvre. - Merci. Peut-être faudrait-il davantage communiquer sur la réglementation.
M. Charles Gautier. - Les forces de l'ordre doivent avoir les moyens de se protéger et de protéger la population. Cependant, le Flashball et le Taser, quoi que ce soient des armes non létales, peuvent entraîner la mort et le comité de l'ONU contre la torture alerte sur les risques liés à leur usage. Ces armes sont dangereuses. Ce fut une erreur, de la part de l'État, que de considérer qu'elles ne sont pas létales. Entendez-vous la réparer ? Quant aux polices municipales, elles doivent rester des forces de proximité, contribuant à la tranquillité publique, sans confusion possible avec les forces de l'ordre nationales. Si leurs rôles sont mieux distingués, grâce à la signature de conventions, les choses iront mieux. Monsieur le ministre, comptez-vous uniformiser les textes sur l'usage de ces armes de quatrième catégorie ?
M. Brice Hortefeux, ministre. - Les moyens de forces intermédiaires sont la seule alternative, en matière de légitime défense, à l'usage des armes à feu. Dix-neuf agents ont été tués dans l'exercice de leurs fonctions en 2010 et 12 870 blessés. Quant aux moyens dont nous parlons, cinq affaires ont donné lieu à enquête judiciaire et administrative dans la même période. Les forces de l'ordre sont très contrôlées : 2 698 policiers ont été sanctionnés, près de 3 000 gendarmes. Nous débattons avec les ONG, notamment Amnesty International, pour prendre en compte leurs remarques.
M. Charles Gautier. - Vous ne me répondez pas sur les polices municipales. La confusion fait courir plus de risques aux policiers municipaux. A force de diminuer les forces nationales, je crains un transfert de compétences, sans recours à la loi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Le Taser X-26 et le flashball sont des armes dangereuses, mais chaque fois qu'on s'en inquiète le ministre nous répond que toutes les précautions sont prises, et qu'en France les modèles utilisés sont moins puissants qu'aux Etats-Unis. Or, ces armes ont fait deux morts -à Colombes et à Marseille- et deux blessés graves -à Montreuil.
Monsieur le ministre, entendez-vous interdire l'usage de ces armes lors des manifestations sur la voie publique, ainsi que le recommande la Cnds ?
On ne peut pas savoir si une décharge électrique délivrée par ces armes risque d'être ou non létale. Il n'est pas inscrit sur le front des personnes visées qu'elles souffrent par exemple d'insuffisance cardiaque.
M. Brice Hortefeux, ministre. - A Marseille et à Colombes, la procédure judiciaire est en cours : je ne me prononcerai pas.
Le pistolet électrique ne doit pas être utilisé pour le maintien de l'ordre, sauf légitime défense. Les policiers et gendarmes sont de plus en plus souvent agressés, on cherche à les blesser voire à les tuer. Mon devoir est de les protéger. Des voyous n'hésitent pas à tendre des guets-apens, à utiliser des armes de guerre. Dans 54 % des cas, l'usage du Taser est lié à la volonté de réduire l'agressivité des personnes, et le taux d'arrestation dépasse 97 %.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Les policiers eux-mêmes s'interrogent sur l'utilité de ces armes. De plus en plus d'opérations de maintien de l'ordre vont être confiées au privé : allez-vous autoriser les officines privées à se doter de ces armes ?
Mme Catherine Procaccia. - Le flashball et le Taser sont des alternatives aux armes à feu, mais n'en sont pas moins dangereux : c'est pourquoi il faut en encadrer l'usage. Monsieur le ministre, la formation continue est-elle obligatoire ? Comporte-t-elle des mises en situation précises ?
Sur internet, les Taser sont en vente libre pour les personnes majeures, on n'exige qu'un permis de chasse et une pièce d'identité pour le flashball. Je n'ai pas poussé la conscience professionnelle jusqu'à en commander un. Entendez-vous y remédier, sachant que l'usage de ces armes par les particuliers est sûrement plus dangereux que par les forces de l'ordre ?
M. Brice Hortefeux, ministre. - Pour tous ces équipements, une formation initiale obligatoire est prévue, validée par une habilitation individuelle. Le maintien de celle-ci est conditionné à une formation individuelle annuelle. Le problème d'internet m'a été signalé, mais ces armes ne sont pas en vente libre : il faudra saisir, au cas par cas, le parquet.
Je réponds à M. Gautier : un décret de mai 2010 aligne le dispositif applicable à la police municipale sur celui de la police et de la gendarmerie.
Mme Catherine Procaccia. - Tapez « Taser » ou « Flashball » sur internet : vous serez édifié, monsieur le ministre. Il est très simple de s'en procurer un. Ces armes sont à la portée des particuliers, elles le sont aussi à celle des polices privées...
Voix à droite. - Combien ça coûte ?
Mme Catherine Procaccia. - Quatre cents euros.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Et il y aura des soldes... (Sourires)
Mme Dominique Voynet - L'utilisation des armes de quatrième catégorie nous interpelle. On nous a dit qu'elles évitaient l'usage des armes à feu et épargneraient des vies. Le terme d'armes non létales est abusif : ces armes peuvent tuer, et plus fréquemment blesser et handicaper. Chaque mois apporte la preuve de leur dangerosité. En dix-huit mois, à Montreuil, deux jeunes gens ont été gravement blessés, l'un a perdu un oeil, l'autre a subi trois interventions chirurgicales et gardera des séquelles au visage. Dans les deux cas, les fonctionnaires, qui encadraient une manifestation, ont tiré au jugé, dans le tas, et n'étaient pas en situation de légitime défense. Des deux fonctionnaires en cause, l'un a été mis en examen et l'autre le sera inévitablement. Est-ce ce que nous voulons ?
Le manque de formation des agents -deux demi-journées- est criant. Tout cela expose nos forces à des risques juridiques et moraux disproportionnés. Quand reconnaîtrez-vous enfin la dangerosité de ces armes ? L'alternative pour la surveillance des manifestations, c'est le renforcement des effectifs, la formation, la proximité.
Vous créez une confusion des rôles entre polices nationale et municipale. A Montreuil, c'est elle qui vendredi dernier a dû maîtriser des braqueurs ; la police nationale n'est intervenue que vingt minutes plus tard.
M. Brice Hortefeux, ministre. - Vos propos préjugent les résultats de l'enquête. Je vous invite à plus de prudence -en homme prévenu ! (Sourires) Les policiers mis en cause ne seront pas « inévitablement » mis en examen, comme vous l'insinuez.
Deux jeunes gens ont été blessés à Montreuil les 8 juillet et 14 octobre. J'ai demandé que soit diligentée une enquête. Si elle révélait un usage inapproprié des armes, je prendrai des mesures. On n'a enregistré depuis 2006 que 22 incidents sur 12 000 utilisations : c'est trop, mais c'est peu.
Un moratoire, une interdiction ? Encore une fois, l'alternative est entre ces équipements et les armes à feu. Et mon devoir est de ne pas laisser sans moyens de protection ceux qui assurent la sécurité de nos concitoyens.
Quant aux polices privées, madame Borvo Cohen-Seat, elles n'ont pas le droit d'utiliser des armes de quatrième catégorie.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Ces armes ont tué : c'est la preuve de leur dangerosité. Les procédures doivent aller à leur terme.
Le vrai problème est celui des effectifs : les citoyens en sont les premières victimes, on s'en aperçoit tout particulièrement en banlieue !
Mme Catherine Troendle. - Nos forces sont confrontées à des violences de plus en plus graves. La France a choisi de les doter d'armes non létales de quatrième catégorie, pour assurer leur sécurité et celle de nos concitoyens. Ces armes sont largement moins dangereuses que les armes à feu. Quel bilan tirer de leur emploi ? La traçabilité de leur usage est assurée, avez-vous dit ; existe-t-il un service statistique traitant les données recueillies ?
M. Brice Hortefeux, ministre. - Notre choix est clair : équiper nos forces de sécurité de lanceurs de balles de défense et de pistolets à impulsion électrique pour éviter l'usage des armes à feu en cas de légitime défense. Nos forces sont confrontées à des situations de plus en plus difficiles. On cherche parfois à blesser, si ce n'est à tuer les fonctionnaires de police et de gendarmerie. À Grenoble, un policier a échappé miraculeusement à la mort : un délinquant l'avait visé à la tête.
L'usage des armes à feu doit être réservé aux situations les plus graves. C'est pourquoi des moyens intermédiaires sont indispensables. Les précautions requises sont prises : les données sont enregistrées et dûment conservées pour analyse.
La séance est suspendue à 17 heures 45.
présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente
La séance reprend à 18 heures 10.
Question prioritaire de constitutionnalité
Mme la présidente. - M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 25 janvier 2011, qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité.
Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Mission commune d'information sur l'organisation territoriale du système scolaire (Nomination)
Mme la présidente. - Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste a présenté une candidature pour la mission commune d'information sur l'organisation territoriale du système scolaire et sur l'évaluation des expérimentations locales en matière d'éducation.
Le délai prévu par l'article 8 du Règlement est expiré. La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Bernadette Bourzai membre de la mission commune d'information sur l'organisation territoriale du système scolaire et sur l'évaluation des expérimentations locales en matière d'éducation, à la place laissée vacante par Mme Raymonde Le Texier, démissionnaire.
Enfants franco-japonais
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution n°674, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative aux enfants franco-japonais privés de liens avec leur parent français en cas de divorce ou de séparation, et de la proposition de résolution n°94, présentée en application du même article, tendant à permettre au parent français d'enfants franco-japonais de maintenir le lien familial en cas de séparation ou de divorce.
Discussion générale commune
M. Richard Yung, auteur de la proposition de résolution n°674 rectifiée. - Trop d'enfants franco-japonais en cas de séparation sont privés de lien avec leur parent français, souvent le père. Situations ô combien douloureuses.
Dans notre proposition de résolution, nous souhaitons que le Japon signe la Convention de La Haye de 1980, révise son code civil en conséquence et développe les prérogatives du comité de conciliation franco-japonais.
La place de l'enfant, des parents, du couple, leurs rapports touchent aux valeurs d'une société. Pour les Japonais, le coeur de la famille est constitué par la mère, l'enfant, la maison : le père est tenu à l'écart. Cela heurte nos conceptions. Nous devons en parler.
Le Japon compte 10 000 enfants binationaux, qui ne sont heureusement pas tous confrontés à la situation douloureuse que nous dénonçons ; ces préoccupations ne sont pas propres à la France.
Nous usons M. Duvernois et moi-même du droit ouvert au Parlement par la révision constitutionnelle de 2008, pour la première fois dans un cadre international.
La hausse du nombre de mariages franco-japonais signe le renforcement des liens entre nos deux pays. D'où une hausse du nombre d'enfants binationaux -233 naissances en 2009 pour 321 mariages- mais aussi du nombre de séparations et de divorces ; les cas de conflit ne sont pas rares. Des enfants ont été enlevés en France et amenés au Japon, alors que le parent français avait l'autorité parentale : faute de convention bilatérale, les autorités japonaises ne reconnaissent pas nos décisions de justice et, n'ayant pas signé la convention de La Haye, ne sanctionnent pas les déplacements illicites d'enfants.
Lorsque le couple réside au Japon, il arrive que la mère quitte le domicile familial avec l'enfant : cela n'est pas sanctionné dans ce pays, alors que c'est interdit chez nous, et la justice japonaise consacre la plupart du temps cet état de fait. Les services consulaires font état de quelque 40 cas -ils doivent être sensiblement plus nombreux.
Les pères sont le plus souvent les victimes. L'article 819 du code civil japonais prévoit que l'autorité parentale ne se partage pas ; dans 80 % des cas, la garde est confiée à la mère -même en cas d'instabilité psychologique.
En France, le droit de visite ne peut être supprimé que pour motifs graves ; au Japon, il n'existe pas et est laissé à l'appréciation du juge et au bon vouloir de l'autre parent. Autres difficultés : aucune sanction n'est prévue en cas de refus du droit de visite par l'autre parent ; et ce droit est souvent réduit au minimum, quelques heures une fois par mois.
Bien des parents, des pères le plus souvent, sont ainsi privés de contact avec leurs enfants, ce qui a des effets psychologiques graves ; certains souffrent du syndrome d'aliénation parentale.
La France a entrepris de nombreuses démarches, obtenant la création -une première au Japon- d'un comité de conciliation : hommage soit rendu à notre ambassadeur. L'objectif est de faciliter le partage d'informations. C'est la preuve que le Japon reconnaît le problème. Mais il faut aller plus loin pour faire prévaloir l'intérêt supérieur des enfants. Il y a urgence à agir, on assiste de plus en plus souvent à des actes dramatiques de pères poussés à bout.
J'admire la culture et la tradition japonaises, et ce texte ne remet nullement en cause la souveraineté du Japon. Mais les mariages mixtes sont appelés à se développer : il faut aller plus loin. Si le Japon est prêt à avancer, à son rythme, nous pourrons nous féliciter d'avoir contribué à résoudre ce problème douloureux. (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Louis Duvernois, auteur de la proposition de résolution n°94. - Le problème est éminemment humain : la souffrance d'un père ou d'une mère est sans rapport avec les clivages partisans. L'enfant, conservant un lien avec ses deux parents, doit pouvoir jouir de la richesse inestimable de sa double culture. Mon attention a été attirée il y a deux ans sur cette situation qui n'évolue pas, malgré l'action tenace des associations.
Le divorce a toujours une incidence sur le développement de l'enfant. Le juge doit tenir compte au premier chef de son intérêt. La loi française prévoit le partage de l'autorité parentale et un droit de visite régulier est reconnu au parent qui n'a pas la garde de l'enfant ; la non-présentation d'enfant est sévèrement sanctionnée. Le divorce des parents n'est pas divorce avec l'enfant.
Au Japon, 80 % des divorces ont lieu par consentement mutuel. Mais un seul parent est désigné détenteur de l'autorité parentale ; 9 % des divorces se résolvent par la conciliation judiciaire ; dans 1 % des cas, il faut recourir à l'arbitrage du juge. Dans 80 % des cas, la garde est donnée à la mère, le père n'ayant le droit que de payer une pension, dont les pères japonais s'acquittent rarement. Il ne reçoit que très rarement un droit de visite, dont le respect est à la discrétion du parent détenteur du droit de garde. Il n'est pas rare que la mère enlève l'enfant au foyer conjugal, et interdise tout contact avec le père.
La loi japonaise ne poursuit pas l'enlèvement parental et le Japon n'applique ni la convention de La Haye, ni la convention de New York sur les droits de l'enfant qu'il a pourtant signée. C'est le parent le plus prompt à enlever l'enfant qui a le plus de chances d'en avoir la garde !
Je salue l'action de notre ambassadeur à Tokyo, M. Philippe Faure, à l'origine d'un comité franco-japonais de conciliation. Des avancées ont été obtenues, en particulier la participation du ministère japonais de la justice.
Nous sommes intervenus à plusieurs reprises, avec d'autres délégations étrangères, pour appeler le Japon à signer la convention de La Haye. Mme Clinton a fait de même auprès du ministre des affaires étrangères. Et le ton des Américains est bien plus comminatoire que le nôtre : j'en veux pour preuve la résolution adoptée par le Congrès américain !
Peut-on laisser nos compatriotes se débattre seuls dans ces inextricables problèmes ? Le représentant des Français de l'étranger que je suis ne saurait rester indifférent à leur détresse. Trois pères français se sont déjà donné la mort. Au-delà de nos clivages politiques, notre devoir est d'inciter le Japon à régler ce problème.
M. François Fortassin. - Très bien !
M. Louis Duvernois. - C'est pourquoi je vous demande de soutenir cette résolution, qui reconnaît tout simplement le droit des enfants binationaux de grandir dans l'amour de leurs deux parents. (Vifs applaudissements)
M. Roland du Luart. - C'est en tant que vice-président du groupe d'amitié France-Japon, très attaché au renforcement des liens entre nos deux pays, que j'interviens : l'adoption d'une résolution me semble inopportune.
Ce texte vise une trentaine d'enfants ; deux ou trois pères se sont suicidés : le problème est donc bien réel ; je comprends et partage l'émotion de nos collègues, mais la méthode ne me paraît pas appropriée.
Une première résolution a été déposée par M. Yung en juillet, invitant le Japon à ratifier la convention de La Haye de 1980 ; à mes yeux, elle constituait une ingérence inacceptable. M. Assouline, président du groupe d'amitié France-Japon, ne l'a d'ailleurs pas cosignée. Cette résolution a été modifiée pour la rendre identique à celle de M. Duvernois, beaucoup plus mesurée.
Sur le fond, je ne peux qu'être d'accord, mais la discrétion n'est-elle pas préférable ? Une instance de conciliation a été mise en place, les ministères français et japonais coopèrent. M. Kouchner a entendu, du Premier ministre japonais lui-même, que la signature de la convention de La Haye était une de ses priorités.
Le gouvernement japonais a donc entamé un processus, même si l'opinion publique japonaise reste réticente, en raison notamment des violences conjugales subies par des femmes japonaises. Cette résolution, qui pourrait être considérée par l'opinion comme une pression extérieure, ne risque-t-elle pas d'accélérer ces réticences, et de freiner l'adoption de la convention ?
M. Roland Courteau. - C'est le contraire !
M. Roland du Luart. - La prudence est nécessaire, nos partenaires japonais sont de bonne foi, nos relations excellentes : cette résolution pourrait être contreproductive ; je voterai contre, comme M. Hérisson qui m'a chargé de vous le dire.
M. Roland Courteau. - C'est une erreur.
Mme Claudine Lepage. - L'union de deux personnes est toujours une promesse de découverte, surtout lorsqu'elles sont issues de cultures différentes. Cette richesse, pourtant, peut être le terreau de querelles et de déchirures, dont les enfants sont les premières victimes. Cette double initiative pour s'assurer de l'intérêt supérieur des enfants franco-japonais me paraît donc excellente.
En Europe, un mariage sur cinq est binational, le nombre de divorces est en proportion.
En France, avec 84 000 mariages mixtes enregistrés en 2009, les enlèvements parentaux ont augmenté de 9 % en 2010. Au Japon, plus de 160 000 enfants binationaux sont privés d'un de leurs parents. On sait que le droit japonais donne les pleins pouvoirs sur l'enfant à la mère, le droit de visite du père n'étant que jurisprudentiel, sans valeur constitutionnelle et subordonné au paiement de la pension alimentaire. Faute d'accord franco-japonais, aucune décision française n'est reconnue par les autorités japonaises et le Japon ne sanctionne pas les enlèvements d'enfants binationaux. Le précédent Premier ministre,Yukio Hatoyama, a manifesté, il y a quelques mois sa volonté de signer la convention pour éviter que le Japon soit perçu comme « un pays à part ». Mais sa signature par le Japon ne règlera pas tous les problèmes : le juge japonais pourra toujours arguer de l'intérêt de l'enfant pour refuser sa restitution. Or, les pédiatres, les psychologues, soulignent que les deux parents sont nécessaires au développement harmonieux de l'enfant ; le syndrome de l'aliénation parentale, pendant du syndrome de Stockholm pour les prises d'otages, constitue un risque réel en cas d'enlèvement d'enfant.
Je fais confiance aux autorités japonaises, en coopération avec nos autorités, pour trouver la meilleure solution pour l'enfant, la mère et le père : selon M. Naouri, les deux parents sont une échelle double sur laquelle l'enfant grimpe à la conquête de la vie.
M. Roland Courteau. - Bien dit !
Mme Claudine Lepage. - Dès lors que l'un des deux détruit l'autre, l'échelle s'écroule, entrainant l'enfant dans sa chute...
Je vous invite donc à adopter ces propositions de résolution dans l'intérêt même des enfants franco-japonais. (Applaudissements)
Mme Françoise Laborde. - Déplacement illicite d'enfant : l'euphémisme dissimule de véritables drames humains nés d'actes qui s'apparentent bien plutôt à des rapts.
Le droit japonais, on l'a dit, donne raison au parent japonais, contre le parent français. Pour prévenir des drames, des avocats occidentaux vont jusqu'à conseiller à leur client d'enlever leur enfant en premier...
Les services consulaires ont identifié une trentaine de cas -ils doivent approcher les deux cents si l'on inclut les autres pays occidentaux. C'est pourquoi il est utile d'envoyer un signal au Japon, avec cette résolution. Nos conceptions de la famille sont différentes, nous respectons ces différences, ce qui n'enlève rien à la nécessité de la coopération.
Même si le Japon signe la convention de La Haye, il faudra renforcer la coopération bilatérale avec ce pays, comme nous l'avons fait avec d'autres pays d'Afrique, le Brésil ou le Liban.
Le cas du Japon ne doit pas faire oublier celui de bien d'autres enfants binationaux. Le groupe RDSE votera ces résolutions à l'unanimité. (Applaudissements)
M. Robert del Picchia. - Nous devons être prudents, car nous déplorerions que notre vote dégrade les relations de notre pays avec le Japon. L'adoption de ces propositions de résolution doit être comprise comme un témoignage de notre amitié envers le Japon, de notre soutien au processus de ratification de la convention de La Haye dans lequel il s'est engagé.
Aussi, je forme le voeu que le comité créé à Tokyo poursuive ses travaux pour parvenir à des dénouements heureux sur les dossiers dont il s'occupe ! (Applaudissements)
M. Jean-Jacques Pignard. - Je voterai cette résolution, comme tous les centristes, parce qu'elle redonnera espoir à ceux qui l'ont perdu. Mais un texte, cependant, ne suffira pas à transformer un héritage culturel aussi profondément ancré que celui qui touche à la famille et à l'éducation des enfants. Les problèmes posés vont bien au-delà du seul cas des enfants franco-japonais : peut-être un jour faudra-t-il étudier le sujet de façon exhaustive, pour que nos amis japonais n'aient pas le sentiment d'être stigmatisés ! (Applaudissements)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. - Cette résolution touche à un problème des plus sensibles. Des parents n'hésitent pas à enlever leur enfant, pour le soustraire à toute relation avec l'autre parent : une trentaine de cas, au Japon, ont été signalés à nos services consulaires. Nous les suivons. Je sais pouvoir compter sur nos relations amicales avec le Japon, pour que l'intérêt commun prime.
Pour lutter contre le déplacement illicite d'enfants franco-japonais, nous manquons cependant de tout outil juridique, le Japon n'étant pas partie prenante à la Convention de la Haye. Pour aller au-delà de la coopération ponctuelle, au cas par cas, un comité a été mis en place, au sein duquel les autorités françaises et japonaises examinent ensemble les dossiers : c'est une première, l'initiative est remarquable. Nous espérons qu'avec d'autres, elle portera tous ses fruits.
Vous souhaitez aller plus loin. Nous incitons le Japon à nous rejoindre dans la Convention de La Haye, nous en expliquons les mécanismes, le nouveau ministre japonais des affaires étrangères paraît s'y acheminer. Le Congrès américain, de son côté, a déjà pris une résolution. Quelle action sera la plus efficace ? Être plus discrets, favoriser la voie diplomatique, comme le suggère M. du Luart ? Nous devons trouver un juste équilibre entre l'expression de notre solidarité et le plein respect de la souveraineté japonaise : le Gouvernement s'en remet à votre sagesse ! (Applaudissements)
Vote sur l'ensemble
M. Jean-Pierre Cantegrit. - Débat douloureux, délicat, difficile, mais calme, courtois, responsable : je m'en réjouis. Je comprends les réserves de M. du Luart, qui est vice-président du groupe d'amitié France-Japon, mais j'ai apprécié la présentation sereine des faits par M. Del Picchia.
Un Français établi au Japon, membre de l'AFE, M. Thierry Consigny, m'a alerté sur ce problème des enfants franco-japonais : certains de nos compatriotes n'ont pas vu leurs enfants depuis quinze ou vingt ans, et quelques-uns ont été acculés au suicide ! N'est-ce pas le moment pour inciter le Japon à ratifier la Convention de La Haye ? Douze ambassadeurs occidentaux ont rencontré le ministre japonais des affaires étrangères pour l'inviter à avancer dans cette voie. Je remercie les auteurs de ces résolutions, que je voterai ! (Applaudissements)
M. Christian Cointat. - Nous parlons d'un drame humain particulièrement grave et c'est parce que le Japon est un pays ami que nous devons lui parler franchement : ce débat témoigne de notre amitié pour lui ! C'est en se regardant dans les yeux que l'on parvient à se comprendre : j'invite nos amis japonais à le faire ! (Applaudissements)
M. Christophe-André Frassa. - Comme membre du groupe d'amitié France-Japon, j'ai rencontré certains de nos compatriotes qui vivent dans une quasi-clandestinité et auxquels tout accès à leur enfant est refusé. Nous devons dire à nos amis japonais ce qui ne va pas bien. Je remercie MM. Yung et Duvernois d'avoir pris l'initiative de ces résolutions que je voterai. (Applaudissements)
Les deux propositions de résolution, identiques sont adoptées.
