Modernisation de l'agriculture et de la pêche (Conclusions de la CMP)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la CMP sur le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche.
Discussion générale
M. Gérard César, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. - (Applaudissements à droite) Nous voici au terme d'un parcours engagé le 13 janvier. Notre assemblée a pu apporter sa pierre à l'édifice.
M. Jacques Blanc. - Grâce à notre rapporteur !
M. Gérard César, rapporteur. - En 2008, les agriculteurs ont perdu 20 % de leurs revenus, puis 30 % en 2009.
La réforme de la PAC, prévue en 2013, imposait de ne pas rester les bras croisés.
Le groupe sur le lait a préconisé le 15 juin de remplacer les quotas laitiers par des contrats liant production et transformation.
Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre disponibilité, votre ouverture et votre compétence. Malgré nos divergences, nous avons pu dialoguer.
L'Assemblée nationale n'a pas mis en cause les apports du Sénat, notamment sur l'assurance, la contractualisation et l'étiquetage d'origine.
Le texte est passé de 24 articles à 96 au sortir de la CMP : le Parlement n'a pas été une simple chambre d'enregistrement.
Sur le titre premier, l'Assemblée nationale a confirmé l'orientation de la politique de l'alimentation vers les circuits courts et le développement de l'information sur l'origine des produits. La CMP a confirmé les ajouts de l'Assemblée nationale.
Sur le titre II, véritable coeur du texte, la version sortie de l'Assemblée est largement la même que celle votée au Sénat.
A l'article 5, l'interdiction totale des remises rabais et ristournes dans le secteur des fruits et légumes frais, que nous avions adoptée, a été confirmée.
La CMP confirme le rôle de l'Observatoire des prix, avec la possibilité de sanctions. Les interprofessions doivent s'organiser librement. Le texte encourage les regroupements de producteurs.
Le dispositif d'assurance a été préservé ; idem pour la réassurance publique. Nous y avons beaucoup travaillé. La distillation de crise obligatoire aura désormais une base légale.
Enfin, la CMP a repris le compromis de l'Assemblée nationale sur les installations classées, ce qui dégèle la situation.
L'Assemblée nationale a regroupé les dispositions fiscales adoptées au Sénat dans un titre II bis A intitulé : « améliorer la compétitivité des exploitations agricoles ». La CMP a confirmé les autres engagements du Sénat, notamment pour le lissage des revenus.
En matière financière, l'Assemblée nationale a étendu les compétences de la commission de l'espace agricole.
Les choses ont été plus difficiles à propos de la forêt... Malgré tout, le compte d'épargne d'assurance forestière est confirmé, même si l'investissement n'en bénéficie pas. C'est essentiel, nous y tenions beaucoup.
Enfin, la CMP a confirmé les dispositions du titre III bis, regroupant différentes mesures de simplification du droit pour les agriculteurs, et celles du titre V relatives à l'agriculture et la pêche ultramarines.
En conclusion, les délais très courts n'ont pas empêché de faire évoluer dans le bon sens un projet de loi qui prépare l'après 2013. (Applaudissements à droite)
M. Charles Revet, rapporteur pour le Sénat de la CMP. - (Applaudissements sur les bancs UMP) Les réformes qui font peu de bruit sont souvent les meilleures et les plus profondes. Le volet Pêche et agriculture n'est pas le plus visible ; il est pourtant loin d'être insignifiant.
Monsieur le ministre, je vous félicite à mon tour pour votre grande compétence. Je salue aussi l'engagement du Président de la République, sans omettre mon homologue de l'Assemblée nationale.
La CMP a facilement rapproché les points de vue car nous voulons tous renforcer les liens entre pêcheurs et scientifiques grâce au Comité scientifique des pêches et de l'agriculture. La CMP a intégré des parlementaires au sein du comité de liaison. Elle a privilégié l'analyse conjointe de la ressource pour les pêcheurs et les scientifiques.
Le schéma régional de l'agriculture est préservé, pour améliorer notre autosuffisance en produits de la mer ; 80 % de notre consommation sont aujourd'hui importés.
Les dispositions relatives à la coquille Saint-Jacques n'ont pas été modifiées par l'Assemblée nationale. Concernant l'organisation professionnelle des pêches maritimes et de l'aquaculture, la suppression des comités locaux a été confirmée mais des antennes locales pourront subsister comme échelons déconcentrés des comités départementaux ou des comités régionaux.
La CMP n'est pas revenue sur le fond de certains articles ajoutés l'Assemblée nationale, comme l'article 18 bis, qui traite des pollutions marines par le chlordécone.
Le volet Pêche et aquaculture est donc beaucoup plus consistant que certains ont pu le penser en premier lieu. Il reste que la future réforme de la politique commune de la pêche aura une importance capitale pour l'avenir de ce secteur.
Nous devons préserver et développer, notre activité de pêche, notamment outre-mer. Mais il faut aussi renforcer l'aquaculture, notamment l'aquaculture d'eau douce. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche. - (Applaudissements sur les bancs UMP) Je suis heureux de clore ce débat en vous remerciant pour la qualité des échanges : ce texte est aussi votre production, au service de l'agriculture et de la pêche. Merci aux rapporteurs pour leur contribution : des centaines d'heures ont été consacrées aux acteurs de terrain. Je remercie aussi le président de la commission (applaudissements sur les bancs UMP) qui a fait preuve de la compétence qu'on lui connaît.
Au sortir de la crise terrible de 2009, ce texte doit relever la première agriculture européenne, en privilégiant la sécurité alimentaire. Il était temps que l'alimentation revienne au premier plan de la politique agricole.
Ce texte met fin à certaines exceptions françaises qui étaient autant de faiblesses. Ainsi, l'absence de contrats laissait agriculteurs et pêcheurs démunis face aux variations de prix ; désormais, les contrats seront obligatoires et sécuriseront le prix, la durée et le volume des productions agricoles en France.
Désormais les contrats seront la règle, assurant des revenus stables et décents aux agriculteurs.
De même, la protection contre les risques était embryonnaire. Désormais, face à chaque risque, les agriculteurs disposeront d'une protection adéquate, notamment grâce aux fonds de protection et de prévention.
L'épargne forêt... Les sénateurs, dans leur grande générosité, voulaient ouvrir le compte épargne assurance à l'investissement en forêt, mais le Gouvernement, dans sa grande rigueur, ne l'a pas souhaité. L'essentiel est de protéger enfin toutes les filières face au risque.
Nos circuits commerciaux manquaient de transparence. Grâce à vous, l'Observatoire des prix et des marges mettra fin à bien des abus : il est inadmissible qu'un produit qui revient 60 centimes à l'agriculteur soit acheté 40 centimes et revendu 1,70 euro, voire 2 euros. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Vous avez renforcé les interprofessions : en agriculture plus qu'ailleurs, l'union fait la force. C'est vrai en particulier pour la pêche : nous aurons bientôt la première interprofession française de la pêche.
M. Charles Revet, rapporteur. - Tout à fait.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Grâce à cette loi, les producteurs pourront mieux défendre leur travail sur tout le territoire.
Vous avez apporté des réponses pertinentes à bien des interrogations.
La création de Gaec entre époux reconnaît le travail des conjoints. Vous avez supprimé les rabais et ristournes. C'est vous qui avez fait bénéficier les jeunes agriculteurs de la taxe sur les terres agricoles. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Depuis des décennies, les pouvoirs publics veulent mettre en place une réassurance publique. Comme vous l'avez obtenue, cette réassurance permettra d'assurer même l'élevage et le fourrage. Ce succès est une avancée majeure pour les agriculteurs.
Nous avons eu des débats passionnants sur la reconnaissance de la truffe, sur la clairette de Die, sur les viandes d'Aubrac et de Salers ... Comment ne pas citer la Lozère en présence de Jacques Blanc ? (Sourires)
Tout cela confirme que vous restez les meilleurs spécialistes des sujets agricoles. (Applaudissements sur les bancs UMP)
La réunion d'hier des ministres agricoles européens a confirmé un accueil plus favorable de nos thèses sur la régulation des marchés agricoles, pourtant repoussée il y a un an. Le rapport du conseil des ministres reprend mot pour mot les propositions formulées par la France et l'Allemagne. Cet engagement n'est pas isolé.
Ainsi, la Commission recommande aussi la politique des contrats pour stabiliser les revenus des agriculteurs. Idem pour la concurrence et bien d'autres actions que vous avez voulues.
Ce projet de loi est un début, car toutes les filières doivent se moderniser pour être compétitives. Je présenterai à la rentrée plusieurs plans sectoriels de développement : lait, élevage, fruits et légumes, grandes cultures...
D'ici la fin de l'année, des choix apparaitront pour la PAC. Nous avons marqué des points ; il reste à transformer l'essai. Désormais, l'agriculture sera un point d'entente entre la France et l'Allemagne.
J'exclus de baisser la garde sur l'agriculture dans les négociations internationales. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Ce débat m'a beaucoup appris. Je répète aux agriculteurs et aux pêcheurs ma confiance dans leur avenir et leur talent. (Applaudissements sur les bancs UMP)
Mme Marie-Agnès Labarre. - Je ne partage pas votre enthousiasme...
M. Charles Revet, rapporteur. - Dommage.
Mme Marie-Agnès Labarre. - ...car le texte conforte la vision libérale de la Commission européenne, contrairement à ce que vous voulez nous faire croire.
L'accord négocié avec le Canada dans notre dos pourrait compromettre notre modèle agricole.
Au terme de l'examen à la vitesse grand V de ce projet de loi, la déception du monde agricole est grande : la majorité a verrouillé le débat. Il n'y a rien sur le modèle agricole français, rien sur la gestion de l'offre, rien sur les prix d'achat...
Nous voulons réorienter l'agriculture vers des productions écologiquement responsables assurant les revenus des agriculteurs. Vous voulez accélérer l'élimination des petits paysans.
M. le ministre vante les mérites de la contractualisation, alors que nous avons besoin d'une maîtrise des volumes et des prix.
En pleine crise financière, alors que l'inanité des discours des libéraux est patente, voilà la solution que propose le Gouvernement aux agriculteurs qui n'arrivent plus à vivre de leur travail : le Marché, toujours le Marché, rien que le Marché.
Même si la généralisation des contrats est positive, un contrat traduit un rapport de forces, rien de plus. La volatilité des prix agricoles provient d'une régulation insuffisante. Loin de s'attaquer aux difficultés, la contractualisation les aggravera si les volumes ne sont pas régulés. L'exemple de la filière porcine est édifiant. Il n'y a pas là de politique ambitieuse.
Au nom de la concurrence, vous repoussez -avec la Commission européenne- la régulation des quantités, tout comme la négociation collective des prix, en partant des prix de revient.
Pour conserver une certaine souplesse, les industriels ne contractualiseront pas tous les volumes, au détriment des paysans non contractualisés.
Le système assuranciel ne crée aucune richesse, mais répartit la richesse existante. Le vôtre se résume ainsi : de l'argent public pour les assurances privées, au profit de quelques agriculteurs fortunés. Contre ce système, notre groupe proposait un système mutualisé de garantie contre les aléas, mais votre majorité l'a rejeté.
Les terres agricoles perdent 70 000 hectares par an. Votre absence de réaction est patente, avec une taxe sur les plus-values foncières totalement insuffisante.
Alors que la majorité des paysans, qui se tuent à la tâche, ne gagne pas suffisamment pour vivre décemment, ce projet de loi n'intègre aucun volet social. Pourtant, le taux de suicide des agriculteurs exploitants est le plus élevé parmi toutes les catégories socio-professionnelles. Et que propose le Gouvernement ? Rien.
Enfin, cette loi ne sauvegarde pas notre modèle agricole dans son environnement international. L'agriculture est au confluent de la crise écologique et de la crise économique.
La France doit promouvoir au niveau communautaire des mesures garantissant des prix rémunérateurs aux producteurs et assurant des mécanismes de régulation. Enfin, nous devons engager la transition écologique de l'agriculture, autonome et relocalisée, loin des pesticides et de la motorisation à outrance, pour produire de meilleurs produits. Encore faut-il rémunérer le travail agricole à son juste prix.
Ne prenant pas en compte ces enjeux, cette loi ne résout rien. Le groupe CRC-SPG déplore le renoncement du Gouvernement. Nous voterons contre un texte qui tourne le dos à l'avenir. (Applaudissements à gauche)
M. Jean Boyer. - Ce projet de loi tend à surmonter la crise qui frappe l'agriculture.
En 1955, il y avait 2 300 000 exploitations et, contre 580 000 aujourd'hui ; il y avait 8 500 000 actifs contre 1 300 000 aujourd'hui ; l'agriculture représentait 12 % du PIB contre 2 % aujourd'hui. A l'inverse, les subventions représentaient 2 % de revenu brut d'exploitation, contre 80 % aujourd'hui.
Monsieur le ministre, vous tenez le langage de la vérité. Les exportations agricoles ont reculé de 20 % l'an dernier ; le revenu agricole a parfois baissé de 50 %. Bref, l'agriculture est morose, inquiète, car on ne voit pas d'arc-en-ciel à l'horizon.
Ce texte ne relève pas tous les défis que le monde agricole doit affronter. Il ne le peut d'ailleurs pas car la politique agricole se dessine au niveau européen.
Or ce texte intervient au moment où le bilan de santé de la PAC est clos, sans que les contours de la PAC de 2013 soient dessinés.
La crise agricole était l'occasion de soulever le paradoxe selon lequel il est absurde de conjuguer défense du pouvoir d'achat et garantie du revenu agricole. Je le dis sans démagogie : il y a peut-être sur administration de l'agriculture, avec des interventions décourageantes, voire contradictoires.
Le circuit court devrait être compétitif. Puisse l'accès au marché des producteurs locaux se réaliser. La France d'en bas trouve qu'on veut souvent laver plus blanc que blanc. D'accord avec l'Observatoire des prix mais un produit qui a parcouru 2 000 km peut-il être aussi sain que celui produit sur place ? Le porc de Haute-Loire est-il moins bon en Auvergne que le breton ? (Sourires)
Votre sérénité fait votre réputation d'excellence, monsieur le ministre ! Mais avec Daniel Dubois je forme un voeu : puisse l'encadrement des procédures ne pas écorner l'efficacité de l'Observatoire des prix, dont les analyses et recommandations devront être entendues !
Nous approuvons l'assouplissement des seuils de déclenchement des procédures pour les autorisations des bâtiments d'élevage. Nous devrions ainsi rattraper notre retard sur l'Allemagne.
La contractualisation sera un point fort de ce texte, même si la durée des contrats ne sera pas forcément gage d'efficacité.
La pêche ? Nos rivières de Haute-Loire sont si petites qu'il n'y a même plus de saumon... Je fais miennes les constatations de Jean-Claude Merceron : un diagnostic partagé sur les ressources rendra plus acceptable la restructuration de la pêche ; des outils fiscaux et financiers aideront le renouvellement de la flotte.
Cette loi manque un peu d'ambition, mais nous souhaitons encourager les avancées qu'elle apporte. Nous ne sommes pas irresponsables et désespérés, mais responsables et actifs !
Toutefois l'avenir de l'agriculture est dans les mains de la Commission de Bruxelles. Dans l'Union européenne des 27, l'activité agricole a mangé son pain blanc. L'agriculture de montagne -bien représentée dans cet hémicycle- ne demande pas l'aumône. Sous-lieutenant, j'étais réputé pour ma franchise. Je parle franchement : monsieur le ministre, les agriculteurs apprécient que vous leur teniez le langage de la vérité et votre sens social.
La profession est ébranlée mais elle n'a pas perdu son envie d'entreprendre, elle doit garder l'espérance. Pour cela, nous comptons sur vous, monsieur le ministre ! (Applaudissements au centre et à droite)
Mme Odette Herviaux. - Nous regrettons que ce texte ait été frappé par l'urgence. Le texte du Sénat était meilleur que celui de la CMP. (Remerciements sur le banc de la commission) L'efficacité et la légitimité du travail parlementaire exigent un minimum de temps et de dialogue. Je reconnais toutefois le grand travail des rapporteurs et votre écoute attentive, monsieur le ministre. Nous avons joué notre rôle d'opposition constructive.
Nous aurions voulu un accompagnement par les pouvoirs publics mais RGPP et plan de rigueur s'appliquent à l'agriculture comme ailleurs, sans forcément de grande cohérence. C'est donc aux professionnels d'assurer les missions d'intérêt général, en affrontant le marché avec une réglementation minimaliste, avec le risque d'aller vers une moindre diversité des productions et un affaiblissement des exigences sociales et environnementales.
Les avancées du Sénat ont toutes été recadrées, pour en diminuer la portée. Ainsi la suppression des remises et rabais sur les fruits et légumes n'a-t-elle pas été étendue aux autres produits périssables ? La majorité a refusé d'inscrire dans la loi l'exigence de prix rémunérateurs. L'échec d'une politique d'incitation est donc prévisible. Pourquoi promettre des outils de gestion qu'on n'a pas les moyens de mettre en oeuvre ? Les interprofessions devront assurer les tâches de l'État, sans en avoir les moyens. C'est frappant à propos de la forêt.
Nous restons vigilants sur le devenir des Adasea pour l'installation.
Autant je comprends qu'on puisse vouloir alléger et simplifier les procédures administratives, autant je ne comprends pas que certains aient voulu rouvrir la guerre du porc, -à des fins électoralistes ?
Le flou artistique de termes comme « effet notable pour l'environnement » ou « augmentation sensible » inquiète. Ne va-t-on pas vers des délocalisations analogues à celles qui ont eu lieu en Espagne ? La Bretagne ne peut voir condamner ses installations porcines -qui peuvent se faire en respectant l'environnement. Les seuils ne suffiront pas à expliquer les distorsions de concurrence. Il faudra une harmonisation européenne des normes.
La majorité a refusé d'accorder aux régions la place qui leur revient dans la gouvernance de la pêche. De nombreux pays européens s'engagent dans une approche territorialisée de la pêche. En la matière, l'uniformisation et le système rigide de ce texte sont une régression.
M. Jacky Le Menn. - Tout à fait !
Mme Odette Herviaux. - Vous avez dit, monsieur le ministre, avoir les mêmes objectifs que nous. Mais le texte voté en CMP ne reflète pas cette ambition. Nous ne le voterons donc pas. (Applaudissements à gauche)
M. Yvon Collin. - Nous nous apprêtons aujourd'hui à voter un des textes les plus attendus de l'année. L'heure est grave, car l'agriculture fait vivre des milliers de communes : avec elle, nombre de territoires sont menacés. Les agriculteurs n'ont qu'une exigence : rester en vie. Cela sera-t-il possible ? Le travail du Sénat a nettement amélioré le texte au profit des agriculteurs. Certains de nos amendements ont été satisfaits. L'importance d'une politique de stockage de l'eau a été reconnue, même si je regrette que ce projet de loi ne comporte pas un volet sur l'eau, question essentielle dans le sud-ouest.
Nous reconnaissons que le dispositif d'assurance récoltes retenu par le Sénat est satisfaisant. Néanmoins, il n'y aura de véritable assurance récolte sans réassurance publique comme en Italie ou en Espagne.
Un contrat n'a jamais garanti la juste rémunération du travail ; nos agriculteurs nous attendaient sur la compétitivité en Europe avec l'allégement des charges et un nouveau partage de la valeur ajoutée. L'Observatoire des marges n'a pas reçu les moyens nécessaires à son fonctionnement.
Des centaines d'hectares de terres agricoles disparaissent chaque jour. Nous payons l'absence de stratégie d'installation des jeunes. On peut comprendre le souhait des agriculteurs de revendre leurs terres en terrains à bâtir. La taxe affectée à l'installation des jeunes n'est pas assez dissuasive ; pourquoi n'être pas allé aussi loin que l'Allemagne, puisqu'elle est votre modèle ?
Les députés n'ont pas amélioré le texte sur le fond. Nous sommes aussi déçus qu'en première lecture. Nous reconnaissons le travail de la commission et du ministre, tout en reconnaissant les limites d'un exercice purement français.
Il semble que le Gouvernement ait l'intention de transférer la mission Enseignement scolaire. Qu'en est-il ?
Nous vous accompagnerons dans la mesure où vous voudrez replacer l'agriculture au coeur des préoccupations du pays.
La majorité du RDSE ne votera pas ce texte. (Applaudissements à gauche)
M. Jean Louis Masson. - J'ai participé comme parlementaire à la discussion de nombreuses lois agricoles, qu'on croyait à chaque fois définitives. Mais la vie ou la mort de l'agriculture française se joue désormais à Bruxelles, où il faut faire montre de fermeté.
Ce texte participe de bons sentiments. Je suis cependant très sceptique sur ses effets concrets, face à la puissance du marché, au point de craindre que ne puissent être apportées d'importantes avancées. Mettons que c'est un petit plus.
M. Adrien Gouteyron. - (Applaudissements sur les bancs UMP) L'UMP se félicite de l'excellent travail accompli. L'Assemblée nationale a souvent clarifié et conforté les apports du Sénat.
Je voudrais rappeler, avec solennité, le contexte de ce projet de loi, fait des grandes difficultés de nos agriculteurs. Une lettre officielle envoyée à tous les maires appelle à la vigilance, vu les menaces qui pèsent sur l'agriculture, entre volatilité des prix et baisses des revenus -qui atteignent 50 % dans le secteur laitier.
Vous avez accompli des efforts considérables, monsieur le ministre. J'étais sceptique. Je doutais que vous réussissiez ...
M. Charles Revet, rapporteur. - C'était mal le connaître !
M. Adrien Gouteyron. - ...et vous avez réussi. De fait, les positions françaises sont désormais le point d'équilibre européen.
L'orientation prise en faveur d'une politique de l'alimentation a été saluée.
C'est un aspect majeur du texte, avec l'étiquetage, pour soutenir le Gouvernement dans les négociations sur la révision du règlement communautaire. Nous avons soutenu la contractualisation, qui renforce les producteurs face aux acheteurs, industriels ou distributeurs. La pratique des remises, rabais et ristournes sera proscrite ; l'Observatoire des distorsions de concurrence est renforcé ; la spéculation sur les terres agricoles sera taxée au profit de l'installation des jeunes agriculteurs. Nous avons approuvé la généralisation de l'assurance contre les aléas climatiques et pris note de la recherche par le gouvernement des conditions de réalisation d'une réassurance publique -envisagée depuis dix ans.
La très grande compétence de M. Revet en matière piscicole doit être relevée, non moins que celle de M. César. Chacun reconnaît la détermination et la compétence du ministre.
Un regret à propos du compte épargne investissement pour la forêt. Vous vous étiez engagé à renforcer les moyens d'investir. La porte n'est pas fermée mais l'avancée n'a pas encore eu lieu.
Ce texte ne règle pas tout ; il apporte toutefois des outils concrets qui seront très utiles ; nous le voterons donc. L'agriculture n'est pas qu'une affaire économique, elle a aussi un socle humain. Nombre d'agriculteurs en difficulté sont malheureux. Qu'ils sachent, à cette heure, que nous pensons à eux. (Applaudissements sur les bancs UMP)
M. Jacques Muller. - Nous voici arrivés au terme de ce qui devait être une grande loi...
M. Bruno Sido. - Elle l'est !
M. Jacques Muller. - ...à la fin de la première décennie du XXIe siècle et à la veille d'une nouvelle PAC. La faim n'a pas disparu dans le monde et nous nous demandons où caser notre surproduction céréalière quitte à participer à une guerre commerciale à outrance, l'agriculture industrielle songeant à en faire des agro-carburants.
M. Dominique Braye. - « Biocarburants » !
M. Jacques Muller. - L'agriculture est le seul secteur économique où l'investissement soit subventionné au détriment du capital humain. On accroît l'importation de gazole pour une agriculture productiviste qui va contre l'environnement. Oui, il était temps que l'on modernise l'agriculture, mais pas pour produire toujours plus au détriment de l'environnement et produire toujours moins cher au détriment des exploitations elles-mêmes.
Dans cette crise structurelle, nous avons un vrai défi à relever, pour retrouver une souveraineté alimentaire basée sur des exploitations plus économes en intrants. C'est le concept moderne d'agriculture intégrée, hélas tabou au Sénat. Nous voulons une agriculture qui introduise concomitamment les services aux citoyens. Une agriculture nouvelle, plus autonome, riche en emplois, qui valorise son milieu au lieu de l'exploiter.
Cette loi botte en touche. La majorité présidentielle ne veut pas entendre parler de souveraineté alimentaire. Elle refuse de s'en prendre à l'agrochimie, de considérer les problèmes d'installation, de solidarité. Vous semblez fier d'avoir fait voter une anticipation de l'abandon de la PAC.
La généralisation des contrats ne peut se substituer à l'ardente obligation de réguler les marchés agricoles. On instaure une très anglo-saxonne assurance contre la chute des prix agricoles. Ne pensez-vous pas que l'institution de marchés à terme pour suivre la fluctuation des prix, sans moyens de contrôle, va les faire encore plus fluctuer, comme les marchés financiers ?
L'Assemblée nationale avait introduit une disposition prévoyant une liste des PMPB autorisés comme le célèbre purin d'ortie. Sa suppression par la CMP revient à imposer la même réglementation que pour les pesticides de synthèse. La compétitivité de nos produits bio sera donc pénalisée alors que nous en importons.
Autre trahison du Grenelle de l'environnement : faciliter la concentration des élevages industriels porcins. Une disposition ahurissante !
Ce texte issu de la CMP consacre à la fois l'abandon de la PAC et le sabordage du Grenelle. Notre courtoisie, monsieur le ministre et messieurs les rapporteurs, n'y changera rien : nous ne pouvons votre texte.
Mme Anne-Marie Escoffier. - Je regrette vivement de n'avoir pu assister à une plus grande part de vos travaux, qui étaient de grande qualité.
Ayant siégé à la CMP quelques jours après la visite du Président de la République dans l'Aubrac, où il a goûté la meilleure viande qui soit...
M. Jean-Paul Emorine. - Et le charolais ?
M. Roland du Luart. - Et la vache sarthoise ?
Mme Anne-Marie Escoffier. - ...je ne pouvais éviter de prendre la parole.
Je regrette que ne soient pas fixées des règles de prix et que les interprofessions ne soient pas plus ouvertes aux organisations minoritaires. Là comme dans les Safer, on se heurte encore au monopole d'un certain syndicat. Comment avoir pu refuser nos amendements sur la représentativité des syndicats ?
En matière d'installation, comment inciter les jeunes à un labeur quotidien très mal rémunéré ? Le texte initial ne comportait aucune mesure en ce sens. Les mesures insuffisantes adoptées par le Sénat ont été réduites... L'impossibilité d'une installation progressive est une occasion manquée.
Trop d'agriculteurs perçoivent une pension de retraite inférieure au minimum vieillesse. Il faut des solutions concrètes, pour susciter des vocations.
« Les paysans sont sans cesse au travail, et c'est un mot qu'ils n'utilisent jamais » a écrit Tchékhov. Ils méritent une attention particulière et l'ont dit au Président de la République ; ils restent inquiets. On peut regretter que l'article 40 soit venu à plusieurs reprises au secours de l'administration, ce qui ne manquera de limiter les effets d'un texte, dans lequel, à titre personnel, je trouve bien des points positifs Je rends hommage à votre clairvoyance, monsieur le ministre, ainsi qu'à votre courtoisie sans faille. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Yannick Botrel. - En première lecture, nous avions évoqué une loi de circonstance, non l'aboutissement d'une réflexion de fond. Il importe bien sûr que les agriculteurs aient aujourd'hui l'impression d'être écoutés, mais ils sont aussi besoin de perspectives.
Il serait certes illusoire de croire que nous pouvons nous abstraire du cadre communautaire ; raison supplémentaire pour affirmer quelques principes qui valent au niveau national comme au niveau européen : équité de traitement des producteurs européens, régulation de la production, garantie d'un revenu décent. En dépit de la crise, il ne semble pas que les choses avancent, au sein d'une Europe qui s'est ralliée au dogme libéral.
Le fil conducteur du texte est la compétitivité. Nos agriculteurs doivent certes pouvoir se comparer avec leurs homologues de l'Union, mais pas dans une course effrénée à la concurrence ; on trouvera toujours un agriculteur qui produira moins cher. Cette mise en concurrence réduit le nombre d'agriculteurs et concentre les productions.
Dans son principe, la contractualisation clarifie les relations entre producteurs, industriels et transformateurs ; mais elle existe déjà et depuis longtemps dans certaines productions, sans avoir sécurisé les agriculteurs. Celle que vous proposez ne garantit pas la prise en compte des prix de production.
Les interprofessions ne seront pas le lieu du pluralisme syndical. Vous avez dit vouloir recevoir la diversité des sensibilités, je vous en donne acte ; mais il ne sera pas mis fin à la curieuse singularité d'une concentration excessive des pouvoirs et des représentations dans la profession agricole. Malgré nos propositions, aucun progrès n'a lieu sur ce sujet.
Faute de moyens suffisants, l'Observatoire des marges et des prix n'aura qu'un rôle limité -on peut même parler de gadget. Souvenez-vous de la crise du lait : les responsabilités n'ont pas été établies. Il aurait fallu prévoir des procédures d'intervention et des dispositifs contraignants ; au lieu de cela, vous pérennisez le déséquilibre des rapports de forces entre une demi-douzaine de centrales d'achats et un nombre important de producteurs et de transformateurs.
Dommage que vous négligiez l'installation des jeunes agriculteurs, qui devrait être votre priorité. Au lieu de réactiver les CDOA, vous laissez l'initiative privée réguler le foncier, à l'inverse de tout ce qui s'est fait ces dernières décennies.
J'en viens à l'amendement qui relevait les seuils d'autorisation pour les installations classées. Certes, les délais administratifs sont excessifs, mais le vrai moyen de remédier au problème aurait consisté à augmenter les moyens de l'administration.
Mme Odette Herviaux. - Tout à fait !
M. Yannick Botrel. - Au lieu de quoi, vous ouvrez la voie à de nouvelles concentrations dans les élevages, à une agriculture productiviste destructrice de nombre d'exploitations.
Quel rôle voulons-nous voir jouer à notre agriculture, à l'agriculture européenne ? Doit-elle seulement produire ou contribuer, grâce à des producteurs reconnus, à un développement équilibré et harmonieux du territoire ? Nous déplorons vos choix, tout en saluant votre connaissance des dossiers.
Au groupe socialiste, le scepticisme et l'insatisfaction l'emportent, malgré le travail des rapporteurs et la qualité du débat. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
La discussion générale est close.
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. - En application de l'article 42-12 du Règlement, le Sénat examinant le texte après l'Assemblée nationale se prononce sur celui-ci par un seul vote.
Je n'ai été saisi d'aucun amendement ni demande de parole sur les articles premier à 26.
A la demande du groupe socialiste et de la commission, les conclusions de la CMP sont mises aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici les résultats du scrutin :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l'adoption | 185 |
Contre | 152 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements sur les bancs UMP)