Cours d'appel (Deuxième lecture - Suite)
Discussion générale (Suite)
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois. - Les choses se sont accélérées : la première lecture à l'Assemblée nationale a eu lieu le 3 juin 2009, la première lecture au Sénat en décembre. Nous avons eu trois gardes des sceaux... et à chaque fois, le texte s'est amélioré ! (Sourires)
Les deux-tiers du texte ont déjà fait l'objet d'un accord entre les deux assemblées, sur la base souvent du texte du Sénat. J'ai besoin toutefois d'un engagement solennel du Gouvernement sur quatre points.
Il s'agit d'abord des engagements pris à l'endroit du personnel. Les 380 emplois ouverts dans les greffes ont suscité une vive déception car les salariés concernés ont été confrontés à un concours ouvert pour lequel ils n'étaient pas bien armés. Le problème est résolu pour la catégorie A mais pas pour les catégories B et C. Il faut un engagement du garde des sceaux.
La généralisation de l'électronique, maintenant. Je crains que les choses ne se passent pas si bien partout. Il faudra des équipes de sauvetage des cours d'appel en péril !
Vous n'avez répondu que partiellement sur l'interprétation à donner de l'imposition de l'acompte versé. Il faudra un texte de la Chancellerie, opposable à Bercy.
Vous n'avez pas donné de réponse satisfaisante à propos de la fiscalité de la perte du droit de présentation : quelle sera la date de référence ? Il faut que le garde des sceaux obtienne une instruction fiscale préconisant que c'est la date la plus récente, celle de l'acquisition des parts, qui doit être prise en compte.
Si nous avons toutes ces garanties, je propose un vote conforme. Sinon, je serai contraint de déposer des amendements qui nous imposeraient une troisième lecture. (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Josiane Mathon-Poinat. - Mme Alliot-Marie nous expliquait que cette réforme, conforme à la directive Services, devrait rendre plus simples et moins coûteuses les procédures devant les cours d'appel. On ne peut dire que cet objectif soit atteint !
Ce projet de loi va avoir pour effet de licencier 1 150 personnes, dans un marché de l'emploi déjà saturé. M. Mercier continue dans le discours convenu. Vous vous préoccupez du sort des salariés ? Ces licenciements économiques sans sauvegarde de l'emploi sont politiques, comme disent les avoués eux-mêmes. Le seul engagement pris par l'État est de créer une cellule de reclassement, telles qu'elles existent pour tous les salariés qui deviennent chômeur. Un plan social, donc.
Pour les avoués demeure le problème de l'indemnisation préalable. Les oubliés de la réforme sont les détenteurs de parts et les collaborateurs des avoués, qui ne sont pas indemnisés alors qu'ils subissent un préjudice de carrière. Tous ont été formés à cette profession, avec la perspective de rachat des parts de l'office.
Nous avons déposé un amendement qui a été victime de l'article 40.
On revient au même point qu'en première lecture, avec une réforme bâclée -dont nous aimerions connaître le coût exact pour les finances publiques. (Applaudissements à gauche)
M. Yves Détraigne. - Les avoués ont-ils donc démérité qu'on supprime leur profession ? La question, que je posais déjà en première lecture, semble, hélas, n'être plus d'actualité... La décision politique est prise. Reste à mener à terme le processus engagé afin que le fonctionnement des cours d'appel ne soit pas affecté et que l'indemnisation soit acceptable.
Il semble y avoir urgence -du moins maintenant puisque l'on a attendu plus d'un an entre le vote du Sénat en première lecture et la seconde par l'Assemblée nationale. Ce retard réduit à néant la promesse d'un délai de mise en oeuvre, le temps de se préparer. Il a été tel que la période transitoire a été considérablement raccourcie, à un moment de plus où nombre d'avoués ont pu croire que la réforme était abandonnée.
On demande à des professionnels, avertis que leur profession va disparaître, de préparer une réforme dont ils ne bénéficieront en rien.
Croit-on vraiment que les 51 000 avocats de France pourront effectivement utiliser la procédure informatique dès l'an prochain ?
Il est paradoxal de croire que les avoués pourront exercer sans dommage la profession d'avocat, qui connaît déjà une forme d'appauvrissement.
Sur l'indemnisation, je reconnais les améliorations apportées par le Sénat. Mais des incertitudes pèsent sur son montant, qui doit être préalable à l'expropriation, conformément à la Déclaration des droits de 1789.
Près de 400 postes ont été ouverts par le ministère, dites-vous. Mais la réalité est plus nuancée... On a dit à une greffière qu'elle était « trop qualifiée... » pour le poste offert par la Chancellerie.