Avis sur des nominations
Mme la présidente. - Conformément aux dispositions de l'article 28 de la loi du 18 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité et de la loi du 23 juillet 2010, relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat, par lettre en date du 25 janvier 2011, de lui faire connaître l'avis de la commission du Sénat compétente en matière d'énergie sur le projet de reconduction de M. Philippe de Ladoucette à la présidence du collège de la Commission de régulation de l'énergie et de nomination au sein de ce collège de MM. Jean-Christophe Le Duigou et Frédéric Gonand.
Ces demandes d'avis ont été transmises à la commission de l'économie.
Acte est donné de cette communication.
Mme la présidente. - A la demande du Gouvernement, la séance reprendra à 22 heures. (Mouvements divers)
La séance est suspendue à 19 heures 25.
présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président
La séance reprend à 22 heures 10.
M. Jean-Pierre Bel. - Il est bien tard pour aborder un débat qui mérite un meilleur traitement. Quelle que soit la position de chacun, nous sommes nombreux, sur tous les bancs, à considérer que le Sénat se serait honoré à aborder ce sujet à une autre heure. (Marques d'approbation sur de nombreux bancs) On prétend réhabiliter le Sénat, faire porter la voix du Sénat et c'est maintenant -et jusqu'à quelle heure de la nuit ?- que nous entamons ce débat. Ce n'est pas digne, ni de l'enjeu, ni du Sénat ! (Applaudissements à gauche)
M. Guy Fischer. - Au nom du groupe CRC-SPG, je veux dire qu'il eût été bon que ce débat, historique eu égard au sujet, ait lieu l'après-midi, quitte à prolonger le soir. Les règles de l'initiative parlementaire ont hélas prévalu. Nous veillerons à la dignité du débat.
Mme Marie-Thérèse Hermange. - Le groupe UMP exprime le même regret.
Assistance médicalisée pour mourir
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l'assistance médicalisée pour mourir.
Discussion générale
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur de la commission des affaires sociales. - (Applaudissements à gauche). C'est à l'honneur du Sénat de tenir ce débat sur un sujet qui fait appel à des convictions morales, religieuses, philosophiques et éthiques. Je rends hommage à la présidente de notre commission qui en a permis la tenue. Comme le Premier ministre, je souhaite un débat, calme et serein, dans le respect des convictions de chacun.
La commission des affaires sociales a adopté un texte de synthèse des trois propositions de loi présentées par MM. Fouché, Fischer et moi-même.
Ce texte n'est pas politiquement partisan : issu de propositions venues de divers bancs, il ne reflète la position unanime d'aucun groupe. La question de la mort assistée relève de l'intime mais aussi des libertés publiques.
L'autonomie de la volonté, consacrée en matière civile depuis la Révolution, s'est étendue progressivement à tous les domaines de la vie. Aujourd'hui, avec la loi Leonetti, le patient est un acteur à part entière : il est un individu libre, traité comme tel, et peut refuser un traitement.
Ce texte propose de mettre fin à un paradoxe qui veut que le respect de la volonté de l'individu ne s'applique pas au moment de sa mort.
Le débat agite la société -et notre assemblée- depuis 30 ans.
L'assistance médicalisée pour mourir ne s'oppose pas, comme on l'entend souvent, aux soins palliatifs (applaudissements à gauche), qui visent à soulager la douleur, quitte à abréger la vie. L'assistance médicalisée donne à l'individu la possibilité de choisir les conditions de sa fin de vie.
Pourquoi les soins palliatifs seraient-ils la seule solution offerte en fin de vie ? Quid de ceux qui décident de n'en pas recevoir ? La lutte contre la douleur est primordiale : la volonté de vivre doit primer sur la mort. La loi Leonetti de 2005 a marqué une avancée significative. Mais pour certains, cette possibilité ne suffit pas. Ils veulent par leur volonté éclairée, une assistance pour mourir.
La procédure prévue, strictement encadrée, respecte la vie. La demande, adressée au médecin, devra être dûment confirmée. Elle pourra être révoquée à tout moment. Le médecin devra informer le patient des possibilités de soins palliatifs, pour que le choix de mourir ne soit pas l'effet d'une ignorance.
Les mineurs et les personnes légalement protégées sont évidemment exclus du dispositif. L'assistance ne sera ouverte qu'à ceux qui, pleinement conscients, en feront la demande s'ils sont frappés d'une pathologie incurable à un stade avancé.
Pourquoi une assistance médicalisée ? Parce qu'il faut un regard suffisamment étranger pour comprendre si la demande est vraiment éclairée, libre, réfléchie.
S'en remettre à la clandestinité ou aux associations, comme en Suisse, présente trop de risques.
L'article premier ouvre la possibilité d'une aide médicalisée pour mourir, sous les conditions que j'ai dites. L'article 2 prévoit que le médecin traitant saisit deux confrères : la première mission de ce collège sera de proposer l'accès aux soins palliatifs. Si la personne les refuse, un rapport écrit sera dressé. Si le malade réitère, en présence de sa personne de confiance, l'acte pourra avoir lieu après un délai de huit jours pour laisser le temps de la réflexion, pour laisser à la vie la possibilité de reprendre ses droits.
Pour ceux qui sont convaincus d'avoir atteint le terme de leur existence, le délai de huit jours pourra être raccourci avec l'accord du médecin.
L'article 3 prévoit le cas de malades devenus inconscients.
L'article 4 prévoit la procédure applicable en cas de directives anticipées.
L'article 5 met en place les commissions régionales et la commission nationale chargée de les contrôler, qui pourra saisir le juge, à l'image de ce qui prévaut en Belgique. Les personnes seront réputées mortes de mort naturelle.
L'article 6 met en place une clause de conscience opposable par les médecins.
L'article 7 traite de la formation.
Ce texte permettra aux patients de rester maîtres de leur choix, de décider de la manière dont ils veulent vivre leur fin de vie.
Il offre aux médecins un cadre juridique dans le respect de leur clause de conscience. Il n'est pas admissible que des médecins se mettent aujourd'hui, par compassion, dans l'illégalité.
Il résout, de même, les difficultés de ceux qui par amour répondent à la sollicitation de leur proche : il faut mettre fin à cette situation horrible où le malade demande ce geste d'amour sans savoir ce qu'il adviendra de celui qui l'aide.
Il soumet la question au juge, qui juge au nom du peuple français et non de sa conviction personnelle.
Axel Kahn, dans L'ultime liberté, reconnaissant qu'il existe des cas où l'on peut en conscience transgresser la règle qui interdit de donner la mort, demande qu'on fasse preuve de clémence envers ceux qui transgressent la lettre plus que l'esprit de la loi. Je demande pour ma part que le législateur apporte une réponse humaine et humaniste : c'est le sens de cette proposition de loi ! (Applaudissements à gauche ; Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales, applaudit aussi)
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé. - J'ai déjà participé à des débats à des heures avancées : les bancs n'étaient pas si garnis. Je suis certain que chacun saura débattre sereinement.
Je ne partage pas votre position, monsieur Godefroy, mais je la respecte. Vous avez insisté sur l'autonomie de la volonté. C'est la limite de votre raisonnement. Il est des cas où l'on ne peut trancher : je pense aux malades d'Alzheimer. (Exclamations à gauche) Comment savoir, même avec des directives anticipées ? Cesser un traitement, c'est autre chose qu'autoriser un acte volontaire.
M. René-Pierre Signé. - C'est une non-vie !
M. Xavier Bertrand, ministre. - Interrogez ceux qui vous rendent visite. Leur témoignage vaut mieux que celui des sondages. Les Français veulent-ils l'euthanasie? (On proteste à gauche contre l'emploi de ce mot) Dans la proposition de loi, l'autorisation à donner volontairement la mort n'est pas présentée comme un recours ultime, mais comme une alternative aux soins palliatifs. Notre société veut-elle légiférer pour s'accorder le droit de donner la mort ? Le Premier ministre l'a dit, ce texte n'apporte pas les garanties suffisantes. Le sujet exige une réflexion approfondie sur la valeur de la vie humaine, la souffrance, la mort. Il touche à la volonté des malades devenus incapables de s'exprimer. Le texte donne plusieurs définitions de la fin de vie, créant une insécurité juridique. II ne prévoit aucune procédure d'information de la famille. Le contrôle de l'acte n'aurait lieu qu'a posteriori. Mais il s'agit d'un acte irréversible ! Et en cas de décision de sanction, c'est la responsabilité du médecin qui sera engagée.
M. Paul Blanc. - C'est vrai !
M. Xavier Bertrand, ministre. - L'Ordre des médecins le souligne. Ce texte ne serait pas sans conséquence sur la relation de confiance entre soignant et soigné. Le professeur Lantiéri qui a réalisé la première greffe du visage l'a dit : « notre tâche est d'accompagner le malade vers la mort, non de la provoquer ! ». (Applaudissements à droite)
Il ne s'agit pas pour nous de nier la souffrance du malade et de ses proches. Nous avons tous en mémoire le cas de Vincent Humbert. Mais le principe d'autonomie de la volonté n'aurait rien changé à la situation !
M. Jean Desessard. - Mais si !
M. Xavier Bertrand, ministre. - On entend dire que 94 % des Français seraient favorables à l'euthanasie (protestations à gauche), mais 36 % seulement estiment qu'elle ne doit s'appliquer qu'en toute extrémité. Une grande majorité est favorable au développement des soins palliatifs et ne sait pas que la loi interdit l'acharnement thérapeutique. A nous de faire connaître la loi Leonetti : je préfère regarder le chemin qui reste à parcourir plutôt que de me tromper de chemin ! (Applaudissements à droite)
Ce qui est en jeu, c'est l'angoisse de souffrir. Les soins palliatifs permettent de les apaiser : ils soulagent la douleur, accompagnent la peur de la solitude, soulagent le sentiment d'indignité. L'accompagnement psychologique joue un rôle essentiel. C'est la loi. Il faut la faire connaître, pour qu'elle soit mieux appliquée. (Applaudissements à droite) Elle proscrit l'acharnement, autorise l'arrêt de traitement et la prescription d'antalgiques. Quand le malade est inconscient, la volonté qu'il a exprimée antérieurement prévaut, ou le témoignage de ses proches. A la demande du président de la République, nous faisons du développement des soins palliatifs une priorité !
M. Bernard Piras. - Blabla !
M. Xavier Bertrand, ministre. - Nous flécherons les crédits dans les établissements de santé, pour les sanctuariser. Nous prenons l'engagement de créer 1 200 nouveaux lits.
La loi Leonetti a institué l'allocation d'accompagnement. L'Observatoire créé en 2010 analyse attentivement la situation, en France et à l'étranger. En Belgique, 47 % des euthanasies sont pratiquées hors cadre légal. C'est dire les risques encourus. Derrière les textes, c'est la souffrance, insupportable pour les malades et pour leurs proches, qui doit nous occuper.
Les propositions de loi fleurissent sur le terreau de la méconnaissance, disait Marie de Hennezel. Ce n'est pas votre cas, monsieur le rapporteur, mais quelles que soient nos convictions -je me souviens des travaux conjoints de Nadine Morano et Gaëtan Gorce- nous devons préférer la réflexion à l'émotion et à la précipitation. C'est ainsi que nous répondrons de façon juste et digne à ce difficile débat sur la fin de vie ! (Applaudissements prolongés à droite)
Mme Valérie Létard. - Je suis heureuse d'avoir rejoint les rangs de la commission des affaires sociales, où j'ai vu se tenir un débat respectueux des personnes et des convictions. Ce sujet mêle intimement l'éthique, le juridique et le sociétal. Hommage soit rendu à la présidente Dini et au président About. Le groupe de travail, constitué à son initiative, a tracé des pistes justes. Merci à notre rapporteur, qui a su ouvrir un débat nécessaire.
La vision devenue très technicienne de la médecine n'est plus adaptée à la fin de vie, marquée souvent par la détresse du malade et de ses proches. C'est pourquoi nous avons instauré un congé spécifique, rémunéré, pour accompagner une personne en fin de vie.
Après les initiatives du pionnier que fut M. Neuwirth, la loi Leonetti a constitué une avancée majeure, qu'avait soutenue le groupe de l'Union centriste.
Six ans après, trop de malades et de leurs proches ne bénéficient pas du réconfort physique et psychique dont ils ont besoin.
M. Guy Fischer. - Très bien !
Mme Valérie Létard. - Si le Gouvernement fait un effort sur les crédits, attention au fléchage pour qu'ils ne se perdent pas dans la dotation globale des hôpitaux confrontés à tant d'urgences !
Trop peu de professionnels se sont approprié la loi Leonetti dans toutes ses dimensions. Certains estiment qu'elle ne prend pas en compte toutes les situations. Notre commission s'est simplement rendue à cette évidence, plutôt que de prétendre légiférer sur l'euthanasie en général ! (Applaudissements à gauche)
Le patient en fin de vie a le droit d'en être acteur jusqu'au bout. La décision doit se partager. Elle n'appartient pas au seul médecin. Cela mérite que l'on en parle, en évitant les anathèmes et les caricatures. Oui au débat, pour que la mort cesse d'être escamotée, et soit réintégrée dans le processus de la vie dont elle constitue l'ultime étape.
C'est pourquoi, comme le président About, j'ai voté l'article premier de ce texte, pour combler un vide.
Dans le film Les yeux ouverts, que Mme Desmarescaux nous avait conviés à regarder, n'assiste-t-on pas à une forme d'assistance à mourir ? Une forme légale, quand d'autres ne le seraient pas ? C'est sur cette frontière qu'il convient de réfléchir.
Ce qui importe, c'et de bien prévoir les décisions. Or, l'Observatoire de la fin de vie est encore trop jeune pour nous fournir les analyses qui nous permettraient de légiférer.
M. le président. - Il faut conclure.
Mme Valérie Létard. - Pour nous entourer de toutes les garanties, la réflexion doit se poursuivre, pour compléter, car il le faudra tôt ou tard, la loi Leonetti.
M. le président. - Veuillez conclure !
Mme Valérie Létard. - C'est pourquoi, bien que favorable au principe, je m'abstiendrai sur ce texte. (« Ah ! » à droite) mais il faudra modifier la loi.
Mme Sylvie Desmarescaux. - Ce débat nous renvoie à nos convictions profondes. Albert Camus parlait de l'absurdité de la condition humaine. Le plus révoltant dans la vie, c'est la mort, la sienne et celle de ses proches. En dehors de toute conviction religieuse, c'est la conscience qu'il va mourir qui permet aussi à l'homme de goûter le moment présent.
La loi Leonetti, qui favorise les soins palliatifs, me semble plus propice que la légalisation de l'euthanasie pour améliorer les conditions de la fin de vie. Elle a consacré le principe d'obstination déraisonnable et le droit au refus d'un traitement.
La différence entre donner la mort et l'empêcher à tout prix, parce qu'elle est éthique, doit être maintenue. Depuis quelques années, la culture palliative se diffuse, il faut poursuivre dans cette voie, encourager les équipes médicales. Il n'est pas rare qu'une personne qui demande à mourir revienne sur sa décision. Je l'ai vécu avec ma fille, qui est morte dans la dignité parce qu'elle a fini sa vie entourée de personnes convaincues de cette dignité, malgré sa maladie et malgré ses souffrances.
La question de la fin de vie ne se limite pas à la légalisation de l'euthanasie ; nous manquons encore trop d'informations. Au-delà des sondages, un débat sociétal est nécessaire pour que nous prenions le recul nécessaire. Je voterai contre ce texte. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Gilbert Barbier. - Les Français voudraient la légalisation de l'euthanasie à 94 % ? Tout dépend des termes utilisés : qui peut être contre une mort sans souffrance ? Posez cette question dans un sondage, vous n'obtiendrez que des réponses positives ...
J'entends ici ou là dénoncer les « voleurs de liberté » que seraient les médecins parlementaires opposés à la légalisation de l'euthanasie et partisans de l'acharnement thérapeutique... Je serai donc de ce nombre. Mais les sondages ne révèlent rien d'autre que la volonté de ne pas souffrir. Mais la question n'est pas celle de notre propre mort. Freud disait qu'il était absolument impossible de se la représenter, parce que lorsque nous essayons, nous y assistons comme spectateurs ; dans son inconscient, chacun est persuadé de son immortalité. Or, ce texte instaure, foin des précautions de langage, un droit à tuer. (Exclamations à gauche) : c'est curieux dans un pays qui a aboli il y a 30 ans la peine de mort ! La formule retenue à l'article premier est proprement glaçante. Elle rappelle fâcheusement des pratiques anciennes. (Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs)
La violence de l'acte n'est pas effacée par l'expression d'assistance médicalisée. Une mort rapide et sans douleur ? La promesse est facile. Toute mort est une violence indue, écrivait Simone de Beauvoir, toute mort est un scandale.
La dignité est intrinsèque à la personne humaine : quelque chose est dû à l'être humain du fait qu'il est humain, dit Paul Ricoeur. Le refus de toute souffrance relève d'une névrose obsessionnelle... Mais il est vrai que « la mort ni le soleil ne se peuvent regarder en face », ainsi que l'écrivait La Rochefoucauld.
Ce texte sortirait la société d'un certain obscurantisme du corps médical... Mais la décision finale, le geste resterait sous la responsabilité du médecin. Jamais je ne remettrai un poison même si on me le demande et ne conseillerai d'y recourir : voilà le serment d'Hippocrate ! Je m'exprime ici en conscience, comme je l'ai fait en soutenant la loi Veil de 1975. Je sais ce qu'est la détresse, je l'ai rencontrée dans ma profession. Ce n'est pas parce que la loi de 2005 n'est pas appliquée comme il convient qu'il faut autoriser à tuer. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Guy Fischer. - Je forme le voeu que ce débat soit serein, évitant les anathèmes, les amalgames et les raccourcis. Je considère tous les intervenants pour ce qu'ils sont, des femmes et des hommes qui ont des convictions personnelles et veulent les défendre. Je remercie les membres de mon groupe d'avoir appliqué ce principe.
Je suis le porte-parole d'hommes et de femmes, non d'un groupe ou d'un parti : c'est pourquoi je me retrouve dans les propos de certains de mes collègues auxquels je m'oppose d'ordinaire en d'autres matières.
Je me réjouis que la commission des affaires sociales ait rendu possible, à une large majorité, l'examen de ce texte consensuel, issu de trois propositions de loi.
Son adoption par la commission, le vote qui sortira de nos débats ne seront pas la victoire d'un camp sur l'autre.
C'est en républicain, en laïc et en citoyen que je m'exprime. Je suis attaché à la République, c'est-à-dire à l'État de droit et à notre devise républicaine : liberté, égalité, fraternité. Mais l'État de droit n'a de sens que si la loi sert l'émancipation. Or, nous ne sommes pas égaux devant la mort : certains, qui ont les informations et les moyens financiers, peuvent « s'offrir une mort choisie » dans un pays voisin. Cette expression vous choque ? Telle est pourtant la réalité. Tant d'autres n'ont pas ce choix !
La comparaison s'impose avec la situation des femmes avant la loi de 1975 que Mme Veil a courageusement défendue. Avant qu'il ne soit reconnu que le corps des femmes leur appartient, il aura fallu bien des drames, bien des avortements clandestins, bien des morts. Et souvenons-nous que Marie-Louise Giraud a été guillotinée en 1943 pour avoir opéré des avortements. Aujourd'hui, ceux qui aident à mourir sont passibles d'une peine criminelle pour assassinat.
En laïc, je reconnais que les convictions religieuses ne commandent pas l'opinion sur ce texte, je sais que des croyants l'acceptent, Mais j'entends aussi chez ceux qui s'opposent vigoureusement au droit à mourir dans la dignité, les mêmes discours qu'on a entendus contre le droit à l'avortement, selon lesquels ce serait nuire à la dignité humaine que de décider du moment de sa mort. Pour eux les êtres humains sont en quelque sorte extérieurs à leur mort, qui ne peut être programmée que par celui qu'ils vénèrent... Notre pays, terre des Lumières après avoir été fille aînée de l'Église, a tout à gagner à ce que le débat soit fondé sur ce principe simple : le corps des hommes n'appartient à aucune entité autre que l'homme lui-même, dans le respect des règles propres à garantir des protections collectives.
La législation relative à la vie doit-elle intégrer une exception ? Je répondrai en citoyen, en homme libre : cette proposition de loi n'impose en rien de choisir l'assistance médicalisée pour mourir, elle laisse entier le choix, elle offre un recours à ceux qui peuvent la vouloir.
Est-ce faire oeuvre libérale, au sens philosophique du terme, que de légaliser ? J'y vois une réponse humaniste et solidaire face à une situation décrite ainsi par Viviane Forestier : « être devenu un lieu terrible pour soi-même, un enfer, une prison, y être maintenu de force, enfermé sans espoir, alors qu'il serait possible d'en soustraire ceux qui en font le choix : tel est le sort auquel sont condamnés beaucoup de vivants ».
Au XXe siècle, les femmes ont acquis le droit de disposer de leur corps, en gagnant le droit à la contraception et à l'avortement. Ce texte s'inscrit en continuité ! Aucun médecin ne serait contraint à l'assistance pour mourir. Le droit de disposer de son corps sans avoir à en demander la permission, sans que cela n'entraîne de sanction pour les soignants : la formule de Véronique Neiertz est juste.
Il ne faut pas opposer nos concitoyens, mais éviter à ceux qui veulent choisir leur mort d'être excommuniés, et à ceux qui les aident, d'être inquiétés, condamnés.
Ce texte n'impose pas un modèle unique, il fait toute leur place aux soins palliatifs. Mais quand ces soins ne suffisent pas, il faut avoir le courage de laisser partir les malades comme ils le demandent. La sédation active entraîne une lente agonie, elle est légale. Le prolongement de cette vie n'est pas une fin en soi ; il est honorable de savoir y mettre un terme.
C'est pourquoi je vous invite, avec courage, à voter ce texte qui apporte une réponse à ceux qui souffrent ! (Applaudissements à gauche)
M. Alain Fouché. - Le Sénat démontre une fois encore son ouverture sur les questions de société. Ce n'est pas sans déchirement que le chrétien que je suis s'est convaincu qu'il nous fallait légiférer. Monsieur le président, je vous demande le droit de mourir : je ne saurai rester indifférent à ce cri de Vincent Humbert. Légaliser, c'est donner à ces personnes toute leur place dans la société. Comme les pères de l'Église, Saint-Augustin, Saint-Thomas, ont su opposer le concept de guerre juste au commandement « Tu ne tueras point », ce texte encadre très strictement l'assistance médicale à mourir. Actuellement, la mort est donnée en catimini des milliers de fois chaque année, sans avis du médecin traitant ni de la personne concernée : nous sommes dans notre rôle de parlementaires à définir le droit quand il est insuffisant !
La loi Leonetti envisage déjà de hâter la mort, décision placée dans les seules mains des médecins ; aujourd'hui, il s'agit d'autoriser un patient à être accompagné quand il en formule la demande de façon libre et éclairée, et dans des conditions strictes. Et je rappelle l'existence des directives anticipées.
La loi Leonetti est méconnue, à peine 20 % des patients qui devraient en bénéficier ont recours à ses dispositions. L'accès aux soins palliatifs est donc très loin d'être universel : arrêtons d'opposer assistance médicale et soins palliatifs, les études en Belgique démontrent que la légalisation de la première n'a pas freiné le développement des seconds.
Ce texte encadre, protège, assure l'égalité des citoyens. Le Sénat doit croire en son travail en le votant. (Applaudissements à gauche)
M. Ronan Kerdraon. - Ce texte porte sur l'assistance médicale, pas sur l'euthanasie : il ne s'agit pas de donner la mort, mais d'accompagner une mort choisie. (Applaudissements à gauche ; mouvements divers à droite)
Notre débat est historique, parce que jamais l'initiative parlementaire sur ce sujet n'était venue conjointement de sensibilités différentes. Je respecte toutes les convictions, mais le sujet relève du politique, au sens noble du terme. Apporter une réponse à la question du choix de sa propre mort, c'est dire vers quelle société nous volons aller. « L'homme libre », a écrit Léon Blum, « est celui qui n'a pas peur d'aller jusqu'au bout de sa pensée ».
Les soins palliatifs se sont développés, mais nous sommes encore loin d'un accès universel ! La loi Leonetti n'est pas satisfaisante, la politique du laisser-mourir est intolérable ; les témoignages dans les cas de Vincent Humbert ou de Chantal Sébire démontrent les souffrances de l'entourage, sa culpabilité. Ayons aussi l'honnêteté de reconnaître que tous les malades ne sont pas égaux. Quelle hypocrisie ! Aux uns, le voyage en Suisse, aux autres, la mort difficile, les souffrances abrégées sur la seule décision des soignants.
En février 2007, Nicolas Sarkozy appelait à ne pas rester « les bras ballants » devant la souffrance de ceux qui veulent que cela se termine, « tout simplement parce qu'ils n'en peuvent plus ». Je suis d'accord avec lui ! C'est à quoi tend ce texte, qui prévoit un encadrement très strict pour s'assurer du caractère libre, éclairé et réfléchi de la décision, comme du caractère incurable de la maladie.
Avec ce texte, le patient est au coeur du processus décisionnel. Toutes les garanties sont apportées de transparence et de contrôle. Ou bien nous continuons de fermer les yeux sur les euthanasies nombreuses qui ont lieu dans la clandestinité, ou bien nous améliorons le droit. Le choix, c'est entre la confusion et l'hypocrisie actuelle, et un dispositif républicain de libre choix ! La vie est précieuse, nous devons la respecter jusqu'à son terme, y compris dans la décision de chacun d'en choisir celui-ci.
Les Français ne seraient pas prêts ? Les sondages disent l'inverse, nos voisins belges ou néerlandais ont montré depuis dix ans que la légalisation était un progrès.
Comme la majorité du groupe socialiste, je voterai ce texte. (Applaudissements)
M. Yves Détraigne. - J'avoue, comme beaucoup, avoir longtemps hésité. Pour certains malades souffrants, la vie est un calvaire : on ne saurait rester sourds à leur appel. Cependant, comment accepter, c'est bien de cela qu'il s'agit, de donner la mort ? Je crois que le législateur ne peut franchir le pas. Alors que nous avons inscrit dans notre Constitution que nul ne peut être condamné à la peine de mort, alors qu'on s'interdit de la donner au criminel le plus abject, on s'autoriserait à mettre fin à la vie d'un malade, on donnerait à un homme le pouvoir de tuer un autre homme ? Voilà un principe qu'on ne peut transgresser. (Applaudissements sur plusieurs bancs UMP)
M. Bernard Piras. - Ce n'est pas cela !
M. Yves Détraigne. - Notre société se grandira en respectant pleinement la vie d'autrui.
Je ne suis pas cependant favorable au...
M. Jean-Marc Todeschini. - ...laisser souffrir !
M. Yves Détraigne. - ...statu quo. Il faut que nous nous donnions les moyens d'appliquer partout la loi Leonetti, pour que tous les malades qui en ont besoin bénéficient des soins palliatifs.
M. René-Pierre Signé. - Et ceux qui résistent aux opiacés ?
M. Yves Détraigne. - C'est ce que nous attendons de vous, monsieur le ministre. Notre société se grandira sans renier le respect dû à la vie. (Applaudissements à droite)
Mme Patricia Schillinger. - Je salue l'excellent rapport et le courage de M. Godefroy et je remercie Mme Dini d'avoir soutenu ce texte.
Comme le dit André Comte-Sponville : « Certes, c'est la vie qui vaut, mais elle vaut d'autant plus qu'elle est davantage libre ». C'est en ce sens que le Comité consultatif national d'éthique a raison de parler d'une exception d'euthanasie. Qui dit exception dit règle. La règle, évidemment, c'est le respect de la vie humaine, mais respecter vraiment la vie humaine c'est aussi lui permettre de rester humaine jusqu'au bout. »
La loi Leonetti ne répond pas aux voeux de ceux qui veulent mourir autrement que de faim ou de soif. C'était le cas de Vincent Humbert, qui demandait à éviter l'agonie, qui voulait garder sa dignité. Or, ce n'est pas possible aujourd'hui.
Il ne s'agit pas d'ouvrir un droit à l'euthanasie pour tous : l'encadrement est strict, les cas seront exceptionnels. La responsabilité ne doit pas en revenir au seul médecin. L'euthanasie est pratiquée clandestinement, il faut le reconnaître pour accepter la légalisation. La loi reconnaîtra une exception d'euthanasie, strictement contrôlée.
Accompagner la mort dans la dignité est un acte d'amour. La volonté de mourir peut l'emporter sur l'intérêt pour la vie, quand celle-ci est devenue insupportable : c'est alors qu'il faut encore écouter le patient, et je sais, pour avoir travaillé en milieu hospitalier, que dans ces cas de détresse absolue la demande de délivrance devient un droit ! Laissons à ceux qui l'expriment cette ultime liberté. (Applaudissements à gauche)
M. Bruno Retailleau. - Je suis contre ce texte, tout en respectant profondément ceux qui le soutiennent. La mort donnée ne saurait être une réponse, elle contredit le principe sacré d'inviolabilité de la vie. L'euthanasie contredit le sens commun, là où mourir pourrait être un bien et vivre un mal. Sur le plan médical non plus, car l'euthanasie aurait des conséquences incalculables sur la relation de confiance avec le médecin.
L'ordre juridique doit être unique, le même pour tous. Sommes-nous prêts à cette transgression radicale ? Avons-nous envisagé la pression inhumaine qui pèserait sur ces personnes souffrantes, qui se pensant comme une gêne pour leur entourage seraient conduites à demander la mort ?
Sur le plan législatif, ce texte serait un renoncement. Le choix n'est pas entre la souffrance et la mort assistée, entre l'acharnement thérapeutique et l'euthanasie. La loi Leonetti est la voie de la sagesse. Nous n'avons pas à abdiquer devant la souffrance, mais pas plus, pour lutter contre elle, à abdiquer nos valeurs. Il revient au Gouvernement de donner aux soins palliatifs les moyens qui leur manquent ! (Applaudissements à droite)
M. Jacques Mézard. - Merci à ceux qui ont permis ce débat. Quel que soit le résultat du scrutin le Parlement est dans son rôle.
« Y a-t-il plus cruel supplice que la mort ? » demandait Sénèque. « Oui, la vie quand on veut mourir. » Le grand passage du Styx est la question qui préoccupe l'homme depuis la nuit des temps. Chacun aspire à un passage serein, pour soi et ses proches. Le progrès des connaissances n'a pas effacé l'obscurantisme. Nous avons connu plus de bouleversements en un siècle que dans les siècles passés. De ce fait, les débats d'éthique vont devenir de plus en plus prégnants, d'autant plus qu'ils seront dans la pratique de plus en plus indifférents aux frontières des États et que l'exemple discutable de la Suisse démontre que nombreux sont ceux prêts à franchir les frontières pour aller au-devant d'une mort assistée.
De plus en plus nombreux sont les vieillards, de plus en plus grande est la solitude. En 1980, nous avions débattu d'une proposition de loi de M. Caillavet, sur le rapport du sénateur Jean Mézard. Le texte fut rejeté au motif que le problème posé relevait de l'éthique médicale et individuelle. La loi Leonetti fut un grand progrès ; il faut aller plus loin, comme l'ont fait d'autres pays européens. Nous comprenons les oppositions, les réticences ou les doutes. Pour nous, le serment d'Hippocrate a un sens, le respect de la vie aussi. Mais quel sens donner à la vie si l'on n'est pas maître de sa destinée, libre de décider pour soi, libre de décider de ne pas aller au-delà de telle souffrance physique, de ne pas supporter telle déchéance inéluctable ?
Dans ce domaine, comme dans celui de l'IVG, la volonté individuelle doit prévaloir, dans le respect de la clause de conscience du médecin. Certes, la volonté doit être explicite, éclairée. Le rôle du médecin est à cet égard primordial : la liberté de choix suppose une information complète. La décision ne saurait être le fruit d'une méconnaissance.
La mort assistée doit rester l'exception. Je suis conscient des imperfections de ce texte. Je respecte toutes les opinions, y compris au sein de mon groupe. Si j'émets personnellement un vote favorable en privilégiant le principe de liberté de chacun sur sa propre vie, ce n'est pas sans qu'une partie de moi-même ne freine cet élan.
Sénèque écrivait dans ses Lettres à Lucilius que « pour la vie, on a des compte à rendre aux autres, pour la mort, à soi-même. La meilleure mort est celle que l'on choisit ». (Applaudissements à gauche)
Mme Marie-Thérèse Hermange. - Non sans impudeur, je monte à cette tribune avec mon vécu, mes convictions, mais aussi mes doutes.
Ma première certitude est que, quand l'épreuve arrive, la belle assurance se fissure. Il m'est impossible aujourd'hui de jurer que cette demande de l'aide active à mourir, je ne la formulerai en aucun cas pour moi même ou pour un de mes proches.
Deuxième certitude : le coma ou la maladie peuvent me rendre étrangère à moi-même ou me rendre étrangers ceux que j'accompagne à la fin de leur vie. L'enjeu est le rapport d'humanité, de fraternité : comment rester un frère à celui qui me dit n'en plus pouvoir ? La dignité doit être accordée à chaque homme dans sa singularité. Or, imposer une loi uniforme le contredit.
Troisième certitude : prendre appui sur le principe de liberté individuelle, c'est articuler notre droit autour de la volonté du patient. Mais l'ouverture d'un droit objectif peut-elle répondre à la complexité des situations extrêmes de fin de vie et se fonder sur une volonté présentée comme inébranlable ? La loi ne peut répondre à la complexité des situations. La vie, au reste, est toujours entrebâillée par l'espérance, sauf pour le condamné à mort.
Certitude aussi que pour moi, la vie est un don. Le droit à la vie, disait Robert Badinter, est le premier des Droits de l'Homme, droit que nous avons d'ailleurs constitutionnalisé en supprimant la peine de mort.
Comment articuler le droit à mourir avec l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec tant de dispositions de notre droit, comme la non assistance à personne en danger ?
Donner la mort ne relève pas de la compétence du médecin, qui a prêté le serment d'Hippocrate. Que diront celles et ceux qui nous ont envoyés dans cet hémicycle : nous ont-ils élus pour instituer un droit de faire mourir, ou pour travailler à aller vers l'autre, pour être à son écoute ?
La leçon de Mme Pavageau, que Mme Papon a décorée ici-même de la Légion d'honneur, doit nous alerter : « Je n'ai jamais exprimé mon désir de mourir que pour entendre quelqu'un m'encourager à vivre », disait cette femme gravement handicapée ; « Si un jour je traverse une période de découragement intense, va-t-on m'euthanasier en rebaptisant cet acte geste d'amour ? » (Vifs applaudissements à droite et au centre ; exclamations à gauche)
Mme Anne-Marie Payet. - La dignité ne dépend-elle pas du regard de l'autre ? Y a-t-il un seuil de déchéance ? Est-il objectif, à l'appréciation de chacun ? Donner au médecin le droit de mettre fin à une vie indigne serait ainsi relativiser la valeur de la vie, faire même du geste d'euthanasie un bien.
On peut craindre d'être perçu comme indigne, dit lui-même Axel Kahn. Là est le problème. Au-delà des appréciations subjectives, la dignité est inhérente à l'être, intangible, indiscutable. Luc Ferry s'emporte contre l'idée qu'un être humain puisse perdre une part de sa dignité, idée intolérable qui lui évoque les plus funestes doctrines des années 1930. (Protestations à gauche)
C'est bien en vertu du principe de dignité que la France rejette le principe de gestation pour autrui.
Refuser de vieillir, ce peut être aussi refuser de vivre, car la vieillesse fait partie de la vie. Le jeunisme de notre société m'inquiète.
L'euthanasie, nous dit-on, choisie par un adulte pleinement éclairé, est l'exercice d'une liberté. Pour moi, ce ne sera jamais le cas. On se focalise sur la procédure, en oubliant l'exigence de la réponse à apporter. La demande de mort n'est souvent qu'un appel au secours.
Le rôle du médecin est de tenir compte de la violence que subit le malade qui souffre pour la reformuler en termes médicaux, proposer des soins palliatifs.
Dès lors que la mort reste la grande inconnue, où est le choix ? Présenter l'euthanasie comme une liberté est une imposture.
M. René-Pierre Signé. - Ce n'est pas l'euthanasie !
Mme Anne-Marie Payet. - Parce qu'il est indispensable de promouvoir la dignité inaliénable et absolue de toute personne humaine, et parce que l'euthanasie ne peut constituer un choix libre et raisonnable, je voterai contre ce texte car la seule solution digne d'une société comme la nôtre est le développement des soins palliatifs. (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite)
M. Jean Desessard. - Ce n'est pas dans la légalité que les abus ont lieu, mais bel et bien dans l'illégalité. C'est par ces mots que Jean Huss, notre collègue Vert luxembourgeois, a défendu la légalisation de l'aide à mourir dans le Grand duché.
Je remercie nos trois collègues d'avoir le courage d'ouvrir le débat.
Notre code pénal ne fait aucune distinction entre l'aide à la mort et l'assassinat.
La responsabilité de tuer ne doit pas incomber aux familles ou au médecin. C'est l'exercice d'un droit fondamental sur lui-même pour chaque être humain.
La loi Leonetti est mal connue, et l'acharnement thérapeutique persiste. Surtout, elle est insuffisante : c'est à chaque malade de choisir.
L'équipe médicale se cantonne aujourd'hui à laisser mourir : quelle hypocrisie ! La loi ne satisfait ni les malades, ni les familles, ni les soignants, contraints d'enfreindre la loi.
Et comment punir ceux qui ont aidé leurs proches ? Le procès de Marie Humbert s'est fini par un non-lieu.
Ne faisons pas l'amalgame : les soins palliatifs doivent être généralisés, mais le choix de la mort est complémentaire. Au-delà de la douleur, il faut procéder d'un désespoir lucide, de refus de la déchéance. Soixante-quinze pour cent des décès ont lieu à l'hôpital, le plus souvent dans la solitude, alors que tous souhaitent mourir chez eux, entourés de leurs proches. Aux Pays-Bas, où l'aide à mourir concerne 2 % des décès, on meurt le plus souvent à domicile. Mourir dignement est un droit fondamental. A nous, parlementaires, de défendre le « pluralisme moral ». N'interdisons pas à certains d'aller au bout de leurs choix moraux. C'est une loi républicaine que nous avons l'occasion de voter aujourd'hui : une loi de liberté, qui respecte la volonté du malade, mais aussi celle du médecin ; une loi d'égalité, qui ne distingue pas ceux qui ont les moyens d'aller en Suisse et les autres. Une loi de fraternité, enfin, qui permet aux malades et à leurs proches d'affronter le plus sereinement possible ces moments douloureux. Nous la voterons. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Louis Lorrain. - L'indignation ne relève guère de l'action. L'adoption de ce texte en commission m'a fait honte. (Protestations à gauche) Oui au développement des soins palliatifs, non à la légalisation. Les positions de chacun engagent la perception qu'a chacun de la liberté. Affirmer le droit à être aidé à mourir, c'est se défausser sur le monde médical. II n'y a pas de liberté de choix de mourir selon Axel Kahn : « il n'y a qu'une personne pour qui la vie est devenue insupportable et qui estime qu'elle n'a d'autre choix que de l'interrompre ».
Quant au concept de dignité, il est contourné dans ce débat. Le droit à mourir dans la dignité ? C'est supposer que le malade est indigne !
Le principe de non-abandon veut que l'on écoute, que l'on accompagne, mais tuer reste un acte immoral. Que direz-vous à l'étranger gravement malade qui se verrait refuser son droit de séjour et qui demanderait à en finir ? (Exclamations à gauche)
Ce texte, qui crée une injonction mortifère à se soumettre à la loi, pose un problème d'articulation avec notre droit. Il ouvre au totalitarisme. A quand la mort pour les handicapés, pour les déments ? (Vives exclamations à gauche) Le totalitarisme et la barbarie ne sont pas loin !
M. Bernard Piras. - Rendez-nous Haenel !
M. Daniel Raoul. - Honteux !
M. Jean-Louis Lorrain. - Le « Tu ne tueras pas » de Levinas ne nous permet pas de balayer l'impératif kantien. (Les exclamations couvrent la voix de l'orateur) Le professeur Aubry a proposé d'apporter des données fiables. Nous devons nous réapproprier notre mort, dont nous nous sommes dépossédés, tant nous avons médicalisé la vie. L'acharnement à légiférer pour obtenir le droit à une insupportable violence doit cesser. Il ne s'agit de rien d'autre que de faire de la mise à mort un droit. L'eugénisme le plus sournois est celui que l'on demande soi-même. II devient norme pour le politique totalitaire et ouvre la porte à la barbarie. Chacun doit tendre à vivre dignement pour soi et pour les autres -même dans les situations extrêmes- dans la sollicitude et dans le non-abandon. (Huées à gauche ; applaudissements sur certains bancs à droite)
M. Didier Guillaume. - S'agit-il de rejouer la querelle des Anciens et des Modernes ? J'ai honte de ce que je viens d'entendre. (Applaudissements à gauche) Le ministre a demandé que chacun délibère dans la sérénité : ce que l'on vient d'entendre offense la dignité. Le Premier ministre l'a écrit : toutes les convictions sont respectables. (Marques d'approbations)
Il est légitime que le législateur s'interroge. Le manichéisme n'est pas de mise. Ce texte, monsieur le ministre, ne porte pas sur l'euthanasie : il concerne l'accompagnement du malade en fin de vie, pour le soulager en cas de souffrances incurables. Notre commission s'est retrouvée autour d'un texte équilibré, dont le Sénat peut être fier ; que chacun se détermine en son âme et conscience. C'est l'honneur de la Haute assemblée d'avoir un tel débat ce soir ! (Applaudissements à gauche)
Que ce débat vive est une marque de bonne démocratie. En 1944, le droit de vote aux femmes, en 1975, l'IVG, en 1981, l'abolition de la peine de mort : autant de débats, autant de chances pour notre démocratie. C'est là ce qui compte, bien plus que les sondages.
La loi Leonetti n'est pas allée aussi loin. Le texte de notre commission la prolonge. Il consacre le droit de choisir en même temps qu'il rappelle l'obligation d'accès aux soins palliatifs. Je salue, au reste, tous les soignants qui s'y consacrent. Mais seuls 20 % des malades en fin de vie y ont aujourd'hui accès.
L'autonomie de la volonté, monsieur le ministre, c'est la lettre de Vincent Humbert au président de la République. Si cette loi était votée, un cadre juridique existerait enfin, qui éviterait l'hypocrisie. Quand on n'en peut plus, qu'il n'y a pas d'autre issue, tous les garde-fous étant mis, on doit pouvoir abréger ses souffrances, dans la dignité. Nous ne débattons pas dans l'émotion et la précipitation, monsieur le ministre : nous voulons légiférer dans la dignité et la responsabilité. (Applaudissements à gauche)
M. André Lardeux. - Malgré toute ma considération pour les auteurs, je ne peux les suivre. Je n'avais pas voté la loi Leonetti, estimant que ses faiblesses ouvraient la porte à des transgressions. Avec cette loi, qui reprend le texte proposé par l'ADMD en 2006, nous y sommes : c'est le permis de tuer sous couvert de compassion. On instrumentalise certains cas médiatisés. Refuser que l'on donne la mort, c'est mettre le holà à la tentation de la transgression. Voyez les Pays-Bas, la Belgique : on sait qu'il existe des abus.
On peut jouer sur les mots mais le laisser mourir n'est pas l'euthanasie passive. Mettre en avant l'ultime liberté, n'est-ce pas se livrer au tout libéral, qui ne vise qu'à asservir ? Pour Axel Kahn, le suicide, ultime liberté, serait le moyen d'échapper à l'insupportable : le contraire de la liberté. Car l'homme n'a pas celle de décider de son humanité.
Et n'oublions pas la liberté des médecins. On ne peut leur reconnaître une clause de conscience et les obliger à orienter vers un confrère : l'acte et la complicité sont tout un.
La question de la perception de la souffrance est difficile. On craint de plus en plus le vieillissement. Le remède est dans les soins palliatifs. La qualité de la vie n'est pas l'alpha et l'oméga de la valeur de la vie, qui ne dépend pas de l'état, mais de l'existence même.
Le monde sera à l'image du sort réservé aux vieillards, dit le professeur Israël. La société n'a pas vocation à organiser la mort, ni du malade, ni de l'enfant, ni du criminel. Nul ne peut décider de la mort d'autrui. Il faut lever le tabou de la mort, que l'on veut à toute force sortir de la cité.
Ma vision du monde n'est pas la vôtre : « la vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie ». Je crois à la vie et je refuse la culture de mort qui conduit l'Europe au suicide. (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite)
M. Alain Milon. - Depuis la loi Leonetti, le débat, sans cesse relancé, évolue. Comme certains veulent maîtriser la naissance, d'autres veulent maîtriser la fin de vie.
Nous sommes tous concernés par cette interrogation fondamentale : la réponse nous renvoie à notre conscience.
La loi adoptée en 2005, qui condamne l'acharnement thérapeutique et ouvre le droit au refus du traitement, reste trop mal connue. Mieux vaut sensibiliser le plus grand nombre que relancer le débat. Les sondages montrent que nos compatriotes veulent le développement des soins palliatifs.
Pousser son premier cri, c'est accepter aussi de pousser son dernier soupir. Le droit à la mort reste contraire aux valeurs des médecins et aux sources morales de notre démocratie : on ne peut assigner aux médecins la tâche de tuer ! (Mme Marie-Thérèse Hermange applaudit) Le suicide est un droit, pas un devoir. L'acte de tuer est incompatible avec le devoir de ne pas nuire et notre devoir d'humanité nous oblige à secourir.
Accepter notre condition de mortel tout en limitant la douleur, voilà à quoi nous devons nous attacher, voilà à quoi s'attache la culture palliative, qu'il faut renforcer.
M. René-Pierre Signé. - Nous sommes très en retard.
M. Alain Milon. - Les choses avancent. Faut-il aller plus loin, vers un droit à la mort ? Je me félicite que nous en débattions, que nous soyons d'accord sur le refus de la souffrance, sur la recherche de solutions humaines. Je crois que l'euthanasie est dépassée : nous savons aujourd'hui soulager presque toutes les souffrances. Ce serait une défaite collective plutôt qu'une victoire de la liberté : je suis donc contre ce texte. (Applaudissements à droite)
Mme Bernadette Dupont. - « La perversion de la cité commence par la fraude des mots », disait Socrate. Ne nous y trompons pas, il ne s'agit ici de rien moins que de légaliser l'acte de mort, pour abréger les souffrances de l'homme affaibli. Quelle est donc cette conception de l'homme qui le réduit à son état physique ? C'est l'humanité qui fait l'homme, ou bien l'eugénisme n'est pas loin ! Une loi d'exception, aussi bien encadrée soit-elle, finit toujours pas élargir son champ : qui jugera de la souffrance ? Qui prendra l'ultime décision ? Quid des mutiques ? Épargnons-les ! Est-il opportun de légiférer pour l'euthanasie, quand nous voulons prendre en charge la dépendance ?
Une demande d'euthanasie est toujours un appel à apaiser des souffrances,, à un accompagnement psychologique pour combattre la solitude. La loi Leonetti répond aux situations extrêmes, refuse l'acharnement thérapeutique. Ne poussons pas le corps médical à trahir le serment d'Hippocrate. Les grands malades réclament le droit à la solidarité, pas à la mort : c'est une quête d'amour ! Il faut développer les soins palliatifs, pour en garantir l'accès à tous ceux qui les demandent. Je suis contre ce texte et je tiens à votre disposition les très nombreux courriels de soutien, des anonymes aussi bien que du Conseil de l'ordre ou de l'Académie de médecine.
Tu ne tueras point, voilà qui doit rester le fondement de notre société. La peine de mort a été supprimée pour les coupables, ne la rétablissons pas pour les innocents. (Applaudissements à droite)
M. Xavier Bertrand, ministre. - Merci au président Larcher pour ce bon débat qui fait honneur à la Haute assemblée, à la politique même. J'ai utilisé le terme d'euthanasie : dans le Larousse, c'est l'acte d'un médecin qui provoque la mort d'un patient, illégal dans la plupart des pays. C'est bien ce dont il est question ici. Le terme est donc approprié.
Beaucoup ont évoqué le cas de Vincent Humbert, pour souligner que la loi Leonetti ne pouvait rien pour lui. Cette proposition de loi non plus.
M. Jean Desessard. - Mais si !
M. Xavier Bertrand, ministre. - Nous manquons encore d'informations sur certaines situations : il n'est pas toujours question de la fin de vie, mais aussi du suicide assisté. Il n'y a que Mme Humbert qui puisse parler de son fils.
La France, madame Létard, a un retard pour la culture palliative ? Nous pouvons le combler. Je partage les réflexions, les préventions et les objectifs de Mme Desmarescaux, dans le souci de la digité humaine. Oui, monsieur Barbier, tout le monde a peur de la souffrance, c'est bien pourquoi la médecine aide à ne pas souffrir et qu'il ne faut pas confondre le soin et le droit de mourir.
L'inégalité devant la mort, monsieur Fischer ? Elle sera réduite par l'accès universel aux soins palliatifs, et la législation, monsieur Fouché, ne règle pas tout : en Belgique, 47 % des euthanasies sont réalisées hors cadre légal.
Monsieur Kerdraon, comment être sûr que la demande résulte d'un choix intime ? La conscience de la personne peut vaciller, alterner confusion et lucidité. Les soins palliatifs ont une bonne réponse. Il faut les répandre au lieu d'ouvrir une brèche dans la législation, comme l'a relevé M. Détraigne. Quelles garanties pour les plus vulnérables, madame Schillinger ? Légaliser, c'est prendre le risque de banaliser.
Le droit à l'euthanasie peut conduire à confondre le droit à la vie et le droit à la dignité, a rappelé M. Retailleau. M. Mézard a plaidé pour la liberté de choix mais les meilleures intentions du monde ne permettent pas d'échapper au risque de banalisation. Le droit de donner la mort heurte effectivement nos conceptions anthropologiques aussi bien que juridiques, madame Hermange. Madame Payet, l'allongement de l'espérance de vie va multiplier les cas. La demande de mort n'est-elle pas d'abord une demande de secours ? Nous devons l'entendre.
Quoi que prétende M. Desessard, aucune étude n'existe sur les pratiques d'euthanasie en France, ni sur les euthanasies hors cadre légal aux Pays-Bas. Et les conséquences dans un pays comme le nôtre, avec sa démographie, ne sont jamais évoquées.
M. Lorrain a bien mesuré les risques que comporte cette proposition de loi. M. Guillaume prétend qu'elle ne propose pas l'euthanasie mais elle crée une autorisation à donner la mort : ce n'est pas banal. Sur la fin de vie, il ne faut pas céder aux émotions, comme l'a souligné M. Lardeux. Il faut promouvoir la loi Leonetti et nous devons allier prudence et résolution pour avancer, comme le demande M. Milon, dont j'ai apprécié la justesse de ton.
La « fraude des mots » évoquée par Mme Dupont est inhérente au débat. Ce que veulent les Français, quand ils parlent d'euthanasie, c'est en réalité ce que propose la loi Léonetti. Ce débat fort digne n'a pas modifié la position du Gouvernement qui refuse d'aller plus loin mais veut développer les soins palliatifs. (Applaudissements à droite et au centre)
La discussion générale est close.
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. - Il n'est pas question que les personnes dépendantes ou victimes d'Alzheimer puissent être aidées à mourir, non plus que les mineurs. La comparaison avec la peine de mort n'est pas acceptable non plus : c'était un châtiment, qui se voulait exemplaire, alors que nous répondons là au voeu de personnes qui souhaitent mourir ! (Exclamations à droite) Je n'ai pas abordé le cas de Vincent Humbert (qui n'est pas unique) : enfermé dans son sarcophage, il demandait à mettre fin à ses jours, mais la société le lui refusait -double peine ! Que se serait-il passé si Vincent Humbert avait survécu ? La justice aurait empêché sa mère de continuer à le voir, de peur qu'elle ne recommence. C'est ce genre de situations que par humanité il faut faire cesser ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Discussion des articles
Article additionnel avant l'article premier
M. le président. - Amendement n°14 rectifié, présenté par MM. Collin, Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Mézard, Milhau et Tropeano.
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 1110-2 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
La personne malade a droit au respect de sa liberté et de sa dignité. Elle peut bénéficier, dans les conditions prévues au présent code, d'une assistance médicalisée à mourir.
M. Yvon Collin. - Cette inscription en tête du texte aura valeur de principe. Il faut en finir avec l'hypocrisie en complétant la loi Leonetti car les soins palliatifs ne suffisent pas.
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. - Se limiter à mentionner le droit à une assistance médicalisée à mourir paraîtrait exclusif de tout autre droit. Retrait.
M. Xavier Bertrand, ministre. - Défavorable.
L'amendement n°14 rectifié est retiré.
Article premier
Mme Nicole Bonnefoy. - Le texte a été vidé de sa substance ce matin en commission. Les Français sont pourtant majoritairement favorables à une légalisation de l'aide à mourir, très éloignée des propos manichéens contre l'euthanasie que nous avons entendus ce soir encore. Il suffit de lire attentivement cet article premier pour comprendre ce qu'il en est : la maladie est incurable, la douleur est insupportable -au-delà des soins palliatifs- et ce n'est qu'à partir de là qu'intervient une procédure très encadrée, où le patient pourra revenir en arrière à tout moment et le médecin aura la faculté d'invoquer une clause de conscience.
Décider de ne rien faire, ce serait maintenir l'hypocrisie actuelle. La loi Leonetti ne suffit pas : il faut reconnaître le droit de mourir dans la dignité : c'est la responsabilité des élus de la République. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Jacques Mirassou. - Ce sujet, comme l'a dit M. le ministre, n'est pas banal. Le rôle des parlementaires, ce n'est pas de se fixer sur les sondages mais d'éclairer l'opinion publique, comme nous l'avons fait pour l'IVG ou contre la peine de mort.
Cet article premier est très précis, pourquoi spéculer sur le risque qu'il ferait courir aux plus vulnérables et aux personnes âgées ? L'objectif, c'est de soulager des personnes en fin de vie, qui sont seules capables de dire ce qui est leur dignité ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Certes les médecins sont tenus par le serment d'Hippocrate mais les injections létales ont lieu : mieux vaut définir un cadre légal, tous nos concitoyens y gagneront.
La loi Leonetti ne va pas assez loin, ce texte la complète : le recours aux antalgiques ne suffit pas. Un cadre juridique est nécessaire, tant pour les patients et leur entourage que pour les médecins. Aimer la vie et porter un regard paisible sur la mort, telle est la définition du courage que donnait Jean Jaurès dans son discours à la jeunesse en 1903. (Applaudissements à gauche)
M. Claude Jeannerot. - Comment ne pas faire sien l'objectif humaniste d'autoriser à mourir sans douleur ?
Les limites de la loi Leonetti sont connues, c'est pourquoi la commission des affaires sociales a adopté cette proposition de loi. Je crois cependant que nous avons besoin d'un bilan : donnons-nous le temps de la réflexion. Comment garantir que la décision est libre et éclairée ? Qu'entendre exactement par souffrance psychologique ? Comment articuler au mieux aide à mourir et soins palliatifs ? En attendant, je m'abstiendrai.
Mme Isabelle Pasquet. - Les soins palliatifs sont efficaces contre les souffrances physiques, mais pas psychiques : nous ne devons pas minorer les effets de la perte d'espoir. Déni, dépression et désespoir : le deuil commence par celui de sa propre vie, quels que soient les soins palliatifs, l'intensité de la douleur physique. Et si la douleur est maîtrisable, la souffrance peut sans doute être accompagnée, mais pas traitée, comme le rappelle Daniel Lecomte. Comment refuser à ceux qui souffrent le choix de ne plus souffrir ? Au nom de quelle morale ? Je voterai ce texte. (Applaudissements à gauche)
M. François Autain. - Je veux vous transmettre le témoignage d'une Montpelliéraine qui m'écrit pour que nous adoptions ce texte. Elle est atteinte d'une maladie incurable, bloquée chez elle, elle se dit « prisonnière de son corps ». Elle dit qu'un jour elle ne sera plus qu'un « magma de douleurs » et demande de pouvoir alors décider de mettre fin à ses jours et d'y être aidée. Elle nous demande de voter cette loi de bon sens, qui nécessite un peu de courage de notre part : je n'ai rien à ajouter. (Applaudissements à gauche)
M. René-Pierre Signé. - Le débat est poignant. Je me suis trop investi dans les unités de soins palliatifs pour y être indifférent. Nous avons bien du retard Mais assurer un temps à la mort, c'est accompagner la fin de vie, pour une mort qui ne soit pas un ruisseau peu profond, calomnié, selon les mots de Mallarmé. La vieillesse, qui de dignité est devenue une charge, disait Chateaubriand, n'est pourtant pas la dépendance totale. L'agonisant n'est ni un intrus, ni une charge et il n'a pas besoin, pas plus que ses proches, de mimer « la mort de celui qui fait semblant de ne pas mourir » selon l'expression de l'historien Philippe Ariès. Mais en une époque humaniste, on ne peut admettre de ne rien faire face à une longue et douloureuse agonie solitaire. Encore faut-il distinguer la douleur de la souffrance, celle-ci pouvant être angoisse, solitude ou insoutenable compassion. La mort accompagnée, c'est le temps réservé aux dernières confidences, aux ultimes caresses. Sans faire des services de soins palliatifs un passage obligé, leur développement est indispensable et le rôle d'accompagnement du médecin irremplaçable. La médecine ne doit pas oublier qu'elle n'a longtemps été que palliative. Le droit à être entouré de sollicitude c'est celui de chacun à rester humain jusqu'au bout.
Le droit affirmé à l'article premier sera un jour reconnu comme un droit universel de l'homme. Je voterai ce texte.
M. Yves Daudigny. - L'article premier a été supprimé par la majorité de la commission des affaires sociales. Refuser le droit à une assistance médicalisée pour mourir, dans les conditions qu'il décrit, c'est perpétuer l'inégalité et la souffrance. Certes, la loi Leonetti est insuffisamment mise en oeuvre. Il aura fallu montrer que donner la mort peut être un acte d'amour pour relancer le débat : tel est l'amer constat du docteur Chaussoy.
C'est une loi d'humanité et de responsabilité qui nous est aujourd'hui soumise. Pourquoi refuser des garanties légales aux malades et aux médecins ? On croit revivre les débats sur l'IVG ! Le législateur a su faire avancer les choses : la possibilité d'accorder une mort digne s'inscrit dans la continuité. A l'exercice de quelle liberté mon libre choix porte-t-il atteinte ? Au nom de quelle autre liberté à protéger pouvez-vous sanctionner la mienne ? Je songe aux derniers mots de Roger Quillot : notre choix de mort est un acte de liberté. (Applaudissements à gauche)
M. le président. - Amendement n°7 rectifié, présenté par M. Barbier et Mme Desmarescaux.
Supprimer cet article.
M. Gilbert Barbier. - L'article premier ouvre un droit à l'aide active à mourir, alors que tous nos textes fondamentaux visent à protéger la vie. L'euthanasie, au nom de l'indisponibilité du corps humain, peut constituer un meurtre, un homicide involontaire, une provocation au suicide.
Faut-il distinguer entre euthanasie passive et active ? La loi Leonetti autorise le médecin à arrêter un traitement, fût-ce au risque d'abréger la vie. L'article premier va plus loin en autorisant l'euthanasie active, au motif que l'on ne peut laisser au médecin et aux proches la responsabilité de décider de la mort. Mais les termes retenus emportent une part de subjectivité et une part d'interprétation inquiétante -je pense en particulier à la souffrance psychique. Sans compter que le discernement des malades peut se trouver altéré : il n'y a là pas matière à discussion philosophique, mais à diagnostic médical.
M. le président. - Amendement identique n°21 rectifié quinquies, présenté par Mme Hermange, MM. P. Blanc et Gournac, Mmes Debré, Rozier, Henneron et Kammermann, M. Gilles, Mme Deroche et MM. Lardeux, P. Dominati, Leleux et Gouteyron.
Mme Marie-Thérèse Hermange. - Cet article pose problème au regard de notre droit et du droit européen. Et comment définir la souffrance psychique ? L'évaluation, nécessairement subjective, ne permet pas de créer un droit objectif. Les mineurs, nous dit-on, ne sont pas concernés. Mais quid de la majorité sanitaire à 16 ans et 3 mois ?
Je puis, comme M. Autain, vous lire les courriers que j'ai reçus : ils disent l'amour de la vie, la revendication de dignité des malades. C'est pour eux que je demande la suppression de cet article ! (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. - La commission a émis un avis favorable à ces deux amendements de suppression, après avoir émis, le 18 janvier, un avis favorable à l'article. Vous comprendrez que je sois, à titre personnel, opposé à ces amendements.
M. Xavier Bertrand, ministre. - Favorable aux deux amendements.
Mme Muguette Dini. - J'ai quitté le banc de la commission pour expliquer mon vote, car c'est un avis personnel que j'exprime. Je voterai contre ces amendements. Je considère que chaque être humain dans la situation décrite à l'article premier a le droit de décider ce qui pour lui est la bonne mort, la « mort douce », traduction des termes grecs qui forment le mot euthanasie.
Pourquoi, alors que j'ai vécu en exerçant mes responsabilités, devrais-je m'en remettre à autrui à la dernière heure ? Qui peut décider à ma place ? Qui peut me priver d'un adieu lucide et serein ? Ce texte n'impose à personne une mort non désirée. Ne vous arrogez pas le droit de décider pour ceux qui, lucidement, y compris de façon anticipée, veulent choisir le moment de mettre fin à leurs souffrances. Ne leur volez pas leur ultime liberté ! (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Jacques Pignard. - Le général de Gaulle déclara un jour qu'il fallait aller vers l'Orient compliqué avec des idées simples. Nous naviguons aujourd'hui vers ces rives compliquées, chacun avec ses idées, qu'il croie au ciel ou n'y croie pas.
Je n'ai pas reçu mandat de légiférer sur le mystère de la vie et de la mort. Je viens ici avec mes idées claires et simples : en conscience, avec la très grande majorité du groupe centriste, dans le respect et l'amitié que je porte à Mme Dini, je voterai ces amendements de suppression. (Applaudissements à droite)
M. Alain Milon. - Je les voterai également. M. Autain, par sa lecture, m'a donné un argument de plus. L'auteur de cette lettre demande un suicide assisté, alors qu'un traitement psychiatrique pourrait être un soulagement.
Mme Odette Herviaux. - Ma décision est le fruit de mes convictions profondes, dictées par mon attachement à une certaine idée de la morale laïque et de l'éthique. Si je me félicite de ces propositions qui ont eu le mérite d'ouvrir le débat, je regrette les pressions de tous bords auxquelles nous avons été soumis, y compris par voie d'invectives et de menaces. C'est inacceptable dans un débat où la clause de conscience doit jouer.
Je ne peux ce soir associer ma voix à aucune des positions exprimées et ne participerai pas aux votes.
M. Philippe Darniche. - En votant la loi Leonetti, nous nous sommes engagés sur la voie de la sagesse. Légaliser l'euthanasie serait reconnaître l'impuissance de la médecine. L'euthanasie contredit l'impératif du soignant : soulager la douleur du patient, et non pas répondre à la détresse par l'acte de mort ; comment vivre en paix, après cela ?
Le droit nous oblige à respecter l'intégrité physique de la personne humaine. On nous objecte le consentement de l'intéressé. Mais comment parler du consentement d'une victime ? L'erreur serait aussi morale et philosophique. La société est régie par des règles. Le droit à mourir ne saurait être comparé au droit à la sécurité sociale, au travail...
Légaliser l'euthanasie serait bâtir une société où chacun pourrait décider si la vie vaut d'être vécue. C'est le désespoir qui conduit à vouloir la mort. Soigner, accompagner, c'est le devoir de la société tout entière. Vous aurez compris le sens de mon vote.
M. Ronan Kerdraon. - Nous voterons bien sûr contre ces amendements. Merci à Mme Dini : c'est bien de notre ultime liberté qu'il s'agit.
M. Alain Fouché. - Étant l'auteur d'une des propositions de loi, je voterai évidement contre ces amendements.
M. Jean Desessard. - Tout le monde s'accorde sur la nécessité du débat. Fort bien. Mais parlons alors des mêmes choses. En quoi, monsieur le ministre, ce texte ne résoudrait-il pas les cas comme celui de Vincent Humbert ? M. Barbier nous oppose que légaliser ouvrirait la boîte de Pandore. D'autres affirment que la demande de mort est un appel au secours. Restons sérieux ! Quant à Mme Hermange, elle refuse au malade le droit de choisir.
Ne mélangeons pas tout, considérations morales et considérations juridiques. Nous proposons un cadre juridique, ne dites pas qu'il n'existe pas parce qu'il ne vous convient pas !
M. Alain Houpert. - En tant que médecin, je veux rappeler la nécessité de la confiance entre le médecin et son patient. La tisser, la préserver ne va pas de soi. Faire du médecin un exécutant n'est pas une solution : ce n'est pas un vétérinaire ! (Exclamations à gauche) Réduire le problème à un choix entre euthanasie et acharnement thérapeutique est le tronquer. Au lieu de légiférer dans la précipitation, travaillons à développer la médecine palliative. On constate que les patients, dans ces centres, ne demandent plus à mourir.
M. René-Pierre Signé. - Faux !
M. Alain Houpert. - Je veux rester sur le terrain, primordial, de la confiance. Légaliser l'euthanasie serait porter atteinte à la dignité de la mission médicale, sacralisée par le serment d'Hippocrate.
Mme Raymonde Le Texier. - Un tel débat nous renvoie à notre propre fin, à celle de nos proches. Il ne s'agit pas d'instaurer un droit à tuer, mais de laisser au patient la possibilité d'exercer son libre arbitre jusqu'au bout, le droit de voir respectée sa volonté. Beaucoup meurent à l'hôpital, loin des leurs et on voudrait les priver de parole. Soyons sérieux : personne ici ne souhaite que la maltraitance dans certains établissements pour personnes dépendantes ne conduise à l'euthanasie !
Comment vanter les soins palliatifs quand on a sciemment voté la réduction des crédits hospitaliers ? Même si l'accès était universel, le droit à décider de sa mort reste incontournable. Au nom de quoi la fin de vie dépouillerait-elle du droit à la subjectivité ? C'est une violence faite à ceux qui souffrent dans la solitude que leur refuser cette ultime liberté. Qui d'autre que le malade peut dire si sa vie vaut d'être vécue ? Pourquoi introduire une exception, au moment de la mort, au respect de la volonté du malade ? Nous voterons contre la suppression.
M. Claude Domeizel. - C'est par un gros effort sur moi-même que je suis venu ce soir, tant il m'a été difficile de me déterminer. J'ai lu et relu cet article premier : « une mort rapide et sans douleur », la proposition est terrible. Mais si l'on s'attache aux motifs retenus « une souffrance qui ne peut être apaisée ou que la personne estime insupportable », ils sont terribles aussi. Considérant que chaque être humain est libre, je voterai contre ces amendements de suppression.
M. Jean-Pierre Raffarin. - Ce débat nous fait réfléchir à notre condition humaine, fondée sur notre singularité : chacun a son propre destin et a le droit d'en avoir une vision. Mais l'autre pilier du raisonnement est l'unité de la nature humaine. Peut-on la mettre en cause au nom de la singularité ? Je ne le crois pas. (Applaudissements à droite)
M. Guy Fischer. - Nous voterons contre ces amendements de suppression, comme tous ceux de M. Barbier, qui vident le texte de sa substance. Je me devais cependant de dire clairement que Mmes Borvo Cohen-Seat, Didier, Hoarau et Demessine s'abstiendront.
À la demande du groupe socialiste, les amendements identiques n°s7 rectifié et 21 rectifié quinquies sont mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 329 |
Nombre de suffrages exprimés | 312 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 157 |
Pour l'adoption | 170 |
Contre | 142 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements sur les bancs UMP)
L'article premier est supprimé.
Article 2
M. le président. - Amendement n°8 rectifié, présenté par M. Barbier et Mmes Desmarescaux, Deroche et Hermange.
Supprimer cet article.
M. Gilbert Barbier. - Il est défendu.
M. Xavier Bertrand, ministre. - Favorable.
Mme Annie David. - Je suis signataire de la proposition de loi déposée par notre groupe. Je me suis cependant tout d'abord beaucoup interrogée. Chacun doit avoir accès à des soins palliatifs, mais le ministre reconnaît lui-même que tel n'est pas le cas. Personnellement, je ne veux pas d'une vie diminuée, dans la souffrance, et je respecterai ce choix chez mes proches. Rosa Luxembourg ne disait-elle pas que « la liberté, c'est toujours la liberté de l'autre » ?
On sait les limites de la loi Leonetti, qui ne tire d'ailleurs pas toutes les conséquences de la loi de 2002, en particulier en ce qui concerne ce que les juristes appellent l'autonomie des volontés.
La proposition de loi n'est pas de portée générale, contrairement à ce que j'ai entendu ; elle ouvre une faculté, c'est-à-dire une liberté. Nous ne pouvons nous arroger le droit de priver de liberté une partie de la population au motif qu'une autre ne voudrait pas en bénéficier.
L'amendement n°8 rectifié est adopté.
L'article 2 est supprimé.
Article 3
M. le président. - Amendement n°9 rectifié, présenté par M. Barbier et Mmes Desmarescaux, Deroche et Hermange.
Supprimer cet article.
M. Gilbert Barbier. - J'attire l'attention sur les dangers de cet article, qui est relatif aux directives anticipées.
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. - La commission s'est déclarée favorable.
M. Xavier Bertrand, ministre. - Favorable.
M. Guy Fischer. - L'article encadre très précisément les directives anticipées.
Les directives anticipées sont l'outil de la liberté individuelle. Chacun doit pouvoir réfléchir à sa mort, prendre ses dispositions à l'avance, pour ne pas dépendre de la seule décision du médecin. Renouvelées tous les trois ans, rétractables, ces directives sont des outils de la liberté et du droit des patients.
Je veux redire tout le respect que j'ai pour ceux qui choisissent l'ultime décision et je remercie enfin tous nos collègues qui ont permis que ce débat se déroule dans la dignité. (Applaudissements à gauche)
L'amendement n°9 rectifié est adopté et l'article 3 est supprimé.
L'amendement n°16 rectifié n'est pas défendu.
Article 4
M. le président. - Amendement n°10 rectifié, présenté par M. Barbier et Mmes Desmarescaux, Deroche et Hermange.
Supprimer cet article.
L'amendement de suppression n°10 rectifié, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté et l'article 4 est supprimé.
Article 5
M. le président. - Amendement n°11 rectifié, présenté par M. Barbier et Mmes Desmarescaux, Deroche et Hermange.
Supprimer cet article.
L'amendement n°11 rectifié, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté et l'article 5 est supprimé.
Les amendements n°s18 rectifié et 19 rectifié deviennent sans objet.
Article 6
M. le président. - Amendement n°12 rectifié, présenté par M. Barbier et Mmes Desmarescaux, Deroche et Hermange.
Supprimer cet article.
L'amendement n°12 rectifié, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté et l'article 6 est supprimé.
Article 7
M. le président. - Amendement n°13 rectifié, présenté par M. Barbier et Mmes Desmarescaux, Deroche et Hermange.
Supprimer cet article.
L'amendement n°13 rectifié, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté et l'article 7 est supprimé.
L'amendement n°4 devient sans objet.
M. le président. - Aucun article de la proposition de loi n'ayant été adopté, il n'y a pas lieu de voter sur l'ensemble puisqu'il n'y a plus de texte.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 26 janvier 2011, à 14 heures 30.
La séance est levée à 3 heures 5.
René-André Fabre,
Directeur
Direction des comptes rendus analytiques
ORDRE DU JOUR
du mercredi 26 janvier 2011
Séance publique
À 14 HEURES 30
Proposition de loi tendant à proroger le mandat des conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger (n° 146, 2009-2010).
Rapport de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n° 218, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 219, 2010-2011).
Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, relative à la solidarité dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement (n° 147, 2010-2011).
Rapport de M. Michel Houel, fait au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (n° 234, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 235, 2010-2011).
À 18 HEURES 30 ET, ÉVENTUELLEMENT, LE SOIR
Proposition de loi relative au patrimoine monumental de l'État (n° 68, 2010-2011).
Rapport de Mme Françoise Férat, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (n° 236, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 237, 2010-2011).