Cette réforme, que les avoués n'ont pas demandée, ne doit pas constituer pour eux un marché de dupes. (Applaudissements)
M. Alain Anziani. - Il y a un an, jour pour jour, je demandais si la suppression des avoués rapprocherait les justiciables de la justice, diminuerait les coûts et accélérerait les procédures. Je pourrais poser à nouveau la même question et, depuis un an, la chancellerie n'a réglé aucun problème.
Vous connaissez par coeur l'article XVII de la Déclaration des droits de l'Homme : l'indemnisation doit être juste et préalable Or, votre article 13 va contre.
Autre difficulté, celle qui naît de la volonté gouvernementale de faire disparaître une profession. L'événement est rarissime ; il appelle donc des mesures dérogatoires. La Chancellerie l'a reconnu et Mme Alliot-Marie promettait l'accès à la magistrature, cette voie royale. Vous connaissez les résultats : pour les 380 postes ouverts, il n'y a eu que 11 salariés intéressés. On leur réserve un accueil glacial. Tout est fait pour les dissuader.
L'entrée dans la magistrature ? Huit cas seulement. L'intégration dans les cabinets d'avocats ? Ce n'est pas mieux.
Cette autre voie a été tout aussi tortueuse. Même chose pour les salariés : les études d'avoués embauchent quatre fois plus que les cabinets d'avocats, il y aura un goulet d'étranglement. Dire le contraire, c'est se moquer des uns comme des autres.
Le croisement de la réforme de la représentation et de la dématérialisation sera un grand saut dans le vide, y compris pour le justiciable. Mme Alliot-Marie a concédé ce que nous savions : la dématérialisation ne sera pas prête en janvier 2011 ; elle l'a reportée de deux mois, cela ne suffira pas : la concertation n'y changera rien ! Vous dites que les professionnels sont d'accord ? J'ai ici une lettre de la Chambre nationale des avoués qui dit le contraire...
Enfin, quel sens cette réforme prend-elle pour la justice et pour le justiciable ? Certainement pas une baisse des coûts, puisque la nouvelle procédure coûtera 1 010 euros avant même le moindre honoraire de l'avocat, plus cher que le coût d'intervention de l'avoué. M. Gélard l'a dit dans son style affable mais non moins percutant, il n'y aura aucune économie pour le justiciable.
Et les contribuables paieront, eux, 900 millions d'euros.
Pourquoi cette loi ? Une commission présidée par une personnalité d'une intelligence remarquable a dit qu'il fallait lever les freins de la croissance, réduire les coûts partout où cela était possible et conclu qu'il fallait supprimer la profession d'avoué. Personne ne peut croire que les coûts seront réduits pour le justiciable et le contribuable. M. Gélard vous a demandé des engagements solennels, nous leur préférons nos amendements ! (Applaudissements à gauche)
M. Jacques Mézard. - Pour la deuxième fois, le Gouvernement souhaite aux avoués un joyeux Noël, sans même un mot pour la contribution qu'ils ont apportée à la justice pendant deux siècles. Nous espérions de vous, monsieur le ministre, que cette réforme se terminerait moins brutalement -M. Ollier vient tout juste de nous parler de dialogue constructif- mais nous allons en passer par l'article 40 et l'entonnoir, le vote conforme et le débat tronqué. Le chef de l'exécutif ordonne l'exécution d'une profession en bonne santé aux frais du contribuable et au nom usurpé du justiciable ; nous avons au moins évité la spoliation grâce au travail de M. Gélard...
La transposition de la directive Services n'est pas une raison valable.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - C'est certain.
M. Jacques Mézard. - La réforme aurait pu être faite en 1972, tel n'a pas été le cas. Pour la faire aujourd'hui, il aurait fallu de la clarté et non la brutalité de Mme Dati au moment où la Chancellerie délivrait des diplômes d'avoué... Il eût fallu des conditions : une indemnisation intégrale, une solution équitable pour les collaborateurs et une période de transition. Tel n'a pas été le cas, quels qu'aient été les efforts utiles et méritoires de notre doyen Gélard. La réforme n'améliorera pas la qualité du droit ni l'accès du justiciable à la justice et n'accélérera pas la procédure -comment en serait-il autrement alors que le nombre d'appels augmente de 15 % et que le nombre de magistrats reste stable ? Les dossiers ne sont pas traités plus rapidement, ni plus simplement, et la procédure sera plus coûteuse : où est le progrès ?
Le problème de l'aide juridictionnelle demeure entier : allez-vous réévaluer l'indemnité de 14 unités de valeur par professionnel ? Les avoués connaissent la jurisprudence, les arcanes de la procédure d'appel et les intervenants : ils évitent bien des appels inutiles ! Ceux qui rêvent d'ordinateurs et d'une justice dématérialisée oublient qu'elle est d'abord une affaire humaine.
Nous avons des amendements, nous savons que vous les écarterez pour obtenir un vote conforme. Sur l'indemnisation, sur la question des plus-values, nous attendons toujours la fiche explicative promise. On nous a promis des éclaircissements sur le sort des salariés, mais le nombre de postes offerts est très en deçà de ce qui avait été annoncé et les conditions sont loin des intentions : l'État s'aligne-t-il sur Molex ? Ou encore sur la période de transition : vous vous arcboutez sur la date du 31 mars parce qu'elle a été promise, mais la sécurisation de la procédure impose un changement de calendrier.
La profession consentait à disparaître mais elle espérait au moins être enterrée avec les honneurs ! (Applaudissements à gauche)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Nous voici à l'épilogue d'un feuilleton que certains estiment trop long, mais c'est qu'il touche à une affaire sensible.
Ce texte met d'abord notre droit en cohérence avec le droit européen. Les avoués deviendront avocats, le justiciable aura un interlocuteur unique. Le texte est juste et équilibré, on le doit à l'excellent travail de notre commission.
Le Sénat a été très attentif au sort des 440 avoués et de leurs 1 800 collaborateurs ; le texte favorise le libre choix, indemnise le préjudice subi et prévoit une période de transition.
Les collaborateurs des avoués seront reclassés et indemnisés, qu'ils démissionnent ou qu'ils suivent leur employeur dans sa nouvelle profession ; ils seront accompagnés, un suivi personnalisé sera mis en place ainsi qu'une allocation pour compenser les éventuelles pertes de revenus. Un acompte de 50 % du dernier chiffre d'affaires connu sera versée immédiatement aux anciens avoués, une commission fera une proposition d'indemnisation dans les trois mois : le nombre de recours au juge de l'expropriation devrait être raisonnable.
Les avoués pourront continuer d'exercer la profession en même temps que celle d'avocat, entre octobre et décembre 2011 : c'est une transition utile.
Le texte simplifie la procédure et comporte toutes les garanties nécessaires aux avoués et à leurs salariés : le groupe UMP le votera avec d'autant plus de satisfaction que vous aurez répondu aux demandes d'éclaircissement de notre rapporteur. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Sueur. - Que se passera-t-il s'il ne répond pas ?
Mme Virginie Klès. - Le juge de l'expropriation pourra finalement intervenir ; c'est toujours cela de pris. Mais je suis maire, je sais que l'expropriation exige une enquête d'utilité publique pour démontrer que l'intérêt général est établi.
M. Jean-Pierre Sueur. - Bien sûr !
Mme Virginie Klès. - J'ai donc mené une telle enquête sur ce texte. Or la réforme de la carte judiciaire a porté un mauvais coup à la justice ; à quoi s'ajoutent la réforme du CSM, les commentaires au plus haut niveau de l'État sur des décisions de justice et tous les textes qui nous emmènent vers une justice à l'anglo-saxonne, celle des grands cabinets d'avocats, celle qui se passe du juge d'instruction et réduit les moyens de la PJJ, qui étrangle l'aide juridictionnelle, qui ne recrute pas de magistrats : c'est de cette justice-là que je ne veux pas !
Une fois encore, nous devons examiner une réforme importante dans la précipitation, avec un calendrier changeant, des dispositions incohérentes dont certaines seront sanctionnées par le juge constitutionnel. Prenons le temps d'éviter les erreurs ; ce ne sera pas du temps perdu.
Cette réforme va plonger des salariés au chômage, en particulier des femmes en milieu de carrière qui auront beaucoup de mal à retrouver un emploi, en tout cas pas à la hauteur de celui qu'elles quittent. Dès aujourd'hui, les cabinets d'avoués sont incités à licencier pour améliorer leur bilan et limiter leur imposition.
L'accès à la justice sera-t-il facilité ? On sait qu'il deviendra plus cher, plus difficile ! Où est l'utilité publique ? Est-il normal que le contribuable ait à payer ? Les petits cabinets d'avocats de province ne pourront pas suivre en appel ; leurs clients devront s'adresser à de grands cabinets. C'est cela la proximité de justice ? Vous désertifiez plus encore nos campagnes !
M. Jacques Mézard. - Très bien.
Mme Virginie Klès. - Les Français ne l'oublieront pas. L'e-barreau ne fonctionnera pas comme vous le croyez : cessez de vous cacher derrière votre petit doigt et dites, parce que c'est la vérité, que 45 000 dossiers d'appel seront caducs tandis que les justiciables auront perdu 150 euros chacun.
Comme commissaire-enquêteur, je déclare l'inutilité publique de ce texte, avec la circonstance aggravante de la précipitation. (Applaudissements à gauche)
présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente