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Table des matières
Prison du Camp Est (Nouvelle-Calédonie)
Traitement de l'eau de baignade par filtration biologique
Avenir de l'imprimerie des timbres de Boulazac
Tarifs des syndics de copropriété
Reconduction de l'AER (Allocation équivalent retraite)
Avenir des marchés de définition
Promotion des langues régionales et, notamment, de l'occitan
Assiette de la contribution à l'audiovisuel public
Application de la loi de modernisation de la diffusion audiovisuelle
Application de la loi du 11 février 2005
Aide à domicile des personnes âgées
Emballages réutilisables des boissons
Interdiction de la pêche professionnelle au lac de Vouglans
Remplacement de deux sénateurs nommés au Conseil constitutionnel
Remplacement d'une sénatrice décédée
Nomination d'un sénateur en mission
Audition en application de l'article 13
Dépôt du rapport du Médiateur de la République
Organismes extraparlementaires (Appel à candidatures)
Débat sur le désarmement, la non-prolifération nucléaire et la sécurité de la France
Droit à la vie privée à l'heure du numérique
Audition en application de l'article 13
Droit à la vie privée à l'heure du numérique (Suite)
Discussion des articles (Suite)
Débat préalable au Conseil européen
SÉANCE
du mardi 23 mars 2010
79e séance de la session ordinaire 2009-2010
présidence de M. Roland du Luart,vice-président
Secrétaires : M. Alain Dufaut, M. Jean-Noël Guérini.
La séance est ouverte à 9 h 35.
Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.
Questions orales
M. le président. - L'ordre du jour appelle les réponses du Gouvernement à dix-sept questions orales.
Prison du Camp Est (Nouvelle-Calédonie)
M. Simon Loueckhote. - Les récentes évasions de la prison du Camp Est en Nouvelle-Calédonie ont défrayé la chronique et retenu l'attention du Gouvernement : Mme la ministre de la justice a annoncé en janvier d'importants travaux de rénovation et de sécurisation, la construction d'un centre pour peines aménagées et l'affectation de 23 postes de surveillants supplémentaires. Deux mois après ces annonces, ces projets sont-ils près d'aboutir ?
J'insiste sur les aspects sociaux de la situation : il faut adapter la formation du personnel à l'évolution de la population carcérale, mieux accompagner les détenus en prison et sur la voie de la réinsertion. En outre, la loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale a rendu obligatoire l'affiliation des détenus aux branches maladie et maternité du régime général de la sécurité sociale ; les membres de la famille des détenus ont ainsi droit à des prestations en nature, et l'État doit verser une cotisation pour chaque détenu affilié. Mais ces dispositions ne s'appliquent pas à la Nouvelle-Calédonie. Qu'en pense le Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. - Je ne suis pas en mesure de répondre à votre dernière question relative à l'application en Nouvelle-Calédonie des dispositions de la loi de 1994, mais je vous ferai parvenir sous peu ma réponse au nom du garde des sceaux.
J'ai déjà abordé ce problème dans un courrier adressé à Mme la ministre de l'outre-mer le 8 décembre dernier. Nous cherchons à améliorer les conditions de détention : un centre pour peines aménagées d'une capacité de 80 places sera ouvert dès 2012, et un quartier pour mineurs de dix-huit places doit être ouvert à la prison du Camp Est d'ici la fin du premier trimestre, c'est-à-dire incessamment. La capacité totale de l'établissement passera de 192 à 290 places. Les travaux de raccordement au réseau téléphonique seront achevés à la fin du semestre.
Pour faciliter la réinsertion des détenus et dans l'esprit de la dernière loi pénitentiaire, nous favorisons l'aménagement des peines, notamment la semi-liberté, le placement à l'extérieur et, dès le premier trimestre 2010, le placement sous surveillance électronique. 124 aménagements de peine ont déjà été accordés en 2009.
D'importants travaux sont en cours de réalisation dans l'établissement, pour un montant d'environ 1,5 million d'euros : ils sont destinés à rénover les sanitaires, le réseau électrique, les toitures, la salle de classe et le mobilier.
En évoquant les récentes évasions, vous m'avez indirectement interrogé sur la sécurisation du site : nous faisons construire une nouvelle enceinte, et dès les prochaines semaines les travaux d'éclairage du périmètre, d'installation d'équipements de vidéosurveillance, de détection périmétrique et de sécurisation électrique seront achevés. Des nouveaux postes protégés seront créés pour renforcer le contrôle des flux.
Nous étudions aussi la possibilité d'une restructuration lourde, qui permettrait de doubler la capacité de l'établissement : l'Agence publique pour l'immobilier de la justice se prononcera au vu des terrains disponibles. Quant aux moyens humains, vous savez que nous renforçons l'effectif des surveillants et officiers et cherchons à pallier les vacances fonctionnelles.
Mme le garde des sceaux a néanmoins envoyé l'état-major de sécurité en mission auprès de l'établissement en janvier dernier, au moment où le chef de la mission outre-mer était sur place ; il doit bientôt remettre son rapport. Vous voyez, monsieur le sénateur, que le Gouvernement suit ce problème de près.
Programme Galileo
M. Bertrand Auban. - Je souhaite attirer l'attention de Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi sur le programme européen de localisation par satellite Galileo. Le centre devait être implanté à Toulouse, mais trois ans plus tard la Commission européenne a décidé de dessaisir les grands industriels du secteur spatial et de reprendre en main le dossier. Alors que ce programme représente plus de 3,4 milliards d'euros, Astrium, filiale spatiale d'EADS, et Thales Alenia Space, deux entreprises bien implantées à Toulouse, risquent de ne pas obtenir autant de contrats que prévu : début janvier, la Commission européenne a déjà attribué une première tranche de quatorze satellites à une PME allemande au détriment d'Astrium.
Dans une conjoncture où le marché de l'emploi se dégrade et où le tissu industriel français se délite, je demande au Gouvernement d'agir vigoureusement pour que nos entreprises bénéficient du programme Galileo, et de nous indiquer quelle est sa stratégie industrielle dans le domaine spatial.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. - Je vous prie d'excuser l'absence de Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Comme vous le savez, après l'échec des négociations avec le secteur privé, la France a soutenu la Commission européenne dans ses tractations avec le Parlement européen, qui ont abouti au règlement de 2008 plaçant le programme sous le contrôle de la Communauté européenne et prévoyant le financement de sa phase de déploiement par des fonds communautaires.
Cette modification de la gouvernance a été essentielle au redémarrage du programme Galileo avec pour objectif d'offrir des services opérationnels dès 2013. Trois des six lots du programme ont déjà fait l'objet d'un contrat entre la Commission et des industriels, les trois autres devant être conclus cette année. L'implantation des deux centres de sécurité, dont un à Saint-Germain-en-Laye, a été décidée au début de cette année durant laquelle sera également déterminée la localisation du siège de l'autorité européenne de supervision du programme Galileo. L'industrie française a obtenu 16,6 % des financements réservés aux contrats industriels, soit un taux conforme à celui de la participation de la France à l'enveloppe Galileo. Nous devrions maintenir ce taux important, qui a progressé dans la phase de déploiement pour atteindre 22 % des contrats, lors de l'attribution des trois derniers lots. Enfin, ce programme n'est qu'un des aspects de la stratégie spatiale de la France. J'en veux pour preuve sa contribution déterminante lors du conseil ministériel de La Haye, fin novembre 2008, afin de maintenir et développer le programme spatial en dépit de la crise, l'inscription de 500 millions dans le cadre du Grand emprunt consacrés à la nouvelle fusée Ariane 6 et à l'amélioration technologique de nos satellites, dont la maîtrise d'ouvrage sera confiée au Centre national d'études spatiales ; enfin, la bonne position du spatial dans la prochaine période financière de l'Union dans les années 2014-2020 avec l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne qui dote l'Europe d'une compétence partagée en ce domaine. Le soutien constant de la France à la politique spatiale européenne aura, je n'en doute pas, des retombées positives sur l'industrie toulousaine !
M. Bertrand Auban. - Soit, mais le Gouvernement avait promis, par la voix de M. Douste-Blazy, alors maire de Toulouse et ministre des affaires étrangères, que Toulouse serait le siège de la concession Galileo. Je m'interroge sur les vraies raisons du choix final de Saint-Germain-en-Laye, ville peu réputée pour son savoir-faire dans le domaine aéronautique et spatial, qui pourrait amoindrir la crédibilité de la France dans la gestion de ce dossier stratégique.
Traitement de l'eau de baignade par filtration biologique
M. Claude Haut. - De nombreuses collectivités souhaitent développer le traitement de l'eau de baignade par filtration biologique, alternative intéressante au traitement chimique traditionnel. L'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, saisie le 22 décembre 2006 par les ministères de la santé et de l'écologie, a rendu ses conclusions sur les risques sanitaires liés à ce nouveau type de traitement en juillet 2009. Madame la ministre de la santé, quelles dispositions techniques allez-vous prendre sur ce dossier et dans quels délais ? En attendant, la communauté de communes du Pays d'Apt dans le Vaucluse ne pourrait-elle pas obtenir une dérogation à titre expérimental ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. - Le traitement par filtration biologique, s'il a fait l'objet d'expérimentations, n'est régi par aucune règle sanitaire en France. Néanmoins, ces baignades artificielles sont soumises à déclaration auprès de la mairie et la personne qui en est responsable tenue de surveiller la qualité de l'eau et d'en informer le public.
Mes services ont étudié avec attention le dossier de la communauté de communes du pays d'Apt. Compte tenu des conclusions pour le moins réservées de l'Afsset de juillet 2009 sur le traitement par filtration biologique, il n'est pas prévu d'intégrer à la réglementation française une procédure d'autorisation à titre expérimental. En revanche, je prendrai des mesures réglementaires cette année, après concertation avec les professionnels concernés. Pour élaborer leur projet, les collectivités peuvent déjà se référer aux recommandations techniques figurant dans le rapport de l'Afsset. Soyez assuré, monsieur le sénateur, de l'attention que je porte à ce dossier.
M. Claude Haut. - Madame la ministre, me voilà rassuré : les dispositions techniques seront publiées cette année. Mais le plus tôt...
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. - ...sera le mieux !
Avenir de l'imprimerie des timbres de Boulazac
M. Bernard Cazeau. - L'imprimerie des timbres de Boulazac en Dordogne maîtrise sur un même site, fait unique en Europe, des technologies d'impression des plus rares, comme la taille-douce, jusqu'aux plus modernes, telles que l'offset, l'héliogravure, le numérique. Certifiée Iso depuis 1995, l'usine est également dotée d'un système de protection anti-intrusion et d'une organisation de surveillance pointue. La Poste dispose d'une unité moderne qui, pour s'adapter à la baisse sensible et régulière de la consommation de timbres, a versé un tribut particulièrement lourd en matière d'emplois : ses effectifs ont été divisés par deux depuis les années 90. Or, à l'occasion d'un projet de réorganisation interne, les salariés ont été informés d'une réduction de 20 % des effectifs dans un proche avenir, l'équivalent de 100 suppressions d'emplois, alors que l'activité est soutenue et rentable et que le recours à la sous-traitance s'accroît. Pourquoi des perspectives aussi brutales ? En raison du changement de statut de La Poste ? Les salariés ont besoin d'y voir clair. Quelles sont les intentions en matière d'emploi sur le site de Boulazac et le projet industriel de la Poste ?
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. - Au nom du Gouvernement, je confirme que phil@poste Boulazac est un pôle d'excellence reconnu au-delà de nos frontières. Elle fabrique 2,5 milliards de timbres Marianne, 600 millions de timbres de collection et 3 millions de timbres « collector » ou personnalisés pour un chiffre d'affaires global de 450 millions en 2009. Le plan d'économies, qui suscite l'inquiétude du personnel, ne concerne en aucune façon les services de phil@poste implantés à Boulazac. Au contraire, La Poste prévoit un plan de modernisation de l'imprimerie pour, entre autres, augmenter la part des timbres personnalisés afin de répondre à la demande des clients. La stratégie de phil@poste, présentée aux équipes de l'imprimerie le 12 novembre 2009 par sa directrice, comporte un volet industriel qui a pour objectif de hisser l'établissement de Boulazac aux niveaux de sécurité les plus performants sur le marché mondial. Le nouveau directeur de l'imprimerie, nommé en janvier 2010 sur ce projet industriel, poursuit l'objectif de consolider cet outil industriel en associant les cadres et personnels de phil@poste à la réflexion.
Confiante dans l'avenir de ce projet qui contribuera, monsieur le sénateur, au développement industriel de la Dordogne, sa directrice a plusieurs fois rencontré les organisations professionnelles. Avec le management local, elle s'est rapprochée du délégué régional, qui est l'interlocuteur privilégié des élus concernés. L'ensemble de ces personnes, monsieur le sénateur, sont à votre disposition.
M. Bernard Cazeau. - Madame la ministre, je ne partage pas votre optimisme. Puissent les prochaines mesures ne pas toucher l'imprimerie extraordinairement compétente qui est celle du timbre.
Il serait regrettable que la philatélie de notre pays cesse de rayonner dans le monde. Nous resterons vigilants.
Tarifs des syndics de copropriété
Mme Patricia Schillinger. - La copropriété, qui couvre 8 millions de logements, concerne 21 millions de personnes dont 40 % de ménages modestes. Or, les charges de copropriété pèsent de plus en plus lourd du fait des pratiques souvent opaques et abusives des syndics, fustigées dans un avis du Conseil national de la consommation qui préconisait un encadrement de la profession par arrêté ministériel, après évaluation du respect de cet avis par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Début 2009, selon l'administration, 92 % des syndics en respectaient les termes, mais des enquêtes concurrentes faisaient apparaître que ce taux s'établit en réalité à 60 %. Une nouvelle étude lancée il y a quelques mois par l'Association des responsables de copropriété relevait un taux de non-conformité de 50 à 67 %, très éloigné des 8 % retenus par la DGCCRF.
L'arrêté tant attendu n'est toujours pas pris. J'ai su, madame la ministre, qu'une réunion avait eu lieu en février pour adopter un projet ne recueillant pas l'assentiment des associations de consommateurs et de copropriétaires puisqu'il ne règle pas la question de la surfacturation, dénoncée depuis des années, y compris par les médias. Le problème n'est donc pas résolu. Où en est-on, madame la ministre, sur le projet d'arrêté ?
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. - L'arrêté que vous attendez a été signé ce vendredi par M. Novelli. Le Conseil national de la consommation proposait une liste de 44 prestations, préconisait de rendre les contrats plus lisibles et de faciliter les comparaisons. L'enquête de la DGCCRF, diligentée à la demande du ministre, concluait à une application satisfaisante de l'avis, relevant cependant que des marges d'interprétation persistaient sur certaines rubriques. M. Novelli a donc annoncé, aux assises du 26 octobre, que la liste des prestations couvertes par le forfait serait fixée par arrêté. Le texte qu'il a signé vendredi reprend la liste des prestations de gestion courante recommandée par l'avis du Conseil de la consommation en y portant des précisions destinées à éviter les interprétations divergentes. Il a recueilli l'approbation des deux rapporteurs du Conseil et suit les recommandations écrites des associations de consommateurs et des organisations professionnelles : il s'agissait de rétablir la confiance sans pénaliser les syndics vertueux. Tous les contrats signés après le 1er juillet 2010 devront se conformer à cet arrêté. M. Novelli a en outre saisi la Commission des clauses abusives pour faire toute la lumière sur les contrats et l'articulation entre prestations de gestion courante et prestations particulières.
Mme Patricia Schillinger. - Je vous remercie de ces informations dont j'espère qu'elles apporteront la transparence au consommateur.
Reconduction de l'AER (Allocation équivalent retraite)
M. Martial Bourquin. - Depuis plus d'un an et demi, nous alertons le Gouvernement sur les conséquences dramatiques de la suppression, en 2008, de l'AER. Certes, le Gouvernement a rétabli, sous la pression, cette allocation pour l'année 2009, mais dans des conditions d'incertitude très pénibles pour les allocataires, menacés de perdre jusqu'à 600 euros de ressources par mois. Le sort des familles de 45 000 bénéficiaires est donc suspendu à la question des conditions de mise en oeuvre, tandis que les agents de Pôle emploi, surchargés, doivent monter des dossiers en urgence sans rien savoir des conditions d'obtention ni si le rétablissement sera rétroactif.
Pouvez-vous, madame la ministre, tranquilliser ces familles, menacées, depuis un an et demi, par l'épée de Damoclès que brandit le Gouvernement, et rassurer les agents de Pôle emploi sur la publication du décret de prolongation ? Les conditions seront-elles les mêmes qu'en 2009 ? Le même nombre de trimestres, les mêmes conditions de ressources seront-ils requis ? La prolongation ira-t-elle jusque fin 2011 ? Une enquête est-elle en cours sur les conditions de validation des plans de départ dits « volontaires » des salariés concernés, qui pensaient pouvoir bénéficier de l'AER ?
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. - Conformément au souhait émis dans le cadre de la Conférence sur l'agenda social, le Président de la République a en effet annoncé la prorogation, pour 2010, de l'AER, afin de tenir compte de l'impact de la crise et d'apporter une réponse aux salariés en fin de droits. Un arrêté est en cours de signature. De nouvelles ouvertures de demandes seront possibles, avant le 31 décembre, pour les salariés en fin de droits de moins de 60 ans dont les ressources seront inférieures à un plafond déterminé et qui justifient d'au moins 161 trimestres de cotisation.
M. Wauquier a demandé au directeur général de Pôle emploi de prendre toutes mesures pour que les dossiers soient rapidement traités. Sur l'emploi des seniors, qui ne doivent plus servir de variable d'ajustement des politiques de l'emploi, le Gouvernement est déterminé. Pour assurer leur maintien dans l'emploi, il a prévu, dans toutes les branches, pour les entreprises de plus de 300 salariés, que des accords devront être négociés.
M. Martial Bourquin. - Ceux qui ont travaillé toute une vie et qui, victimes de plans sociaux qui ne disent pas leur nom, ne méritent pas que l'on supprime leur allocation, au mépris des engagements écrits qui leur avaient été donnés. La disparition de l'AER ne se justifierait que si un plan était mis en place pour les seniors : le Gouvernement a mis la charrue avant les boeufs. Ce décret est attendu depuis trop longtemps par 45 000 personnes qui vivent dans la plus grande précarité.
Avenir des marchés de définition
M. Claude Bérit-Débat (en remplacement de M. Daniel Raoul) - Quel avenir l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 10 décembre 2010 réserve-t-il aux marchés de définition ? Notre code des marchés publics prévoit, dans le cas où un projet ne peut faire l'objet d'un programme précis déterminé à l'avance, une procédure permettant d'explorer les possibilités et conditions d'établissement d'un marché ultérieur.
Pour ce faire, l'article 73 dispose que « dans le cadre d'une procédure unique, les prestations d'exécution faisant l'objet de plusieurs marchés de définition ayant un même objet et exécutés simultanément, sont attribuées après remise en concurrence des seuls titulaires des marchés de définition ».
Cette procédure permet un travail simultané sur le programme et sa formalisation urbaine ou architecturale, un dialogue soutenu entre maître d'ouvrage et maîtres d'oeuvre et une appropriation collective du projet. Ce dispositif est particulièrement utile en urbanisme, car il permet d'aborder le fait urbain dans sa complexité.
Or, cette procédure vient d'être condamnée par un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 10 décembre 2009 car « ces dispositions prévoient une procédure de marché de définition qui permet à un pouvoir adjudicateur d'attribuer un marché d'exécution à l'un des titulaires des marchés de définition initiaux avec mise en concurrence limitée à ces titulaires. La République française a donc manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 28 de la directive 2004/18/CE ». Seule la limitation du marché d'exécution ultérieur aux seuls titulaires du marché d'études antérieur est condamnée. En revanche, le fait de conduire plusieurs études sur le même objet afin d'approfondir le programme urbain n'est pas dénoncé. De nombreuses études sont aujourd'hui lancées, mobilisant des moyens importants. Or, nous ne savons pas aujourd'hui quelles seront les conséquences de l'arrêt de la Cour de justice sur les procédures en cours.
Comment les dispositifs engagés et ceux d'exécution ultérieurs pourront-ils être conduits à leur terme ? En ce qui concerne les marchés d'exécution ultérieurs, les procédures engagées prévoyaient la réalisation de la deuxième phase. Leur interdiction aurait des répercussions économiques sur les candidats.
Est-il prévu des « passerelles » légales pour ne pas interrompre les procédures en cours ? Enfin, comment le Gouvernement envisage-t-il de remplacer les « marchés de définition » ?
Mon collègue Daniel Raoul vient d'arriver : il pourra ainsi répondre à la Mme la ministre.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur. - Je me fais l'interprète de Mme Lagarde.
Comme vous l'avez dit, la Cour de justice de l'Union européenne a condamné la procédure des marchés de définition qui était organisée en deux temps : aux marchés de définition succédaient des marchés d'exécution. Afin de mettre le code des marchés publics en conformité avec la décision de la Cour et de se conformer aux obligations communautaires, cette procédure particulière sera abrogée prochainement.
Les conséquences de cette décision doivent être tirées sur les contrats passés actuellement. Les marchés de définition et d'exécution attribués avant l'arrêt de la Cour ne sont pas remis en cause si leur exécution est achevée. Si le marché de définition est achevé mais que le marché d'exécution n'a pas encore commencé, une mise en concurrence élargie à d'autres soumissionnaires que les titulaires des marchés de définition initiaux doit être organisée. L'équilibre économique de la procédure ne sera pas bouleversé, si les clauses du marché de définition ont prévu le transfert de la propriété intellectuelle de la « définition » du projet à l'acheteur public.
Si le marché de définition ou le marché d'exécution est en cours, la nécessaire stabilité des relations contractuelles et le principe de loyauté que se doivent les parties à un contrat administratif leur interdisent de se prévaloir de la décision de la Cour de justice pour tenter d'obtenir la nullité du contrat. Les personnes publiques sont néanmoins tenues, pour se conformer à la décision de la Cour de justice, de procéder à la résiliation des marchés d'exécution en cours. A défaut, la France serait condamnée une nouvelle fois par la Cour, comme cela a été le cas pour d'autres pays.
Le Gouvernement est toutefois conscient des difficultés pratiques qui risquent de survenir, surtout si le marché est en voie d'achèvement. Afin d'y remédier, au cas par cas, Mme Lagarde invite les acheteurs publics à saisir la direction des affaires juridiques de Bercy. Si, depuis l'arrêt de la Cour, les acheteurs publics ne peuvent plus avoir recours à l'article 73 du code des marchés publics, d'autres procédures sont utilisables. Ils peuvent ainsi conclure plusieurs marchés d'étude, puis lancer une seconde procédure permettant l'attribution d'un marché ultérieur, conformément aux règles de droit commun prévues par le code.
Le Gouvernement réfléchit à une éventuelle adaptation des instruments juridiques existants, afin de remplacer la procédure des marchés de définition désormais interdite.
M. Daniel Raoul. - Ce problème aurait dû être résolu depuis longtemps, car la condamnation de décembre 2009 ne fait qu'entériner un rappel à l'ordre antérieur.
Les collectivités qui ont engagé des concours de marchés de définition vont être confrontées à une réelle insécurité juridique. Dès lors qu'un lauréat du marché de définition pourrait se trouver exclu du marché d'exécution, des difficultés surgiront. Je ne suis pas sûr que l'appel aux services juridiques de Bercy permettra de régler tous les problèmes. Vous ne parlez que de simplification : la procédure que vous proposez s'en éloigne singulièrement. Ainsi en sera-t-il à Angers avec l'appropriation des berges de la Maine : les collectivités sont incapables de définir un programme dans un appel d'offres classique. De même, pour le Grand Paris, plusieurs cabinets d'architectes pourraient éclairer le maître d'ouvrage.
Bref, les collectivités se trouvent dans une insécurité juridique profondément inconfortable.
Promotion des langues régionales et, notamment, de l'occitan
M. Claude Bérit-Débat. - (L'orateur commence son intervention en occitan avant de poursuivre en français)
Depuis 2008, la Constitution reconnaît les langues régionales comme parties intégrantes du patrimoine de la France. Malgré cela, nous attendons toujours le projet de loi pérennisant leur pratique, promis par le Président de la République. En vain, semble-t-il, si l'on se réfère aux réponses fournies jusqu'ici.
Pourtant, la vitalité des langues régionales ne se dément pas. Une enquête sociolinguistique réalisée fin 2008, démontre par exemple que 250 000 Aquitains et un Périgourdin sur six parlent occitan. Et 80 % souhaitent son renforcement par l'école. Malgré cela, l'État rechigne à mettre en place les solutions adaptées pour pérenniser cet engouement incontestable. Aujourd'hui 500 élèves occitanistes sont répartis dans trois collèges et lycées périgourdins. Leurs effectifs croissants nécessiteraient une plus grande ouverture de postes d'occitan au Capes. Hélas, les heures de cours, et donc les postes d'enseignants, manquent pour répondre à cette demande.
Par ailleurs, les cahiers des charges des radios et chaînes audiovisuelles publiques devraient comprendre la diffusion mais aussi la production d'émissions en langues régionales. Le magazine occitan « Punt de Vista », diffusé sur France 3-Aquitaine, n'a vu le jour que parce qu'il est financé par le Conseil régional. Loin d'être anachroniques, les langues régionales sont un facteur d'insertion professionnelle et de cohésion sociale. En Dordogne, une formation assure l'apprentissage de l'occitan aux professionnels de l'accompagnement à domicile ou en établissement pour personnes âgées. Pour celles-ci, le fait de communiquer dans leur langue maternelle permet de maintenir leur capacité cognitive et retarde les maladies de type Alzheimer. La culture vient ici au service de la santé...
Monsieur le ministre, comment comptez-vous tenir les promesses présidentielles en faveur des langues régionales ? Comment souhaitez-vous pérenniser l'occitan, le provençal, le basque, le breton, bref, l'ensemble des langues régionales, c'est-à-dire, en fait, la culture française, qui comme la Nation, si elle est unique, n'est pas pour autant uniforme ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. - Le projet de loi relatif aux langues régionales, que le Gouvernement avait envisagé de déposer en mai 2008, était conçu comme un élément au sein d'un dispositif global de développement des langues régionales en France. Il visait principalement à donner une forme institutionnelle au patrimoine linguistique de la Nation et, en second lieu, à rassembler dans un même texte des dispositions existantes, mais que leur dispersion rend parfois difficilement accessibles à nos concitoyens.
Notre loi fondamentale ayant été modifiée en juillet 2008, le premier objectif a été pleinement atteint, puisque le titre XII de la Constitution, consacré aux collectivités territoriales, comporte désormais un article stipulant que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Et la Constitution a une portée supérieure à tout autre texte législatif national.
Par ailleurs, on peut développer les langues régionales sans nécessairement légiférer parce que l'appareil législatif et règlementaire actuel offre des possibilités qui ne sont pas toujours exploitées : de la signalisation routière à la publication des actes officiels des collectivités territoriales, il y a maintes occasions de manifester un bilinguisme français-langue régionale. De nombreuses marges de manoeuvre existent, qui pourront être utilisées si les collectivités locales, aux côtés de l'État, font valoir pleinement leur compétence en la matière, comme les y invite le titre Xll de la Constitution.
L'État, de son côté, consent déjà un effort important en faveur des langues régionales. Je pense à l'éducation nationale et au ministère de la culture et de la communication, qui soutient les initiatives contribuant à renforcer la création en langues régionales dans notre pays.
Pour ce qui concerne la langue et la culture occitanes en particulier, mon ministère apporte notamment son soutien financier aux productions cinématographiques et audiovisuelles occitanes, à la création théâtrale -au théâtre de la Rampe de Montpellier et au centre dramatique occitan de Toulon-, ainsi qu'à la publication et à la traduction d'oeuvres littéraires représentatives. II encourage les actions interrégionales, qu'il s'agisse de l'Estivade de Rodez ou du travail de l'Institut d'études occitanes pour la promotion et la socialisation de la langue. Plusieurs programmes font l'objet d'une coopération avec les conseils régionaux et autres collectivités publiques, dont bénéficie par exemple le Centre interrégional de développement de l'occitan, à Béziers. Sont privilégiées les initiatives qui diffusent la création occitane moderne et qui confortent sa place dans le paysage culturel de notre pays.
M. Claude Bérit-Débat. - Les efforts de l'État sont insuffisants. Vous dites qu'il n'y a pas besoin de légiférer, à chaque interpellation du Gouvernement à ce sujet vous opposez le même état des lieux et vous invoquez les autres moyens de diffuser les langues régionales. La signalétique, je l'ai utilisée depuis longtemps...
Je demande au Gouvernement de dégager davantage de moyens pour l'apprentissage de la langue. La demande des jeunes est très forte, qui souhaitent se réapproprier ainsi une part de leur histoire. Il n'y a pas assez d'enseignants, de postes au Capes, d'heures supplémentaires. L'effort des régions est sans commune mesure avec celui de l'État : le conseil régional d'Aquitaine a ainsi consacré un million d'euros à la promotion de l'occitan contre 10 à 20 000 pour l'État. Quant à votre ministère, il devrait porter l'effort sur les médias audiovisuels. Je plaide là pour l'occitan mais aussi bien pour le basque, le breton ou le provençal qui font la richesse culturelle de la Nation sans pour autant porter atteinte à son unité.
Assiette de la contribution à l'audiovisuel public
M. Hervé Maurey. - La loi de mars 2009 a profondément modifié le financement de l'audiovisuel public, en créant une taxe de 0,9 % sur les opérateurs de communications électroniques, une autre sur les recettes publicitaires des chaînes -contestée par Bruxelles-, et en augmentant de 2 euros, à la quasi-unanimité du Sénat, la redevance, rebaptisée « contribution à l'audiovisuel public. A cette occasion, plusieurs propositions avaient été faites, par voie d'amendements, tendant à augmenter le produit de cette contribution sans en augmenter le montant. On proposait par exemple qu'elle s'applique, dans la limite d'une fois et demie par foyer fiscal, aux contribuables possédant une télévision supplémentaire dans leur résidence secondaire, ce qui aurait rapporté 116 millions. Il avait aussi été proposé que la contribution s'applique aux appareils pouvant diffuser les programmes audiovisuels, par exemple aux ordinateurs, sous réserve que leur propriétaire ne la paye pas déjà pour un téléviseur.
Nos avions retiré ces amendements car le Premier ministre avait pris l'engagement de créer un groupe de travail chargé de réfléchir à la modernisation de la redevance. Or, ce groupe n'a pas encore été créé. Pourquoi ? Sera-t-il créé et quand ? Où en est la réflexion du Gouvernement sur le financement de l'audiovisuel public ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. - La volonté du Sénat de garantir un financement pérenne de l'audiovisuel public est légitime et je m'y associe pleinement. Je prête donc une grande attention aux déterminants de ses recettes : assiette de la contribution, montant, champ des bénéficiaires.
Le débat ouvert en 2008 ne se pose plus dans les mêmes termes aujourd'hui, puisque des changements ont lieu, à l'initiative, d'ailleurs, du Parlement : la contribution a été rehaussée, par son indexation sur l'inflation par la loi de finances rectificative pour 2008.
Elle a en outre été portée en 2010 à 120 euros par la loi du 5 mars 2009. Le passage au tout numérique fait enfin l'objet d'un financement distinct. Le projet de loi de finances pour 2010 a été élaboré en cohérence avec ces diverses dispositions ; les rapporteurs du texte ont d'ailleurs salué le niveau élevé du financement des médias.
Le Gouvernement s'est donné le temps de la réflexion sur un éventuel élargissement de la contribution aux nouveaux modes de réception de la télévision. Le rapport en cours de transmission au Parlement, qui conclut qu'il n'y a pas lieu de modifier le dispositif actuel, nourrira la réflexion en liaison avec les parlementaires. Soucieux d'une bonne application de la loi, le Gouvernement entend mettre en place un comité de suivi, dont les modalités de fonctionnement seront définies par décret. Celui-ci sera publié à l'issue des échanges en cours avec la Commission européenne sur le financement de France Télévisions.
M. Hervé Maurey. - Je vous remercie d'avoir rappelé l'attachement de notre assemblée à un financement pérenne de l'audiovisuel public. C'est contre l'avis de beaucoup que la redevance a pu être réévaluée à l'initiative de Mme Morin-Desailly. J'apprends ce matin que le groupe de travail ne sera pas créé, contrairement aux engagements pris, qu'un rapport est en cours de transmission et qu'un décret est en préparation. Plusieurs questions restent pendantes. On ne sait encore le sort qui sera réservé par Bruxelles à la taxe de 0,9 % sur les opérateurs de télécommunication ; et la suppression de la publicité avant 20 heures semble remise en question par certains. Nous aurons l'occasion d'en débattre en mai à l'initiative de notre groupe.
Application de la loi de modernisation de la diffusion audiovisuelle
M. Thierry Foucaud. - Je souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur les difficultés rencontrées dans ma région de Haute-Normandie pour le passage au tout numérique de la réception des programmes de télévision. La loi de modernisation de la diffusion audiovisuelle fixe comme objectif la couverture de 95 % de la population métropolitaine. Or 1 874 des 3 500 émetteurs français ne sont pas encore numérisés ; 39 communes de ma région, en tout ou en partie, ne peuvent pas recevoir la TNT. L'État recommande aux municipalités d'investir à hauteur de 100 000 euros par émetteur supplémentaire -plus les frais de fonctionnement évalués à 50 000 euros par an. Ce qui ne peut être envisagé au regard des difficultés financières qu'elles connaissent.
Un fonds d'aide a été mis en place pour l'équipement des foyers exonérés de redevance ; mais beaucoup de nos concitoyens assujettis à celle-ci, qui ne sont pas pour autant des nantis, doivent eux aussi s'équiper en décodeurs ou souscrire un abonnement à internet. Peut-on enfin envisager de voir nos falaises ou nos colombages, qui ont inspiré tant d'artistes, hérissés de paraboles à l'esthétique pour le moins discutable ? Le remplacement des émetteurs non numérisés doit être envisagé. Comment le Gouvernement entend-il assurer l'égalité de tous les citoyens ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique. - Certains de vos propos ne reflètent pas la réalité. Le basculement au tout numérique a lieu région par région ; après l'Alsace et la Basse-Normandie, ce sera le tour des Pays-de-Loire, de la Bretagne et de la Lorraine. Le Gouvernement s'est engagé à ce que tous les Français aient accès au numérique. A la demande du CSA, le critère de 95 % de couverture nationale a été complété : 91 % de la population de chacun des départements devront désormais être couverts. L'État investit 333 millions d'euros pour accompagner le passage au tout numérique : information, assistance technique, mais aussi fonds d'aide à l'équipement des foyers exonérés de redevance. Sur ma proposition, le Premier ministre a décidé qu'un fonds « paraboles » serait accessible à tous nos concitoyens, sans conditions de ressources.
Non, nous ne recommandons pas aux communes de numériser leurs émetteurs qui ne le sont pas, car ce n'est pas rentable.
Oui, le fonds d'aide pour les paraboles s'adresse à tous les Français, sans condition de ressources, dès lors qu'ils ne reçoivent pas la télévision numérique par leur antenne râteau.
Non, les paraboles ne sont pas une catastrophe pour l'environnement, car les récepteurs n'ont plus nécessairement la forme de parabole, ils peuvent se loger dans des cônes verts, qu'on place dans son jardin, ou encore dans des plaques de format A5, qui trouvent une place discrète dans un toit de tuiles ou d'ardoise.
Si une collectivité veut cependant numériser son émetteur, l'État l'accompagnera en contribuant à proportion du nombre de foyers qui auraient bénéficié d'une aide à l'équipement en parabole. Nous essayons de limiter cette option, c'est le sens de notre demande au CSA de porter au plus haut la limite de puissance des émetteurs, afin qu'ils couvrent le plus possible de territoire.
M. Thierry Foucaud. - Mme la ministre persiste, ce qui ne m'étonne guère. Vous parlez des nouvelles paraboles, sans préciser leur coût. Vous allez compenser l'équipement en paraboles, sans dire que cette option est très coûteuse. A titre d'exemple, à Grand-Couronnes, dans la périphérie de Rouen, 800 foyers sur 3 000 ne sont pas couverts par la TNT : il faudra 200 000 euros de compensation, quand la numérisation de l'émetteur local coûterait 100 000 euros; c'est du gaspillage ! Mieux vaudrait investir dans les relais locaux, plutôt qu'utiliser des aides qui gaspillent de l'argent public : c'est le bon sens même ! Je m'inquiète d'autant plus quand je vous entends dire que d'un objectif national de 95 % de population couverte, on est passé à 91 % à l'échelle départementale.
Prix du lait
M. Claude Biwer. - Les producteurs de lait sont inquiets. L'accord signé entre une organisation de producteurs et des transformateurs a fixé à 285 euros le prix de la tonne de lait au premier trimestre 2010. Ce prix correspond à celui pratiqué au second semestre 2009, sans régler aucune des difficultés des 90 000 producteurs de lait, car le véritable prix payé aux producteurs est plus proche de 245 euros la tonne.
Cet accord sur le prix du lait ne satisfait personne. Les producteurs de lait l'ont fait savoir lors de l'inauguration du Salon de l'agriculture, et peut-être aux élections régionales : à 24 ou 28 centimes du litre, le prix du lait ne compense pas leurs coûts d'exploitation, d'autant que leurs revenus ont baissé de 54 % en 2009.
Il ne satisfait pas davantage les transformateurs, industriels et coopératives, qui disent ne pas pouvoir payer plus cher le litre de lait sans compromettre la compétitivité de leurs entreprises.
Quant aux consommateurs, ils constatent tous les jours qu'ils doivent payer le prix du litre de lait, en moyenne, entre 0,90 centimes d'euros et 1,15 euro, quatre fois plus cher que le prix payé au producteur ! Ils constatent également que le prix des produits transformés, beurre, yaourts et fromages n'a pas baissé malgré la chute spectaculaire des prix à la production au premier semestre 2009. Et ils mettent en cause, sans doute à juste titre, la grande distribution qui ne répercute que très insuffisamment la baisse des prix, ce qu'un rapport de M. Besson a confirmé.
Quant aux grandes surfaces, elles accusent les transformateurs d'avoir profité de la baisse des prix du lait à la production pour reconstituer leurs marges.
On ne sait pas qui dit vrai, mais ce qui est certain, c'est qu'aux deux bouts de la chaîne, les producteurs et les consommateurs sont perdants !
Monsieur le ministre quelles mesures comptez-vous prendre à l'échelle nationale et communautaire, notamment en direction des industriels et de la grande distribution, pour que le lait soit payé à son juste prix aux producteurs ?
M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche. - Vous avez raison : le prix du lait a baissé de 20 % l'an passé, pour s'établir en moyenne entre 262 et 280 euros la tonne. Ma première préoccupation a été d'intervenir pour augmenter ce prix, de telle sorte qu'il couvre les coûts de revient. Après une âpre bataille diplomatique, nous avons obtenu que la commission européenne intervienne à hauteur de 300 millions sur le marché du lait : c'est parce que la France a exigé ce déblocage de fonds européens, que le prix est repassé entre 285 et 290 euros la tonne au premier trimestre de cette année.
A plus long terme, je veux garantir un revenu stable et décent aux producteurs, en ne les laissant pas seuls face à la volatilité des prix sur les marchés.
La loi de modernisation agricole, que vous examinerez à compter du 17 mai, créera dans ce sens des contrats entre les producteurs et les industriels, afin que ces derniers s'engagent sur l'achat de quantités et à des prix minimas fixés sur cinq ans. Nous donnerons ensuite plus de pouvoir à l'Observatoire des prix et des marges agricoles, afin que les prix soient déterminés en toute transparence.
Il faut, enfin, plus de régulation européenne : l'Union européenne doit pouvoir intervenir plus vite en cas de baisse des prix, ce sera un filet de sécurité.
M. Claude Biwer. - Je connais vos efforts pour la profession, monsieur le ministre, mais les choses n'avancent pas assez vite et ce qui est très inquiétant, c'est que lorsque les agriculteurs n'investissent plus dans le monde rural, les difficultés deviennent très graves pour les territoires dans leur ensemble. Nous serons à vos côtés pour la loi de modernisation agricole, en espérant qu'elle apportera des solutions efficaces !
Travail dominical
M. Alain Fouché. - La loi « Maillé » du 10 août 2009 a rendu obligatoire la compensation financière du travail dominical pour les salariés de commerces de détail travaillant dans des périmètres d'usage de consommation exceptionnelle (Puce), tout en laissant cette compensation facultative pour le travail dominical autorisé dans les communes dites d'intérêt touristique ou d'affluence exceptionnelle. La loi a également repoussé à 13 heures, au lieu de midi, l'heure de fermeture dominicale des commerces alimentaires de grande et moyenne surface, ceci sans aucune compensation et sur tout le territoire. Quant aux commerces de détail non alimentaires ouverts cinq dimanches par an, hors zones particulières, les salariés bénéficient d'une majoration de salaire égale au trentième de leur rémunération habituelle.
Les disparités sont donc fortes, selon les types de commerces et les zones d'implantation. Madame le ministre, la grande distribution a pris des engagements, que sont-ils devenus ? Comment les salariés peuvent-ils être garantis que ces engagements seront suivis d'effets ? Enfin, combien d'emplois ont-ils été créés grâce à cette loi ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés. - Les commerces de détail alimentaire, au nombre desquels peuvent figurer certaines grandes surfaces à dominante alimentaire, n'ont pas vu leur régime dérogatoire modifié par la loi, hormis la possibilité de prolonger l'ouverture dominicale jusqu'à 13 heures au lieu de midi.
Bénéficiant d'une dérogation de plein droit jusqu'à 13 heures, ces établissements appliquent la convention collective nationale du 12 juillet 2001, qui accorde une compensation égale à 100 % du salaire horaire pour chaque heure travaillée le dimanche de façon occasionnelle, la majoration tombant à 20 % en cas de travail dominical habituel. Lorsque l'ouverture dominicale est étendue à l'ensemble de la journée dans le cadre d'un arrêté municipal, compensations légales et conventionnelles se cumulent.
Ainsi, la loi d'équilibre du 10 août 2009 a enfin apporté un cadre juridique sécurisé aux entreprises concernées et à leurs salariés, mais sans revenir sur le principe fondamental du repos dominical.
Je vous rappelle qu'un comité comportant trois parlementaires de la majorité et trois de l'opposition présentera un rapport sur l'application de cette loi, un an après sa promulgation. Une évaluation des effets économiques pourra être présentée dans ce cadre.
M. Alain Fouché. - Je vous remercie pour ces précisions, tout en souhaitant que le Gouvernement soit attentif au versement de toutes les compensations.
Dommage que nous n'ayons aucune idée quant au nombre d'emplois créés à ce jour. J'attendrai le rapport...
Protection de l'enfance
Mme Anne-Marie Escoffier. - La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance aurait dû faire l'objet d'un décret d'application au titre de l'article 27, qui a institué un fonds national de financement de la protection de l'enfance.
Plus de trois ans après la promulgation de la loi, le décret n'a toujours pas été publié, ce qui provoque des difficultés majeures pour les départements, compétents en matière d'aide sociale à l'enfance. Comment expliquer pareil retard, alors que le Premier ministre avait estimé dans une circulaire du 27 février 2008 que l'application rapide de la loi était un impératif démocratique ?
Que compte faire le Gouvernement pour réparer cette carence qui fragilise les budgets départementaux, chargés d'assurer la protection de l'enfance dans le respect de la Convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par la France en 1990 ?
On ne peut se satisfaire de la réponse entendue le 23 juin 2009 par une collègue, à savoir que ce fonds brouillerait les financements existants !
Je vous remercie des informations que vous pourrez nous communiquer, complétées par l'engagement à trouver une solution dans les meilleurs délais.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés. - La loi du 5 mars 2007 a fait l'objet d'un consensus unanime de la Haute assemblée, dont la très grande vigilance sur l'application du texte a été comprise par le Gouvernement. Au demeurant, nous sommes animés des mêmes intentions quant à l'enfance en danger.
Où en est l'application de la loi ?
Le décret du 30 juillet 2008 concerne la formation des cadres territoriaux.
Mme Morano a signé le 19 décembre 2008 le décret organisant la transmission des informations préoccupantes recueillies par les cellules départementales aux observatoires départementaux de la protection de l'enfance et l'Observatoire national de l'enfance en danger. Concrètement, 91 cellules départementales de recueil d'informations préoccupantes ont été installées ; 74 protocoles départementaux sont finalisés, dont 58 ont été signés ; enfin, 33 observatoires départementaux de protection de l'enfance ont été mis en place et 58 sont en cours d'élaboration. Il faut encore améliorer ce dispositif d'information, mais pouvons déjà mieux cibler nos actions.
Le décret organisant la nouvelle procédure de mesures judiciaires d'aide à la gestion du budget familial est paru le 30 décembre 2008. Il était très attendu par les juges des enfants et par les services sociaux.
Le décret relatif à la formation des professionnels travaillant dans le domaine de la protection de l'enfance a été publié le 23 juin 2009.
Il reste aujourd'hui deux décrets à signer : celui relatif à la médecine scolaire organisant les quatre visites médicales gratuites entre la sixième et la quinzième année des enfants, qui fait l'objet d'une enquête de l'Igas, et celui relatif au fonds national de financement de la protection de l'enfance.
Des difficultés juridiques expliquent le retard pris dans la rédaction de ce dernier décret, dont le projet est en phase de finalisation technique. S'ouvrira bientôt la phase de consultation, notamment auprès de la caisse nationale des allocations familiales, du comité des finances locales, ainsi que de la commission consultative d'évaluation des normes. Les signatures ministérielles auront ensuite être apposées. Ce fonds apportera aux départements un financement complémentaire pour la protection de l'enfance, compétence des conseils généraux depuis les lois de décentralisation. Il sera abondé par l'État et par la caisse nationale d'allocations familiales, dans les conditions prévues par les lois de finances et de financement de la sécurité sociale.
Mme Anne-Marie Escoffier. - Merci pour ce point global sur les décrets d'application de la loi, mais ma question portait surtout sur le fonds de financement, dont la mise en place a été retardée par des arguties juridiques.
Dans son arrêt du 30 décembre 2009, le Conseil d'État a laissé quatre mois au Gouvernement pour publier ce décret d'application. Nous y sommes presque ! Nous serons très vigilants sur ce sujet directement en relation avec les budgets de nos collectivités.
Application de la loi du 11 février 2005
Mme Michelle Demessine. - Censée poser les bases d'une société moins discriminante, la loi pour l'égalité des droits et des chances fut porteuse d'espérance pour des millions de personnes handicapées, mais son application minimaliste et lente a vidé de sa substance un texte dont ne subsiste que l'affichage.
Ainsi, le Gouvernement est revenu sur les dispositions initiales en matière d'accès au logement et aux bâtiments publics : les dérogations tendent à devenir la règle. Heureusement, le Conseil constitutionnel a invalidé l'extension aux constructions neuves des quatre dérogations instituées pour l'ancien !
Le taux de chômage des personnes handicapées est deux fois plus élevé que parmi le reste de la population. Dans les PME, on ne dénombre que 3 % de personnes handicapées. Alors que la loi de 2005 obligeait les entreprises n'employant pas de personnes handicapées à verser 1 500 fois le Smic horaire à l'Agefiph, vous avez reporté cette sanction de six mois en décembre dernier à l'égard des PME de moins de 50 salariés, en invoquant un « contexte économique exceptionnel ». Est-il juste que les personnes handicapées doivent faire des sacrifices ? Si l'État ne proclame pas sa volonté, il n'y aura jamais de moment propice !
L'une des grandes avancées de la loi est le droit de chaque enfant à être scolarisé dans l'école de son secteur, l'État devant mettre en place les moyens financiers et humains d'une scolarisation en milieu ordinaire. Or, s'il est vrai que les enfants en situation de handicap sont de plus en plus souvent scolarisés, je déplore que l'éducation nationale se soit désengagée sur le dossier des auxiliaires de vie scolaire (AVS), ce qui retarde l'accès de tous à l'école. Il s'ensuit une discrimination à l'encontre des enfants et adolescents qui ne peuvent poursuivre leur parcours scolaire. Sans égalité des chances à ce niveau, les intéressés subissent une spirale de discrimination tout au long de leur vie.
Mais le droit de compensation reste l'innovation principale de la loi, qui rend obligatoire l'élaboration d'un plan personnalisé de compensation. Or, une proposition de loi vient de rendre ce plan optionnel...
Enfin, bien que le Président de la République ait promis d'augmenter de 25 % l'allocation d'adulte handicapé, celle-ci reste inférieure au seuil de pauvreté. On reste très loin du revenu d'existence au moins égal au Smic, revendiqué avec force en 2005 par toutes les organisations représentatives ! En outre, les mesures restreignant l'accès aux soins -comme les franchises médicales ou l'augmentation du forfait hospitalier- ont encore amputé les maigres ressources des allocataires. Il suffirait de réévaluer le seuil d'accès à la couverture médicale universelle complémentaire pour leur rendre un peu plus de dignité devant le droit à la santé, dont ils ont besoin plus que nul autre.
Les personnes handicapées se sentent trahies par la non-application d'une loi prometteuse. Leur colère s'exprimera fortement le 27 mars par des manifestations dans toute la France. Qu'allez-vous leur répondre ? Qu'entend faire le Gouvernement pour tenir ses engagements, cinq ans après le vote de la loi ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés. - La loi du 11 février 2005 a affiché de grandes ambitions pour l'égalité des droits et des chances en faveur des personnes handicapées, et depuis cinq ans le Gouvernement et le Parlement l'ont sans cesse améliorée : cent cinquante textes d'application ont été publiés.
S'agissant de l'accessibilité des lieux publics et des transports, nous entendons donner un nouvel élan à cette politique, accompagner les entreprises et améliorer l'accès aux nouvelles technologies : de cette manière le droit opposable à l'accessibilité sera garanti dès 2015.
En ce qui concerne l'emploi, le renforcement des contributions financières en cas de manquement à leurs obligations par les entreprises de plus de vingt salariés ou les fonctions publiques commence à porter ses fruits. Actuellement, 750 000 personnes sont employées, dont 80 % en milieu ordinaire : leur nombre a augmenté de 4 % dans le secteur privé depuis 2005. Pas moins de 40 % des entreprises atteignent ou dépassent le taux de 6 %. Dans le secteur public, le taux d'emploi est passé de 3,7 % en 2005 à 4,4 % en 2009. Le délai de six mois accordé aux PME ne nuira pas à l'emploi des personnes handicapées, bien au contraire : alors que les procédures de redressement et de liquidation ont augmenté en 2009 de 11,4 % et même de 61,4 % pour les PME, il faut éviter de fragiliser notre tissu économique. Passés ces six mois, les entreprises qui auront conduit les actions prévues par la loi du 11 février 2005 s'acquitteront de leur contribution sur la base de 400 fois le Smic par unité manquante, les autres paieront leur contribution sur la base de 1 500 fois le Smic.
Un autre sujet de préoccupation est la scolarisation des enfants, adolescents et adultes handicapées. Notre mobilisation permet aujourd'hui à 180 000 élèves d'être accueillis dans les établissements scolaires ordinaires du premier et du second degré : le taux global de scolarisation en milieu ordinaire est passé de 66,5 % en 2005-2006 à 71,9 % en 2008-2009. Ces progrès n'auraient pas été possibles sans un effort massif de l'État. A chaque rentrée scolaire depuis 2007, environ 250 classes nouvelles de Clis ou UPI ont été créées. Près de 20 000 auxiliaires de vie scolaire, plus de 12 700 enseignants spécialisés et 1 300 enseignants référents assurent des fonctions d'encadrement et d'accompagnement.
Enfin, l'État assure aux personnes handicapées un revenu décent grâce à l'allocation aux adultes handicapés, revalorisée de 25 % entre 2008 et 2012 : elle atteindra alors un montant mensuel de 776 euros. Cette allocation, qui permet aujourd'hui à 850 000 personnes de vivre dignement, coûte 5,8 milliards par an.
Beaucoup a été fait mais beaucoup reste à faire. Le Comité interministériel du handicap, installé le 9 février, ainsi que l'Observatoire de l'accessibilité et de la conception universelle, installé le 11 février, nous y aideront. Nous parviendrons à atteindre nos objectifs en 2015 si nous mettons en place un pilotage rigoureux, fondé sur des indicateurs précis.
Aide à domicile des personnes âgées
M. René-Pierre Signé. - Mon propos rejoint et élargit celui de Mme Demessine : je m'inquiète de la remise en cause du financement par l'État de l'aide à domicile pour les personnes âgées, dépendantes ou handicapées. Les associations qui gèrent les soins et services à domicile et les syndicats tirent la sonnette d'alarme devant les difficultés financières qui menacent tant les salariés que les personnes aidées. Alors que le Président de la République a fait de la dépendance des personnes âgées l'un des grands thèmes sociaux de l'année, le financement par l'État de l'allocation personnalisée d'autonomie a été ramené de 50 % en 2001 à 30 % en 2009, et les prestations de compensation du handicap, d'aide à domicile ou d'aide ménagère réduites de 10 à 15 %.
Prises en étau entre les exigences de formation des personnels et ces réductions de trésorerie, les structures d'aide sont mises en péril et se voient dans l'obligation de licencier et de réduire leurs interventions. Des milliers d'emplois sont menacés et la qualité de service se dégrade, ce qui pourrait provoquer des maltraitances. La professionnalisation du secteur est menacée, et un public fragile mis en danger.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés. - Les services d'aide à domicile sont essentiels pour prévenir la perte d'autonomie des personnes âgées et accompagner celles qui sont dépendantes ou handicapées. Ce secteur se caractérise par sa diversité : diversité des publics, des modes d'intervention, complexité des cadres juridiques résultant du droit d'option entre l'agrément par le préfet et l'autorisation par le président du conseil général, pluralité des financeurs publics -conseils généraux, caisses de retraite, CAF- et des modes de financement, qui prennent souvent la forme indirecte d'une aide à la personne et sont mal articulés. Je n'insisterai pas sur l'hétérogénéité des pratiques des départements et sur le niveau très variable des tarifs qu'ils arrêtent pour les services qu'ils ont autorisés.
Cette situation complexe nous oblige collectivement à rechercher les meilleures solutions pour faire évoluer les règles de tarification. C'est pourquoi, à l'occasion de l'installation du nouveau conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, j'ai demandé à la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) de réunir l'ensemble des acteurs concernés, financeurs, gestionnaires, représentants des usagers et des salariés. Trois axes de travail ont été retenus.
Une mission sur la tarification et le financement des services d'aide à domicile sera confiée aux inspections générales des affaires sociales, des finances et de l'administration pour analyser les déterminants du coût des prestations, examiner les modifications à apporter au dispositif actuel de tarification en tenant compte de la nécessaire solvabilité des caisses de sécurité sociale et des départements, et réfléchir aux moyens de renforcer le contrôle de l'effectivité de la dépense publique.
Un groupe de travail piloté par la DGCS devra établir un état des lieux de l'offre de service, du profil et des besoins des personnes aidées et des pratiques des départements en termes d'autorisation et de tarification. L'objectif est de constituer un observatoire pour ce secteur qui souffre du manque de données objectives, exhaustives et partagées. Ce groupe travaillera aussi sur l'efficience des structures et les objectifs à retenir en termes de modernisation, d'adaptation et de mutualisation des services.
Enfin, j'ai demandé à la CNSA de conduire et d'animer un travail avec l'ensemble des acteurs pour évaluer les besoins, élaborer des plans d'aide et définir leurs modalités de mise en oeuvre.
Les conclusions opérationnelles de ces travaux sont attendues à l'automne. Nous en tirerons toutes les mesures utiles pour améliorer la qualité, l'accessibilité et la soutenabilité financière de l'aide à domicile.
M. René-Pierre Signé. - Je remercie Mme la ministre de sa réponse, qui pourtant ne me satisfait pas entièrement. Si je comprends bien, des décisions seront prises cet automne. Mais les effets de l'amputation des aides publiques se font déjà sentir. La qualité de service se dégrade, de même que les conditions de travail des salariés. Vous annoncez avoir saisi la DGCS, mais vous ne dites pas si vous rétablirez un financement mieux proportionné à l'utilité de ces services, que vous considérez vous-même comme indispensables en un temps où la population française vieillit. Si nous attendons trop longtemps, les prestataires devront licencier certains de leurs employés et réduire leurs interventions. Pas moins de 60 000 personnes âgées bénéficient de ces services, qui occupent 10 000 salariés : cela mérite qu'on s'y arrête.
Emballages réutilisables des boissons
M. Yves Détraigne. - Il faut promouvoir les emballages réutilisables pour les eaux, boissons rafraîchissantes sans alcool et bières dans le circuit « cafés hôtels restaurants ». Lors de l'examen du projet de loi de programme relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, un amendement visant à imposer aux cafés, hôtels et restaurants de recourir à ces emballages avait été adopté puis supprimé par la commission mixte paritaire au motif qu'un groupe de travail se constituait à ce sujet.
De même, lors de l'examen du Grenelle II au Sénat, j'avais défendu un amendement similaire auquel vous vous étiez opposée, madame la ministre, au motif que, selon les conclusions du groupe de travail, le bilan d'un tel système était positif pour les seuls circuits courts. Par exemple, lorsqu'un consommateur rapporte une bouteille de jus de pomme vide à un producteur sur le marché. D'une part, il est surprenant que le Gouvernement détienne les conclusions d'une étude toujours en cours. D'autre part, je m'inquiète d'une possible confusion entre la consignation des emballages réutilisables dans la grande distribution, qui peut être négative, et celle dans les cafés, hôtels et restaurants, nécessairement positive puisque, a noté la Commission européenne dans une communication du 9 mai 2009, le circuit retour existe déjà et que le gisement de bouteilles vides est concentré, homogène et intégré dans des circuits logistiques de livraison. Madame la ministre, pourriez-vous préciser les véritables raisons de votre opposition à la consignation en matière d'emballages en brasserie et eaux gazeuses, qui, rappelons-le, était obligatoire de 1938 à 1989 ? Ensuite, pourquoi les emballages réutilisables semblent-ils condamnés à disparaître quand la directive européenne du 20 décembre 1994 encourage leur consommation ?
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie. - Je me souviens fort bien de ce débat sur la consignation... L'étude, dont les conclusions définitives seront connues avant la fin du premier semestre 2010, montrait alors que la consignation apporte un réel bénéfice environnemental, mais seulement pour certains types de boissons, notamment celles contenues dans des emballages en verre et des fûts métalliques. Le bilan actuel de la consignation des bouteilles réutilisables du secteur café, hôtel et restaurant en France souligne que la réutilisation est inexistante pour le lait, les alcools autres que la bière et le vin ; peu développée pour les jus de fruits, de plus en plus conditionnés dans des briques alimentaires non réutilisables ; minoritaire pour les vins de tables et les boissons rafraîchissantes sans alcool ; assez développée pour les eaux embouteillées ; et, enfin, majoritaire pour les bières. Les comparaisons internationales confortent l'opportunité de cette distinction entre la consignation des eaux embouteillées, les boissons rafraîchissantes sans alcool et les bières et celles des autres boissons. S'il est envisageable de conforter l'existant, étendre le champ des emballages consignés à de nouvelles boissons ne semble donc pas pertinent. En outre, d'après les études environnementales menées en Europe, la consignation obligatoire des bouteilles réutilisables en verre a généré un transfert de la consommation vers des emballages à usage unique fabriqués à partir d'autres matériaux. Pour y parer, il faudra prévoir un dispositif de consignation portant sur tous les matériaux, et non uniquement sur le verre. En conséquence, le Gouvernement réfléchit à l'extension de la consignation selon les termes suivants : une consignation pour réutilisation des eaux embouteillées, des boissons rafraîchissantes sans alcool et des bières ayant un volume supérieur à 0,5 litre ainsi qu'une consignation pour réutilisation ou recyclage pour les mêmes boissons de volume inférieur à 0,5 litre.
M. Yves Détraigne. - Merci, madame la ministre, de cette réponse précise, convaincante et, point important, compréhensible par tous. De fait, pour mettre en oeuvre les mesures du Grenelle de l'environnement, nous devons faire de la pédagogie car leur succès dépend de l'adhésion de notre population !
Interdiction de la pêche professionnelle au lac de Vouglans
M. Gérard Bailly. - Madame la ministre, je veux attirer votre attention sur un problème certes particulier, mais important pour le Jura. Associations de pêche amateur et élus du Jura s'inquiètent de la rumeur persistante selon laquelle des pêcheurs professionnels seraient autorisés à s'installer au lac de Vouglans. Or ce lac hydroélectrique peut être très rapidement sollicité par EDF en cas de besoin urgent. De plus, la pêche professionnelle aurait un impact négatif non seulement sur la pratique amateur mais aussi sur le développement touristique du secteur alors que le département a fait des investissements importants en aménageant les ports du lac et la base nautique de Bellecin où viennent s'entraîner les équipes nationales d'aviron, notamment celle de France. Madame la ministre, assemblées extraordinaires et pétitions se multiplient. Afin que je puisse apaiser les inquiétudes de tous, le Gouvernement peut-il m'assurer que le droit de pêche ne sera pas accordé aux pêcheurs professionnels sur le lac de Vouglans ? Merci d'avance !
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie. - En août 2007, certains préfets, pour des raisons sanitaires, ont dû interdire la pêche professionnelle sur le Rhône, du barrage de Sault-Brenaz jusqu'à la mer, ce qui a privé quatorze pêcheurs professionnels de toute activité. L'opportunité de réinstaller certains d'entre eux sur le lac de Vouglans avait alors été envisagée, puis écartée après analyse technique comme vous l'avait indiqué le ministre d'Etat dans son courrier du 11 août 2008. Après que des arrêtés similaires d'interdiction totale ou partielle ont été pris en février 2009 sur la Saône, il a été demandé aux préfets d'intensifier la recherche de nouveaux sites de pêche pour réinstaller la vingtaine de pêcheurs professionnels touchés par ces interdictions, deux ont été ainsi implantés sur le Lac Léman. Rappelons qu'une éventuelle relocalisation d'un pêcheur professionnel ne saurait être envisagée si elle remet en cause substantiellement les usages préexistants. De surcroît, le préfet coordinateur de bassin, dans un rapport de fin janvier, a précisé que l'ouverture de nouveaux secteurs de pêche sur le domaine public n'interviendra qu'au moment du renouvellement des baux de pêche de l'État, soit fin 2011. En attendant, nous étudions au cas par cas la situation de chaque pêcheur professionnel. Or aucun d'entre eux n'est disposé à ce jour à implanter son activité de pêche sur le lac de Vouglans. En tout état de cause, je vous assure qu'aucune décision ne sera prise sans consultation locale. Puissiez-vous, fort de cette réponse, apaiser les pêcheurs !
M. Gérard Bailly. - Je suis presque rassuré... Qu'aucun pêcheur professionnel ne soit candidat au lac de Vouglans et l'assurance de l'organisation d'une grande concertation locale sont des éléments positifs car ce projet suscite une opposition unanime dans le Jura. Nous suivrons avec attention ce dossier jusqu'en 2001, date à la quelle nous espérons une réponse définitive qui nous sera favorable.
La séance est suspendue à midi.
présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 14 h 35.
Décès d'anciens sénateurs
M. le président. - J'ai le regret de vous rappeler le décès de nos anciens collègues Jean Pourchet, qui fut sénateur du Doubs de 1988 à 1998, et Henri Tournan, qui fut sénateur du Gers de 1962 à 1980.
Décès d'une sénatrice
M. le président. - J'ai le très profond regret de vous rappeler le décès de notre collègue Jacqueline Chevé, survenu le 15 mars 2010. Elle avait été élue sénatrice des Côtes-d'Armor le 21 septembre 2008.
Vendredi dernier, j'ai tenu à représenter le Sénat à ses obsèques avec notamment le président Bel, le questeur Pastor, la présidente Dini et de nombreux collègues de toutes sensibilités.
Je prononcerai son éloge funèbre ultérieurement mais je tiens d'ores et déjà à saluer sa mémoire. Au nom du Sénat, je souhaite exprimer notre sympathie et notre profonde compassion à sa famille, à ses proches, au groupe socialiste, aux élus et citoyens des Côtes-d'Armor. Nous connaissions son caractère rayonnant et son engagement, à titre collectif et personnel, au service des valeurs de la République.
(Mmes et MM. les sénateurs et les membres du Gouvernement se lèvent et observent un instant de recueillement)
Remplacement de deux sénateurs nommés au Conseil constitutionnel
M. le président. - En application de l'article 57 de la Constitution et de l'article 4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, il a été pris acte de la cessation, à compter du samedi 6 mars 2010 à minuit, des mandats de sénateurs de MM. Michel Charasse et Hubert Haenel, nommés membres du Conseil constitutionnel.
M. le ministre de l'intérieur a fait connaître qu'en application de l'article L.O. 320 du code électoral, M. Serge Godard est appelé à remplacer M. Michel Charasse, en qualité de sénateur du Puy-de-Dôme, et M. Jean-Louis Lorrain, M. Hubert Haenel, en qualité de sénateur du Haut-Rhin. Leurs mandats ont débuté le dimanche 7 mars 2010 à 0 heure. Au nom du Sénat tout entier, je leur souhaite un bon retour parmi nous.
Remplacement d'une sénatrice décédée
M. le président. - M. le ministre de l'intérieur a fait connaître au Sénat qu'en application de l'article L.O. 319 du code électoral, M. Ronan Kerdraon est appelé à remplacer Jacqueline Chevé en qualité de sénateur des Côtes-d'Armor. Son mandat a débuté le 16 mars 2010 à 0 heure.
Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite une cordiale bienvenue. Qu'il connaisse au Sénat ce que notre collègue a trop brièvement connu.
Nomination d'un sénateur en mission
M. le président. - Par courrier en date du 25 février 2010, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l'article L.O. 297 du code électoral, M. Hervé Maurey, sénateur de l'Eure, en mission temporaire auprès de M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, et de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique. Cette mission portera sur le financement du très haut débit.
Acte est donné de cette communication.
Audition en application de l'article 13
M. le président. - M. le Premier ministre, par lettre en date du 17 mars 2010, a estimé souhaitable, sans attendre l'adoption des règles organiques qui permettront la mise en oeuvre de l'article 13 de la Constitution, de mettre la commission intéressée en mesure d'auditionner, si elle le souhaite, M. Jean-Paul Bailly, qui pourrait être prochainement nommé aux fonctions de Président du conseil d'administration de La Poste. (Exclamations ironiques sur les bancs socialistes)
Acte est donné de cette communication et ce courrier a été transmis à la commission de l'économie.
Dépôt du rapport du Médiateur de la République
M. le président. - J'ai reçu de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, le rapport annuel établi pour l'année 2009. Ce rapport, qui a été présenté aux membres de la commission des lois lors d'une audition tenue le 23 février 2010, est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
Dépôt de rapports
M. le président. - J'ai reçu le rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour 2009 -j'ai également personnellement reçu le Contrôleur général ; le rapport annuel pour 2009 de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements, dont j'ai reçu également le président ; le rapport annuel de la Haute autorité de lutte contre les discriminations -j'ai là aussi reçu le président Schweitzer avant la fin de son mandat.
Ces documents ont été transmis à la commission des lois et sont disponibles au Bureau de la distribution.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
M. le président. - J'ai reçu de M. le Premier ministre, en application de la loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, le Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs 2010-2012.
Ce document a été transmis pour évaluation à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
J'ai également reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article L.4111-1 du code de la défense, le quatrième rapport du Haut comité d'évaluation de la condition militaire.
Il a été transmis à la commission des affaires étrangères et sera disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné du dépôt de ces documents
Organismes extraparlementaires (Appel à candidatures)
M. le président. - Suite à la nomination de M. Michel Charasse en tant que membre du Conseil constitutionnel, M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du Conseil d'administration de l'établissement public de réalisation de défaisance, d'un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil d'orientation stratégique du Fonds de solidarité prioritaire, et d'un sénateur appelé à siéger, en qualité de membre suppléant, au sein du Conseil d'administration de l'Agence française de développement.
Conformément à l'article 9 du Règlement, j'invite la commission des finances à présenter des candidatures.
Par ailleurs, M. le Premier ministre a également demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du Conseil supérieur de l'aviation civile.
Conformément à l'article 9 du Règlement, j'invite la commission de l'économie à présenter une candidature.
Commissions
Candidature
M. le président. - Le groupe de l'Union pour un Mouvement Populaire a fait connaître à la Présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Hubert Haenel, dont le mandat de sénateur a cessé.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du Règlement.
Démissions et candidatures
M. le président. - J'ai reçu avis de la démission de M. Philippe Paul comme membre de la commission de l'économie et de M. Jean-François Mayet comme membre de la commission des affaires sociales. Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom des candidats proposés en remplacement.
Ces candidatures vont être affichées et leur nomination aura lieu conformément à l'article 8 du Règlement.
Retrait d'une question orale
M. le président. - La question orale n°775 de Mme Michelle Demessine est retirée de l'ordre du jour de la présente séance et remplacée par la question orale n°863 du même auteur.
Débat sur le désarmement, la non-prolifération nucléaire et la sécurité de la France
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le désarmement, la non-prolifération nucléaire et la sécurité de la France
M. Jean-Pierre Chevènement, au nom de la commission des affaires étrangères. - Un an avant la Conférence d'examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui se tiendra du 3 au 28 mai à New York, la commission des affaires étrangères du Sénat m'a demandé de dresser un état des lieux et de faire des propositions qui pourraient inspirer l'action de la France à cette occasion.
Tel est l'objet du rapport que j'ai l'honneur de vous présenter, dont les conclusions ont été approuvées par la commission.
La conférence d'examen du TNP réunit tous les cinq ans la totalité des États, sauf l'Inde, le Pakistan et Israël, qui n'ont pas signé le TNP, et la Corée du Nord, qui s'en est retirée en 2003. La Conférence se prononce par consensus. Celle de 2005 a été un échec, à la différence des précédentes, notamment celle de 1995 qui avait prorogé pour une durée indéfinie le TNP, initialement conclu pour 25 ans.
Le montant global des arsenaux nucléaires a décru des deux tiers depuis le pic de 60 000 têtes qu'ils avaient atteint pendant la guerre froide. La Russie et les États-Unis détiennent encore 96 % du nombre total des têtes, avec respectivement 13 000 et 9 400 têtes. Les autres puissances nucléaires ne disposent que d'environ 1 100 têtes nucléaires : approximativement 400 pour la Chine, moins de 300 pour la France, moins de 200 pour la Grande-Bretagne ; entre 100 et 200 pour Israël et une petite centaine pour l'Inde et le Pakistan, moins d'une dizaine pour la Corée du Nord.
Parmi les pays du P5, seule la Chine développe encore son arsenal, imitée par l'Inde et le Pakistan. L'Asie est clairement zone des tempêtes, si l'on ajoute les deux crises de prolifération qui concernent la Corée du Nord et l'Iran. Les quatre autres membres du P5, qui sont aussi ceux du Conseil de sécurité, ont décrété un moratoire sur les essais et sur la production de matières fissiles à usage militaire.
On insiste souvent sur la fragilité du TNP : la nucléarisation des trois pays non signataires ; le régime spécial consenti à l'Inde en matière de coopération nucléaire civile, sans que les contreparties soient suffisantes ; la politique du fait accompli pratiquée par la Corée du Nord ; les obstacles auxquels se heurtent les contrôles de l'AIEA ; la non-ratification soit du Traité d'interdiction complète des essais (Tice), soit du protocole additionnel de l'AIEA dit 93+2 ; le retard mis à l'ouverture d'une négociation sur l'interdiction de la production de matière fissiles à usage militaire ; l'essor de l'énergie nucléaire à l'échelle mondiale combiné au caractère dual des technologies intéressant le cycle du combustible ; le peu d'efficacité des sanctions édictées par le CSNU.
Pour réelles qu'elles soient, ces difficultés ne devraient pas dissimuler le succès global du TNP, que ses initiateurs étaient loin d'espérer. Le président Kennedy estimait à 25 ou 30 le nombre de pays qui auraient accédé à l'arme nucléaire en 2000 ; ils ne sont que huit, neuf avec la Corée du Nord, contre cinq en 1970, date d'entrée en vigueur du TNP. Celui-ci est devenu un traité quasi universel, rejoint, en 1992, par la Chine et la France. Prorogé en 1995 pour une durée indéfinie, le TNP a été complété en 1996 par le Tice qui, dans les faits, est appliqué sous forme de moratoire sauf par la Corée du Nord. Son application a été grandement améliorée par l'adoption en 1997, du protocole additionnel dit 93+2, qui permet des vérifications renforcées, sous faible préavis. S'il n'a pas empêché, il a ralenti la prolifération nucléaire. L'Afrique du Sud a abandonné ses armes nucléaires. Le Brésil et l'Argentine ont renoncé à en acquérir. Les programmes clandestins de l'Irak et de la Libye ont été interrompus. Les quatorze républiques ex-soviétiques ont accepté de se dessaisir au profit de la Russie des armes nucléaires stationnées sur leur territoire. Cinq zones exemptes d'armes nucléaires ont été créées.
Ce bilan incontestablement positif justifie que soit renforcé cet instrument irremplaçable de la sécurité internationale. Pour tout État, même non doté, il vaut mieux que ses voisins restent dépourvus d'armes nucléaires. C'est pourquoi la commission suggère que la France adopte une approche résolument offensive et cherche à faire avancer le TNP sur trois pieds : le désarmement, la promotion des usages pacifiques de l'énergie nucléaires et la lutte contre la prolifération.
A Prague, le 5 avril 2009, le président Obama a marqué les esprits en évoquant un monde sans armes nucléaires. Mais le souci de la sécurité des États-Unis et de leur leadership reste essentiel. On relève une grande convergence entre ses propositions et celles faites par le président Sarkozy au nom de l'Union européenne le 5 décembre 2008 : priorité à la réduction des arsenaux américain et russe ; ratification du Tice par les pays qui ne l'ont pas encore fait ; établissement d'un nouveau traité interdisant la production de matières fissiles à usage militaire ; renforcement des contrôles et des sanctions pour les intervenants ; développement de la coopération nucléaire civile et création d'une banque de combustible ; sécurité nucléaire face au terrorisme.
Il y a certes quelques nuances. Les Américains mettent l'accent sur la défense antimissile balistique, et les Européens sur la prise en compte des armes nucléaires tactiques et la lutte contre la prolifération balistique. La commission Evans-Kawaguchi, qui a présenté, de la manière la plus argumentée, les thèses abolitionnistes, va dans le même sens, certes plus loin, et fixe, à l'horizon 2025, un objectif de minimisation des arsenaux nucléaires à 500 têtes chacun pour la Russie et les États-Unis et à 1 000 pour l'ensemble des autres, invités à ne pas augmenter les arsenaux actuels.
La faisabilité politique et technique d'un tel objectif est discutable compte tenu des insuffisantes capacités industrielles de démantèlement des États-Unis et sans doute de la Russie. Mc George Bundy avait observé que depuis le début de l'ère nucléaire, chaque décennie a été moins dangereuse que la précédente. Il n'en reste pas moins qu'il faudrait plusieurs décennies pour sortir du nucléaire, simplement -j'y insiste- pour des raisons techniques, indépendamment des questions politiques.
Les voies pratiques de l'établissement d'une basse pression nucléaire à l'échelle mondiale sont néanmoins clairement tracées.
En premier lieu, priorité aux accords américano-russes, d'abord l'accord post-Start, encore en négociation, suivi de nouvelles réductions portant sur les armes en réserve et sur les armes nucléaires tactiques. Le traité post-Start bute sur la question de la défense antimissile. Les réductions annoncées sont très modestes : diminution de l'ordre de 25 % du nombre de têtes nucléaires déployées par rapport à celles du traité Sort, et cela sur une durée de sept ans, à compter de l'entrée en vigueur du traité post-Start. Cela représenterait 1 675 têtes au lieu de 2 200. Il n'y a pas de commune mesure entre les arsenaux des deux superpuissances et ceux des autres, lesquels n'ont donc pas à entrer dans une discussion multilatérale avant que les deux Grands aient ramené le nombre de leurs armes à quelques centaines. Ce que nous pouvons demander, c'est la transparence sur le volume, la nature et la destination des armes détenues.
Il est ensuite nécessaire de plafonner en quantité et en qualité les arsenaux existants. Une mâchoire de la tenaille serait le Tice qui, conclu en 1996, n'est pas encore entré en vigueur du fait que sa ratification par le Sénat américain, à la majorité des deux tiers, ne pourra pas intervenir avant 2011. On peut espérer que cette ratification entraînera celles de la Chine, de l'Inde et du Pakistan. L'interdiction des essais mettrait un coup d'arrêt à la modernisation des armes.
Seconde mâchoire de la tenaille : un traité prohibant la production de matières fissiles à usage militaire, afin de mettre un terme à l'accroissement quantitatif des arsenaux. En mai 2009, la Conférence du désarmement avait décidé à l'unanimité l'ouverture de la négociation. Depuis lors, le Pakistan a formulé des objections que la communauté internationale doit parvenir à lever.
Face à cet effort fécond pour aller vers un monde plus sûr, l'idée d'une convention d'élimination des armes nucléaires comportant des échéanciers et des dates butoirs n'est pas réaliste : elle méconnaît l'asymétrie des arsenaux existants et elle ne règle pas le problème de la prolifération. Mieux vaut une approche équilibrée, graduelle, méthodique telle que celle sur laquelle les États-Unis, l'Europe et la Russie convergent déjà. Cette méthode est aussi bien la seule propre à canaliser la nucléarisation des grands pays de l'Asie et à établir une certaine stabilité sur ce continent fracturé. Enfin, elle permettrait de créer les conditions d'un monde sans armes nucléaires, d'une manière qui « promeuve la stabilité internationale, sur la base d'une sécurité non diminuée pour tous » comme dit la résolution 1857 adoptée par le Conseil de sécurité le 24 septembre 2009.
Point de désarmement sans universalisation et vérifiabilité des conventions d'interdiction des armes biologiques et chimiques auxquelles l'Égypte, la Syrie et Israël refusent de souscrire. Il convient aussi de prévenir de nouveaux déséquilibres conventionnels. A l'arrière-plan des campagnes abolitionnistes, il y a aussi la volonté des États-Unis de renouveler leur doctrine de défense avec une nouvelle triade : capacité de frappe conventionnelle précise à longue distance ; construction d'une défense antimissile ; rajeunissement de l'infrastructure nucléaire. La réduction voire l'élimination des armes nucléaires ne doit pas ouvrir la voie à la possibilité de nouvelles grandes guerres conventionnelles. Tel est l'esprit de l'article 6.
La promotion des usages pacifiques de l'énergie nucléaire constitue le deuxième pilier du TNP. Des avancées décisives doivent se produire, à l'occasion de la Conférence d'examen. Le malaise provient moins de l'inégalité de départ entre États dotés ou non, que de l'opposition entre les quelques pays développés qui maîtrisent les technologies nucléaires de l'enrichissement et du retraitement, et les pays en voie de développement qui, du fait du resserrement des contrôles opéré par les premiers, ne peuvent y avoir accès.
La lecture faite de l'article 4 du traité de non-prolifération fait prévaloir le souci de la non-prolifération, inscrit dans les articles 1 et 2, sur le « droit inaliénable » des parties à développer les utilisations pacifiques de l'atome. La réussite de la Conférence d'examen implique que soient concrétisées certaines propositions : mise en place d'assurances d'approvisionnement en combustible ; constitution de réserves d'uranium enrichi ; création d'installations internationales d'enrichissement sur une base régionale, sous le contrôle de l'AIEA ; enfin, en matière d'exportation des technologies sensibles, levée du moratoire institué par le G8 depuis 2004 pour lui substituer un système d'autorisation sur critères : existence d'un programme électronucléaire crédible ; garanties, en matière de sûreté, de sécurité et de non-prolifération, notamment par l'adhésion du pays concerné au protocole additionnel de l'AIEA.
Un lien serait ainsi établi entre l'autorisation des transferts de technologie et l'adhésion au régime international de non-prolifération. Ce serait là une avancée majeure de la Conférence d'examen.
La préservation de ce troisième pilier du traité qu'est la non-prolifération suppose la consolidation d'instruments juridiques tels que le protocole additionnel de l'AIEA, mais aussi le renforcement des moyens de l'Agence : on ne peut pas à la fois déclarer vouloir lutter contre la prolifération et refuser à l'AIEA les moyens de ses missions. L'encadrement du droit de retrait doit s'effectuer par l'adoption de résolutions génériques destinées à éviter le détournement de technologies acquises sous couvert du traité. Le rapprochement des trois États non signataires du régime international de non-prolifération est souhaitable, dans le prolongement des engagements pris par l'Inde. Il est enfin nécessaire de mettre pleinement en oeuvre la résolution 1540 du Conseil de sécurité des Nations unies en vue de lutter contre les trafics illicites et les réseaux non étatiques.
Au-delà, il est essentiel d'agir sur les déterminants régionaux de la prolifération nucléaire, qui s'enracine beaucoup moins dans la lenteur du désarmement des pays dotés que dans les crises politiques régionales.
La normalisation des relations indo-pakistanaises est un objectif majeur pour la stabilité de cette région du monde, au Cachemire, en Afghanistan, entre l'Inde et la Chine. Elle conditionne le plafonnement puis la décrue des arsenaux nucléaires de ces pays.
L'instauration d'une zone exempte d'armes nucléaires au Moyen-Orient n'est pas envisageable sans la création d'un État palestinien viable et sans la reconnaissance d'Israël par les pays arabes et par l'Iran. Le degré d'engagement des États-Unis sera déterminant. On ne peut pas prôner un monde sans armes nucléaires et accepter la poursuite de la colonisation en Cisjordanie (M. Yvon Collin approuve) Le désarmement nucléaire n'est pas un devoir abstrait. Il implique des engagements politiques concrets.
De même la normalisation des relations avec l'Iran et la levée des sanctions impliquent que ce pays donne des gages réels de sa volonté de ne pas se doter d'armes nucléaires, afin d'éviter une cascade de prolifération dans la région. L'Iran doit ratifier le protocole additionnel de l'AIEA et le Tice, et entrer dans la négociation d'un traité d'interdiction de la prolifération des matières fissiles. A défaut de la suspension des activités d'enrichissement de l'usine de Natanz, votre rapporteur propose de placer cette usine sous le contrôle effectif de l'AIEA, le stock d'uranium faiblement enrichi étant écoulé sur le marché international, en attendant que l'Iran se dote d'un programme électronucléaire crédible, ce qui laisserait le temps de résoudre, sur une base régionale, le problème de l'accès au combustible.
Enfin, la question nord-coréenne, potentiellement très déstabilisatrice pour toute la région et d'abord pour le Japon, pays du seuil, ne peut être traitée qu'à travers l'engagement de la Chine, qui détient l'essentiel des moyens de pression. Elle s'inscrit au premier plan des relations sino-américaines, principal enjeu géostratégique des décennies à venir.
La lutte contre la prolifération nucléaire implique donc une volonté politique qui dépasse les a priori idéologiques ou les aspects techniques pour s'attacher à la résolution de crises depuis trop longtemps pendantes. Le désarmement est un sujet qui doit être traité sans angélisme. L'homme n'est ni ange ni bête, mais qui veut faire l'ange fait la bête, disait Pascal. Il y faut du réalisme et du courage.
Ces graves questions ont une incidence directe sur la sécurité de la France et sur le maintien d'un équilibre pacifique en Europe.
La France n'a aucune raison d'aborder avec frilosité l'échéance de la Conférence d'examen. En matière de désarmement, son bilan, parmi tous les États dotés, est sans équivalent : abandon de la composante terrestre et démantèlement de ses sites d'expérimentation et de production de matières fissiles, notamment. La France doit privilégier une approche pragmatique et constructive, en mettant l'accent sur les conditions qui permettront de progresser vers le désarmement nucléaire, dans la perspective d'un monde plus sûr, sans sécurité diminuée pour quiconque, et d'abord pour elle-même. Le souci de sécurité de la France est légitime. Dimensionnées selon un principe de stricte suffisance, nos forces, réduites unilatéralement de moitié, n'ont pas à être prises en compte dans une négociation multilatérale. Pour cette raison même, la France doit maintenir une posture de dissuasion indépendante et se tenir en dehors du comité des plans nucléaires de l'Otan. Pour cette raison là, toute pratique, mais aussi pour une autre qu'avait énoncée le général de Gaulle : « Si la défense de la France cessait d'être dans le cadre national... il ne serait pas possible de maintenir chez nous un État ».
La dissuasion française est un élément de stabilité en Europe, même si sa vocation est d'abord nationale. Elle garantit notre autonomie de décision et nous permet de ne pas nous laisser entraîner, selon l'expression du général de Gaulle, « dans une guerre qui ne serait pas la nôtre ». L'incertitude étant au fondement de la dissuasion, je suggère que la France assortisse toute « garantie réactive de sécurité » à l'égard des États non dotés de fermes restrictions liées à l'emploi d'armes de destruction massive ou au non-respect du TNP constaté par le Conseil de sécurité. Notre stratégie est par nature défensive. Notre dissuasion est au service de la paix. A l'occasion du débat sur le nouveau concept stratégique de l'Otan, la France devrait s'efforcer de sensibiliser ses alliés européens à la nécessité de maintenir un principe de dissuasion nucléaire en Europe, tant que la Russie conserve, tout comme les États-Unis, un important arsenal nucléaire et que le Moyen-Orient n'est pas une zone dénucléarisée. Il ne serait pas prudent de « lâcher la proie pour l'ombre », au profit d'un système de défense antimissile balistique aléatoire, qui nous priverait de surcroît de toute autonomie stratégique.
De nombreuses décisions ne dépendent pas de nous mais notre détermination doit nous permettre de jouer un rôle dans l'aboutissement pacifique de la crise iranienne ; dans le maintien d'un principe de dissuasion en Europe ; dans la promotion des usages pacifiques de l'énergie nucléaire dans le monde ; enfin dans le maintien d'une posture de défense sur laquelle une majorité de Français se retrouvent parce qu'ils sentent que le monde change. La montée de l'Asie va bouleverser les équilibres mondiaux et par conséquent les équilibres de sécurité.
Dans leur majorité, les Français savent que le fait nucléaire implique, comme l'avait bien vu le général Poirier, la stratégie indirecte et que le maintien de notre posture et par conséquent de notre effort de défense, dont la dissuasion représente le dixième seulement, constituent la meilleure garantie de la paix. (Applaudissements sur tous les bancs)
M. le président. - Je remercie M. Chevènement de son excellent rapport, qui mérite d'être largement diffusé.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Le traité de non-prolifération nucléaire est une pièce essentielle de la sécurité collective. En dépit d'interrogations périodiques sur les fragilités qui peuvent l'affecter, il recueille l'adhésion de la quasi-totalité des États et doit être préservé.
Chaque Conférence d'examen représente donc une échéance importante pour cet instrument. La précédente, en 2005, n'avait pas permis de progresser dans la consolidation du traité, et depuis lors, les facteurs d'inquiétude se sont multipliés.
La Corée du Nord, qui avait annoncé son retrait du traité en 2003, a procédé à deux essais nucléaires. L'Iran, en contravention avec les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, poursuit des activités dont la finalité est pour le moins ambigüe, accentuant la crainte d'une prolifération nucléaire au Moyen-Orient. Dans les enceintes internationales, comme la Conférence du désarmement, aucune avancée tangible n'a été enregistrée.
Les attentes à l'égard de la Conférence d'examen de mai prochain n'en sont que plus fortes. L'arrivée d'une nouvelle administration américaine, qui a annoncé des objectifs ambitieux, à la fois dans le domaine du désarmement nucléaire et dans celui de la lutte contre la prolifération, a créé un nouveau climat.
Mais l'optimisme consécutif au discours de Prague du président Obama mérite d'être sérieusement tempéré, à la lumière des réalités politiques : l'âpreté des négociations américano-russes, qui ne permettront qu'une réduction modeste des arsenaux ; les réticences du Sénat américain sur la ratification du traité d'interdiction des essais nucléaires ; celles de la Chine vis-à-vis de toute mesure susceptible de plafonner ses capacités nucléaires ; le blocage du Pakistan à la Conférence du désarmement ; les divisions de la communauté internationale sur le contrôle et les sanctions en matière de prolifération.
Pour la France, les enjeux de cette conférence d'examen sont indéniables. La maîtrise des armements et la non-prolifération sont un déterminant essentiel de notre sécurité. Mais par son statut et ses responsabilités internationales, la France est également appelée à jouer un rôle de premier plan dans ce débat.
C'est pourquoi il a paru indispensable à notre commission de mener un travail de fond pour éclairer le Sénat sur les positions que notre pays sera appelé à défendre. Je remercie M. Chevènement pour son analyse extrêmement approfondie et tiens à souligner que les conclusions et recommandations de son rapport ont été adoptées à la quasi-unanimité par notre commission, majorité et opposition confondues. Je me réjouis que le Gouvernement ait accepté d'en débattre aujourd'hui devant le Sénat, en prélude aux positions qui seront arrêtées en vue de la Conférence d'examen.
Il faut, à mon sens, éviter d'entrer dans un débat idéologique sur la question de la légitimité ou non des armes nucléaires : il conduirait à une impasse, car nous savons bien qu'avant longtemps, les conditions d'une telle élimination ne pourront être réunies.
M. Chevènement a bien montré que l'on ne peut isoler l'arme nucléaire des autres éléments qui concourent aux équilibres stratégiques. Que serait un désarmement nucléaire qui s'accompagnerait d'une accentuation des risques de conflits conventionnels, d'une exposition accrue aux armes chimiques ou biologiques ou d'une course à la supériorité militaire par d'autres moyens plus sophistiqués, tels que les armes spatiales, la défense antimissile ou l'arme cybernétique ? De même, comment envisager des progrès décisifs en matière de désarmement nucléaire sans résoudre un certain nombre de problèmes politiques, tels que celui des relations Inde-Pakistan ou du conflit du Proche-Orient ?
Le désarmement nucléaire ne peut constituer un objectif en soi. Il doit s'intégrer dans un objectif plus global de maintien de la paix et de la sécurité, et être assorti d'un ensemble de mesures garantissant une stabilité internationale et régionale renforcée. C'est cette approche progressive et équilibrée que préconise à juste titre notre rapporteur et à laquelle la France se doit d'apporter son appui.
Le paysage stratégique a subi, au cours des vingt dernières années, de profondes évolutions. Pour les anciens acteurs de la guerre froide, l'arme nucléaire ne joue plus un rôle aussi central que par le passé. Les arsenaux ont suivi une courbe descendante. La production de matières fissiles pour les armes nucléaires a cessé. Tout autre est la situation en Asie et, dans une certaine mesure, au Moyen-Orient. Les arsenaux y suivent une courbe ascendante. L'adhésion aux instruments internationaux y est très incomplète et les risques de prolifération beaucoup plus élevés. Les facteurs de tensions politiques demeurent nombreux et aucune forme d'organisation de la sécurité régionale ne permet de les traiter.
Cette situation montre qu'il n'est pas pertinent d'établir une relation mécanique entre le désarmement des uns -les puissances occidentales- et la renonciation des autres à développer ou acquérir des capacités nucléaires.
La prolifération nucléaire obéit à des motivations de nature très diverses, essentiellement liées aux situations régionales, et non au rythme insuffisant du désarmement des puissances nucléaires historiques.
D'autre part, tant que les tendances à l'oeuvre en Asie et au Moyen-Orient ne s'inverseront pas, le fait nucléaire militaire demeurera une réalité incontournable pour nos États et la dissuasion restera un élément essentiel de notre sécurité. C'est pourquoi on ne peut qu'être perplexe lorsque certains de nos voisins se disent favorables à des mesures de désarmement unilatéral, telles que le retrait des armes nucléaires américaines, ou à un effacement du rôle de la dissuasion nucléaire dans le nouveau concept stratégique de l'Otan. Une fois encore, les pacifistes sont à l'ouest et les proliférateurs partout ailleurs. Pour sa sécurité, l'Europe ne peut ignorer que des armes nucléaires subsistent, voire menacent d'apparaître, dans son environnement proche. Comme le souligne Jean-Pierre Chevènement, le maintien d'un principe de dissuasion nucléaire en Europe paraît aujourd'hui une condition essentielle de sa sécurité et mérite d'être mieux compris par nos partenaires.
Ma dernière observation porte plus spécifiquement sur la position de la France. Notre rapporteur démontre la validité de notre posture nucléaire : nos forces nucléaires sont dimensionnées selon le principe de stricte suffisance, qui a conduit à des réductions unilatérales successives. Elles ne peuvent donc être prises en compte, à ce stade, dans aucun processus multilatéral de désarmement nucléaire. Ce point recueille un large assentiment au sein de notre commission. Le rôle de la dissuasion nucléaire dans notre stratégie de défense a du reste été réaffirmé dans le Livre blanc et la loi de programmation militaire. Contrairement à ce qui a parfois été affirmé après que le président Obama a évoqué, à Prague, un « monde sans armes nucléaires », notre position n'est guère différente de celle des États-Unis qui entendent conserver « un arsenal sûr et efficace pour dissuader tout adversaire » tant que les armes nucléaires existeront, selon le président américain. Mieux, ce dernier a considérablement augmenté les budgets des laboratoires susceptibles de développer de nouvelles technologies nucléaires. Pour autant, la préservation de notre capacité de dissuasion ne nous dispense en rien d'oeuvrer en faveur du désarmement nucléaire. Nous avons d'ailleurs diminué de moitié le volume de notre arsenal en vingt ans. Plus significatives encore sont nos décisions relatives aux essais nucléaires et à la production de matières fissiles pour les armes nucléaires. Dans un cas comme dans l'autre, leur caractère est irréversible, puisque nous avons démantelé nos installations. Il s'agit d'une contribution majeure et sans équivalent parmi les autres puissances nucléaires. Il ne suffit pas de le souligner, il faut surtout inciter les autres États nucléaires à faire de même, et nous nous étonnons que dans les enceintes internationales, l'exemplarité des mesures prises par la France dans ces deux domaines ne soit pas plus souvent invoquée à l'appui des efforts que les autres États demandent aux puissances nucléaires. Sur les treize mesures de désarmement prônées par la Conférence d'examen du TNP en 2000, la France en a mis dix en oeuvre.
C'est pourquoi notre rapporteur a raison de dire que notre pays n'a aucune raison d'aborder la prochaine Conférence d'examen sur la défensive. Oui, des progrès tangibles sont possibles en matière de désarmement. Nous attendons des États-Unis et de huit autres pays qu'ils ratifient le traité d'interdiction des essais nucléaires, comme nous l'avons fait avec les Britanniques il y a douze ans déjà. Nous attendons de la Russie qu'elle fasse preuve de transparence sur son arsenal d'armes tactiques et qu'elle l'englobe dans un processus de réduction ambitieux avec les États-Unis, portant sur toutes les catégories d'armes nucléaires. Nous attendons de la Chine, de l'Inde, du Pakistan, des engagements clairs sur la cessation de la production de matières fissiles et la négociation d'un traité d'interdiction. Nous attendons de tous les pays l'adhésion sans réserve aux contrôles de l'AIEA sur leurs activités nucléaires et un soutien ferme face à ceux qui ne respectent pas leurs obligations. Nous voulons un désarmement nucléaire fondé sur les actes et non sur les paroles.
Je sais, monsieur le ministre, que depuis plusieurs mois, la France s'emploie très activement, en liaison avec ses partenaires, à élaborer des propositions réalistes et précises, afin de faire de la Conférence d'examen du TNP en mai une étape utile sur la voie du désarmement et de la non-prolifération. Nous avons souhaité, avec ce rapport d'information, nous inscrire dans cette démarche. Je suis convaincu que le bilan de la France en la matière et son engagement au service de la paix et de la sécurité internationale lui permettront de jouer un rôle actif dans ce débat. Seul, un désarmement global, contrôlé et progressif peut assurer la paix. Tenir compte des réalités ne signifie pas tourner le dos à une grande cause, mais au contraire la rendre réalisable. C'est tout le sens de notre rapport. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Michelle Demessine. - Je me félicite tout d'abord de ce débat : c'est en effet la première fois, depuis la création de notre force de frappe nucléaire, que les parlementaires peuvent débattre des questions fondamentales que sont la doctrine de la dissuasion nucléaire et la politique de désarmement de la France.
Bien que notre débat concerne le nucléaire et la sécurité de la France, nous devons aborder ces questions de façon plus large. En effet, l'arme nucléaire dans le monde d'aujourd'hui ne joue plus le même rôle structurant des relations internationales qu'avant la chute du mur de Berlin. A l'heure actuelle, parler de désarmement, à la fois nucléaire et conventionnel, ne peut plus se faire sans aborder également les logiques de guerre, sans prendre en compte la persistance des conflits dans le monde, en Afghanistan notamment, où la France est directement impliquée. On ne peut pas fragmenter la paix. Il faut donc garder à l'esprit le lien fondamental entre désarmement et conflits.
Le projet de désarmement nucléaire relancé par le président des États-Unis dans son discours de Prague d'avril 2009, la résolution 1887 votée à l'unanimité des membres du Conseil de sécurité et la reprise des négociations post-Start entre les Américains et les Russes, ont incontestablement permis d'aborder plus facilement ces questions. La récente conférence ministérielle tenue à Paris sur la sécurisation des exportations de technologie nucléaire civile, la conférence de Washington d'avril prochain sur la sûreté nucléaire et, surtout, la huitième conférence d'examen du TNP en mai, nous incitent à vous faire part de nos réflexions sur ce grand sujet de société. Je regrette toutefois que la Conférence des présidents n'ait pas saisi cette occasion pour inscrire à l'ordre du jour notre proposition de résolution consacrée aux initiatives que pourrait proposer notre pays lors du réexamen du TNP. Néanmoins, l'excellent rapport de notre collègue Jean-Pierre Chevènement fournit des informations et des propositions qui, bien que nous soyons en désaccord avec certaines d'entre elles, vont nourrir notre débat.
Les obstacles pour parvenir à un désarmement nucléaire global restent nombreux, même si la tendance est à l'apaisement. En 2005, la précédente conférence d'examen du TNP avait échoué car les pays dotés et non dotés de l'arme nucléaire n'avaient pas réussi à se mettre d'accord sur la façon d'empêcher leur prolifération. Prenant l'exemple du Moyen-Orient, les pays non dotés avaient estimé que les exigences en matière de transparence, de contrôle et d'engagement à réduire les arsenaux, étaient inégales entre les signataires et les non-signataires. A l'origine, le TNP avait été mis en place pour que les pays sans armes nucléaires s'engagent à ne pas en mettre au point tandis que les États-Unis, l'URSS, la Chine, la France et le Royaume-Uni procédaient au désarmement nucléaire. Or, les pays émergents et ceux qui ne sont pas dotés estiment que les grandes puissances ne tiennent pas leurs engagements en matière de désarmement. Ils s'opposent même au renforcement des instruments de vérification du nucléaire civil par l'extension du protocole additionnel de l'AIEA qui prévoit des inspections inopinées dans les pays menant des activités nucléaires. Comment en effet demander de nouveaux efforts à des pays qui, comme le Brésil ou l'Afrique du Sud, ont abandonné l'option nucléaire militaire, si les autres États ne remplissent pas leurs obligations ? La lutte contre la non-prolifération, sur laquelle insistent beaucoup les grandes puissances nucléaires, ne peut être légitime que si elle s'accompagne d'un réel effort de ces puissances pour mettre en oeuvre l'article 6 du TNP qui stipule qu'elles « poursuivent de bonne foi des négociations de désarmement nucléaire ».
Dans le TNP, et dans la résolution 1887 de l'ONU, il y a un lien indissociable entre le régime de non-prolifération et le mouvement vers le désarmement nucléaire. Or, ce lien n'est pas respecté par les grandes puissances qui opposent souvent désarmement et lutte contre la prolifération. Tel est le principal obstacle au désarmement.
Il faut également être lucide sur les propositions américaines de désarmement nucléaire. Pour annoncer la nouvelle politique nucléaire des États-Unis, la Maison Blanche a parlé d'une réduction spectaculaire de ses stocks, les chiffrant à plusieurs milliers d'ogives. Pourtant, le président des États-Unis propose aussi de conserver une force de dissuasion « solide et fiable », ce qui exclut toute éradication à court et moyen terme. En outre, les États-Unis n'ont toujours pas ratifié le traité d'interdiction complète des essais nucléaires. Tout en parlant de désarmement, l'administration américaine accroît considérablement son budget pour la modernisation de l'arme nucléaire et elle veut compenser le recul de l'atome par le développement d'une nouvelle défense antimissile et de nouvelles armes conventionnelles, constituées de missiles intercontinentaux très puissants tirés des États-Unis et qui pourraient frapper tout pays en moins d'une heure. Ce pays veut donc moins de nucléaire militaire mais plus d'armes conventionnelles.
Face à cette nouvelle doctrine, la France est donc réticente à s'engager dans la voie du désarment. En outre, le Royaume-Unis débat de façon ambiguë de la modernisation de sa force de frappe tandis que la Chine accroît son arsenal et que la Russie refuse un désarmement nucléaire total qui la désavantagerait. La France, quant à elle, estime que la réduction des arsenaux français, américains, russes et britanniques n'a jamais entraîné un ralentissement des programmes nucléaires des autres pays. En conséquence, elle ne reconnaît aucune vertu pédagogique à ce processus. En outre, elle a déjà fait de nombreux efforts en matière de désarmement nucléaire.
Tout cela est vrai et témoigne d'un réel effort de notre part. Mais les déclarations du Président de la République donnent l'impression qu'à ses yeux la lutte contre la prolifération est la seule priorité et qu'elle n'est pas compatible avec le désarmement nucléaire. Il ne faudrait pas que l'image positive, acquise auprès de nombreux pays émergents, grâce à notre attitude exemplaire tant dans la ratification des traités que dans des mesures unilatérales de désarmement, soit ternie à l'approche de la conférence d'examen du TNP. De nombreux pays nous soupçonnent de vouloir préserver à tout prix le siège de membre permanent du Conseil de sécurité que nous devons en grande partie à notre force de dissuasion.
Nous sommes à la croisée des chemins. Il est impératif d'éviter un nouvel échec comme il y a cinq ans. Cela enterrerait définitivement le régime de non-prolifération défini par le TNP. Il faut le soutenir sans ambiguïté et le renforcer car il est le seul à garantir en toute sécurité l'accès au nucléaire civil aux pays qui renoncent à l'acquisition de l'arme nucléaire. Sinon, ce serait à coup sûr une prolifération débridée, la disparition de ce cadre juridique international sans qu'il soit remplacé, le risque accru d'emploi de l'arme nucléaire, et au total, le retour d'un rapport de force nucléaire dans les relations internationales.
Notre pays peut à nouveau jouer un grand rôle en faveur du désarmement nucléaire multilatéral lors de la conférence de New York. Pour cela il doit faire des propositions ambitieuses car les pays dotés doivent donner l'exemple. Il sera crucial de convaincre les pays émergents et non dotés que le TNP, qui promettait le désarmement des uns en échange du renoncement des autres à la bombe, n'est pas un marché de dupes. Il faudra aussi parvenir à un accord d'ensemble sur le désarmement nucléaire tout en empêchant, comme le visent les États-Unis et la Russie, une compensation en armements conventionnels, chimiques et biologiques. Il sera bien difficile de progresser dans cette voie si les cinq puissances nucléaires -mais aussi, Israël, l'Inde et le Pakistan, détenteurs de la bombe- ne sont pas unanimes. Si l'on veut persuader ces trois pays d'adhérer au TNP, il faut concrètement réduire les arsenaux au plus bas niveau. Or, les États-Unis restent, avec la Russie, la principale puissance nucléaire en stocks, très loin devant nous, les Chinois et les Britanniques. Il est donc essentiel, comme le propose le rapport Chevènement, qu'Américains et Russes amplifient significativement leur effort de désarmement, afin que ceux dont les arsenaux sont beaucoup plus modestes se joignent à ce processus. Il faudrait également, comme le demande le rapport, obtenir de tous les États qui ne l'ont pas encore fait qu'ils ratifient le Traité d'interdiction des essais nucléaires et entament des négociations sur la production de matières fissiles à usage militaire.
Les autres propositions que le rapporteur suggère de présenter lors de la conférence sont conformes à la position officielle du Gouvernement. En partageant l'opinion que la France a eu une position « exemplaire » en matière de réduction de notre arsenal, et en invitant le Gouvernement à être très ferme pour préserver l'indépendance que garantit notre force de dissuasion, on exclut toute nouvelle proposition de réduction de notre arsenal nucléaire.
Pour aller au-delà des préconisations minimales positives de ce rapport, le groupe CRC-SPG propose que notre pays prenne des initiatives fortes afin que les États s'engagent à mettre fin à la modernisation de leurs armes et de leurs vecteurs. La France pourrait à nouveau montrer l'exemple en interrompant notre programme de missile stratégique M51, qui est davantage un héritage de la guerre froide qu'un instrument de défense adapté aux menaces d'aujourd'hui. Nous pourrions également proposer que, pour tous les pays, la dissuasion soit strictement limitée au « non-emploi » des armes nucléaires, comme c'était le cas de la France avant les inflexions de doctrine décidées par les présidents Chirac et Sarkozy dans leurs discours respectifs de L'Ile-Longue et de Cherbourg. Cela supposerait ainsi que soit bannie toute forme de frappe préventive. Nous souhaitons donc que lors de la prochaine conférence d'examen du TNP, notre pays participe plus activement aux efforts de désarmement en proposant d'entrer dans un processus de négociation sur notre armement nucléaire, avec un calendrier contraignant. Cela serait un nouveau signe de bonne volonté et montrerait aux pays sceptiques que nous n'en restons pas aux annonces de réduction de notre potentiel militaire faites par le Président de la République à Cherbourg en mars 2008.
M. Didier Boulaud. - Je me réjouis que les vaguelettes du remaniement ministériel, qualifié ce matin par Alain Duhamel de « lilliputien », n'aient pas encore atteint la rive gauche de la Seine, ce qui aurait compromis ce débat si attendu. Car notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est pleinement dans son rôle en abordant en séance publique le thème, important et complexe, du désarmement et de la non-prolifération nucléaire.
Le rapport de notre collègue Chevènement, excellent socle sur lequel travailler, permettra d'apporter publiquement nos propositions. J'espère que le Gouvernement aura la sagesse d'entendre la voix du Sénat.
Il serait sage en effet que, dans la perspective de la prochaine Conférence quinquennale d'examen du traité de non-prolifération nucléaire, il explique devant la représentation nationale les propositions que ses délégués défendront. Le désarmement, et en particulier le désarmement nucléaire, constituent un axe essentiel de la diplomatie française et de son rayonnement international.
D'abord, une évidence... La perspective d'un monde sans armes nucléaires est un horizon souhaitable, au point qu'en 1968 les signataires du TNP s'étaient déjà engagés « à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace ».
De l'eau a coulé sous les ponts, des murs sont tombés, nous avons changé de siècle et nous restons toujours sur le même objectif -« un désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace »- et cette perspective semble toujours remise à plus tard. II nous faut sortir de déclarations qui font plaisir pour s'atteler à une action concrète, il faut faire avancer le dossier du désarmement nucléaire sur trois plans : d'abord, le TNP, ensuite, le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires et finalement, le traité d'interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires. Nous écouterons avec attention les explications du ministre sur l'action de la France dans ces domaines.
La proposition du rapport d'aller dans un premier temps vers « une zone de basse pression nucléaire » semble une bonne orientation. Les arsenaux nucléaires des États-Unis et de la Russie sont concernés au premier chef. Leur importance quantitative et qualitative les oblige à bouger les premiers. Mais il ne faut pas nous contenter d'une attitude attentiste, le Gouvernement doit s'en saisir et donner une vie diplomatique à cette proposition. La France doit chercher des alliés pour faire prospérer cette initiative, et ces alliés il faut les trouver d'abord en Europe. Elle ne peut se trouver isolée dans une telle négociation !
Cette négociation, déjà en cours, doit aussi être placée dans le contexte de la nouvelle architecture globale de sécurité en Europe. Certes, sans le faux pas de notre réintégration pleine et entière dans les comités militaires de l'Otan, notre pays aurait plus de marges de manoeuvre pour convaincre Européens et Russes de la nécessité de créer un vaste espace de sécurité commune. Des thèmes tels que la dissuasion nucléaire et l'éventuelle défense anti-missiles devraient pouvoir être abordés au sein de l'Union européenne d'abord, avec nos voisins ensuite, dont la Russie, afin que les Européens s'approprient leur propre géopolitique et gèrent eux-mêmes leurs relations avec leurs voisins. Or, je crains que dorénavant nous devions attendre que l'Alliance redessine ses priorités, que l'Otan définisse ses concepts, avant que nous puissions dire, d'une manière autonome, et faire partager notre conception d'un nouvel équilibre de sécurité sur le continent européen.
Par ailleurs, il faut expliquer encore et encore que la ratification par les États-Unis du traité Tice, sur l'interdiction complète des essais nucléaires, signé en 1996, est une priorité qui peut avoir valeur d'exemple pour le monde entier, et, en premier lieu pour les pays qui, aujourd'hui, résistent encore à cette ratification. La Chine, le Pakistan, l'Inde.... Voilà un bon sujet de discussion pour les prochaines rencontres entre le Président Sarkozy et Barack Obama.
La lutte contre la prolifération de l'arme nucléaire s'inscrit dans des contextes de crises régionales qu'il ne faut pas négliger. Cette prolifération épouse étroitement la carte des conflits non résolus. II est impossible de s'attaquer à ce fléau sans chercher la solution aux causes profondes des crises régionales graves.
Israël, Palestine, Iran sont les acteurs d'une tragédie où se jouent, aussi, l'avenir de notre sécurité en Europe et de la paix dans le monde. Le débat du 12 janvier, ici même, a déjà abordé le problème général de la nucléarisation du Moyen-Orient. II y a urgence à trouver une solution politique !
L'affrontement direct ou par pays interposés de l'Inde et du Pakistan, le sort de l'Afghanistan font trembler l'Asie et entraînent des courses à l'armement dans toute la région. Ce n'est pas par hasard que trois États qui n'ont jamais adhéré au TNP -Inde, Israël et Pakistan- se sont dotés de l'arme nucléaire, ce qui fragilise le régime international de non-prolifération et constitue un formidable exemple négatif susceptible de trouver ici ou là des émules. Mais sans solutions politiques, il n'y aura pas de progrès dans le désarmement nucléaire.
Nous devons continuer à proposer à nos concitoyens une information sincère sur toutes les questions nucléaires, civiles et militaires ; sans le soutien conscient et sans une bonne connaissance de nos concitoyens sur ces sujets, le système actuel peut être fragilisé, voire mis en échec par des campagnes pleines de bonnes intentions mais non exemptes d'arrière-pensées. De graves menaces pèsent sur notre propre force de dissuasion mais le danger le plus immédiat réside dans la politique budgétaire menée depuis 2002. Nos adversaires sont aux aguets...
Le président Obama a affirmé son ambition d'un monde sans armes nucléaires, mais il rencontre de fortes réticences, chez lui, pour faire progresser la ratification du traité d'interdiction complète des essais nucléaires par les États-Unis...
La France se doit d'être une force de proposition au cours de la prochaine conférence d'examen du TNP. Elle devrait oeuvrer à l'adoption d'une position européenne commune ambitieuse et équilibrée.
Où en sont, dans ce cadre, les États-membres de l'Union européenne ?
Le nouveau concept stratégique de l'Otan est en cours d'élaboration. Eu égard à la nouvelle position de la France, du fait de la seule volonté du président Sarkozy, il est probable que notre dissuasion nucléaire sera incluse dans le panier des discussions. Quelle sera la position de la France ? Soutiendra-t-elle les initiatives qui se font jour ici ou là pour une Europe sans armes nucléaires ? Est-il envisagé d'alléger, puis de faire disparaître notre dissuasion au profit de la promesse d'une protection de notre territoire par un système anti-missiles ?
Vous ne pouvez être contraint, monsieur le ministre, de suivre la feuille de route tracée par le rapport Chevènement ; mais accordez-lui l'attention qu'elle mérite. Elle pourrait s'avérer utile face aux échéances à venir. (Applaudissements sur les bancs socialistes et ceux du groupe du RDSE)
M. Jean-Michel Baylet. - Le président Obama a affirmé vouloir engager sa politique étrangère sur le chemin de la paix et de la sécurité dans un monde sans armes nucléaires. A l'approche de la conférence d'examen du TNP, on peut se demander si toutes les conditions sont réunies pour atteindre cet objectif. Le TNP a permis d'incontestables avancées sur la voie du désarmement, qui plaident pour son approfondissement. États-Unis et Russie ont réduit notablement leurs arsenaux et mis un coup d'arrêt à la course effrénée aux armements. Le nombre de têtes nucléaires qu'ils détiennent est passé de 62 000, au moment des tensions les plus fortes, à sans doute 22 400 aujourd'hui. Mais ils possèdent encore 95 % du stock mondial d'armements nucléaires...
La France a été exemplaire, qui a réduit de 50 % ses armements nucléaires depuis la fin de la guerre froide, renoncé aux essais et privilégié la doctrine de la stricte suffisance. Elle est perçue aujourd'hui comme disposant d'une force raisonnable et se trouve en bonne position dans les débats relatifs au désarmement.
Le TNP, signé par 189 États, a acquis une certaine solidité juridique depuis 1995 et sa prorogation pour une durée indéterminée, la signature du traité d'interdiction complète des essais nucléaires en 1996 et le protocole additionnel de 1997. L'excellent rapport de Jean-Pierre Chevènement en montre bien les vertus en le qualifiant d'instrument irremplaçable pour la sécurité internationale ; il en pointe aussi les limites. Les deux grandes puissances doivent franchir de nouveaux pas. La ratification du traité d'interdiction des essais nucléaires par les États-Unis tarde, ce qui risque de peser sur les discussions de New York, tandis que l'objectif affiché de réduire les arsenaux à 1 500-1 675 têtes est loin d'être atteint.
L'irritation de Moscou devant le projet américain de défense anti-missiles en est la cause, projet qui, il est vrai, s'accorde mal avec la volonté de Barack Obama de réduire l'arsenal nucléaire des États-Unis. Ce qui soulève la question de l'article 6 du TNP. Il ne faudrait pas qu'on aboutît à une situation déséquilibrée, dans laquelle certains joueraient le jeu du désarmement tandis que d'autres se contenteraient de donner des gages toute en renforçant leur arsenal conventionnel et balistique. Le monopole de la sécurité serait alors entre les mains de ceux qui maîtrisent la technologie et peuvent en supporter le coût financier. De nombreux pays pourraient se réfugier sous un parapluie déployé par d'autres au prix de l'indépendance de leur défense. Compte tenu du caractère aléatoire et aliénant de cette protection, la France n'a pas intérêt à renoncer à sa politique de dissuasion.
Le traité Start a expiré en décembre 2009. En ne donnant pas l'exemple, les deux grandes puissances affaiblissent le TNP et privent d'arguments le Conseil de sécurité dans la gestion des crises nord-coréenne et iranienne. Le représentant égyptien s'est d'ailleurs engouffré dans la brèche, en relevant que les puissances nucléaires ne respectaient pas leurs engagements. Certains États n'ont pas tort d'estimer qu'on fait dans cette affaire deux poids et deux mesures. La communauté internationale réagit face à l'Iran, mais reste muette devant la Chine...
Eu égard à l'exemplarité de son attitude, la France ne doit pas s'engager plus avant, sauf à prendre le risque de ne plus voir garanties son indépendance et sa sécurité ; ses 300 têtes nucléaires ne sont rien en considération des arsenaux russe et américain. Elle doit en priorité plaider pour une réduction de ceux-ci, la normalisation des relations avec l'Iran et la reprise des pourparlers avec la Corée du Nord.
Un monde sans armes suppose un monde en paix. Tandis que le TNP a fait progresser le désarmement, les progrès de la non-prolifération passent par la résolution des conflits régionaux. Comme l'a relevé Raymond Aron, « l'univers diplomatique est comme une caisse de résonance : les bruits des hommes et des choses sont amplifiés et répercutés à l'infini. L'ébranlement subi en un point de la planète se communique, de proche en proche, jusqu'à l'autre bout ». Garantir un monde sans guerre implique une approche globale, mais qui ne néglige pas une écoute particulière de chacun des conflits de la planète. (Applaudissements sur les bancs du RDSE, sur les bancs socialistes et quelques bancs à droite)
présidence de Mme Catherine Tasca,vice-présidente
M. Xavier Pintat. - Je me réjouis que nous puissions aujourd'hui débattre, à l'initiative de la commission des affaires étrangères et sur le fondement de l'excellent rapport de M. Chevènement, d'enjeux stratégiques qui sont fondamentaux pour la France. Le rapport illustre la cohérence de la démarche française. Notre pays soutient les efforts de désarmement par une approche réaliste, tout en préservant ses intérêts de sécurité et le rôle essentiel de sa dissuasion nucléaire. Il a concrètement et significativement contribué au désarmement et entend continuer à le faire, comme en témoignent les propositions qu'il fera avec ses partenaires européens en vue de la conférence d'examen du TNP.
Mais les conditions qui permettraient l'avènement d'un monde sans armements nucléaires ne sont aujourd'hui pas réunies. Pendant plusieurs décennies encore les arsenaux russes et américains resteront considérables, tandis que les puissances nucléaires asiatiques, au premier rang desquelles la Chine, ne sont pas entrées dans une logique de réduction, ni même de plafonnement de leurs capacités. L'apparition de nouveaux États nucléaires est un risque réel tant que ne sera pas garanti le respect du régime de non-prolifération. L'entrée en vigueur de traités de désarmement majeurs est encore hypothétique, qu'il s'agisse de l'interdiction des essais ou de la prohibition de la production de matières fissiles militaires -pour cette dernière, du fait des préalables posés par le Pakistan.
La position française conserve toute sa pertinence. La France a réduit d'un tiers la composante aéroportée de sa dissuasion, mais l'essentiel est que la crédibilité de celle-ci soit préservée et que les orientations du Livre blanc comme la loi de programmation soient respectées. Le rapport insiste à juste titre sur les conditions qui permettraient d'aller vers une zone de basse pression nucléaire, dont la poursuite du désarmement de la Russie et des États-Unis par le dépassement du traité Start. La question de la défense anti-missiles est au coeur des discussions entre les deux pays -nous avons eu plusieurs débats en commission sur le sujet.
Dès lors qu'ils visent seulement à se protéger d'armes balistiques de puissance régionale, les projets américains de défense antimissile auraient tout intérêt à être concertés avec la Russie, voire la Chine, pour que ces pays n'y voient pas une source d'affaiblissement de leur dissuasion. Il faut être très prudent dans la mise en place d'un tel système de défense en Europe, sans cependant opposer un refus de principe à des technologies qui vont se développer et jouer un rôle complémentaire aux forces de dissuasion, sans s'y substituer. La France, en raison de son expérience balistique, ne peut ignorer ce domaine : nous devons poursuivre la réflexion.
Il faut renforcer le régime international de non-prolifération, le dossier iranien a une valeur essentielle en la matière. Personne ne conteste à l'Iran le droit de développer des activités nucléaires civiles, mais en adhérant pleinement aux règles du TNP, en particulier au contrôle par l'AIEA. Or, l'Iran a mené trop d'activités clandestines pour que la confiance ne soit pas rompue, alors qu'elle est à la base du TNP. Nous ne pouvons donc pas laisser se poursuivre des programmes qui peuvent conduire à des applications militaires. L'unité de la communauté internationale est indispensable, pour éviter des conflits en chaîne. Je soutiens les recommandations de M. Chevènement pour mettre en place des mécanismes de prévention plus précoces et plus efficaces face à ce genre de situation.
Le protocole additionnel qui renforce le pouvoir de contrôle de l'AIEA est une bonne chose, les moyens humains doivent suivre et il faudra également mieux encadrer le droit de retrait du TNP, qui est l'une des faiblesses du traité, comme l'a montré l'exemple nord-coréen. Je souscris pleinement à la proposition de M. Chevènement, de rapprocher les trois États non signataires du TNP du régime international de non-prolifération. Le rôle des réseaux pakistanais dans le programme nucléaire de l'Iran souligne l'intérêt de s'assurer que ces États exercent des contrôles stricts sur leurs exportations de biens ou de technologies nucléaires ou à double usage.
Je crois encore que nous devons être très fermes face à certains pays dits émergents qui s'opposent à un renforcement des contrôles, comme s'il s'agissait de limiter leur accès au nucléaire civil. Il faut même affirmer le plus clairement possible que la transparence et le contrôle renforceront la coopération dans le nucléaire civil, au bénéfice de tous. Je me félicite qu'en organisant il y a quelques jours à Paris la conférence internationale sur l'accès au nucléaire civil, la France ait de nouveau démontré sa disponibilité envers les pays désireux d'accéder au nucléaire civil.
Alors que le développement du nucléaire civil n'est nullement incompatible avec la non-prolifération, ce troisième pilier du TNP n'a pas recueilli toute l'attention qu'il mérite. L'expérience a montré que l'acquisition de l'arme nucléaire n'est pas toujours passée par le développement d'un programme civil, et le nucléaire civil peut être très bien contrôlé. Comme l'a souligné le Président de la République, il n'y a aucune raison de limiter la coopération dans le nucléaire civil, dès lors que les programmes électronucléaires sont contrôlés comme le prévoient les instruments internationaux. Un engagement plus résolu dans ce sens renforcerait le consensus de la communauté internationale autour du TNP.
Les avancées sont donc possibles sur chacun des trois volets du TNP, M. Chevènement les a bien identifiées : je souhaite que la France les prennent pour objectifs lors de la prochaine conférence d'examen ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Louis Carrère. - Le désarmement, pour être de la plus haute importance, n'est pas assez présent dans la vie de la cité. Aussi ce débat ne doit-il pas constituer la fin mais le début d'un processus de veille, où notre commission serait saisie en continu des questions liées au désarmement, où le Gouvernement informerait régulièrement le Sénat des positions de la France sur ce dossier.
Pourquoi est-il nécessaire de faire progresser le désarmement ?
Notre planète est de plus en plus instable, au gré des conflits de toute nature, des catastrophes, au point que les institutions de régulation mondiale paraissent inadaptées et la sécurité collective bien menacée. Voilà pourquoi nous devons relancer le désarmement conventionnel et nucléaire, et informer nos concitoyens sur ce dossier !
Le désarmement nucléaire général est inscrit à l'article 6 du TNP, il a toujours été un objectif des gouvernements de gauche, sous la présidence de François Mitterrand, comme sous la conduite de Lionel Jospin. Nous devons associer en permanence désarmement et sécurité collective, pour que l'un ne progresse pas sans l'autre ! C'est pourquoi le désarmement doit être élargi à l'ensemble des armements conventionnels et à la militarisation de l'espace. Oui, il faut lier le désarmement balistique, le désarmement nucléaire et les défenses antimissiles balistiques.
Oui, le concept de « stricte suffisance » appliqué à notre dissuasion nucléaire reste en vigueur, mais nous devons veiller à ne pas isoler notre pays au sein de l'Union européenne en matière de nucléaire.
Oui, la France doit faire entendre sa voix conformément aux objectifs du TNP : notre pays ne doit pas rester spectateur ! La Maison Blanche et Moscou négocient un nouveau traité de désarmement nucléaire pour succéder à Start, la discussion achoppe, notamment, sur le projet américain de défense antimissile en Europe de l'est. Récemment, le ministre russe des affaires étrangères a déclaré que le nouveau traité russo-américain fixera un lien juridiquement contraignant avec le projet américain de bouclier antimissile en Europe.
Monsieur le ministre, j'attire votre attention sur un accord qui réglerait le sort de la sécurité de notre continent !
Le secrétaire général de l'Otan a confirmé que l'Alliance occidentale discutera du dispositif nucléaire les 22 et 23 avril à Tallinn, en particulier sur les contrôles exercés par l'organisation dans le cadre du concept stratégique de l'Alliance. Certains alliés, l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, la Norvège et les Pays-Bas, souhaitent le retrait des dernières armes atomiques américaines d'Europe. Leur intention est d'éliminer les armes nucléaires que les États-Unis stockent encore en Allemagne, en Belgique, en Italie, aux Pays-Bas et en Turquie. Mais la question a aussi une dimension politique, c'est sans doute pourquoi l'Italie et la Turquie n'ont pas cosigné la lettre.
M. Chevènement développe ces points dans son rapport, l'Otan devra, à compter de 2012, moderniser ou retirer ses armes nucléaires tactiques stationnées en Europe. Des voix se font entendre pour dénucléariser les pays de l'Otan où sont stationnées les armes nucléaires tactiques américaines. Certains vont jusqu'à demander une Europe exempte d'armes nucléaires.
Le prochain sommet de l'Otan, à Lisbonne fin 2010, approuvera le nouveau concept stratégique de l'Alliance atlantique, et abordera la question du nucléaire militaire en Europe. Monsieur le ministre, quelle sera la position de la France ?
Je n'oublie pas ces propos du Président de la République : « Plus de France dans l'Otan, c'est, en effet, plus d'Europe dans l'Alliance ». (M. Didier Boulaud ironise) II ne faudrait pas que les négociations en cours conduisent à « moins de France partout et notamment en Europe ».
Il sera impossible d'aboutir si certaines puissances donnent l'impression de vouloir conforter leur supériorité nucléaire.
Comment convaincre l'Inde, le Pakistan et Israël de signer le TNP ? C'est l'un des défis des prochains mois. Le moment est venu pour la France de faire un geste fort à l'intention du monde entier, comme le fit François Mitterrand le 3 juin 1991 lorsqu'il soumit à l'ONU un plan global de maîtrise des armements et de désarmement et annonça l'adhésion de la France au TNP, ce qui fut fait le 3 août 1992. Entre-temps, le 6 avril 1992, il suspendit pour un an les essais nucléaires français, avant d'y mettre fin en mai 1994.
M. Didier Boulaud. - D'autres les ont repris depuis !
M. Jean-Louis Carrère. - Oui, le moment est venu pour la France d'agir au service de l'intérêt général, de la sécurité collective et du désarmement nucléaire. N'attendons pas que d'autres nous imposent leur point de vue. (Applaudissements à gauche)
M. Didier Boulaud. - Très bien !
M. Jacques Gautier. - Je n'avais pas prévu d'intervenir au cours de ce débat : M. le président de la commission connaît parfaitement ce sujet, et son intervention a illustré son engagement comme celle de la commission. M. Pintat, spécialiste des domaines spatial et nucléaire à l'UMP, a exposé un état des lieux très complet et des propositions réalistes. Quant au rapport de M. Chevènement, qui aborde conjointement les questions du désarmement, de la non-prolifération et de la sécurité de la France, il fait désormais autorité, et je salue le travail et les convictions de notre collègue.
Si j'ai voulu prendre la parole, c'est parce que je n'accepte pas que, depuis que le président Obama a émis le souhait d'un monde sans armes nucléaires, des idéologues, des journalistes mal informés ou des politiciens habiles fassent la leçon aux Français. M. Obama a fixé un objectif à long terme, tout en reconnaissant qu'il n'espérait pas le voir se réaliser de son vivant. Il faut d'ailleurs prendre en compte le contexte de son discours : la préparation de l'accord bilatéral entre les États-Unis et la Russie sur les armes stratégiques -et non tactiques- et la prochaine conférence d'examen du TNP en mai. Or les États-Unis n'ont toujours pas ratifié le Tice ; on annonce qu'ils pourraient le faire en 2011, ce qui amènera peut-être le Pakistan, la Chine et l'Inde à les imiter. Je rappelle d'ailleurs qu'une douzaine d'États qui mènent des activités nucléaires significatives n'ont pas signé le protocole additionnel du TNP.
Les États-Unis et la Russie, par le biais d'accords successifs, ont réduit des deux tiers leur arsenal nucléaire, mais ils détiennent encore 96 % du stock mondial ! Le Royaume-Uni et la France ont eux aussi diminué leurs forces. Cela a-t-il empêché la prolifération ? Hélas non. L'Inde, le Pakistan et Israël se sont dotés de l'arme nucléaire et n'ont signé aucun accord de limitation, même si l'Inde a accepté de négocier avec l'AIEA la signature d'un protocole additionnel et la mise en place d'un contrôle des exportations de techniques nucléaires. La Corée du Nord détient quant à elle une dizaine de têtes et des missiles balistiques. L'Iran poursuit ses efforts pour se doter de l'arme nucléaire et de missiles, et si ce pays y parvient, il est à craindre que la Turquie et l'Arabie Saoudite ne l'imitent. Le monde n'est pas plus sûr aujourd'hui qu'en 2005, quand échoua la dernière conférence d'examen du TNP.
D'après les estimations dont on dispose, nos pays restent fort surarmés. La Russie possède 13 000 armes nucléaires, les États-Unis 9 400, la Chine 400, la France 348 -le Président de la République veut réduire ce nombre à 300-, le Royaume-Uni plus de 200, Israël entre 100 et 200, l'Inde et le Pakistan environ 60 chacun, la Corée du Nord entre cinq et dix.
La France n'a de leçons à recevoir de personne. Elle milite activement en faveur du désarmement : avec les autres pays de l'Union européenne, elle a récemment soumis au secrétaire général de l'ONU des propositions concrètes. Elle a pris des initiatives souvent unilatérales, abandonné ses missiles intercontinentaux du plateau d'Albion, limité le nombre de ses sous-marins lanceurs d'engins, diminué d'un tiers le volume de ses forces nucléaires tactiques aériennes et réduit de moitié en quinze ans le nombre de ses armes nucléaires. En outre, nous avons définitivement arrêté nos essais nucléaires et démantelé les sites d'essais, arrêté la production d'uranium et de plutonium destinés aux armements, fermé nos usines de Marcoule et de Pierrelatte, ce qui fut une première pour une puissance nucléaire. Nous travaillons à la mise au point d'un programme de simulation recourant au laser mégajoule et d'un supercalculateur, et sommes les seuls à nous conformer aux obligations prévues à l'article 6 du TNP.
Notre approche est pragmatique et constructive. Elle est fondée sur les principes de non-prolifération nucléaire, d'accès aux usages pacifiques de l'atome, de désarmement et de lutte contre la prolifération balistique. Je ne doute pas que nous fassions des propositions concrètes en mai.
La France est donc très favorable à l'engagement du président Obama en faveur du désarmement, mais elle souscrit aussi à cette phrase : « Tant que les armes nucléaires existeront, les États-Unis conserveront un arsenal sûr et efficace pour dissuader tout adversaire et garantir la défense de leurs alliés. » Notre pays s'en tient à une stricte suffisance nationale, hors de l'Otan malgré sa réintégration du commandement intégré. Il a fait des efforts unilatéraux, et il revient à présent aux deux grands de diminuer significativement leur arsenal. Que chacun juge notre pays sur ses actes et non en fonction de préjugés ou d'idéologies. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Dominique Voynet. - Foin donc des préjugés et des idéologies. Nous sommes appelés à débattre aujourd'hui du désarmement et de la sécurité de la France sur la base d'un rapport d'information distribué le 17 mars, et non le 24 février comme indiqué sur le site du Sénat : le manque de transparence dans ce domaine ne date pas d'hier, mais qu'importe...
Ce débat tombe à point nommé : la loi de programmation militaire a été votée il y a quelques mois, la conférence quinquennale d'examen du TNP doit se tenir en mai et les accords Start sont arrivés à échéance en décembre. Monsieur le rapporteur, j'ai lu votre rapport et vous ai écouté avec intérêt, mais j'ai constaté que beaucoup d'eau avait coulé dans le lit de la Savoureuse depuis que nous manifestions ensemble contre l'implantation de missiles Pluton à Bourogne. Vos recommandations nous mènent dans une chausse-trappe. Vous avez l'honnêteté de rappeler que le TNP n'a pas empêché la prolifération : le désarmement est plutôt dû aux accords bilatéraux entre les États-Unis et la Russie. Le Royaume-Uni et la France ont également réduit leur arsenal, mais la Chine développe le sien. Israël, l'Inde et le Pakistan se sont dotés de l'arme nucléaire grâce à l'appui politique et technique plus ou moins discret des anciennes puissances, qui s'étaient pourtant engagées à lutter contre la prolifération. Puis ce fut le tour de la Corée du Nord, au nez et à la barbe de l'AIEA. En Iran, c'est l'opposition qui a dû avertir l'Agence de l'existence de sites d'enrichissement d'uranium à Ispahan et Natanz. Vous l'admettez, il est difficile de décider si les activités iraniennes d'enrichissement d'uranium ont une finalité exclusivement civile, et de caractériser les manquements aux obligations découlant du TNP avant d'être mis devant le fait accompli. Ce sont des combustibles similaires, obtenus par des filières identiques, qui sont utilisés à des fins civiles ou militaires : seul le degré d'enrichissement diffère.
Sauf à renoncer à voir advenir un monde sans armes nucléaires de notre vivant, nous ne pouvons plus nous contenter de discours convenus. Mais ce que vous nous proposez, monsieur le rapporteur, c'est de poursuivre la démarche qui a conduit à la montée des tensions que l'on constate aujourd'hui.
Vous êtes certes favorable à la diminution des stocks d'armes nucléaires, mais vous ajoutez que la Russie et les États-Unis doivent montrer le chemin, en suivant l'exemplarité de la France. La France, qui a été l'un des principaux vecteurs de la prolifération dans le monde ! Qui a mis un demi-siècle avant de reconnaître que ses essais nucléaires avaient fait des victimes !
Vous appelez au renforcement des mesures préventives et coercitives -tout en souhaitant promouvoir le nucléaire civil, en écho au Président de la République, prêt à « aider tout pays qui veut se doter de l'énergie nucléaire civile », alors que le nucléaire civil, c'est un fait, est souvent l'antichambre du nucléaire militaire ! Certes, le traité le permet, mais il y a un fossé entre répondre aux demandes d'États manifestant de l'intérêt pour ces technologies et « relancer la promotion » de l'énergie nucléaire ! La France coopère avec la Lybie, l'Algérie, la Tunisie, la Jordanie la Syrie, les Émirats arabes unis, qui seront bientôt capables de se doter de l'arme nucléaire !
Votre posture, selon laquelle on ne peut demander à notre pays de réduire ses capacités aussi longtemps que les États-Unis et la Russie n'auront pas ramené leurs forces à quelques centaines d'armes nucléaires, et qui vous conduit à douter de l'engagement de Barak Obama, est largement contestée, que ce soit par Alain Juppé, Michel Rocard ou Alain Richard. Tous prônent des signaux clairs pour consolider la détermination des Américains et des Russes en matière de désarmement. D'autant que la question du coût, dans un contexte de crise, impose des décisions pragmatiques : je pense aux discussions en cours entre Français et Britanniques sur la « permanence à la mer ».
Vous appelez de vos voeux de nouveaux traités interdisant à l'avenir les essais nucléaires et la production de matières fissiles. Tant que des pays pourront dissimuler le volet militaire de leur activité nucléaire, ces voeux risquent toutefois de rester pieux...
Ce rapport pose la question de l'intérêt même du désarmement nucléaire. Si la stratégie de dissuasion pouvait se justifier dans le contexte de la guerre froide, elle n'est plus adaptée aux nouvelles menaces. Pire, elle favorise la prolifération, son coût est exorbitant et nuit au développement des forces d'interposition et de maintien de la paix, ainsi qu'à l'Europe de la défense.
Vous insistez sur le lien entre désarmement et résolution des conflits, mais reportez la dénucléarisation à l'établissement d'une paix juste au Proche Orient -au moment où M. Netanyahou confirme son intention de poursuivre les constructions pour colons à Jérusalem Est !
On a l'impression que prime, dans la position française, la volonté de promouvoir le nucléaire civil, sans précautions suffisantes. Il est temps de se montrer responsables, et d'en finir avec les pratiques peu démocratiques dénoncées par M. Carrère en matière nucléaire.
L'idéologie abolitionniste est dans l'air, dites-vous, avec ce mélange de mépris et d'ironie dont vous gratifiez toute opinion différente de la vôtre. C'est pourtant celle de nombreux pays européens, à commencer par l'Allemagne : sont-ils irresponsables, inconscients ? Je ne crois pas. A idéologie, idéologie et demie : soyons pragmatiques, prenons des initiatives, comme celles suggérées par nos collègues communistes, dans un cadre européen et multilatéral. (Applaudissements sur les bancs CRC)
M. Jean-Pierre Chevènement, au nom de la commission. - Je remercie l'ensemble des intervenants. Mme Voynet redoute que le développement de programmes civils n'entraîne celui de programmes militaires : il n'y a pas d'exemple de prolifération militaire à partir de programme civil, sinon peut-être dans le cas de l'Inde, à laquelle le Canada avait fourni un réacteur de recherche.
J'ai pour ma part essayé de donner un éclairage géopolitique. Il n'y a pas de lien univoque entre désarmement et prolifération ; cette dernière a ses ressorts propres. La Russie et les États-Unis ont réduit leurs arsenaux des deux tiers ; ce n'est pas pour autant que l'Inde, le Pakistan ou Israël n'ont pas développé leur propre arsenal ! Ce sont les motivations régionales de sécurité qui priment.
J'ai fixé dans mon rapport l'entrée de la France dans une discussion multilatérale au moment où les arsenaux russes et américains auraient été réduits à quelques centaines. Ce n'est pas très loin de ce que propose le rapport Evans-Kawaguchi, bréviaire de l'école abolitionniste dans laquelle vous vous reconnaissez ! Chacun comprend le sens de la démarche : messieurs les Américains, messieurs les Russes, désarmez les premiers ! (Sourires)
Les deux anciens Premiers ministres que vous avez cités dévaluent excessivement le TNP, qui à mon sens a indéniablement ralenti la prolifération. Malgré ses fragilités, il a ménagé beaucoup d'avancées, et peut être conforté.
L'étude raisonnée des faits conduit à des propositions pragmatiques, graduelles. Pour des raisons politiques, mais avant tout techniques, il faut du temps : l'usine de Pantex au Texas ne pourra démanteler que 4 200 armes sur 9 400 à l'horizon 2025 ; une deuxième usine est prévue, voire une troisième, mais ne fonctionnera que sept ans après le début des travaux -qui n'ont pas encore commencé !
« Depuis le début de l'ère nucléaire, il y a 65 ans, il ne s'est pas écoulé une décennie qui ne soit moins dangereuse que la précédente », a dit McGeorge Bundy. On ne sortira pas de l'ère nucléaire avant plusieurs décennies, mais on peut aller vers une zone de basse pression nucléaire. La sécurité de la France, qui est un souci légitime et partagé, peut y trouver son compte. (Applaudissements à droite, au centre, et sur de nombreux bancs à gauche)
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. - Ce débat a été passionnant : je serai très bref.
L'excellent rapport de M. Chevènement éclaire remarquablement les termes de notre débat. Je l'en remercie, comme je remercie le président de Rohan : il était indispensable que la représentation nationale débatte de ce sujet essentiel.
La conférence de mai intervient à un moment décisif pour l'avenir du nucléaire, et pour la sécurité du monde. Depuis la dernière conférence, il y a cinq ans, le contexte a changé : regain d'intérêt pour le désarmement nucléaire, notamment depuis le discours du président Obama à Prague, mais aussi crises de prolifération qui menacent la sécurité internationale -je pense bien entendu à l'Iran et à la Corée du Nord.
Enfin, le nucléaire civil est en pleine renaissance. Pour combattre le changement climatique, pour contribuer au développement économique et à la sécurité énergétique, de plus en plus de pays relancent leur programme d'électricité nucléaire ; d'autres veulent s'y engager. La France a fait le choix déterminé du nucléaire civil -elle est disposée à aider tous les pays qui veulent s'engager dans cette voie : nous l'avons fait récemment dans une conférence à Paris. Membre permanent du Conseil de sécurité, elle a une responsabilité pour garantir la paix et la sécurité.
La France est signataire du TNP, elle est engagée sur la voie d'un monde plus sûr. Nous irons à New York pour promouvoir des objectifs et des moyens au service d'une cause : faire de la sécurité pour tous une réalité crédible.
Il n'y aura pas de désarmement sans coup d'arrêt à la prolifération nucléaire. II n'y aura pas de développement du nucléaire civil, sans coup d'arrêt à la prolifération. Telle est donc notre première priorité.
Comme le Président de la République l'a dit le 24 septembre devant le Conseil de sécurité : « Nous avons raison de parler de l'avenir. Mais avant l'avenir, il y a le présent, et le présent c'est deux crises nucléaires majeures ».
La France est à la pointe des efforts de la communauté internationale pour régler le problème du nucléaire iranien. L'Iran développe des capacités nucléaires sensibles sans finalité civile crédible. Il accroît la portée de ses missiles. L'AIEA déplore à longueur de rapports que l'Iran ne coopère pas suffisamment avec elle. Et Téhéran a rejeté toutes nos offres de dialogue et de coopération. Nous continuerons bien entendu à rechercher le dialogue. Mais quelles réponses ont suscité jusqu'ici toutes nos offres ? Rien de tangible. L'attitude de défi choisie par le gouvernement iranien ne nous laisse pas d'autre choix : nous devons rechercher de nouvelles sanctions, pour le convaincre ou le contraindre à négocier.
Les programmes nord-coréens ne mettent pas seulement en cause la paix et la stabilité de la région. A travers les coopérations que Pyongyang poursuit en particulier au Proche et au Moyen-Orient, elle exporte des ferments d'insécurité auxquels il faut faire barrage. Je reviens du Japon et de Corée du Sud, j'y ai mesuré l'inquiétude que suscite le dossier nucléaire et balistique nord-coréen, ainsi que les attentes envers la France.
Dans le domaine du désarmement, nous refusons la facilité des slogans, le cynisme et la démagogie. Nous voulons un désarmement réel qui se traduise par des actes. La France a fait son choix : convaincre par l'exemple. Nous avons ratifié, il y a maintenant douze ans, le traité d'interdiction des essais nucléaires. Nous avons démantelé notre site d'essais. Nous avons démantelé de façon irréversible les installations qui produisaient le plutonium et l'uranium destinés aux armes nucléaires. Nous avons éliminé la composante terrestre et réduit les composantes océanique et aéroportée conformément au principe de stricte suffisance qui a toujours guidé notre posture nucléaire.
M. Didier Boulaud. - C'est l'oeuvre de François Mitterrand.
M. Bernard Kouchner, ministre. - Nous demandons que tous les États fassent des efforts semblables. Nous ne demandons pas des discours, nous demandons des faits. En mars 2008, à Cherbourg, le Président de la République a fait des propositions ambitieuses et il a appelé toutes les puissances nucléaires à y souscrire. Le désarmement ne pourra progresser que lorsque la volonté sera partagée par tous. Ces propositions ont constitué le fondement du plan d'action que l'Union européenne a adopté lors de la présidence française, et que le Président de la République a présenté au secrétaire général des Nations unies.
Ce plan d'action commence par une nouvelle réduction des stocks d'armes nucléaires de la part de la Russie et des États-Unis -dont il faut répéter qu'à eux deux ils détiennent 95 % des armes nucléaires dans le monde, proportion qui devrait rester la même après le nouveau traité de désarmement qui pourrait être signé prochainement.
Il suppose ensuite l'entrée en vigueur du traité d'interdiction complète des essais nucléaires (Tice) : pour progresser vers le désarmement, il faut aussi cesser de s'armer, et donc mettre fin à la production de matières fissiles pour les armes nucléaires. Nous proposons donc un moratoire immédiat et la négociation d'un traité d'arrêt de la production de matières fissiles.
Enfin, le désarmement nucléaire doit aller de pair avec un désarmement crédible dans les domaines biologique, chimique ou conventionnel, de la défense anti-missiles ou de l'espace. Si nous n'avançons pas du même pas dans tous les domaines, nous prenons le risque d'une nouvelle course aux armements, dont le résultat serait catastrophique.
Le nucléaire civil était jusqu'ici le parent pauvre des conférences d'examen du TNP. La France en fait une priorité. Nous avons organisé une conférence internationale sur ce sujet les 8 et 9 mars derniers. Le Président de la République l'a rappelé à cette occasion : la France a fait résolument le choix du nucléaire civil pour elle-même, elle est prête à coopérer avec tous les pays qui voudront s'engager sur cette voie et qui respectent leurs engagements internationaux. Lors de la conférence d'examen du TNP, ceux qui veulent accéder à cette énergie du futur pourront faire valoir leurs intérêts, leurs attentes et leurs préoccupations ; nous ferons valoir l'exigence qui accompagne notre proposition : que le développement du nucléaire se fasse avec les meilleures garanties de sécurité, de sûreté, et de non-prolifération. Cela signifie renforcer l'AIEA ; promouvoir les normes et les pratiques les plus élevées de sûreté et de sécurité nucléaires ; prévenir une dissémination incontrôlée des technologies les plus sensibles du cycle du combustible en garantissant la fourniture du combustible nucléaire.
Le président Obama a dit : « Je rêve d'un monde où il n'y aurait plus d'armes nucléaires ». La France répond par les faits et par l'exemple : nous voulons un nouvel ordre nucléaire mondial, qui soit un gage de prospérité pour tous et qui fasse de la sécurité collective une réalité.
Nous voulons un monde où la prolifération sera fermement contenue, un monde où les matières nucléaires et radioactives seront encore mieux protégées contre les acteurs non étatiques.
M. René-Pierre Signé. - Il ne faudra pas être pressé !
M. Bernard Kouchner, ministre. - Ça s'accélère.
Nous voulons un monde où le nucléaire civil se développera dans les meilleures conditions de sécurité, de sûreté, et de non-prolifération, grâce à un renforcement des moyens de l'AIEA dont j'ai reçu récemment le nouveau directeur général, M. Amano.
Nous voulons un monde où les États prendront toutes leurs responsabilités, et auront l'audace de regarder les faits en face sans se résigner devant le fait accompli. Ce n'est pas parce que nous avons repris notre place à l'Otan -sauf au comité nucléaire !- que nous aurions perdu notre autonomie d'initiative.
M. Didier Boulaud. - Si.
M. Bernard Kouchner, ministre. - Mais non ! Regardez l'exemple de l'Afghanistan.
M. Didier Boulaud. - Parlez-en à nos militaires !
M. Bernard Kouchner, ministre. - Je leur parle souvent.
M. Didier Boulaud. - Ils sont associés à la décision une fois que tout est terminé.
M. Bernard Kouchner, ministre. - C'est nous qui avons réagi positivement aux propositions du président Medvedev. C'est nous qui avons réagi lors de la plus grave crise militaire qu'ait connu récemment l'Europe, à propos de la Géorgie.
M. Didier Boulaud. - On voit le résultat ! Où sont les Russes ?
M. Bernard Kouchner, ministre. - Nous avons arrêté leur armée sur la route de Tbilissi. (Applaudissements à droite)
M. Didier Boulaud. - Où sont-ils aujourd'hui ?
M. Bernard Kouchner, ministre. - Ils sont à Genève en train de négocier avec nous.
Voilà la position que la France ira défendre dans quelques semaines à New York. (Applaudissements à droite et sur quelques bancs du RDSE)
Droit à la vie privée à l'heure du numérique
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l'heure du numérique, présentée par M. Yves Détraigne et Mme Anne-Marie Escoffier.
Discussion générale
M. Yves Détraigne, coauteur de la proposition de loi. - Si l'objet de cette proposition de loi peut paraître ésotérique, il n'en est pas moins d'une réelle actualité. Le développement exponentiel des nouvelles technologies numériques, notamment au travers d'internet et des réseaux sociaux tels que Facebook ou MySpace, mais aussi des puces RFID (Radio Frequency Identification) qui permettent le développement d'applications telles que le télépéage ou le pass Navigo nous concerne tous, souvent même à notre insu. Même si vous n'utilisez pas personnellement internet, faites taper votre nom et votre prénom sur un moteur de recherche, et vous verrez que vous êtes présent sur la toile. Peut-être même redécouvrirez-vous certaines actions passées oubliées...
Certes, le développement du numérique constitue d'abord un progrès. L'apparition du GPS évite quelques scènes de ménage en voiture ; le télépéage nous permet de gagner du temps sur l'autoroute ; le pass Navigo assure une meilleure fluidité dans le métro ; internet nous permet de tout connaître sur tout et nous rend service dans notre travail de parlementaire -Twitter nous a permis de suivre en direct les manifestations en Iran, en dépit de la censure. Et combien d'entre nous ont délaissé leur téléphone portable traditionnel au profit du Blackberry ou de l'lphone. Bref, nul ne résiste à l'attrait des nouvelles technologies...
Mais elles ont pour corollaire le développement parallèle des mémoires numériques et de la « traçabilité » des moindres faits et gestes de chacun, au-delà même d'internet : un GPS permet de savoir où vous êtes et dans quelle direction vous allez... Il ne s'agit pas de dramatiser et de passer pour rétrogrades mais, dans la continuité de nos prédécesseurs, qui il y a une trentaine d'années ont pressenti les développements futurs de l'informatique et voté la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés du 6 janvier 1978 dont la règlementation européenne s'est par la suite inspirée, de compléter le cadre juridique existant pour mettre nos concitoyens en mesure de protéger leur vie privée et leurs données personnelles.
Car si les nouvelles technologies facilitent la vie, elles peuvent également nuire durablement à des personnes qui n'ont rien à se reprocher. L'enquête menée l'an dernier auprès de recruteurs américains en a fourni un exemple éloquent en confirmant que 45 % d'entre eux cherchaient sur internet les informations concernant les candidats qu'ils allaient recevoir et que 35 % avaient rejeté des candidatures au vu de photos ou d'informations privées sur les candidats, glanées sur internet, mais sans rapport direct avec le profil et les qualités exigés pour le poste à pourvoir... Lorsque l'on sait que 75 % des collégiens utilisent les messageries instantanées, les mails et les chats, que 40 % possèdent un blog et que 30 % y diffusent des photos d'amis, on comprend vite la nécessité d'être vigilants.
Ce texte vise donc à mettre en place des mesures permettant aux utilisateurs de technologie numérique de garder la maîtrise de leurs données personnelles. Il y va d'un certain équilibre de la démocratie. Je remercie le rapporteur, M. Cointat, et la rapporteur pour avis, Mme Morin-Dessailly, qui ont mené un travail de qualité tout en en respectant l'esprit de ce texte.
J'insiste sur la nécessaire sensibilisation des jeunes, notamment en milieu scolaire, aux questions liées à la protection des données personnelles et plus généralement à la vie privée, sachant que les parents ne disposent pas nécessairement des connaissances requises pour transmettre à leurs enfants les informations et mises en gardes utiles. J'insiste également sur les dispositions qui facilitent la mise en oeuvre par les utilisateurs des technologies numériques des droits que leur reconnaît la loi Informatique et libertés, notamment celui d'être informé de la durée de conservation des données les concernant, et de pouvoir exercer plus facilement leur droit de suppression ou de rectification.
J'insiste, enfin, sur la nécessité de diffuser une véritable culture « Informatique et libertés » au sein des entreprises et des administrations qui gèrent des traitements de données à caractère personnel lorsque plus de 50 personnes y ont accès, notamment en y généralisant la fonction de correspondant informatique et libertés. Je sais que ce point reste discuté, mais songeons qu'il ne s'agit que de protéger ces structures contre l'utilisation non contrôlée de certaines données.
L'irruption du numérique dans notre quotidien transforme la société dans laquelle nous vivons. Quand, il y a quelques années encore, une information publiée en un temps t n'était accessible qu'aux individus destinataires de son support et disparaissait au bout de quelques jours, une information publiée aujourd'hui sur internet devient indéfiniment accessible à tous.
Nous ne sommes ni rétrogrades, ni obscurantistes : nous n'aspirons qu'à aider à un développement d'un monde numérique qui ne nuise pas à ceux qui n'ont rien à se reprocher. (Applaudissements au centre, à droite et au et au banc des commissions)
Mme Anne-Marie Escoffier, coauteur de la proposition de loi. - Cette proposition de loi est pour moi source de satisfaction, d'étonnement et d'admiration.
Satisfaction, d'abord, au vu du travail de mon collègue et ami Yves Détraigne, sur un sujet à défricher, et qui m'a permis de faire l'apprentissage du développement d'un monde technologique dont je ne mesurais pas toutes les conséquences.
Étonnement, ensuite, face aux réactions nombreuses, passionnées et parfois contradictoires, que suscitait le sujet et qui justifient largement le dépôt d'un texte visant à responsabiliser les utilisateurs et à mieux encadrer une pratique saisie par les enjeux commerciaux. C'est ainsi que nous fûmes tantôt considérés comme des sages, tantôt comme des rétrogrades, pris, toujours, dans la tourmente qui emporte notre modèle de société.
Admiration, enfin, pour le travail de M. Cointat, qui a su, je le reconnais humblement, enrichir et ordonner un ensemble qui n'était pas exempt de défauts. Le texte issu des conclusions de la commission respecte nos intentions premières, qui allaient à responsabiliser les internautes en les informant, en leur offrant des garanties renforcées, en confortant le rôle de la Cnil, formidable instrument d'expertise et de régulation, tout en évitant les risques d'obsolescence rapide, dans un texte qui, loin de diaboliser l'outil numérique, le magnifie en le mettant au service de l'homme.
Je remercie tous ceux qui ont soulevé chez moi ces sentiments et suscité ma pleine adhésion à ce texte.
L'article premier porte engagement de l'État à accompagner et responsabiliser les jeunes utilisateurs. Il confie à l'éducation nationale une compétence renforcée, en sanctuarisant le droit à la vie privée. Cela était nécessaire, au vu des comportements des plus jeunes, qui distinguent mal entre jeu et information partagée sur les réseaux sociaux. Déjà, des associations se sont créées qui font circuler l'information, en soulignant les avantages et les risques d'internet, et qui sont de plus en plus sollicitées par les établissements.
Cette modification du code de l'éducation sera l'occasion d'améliorer les synergies et d'assurer l'information auprès du grand public, à l'instar de ce qu'ont fait certains de nos voisins européens, comme l'Espagne, au travers de larges campagnes.
Le texte précise les conditions dans lesquelles peuvent être renforcées les garanties dont bénéficient tant les internautes que les opérateurs. Le statut de l'adresse IP est ainsi clarifié. Notre rapporteur propose une rédaction qui concilie les observations du Gouvernement et les remarques techniques des fournisseurs d'accès à internet. L'adresse IP n'est pas une donnée personnelle mais elle est un des éléments d'un faisceau d'indices qui permet d'identifier l'internaute.
De même sont clarifiées les conditions dans lesquelles un internaute peut bénéficier d'un droit au remords pour des raisons légitimes. La nouvelle rédaction concilie le respect du droit à la vie privée et le principe de non-atteinte à une liberté garantie par la loi. Le texte initial avait fait l'objet de remarques de la part de la presse, qui s'inquiétait d'éventuelles demandes abusives de suppression d'une information mettant en cause son indépendance et sa neutralité. La rédaction actuelle permet de clarifier l'exercice du droit de suppression tant pour l'utilisateur que pour le responsable du traitement. La protection des données personnelles s'accompagne du renforcement du rôle de la Cnil, organe de contrôle, d'expertise et de conseil. La désignation obligatoire de correspondants « informatique et libertés » dans le public et le privé est une condition indispensable pour traiter les données à caractère personnel. Or, aujourd'hui, cette fonction est insuffisamment développée, notamment dans les administrations. Désormais, un seuil de 50 personnes ayant directement accès aux données serait appliqué, mais ce seuil pourra être révisé. En outre, la fonction de correspondant pourra être mutualisée entre différents responsables de traitement. L'Association des professionnels internet des collectivités locales est particulièrement intéressée par ce dispositif qui renforcerait la fonction de direction des ressources humaines. La Cnil aura donc de nouveaux moyens d'agir : information sur les failles de sécurité, publicité des avis rendus, sanctions pécuniaires aggravées à l'encontre de ceux qui enfreindraient la loi.
Enfin, l'article 4 de ce texte imposait aux nouveaux fichiers de police de passer par la loi afin de mieux encadrer leur création et d'éviter certains problèmes, comme ceux que nous avons par exemple connus lors de la mise en place du fichier Edwige. Notre rapporteur a choisi une voie médiane en prévoyant l'autorisation pour chaque catégorie de fichiers de police et en assortissant cette autorisation d'une instruction spécifique de la Cnil.
Cette proposition de loi n'a donc pas l'ambition d'embrasser un domaine au champ immense et en pleine mutation. Elle ne prévoit que les adaptations nécessaires en raison des évolutions technologiques et culturelles aujourd'hui perceptibles. Elle tente de concilier les différents intérêts en présence : ceux des internautes, ceux des responsables des traitements de données et aussi ceux des opérateurs, en veillant à l'harmonie entre protection de la vie privée et liberté des systèmes d'information. Elle ne néglige pas l'obligation qui sera faite à la loi française de se conformer aux dispositions de la directive de 1995 dont la révision est engagée pour s'adapter aux effets de la mondialisation. C'est pourquoi je porte avec Yves Détraigne et notre rapporteur cette proposition de loi qui fondera, je l'espère, le socle d'une réglementation adaptée à notre nouvel environnement numérique. (Applaudissements au centre et sur divers bancs à droite)
M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois. - Nous vivons dans une atmosphère de plus en plus envahie par les vapeurs électroniques, des vapeurs parfois inquiétantes. La pollution de l'air nous alarme, et c'est normal, mais les risques liés à la prolifération de réseaux palpitants et chatoyants qui s'immiscent de plus en plus dans notre intimité nous laissent de marbre comme si nous étions hypnotisés par la lumière et le sentiment de puissance qu'ils dégagent. C'est assez étonnant. Prendre la planète tout entière dans ses bras sans sortir de chez soi est effectivement grisant. Accéder à la connaissance ou au jeu par un simple clic dépoussière le passé. S'évader vers un monde virtuel, modelé selon ses rêves, ouvre le chemin de l'infini. On se trouve ainsi face à un univers merveilleux, sans autre limite que son appétit de découverte. Mais voilà, toute médaille, aussi belle soit-elle, a un revers. Si les toiles d'araignées sont de magnifiques oeuvres d'art de la nature, elles sont aussi un piège mortel. Oui, le web, la toile, autrement dit internet, est une fantastique invention, un extraordinaire outil de connaissance, de communication et de partage dont les mérites sont immenses. Les sénateurs des Français établis hors de France en savent quelque chose : internet nous a changé la vie en mettant le monde à notre portée comme s'il était presque devenu, par analogie avec nos collègues « territoriaux », un département français. Territoire, certes virtuel, mais collectivité française bien réelle !
Mais internet comporte aussi, surtout pour les jeunes, des dangers non négligeables contre lesquels il faut se prémunir. La loi informatique et libertés de 1978 a été adoptée, puis modifiée, dans cet esprit, mais il ne faut pas se laisser dépasser, ni surtout distancer, par l'évolution des technologies. Aussi, qu'on le veuille ou non, un aménagement des textes normatifs est encore nécessaire, ne serait-ce que pour suivre, et pourquoi pas précéder, la marche en avant de l'Europe au sein de la mondialisation. Tel est l'esprit de cette proposition de loi qui constitue la suite logique d'une mission d'information effectuée par M. Détraigne et Mme Escoffier au nom de votre commission des lois. En préambule de leur rapport d'information, ils posaient la question essentielle à laquelle il nous importe de répondre : « La société reconnaît à l'individu le droit de disposer d'un espace privé, distinct de la vie collective de la communauté. Comment, dès lors, concilier les nouveaux pouvoirs que font peser sur chaque individu les nouvelles technologies avec ce droit à la vie privée ? » Comment éviter « d'être pris au piège des mémoires numériques qui jouent le même rôle que notre propre mémoire ? » Si le sujet est complexe, la réponse est simple : « Il nous revient d'être ces veilleurs vigilants face aux grands enjeux informatique et liberté pour que le respect de la personne humaine, de sa vie privée et de sa dignité reste toujours un principe absolu ». Comme tout « veilleur vigilant » se transforme tôt ou tard en acteur, ce rapport d'information prend les devants et présente quinze propositions. La plupart d'entre elles se retrouvent dans la proposition de loi et celles-ci, pour l'essentiel, constituent l'ossature du rapport que j'ai l'honneur de vous présenter. Les deux auteurs de la proposition de loi et du rapport d'information que je viens d'évoquer sont mieux que moi à même de vous faire partager leur cheminement intellectuel. Je me limiterai donc aux seuls points saillants pour vous expliquer pourquoi votre commission s'est délibérément placée dans leur approche tout en apportant quelques correctifs afin de trouver un équilibre aussi satisfaisant que possible entre des éléments parfois opposés.
Tout d'abord, nous constatons que le monde bouge et bouge vite. La globalisation est en marche. La technologie connaît une évolution galopante. Internet est de plus en plus présent : sa toile ne cesse de s'étendre et sa maitrise devient, ô combien, difficile. La complexité est telle que beaucoup d'éléments échappent à la plupart des utilisateurs. De nouveaux comportements s'imposent donc pour éviter que le progrès ne se transforme en menace pour les libertés. Comme chacun sait, « la liberté s'achève là où commence celle des autres » et les intérêts sont parfois divergents. Par exemple, les professionnels du commerce électronique souhaitent plus de liberté pour entreprendre alors que les consommateurs demandent davantage de garanties pour leurs droits. Les consommateurs, à l'inverse, réclament plus de liberté d'accès alors que les professionnels veulent davantage de garanties sur le respect de la propriété intellectuelle à cause du risque de téléchargement illégal. C'est toute la problématique des cookies et des verrouillages. La proposition de loi touche ainsi à de nombreux sujets sensibles qui, de surcroît, posent des problèmes de société, autant de questions qui méritent des réponses rapides dans un environnement évolutif. Certes, la France n'est pas seule dans un monde de plus en plus global et sa législation ne peut donc pas tout régler. Mais, elle pèse en Europe qui, elle-même, pèse sur la scène internationale. Aussi, ce texte aura un effet d'entraînement salutaire. Pour ces raisons, votre commission, tout en faisant siens l'approche et les objectifs de ce texte, en a, toutefois, modifié quelques aspects pour obtenir une meilleure concordance entre liberté et protection, convivialité et garantie, information et simplicité.
Les principaux aménagements apportés sont les suivants : l'article premier prévoit la sensibilisation des jeunes dans les établissements d'enseignement aux risques que peut faire courir internet. Votre commission reconnaît l'importance de cette disposition mais elle a estimé qu'il fallait également l'étendre aux côtés aspects du web. Elle a ainsi retenu une nouvelle formulation proposée par la commission de la culture et son rapporteur, Mme Morin-Desailly, qui place cette initiation dans les cours d'instruction civique, et non pas dans les cours d'informatique.
L'article 2 soulève une question en apparence anodine mais qui a son intérêt, à savoir l'adresse IP des ordinateurs : il s'agit de la plaque d'immatriculation de votre ordinateur et de votre connexion sur le web. Tout le monde sait qu'une plaque d'immatriculation d'un véhicule automobile est une donnée personnelle, puisqu'elle permet l'identification du propriétaire. Il doit en être de même pour le véhicule qui permet à chacun de se déplacer sur le réseau électronique. Votre commission a cependant modifié la rédaction pour qu'il ne puisse y avoir aucune confusion avec d'autres numéros attachés au matériel. II s'agit du seul numéro identifiant le titulaire d'un accès en ligne. Ce faisant, le Parlement mettra un terme à des conflits de jurisprudence qui constituent autant de risques d'insécurité juridique pour l'ensemble des acteurs d'internet. Les articles 3 et 7 concernent le « correspondant informatique et libertés ». Votre commission a quelque peu adapté la rédaction de ces deux articles pour tenir compte des observations présentées par les professionnels lors de ses auditions, afin de bien montrer que ce correspondant, ce CIL, n'était ni un espion, ni un inquisiteur, mais un conseiller et un protecteur. Pour les entreprises et les administrations qui gèrent des fichiers importants, le correspondant informatique et libertés doit être considéré comme une forme d'assurance. Il devra être un « facilitateur » qui veillera à ce que tout se passe bien. La question du caractère obligatoire de ce correspondant au-dessus du seuil de 50 personnes traitant des fichiers a fait débat. Votre commission s'est rangée à l'avis des auteurs de la proposition de loi, tout en restant ouverte à une éventuelle adaptation.
Pour la quantité des informations traitées, la commission a prévu un dispositif clair et précis. En revanche, sur le seuil à prendre en compte, le débat peut s'ouvrir. Le caractère obligatoire du correspondant informatique et libertés quand est dépassé le seuil de 50 personnes traitant des fichiers a fait débat et la commission s'est rangée à l'avis des auteurs de la proposition de loi, tout en restant ouverte à une éventuelle adaptation. Ce caractère obligatoire donne sens à cette nouvelle culture de protection des données qu'il importe de développer. Il s'agit de créer par ce biais un véritable réseau interactif entre la Cnil et les opérateurs, non pas pour renforcer les contrôles, mais pour améliorer la connaissance et la compréhension : d'un côté, les entreprises et les administrations seront plus au fait de la pratique de la Cnil ; de l'autre, cette dernière sera davantage consciente des difficultés pratiques du terrain. Ce texte tend à combler le gouffre existant entre la théorie et la pratique. Quant au seuil lui-même, il concerne uniquement le nombre de personnes traitant des fichiers. Si des PME le trouvent trop bas, rien ne les empêche de rationaliser leur organisation et de limiter les autorisations de gestion des fichiers. Tout le monde y gagnera. Cette réforme doit se faire dans la majorité des cas à coût constant ; il s'agit simplement de charger une personne qualifiée de cette fonction, ce qui se fait déjà fréquemment. Enfin, la possibilité de mutualisation de ce correspondant devrait également faciliter sa mise en place.
L'article 4 traite d'un sujet sensible, les fichiers de police. Comme les auteurs de la proposition de loi, votre commission estime qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution tout ce qui touche aux libertés publiques relève de la loi. Mais elle considère qu'il n'appartient pas à la loi de le rappeler, mais de l'appliquer. Aussi s'est-elle attachée à fixer les règles très strictes qu'il convient de suivre pour créer et traiter des fichiers de police ou intéressant la sécurité de l'État et la défense nationale. Pour ce faire, elle a repris une série d'articles votés par l'Assemblée nationale, avec l'accord du Gouvernement, dans le cadre de la simplification du droit, car ils trouvent mieux leur place dans cette proposition de loi, puisqu'ils modifient la loi informatique et liberté.
Les articles 5 et 6 concernent essentiellement la bonne information des internautes. Ils ont le droit de savoir ce qui se passe et ce qui se fait avec leurs données. Les responsables des sites ont le devoir d'y donner suite. Le texte proposé réécrit en partie la proposition de loi pour trouver un point d'équilibre entre les arguments des représentants des professionnels et ceux des usagers. S'il ne faut pas pénaliser le commerce en ligne dans notre pays -et favoriser ainsi sa délocalisation- il faut aussi protéger et informer les consommateurs. Notre texte, s'efforçant de trouver une juste mesure entre des approches contradictoires, permet à l'utilisateur d'un service en ligne d'être parfaitement informé et de pouvoir clairement faire connaître ses choix, notamment en matière de cookies -fichiers déposés par un site dans l'ordinateur qui le visite- en particulier par le paramétrage du navigateur. Mais, par ailleurs, il n'alourdit pas la tâche des gestionnaires de site tout en maintenant la fluidité de la navigation sur internet.
L'article 8 est au coeur de la proposition de loi, puisqu'il s'agit du « droit à l'oubli ». Il facilite le droit d'opposition à l'utilisation de données personnelle, déjà prévu par la loi Informatique et libertés, en levant quelques ambiguïtés rédactionnelles. La notion de « motifs légitimes », sur laquelle se fonde ce droit, étant peu précise, votre commission l'a encadrée davantage en indiquant les cas où elle ne pourrait pas s'appliquer. Tel est le cas, par exemple, de la liberté de la presse.
Je me félicite de la proposition des deux auteurs de la proposition de loi d'aligner le droit relatif aux litiges civils sur celui du code de la consommation, pour que les plaignants ne se voient plus opposer à terme une compétence territoriale dissuasive. Cela facilitera la tâche de nos concitoyens qui s'estiment lésés par un manquement à la loi Informatique et libertés.
Cette proposition de loi amendée par votre commission a pour objectifs essentiels de sensibiliser les jeunes aux avantages et inconvénients d'internet et de moderniser la loi informatique et libertés. Son approche est déterminée, mais prudente, souple, équilibrée et soucieuse d'équité. En d'autres termes, elle se fonde sur la recherche du bon sens. Éric Orsenna a écrit une très belle phrase : « Le droit est à une société ce que la grammaire est à une langue ». La grammaire est en perdition. Faisons au moins en sorte que le droit nous sauve ! (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur pour avis de la commission de la culture. - La conjonction de l'ordinateur et de l'internet, en favorisant la circulation planétaire des informations est une révolution anthropologique qui n'a rien à voir avec les révolutions industrielles précédentes. Elle affecte directement et profondément nos manières de travailler, d'apprendre, de nous cultiver, de communiquer et de vivre ensemble. Internet offre de nouveaux espaces de liberté, d'expression, de communication et d'information qui contribuent à l'exercice de la citoyenneté, voire au renforcement du lien social.
Cependant, malgré ces opportunités sans précédent, il peut menacer les droits fondamentaux et les libertés publiques, notamment le respect de la vie privée et la protection des données personnelles. La tendance, notamment chez les jeunes, à l'exposition de soi et d'autrui sur internet, favorise l'apparition de mémoires numériques, voire de casiers numériques, disséminées sur la toile, facilement consultables, et qui peuvent se retourner contre les internautes, par exemple lorsqu'ils sont candidats à une embauche.
Cette proposition de loi vise précisément à renforcer la protection des libertés fondamentales et à créer les conditions d'un droit à l'oubli afin qu'internet ne se transforme pas en espace de surveillances. C'est un important premier pas qu'il faut saluer.
Demeure le problème épineux de la territorialité des dispositifs de régulation. Ainsi que me l'ont rappelé les représentants de Facebook, leur société est installée aux États-Unis où les données personnelles sont rapatriées et traitées. Le droit international privé donne donc compétence à la loi américaine, au juge et au régulateur américains pour connaître de toute mesure et de tout litige. Des négociations internationales seront, à l'évidence, nécessaires pour résoudre cette difficulté.
La commission de la culture s'est saisie pour avis du premier article de la proposition de loi qui modifie le code de l'éducation pour prévoir une sensibilisation des élèves aux risques et aux dangers d'internet au regard de la protection de la vie privée. Au titre de sa compétence en matière de communications électroniques, et en préparation de la transposition prochaine de directives communautaires dans le domaine des télécommunications, elle a également examiné les dispositions relatives au statut de l'adresse IP (Internet Protocol), au droit de refus des témoins de connexion appelés cookies et la conciliation entre le respect de la vie privée et la liberté d'information. Sur ces trois derniers points, nos échanges avec le rapporteur de la commission des lois ont permis de constater la convergence de nos analyses.
La commission des lois a intégré au texte issu de ses travaux un amendement de réécriture globale de l'article premier que nous lui avions soumis. L'éducation nationale a un rôle crucial à jouer dans la formation des jeunes à la maîtrise de leur image publique et au respect de la vie privée, comme l'avait déjà souligné le rapport sur l'impact des nouveaux médias sur la jeunesse de notre collègue Assouline, au nom de la commission de la culture. L'article premier s'appuyait initialement sur un dispositif de la loi Hadopi I, qui a prévu que l'enseignement de technologie et d'informatique doit comporter un volet consacré au droit de la propriété intellectuelle et aux dangers du téléchargement illégal d'oeuvres protégées. Sur le même modèle, l'article premier prévoyait que les élèves fussent informés des dangers de l'exposition de soi et d'autrui sur internet, ainsi que des droits d'accès, d'opposition, de rectification et de suppression des données personnelles.
La commission de la culture a souhaité que cette information fasse partie de l'enseignement d'éducation civique plutôt que de technologie et d'informatique. De plus, elle a élargi la finalité de ce nouveau module de formation à l'acquisition d'une attitude critique envers l'information et d'une attitude de responsabilité dans l'utilisation des outils interactifs. L'enseignement d'éducation civique paraît en effet le lieu le plus approprié pour sensibiliser les élèves au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles. Plutôt que de leur inculquer des compétences techniques, il s'agit de développer leur esprit critique et de les responsabiliser dans l'utilisation d'internet, objectif qui fait d'ailleurs partie du socle commun de connaissances et de compétences exigé de chaque élève à l'issue de sa scolarité obligatoire.
La commission de la culture s'est enfin interrogée sur la formation des enseignants eux-mêmes, bien souvent moins familiers des réseaux sociaux sur internet que leurs élèves. En outre, les enseignants ne disposent pas toujours de connaissances suffisantes et de matériels pédagogiques adéquats sur la protection des données personnelles. Le ministère de l'éducation nationale nous a donné l'assurance que l'ensemble des nouveaux enseignants, dans le cadre de la mastérisation du recrutement, devrait valider un certificat « informatique et internet ». Ce C2i comprendra un volet sur le droit à la vie privée et la protection des données personnelles. L'expertise de la Cnil devrait être sollicitée.
Par ailleurs, dans le cadre de la réforme du lycée, un référent culturel doit être mis en place dans chaque établissement. Il serait également judicieux de désigner des référents internet, qui joueraient le rôle de pôles d'information et de sensibilisation, non seulement pour les jeunes, mais aussi pour les enseignants. Les acquis de formation initiale et continue des professeurs seraient renforcés grâce à des groupes informels d'enseignants autour des référents internet visant au partage d'expériences et à l'échange de bonnes pratiques.
Tous les cours pourraient d'ailleurs être l'occasion d'une analyse critique des médias et des sources d'information.
La commission de la culture a donné un avis favorable au texte de son homologue des lois et salue les travaux de son rapporteur. (Applaudissements au centre et à droite)
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. - Les orateurs qui m'ont précédé ont excellemment rappelé le rôle que joue internet dans notre vie quotidienne. Les moteurs de recherche sont devenus des outils extrêmement puissants, tandis que tous les médias sont présents sur la toile et que tout un chacun peut y publier des informations sur lui-même et ses activités. Avec le développement des blogs et des réseaux sociaux, des millions d'informations à caractère personnel circulent, qui peuvent être non désirées et non contrôlées. Les incidents se multiplient, au point que certains pays, tel le Canada, ont décidé de réagir. Des sociétés proposent aujourd'hui la reconstitution de la vie privée et professionnelle à partir des données disponibles sur le web, dont les résultats sont stupéfiants.
Les travaux des auteurs de la proposition de loi, que salue le Gouvernement, ont mis en évidence les risques provoqués par ces évolutions pour le respect de la vie privée. Comment s'assurer que les progrès technologiques ne se traduisent pas par une régression des libertés ? Telle est la question à laquelle le Sénat entend répondre. Cette démarche s'inscrit dans un contexte plus large, celui de la transposition prochaine du texte européen modifiant la directive de 2002 relative au traitement des données à caractère personnel et à la protection de la vie privée. Le travail interministériel de transposition est en cours, sur lequel il n'est pas opportun d'anticiper. J'ajoute qu'une réflexion est en cours au niveau européen pour étudier les évolutions éventuelles de la directive.
Le Gouvernement salue les améliorations au droit existant qu'apporte le texte de la commission des lois ; il relève cependant que celui-ci, sur plusieurs points, s'écarte des équilibres trouvés par la loi de 1978, que le droit communautaire invite à préserver.
L'article premier est une novation intéressante ; il est essentiel d'éduquer les jeunes citoyens à une utilisation responsable d'internet, qu'ils maîtrisent d'ailleurs mieux que leurs aînés, et de les informer des dangers de l'exposition de soi sur la toile. L'article additionnel après l'article 2, qui supprime le récépissé de la Cnil est une mesure de bon sens. L'article 5 complète utilement l'article 31 de la loi de 1978 et s'inscrit dans la continuité de la proposition de loi de simplification du droit défendue par M. Warsmann. Les articles 11 et 12 renforcent les pouvoirs de la Cnil, de même que la garantie qui lui est donnée de procéder à des contrôles inopinés ; ces dispositions amélioreront l'efficacité de son action. Le Gouvernement se félicite également que la commission des lois ait souhaité inscrire dans la loi le principe d'une représentation pluraliste des partis parmi les membres de la Cnil désignés par le Parlement.
Plusieurs points remettent cependant en cause les équilibres de la loi de 1978. La France a été le premier État au monde à se doter d'une loi protectrice des données personnelles, une loi, au large champ d'application, qui a peu vieilli en dépit des évolutions technologiques.
Le Gouvernement souhaite la suppression de l'article 2, qui confère aux données de connexion, notamment à l'adresse IP, la protection de la loi de 1978. L'adresse IP ne constitue une donnée à caractère personnel que dans certains cas ; elle n'indique pas la personne utilisatrice de l'ordinateur, dont l'identité ne peut être recherchée que par les autorités judiciaires. En outre, lorsqu'une personne se connecte sur un moteur de recherche, l'adresse IP ne sert qu'à établir un profilage marketing sans lien avec son identité. Il existe enfin des IP aléatoires. L'établissement d'une liste des données compliquerait d'autre part le travail futur du législateur, eu égard au rythme croissant de l'apparition de nouvelles technologies. La définition donnée par la loi de 1978 est suffisamment souple pour englober les situations nouvelles.
La proposition de loi attribue ensuite à la Cnil des prérogatives que le Gouvernement juge inutiles et qui pourraient même être contreproductives. Si la Cnil joue un rôle décisif de gardien de la protection des données personnelles, elle n'a pas vocation à limiter l'autonomie de gestion des entreprises ou des administrations, aussi longtemps que celles-ci respectent leurs obligations. Il paraît ainsi inopportun de rendre obligatoire la présence de correspondants « informatique et libertés » dans ces organismes ; le succès des « correspondants à la protection des données », depuis 2004, est dû précisément au caractère facultatif de leur désignation. Le Gouvernement a clairement fait le choix de ne pas déployer de tels correspondants dans les services déconcentrés de l'État.
Le pouvoir d'intervention devant les juridictions conféré à la Cnil par l'article 13 n'a pas de raison d'être, la commission pouvant déjà être appelée à intervenir à l'initiative du juge ou sur demande des parties. La proposition de loi entend également soumettre à certaines conditions la création de fichiers de souveraineté relevant de l'article 26 de la loi de 1978. Le Gouvernement est favorable à une telle démarche, s'agissant des fichiers de sécurité publique et de police judiciaire, et a accepté une disposition allant dans ce sens lors de l'examen à l'Assemblée nationale de la proposition de loi de simplification du droit. Mais il lui semble inapproprié de soumettre au même régime, comme le fait l'article 4, les fichiers de sûreté nationale et de défense, sauf à fragiliser l'action de l'État dans des domaines où sont en cause ses intérêts supérieurs. L'article 29 bis de la proposition de loi présentée par M. Warsmann préserve l'équilibre entre la garantie des libertés et la souplesse nécessaire pour permettre au Gouvernement de mettre en oeuvre des fichiers opérationnels dans des délais raisonnables. Le Sénat débattra prochainement de ce texte.
La proposition de loi prévoit, d'autre part, d'imposer à l'autorité judiciaire de nouvelles obligations en matière de mises à jour des fichiers de police judiciaire. Les procureurs de la République sont aujourd'hui fortement mobilisés et des améliorations substantielles des conditions de mises à jour sont envisageables à brève échéance. Imposer de nouvelles contraintes aux parquets sans anticiper les moyens qui leur seraient nécessaires fragiliserait les progrès déjà accomplis et à venir : ce ne serait ni compatible avec l'efficacité opérationnelle des fichiers, ni favorable à la protection des libertés individuelles.
L'article 7 est également prématuré, car son dispositif relève de la transposition du « paquet télécoms » : mieux vaut éviter les modifications successives.
L'article 8, quant à lui, risque de faire reculer la protection des libertés publiques, à l'opposé des objectifs de ses promoteurs.
Nous avons donc des points d'accord importants et d'autres qui font débat. La loi informatique et libertés est équilibrée, cet équilibre a été maintenu dans le temps, il a démontré son efficacité et sa capacité d'adaptation. C'est pourquoi j'appellerai chacun de vous à la sagesse, pour préserver cet équilibre au moment où nous devons faire face au défi de la protection des données personnelles à l'heure du numérique ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Charles Gautier. - Le droit à la vie privée est confronté à de nouveaux périls, à mesure que les technologies numériques, qui nous facilitent la vie quotidienne, gardent en mémoire des informations sans limite. Aussi notre devoir de législateurs est-il d'assurer que ces données ne soient pas utilisées à l'insu de ceux qui les communiquent. Notre collègue, M. Türk, président de la Cnil, parle à ce propos d'un « droit à l'oubli », qu'il faudrait peut-être constitutionnaliser.
L'initiative de la commission est louable, mais la multiplication des textes risque de brouiller le message. Nos collègues députés ont pris des initiatives, notamment sur les fichiers de police, avec le rapport Benisti et Batho, et sur la simplification du droit, avec le rapport Warsmann. Les groupes de travail ont associé des parlementaires de tous les groupes, ce qui n'a pas empêché le consensus.
J'espère que ce texte ne se perdra pas dans la navette. Il a nécessité un travail important, nous veillerons à ce qu'il ne soit pas dénaturé !
Il se propose de mieux protéger les utilisateurs des technologies numériques : statut juridique des adresses IP, information du public, et notamment des plus jeunes, systématisation des correspondants informatique et libertés, conservation des données, encadrement des fichiers de police, renforcement des pouvoirs de la Cnil, autant de mesures que nous approuvons.
Lors de la commission du 24 février dernier, j'avais proposé d'encadrer la vidéosurveillance, en prévoyant une compétence exclusive de la Cnil pour délivrer des autorisations, conformément à la recommandation du rapport que j'ai rédigé avec M. Courtois. Il m'a été répondu que cette mesure, pour laquelle la commission est unanime, serait intégrée à la Loppsi 2, bientôt en examen : j'ai accepté de retirer mes amendements, mais nous serons très vigilants à ce que cet engagement soit tenu.
Par souci de pragmatisme, la commission a simplifié ce texte, pour tenir compte des pratiques des utilisateurs et de la transposition prochaine du « paquet télécoms ». Cependant, j'aimerais parler plus avant de l'article 4, le plus sensible, puisqu'il concerne les fichiers de police.
La loi de janvier 1978 prévoit que les fichiers intéressant la sûreté de l'État, la défense ou la sécurité publique, ou qui ont pour objet la répression des infractions pénales, sont créés par arrêté du ministre compétent. En cas de recours à la biométrie, un décret en Conseil d'État est nécessaire. La Cnil rend un avis simple.
Les craintes suscitées par la création du fichier Edvige ont montré à quel point le sujet des fichiers de police et de gendarmerie, de leur contrôle et de leur évolution est particulièrement sensible, notamment au regard de leurs conséquences pour les libertés individuelles et collectives. Les groupes socialistes du Sénat et de l'Assemblée nationale ont réclamé un débat sur ce sujet, le Gouvernement ne l'a pas voulu, nous le regrettons.
L'Assemblée nationale a créé une mission d'information relative aux fichiers de police, ouvrant sur une proposition de loi cosignée par les deux co-rapporteurs M. Bénisti et Mme Batho. L'article 5 de cette proposition de loi donnait au législateur le soin d'autoriser un fichier ou une catégorie de fichiers de police, étant entendu que le pouvoir réglementaire continuerait à s'exercer pleinement pour la création de l'ensemble des traitements respectant les conditions préalablement définies par la loi. Discutée le 24 novembre 2009 à l'initiative du groupe socialiste, elle n'a pas été adoptée par l'Assemblée nationale.
L'article 4 du texte que nous examinons aujourd'hui reprend ce dispositif, tout en limitant les cas d'autorisation législative à des catégories de fichiers de police nationaux et à ses caractéristiques les plus importantes. La Commission a profondément modifié cet article, et nous en arrivons à un meilleur encadrement de la création des fichiers, même si la réforme laisse encore un goût d'inachevé.
L'utilisation médiatique des données du fichier Stic pendant la campagne des régionales vient nous rappeler que la loi doit aller au-delà des types de fichiers. Le vrai débat porte sur le contenu des fichiers, sur les conditions de traitement des données qu'ils comportent. Nous apportions des solutions, il semble qu'elles soient édulcorées.
Nous réservons donc notre vote. Nous avons été spontanément favorables à ce texte, sa version initiale allait dans le bon sens, vers plus de sécurité juridique pour nos concitoyens. Nous serons très attentifs à ce que ce texte ne soit pas dénaturé et je dois dire qu'après avoir entendu le ministre, je suis inquiet ! (Applaudissements à gauche et sur quelques bancs du centre)
M. Jacques Mézard. - La garantie du droit à la vie privée devient un sujet crucial à l'heure de la révolution numérique, dont les effets seront encore plus considérables que ceux de la révolution industrielle.
Le numérique émerveille, sa capacité à tout accélérer, à faciliter l'acquisition des connaissances, à multiplier les innovations dans tous les domaines, à créer de nouvelles industries et de nouveaux marchés, a masqué ses aspects négatifs, en particulier les risques qu'il fait courir au respect de la vie privée, ainsi que les risques découlant de l'accumulation d'informations souvent erronées, souvent fallacieuses, voire affairistes au mauvais sens du terme, sans oublier les dérives sectaires.
Nos enfants savent dès leur plus jeune âge qu'une prise électrique peut les blesser, que la flamme de la gazinière peut les brûler, il est plus qu'urgent que notre société leur apprenne que le numérique peut aussi leur faire du mal et que les jeux d'aujourd'hui peuvent assombrir leur avenir !
Il est temps que l'ensemble de notre société ramène le numérique à ce qu'il doit être : un instrument de progrès, de connaissance, de lien social, non de surveillance, de domination et de pouvoir sans contrôle ni règles, car il n'est point de vie en société sans règles de droit. N'oublions pas les formules qui s'inscrivaient sur le télécran de Georges Orwell dans 1984, ni les slogans inscrits sur la façade du ministère de la Vérité: « La guerre, c'est la paix », « La liberté, c'est l'esclavage », « L'ignorance, c'est la force. »
Merci à Anne-Marie Escoffier et à Yves Détraigne de leur initiative animée par le souci du respect des libertés. Internet ne doit pas être l'instrument de tous les désordres, le vecteur de tous les conflits, le véhicule de la délation. Le Sénat a d'ailleurs récemment voté en première lecture un texte de loi allongeant les délais de prescription de l'action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l'intermédiaire d'internet. Le droit à la vie privée, dont il n'existe pas de définition légale, est néanmoins garanti par l'article 9 du code civil et de nombreux textes internationaux ; il a été érigé en principe de valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel en 1999.
La lutte contre l'insécurité sous toutes ses formes sert de prétexte à la banalisation des outils de surveillance, sans que les gens aient toujours conscience de pouvoir être suivis à la trace. La vidéosurveillance a été benoîtement rebaptisée « vidéoprotection », dans un élan paternaliste. (M. Charles Gautier s'amuse) La création de fichiers a atteint un rythme quasi industriel qui donne le tournis à la Cnil.
L'initiative de nos collègues honore le Parlement français, qui fut le premier au monde à s'emparer des problématiques liées aux NTIC dès 1978. La Cnil exerce ses missions dans des conditions difficiles. Mme Escoffier et M. Détraigne proposent de renforcer ses pouvoirs en clarifiant les obligations d'information qui s'imposent aux responsables de traitement de données personnelles, en relevant les plafonds des sanctions pécuniaires pouvant être prononcées par la Cnil et en élargissant ses possibilités d'intervention. Je me réjouis également de la sanctuarisation de l'adresse IP et de deux mesures introduites par notre commission des lois : l'obligation de publication concomitante d'un acte réglementaire créant un fichier et de l'avis correspondant de la Cnil, et la sécurisation du droit de contrôle inopiné de la Cnil, dont l'efficacité avait été amoindrie par le Conseil d'État dans son arrêt Société Inter Confort du 6 novembre.
En revanche, l'interprétation restrictive par notre commission de la qualité de juridiction de la Cnil ne nous a pas convaincus. Nous sommes également réservés sur la nouvelle version de l'article 4. Le texte initial prévoyait de réserver au législateur la compétence de créer des fichiers de police intéressant la sécurité publique ou l'exécution des condamnations pénales et des mesures de sûreté : la frénésie de compilation de données et l'enchevêtrement des fichiers justifiaient cette mesure. Lorsque je lis dans le texte de la commission que « lorsque le Procureur de la République prescrit le maintien des données à caractère personnel d'une personne ayant bénéficié d'une décision d'acquittement ou de relaxe devenue définitive, il en avise la personne concernée », je m'insurge ! Long est le chemin à parcourir pour garantir le droit à l'oubli.
Nos collègues se sont fixés trois objectifs essentiels : l'information des jeunes, le droit à l'oubli et le renforcement des pouvoirs de contrôle et de conseil de la Cnil, cet instrument du respect des libertés. M. le ministre ne m'y a paru favorable. Mais le groupe RDSE, unanime, votera cette proposition. (Applaudissements sur les bancs RDSE, UC, à droite et sur certains bancs socialistes ; M. le rapporteur applaudit aussi)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Internet est-il un facteur de liberté ou de soumission ? Le débat est ancien. Une loi nationale suffit-elle à réguler un réseau transfrontalier, à la mémoire infinie ? On peut aussi se le demander.
L'intention des auteurs de la proposition de loi est louable : ils veulent empêcher par la voie légale les atteintes à la vie privée des personnes par le biais d'internet, alors que le Gouvernement se serait volontiers contenté d'une charte de bonne conduite des prestataires. L'autorégulation a des limites, atteintes d'autant plus vite que des intérêts marchands sont en jeu !
Ce texte prévoit d'informer les élèves des risques présentés par l'usage des nouvelles technologies pour leur vie privée : les utilisateurs doivent dès leur plus jeune âge prendre conscience que les révélations et exhibitions auxquelles ils se livrent sur internet ne sont pas anodins.
Il fallait aussi renforcer les droits des utilisateurs pour garantir le droit à l'oubli et lever tous les obstacles matériels. C'est chose faite : les utilisateurs pourront faire valoir leur droit d'accès, de rectification et de suppression par voie électronique, exercer sans frais leur droit d'opposition et éventuellement saisir une juridiction sans se heurter à l'obstacle de la détermination de la juridiction compétente.
Mais voici le hic : les droits des utilisateurs sont peu de chose s'ils ne s'accompagnent pas d'obligations pour les responsables du traitement des données. Or la commission, comme tous les parlementaires, a été soumise au lobbying intense de Google. En ce qui concerne la collecte de données, le texte initial imposait de recueillir préalablement le consentement des utilisateurs ; soumis aux pressions des fournisseurs d'accès et des publicitaires, le rapporteur a proposé de revenir à la loi de 1978, qui oblige seulement le responsable du traitement à informer l'utilisateur des moyens mis à sa disposition pour refuser son consentement. Nous estimons que toute exploitation de données à des fins commerciales doit recueillir le consentement exprès des personnes concernées. Le texte initial imposait également d'indiquer l'origine des données, mais pour éviter aux responsables d'avoir à mettre en place un système de traçage onéreux, la commission a préféré s'en tenir au statu quo.
Nous nous réjouissons que les moyens proposés par les auteurs de la proposition de loi pour garantir le respect des droits des utilisateurs aient été retenus, même s'ils nous semblent insuffisants. Les missions des correspondants « informatique et libertés » seront renforcées ; mais comme nous l'avons dit en 2004, nous ne sommes pas sûrs que l'indépendance des correspondants soit garantie : contrairement à ce que prévoyait la proposition initiale, le correspondant pourra être déchargé de ses fonctions par son employeur sans l'avis conforme de la Cnil.
En revanche, nous nous félicitons que la proposition, même amendée, renforce le rôle de la Cnil en augmentant sensiblement le montant des sanctions pécuniaires qu'elle peut prononcer et en élargissant ses pouvoirs d'intervention devant les juridictions.
Enfin le texte initial, modifiant l'épineux article 26 de la loi de 1978, réservait au législateur le droit de créer des fichiers de police ou des catégories de fichiers. Sous prétexte qu'il n'appartient pas au législateur de déterminer lui-même ses propres compétences, la commission a modifié substantiellement cette disposition.
Le nouveau texte énumère les finalités auxquelles doivent correspondre les fichiers créés par voie réglementaire. L'objectif avoué est de donner aux fichiers sauvages existants un semblant de légalité. Nous ne pouvons cautionner une telle pratique : ces fichiers doivent disparaître !
La disposition fourre-tout qui nous est proposée ne fait pas illusion. L'avènement d'un homo numericus éclairé, protégeant ses propres données, n'est pas suffisamment abouti. Le groupe CRC comptait s'abstenir. Mais les amendements du Gouvernement réduisent à néant le texte de la commission : s'ils sont adoptés, nous voterons alors contre.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Tant mieux !
M. Jean-Paul Amoudry. - La protection de la vie privée est sans cesse remise en question par l'évolution des technologies numériques.
Sur la base d'un rapport d'information approfondi, ce texte rassemble des mesures variées, visant à mieux protéger l'internaute et à renforcer les moyens d'action de la Cnil. Il résulte d'une collaboration entre nos commissions des lois et de la culture, dont je salue le travail. Mme Morin-Desailly, rapporteur pour avis, a ainsi réécrit l'article premier afin de renforcer la prévention en faveur des jeunes : il est en effet indispensable de former élèves et enseignants aux risques que présente internet.
L'article 2 soulève la question de l'adresse IP, qui a fait l'objet de jurisprudences fluctuantes. La proposition de loi tranche : l'adresse IP, lorsqu'elle permet d'identifier un internaute, est bien une donnée à caractère personnel. C'est une utile clarification.
En matière de cookies, la protection des libertés individuelles suppose le recueil du consentement a priori, dit opt-in, et non la simple faculté à s'opposer a posteriori, l'opt-out. La proposition de loi améliore l'information des internautes. Un opt-in au sens strict risquait de contrarier la rapidité de la navigation ; le texte de la commission permettra à l'utilisateur d'exprimer un choix préalable et éclairé, tout en conservant une navigation fluide.
Au vu des réactions suscitées par le fichier Edvige, il fallait que le législateur se prononce sur la création des fichiers de police, qui relève des « garanties fondamentales accordées au citoyen pour l'exercice des libertés publiques » au sens de la Constitution. Un amendement du rapporteur énumère ainsi les finalités auxquelles devront répondre les fichiers : tout fichier créé par voie réglementaire devra répondre à au moins une des finalités listées.
Ces catégories, créées par la loi, deviennent ipso facto légitimes ; le risque est donc d'amoindrir le contrôle de la Cnil. La nouvelle rédaction proposée de l'article 26 de la loi informatique et libertés ne garantit pas que le contrôle de proportionnalité, prévu par l'article 6 de cette même loi, sera bien exercé. Nous défendrons un amendement selon lequel ces traitements ne doivent être autorisés que s'ils respectent le principe de proportionnalité.
Le texte oblige les correspondants informatique et libertés (CIL) à notifier les failles de sécurité. Il n'est toutefois pas opportun de les charger de prendre les mesures nécessaires au rétablissement de l'intégrité et de la confidentialité des informations ; cette tache incombe aux responsables de traitement.
Créés en 2004, ces correspondants ont permis la diffusion de la culture « informatique et libertés ». Leur nombre est passé de 1 300 en 2007 à 6 200 en 2010, principalement dans le secteur privé. Leur bilan est très positif. Le principe de la création obligatoire de CIL, comme dans d'autres pays européens, me semble opportun. Cette obligation peut toutefois avoir des conséquences, notamment organisationnelles, pour les entreprises et les administrations. C'est pourquoi je défendrai un amendement qui diffère l'entrée en vigueur du dispositif et prévoit une étude d'impact préalable.
Je vous proposerai également un amendement à l'article 3, article qui prévoit que la Cnil peut refuser la désignation d'un CIL s'il ne possède pas les compétences requises. Le responsable de traitement me paraît le mieux placé pour effectuer ce choix ; d'autant que le rejet par la Cnil du choix initial d'un responsable de traitement pourrait être vécu par celui-ci comme une perte de contrôle, ce qui n'est pas souhaitable.
Enfin, je salue le renforcement des moyens de la Cnil.
Actuellement, le responsable des lieux peut s'opposer à une visite de la Commission, qui ne peut alors se dérouler qu'avec l'autorisation d'un magistrat : les contrevenants ont alors tout le temps de détruire les fichiers litigieux. Aussi, je me félicite de l'adoption de l'article 9 bis qui permet à la Cnil de demander au juge des libertés et de la détention l'autorisation préalable d'effectuer une visite inopinée « lorsque l'urgence, la gravité des faits justifiant le contrôle ou le risque de destruction ou de dissimulation de documents l'exigent ».
Aujourd'hui, les services de l'État doivent soumettre les traitements informatisés à la Cnil dans leur état final ; la proposition de loi permet à la Cnil d'intervenir en amont de l'élaboration de ces fichiers. C'est une avancée importante, même si les garanties pourraient être renforcées : une simple déclaration, sans avis ni contrôle a priori de la Cnil, ne doit pas suffire pour expérimenter un fichier de police.
L'article 13 facilitera l'intervention de la Cnil devant les juridictions ; c'est une évolution opportune.
Pour conclure, je salue l'initiative et le travail de nos collègues Détraigne et Escoffier, opportunément enrichi par nos deux rapporteurs. En fonction du débat, et sur la base des travaux de la commission, le groupe de l'Union centriste votera ce texte. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Catherine Troendle. - Ce texte porte sur un sujet essentiel : le droit à la vie privée des individus dans un monde numérisé, valeur essentielle qui doit être défendue dans un État de droit, mais qui se heurte parfois à la liberté d'expression, au droit à l'image ou encore au droit à la communication électronique. Au législateur de trouver un juste équilibre.
Si internet ouvre de nouvelles voies pour la connaissance et l'information, il constitue aussi un danger. La protection, c'est d'abord la responsabilisation des individus. L'internaute doit être acteur de sa propre protection : c'est cela, être citoyen. Pour lui donner les moyens de se protéger, il faut qu'il ait été sensibilisé aux risques que fait encourir internet sur la vie privée.
Les parents doivent être les premiers garde-fous d'une utilisation parfois abusive d'internet ; c'est à eux de transmettre les principes de pudeur et d'intimité. Or, contrairement à leurs enfants, ils ne maîtrisent pas toujours ces nouvelles technologies, et n'ont pas toujours conscience des menaces que celles-ci font peser sur la vie privée de leurs enfants.
L'exemple des sextos le montre bien. Protéger nos enfants est un impératif auquel nous ne saurions nous dérober. Responsabilisation implique alors sensibilisation : c'est tout l'intérêt de l'article premier amendé par la commission des affaires culturelles pour impliquer l'éducation nationale dans l'accompagnement et la responsabilisation des jeunes utilisateurs d'internet.
De plus, le rapport de nos collègues souligne l'émergence des « mémoires numériques », ce qui nous interroge sur un nouvel enjeu, le droit à l'oubli dont tout citoyen d'une société démocratique doit disposer. La reconnaissance du droit à l'oubli à l'heure du numérique est une première pierre apportée à l'édifice du citoyen éclairé, à l'émergence de l'homo numericus que les auteurs de la proposition de loi appellent de leurs voeux. S'inspirant de la réflexion menée dans le cadre des ateliers sur le droit à l'oubli de Mme Kosciusko-Morizet, cette proposition de loi clarifie l'exercice de ce droit. Nous nous en réjouissons.
Une meilleure protection implique que la loi Informatique et libertés soit renforcée. C'est l'objet des articles 2 à 12 de la présente proposition de loi. L'UMP se réjouit qu'à l'initiative de notre rapporteur notre commission soit parvenue à un meilleur équilibre entre la protection des données et la liberté des acteurs d'un secteur économique majeur pour la compétitivité de notre pays. L'assouplissement du principe de consentement préalable en matière de cookies répond au double souci de ne pas entraver la fluidité de la navigation des internautes et de ne pas remettre en cause le modèle économique d'internet.
L'article 2 apporte aux données de connexion des internautes la protection de la loi Informatique et libertés, notamment concernant l'adresse Internet Protocol dite adresse IP, qui est désormais considérée comme une donnée à caractère personnel. Cette adresse IP constitue un moyen d'identification parmi d'autres, que son caractère fluctuant rend difficile à appréhender. Elle n'indique pas toujours la personne utilisatrice de l'ordinateur. A la différence de ce qui se passe avec l'adresse ou le numéro de téléphone, seules les autorités judiciaires disposent des moyens de vérifier l'identité de la personne à laquelle elle correspond. Ainsi, nous ne pouvons ignorer les nombreux freins qui s'opposent à notre volonté de légiférer. L'adresse IP n'est qu'une illustration parmi d'autres de la complexité technique des sujets auxquels nous touchons.
Si nous soutenons le renforcement des possibilités d'action juridictionnelle de la Cnil, nous sommes conscients de la nécessité d'une réflexion au niveau international La plupart des serveurs se trouvant à l'étranger, comment légiférer à bon escient si les responsables de traitement ne peuvent être mis en cause ? Nous nous réjouissons, à ce titre, que le Parlement européen ait demandé à la Commission européenne de jouer la transparence sur ces sujets, notamment quant aux négociations portant sur l'enjeu de protection des données personnelles.
Garant majeur de la protection de la vie privée, la Cnil voit opportunément sa légitimité et son efficacité renforcées. Les parlementaires qui en seront membres seront désormais désignés « de manière à assurer une représentation pluraliste » ; les visites inopinées dans les organismes privées et les administrations seront facilitées. Afin d'éviter qu'elles ne fassent l'objet de contestations, est prévue une procédure d'autorisation préalable du juge des libertés et de la détention. Les avis de la Cnil devront être publiés chaque fois qu'un fichier de police sera créé. Cela va dans le bon sens, comme l'exigence que tout fichier créé par arrêté ou par décret soit conforme à une des finalités que la commission a limitativement énumérées.
La proposition de loi conforte le statut et les missions du Correspondant informatique et libertés. Nous reconnaissons une certaine logique à cette disposition dans le prolongement de ce que visait la loi du 6 août 2004. Cependant, nous persistons à penser que le volontariat doit être privilégié. Dans cet esprit, nous avons déposé un amendement relevant le seuil de 50 à 100 personnes, afin que la présence du CIL ne soit pas obligatoire dans un trop grand nombre d'organismes, ce qui pourrait compromettre la capacité de la Cnil de gérer ce dispositif. Nous nous réjouissons que la ministre chargée de la Prospective et du développement de l'économie numérique propose une charte d'engagement des professionnels d'internet.
Le groupe UMP est favorable à la proposition de loi et votera le texte ainsi modifié par notre commission. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Le Sénat, et plus largement le Parlement, est, avec le pouvoir judiciaire, le garant des libertés individuelles. II dispose à ce titre du pouvoir de contrôler la mise en oeuvre des mesures attentatoires aux libertés individuelles. II en est ainsi du contrôle des fichiers créés pour le compte de l'État, dont la récente multiplication a soulevé des doutes légitimes auprès de nos concitoyens. L'épisode Edvige a montré à quel point nos concitoyens sont attachés au respect de leur vie privée et à la protection de leurs données personnelles. Ils manquent d'informations sur le traitement des données personnelles et cette opacité est source de méfiance et de rejet.
La Cnil accomplit un travail remarquable : avec les moyens réduits dont elle dispose, elle réussit à informer les citoyens sur l'existence de ces fichiers, leur contenu et les modalités d'accès aux données enregistrées. Mais cela ne saurait suffire si l'on veut que nos concitoyens acceptent ces fichiers, dont certains, je ne le nie pas, sont indispensables. Il convenait alors d'aller plus loin et de poser en principe que les traitements de données ne peuvent être autorisés par la loi. C'est par notre voix de parlementaires que nos concitoyens derniers doivent s'exprimer sur la création de tels fichiers. Telle est d'ailleurs la conclusion à laquelle ont abouti nos collègues Détraigne et Escoffier dans leur excellent rapport.
Non seulement, le Parlement doit être seul à pouvoir autoriser ces fichiers, mais il doit être en mesure d'en déterminer le contenu, les modalités de fonctionnement, les moyens de contrôle de leur contenu. La proposition de loi de nos collègues répondait parfaitement à cette exigence, et enlevait à l'exécutif le pouvoir exorbitant de créer des fichiers, dont la multiplication et les dysfonctionnements témoignent d'une confusion et d'un manque de rigueur, alors même qu'ils touchent des données extrêmement sensibles.
Nous étions donc prêts à voter cette proposition de loi dans sa version originale. Malheureusement, elle a subi en commission des modifications telles qu'elle ne correspond plus à l'esprit initial. Le principe d'une autorisation législative a été abandonné au profit d'un élargissement du pouvoir réglementaire. La commission des lois a purgé la proposition de loi d'une de ses dispositions les plus importantes. Nous le déplorons et ne pourrons pas voter un texte qui porte l'empreinte de la volonté gouvernementale de conserver un pouvoir exorbitant en matière de création et de gestion des fichiers.
Chacun a droit à la protection des données personnelles le concernant, comme à l'oubli de celles qui se trouvent avoir été enregistrées sur tel ou tel fichier. Le Parlement doit exercer un contrôle régulier ; il ne saurait se contenter de donner un blanc-seing au Gouvernement. Nous vous proposerons un certain nombre d'amendements afin de restaurer le pouvoir du Parlement dans la création des fichiers. Nous espérons sur ce point être soutenus par les auteurs de la proposition de loi, puisqu'il s'agit d'une revendication qu'ils avaient eux-mêmes soutenue à l'origine. S'ils ne sont pas adoptés, nous n'aurons d'autre choix que de ne pas voter ce texte, car nous refusons catégoriquement que des fichiers puissent être créés par simple décret. Cela revient à la loi seule ! (Applaudissements à gauche)
M. Michel Thiollière. - Je vais revenir en arrière de quelques siècles, pas plus de dix-huit, pour vous lire le début d'un écrit intitulé Histoire véritable : « Je vais donc raconter des choses que je n'ai jamais vues ni ouïes, et qui plus est, ne sont point, et qui ne peuvent être ; c'est pourquoi qu'on se garde bien de les croire. » (Sourires) N'entendez-vous point là une description, un peu anticipée, de ce que nous voyons avec internet, avec cette frontière poreuse entre le mensonge et la vérité ?
Ce débat salutaire touche au coeur de l'un des fondements de notre démocratie et de notre République, qui distinguent clairement les sphères de la vie privée et de la vie publique. Chacun a le droit de protéger sa vie privée, mais chacun a aussi celui de franchir le pas ; chacun a le droit d'énoncer des jugements ou au contraire de le retenir, chacun a aussi le droit d'effacer ce qu'il a dit : là est le respect de la vie privée.
Or, internet, qui est partout, rend ces frontières perméables et en vient à investir la sphère privée sans notre consentement. Les idéologues, les libertaires de l'internet y voient la liberté totale. Méfiance ! Internet est aussi synonyme de plus de surveillance et d'emprise sur nos vies privées. Il s'agit de ne pas céder à ses sirènes sans précaution. Le monde de l'internet est un monde flou, aux frontières mal définies ; c'est un monde plat, car tout y est placé au même niveau. Les deux sphères y jouent en permanence et quand on joue sur la toile, on peut s'y faire prendre...
Je salue le travail des auteurs de la proposition de loi et de son rapporteur. Les internautes ont droit à l'information, à la communication, à l'information mais aussi à la protection de leur vie privée. Qui contrôle aujourd'hui ? Quelle autorité morale ? Qui parle ? Qui régule les sites collaboratifs ? La culture aux références pas toujours vérifiables que l'on y trouve doit inviter à la méfiance. C'est une culture amputée. Culture et vie privée riment avec mémoire, et qui dit mémoire dit droit à l'oubli. Or, internet n'oublie rien. Des traces indélébiles nous poursuivent à des fins mercantiles ou pire, inavouables. Nous sommes là, comme dirait Paul Ricoeur, dans l'« abus de mémoire ». Prenons-y garde, car manipuler la mémoire, c'est verser au totalitarisme. Les principes républicains respectueux de l'homme doivent valoir aussi dans le monde numérique. Seule la régulation peut bâtir une société numérique du respect.
Assurer la formation des enseignants et des jeunes sur les chances et les risques d'internet, en impliquant l'éducation nationale, comme l'a souhaité la commission à l'article premier ; renforcer le rôle de la Cnil et celui du correspondant informatique et liberté, opérer les clarifications nécessaires sur le droit à l'oubli et au retrait : autant d'avancées judicieuses de ce texte auxquelles je souscris. Toute liberté peut être pervertie : l'outil numérique doit rester au service des hommes. L'auteur grec qui m'a tout à l'heure inspiré avait aussi inspiré Goethe, qui en substance faisait dire dans son poème du même nom à l'apprenti sorcier : « Oh maître, quel malheur, les esprits que j'ai réveillés ne veulent plus me respecter ! ». Eh bien, si l'on veut que l'homme reste respectable, il doit rester le maître de l'internet. (Applaudissements à droite)
M. Antoine Lefèvre. - Ce texte vient relayer un large débat qui anime notre société. Internet, auquel je limiterai mon intervention, offre de formidables opportunités de développement, de connaissance, d'enrichissement de l'individu et de la collectivité mais ne menace-t-il pas, aussi, nos libertés ? Son succès en amplifie les dangers. D'autoroute de l'information qu'il fut à ses débuts, il est devenu réseau ouvert, complexe et difficilement maîtrisable, pénétrant chaque sphère de la société.
Le développement des « mémoires numériques » permet de « tracer » les individus, à la fois physiquement, par le biais de la vidéosurveillance, de la biométrie, du GSM des téléphones portables, et mentalement, par le biais d'internet et des réseaux dits sociaux, où le pire côtoie le meilleur.
Le plus célèbre d'entre eux, fondé en 2003 par trois copains étudiants d'Harvard, a commencé comme une « success story » à l'américaine. Six ans plus tard, ce site compte plus de 400 millions d'utilisateurs, un site où, à l'infini, « les amis de mes amis sont mes amis »...
Mais qui lit réellement les conditions d'utilisation d'un programme ou d'un site avant de s'en servir ? Il faut savoir que tout ce qui est posté sur ce site lui appartient même les données personnelles que vous y introduisez vous-même. En y créant votre profil, vous lui permettez de donner le droit à n'importe qui de faire n'importe quoi avec vos photos, vos vidéos, vos textes. Certes, la licence prend fin lors de la fermeture de votre compte, mais des fichiers peuvent être conservés dans les copies de sauvegarde et pour peu qu'existent des sous-licences, d'autres parties peuvent avoir obtenu le droit de diffuser vos photos avant même la fermeture de votre compte. Enfin, il est strictement impossible, même lors de la fermeture définitive de votre compte, d'effacer les messages que vous avez envoyés à travers le réseau : ils resteront dans les bases de données et seront visibles par les autres utilisateurs.
Les services de ressources humaines se frottent ainsi les mains, surveillant les salariés connectés ou obtenant sans effort des CV d'un nouveau genre pour les candidats à l'embauche. Age, sexe, emploi, religion, occupations, ces sites sont aussi devenus l'eldorado des fichiers clients.
Les opinions exposées sur la toile sont partagées sans limite, avec les risques d'atteinte à l'image personnelle et professionnelle de chacun que cela comporte.
Fort heureusement, les internautes prennent peu à peu conscience de la nécessité de protéger leurs données personnelles, et de surveiller ce que l'on appelle leur « cyber-réputation ».
Comment faire valoir son droit à la confidentialité dans un espace virtuel où le mot frontière n'a que peu de sens, où la loi se contourne facilement et où les recours juridiques sont limités ? Cela commence par l'éducation de notre jeunesse, comme le prévoit l'article premier de cette proposition.
Le plan France numérique 2012 prévoyait plusieurs actions des pouvoirs publics français en faveur de l'élaboration d'instruments juridiques européens et internationaux, et définissait, notamment, une durée de conservation maximale des données personnelles détenues par les moteurs de recherche. L'Union européenne avait souligné l'urgence des actions à mener sur ces points. Ce texte pose la première pierre. Il mérite tout notre intérêt. (Applaudissements à gauche et à droite)
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Merci de ce large débat. A M. Gautier, qui s'inquiète de la multiplication des textes, qui en brouille la lisibilité, je répondrai que c'est précisément la raison pour laquelle le Gouvernement a proposé, à l'article 4, de reprendre la rédaction retenue par l'Assemblée nationale pour la proposition de loi Warsmann et pourquoi il recommande également, aux articles 6 et 7, de ne pas anticiper sur la transposition du paquet Télécom. De même, il estime que le débat sur l'encadrement des fichiers de police, qui a déjà eu lieu, n'a pas lieu d'être ici : restons cohérents. Quant à celui qui concerne les lieux de surveillance, il aura lieu ici même, le 30 mars.
Le Gouvernement partage votre souhait, monsieur Mézard, de veiller à l'adaptation de la législation relative à la protection de la vie privée. Quant aux moyens d'y parvenir, le débat reste ouvert. Mais j'y insiste : le Gouvernement n'est en rien opposé, bien au contraire, au renforcement des pouvoirs de sanction de la Cnil. Il n'est animé que d'un souci d'équilibre.
Le droit à l'oubli est sans doute nécessaire, mais il ne peut pas être illimité et s'imposer aux fichiers de police judiciaire qui assurent la sécurité de nos concitoyens.
Je partage l'analyse de Mme Borvo Cohen-Seat sur la dimension éducative d'internet mais aussi sur ses risques. En revanche, il est inutile de confier à la Cnil un pouvoir d'intervention dans toutes les procédures judiciaires intéressant le droit informatique et liberté. Il ne faut pas mélanger les genres.
Le Gouvernement partage les préoccupations de M. Amoudry concernant la navigation sur internet et les cookies. Une réflexion globale sur la transposition de la directive de novembre 2009 devra cependant être menée à son terme. La Cnil continuera à contrôler les fichiers de police. Sur les correspondants informatique et liberté, il serait utile d'évaluer au préalable l'impact des mesures envisagées.
Mme Troendle a rappelé que le renforcement de la loi de 1978 nous impose d'aborder des sujets techniques extrêmement compliqués. C'est pourquoi je regrette que nous n'ayons pu avoir des discussions plus en amont avec la commission. Ce travail préliminaire aurait sans doute permis de parvenir à des dispositions plus consensuelles.
Effectivement, il est difficile d'appliquer la loi française à des opérateurs situés à l'étranger. La directive révisée devra traiter de cette question.
Je rappelle à Mme Boumediene-Thiery que la Constitution ne permet pas de modifier la répartition des compétences entre les pouvoirs règlementaires et législatifs. En outre, le Parlement serait submergé de textes très techniques qui ne nécessitent pas la saisine de la représentation nationale.
L'intervention de M. Thiollière a été de grande qualité : ses références à l'Antiquité et à la manière dont Goethe les a interprétées étaient très intéressantes. Certes, internet favorise l'imbrication entre la sphère publique et privée et les frontières sont assez floues et mouvantes. Nous devrons proposer des solutions souples et adaptables pour accompagner les évolutions du monde numérique : c'est un peu le leitmotiv des amendements que je vous présenterai tout à l'heure.
M. Lefèvre a rappelé les risques liés à internet. Il nous revient donc d'agir pour y parer.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
Article premier
L'article L. 312-15 du code de l'éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans le cadre de l'enseignement d'éducation civique, les élèves sont formés afin de développer une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l'information disponible et d'acquérir un comportement responsable dans l'utilisation des outils interactifs, lors de leur usage des services de communication au public en ligne. Ils sont informés des moyens de maîtriser leur image publique, des dangers de l'exposition de soi et d'autrui, des droits d'opposition, de suppression, d'accès et de rectification prévus par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, ainsi que des missions de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. »
Mme Nicole Bonnefoy. - Cet article confie à l'éducation nationale la mission de prévenir et de sensibiliser les jeunes à l'utilisation des services de communication au public en ligne et leurs conséquences sur la vie privée de chacun. Cette initiative est indispensable à l'heure de l'informatisation croissante de notre société et de l'omniprésence des nouvelles technologies dans notre vie, notamment dans celle des jeunes. Devant les dérives constatées depuis une dizaine d'année, nos enfants doivent recevoir une « éducation numérique » plus complète. Internet est un formidable outil de communication et d'information, qui offre de très nombreuses opportunités à beaucoup de Français. C'est devenu un instrument professionnel, mais aussi social et culturel indispensable. Un tel succès suscite beaucoup de convoitise et génère de nombreux dangers qu'il faut prévenir. L'école a bien évidemment un rôle central à jouer dans ce domaine.
La loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet a déjà mis en place certaines mesures. Il est pourtant nécessaire de poursuivre en ce sens.
Avec le développement massif d'espaces numériques dits « sociaux », qui consistent à mettre en réseau de nombreux éléments de la vie privé, il est indispensable de compléter le dispositif actuel afin de protéger les données personnelles et le droit à la vie privée. Les principaux utilisateurs de ces réseaux sont le plus souvent jeunes et ils développent parfois une véritable addiction vis-à-vis de ces pratiques, sans mesurer les conséquences de l'utilisation de leurs données par certains sites. Ces nouveaux espaces d'échange et de vie peuvent donc être dangereux.
Plus inquiétant encore, la pornographie s'installe sur la toile. Comme l'ont rappelé les auteurs de cette proposition de loi, la pratique des « sextos », c'est-à-dire la transmission de photos entre mineurs dénudés par messagerie instantanée ou téléphone portable, bien souvent sans le consentement des personnes, est une terrible illustration de certains comportements à risque. Or, 35 millions de Français ont un abonnement internet et notre pays compte 59 millions d'utilisateurs de téléphones portables. Il est donc nécessaire de mettre en place des mesures de sensibilisation et de prévention à l'égard des jeunes.
Pourtant, des textes récents confient de nombreuses missions aux enseignants alors que les moyens qui leur sont octroyés sont en forte diminution. En outre, le nombre des enseignants va encore diminuer de façon vertigineuse puisque, selon Bercy, 35 000 postes ne seront pas renouvelés cette année.
Dès lors, comment faire pour que cet article soit applicable ? Comment les campagnes d'information et de sensibilisation auprès des jeunes pourront-elles être dispensées ? Combien de temps les enseignants pourront-ils consacrer à cette tache ?
Je voterai cet article, mais ces mesures seront-elles appliquées si le Gouvernement poursuit sa politique de casse de l'éducation nationale ?
L'article premier est adopté.
La séance est suspendue à 19 h 25.
présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Audition en application de l'article 13
M. le président. - J'informe le Sénat que M. le Premier ministre, par lettre en date du 23 mars 2010, a estimé souhaitable, sans attendre l'adoption des règles organiques relatives à l'application de l'article 13 de la Constitution, que la commission intéressée puisse, si elle le souhaite, auditionner Mme Jeannette Bougrab, qui pourrait être prochainement nommée aux fonctions de Présidente de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.
Acte est donné de cette communication.
Droit à la vie privée à l'heure du numérique (Suite)
M. le président. - Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l'heure du numérique, présentée par M. Yves Détraigne et Mme Anne-Marie Escoffier.
Discussion des articles (Suite)
M. le président. - Dans la discussion des articles, nous en étions parvenus à l'amendement n°29 à l'article 2.
Article 2
Le deuxième alinéa de l'article 2 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Tout numéro identifiant le titulaire d'un accès à des services de communication au public en ligne est visé par le présent alinéa. »
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - En discussion générale, j'ai rappelé que la notion de donnée à caractère personnel, posée dans la loi Informatique et libertés, est suffisamment générale pour s'adapter aux technologies nouvelles. Cet article rompt avec cette logique en cherchant à énumérer lesdites données personnelles. Cette démarche semble illusoire, une liste ne couvrant jamais tous les cas de figure. En outre, l'adresse IP, je m'en suis déjà expliqué, ne doit pas être assimilée à une donnée personnelle, comme nous y invite la nouvelle directive européenne sur la vie privée et les communications électroniques. En bref, cet article risque de rigidifier la loi et d'aller à l'encontre du but recherché : faudra-t-il, à l'avenir, qu'une information soit expressément mentionnée par la loi comme donnée personnelle pour qu'elle bénéficie de la protection de la loi Informatique et libertés ? D'où cet amendement de suppression de l'article.
M. Christian Cointat, rapporteur. - Monsieur le ministre, j'ai l'impression que vous parlez de la rédaction initiale du texte, et non de la version issue des travaux de la commission... Dans un monde en mouvement, il faut bouger à moins de se condamner à l'obsolescence. La loi doit donc évoluer. Le texte de la commission ne vise pas des adresses, qu'elles soient IP ou non, non plus que des numéros, mais des « numéros identifiant le titulaire d'un accès à des services de communication au public en ligne » afin de garantir à l'usager la protection qu'il est en droit d'attendre. Enfin, et surtout, le législateur doit combler un vide juridique : certains tribunaux considèrent l'adresse IP comme une donnée personnelle, d'autres non et la jurisprudence est d'autant moins claire que la Cour de cassation a refusé de se prononcer. Au nom de la commission, je suis donc contraint de donner un avis défavorable.
Mme Anne-Marie Escoffier, coauteur de la proposition de loi. - De fait, la commission a modifié le texte initial, avec notre accord, en proposant le terme de numéro identifiant qui ne présente aucune difficulté ou gêne dans l'observation de la réglementation. Aux côtés du rapporteur, nous sommes extrêmement attachés à cette disposition protectrice !
L'amendement n°29 n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté.
L'article 2 bis est adopté, de même que l'article 2 ter.
Article 3
I. - Après le chapitre IV de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, il est inséré un chapitre IV bis ainsi rédigé :
« Chapitre IV bis
« Le correspondant « informatique et libertés »
« Art. 31-1. - Lorsqu'une autorité publique ou un organisme privé recourt à un traitement de données à caractère personnel qui relève du régime d'autorisation en application des articles 25, 26 ou 27 ou pour lequel plus de cinquante personnes y ont directement accès ou sont chargées de sa mise en oeuvre, ladite autorité ou ledit organisme désigne, en son sein ou dans un cadre mutualisé, un correspondant « informatique et libertés ». Toute autorité publique ou organisme privé qui ne remplit pas les conditions précédentes peut toutefois désigner un tel correspondant, y compris dans un cadre mutualisé.
« Le correspondant est chargé d'assurer, d'une manière indépendante, le respect des obligations prévues dans la présente loi et d'informer et de conseiller l'ensemble des personnes travaillant pour le compte de l'autorité ou de l'organisme sur l'ensemble des questions de protection des données à caractère personnel.
« Le correspondant bénéficie des qualifications requises pour exercer ces missions. Il tient une liste des traitements effectués, régulièrement mise à jour et immédiatement accessible à toute personne en faisant la demande. Il ne peut faire l'objet d'aucune sanction de la part de l'employeur du fait de l'accomplissement de ses missions. Il saisit la Commission nationale de l'informatique et des libertés des difficultés qu'il rencontre dans l'exercice de ses missions. Il établit un rapport annuel d'activité et le transmet à la Commission.
« La désignation du correspondant est notifiée à la Commission qui peut la refuser s'il ne remplit pas les conditions de compétence visées aux deux alinéas précédents. Cette désignation est portée à la connaissance des instances représentatives du personnel.
« En cas de non-respect des dispositions de la loi, le responsable du traitement est enjoint par la Commission nationale de l'informatique et des libertés de procéder aux formalités prévues aux articles 23 et 24. En cas de manquement constaté à ses devoirs, le correspondant est déchargé de ses fonctions sur demande, ou après consultation, de la Commission. »
II. - (Non modifié) Le III de l'article 22 est ainsi rédigé :
« III. - Les traitements pour lesquels le responsable a désigné un correspondant « informatique et libertés », dont le statut et les missions sont définis à l'article 31 bis, sont dispensés des formalités prévues aux articles 23 et 24, sauf lorsqu'un transfert de données à caractère personnel à destination d'un État non membre de l'Union européenne est envisagé. »
M. le président. - Amendement n°30, présenté par le Gouvernement.
Supprimer cet article.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - La désignation d'un correspondant « informatique et libertés » est actuellement une faculté et doit le rester afin de conserver au dispositif son équilibre. La rendre obligatoire, comme le propose la commission, soulève de nombreuses questions quand cette institution est d'autant plus efficace, avait rappelé M. Türk lorsqu'il rapportait la loi du 6 août 2004, qu'elle repose sur le volontariat. Tout d'abord, le seuil à partir duquel une telle personne devra être nommée est malaisé à identifier : comment recenser le nombre de personnes chargées de la mise en oeuvre du traitement dans un organisme ? Ensuite, prévoir que la Cnil devra approuver le choix de la personne désignée, c'est priver l'organisme d'une élémentaire autonomie de gestion. De plus, le correspondant serait tenu d'informer la Cnil de toute difficulté rencontrée dans l'exercice de ses missions, ce qui revient à donner à la Cnil un pouvoir général d'intrusion dans les affaires internes de l'organisme concerné. En somme, un rôle intrusif qui confine à l'inapplicabilité. Enfin, avec un tel dispositif, il faudra désigner de très nombreux correspondants dans les services de l'État, des collectivités territoriales, voire dans les assemblées délibératives. Cela alourdira la tâche de la Cnil et créera une confusion avec les correspondants créés par la loi du 6 janvier 1978, interlocuteurs privilégiés du commissaire du Gouvernement auprès de la Cnil. Mieux vaut donc recourir à ce contrôle interne qu'est le correspondant « informatique et libertés » dans les seules administrations et entreprises volontaires et conserver une séparation claire entre les obligations du responsable de traitement et le contrôle du respect de ces obligations par un organisme extérieur. A cet égard, je rappelle que la Cnil dispose de pouvoirs de contrôle a posteriori renforcés depuis la loi du 6 août 2004. Nous proposons donc la suppression de l'article.
M. Christian Cointat, rapporteur. - Quel est mon embarras de dire l'opposition de la commission à cet amendement ! (M. Bernard Frimat ironise) Cet article 3 est l'un des coeurs du dispositif. Avec l'accord des auteurs de la proposition de loi, nous l'avons remanié pour donner au correspondant une fonction nouvelle : celui-ci ne doit plus être l'espion de la Cnil, mais l'assurance pour toute personne traitant des fichiers importants que tout se passera bien. Avoir rendu l'assurance automobile obligatoire a été un progrès, il en sera de même pour le correspondant qui ne devra pas être vu comme synonyme de contrôles tatillons restreignant la liberté d'entreprendre, mais comme une protection pour les citoyens ; en retour, il sera mieux informé de la politique de la Cnil, et donc plus efficace. Bref, par cet article 3, nous entendons opérer un changement des esprits : le correspondant Cnil ne doit plus être un représentant de la Cnil, mais un partenaire.
Il doit être le facilitateur, pour reprendre le néologisme que j'ai utilisé lors de la discussion générale ; le conseiller, non le contrôleur ; celui qui aide, non celui qui bloque.
Si l'institution d'un CIL n'est pas rendue obligatoire, l'état d'esprit ne changera pas.
Pourquoi avons-nous mentionné le chiffre de 50 personnes ? Parce que votre décret autorise la mutualisation à partir de ce seuil. La commission pensait que le Gouvernement savait ce qu'il faisait, mais elle est ouverte aux adaptations. Ainsi, elle s'en remettra à la sagesse de notre assemblée à propos d'un amendement qui proposera de relever le seuil à 100 personnes.
Il reste que pour les raisons explicitées, la commission est défavorable à l'amendement n°30.
M. Yves Détraigne, coauteur de la proposition de loi. - Le CIL ne représentera pas une charge pour les entreprises, car il sera ordinairement choisi parmi les personnes déjà sur place. Chargé de diffuser une culture de protection des données nominatives, il garantira à l'entreprise que nul ne bricole des données sensibles. C'est une assurance pour l'entreprise.
Mme Anne-Marie Escoffier, coauteur de la proposition de loi. - Je ne vois pas en quoi l'obligation de nommer un CIL lui conférerait un « caractère intrusif ».
Dans certaines administrations, il existe des « délégués » qui assurent exactement la même mission. Pourquoi sacrifier la création des CIL, que les collectivités territoriales demandent par ailleurs ? Ils garantissent le bon fonctionnement des systèmes informatisés.
M. Charles Gautier. - Nous sommes à l'orée d'une époque nouvelle, face à un domaine encore à défricher. Notre tâche est donc difficile.
Je partage les observations de mes collègues sur l'assurance que le CIL apportera.
Mais on peut aussi raisonner par analogie avec le garant de l'hygiène et de la sécurité au travail, que les entreprises ont dû désigner en leur sein. Cette tâche n'est pas confiée à des inspecteurs du travail. Nous examinons ici un cas de figure analogue. Il ne s'agit pas de petites entreprises pour qu'en leur sein au moins 50 personnes aient à connaître des fichiers nominatifs informatisés !
L'amendement n°30 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°8, présenté par Mme Troendle et MM. Béteille, Buffet, Lefèvre et Pillet.
Alinéa 4, première phrase
Remplacer les mots :
cinquante personnes
par les mots :
cent personnes
Mme Catherine Troendle. - L'article 3 de la proposition de loi oblige toute personne morale qui recourt à un traitement de données à caractère personnel, effectué par plus de 50 personnes, à désigner un correspondant « informatique et libertés », choisi en son sein ou dans un cadre mutualisé.
Nous souhaitons relever le seuil de 50 personnes. En effet, la rédaction actuelle obligerait la Cnil à gérer plus de CIL qu'elle ne saurait le faire. De surcroît, la directive européenne de 1995 était fondée sur le volontariat, indispensable à l'établissement d'un lien de confiance.
Il est au demeurant très souhaitable d'encourager vivement un recours volontaires à cette institution.
M. Christian Cointat, rapporteur. - Ce qui est important, ce sont les flux, mais il faut bien aussi prendre en compte le nombre de personnes.
Nous avons retenu un seuil déjà inscrit dans un décret, mais qui avait aussi la vertu d'inciter à rationaliser l'accès aux fichiers. Ainsi, un chef d'entreprise ne souhaitant pas nommer un CIL pourra utilement restreindre l'accès aux fichiers. Ce sera déjà un progrès.
Le Sénat dispose actuellement d'une CIL. Il s'en porte très bien.
L'essentiel étant aujourd'hui d'engager un changement d'état d'esprit, la commission s'en remet à la sagesse à propos de l'amendement.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - L'excellent plaidoyer de Mme Troendle montre qu'instituer des CIL n'a rien d'anodin. Je partage sa préférence pour le volontariat. Avis favorable.
L'amendement n°8 est adopté.
L'amendement n°17 est retiré.
M. le président. - Amendement n°10 rectifié bis, présenté par MM. Amoudry, Badré et Jean-Léonce Dupont, Mme Payet et M. Soulage.
Alinéa 7, première phrase
Après les mots :
à la Commission
supprimer les mots :
qui peut la refuser s'il ne remplit pas les conditions de compétence visées aux deux alinéas précédents
M. Jean-Paul Amoudry. - L'alinéa 7 de l'article 3 autorise la Cnil à refuser la désignation d'un CIL qui ne posséderait pas les compétences requises.
Comment la Cnil pourrait-elle déterminer les critères objectifs nécessaires à cette évaluation ? L'ancienneté de l'intéressé, ses diplômes ou son poste devront être mis en relation avec la taille de l'organisme concerné, son activité et la nature des données traitées. Le responsable de traitement est donc le mieux placé. L'éventuelle opposition de la Cnil pourrait être vécue par celui-ci comme une perte peu souhaitable de contrôle sur l'organisation de ses services.
M. Christian Cointat, rapporteur. - Le texte autorise seulement la Cnil à refuser la nomination d'un CIL. Elle ne s'érigera pas en directrice des ressources humaines de toutes les entreprises de France et de Navarre ! Encore faut-il que le CIL soit à même d'assurer l'interface entre la Cnil et l'entreprise.
La Cnil devra donc pouvoir s'opposer à un abus manifeste. L'obligation de nommer un CIL peut exposer un chef d'entreprise à la tentation de désigner à ce poste une personne qui n'y connaît rien. A défaut de protection contre cet effet pervers, tout le discours que j'ai tenu sur l'assurance apportée aux gestionnaires et la protection de nos concitoyens tomberait à l'eau.
Les motivations des auteurs de l'amendement sont pertinentes, mais la Cnil doit pouvoir s'opposer à une nomination manquant de sérieux. Nul besoin de dossier professionnel pour s'apercevoir que l'interlocuteur est parfaitement incompétent !
Je souhaite le retrait de l'amendement.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Après avoir écouté avec attention la brillante argumentation du rapporteur, j'éprouve des doutes confirmés.
Au fond, ce correspondant dépendra de la Cnil.
M. Christian Cointat, rapporteur. - Pas du tout, il sera l'interface...
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Donner un droit de véto à la Cnil, c'est lui donner un droit d'ingérence. Sagesse positive.
M. Jean-Paul Amoudry. - La faculté donnée à la Cnil de s'opposer à la désignation du correspondant pourra être interprétée, s'il n'y a pas de refus de sa part, pour un accord tacite et si d'aventure la personne choisie ne donne pas satisfaction, la responsabilité de la Cnil serait engagée. Je maintiens mon amendement d'autant que l'avis du ministre conforte ma position.
L'amendement n°10 rectifié bis n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°15, présenté par M. C. Gautier et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Alinéa 8, seconde phrase
Remplacer le mot :
consultation
par les mots :
avis conforme
M. Charles Gautier. - Dans le cas de démission d'office du correspondant informatique et liberté, le texte initial de la proposition de loi faisait le choix d'un avis conforme de la Cnil. La commission des lois remplace l'avis conforme par le terme de consultation, c'est-à-dire d'avis simple. Pourtant, l'indépendance du CIL est une exigence posée par l'article 22 (III) de la loi de 1978 et l'avis conforme garantit substantiellement cette indépendance. C'est pourquoi il faut rétablir l'exigence d'avis conforme. En outre, la notion de « salarié protégé » relève du droit social et, en l'occurrence, n'est pas adaptée.
M. Christian Cointat, rapporteur. - Décidément, ce texte m'appelle à défendre une thèse et son contraire, tant je dois rester sur la ligne de crête d'équilibre entre les deux. Je reprendrai donc ici l'argument de M. Amoudry : il n'est pas question que la Cnil devienne un DRH. Donc un avis conforme serait excessif. S'il lui est possible de récuser une personne incompétente, il ne faut pas tomber dans l'excès inverse car le chef d'entreprise reste le patron. Retrait ou rejet.
L'amendement n°15, repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°39, présenté par M. Cointat, au nom de la commission des lois.
Alinéa 10
Remplacer la référence :
31 bis
par la référence :
31-1
M. Christian Cointat, rapporteur. - Correction d'une erreur matérielle.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Sagesse.
L'amendement n°39 est adopté.
L'amendement n°11 rectifié est retiré.
L'article3, modifié, est adopté.
Article 4
L'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :
« Art. 26. - I. - Les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'État et qui intéressent la sûreté de l'État, la défense, la sécurité publique ou qui ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l'exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté, ne peuvent être autorisés qu'à la condition de répondre à une ou plusieurs des finalités suivantes :
« 1° Permettre aux services de renseignement d'exercer leurs missions ;
« 2° Permettre aux services de police judiciaire d'opérer des rapprochements entre des infractions susceptibles d'être liées entre elles, à partir des caractéristiques de ces infractions, afin de faciliter l'identification de leurs auteurs ;
« 3° Faciliter par l'utilisation d'éléments biométriques ou biologiques se rapportant aux personnes, d'une part la recherche et l'identification des auteurs de crimes et de délits, d'autre part la poursuite, l'instruction et le jugement des affaires dont l'autorité judiciaire est saisie ;
« 4° Répertorier les personnes et les objets signalés par les services habilités à alimenter le traitement, dans le cadre de leurs missions de police administrative ou judiciaire, afin de faciliter les recherches des services enquêteurs et de porter à la connaissance des services intéressés la conduite à tenir s'ils se trouvent en présence de la personne ou de l'objet ;
« 5° Faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs ;
« 6° Faciliter la diffusion et le partage des informations détenues par différents services de police judiciaire, sur les enquêtes en cours ou les individus qui en font l'objet, en vue d'une meilleure coordination de leurs investigations ;
« 7° Centraliser les informations destinées à informer le Gouvernement et le représentant de l'État afin de prévenir les atteintes à la sécurité publique ;
« 8° Procéder à des enquêtes administratives liées à la sécurité publique ;
« 9° Faciliter la gestion administrative ou opérationnelle des services de police et de gendarmerie ainsi que des services chargés de l'exécution des décisions des juridictions pénales en leur permettant de consigner les événements intervenus, de suivre l'activité des services et de leurs agents, de suivre les relations avec les usagers du service, d'assurer une meilleure allocation des moyens aux missions et d'évaluer les résultats obtenus ;
« 10° Organiser le contrôle de l'accès à certains lieux nécessitant une surveillance particulière ;
« 11° Recenser et gérer les données relatives aux personnes ou aux biens faisant l'objet d'une même catégorie de décision administrative ou judiciaire ;
« 12° Faciliter l'accomplissement des tâches liées à la rédaction, à la gestion et à la conservation des procédures administratives et judiciaires et assurer l'alimentation automatique de certains fichiers de police ;
« 13° Recevoir, établir, conserver et transmettre les actes, données et informations nécessaires à l'exercice des attributions du ministère public et des juridictions pénales, et à l'exécution de leurs décisions.
« II. - Les traitements mentionnés au I sont autorisés par arrêté du ou des ministres compétents, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
« Ceux des traitements mentionnés au I qui portent sur des données mentionnées au I de l'article 8 sont autorisés par décret en Conseil d'État pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
« L'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés est publié avec l'arrêté ou le décret autorisant le traitement.
« III (nouveau). - Dans les traitements mentionnés au 7° du I du présent article, la durée de conservation des données concernant les mineurs est inférieure à celle applicable aux majeurs, sauf à ce que leur enregistrement ait été exclusivement dicté par l'intérêt du mineur. Cette durée est modulée afin de tenir compte de la situation particulière des mineurs et, le cas échéant, en fonction de la nature et de la gravité des atteintes à la sécurité publique commises par eux.
« IV (nouveau). - Les traitements de données à caractère personnel intéressant la sûreté de l'État et la défense peuvent être dispensés, par décret en Conseil d'État, de la publication de l'acte réglementaire qui les autorise. Pour ces traitements, est publié, en même temps que le décret autorisant la dispense de publication de l'acte, le sens de l'avis émis par la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
« Les actes réglementaires qui autorisent ces traitements sont portés à la connaissance de la délégation parlementaire au renseignement et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
« V (nouveau). - Lorsque la mise au point technique d'un traitement mentionné au I nécessite une exploitation en situation réelle de fonctionnement, un tel traitement peut être mis en oeuvre à titre expérimental pour une durée de dix-huit mois, après déclaration auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
« Un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, détermine les modalités selon lesquelles la commission est informée de l'évolution technique d'un tel projet de traitement et fait part de ses recommandations au seul responsable de ce projet.
« VI (nouveau). - Pour l'application du présent article, les traitements qui répondent à une même finalité, portent sur des catégories de données identiques et ont les mêmes destinataires ou catégories de destinataires peuvent être autorisés par un acte réglementaire unique. Dans ce cas, le responsable de chaque traitement adresse à la Commission nationale de l'informatique et des libertés un engagement de conformité de celui-ci à la description figurant dans l'autorisation. »
L'amendement n°18 est retiré.
M. le président. - Amendement n°1, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.
Rédiger ainsi cet article :
L'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :
« Art. 26. - I. - Sont autorisés par décret du ou des ministres compétents, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'État et qui intéressent la sûreté de l'État ou la défense nationale. L'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés est publié en même temps que le décret autorisant le traitement.
« Les actes réglementaires qui autorisent les traitements mentionnés à l'alinéa précédent sont portés à la connaissance de la délégation parlementaire au renseignement.
« II. - Sont autorisés par la loi les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'État et :
« 1° Qui intéressent la sécurité publique ;
« 2° Qui ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l'exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté ;
« 3° Qui portent sur des données mentionnées au I et II de l'article 8.
« III. Des catégories de traitements de données à caractère personnel peuvent également être autorisés par la loi lorsqu'elles sont constituées par des traitements qui répondent à une même finalité, portent sur les mêmes catégories de données et ont les mêmes catégories de destinataires.
« IV- L'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés mentionné au a du 4° de l'article 11 sur tout projet de loi autorisant la création d'une telle catégorie de traitements de données est transmis au Parlement simultanément au dépôt du projet de loi. »
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Cet amendement réintroduit dans cette proposition de loi une exigence fondamentale : donner au législatif le pouvoir de créer des fichiers. Cette exigence a été abandonnée en commission des lois, au profit d'une extension du pouvoir réglementaire dans la création des fichiers. Nous souhaitons cependant que la création de fichiers touchant à la défense nationale et à la sûreté de l'État reste sous la responsabilité du pouvoir réglementaire. Le décret créant de tels fichiers devra faire l'objet d'un avis de la Cnil, et sera transmis à la délégation parlementaire au renseignement. Enfin, il sera publié, pour assurer à nos concitoyens le droit d'accéder aux normes qui s'imposent à eux.
M. le président. - Amendement n°14, présenté par M. C. Gautier et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Alinéas 2 à 21
Remplacer ces alinéas par 34 alinéas ainsi rédigés :
Rédiger ainsi ces alinéas :
« Art. 26. - I. - Les traitements ou catégories traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'État et qui intéressent la sécurité publique ou qui ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l'exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté, ne peuvent être autorisés par la loi qu'à la condition de répondre à une ou plusieurs des finalités suivantes :
« 1° Permettre aux services de renseignement qui n'interviennent pas en matière de sûreté de l'État et de défense, d'exercer leurs missions ;
« 2° Permettre aux services de police judiciaire d'opérer des rapprochements entre des infractions susceptibles d'être liées entre elles, à partir des caractéristiques de ces infractions, afin de faciliter l'identification de leurs auteurs ;
« 3° Faciliter par l'utilisation d'éléments biométriques ou biologiques se rapportant aux personnes, d'une part la recherche et l'identification des auteurs de crimes et de délits, d'autre part la poursuite, l'instruction et le jugement des affaires dont l'autorité judiciaire est saisie ;
« 4° Répertorier les personnes et les objets signalés par les services habilités à alimenter le traitement, dans le cadre de leurs missions de police administrative ou judiciaire, afin de faciliter les recherches des services enquêteurs et de porter à la connaissance des services intéressés la conduite à tenir s'ils se trouvent en présence de la personne ou de l'objet ;
« 5° Faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs ;
« 6° Faciliter la diffusion et le partage des informations détenues par différents services de police judiciaire, sur les enquêtes en cours ou les individus qui en font l'objet, en vue d'une meilleure coordination de leurs investigations ;
« 7° Centraliser les informations destinées à informer le Gouvernement et le représentant de l'État afin de prévenir les atteintes à la sécurité publique ;
« 8° Procéder à des enquêtes administratives liées à la sécurité publique ;
« 9° Faciliter la gestion administrative ou opérationnelle des services de police et de gendarmerie ainsi que des services chargés de l'exécution des décisions des juridictions pénales en leur permettant de consigner les événements intervenus, de suivre l'activité des services et de leurs agents, de suivre les relations avec les usagers du service, d'assurer une meilleure allocation des moyens aux missions et d'évaluer les résultats obtenus ;
« 10° Organiser le contrôle de l'accès à certains lieux nécessitant une surveillance particulière ;
« 11° Recenser et gérer les données relatives aux personnes ou aux biens faisant l'objet d'une même catégorie de décision administrative ou judiciaire ;
« 12° Faciliter l'accomplissement des tâches liées à la rédaction, à la gestion et à la conservation des procédures administratives et judiciaires et assurer l'alimentation automatique de certains fichiers de police ;
« 13° Recevoir, établir, conserver et transmettre les actes, données et informations nécessaires à l'exercice des attributions du ministère public et des juridictions pénales, et à l'exécution de leurs décisions.
« Les catégories de traitements de données à caractère personnel sont constituées par les traitements qui répondent aux mêmes finalités, peuvent comporter tout ou partie d'un ensemble commun de données, concernent les mêmes catégories de personnes et obéissent aux mêmes règles générales de fonctionnement.
« L'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés mentionnées au a du 4°sur tout projet de loi autorisant la création d'un tel traitement ou d'une telle catégorie de traitements de données est transmis au Parlement simultanément au dépôt du projet de loi.
« II. - La loi autorisant un traitement ou une catégorie de traitements de données mentionnés au I prévoit :
« - les services responsables ;
« - la nature des données à caractère personnel prévues au I de l'article 8 dont la collecte, la conservation et le traitement sont autorisés, dès lors que la finalité du traitement l'exige ;
« - l'origine de ces données et les catégories de personnes concernées ;
« - la durée de conservation des informations traitées ;
« - les destinataires ou catégories de destinataires des informations enregistrées ;
« - la nature du droit d'accès des personnes figurant dans les traitements de données aux informations qui les concernent ;
« - les interconnexions autorisées avec d'autres traitements de données.
« III. - Sont autorisés par décret en Conseil d'État, après avis motivé et publié de la commission, les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'État et qui intéressent la sûreté de l'État ou la défense.
« Ces traitements peuvent être dispensés, par décret en Conseil d'État, de la publication de l'acte réglementaire qui les autorise.
« Pour ces traitements :
« - est publié en même temps que le décret autorisant la dispense de la publication de l'acte, le sens de l'avis émis par la commission ;
« - l'acte réglementaire est transmis à la délégation parlementaire au renseignement et à la commission.
« IV. - Les modalités d'application du I sont fixées par arrêté. Si les traitements portent sur des données mentionnées au I de l'article 8, ces modalités sont fixées par décret en Conseil d'État.
La commission publie un avis motivé sur tout projet d'acte réglementaire pris en application d'une loi autorisant une catégorie de traitements de données conformément au I du présent article.
« V. - Dans les traitements mentionnés au 1° et 7° du I du présent article, la durée de conservation des données concernant les mineurs est inférieure à celle applicable aux majeurs, sauf à ce que leur enregistrement ait été exclusivement dicté par l'intérêt du mineur. Cette durée est modulée afin de tenir compte de la situation particulière des mineurs et, le cas échéant, en fonction de la nature et de la gravité des atteintes à la sécurité publique commises par eux.
« VI. - Lorsque la mise au point technique d'un traitement mentionné au I nécessite une exploitation en situation réelle de fonctionnement, un tel traitement peut être mis en oeuvre à titre expérimental pour une durée de dix-huit mois, après déclaration auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
« Un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, détermine les modalités selon lesquelles la commission est informée de l'évolution technique d'un tel projet de traitement et fait part de ses recommandations au seul responsable de ce projet.
« VII - Pour l'application du présent article, les traitements qui répondent à une même finalité, portent sur des catégories de données identiques et ont les mêmes destinataires ou catégories de destinataires peuvent être autorisés par un acte réglementaire unique. Dans ce cas, le responsable de chaque traitement adresse à la Commission nationale de l'informatique et des libertés un engagement de conformité de celui-ci à la description figurant dans l'autorisation.
M. Charles Gautier. - Nous avons retiré le n°18 qui supprimait l'article 4 parce que nous préférons réécrire cet article de façon complète et équilibrée. Fruit des réflexions successives sur le contrôle des fichiers de police menées à l'Assemblée nationale et au Sénat, notre rédaction repose sur une ligne directrice claire, la seule qui permettrait de parvenir enfin à un consensus, sans a priori partisan. Elle satisferait les intérêts des services relevant tant de la sécurité intérieure que de la défense et de la sûreté de la Nation.
La rédaction de la commission n'est pas satisfaisante car elle limite l'intervention du législateur à la seule finalité des traitements. Elle se contente de mettre à jour la base légale des fichiers existants afin notamment d'englober les fichiers créés par des actes réglementaires ou sans fondement juridique spécifique.
Le contrôle du législateur ne peut se limiter à la seule détermination des finalités des traitements de données, sujet sur lequel le risque de divergence est limité. Nous reprenons la liste des finalités, mais le débat porte davantage sur le contenu et les conditions de traitement des données. Le contrôle des fichiers de police passe par la loi parce qu'il s'agit bien de l'exercice des libertés publiques pour lesquelles le législateur est appelé à fixer les règles aux termes de l'article 34 de la Constitution.
Nous précisons les éléments d'information et d'usage qui doivent accompagner la création de ces fichiers. Nous préservons la compétence exclusive du pouvoir réglementaire pour les traitements intéressant la sûreté de l'État ou la défense en reprenant l'idée du contrôle de ces fichiers par la délégation parlementaire au renseignement. Nous sommes favorables au régime spécifique concernant les mineurs, qui réduit la durée de conservation des données personnelles les concernant, afin de renforcer leur « droit à l'oubli ».
Donnons aux forces de l'ordre et à la justice les moyens d'agir ; mais faisons-le dans la transparence et dans le respect des libertés publiques en veillant à maintenir un équilibre délicat mais indispensable.
M. le président. - Amendement n°31, présenté par le Gouvernement.
I. - Alinéas 2 et 3
Rédiger ainsi ces alinéas :
« Art. 26. - I. - Sont autorisés par arrêté du ou des ministres compétents, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'État et qui intéressent la sûreté de l'État ou la défense.
« II. - Les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'État et qui intéressent la sécurité publique ou qui ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l'exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté, ne peuvent être autorisés qu'à la condition de répondre à une ou plusieurs des finalités suivantes : »
II. - En conséquence :
a) Alinéas 4 à 15, références 2° à 13°
Remplacer ces références par les références :
1° à 12°
b) Alinéas 16 à 24, références II à VI
Remplacer ces références par les références :
III à VII.
c) Alinéa 16
Remplacer les mots :
mentionnés au I
par les mots :
mentionnés au II
d) Alinéa 17
Remplacer les mots :
traitements mentionnés au I
par les mots :
traitements mentionnés au I ou au II
e) Alinéa 19
Remplacer les mots :
au 7° du I
par les mots :
au 6° du II
III. - Alinéa 20, première phrase
Remplacer les mots :
Les traitements de données à caractère personnel intéressant la sûreté de l'État et la défense
par les mots :
Certains traitements mentionnés au I
IV. - Alinéa 22
Remplacer les mots :
au I
par les mots :
au I ou au II
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Le Gouvernement est opposé à l'article 4 tel qu'adopté par votre commission. Tout comme le Parlement, le Gouvernement souhaite que les traitements de police ne puissent être créés par voie réglementaire que s'ils répondent à une finalité préalablement définie par la loi. L'article 29 bis de la proposition de loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture le 2 décembre 2009, modifie l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 en ce sens. La rédaction retenue préserve un équilibre entre la garantie des droits et libertés et la souplesse nécessaire pour permettre au Gouvernement de mettre en oeuvre des fichiers opérationnels dans des délais raisonnables.
Il est vrai que le présent article 4 se rapproche sur de nombreux points de l'article 29 bis de la proposition de loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, mais il s'en écarte sur un point important. Le régime consistant à ne permettre la création de traitements par voie réglementaire que lorsqu'ils répondent à des finalités définies dans la loi est ici étendu aux traitements qui intéressent la sûreté de l'État et la défense, qui n'étaient visés ni dans la proposition de loi initiale, ni dans le rapport de Mme Batho et de M. Bénisti sur les fichiers de police, aux conclusions duquel le rapport de M. Détraigne et de Mme Escoffier se réfère sur ce point, ni dans la proposition de loi du président Warsmann dont le Sénat est saisi par ailleurs.
Le Gouvernement est favorable à une évolution de l'encadrement juridique des fichiers de police qui étaient visés par les textes déjà cités. Corrélativement, compte tenu de leur spécificité, il souhaite le maintien du régime actuel pour les traitements qui intéressent la sûreté de l'État et la défense, que ces propositions n'ont pas voulu remettre en cause. C'est un équilibre qui a été constant jusqu'à présent, et c'est pourquoi ce type de traitements a été exclu de la proposition de loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit. Il convient de s'en tenir à cette position. Le Gouvernement propose donc que les dispositions de l'article 4 soient identiques à celles de l'article 29 bis de la proposition de loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, adopté par l'Assemblée nationale, en première lecture.
M. le président. - Sous-amendement n°44 à l'amendement n°31 du Gouvernement, présenté par MM. Türk et Amoudry.
Alinéa 4 de l'amendement n° 31
Avant les mots :
Les traitements de données
insérer les mots :
Sans préjudice des dispositions de l'article 6,
Sous-amendement n°45 à l'amendement n° 31 du Gouvernement, présenté par MM. Türk et Amoudry.
Rédiger ainsi le IV de l'amendement n° 31 :
IV. - Alinéa 22
Rédiger ainsi cet alinéa :
« VI - Lorsque la mise au point technique d'un traitement mentionné au I ou au II nécessite une exploitation en situation réelle de fonctionnement, un tel traitement peut être autorisé, à titre expérimental, pour une durée maximale de dix-huit mois, par arrêté pris après avis de la Cnil. Cet arrêté détermine notamment les finalités, la durée et le champ d'application de l'expérimentation.
Amendement n°20 rectifié, présenté par MM. Türk et Amoudry.
Alinéa 2
Avant les mots :
Les traitements de données à caractère personnel
insérer les mots :
Sans préjudice des dispositions de l'article 6,
Amendement n°19, présenté par MM. Türk et Amoudry.
Alinéa 22
Rédiger ainsi cet alinéa :
«V - Lorsque la mise au point technique d'un traitement mentionné au I nécessite une exploitation en situation réelle de fonctionnement, un tel traitement peut être autorisé, à titre expérimental, pour une durée maximale de dix-huit mois, par arrêté pris après avis de la CNIL. Cet arrêté détermine notamment les finalités, la durée et le champ d'application de l'expérimentation.
L'amendement n°25 est retiré.
M. Alex Türk. - L'article 4, dans sa rédaction actuelle, précise que les traitements de données à caractère personnel relevant de l'article 26, et en particulier les fichiers de police, pourront être autorisés s'ils répondent à une ou plusieurs des treize finalités déterminées aux termes du même article. Si, de prime abord, l'objectif poursuivi -assurer un meilleur encadrement des fichiers de police- est légitime, cette nouvelle rédaction de l'article 26 ne permet pas de garantir que, pour chaque création de traitement, le contrôle de proportionnalité prévu par l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée par la loi du 6 août 2004 sera bien exercé. Cet article dispose, en particulier, que les données ne sont collectées que pour des finalités déterminées, légitimes et explicites. Compte tenu de la sensibilité particulière de ces traitements, il importe de rappeler expressément qu'ils ne peuvent être autorisés que s'ils respectent le principe de proportionnalité prévu par l'article 6. C'est l'objet du sous-amendement n°44.
S'agissant des expérimentations, nous proposons de substituer à la simple déclaration, qui serait un recul, un arrêté pris après avis de la Cnil. Enfin, le bureau de la Cnil peut toujours intervenir en urgence, comme cela s'est produit lors du sommet de l'Otan, où il a fallu statuer en 24 heures.
M. Christian Cointat, rapporteur. - J'ai procédé à de nombreuses auditions autour de cet article 4, dont il est ressorti que le sujet était extrêmement sensible et complexe ; que s'il fallait éviter de mettre en difficulté l'exercice des missions régaliennes de l'État, il fallait aussi mieux encadrer cet exercice ; et que le texte de la proposition de loi interférait avec l'article 34 de la Constitution, qui définit le domaine de la loi. Il est finalement apparu à la commission qu'il était préférable d'en rester au « paquet Warsmann », c'est-à-dire aux dispositions adoptées après un long débat par l'Assemblée nationale et acceptées par le Gouvernement -qui les a reprises dans son amendement n°31.
Les amendements nos1 et 14 ne sont pas conformes à la Constitution pour les raisons que j'ai dites à propos de la proposition de loi initiale. Les sous-amendements nos44 et 45 sont tout à fait dans l'esprit du texte de la commission : avis favorable.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Avis défavorable aux amendements nos1 et 14. Je remercie la commission de se rallier à l'amendement du Gouvernement.
Pour ce dernier, l'article 6 s'applique à tous les traitements de données, et donc à ceux de l'article 26. Mieux vaut éviter toute confusion et repousser l'amendement n°20 rectifié et le sous-amendement n°44. L'encadrement des expérimentations proposé par l'amendement n°19 et le sous-amendement n°45 suppose une instruction préalable de la Cnil, ce qui les rendrait moins faciles et moins rapides à mettre en oeuvre. Les différents rapports et propositions de loi qui traitent de ce sujet n'ont pas envisagé une procédure de cette sorte. Il est clair, en revanche, que la Cnil sera pleinement associée aux expérimentations.
L'amendement n°1 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°14.
Le sous-amendement n°44 est adopté.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Nous pourchassons toujours les « notamment » ; le sous-amendement n°45 en compte un qu'il faudrait faire disparaître. (M. Alex Türk donne son accord)
Le sous-amendement n°45 rectifié est adopté.
L'amendement n°31, sous-amendé, est adopté.
Les amendements nos20 rectifié et 19 deviennent sans objet.
L'article 4, modifié, est adopté.
Articles additionnels
M. le président. - Amendement n°2, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.
Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, il est inséré un article 26-1 ainsi rédigé :
« Art. 26-1.- La loi autorisant un traitement ou une catégorie de traitements de données mentionnés à l'article 26, contient, pour chaque traitement ou catégorie de traitement créé :
« - les services responsables ;
« - leurs finalités ;
« - la durée de conservation des informations traitées ;
« - les modalités de destruction des informations traitées ;
« - les modalités de traçabilité des consultations du traitement ;
« - la procédure offerte aux personnes souhaitant procéder à une vérification de l'exactitude des informations recueillies ou à leur effacement. »
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Au-delà des mentions classiques, la loi doit traiter des modalités de gestion, de traitement et de destruction des données ; des modalités de traçabilité des consultations -la campagne des régionales dans le Val-d'Oise a donné lieu à des dérives regrettables ; et des conditions dans lesquelles les citoyens peuvent s'assurer de l'exactitude des informations les concernant et demander leur modification ou leur effacement. La Cnil fait un excellent travail, mais des progrès restent à accomplir.
M. Christian Cointat, rapporteur. - J'ai dit à l'occasion d'amendements précédents pourquoi une telle rédaction était inconstitutionnelle.
L'amendement n°2, repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°3, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.
Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. ... - Lorsqu'une loi autorise un traitement de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'État conformément au II de l'article 26, son décret d'application est pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. L'avis est publié avec le décret correspondant. »
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Cet amendement s'explique par son texte même. La rédaction de l'article 5 bis, qui traite de la question, est à nos yeux ambiguë.
L'amendement n°3, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Article 4 bis
La loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi modifiée :
1° Au IV de l'article 8, la référence : « II » est remplacée par les références : « deuxième alinéa du II » ;
2° Au III de l'article 27, la référence : « IV » est remplacée par la référence : « VI » ;
3° Au premier alinéa du I de l'article 31, la référence : « III » est remplacée par la référence : « IV » ;
4° Au IV de l'article 44, la référence : « III » est remplacée par la référence : « IV » ;
5° Au premier alinéa de l'article 49, les références : « au I ou au II » sont remplacées par les références : « aux I, II ou III ».
M. le président. - Amendement n°41 rectifié, présenté par le Gouvernement.
A. - Alinéa 2
Remplacer les mots :
deuxième alinéa du II
par les mots :
deuxième alinéa du III
B. - Alinéa 3
Remplacer la référence :
VI
par la référence :
VII
C. - Alinéa 4
Remplacer la référence :
IV
par la référence :
V
D. - Alinéa 5
Remplacer les mots :
la référence : « IV »
par les mots :
la référence : « V »
E. - Alinéa 6
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
5° Aux 1°, 2° et 3° du II de l'article 45, les références : « au I et au II » sont remplacées par les références : « aux I, II et III » ;
6° Au premier alinéa de l'article 49, les références : « au I ou au II » sont remplacées par les références : « aux I, II ou III » ;
7° Au huitième alinéa de l'article 69, les références : « au I ou au II » sont remplacées par les références : « aux I, II ou III ».
L'amendement rédactionnel n°41 rectifié, accepté par la commission, est adopté.
L'article 4 bis, modifié, est adopté.
Article 4 ter
Le I de l'article 13 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La commission élit en son sein trois de ses membres, dont deux parmi les membres mentionnés au 3°, au 4° ou au 5°. Ils composent une formation spécialisée de la commission chargée d'instruire les demandes d'avis formulées conformément aux I, II et VI de l'article 26. Cette formation est également chargée du suivi de la mise en oeuvre expérimentale de traitements de données prévue au V de l'article 26. Elle organise, en accord avec les responsables de traitements, les modalités d'exercice du droit d'accès indirect, défini aux articles 41 et 42. »
M. le président. - Amendement n°42, présenté par le Gouvernement.
I. - Alinéa 2, deuxième phrase
Remplacer les références :
I, II et VI
par les références :
I, II, III et VII
II. - Alinéa 2, troisième phrase
Remplacer la référence :
V
par la référence :
VI
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Coordination.
M. le président. - Amendement n°4, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.
Alinéa 2, troisième phrase
Supprimer cette phrase.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Nous sommes opposés à la mise en oeuvre expérimentale de traitements de données, qui peut donner lieu à des abus, même si elle est soumise au contrôle de la Cnil.
L'amendement n°42, accepté par la commission, est adopté.
L'amendement n°4 tombe.
L'article 4 ter, modifié, est adopté.
Article 4 quater
Après le troisième alinéa de l'article 16 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« - au V de l'article 26 ; ».
M. le président. - Amendement n°5, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.
Supprimer cet article.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - L'argument est le même.
L'amendement n° 5, rejeté par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°43, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 2
Remplacer la référence :
V
par la référence :
VI
L'amendement de coordination n°43, accepté par la commission, est adopté.
L'article 4 quater, modifié, est adopté.
Article 4 quinquies
L'article 29 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les actes autorisant la création des traitements de l'article 26 comportent en outre la durée de conservation des données enregistrées et les modalités de traçabilité des consultations du traitement. »
M. le président. - Amendement n°13, présenté par M. C. Gautier et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Alinéa 2
Après les mots :
données enregistrées
insérer les mots :
, les interconnexions autorisées avec d'autres traitements de données
M. Charles Gautier. - Cet article rend obligatoire l'inscription dans les actes créant des fichiers de police de la durée de conservation des données et des modalités de traçabilité des consultations : une récente affaire lors de la campagne régionale en a montré la nécessité, et la Cnil pourrait faire des propositions pour améliorer cette traçabilité. Mais alors que les fichiers de données personnelles sont de plus en plus centralisés, il nous paraît indispensable que les actes mentionnent aussi les interconnexions autorisées avec d'autres traitements de données.
M. Christian Cointat, rapporteur. - Favorable.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Cet amendement tend à renforcer la protection des droits des citoyens et va dans le bon sens. Mais il créerait pour l'État une obligation très contraignante, puisqu'il obligerait à modifier de manière répétée les actes réglementaires autorisant la création de fichiers. Sagesse.
L'amendement n°13 est adopté.
L'article 4 quinquies, modifié, est adopté, ainsi que l'article 4 sexies.
Article 4 septies
Le III de l'article 21 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Après la deuxième phrase, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Le procureur de la République se prononce sur les suites qu'il convient de donner aux demandes d'effacement ou de rectification dans un délai d'un mois. » ;
2° Après la troisième phrase, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Lorsque le procureur de la République prescrit le maintien des données à caractère personnel d'une personne ayant bénéficié d'une décision d'acquittement ou de relaxe devenue définitive, il en avise la personne concernée. » ;
3° Sont ajoutés une phrase et un alinéa ainsi rédigés :
« Les autres décisions de classement sans suite font l'objet d'une mention.
« Les décisions d'effacement ou de rectification des informations nominatives prises par le procureur de la République sont transmises aux responsables de tous les traitements automatisés pour lesquels ces décisions ont des conséquences sur la durée de conservation des données à caractère personnel. »
M. le président. - Amendement n°32, présenté par le Gouvernement.
Supprimer cet article.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - L'article 4 septies vise à imposer de nouvelles obligations aux procureurs de la République en ce qui concerne la mise à jour des fichiers d'antécédents judiciaires Stic et Judex. Mais les délais sont déjà assez stricts et respectés par les parquets. Les raccourcir pourrait poser problème, notamment dans le cas des personnes impliquées dans de nombreuses procédures, parfois vieilles de dix ou vingt ans, dans les ressorts de juridictions différentes. J'en appelle au principe de réalité !
D'ailleurs, les services gestionnaires de traitements sont seuls responsables de la mise à jour des fichiers d'antécédents judiciaires, et ne sont pas obligés de suivre les prescriptions du parquet. Dès lors, l'obligation éventuelle d'informer les requérants en cas de maintien d'une mention au fichier doit leur incomber.
En outre, l'obligation de mettre à jour les fichiers, quel que soit le motif de classement sans suite, paraît peu opportune, compte tenu de la diversité des motifs des décisions d'orientation des procédures judiciaires.
Enfin, les différents fichiers de police judiciaire ne poursuivent pas les mêmes objectifs et n'obéissent pas aux mêmes règles de mise à jour. L'effacement des données de tous les fichiers pourrait empêcher la lutte contre l'insécurité et la récidive criminelle.
La mise à jour simultanée des fichiers de police judiciaire ne relève pas tant de la loi que des bonnes pratiques recommandées aux parquets, dans le respect de leurs prérogatives et des règles et finalités propres à chaque fichier.
Cet amendement me paraît donc nécessaire et ne remet pas en cause la qualité du travail de la commission.
M. Christian Cointat, rapporteur. - J'ai écouté M. le ministre avec attention, mais je souhaite faire deux remarques. Tout d'abord, il faut adapter notre droit à l'évolution fulgurante des technologies de l'information. L'application Cassiopée permettra de gagner du temps : cela justifie de raccourcir les délais. Il n'y a pas péril en la demeure.
En outre, sur ce sujet si sensible, nous avons voulu nous aligner sur l'Assemblée nationale. Cet article est la copie conforme d'un texte du « paquet Warsmann », adopté par les députés sans que le Gouvernement ait trouvé à y redire. Je me vois donc contraint d'émettre un avis défavorable.
M. Alex Türk. - La Cnil a remis un rapport à ce sujet il y a un an, sans que rien n'ait été fait depuis. Son rapport annuel, qui sera publié dans quelques semaines, mentionnera de nouveaux exemples de personnes qui ont perdu leur travail ou se sont vu refuser un emploi parce que leur nom figurait de manière injustifiée dans le Stic. Cette situation concerne des milliers de personnes.Nous avons mené des études dans la moitié des ressorts : il ne s'agit pas d'un sondage !
Je rejoins l'argumentation du rapporteur : il est temps de mettre fin à ces abus. Il est anormal qu'à l'heure de la société de l'information, des mentions figurent dans des fichiers par erreur ou à cause d'un retard, alors que nous avons les moyens de l'empêcher. Cela fait presque dix ans que j'entends parler de Cassiopée : finissons-en ! En tant que président de la Cnil, je me sens très mal à l'aise face à ceux de nos concitoyens qui ont perdu leur emploi à cause d'une homonymie ou d'un retard de mise à jour. Il faut régler ce problème au plus vite : c'est une exigence démocratique, d'autant plus impérieuse dans un pays qui dispose des moyens informatiques pour le faire.
L'amendement n°32 n'est pas adopté.
L'article 4 septies est adopté.
Article 4 octies
Après le second alinéa de l'article 395 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Si le procureur de la République envisage de faire mention d'éléments concernant le prévenu et figurant dans un traitement automatisé d'informations nominatives prévu par l'article 21 de la loi n°2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, ces informations doivent figurer dans le dossier mentionné à l'article 393 du présent code. »
M. le président. - Amendement n°33, présenté par le Gouvernement.
Supprimer cet article.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Les décrets autorisant respectivement les fichiers Stic et Judex disposent que « seules celles des informations enregistrées dans le traitement automatisé (...) qui sont relatives à la procédure en cours peuvent être jointes au dossier de la procédure » : il en résulte, comme le précise une circulaire du ministère de la justice de décembre 2006, qu'il n'est pas possible d'utiliser ces fichiers pour obtenir des éléments de personnalité, sauf demande expresse des magistrats. Il en ressort également que les éléments exploités en procédure sont joints au dossier. En tout état de cause, le principe du contradictoire s'impose dans la procédure pénale : les charges retenues par le parquet peuvent être contestées par la défense, puis écartées par les magistrats du siège qui sont libres de les apprécier souverainement. L'article 4 octies me paraît donc superfétatoire.
M. Christian Cointat, rapporteur. - Cet article fait lui aussi partie du « paquet Warsmann » voté par l'Assemblée nationale. Je ne vois pas de raison de nous y opposer.
L'amendement n°33 n'est pas adopté.
L'article 4 octies est adopté, ainsi que l'article 5.
Article 5 bis
Le II de l'article 31 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est complété par une phrase ainsi rédigée :
« A l'exception des cas prévus aux articles 26 et 27, lorsqu'une loi prévoit qu'un décret, ou un arrêté, est pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, cet avis est publié avec le décret ou l'arrêté correspondant. »
M. le président. - Amendement n°34, présenté par le Gouvernement.
Supprimer cet article.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Le texte de la commission généralise la publication de l'avis de la Cnil lorsqu'une loi prévoit qu'un décret ou un arrêté est pris après recueil de cet avis.
Il convient d'en rester au dispositif actuel. Les avis de la Cnil ne doivent ni créer une doctrine ni devenir un instrument de communication externe.
En tout état de cause, la publication systématique est inadaptée : il est préférable que le législateur se pose la question au cas par cas.
M. Christian Cointat, rapporteur. - La commission des lois tient à la notion d'information. Dès lors que la Cnil rend un avis, celui-ci doit être connu. Avis défavorable.
M. Alex Türk. - Je partage la position du rapporteur. Dans le cas du décret créant Cassiopée ou celui du fichier national d'expertises psychiatriques, l'avis de la Cnil n'avait pas été publié, ce qui l'a mise en porte-à-faux et a alimenté les supputations. Mieux vaut que son avis soit connu.
L'amendement n°34 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°9, présenté par M. Türk.
Alinéa 2
Remplacer les mots :
À l'exception des
par les mots :
Outre les
L'amendement rédactionnel, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.
L'article 5 bis, modifié, est adopté.
Article 6
I. - Les I et II de l'article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée sont remplacés par quatre paragraphes ainsi rédigés :
« I. - Dès la collecte de données à caractère personnel, le responsable du traitement ou son représentant :
« - Informe, sous une forme spécifique et de manière claire et accessible, la personne concernée, sauf si elle en a déjà été informée au préalable :
« 1° De l'identité et de l'adresse du responsable du traitement et, le cas échéant, de celle de son représentant ;
« 2° De la finalité poursuivie par le traitement auquel les données sont destinées ;
« 3° Des critères déterminant la durée de conservation des données à caractère personnel ;
« 4° Du caractère obligatoire ou facultatif des réponses ;
« 5° Des conséquences éventuelles d'un défaut de réponse ;
« 6° Des destinataires ou catégories de destinataires des données ;
« 7° Des coordonnées du service auprès duquel les droits d'accès, de rectification et de suppression peuvent s'exercer ;
« 8° (nouveau) Le cas échéant, des modalités d'exercice de ces droits par voie électronique après identification ;
« 9° (nouveau) Le cas échéant, des transferts de données à caractère personnel envisagés à destination d'un État non membre de l'Union européenne ;
« - Met en mesure la personne concernée d'exercer son droit d'opposition, tel que visé au premier alinéa de l'article 38 ;
« - S'assure du consentement de la personne concernée, sauf dans les cas visés à l'article 7.
« I bis. - Si le responsable du traitement dispose d'un service de communication au public en ligne, il l'utilise pour porter à la connaissance du public, dans une rubrique spécifique et permanente ainsi que de manière claire et accessible, toutes les informations visées aux 1° à 9° du I.
« II. - Le responsable du traitement ou son représentant informe, dans une rubrique spécifique et permanente ainsi que de manière claire et accessible, tout utilisateur d'un réseau de communication électronique :
« - De la finalité des actions tendant à accéder, par voie de transmission électronique, à des informations stockées dans son équipement terminal de connexion, ou à inscrire, par la même voie, des informations dans son équipement ;
« - De la nature des informations stockées ;
« - Des personnes ou catégories de personnes habilitées à avoir accès à ces informations ;
« - Des moyens dont l'utilisateur dispose pour exprimer ou refuser son consentement.
« Les dispositions du présent II ne sont pas applicables si l'accès aux informations stockées dans l'équipement terminal de l'utilisateur ou l'inscription d'informations dans l'équipement terminal de l'utilisateur :
« - Soit a pour finalité exclusive de permettre la communication par voie électronique ;
« - Soit est strictement nécessaire à la fourniture d'un service de communication au public en ligne à la demande expresse de l'utilisateur. »
II. - (Non modifié) Le premier alinéa du III du même article est ainsi rédigé :
« Lorsque les données à caractère personnel n'ont pas été recueillies auprès de la personne concernée, le responsable du traitement ou son représentant fournit à cette dernière les informations énumérées au I dès l'enregistrement des données ou, si une communication des données à des tiers est envisagée, avant la première communication des données. »
M. le président. - Amendement n°35 rectifié, présenté par le Gouvernement.
I. - Alinéa 1
Rédiger ainsi cet alinéa :
Les I et I bis de l'article 32 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 précitée sont ainsi rédigés :
II. - Alinéas 16 à 23
Supprimer ces alinéas.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - La portée de la directive mérite une réflexion approfondie avec l'ensemble des partenaires, notamment sur l'opportunité de passer du principe de l'opposition à une logique de consentement express, compte tenu des implications économiques.
La transposition de la directive, dont la date limite est fixée au 25 mai 2011, est en cours de préparation. Une prise en compte globale et cohérente des problématiques est préférable à une transposition morcelée.
M. le président. - Amendement n°26, présenté par MM. Türk et Amoudry.
Alinéa 20
Rédiger ainsi cet alinéa :
« - Des moyens mis en oeuvre par le responsable du traitement pour recueillir le consentement de l'utilisateur préalablement à l'accès ou à l'inscription de ces informations.
M. Alex Türk. - Je suis plus préoccupé que ne l'est le rapporteur par la question du consentement. On observe aujourd'hui un glissement de l'opt-in vers l'opt-out, soit le droit d'opposition a posteriori, dans le but de fluidifier la navigation. Soyons prudents : nous risquerions de regretter une initiative hâtive. Des grands groupes américains sont en train de mettre en place des services qui vont pister nos concitoyens toute la journée, à leur insu ! La question n'est pas purement technique : c'est un enjeu de liberté. Le sujet n'est pas mûr, il faut poursuivre la réflexion.
M. Christian Cointat, rapporteur. - L'article 6, fondamental pour l'information et la protection des citoyens, est le deuxième coeur de la proposition de loi : elle en a besoin pour vivre !
Au motif qu'il faudrait une transposition globale de la directive, le Gouvernement propose de ne rien faire ! Nous pouvons aller vite en ce qui concerne la Cnil ; ce n'est pas morceler, mais découper ! C'est astucieux, cohérent, et pour une fois, nous ne serons pas le cancre de la classe européenne, mais le prix d'excellence !
Je suis d'accord avec M. Türk sur le plan théorique, mais sur le plan pratique, sa proposition est dangereuse : si les internautes sont constamment gênés par des fenêtres qui surgissent, ils iront se brancher à l'étranger ! Avec la complicité des coauteurs du texte, la commission a recherché un équilibre entre la garantie des droits et l'information de l'internaute -qui pourra à tout moment retirer son accord- et la convivialité d'internet. La navette sera l'occasion de poursuivre la réflexion. Nous sommes sur une ligne de crête : prudence !
Défavorable aux deux amendements.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Défavorable.
L'amendement n°35 rectifié n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°26.
Les amendements n°s28 et 27 sont retirés.
M. le président. - Amendement n°24, présenté par MM. Türk et Amoudry.
Alinéa 11
Rédiger ainsi cet alinéa :
8° S'il dispose d'un service de communication au public en ligne, des modalités d'exercice de ces droits par voie électronique ;
M. Alex Türk. - Amendement quasi rédactionnel.
M. Christian Cointat, rapporteur. - La commission avait modifié son texte initial dans un souci de qualité rédactionnelle. En droit, la précision des termes doit toutefois l'emporter sur la beauté de la langue : avis favorable.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Même avis.
L'amendement n°24 est adopté.
M. le président. - Amendement n°7, présenté par M. Hérisson.
Alinéa 25
Remplacer les mots :
avant la première
par les mots :
au plus tard lors de la première
M. Pierre Hérisson. - Amendement de cohérence avec l'alinéa 2. Il s'agit de revenir à la rédaction initiale de l'article 32-III de la loi du 6 janvier 1978.
Le texte actuel pénaliserait le marché du marketing direct, qui représentait 9,5 milliards en 2008, et 30 % des investissements publicitaires des entreprises. Pour La Poste, c'est 2 milliards de chiffre d'affaires, et 18 % du volume d'activité -en chute de 7 % en 2009. Informer le destinataire en amont de toute communication de données serait très lourd pour le responsable de traitement au regard du bénéfice pour le consommateur.
M. Christian Cointat, rapporteur. - Il n'y a pas lieu de prévoir deux vagues successives d'information, qui coûteraient trop cher aux opérateurs. Une seule opération suffit pour garantir l'information du citoyen. Avis favorable.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Le texte de la commission était plus favorable aux libertés individuelles... Mais je ne vais pas être plus royaliste que le roi. Sagesse.
L'amendement n°7 est adopté.
L'article 6, amendé, est adopté.
Article 7
L'article 34 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :
« Art. 34. - Le responsable du traitement met en oeuvre toutes mesures adéquates, au regard de la nature des données et des risques présentés par le traitement, pour assurer la sécurité des données et en particulier protéger les données à caractère personnel traitées contre toute violation entraînant accidentellement ou de manière illicite la destruction, la perte, l'altération, la divulgation, la diffusion, le stockage, le traitement ou l'accès non autorisés ou illicites.
« En cas de violation du traitement de données à caractère personnel, le responsable de traitement avertit sans délai le correspondant « informatique et libertés », ou, en l'absence de celui-ci, la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Le correspondant « informatique et libertés » prend immédiatement les mesures nécessaires pour permettre le rétablissement de la protection de l'intégrité et de la confidentialité des données et informe la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Si la violation a affecté les données à caractère personnel d'une ou de plusieurs personnes physiques, le responsable du traitement en informe également ces personnes. Le contenu, la forme et les modalités de cette information sont déterminés par décret en Conseil d'État pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Un inventaire des atteintes aux traitements de données à caractère personnel est tenu à jour par le correspondant « informatique et libertés ».
« Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas aux traitements de données à caractère personnel désignés à l'article 26.
« Des décrets, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, peuvent fixer les prescriptions techniques auxquelles doivent se conformer les traitements mentionnés aux 2° et 6° du II de l'article 8. »
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Nous voici encore confrontés à la transposition du paquet Télécoms.
Il faut s'interroger sur l'autorité administrative la plus appropriée pour contrôler les questions touchant aux failles de sécurité des systèmes. Est-il certain que la Cnil dispose des moyens techniques et des compétences professionnelles pour assumer un tel rôle ? D'autres autorités, comme l'Arcep, sont susceptibles d'être concernées. Cette question est en train d'être expertisée par le Gouvernement. C'est pourquoi nous plaidons pour une transposition globale.
Mais je connais la position de la commission, que je vais écouter avec tout le respect qu'elle mérite.
M. Christian Cointat, rapporteur. - Défavorable. Dans un monde parfait, cet article serait inutile, mais le fait est qu'il peut y avoir des failles de sécurité. Il est donc indispensable, pour le cas où. Le CIL est l'assurance pour le cas de pépin. Cet article 7 ne doit pas être lu seul : il est intimement lié à l'article 3.
M. Alex Türk. - La question des failles de sécurité devient lancinante. En Grande-Bretagne et en Allemagne, plus de 25 millions d'informations à caractère personnel ont été dispersés dans la nature. La Cnil n'a peut-être pas toujours été armée pour faire face ; désormais, elle l'est, et plus encore avec la myriade de CIL. L'Arcep pourrait avoir un rôle à jouer ? La Cnil est toute disposée à collaborer avec elle. Les autorités administratives ne sont pas trop nombreuses pour faire face à de telles difficultés.
L'amendement n°36 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°22, présenté par MM. Türk et Amoudry.
Alinéa 3, deuxième phrase :
Remplacer les mots :
Le correspondant « informatique et libertés »
par les mots :
Le responsable du traitement
M. Alex Türk. - Le CIL a un rôle important à jouer. S'il doit être informé des failles de sécurité survenant dans l'organisme par lequel il a été désigné, ce n'est pas à lui qu'il revient de prendre les mesures nécessaires au rétablissement de la sécurité des données. Cette tâche incombe au premier chef au responsable du traitement et doit rester de sa compétence.
M. Christian Cointat, rapporteur. - Cet amendement améliore le texte.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Effectivement.
L'amendement n°22 est adopté.
M. le président. - Amendement n°40, présenté par M. Cointat, au nom de la commission des lois.
I. - Alinéa 3, troisième phrase
Compléter cette phrase par les mots :
, sauf si ce traitement a été autorisé en application de l'article 26
II. - En conséquence, alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
M. Christian Cointat, rapporteur. - Cet amendement rédactionnel évite une formalité.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Favorable.
L'amendement n°40 est adopté.
L'article 7, amendé, est adopté.
Article additionnel
M. le président. - Amendement n°23, présenté par MM. Türk et Amoudry.
Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
A l'article 226-17 du code pénal, les mots : « à l'article » sont remplacés par les mots : « au premier alinéa de l'article ».
M. Alex Türk. - Je pose un problème de technique juridique.
Le code pénal punit le fait de mettre en oeuvre un fichier en méconnaissance des obligations de sécurité prévues à l'article 34 de la loi Informatique et libertés. On pourrait en venir, avec le texte de la commission, à ce que le responsable des traitements concernés doive s'accuser d'être auteurs de la commission d'un délit, ce qui n'est pas envisageable.
Si la commission des lois me rassure sur ce point, je retirerai cet amendement.
M. Christian Cointat, rapporteur. - Les auteurs de cet amendement font valoir que l'application de sanctions pénales au responsable de traitement qui est tenu d'avertir le CIL ou, à défaut, la CNIL, d'une faille de sécurité, reviendrait à obliger ce responsable à se dénoncer lui-même, ce qui serait contraire à un principe de notre droit pénal. Ces craintes ne sont pas fondées.
L'article 34 de la loi Informatique et libertés, qui impose au responsable du traitement l'obligation de mettre en oeuvre toutes mesures adéquates pour assurer la sécurité des données, définit une obligation de moyens, non de résultat. Il peut donc y avoir violation des données sans que la responsabilité du responsable de traitement soit engagée. Ce sera également le cas lorsque le responsable du traitement qui a pris les mesures nécessaires à la sécurisation des données n'est pas la même personne que celle qui est tenue de signaler une perte de données.
En revanche, l'amendement aboutirait à exclure du champ du droit pénal l'obligation faite au responsable de traitement d'avertir le CIL ou la Cnil en cas de violation des données, ainsi que celle faite au CIL de prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires au rétablissement de la protection des données, d'en informer la Cnil et, le cas échéant, les personnes physiques concernées, et de tenir un inventaire des atteintes aux traitements de données à caractère personnel. Il s'agit là d'obligations de résultat, et il ne paraît pas opportun de les exclure du champ du droit pénal.
Notre droit pénal reconnaît explicitement le principe de l'auto-dénonciation. Son article 132878 dispose ainsi que, dans les cas prévus par la loi, la durée de la peine privative de liberté encourue par une personne ayant commis un crime ou un délit est réduite si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, elle a permis de faire cesser l'infraction, d'éviter que l'infraction ne produise un dommage ou d'identifier les autres auteurs ou complices.
L'avis est donc défavorable.
L'amendement n°23 est retiré.
Article 8
I. - L'article 38 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :
« Art. 38. - Dès la collecte de données à caractère personnel, ou, en cas de collecte indirecte, avant toute communication de données à caractère personnel, toute personne physique est mise en mesure de s'opposer, sans frais, à ce que les données la concernant soient utilisées à des fins de prospection commerciale.
« Lorsque des données à caractère personnel ont été traitées, toute personne physique justifiant de son identité a le droit, pour des motifs légitimes, d'exiger, sans frais, leur suppression auprès du responsable du traitement.
« Ce droit ne peut être exercé lorsque :
« 1° le traitement répond à une obligation légale ;
« 2° le droit de suppression a été écarté par une disposition expresse de l'acte autorisant le traitement ;
« 3° les données sont nécessaires à la finalité du traitement ;
« 4° le traitement est nécessaire pour la sauvegarde, la constatation, l'exercice ou la défense d'un droit ;
« 5° le droit de suppression porte atteinte à une liberté publique garantie par la loi ;
« 6° les données constituent un fait historique. »
II. - Le début du premier alinéa du I de l'article 39 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :
« Toute personne physique justifiant de son identité a le droit d'interroger le responsable du traitement... (le reste sans changement) ».
III. - Le début du premier alinéa de l'article 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :
« Toute personne physique justifiant de son identité a le droit de demander au responsable du traitement que soient... (le reste sans changement) ».
M. le président. - Amendement n°37, présenté par le Gouvernement.
Supprimer cet article.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Paradoxalement et contrairement aux intentions affichées par la commission des lois, l'article 8 réduit substantiellement le champ du droit d'opposition préalable à la collecte des données, en le limitant aux seuls cas de prospection commerciale. Les cas dans lesquels le droit de suppression peut être neutralisé sont définis de manière trop large. C'est ainsi que ne pourraient plus être supprimées les données relatives à des clients potentiels figurant dans des fichiers de prospection commerciale, en dépit du souhait légitime des personnes concernées de ne plus y figurer. La notion de « données constituant un fait historique » pourrait priver les internautes ayant laissé, sur des sites de réseaux sociaux, des informations sur leur vie personnelle, de leur droit à l'oubli. Enfin, la référence au traitement « nécessaire pour la sauvegarde, la constatation, l'exercice ou la défense d'un droit » est rédigée de manière tellement large qu'elle risque, à elle seule, de rendre l'exercice du droit de suppression purement résiduel.
Cet amendement rejoint celui de M. Türk.
M. Christian Cointat, rapporteur. - Non, cet article ne réduit pas le champ du droit d'opposition, il précise des termes aujourd'hui très confus, tellement qu'ils inquiètent journalistes et archivistes.
Je suis sénateur UMP, issu du RPR. Imaginez que je souhaite effacer toutes traces de mon parcours au RPR.
M. Charles Gautier. - Cela ne va pas tarder ! (Rires)
M. Christian Cointat, rapporteur. - On ne pourra tout de même pas effacer des actes qui sont publics ! Et imaginez que quelqu'un soit en conflit avec un fournisseur qu'il refuse de payer ; va-t-on effacer toute trace de leurs relations ?
Faute de pouvoir définir clairement la notion de recours légitime, mieux valait rédiger le texte ainsi. Nous sommes donc défavorables à cet amendement.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Vous ne cédez sur rien !
L'amendement n°37 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°21, présenté par MM. Türk et Amoudry.
Alinéas 1 à 10
Supprimer ces alinéas.
M. Alex Türk. - Sur le fond, l'idée est intéressante puisqu'il s'agit de définir le droit d'opposition. On voit bien la logique à l'oeuvre : consentir au débat pour obtenir la suppression. Mais le ministre a raison quand il dit que cela revient à une réduction de la protection au champ de la prospection commerciale.
En outre, le consentement durant la collecte connaît également des exceptions lourdes, notamment à cause de la notion d'intérêt légitime.
Enfin, le droit d'opposition prévoit également diverses dérogations. Il faut donc revoir la rédaction.
M. Christian Cointat, rapporteur. - Quand un texte n'est pas juridiquement précis, la protection est illusoire : il y aura conflit et le juge devra trancher. C'est quand le texte est précis que la protection est renforcée. Si vous supprimez notre texte, les droits des internautes seront considérablement affaiblis.
D'autre part, qu'est-ce qu'un motif légitime ? Cette notion est très subjective. Voilà pourquoi nous avons voulu la définir en prévoyant que le droit ne pourra pas être exercé lorsque l'inscription répondra à une obligation légale. Ainsi en est-il lorsqu'on a signé un contrat.
Lors des élections à l'étranger, quelques femmes sont venues me trouver en protestant énergiquement parce qu'elles voulaient que l'on retire leur date de naissance des listes électorales. Je leur ai répondu que ce n'était pas possible car il fallait savoir si elles avaient plus de 18 ans. Certaines données ne peuvent donc être effacées.
En outre, la liberté des uns commence là où se termine celle des autres. Enfin, il ne faut pas permettre de réécrire l'histoire ! Je ne peux donc que donner un avis défavorable.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Trop de précisions peuvent se révéler contreproductives : il n'est pas possible de tout prévoir. Plus on crée de catégories, plus on risque d'oublier d'autres situations.
M. Alex Türk. - Je ne voudrais pas m'attirer les foudres du président de la commission dont je suis membre, mais l'adverbe « notamment » est ici indispensable. Dans le texte initial, il était écrit « à des fins de prospection, notamment commerciales ». Dans celui que nous examinons, le « notamment » a disparu. Désormais, seul le domaine commercial est visé. Je suggère la rectification de ce point particulier.
M. Christian Cointat, rapporteur. - Je vous propose de supprimer le mot « commerciale ». Ainsi, nous n'avons plus besoin du « notamment » et je ne me ferai pas assassiner par mon président de commission. (Sourires)
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Avis défavorable.
M. le président. - Il s'agit donc de l'amendement n°46 de la commission.
L'amendement n°21 est retiré.
L'amendement n°46 est adopté.
L'article 8, modifié, est adopté.
L'article 9 est adopté.
Article 9 bis
Les dispositions des I et II de l'article 44 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée sont remplacées par quatre alinéas ainsi rédigés :
« I. - Les membres de la Commission nationale de l'informatique et des libertés ainsi que les agents de ses services habilités dans les conditions définies au dernier alinéa de l'article 19 ont accès, de 6 heures à 21 heures, pour l'exercice de leurs missions, aux lieux, locaux, enceintes, installations ou établissements servant à la mise en oeuvre d'un traitement de données à caractère personnel et qui sont à usage professionnel, à l'exclusion des parties de ceux-ci affectés au domicile privé.
« II - Lorsque l'urgence, la gravité des faits justifiant le contrôle ou le risque de destruction ou de dissimulation de documents l'exigent, la visite est préalablement autorisée par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les locaux à visiter. Dans les autres cas, le responsable des lieux peut s'opposer à la visite, qui ne peut alors se dérouler qu'avec l'autorisation du juge des libertés et de la détention. Celui-ci statue dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État.
« La visite s'effectue sous l'autorité et le contrôle du juge qui l'a autorisée, en présence de l'occupant des lieux ou de son représentant, qui peut se faire assister d'un conseil de son choix ou, à défaut, en présence de deux témoins qui ne sont pas placés sous l'autorité des personnes chargées de procéder au contrôle. Le juge peut, s'il l'estime utile, se rendre dans les locaux pendant l'intervention. A tout moment, il peut décider la suspension ou l'arrêt de la visite.
« L'ordonnance ayant autorisé la visite est exécutoire au seul vu de la minute. Elle mentionne que le juge ayant autorisé la visite peut être saisi à tout moment d'une demande de suspension ou d'arrêt de cette visite et précise qu'une telle demande n'est pas suspensive. Elle indique le délai et la voie de recours. Elle peut faire l'objet, suivant les règles prévues par le code de procédure civile, d'un appel devant le premier président de la cour d'appel. »
M. le président. - Amendement n°12 rectifié, présenté par M. Détraigne et Mme Escoffier.
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
II. - Le responsable des lieux est informé de son droit d'opposition à la visite. Lorsqu'il exerce ce droit, la visite ne peut se dérouler qu'après l'autorisation du juge des libertés et de la détention. Celui-ci statue dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Toutefois, par dérogation aux dispositions de l'alinéa précédent, lorsque l'urgence, la gravité des faits justifiant le contrôle ou le risque de destruction ou de dissimulation de documents l'exigent, la visite est préalablement autorisée par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les locaux à visiter.
M. Yves Détraigne, coauteur de la proposition de loi. - Le Conseil d'État a récemment considéré, en vertu de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme relatif à l'inviolabilité du domicile, que les responsables des locaux dans lesquels se déroule un contrôle de la Cnil doivent être « informés de leur droit à s'opposer à ces visites ».
L'article 9 bis tire les conséquences de cet arrêt en donnant à la Cnil la possibilité de demander au juge des libertés et de la détention l'autorisation préalable d'effectuer une visite inopinée « lorsque l'urgence, la gravité des faits justifiant le contrôle ou le risque de destruction ou de dissimulation de documents l'exigent ».
M. le président. - Amendement n°16, présenté par Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Alinéa 3, deuxième phrase
Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :
Dans les autres cas, le responsable des lieux peut, après avoir été préalablement informé de cette possibilité, s'opposer à la visite. Elle ne peut alors se dérouler qu'avec l'autorisation du juge des libertés et de la détention.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - La loi informatique et libertés est une belle loi, mais elle doit être adaptée pour mieux respecter l'équité de la procédure suivie en matière de visite domiciliaire.
Dans sa décision du 6 novembre 2009, le Conseil d'État a fixé un certain nombre de règles en matière de droit de visite : soit la visite est préalablement autorisée par le juge et, dans ce cas-là, la Cnil est dispensée du consentement du responsable des lieux, soit la visite a lieu après un refus de la personne car l'autorité judiciaire l'a autorisée a posteriori.
La commission des lois prévoit que le juge pourra autoriser a priori une visite sans pour autant supprimer la procédure déjà existante qui consiste à demander une telle autorisation après un refus du responsable des lieux. Or, la Cnil n'est pas obligée d'avertir le responsable des lieux de la possibilité de s'opposer à une visite. La commission a donc conservé la procédure d'autorisation du juge a posteriori sans toutefois prévoir que le responsable des lieux pourra s'opposer à la visite. La procédure est, en pratique, vidée de son utilité en raison de l'absence d'information sur le droit d'opposition alors que ce droit devrait nécessairement être notifié, pour respecter l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Le responsable des lieux doit être informé qu'il peut s'opposer à une visite. Il est en effet incohérent que le droit d'opposition à une visite, inscrit dans la loi, ne soit en pratique pas exercé en raison d'une absence de notification de ce droit.
Je me félicite que notre amendement ait été repris par M. Détraigne.
M. Christian Cointat, rapporteur. - Ces deux amendements améliorent le texte. Je préfère néanmoins celui de M. Détraigne qui respecte mieux l'ordre d'information et de décision.
L'amendement n°12 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'amendement n°16 devient sans objet.
L'article 9 bis, modifié, est adopté.
L'article 10 demeure supprimé.
L'article 11 est adopté, ainsi que l'article 12.
Article 13
I. - Le chapitre VIII de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :
« Chapitre VIII
« Dispositions relatives aux actions juridictionnelles
« Section 1
« Dispositions pénales
« Art. 50. - Les infractions aux dispositions de la présente loi sont réprimées par les articles 226-16 à 226-24 du code pénal.
« Art. 51. - Est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende le fait d'entraver l'action de la Commission nationale de l'informatique et des libertés :
« 1° Soit en s'opposant à l'exercice des missions confiées à ses membres ou aux agents habilités en application du dernier alinéa de l'article 19 ;
« 2° Soit en refusant de communiquer à ses membres ou aux agents habilités en application du dernier alinéa de l'article 19 les renseignements et documents utiles à leur mission, ou en dissimulant lesdits documents ou renseignements, ou en les faisant disparaître ;
« 3° Soit en communiquant des informations qui ne sont pas conformes au contenu des enregistrements tel qu'il était au moment où la demande a été formulée ou qui ne présentent pas ce contenu sous une forme directement accessible.
« Art. 52. - I. - La Commission nationale de l'informatique et des libertés informe sans délai le procureur de la République, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale, des infractions dont elle a connaissance.
« II. - Le procureur de la République avise le président de la Commission de toutes les poursuites relatives aux infractions visées aux articles 226-16 à 226-24 du code pénal et, le cas échéant, des suites qui leur sont données. Il l'informe de la date et de l'objet de l'audience de jugement par lettre recommandée adressée au moins dix jours avant cette date.
« Section 2
« Dispositions civiles
« Art. 52-1. - Dans les litiges civils nés de l'application de la présente loi, toute personne peut saisir à son choix, outre l'une des juridictions territorialement compétentes en vertu du code de procédure civile, la juridiction du lieu où il demeurait au moment de la conclusion du contrat ou de la survenance du fait dommageable.
« Section 3
« Observations de la Commission nationale de l'informatique et des libertés devant les juridictions civiles, pénales ou administratives
« Art. 52-2. - Les juridictions civiles, pénales ou administratives peuvent, d'office ou à la demande des parties, inviter la Commission nationale de l'informatique et des libertés à déposer des observations écrites ou à les développer oralement à l'audience.
« La Commission peut elle-même déposer des observations écrites devant ces juridictions ou demander à être entendue par elles ; dans ce cas, cette audition est de droit. »
II. - (Non modifié) Le 2° de l'article 11 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi modifié :
1° Au d), les mots : « et, le cas échéant, des juridictions, » sont supprimés ;
2° Le e) est ainsi rédigé :
« e) Elle saisit le procureur de la République et dépose des observations devant les juridictions dans les conditions prévues respectivement aux articles 52 et 52-2. »
M. le président. - Amendement n°38, présenté par le Gouvernement.
Supprimer cet article.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. - Le Gouvernement partage le souci exprimé par les auteurs de la proposition de loi que les juges français puissent être saisis et appliquer la loi informatique et libertés lorsqu'un litige oppose une personne résidant en France à un opérateur basé à l'étranger. Pour autant, la disposition proposée n'est pas utile car elle n'aura pas d'incidence sur les litiges internationaux.
Soit le défenseur est domicilié dans l'Union, et le règlement dit « Bruxelles I » permettra de traiter le litige.
Dans l'hypothèse où le défendeur n'est pas domicilié dans l'Union, le demandeur peut, en vertu des articles 42 et 46 du code de procédure civile, saisir les tribunaux français si le préjudice ou la prestation de service a été fourni en France. En outre, l'article 14 du code civil dispose que tout Français peut attraire devant les tribunaux français un défendeur étranger. La proposition de loi n'apporte donc rien par rapport au droit positif.
S'agissant des observations de la Cnil devant les juridictions, la section 3 tend à conférer à la Cnil le pouvoir de présenter des observations devant toutes les juridictions administratives, pénales et civiles, sur le modèle de la Halde.
La transposition n'apparaît pas pertinente. De fait, chaque autorité administrative indépendante est dotée d'un statut correspondant à sa mission spécifique : la Halde intervient volontairement devant les juridictions pénales afin d'apporter des preuves supplémentaires à l'appui de la demande d'une victime de discrimination ; la Cnil, experte dans un domaine technique, est invitée par une juridiction à présenter des observations. Pour la bonne marche de la justice, les juridictions doivent garder la maîtrise de l'organisation du débat contradictoire. En ce sens, la faculté pour un tiers au procès d'intervenir en faisant valoir ses observations doit rester tout à fait exceptionnelle. A défaut, se dessine le risque d'une instrumentalisation des procès. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement vous propose, une fois de plus, un amendement de suppression.
M. Christian Cointat, rapporteur. - Monsieur le ministre, vos arguments ne sont pas dénués de pertinence, mais pourquoi rejeter purement cet article quand nous avons dit et répété à la Chancellerie que nous étions ouverts à toute proposition d'amélioration ? D'autant que nous sommes allés dans votre sens : nous avons supprimé tout ce qui dans le texte initial pouvait laisser croire que la Cnil était une juridiction !
Les dispositions de l'article 13 de ce texte ne visent pas le droit international privé, elles tendent à faciliter l'accès au juge civil pour les individus s'estimant lésés par un manquement à la loi « Informatique et libertés ». D'où la nécessité de les faire figurer dans ladite loi, et non dans un texte réglementaire. En outre, l'audition de droit de la Cnil permettra aux juridictions de disposer d'un avis technique dans une matière souvent complexe -nous l'avons constaté ce soir-, peu familière aux magistrats. Enfin, ces dispositions s'inspirent de celles retenues pour la Halde, soit. Mais il ne s'agit là que d'un cadre de réflexion que nous étions prêts à aménager, et qui pourra d'ailleurs l'être dans le cadre de la navette. Je suis déçu que vous n'ayez fait aucune proposition. J'en suis donc désolé, mais l'avis est défavorable.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Depuis le début, c'est non, non, non ! Tout se passe comme si le législateur était un enfant incapable d'élaborer des règles et qu'il fallait s'en remettre à ceux qui étudient le problème dans des ateliers ou autres lieux gouvernementaux...
M. François Marc. - A l'Élysée !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Pour preuve, on demande la plupart du temps au Parlement des ordonnances habilitant le Gouvernement à transposer des directives, estimant que les parlementaires en sont incapables. Je pourrais, néanmoins, citer quelques exemples où l'intervention du législateur a permis à la France d'échapper à une condamnation ; je pense, entre autres, au texte sur la société européenne, fruit de la collaboration de la commission des lois et de la Chancellerie. Plutôt que de demander la suppression de l'article, vous auriez pu relever l'ambiguïté de la rédaction de l'article 52-1, proposée à l'alinéa 15. De fait, le code de la consommation prévoit des dispositions de procédure civile qui sont législatives alors que le code de procédure civile est normalement intégralement réglementaire. De même, vous auriez pu être réservé, comme moi, devant la tendance consistant à accorder un droit d'ingérence, si j'ose dire, à la Cnil après en avoir doté la Halde à l'alinéa 19. Mais vous avez préférer tout jeter aux orties ! (M. Christian Cointat, rapporteur, acquiesce) C'est que certains accordent une importance relative à l'initiative parlementaire... (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame) Bref, nous ne sommes peut-être pas encore un « hyper-Parlement », mais le Sénat contribue, ce soir, à son avènement ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Alex Türk. - Ce sont les juridictions qui font appel à la Cnil...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Je visais le cas où les juridictions ne le demandent pas, soit l'alinéa 19 !
M. Alex Türk. - ...en recourant au statut de témoin ou à d'autres statuts. Si nous ne réglons pas cette difficulté, une des parties pourra continuer de s'opposer à l'intervention de la Cnil. Enfin, je n'ai aucun tropisme pour la Halde, je comprends parfaitement que celles-ci disposent de pouvoirs et statuts différents.
L'amendement n°38 n'est pas adopté.
L'article 13 est adopté.
L'article 13 bis est adopté, de même que l'article 14.
Interventions sur l'ensemble
M. Yves Détraigne, coauteur de la proposition de loi. - Sans vouloir rallonger nos débats, permettez-moi de dire combien Mme Escoffier et moi-même sommes satisfaits de l'équilibre, trouvé grâce au rapporteur, pour adapter la législation fondatrice de 1978 à la croissance exponentielle du numérique. Puisse ce texte, dont nous sommes à l'origine, être encore amélioré au cours de la navette pour enrichir notre droit positif !
M. Antoine Lefèvre. - Ce texte relève un défi difficile : répondre à la l'exigence de protection de la vie privée tout en respectant la liberté des acteurs du numérique. Pour parvenir à un équilibre, notre rapporteur a privilégié, d'une part, la responsabilité et, donc, la sensibilisation des internautes et, d'autre part, le renforcement de la loi Informatique et libertés avec le renforcement des obligations d'information du responsable du traitement, la mise en place d'un véritable droit à l'oubli ou encore la volonté de favoriser le dialogue entre la Cnil et les services expérimentant des traitements. Pour autant, notre volonté de légiférer se heurte à une double difficulté : la réflexion doit être menée à l'échelle internationale en matière de compétence juridictionnelle et nous n'avons pas le recul nécessaire pour apprécier l'utilisation d'internet, notamment des réseaux sociaux. Malgré ces réserves, le groupe UMP votera ce texte qui constitue une avancée pour le citoyen éclairé à l'heure du numérique.
M. Charles Gautier. - Spontanément favorables à cette proposition de loi, nous considérions le travail de la commission en février dernier plutôt positif. Quelle n'a pas été notre surprise de découvrir, ce matin, l'attitude très fermée du Gouvernement et ses amendements de suppression ! Le rapporteur a été fidèle aux débats tenus en commission, je le reconnais. Mais notre enthousiasme est retombé : nous nous abstiendrons.
Nous nous abstiendrons donc, dans un esprit plutôt négatif, car nos inquiétudes ne sont pas dissipées. Nous resterons vigilants.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Et nous nous abstiendrons, dans un esprit franchement négatif motivé par les réticences du Gouvernement.
L'ensemble de la proposition de loi est adopté.
Rappels au Règlement
M. Pierre Fauchon. - Je regrette très vivement que nous abordions ce débat à une heure si tardive que seuls les intervenants sont encore présents. Nous pourrions aussi bien déposer nos interventions pour qu'elles figurent au compte rendu. On gagnerait une heure...
A cette heure nocturne, une discussion décisionnelle peut encore intéresser, mais un débat d'information perd son intérêt lorsqu'il n'y a pas lieu à une heure chrétienne.
L'organisation de notre travail est déplorable, alors que L'Europe vit des moments d'une extrême gravité : nous ne savons pas ce que deviendra la crise grecque, ni ce que feront les Allemands ou nos autres partenaires. (Applaudissements à droite, au centre et sur certains bancs socialistes)
M. Jacques Blanc. - Très bien !
M. Michel Billout. - Le prochain Conseil européen aura une grande importance, mais quelle est l'utilité de notre débat ? Nous avons souvent déploré qu'il ne soit pas contraignant pour le Gouvernement. Il y aurait pourtant de sérieuses raisons pour qu'il prenne en compte la Représentation nationale !
Après une crise financière mondiale sans précédent, il sera question à Bruxelles de croissance et d'emploi, mais on abordera aussi la Conférence de Copenhague et l'incapacité des pays européens à aider en urgence la Grèce.
Or, notre discussion se déroule à une heure tardive. De surcroît, son organisation réduit pour la première fois le temps d'expression laissé à trois groupes : l'UC, le RDSE et le nôtre, le CRC. Même si parfois les discussions se déroulaient en catimini, les groupes avaient le temps de s'exprimer ; aujourd'hui, avec deux minutes et demie, il n'st pas question d'échanger des arguments.
Je proteste contre la nouvelle organisation du débat.
Notre groupe a écrit au président de la commission des affaires européennes pour proposer qu'un débat interactif de fond laisse tous les groupes s'exprimer.
Je souhaite que le président du Sénat réexamine l'organisation de notre débat en vue du prochain Conseil européen. (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. - Je suis totalement d'accord avec ce qui vient d'être dit, car je mesure l'importance de la crise économique et l'urgence des mesures à discuter.
J'étais hier à Bruxelles, d'où je suis rentré fort tard, mais, en vieux parlementaire, je suis à la disposition de la Représentation nationale. Le Gouvernement n'est pour rien dans l'organisation du débat, a fortiori dans le choix de l'horaire. Je regrette que la discussion commence à minuit, car ce sujet aurait pu intéresser les parlementaires et nos concitoyens s'il avait été abordé à une heure normale.
Débat préalable au Conseil européen
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat préalable au Conseil européen des 25 et 26 mars 2010.
J'indique au Sénat que la Conférence des Présidents a décidé d'organiser ce débat sous la forme d'une série de dix questions et réponses réparties à la proportionnelle des groupes, avec réponse immédiate du Gouvernement. La discussion de chaque question est limitée à cinq minutes, réparties par moitié entre question et réponse. Puis le Gouvernement interviendra pendant quinze minutes.
La Conférence des Présidents a décidé d'attribuer quatre questions au groupe UMP, trois au groupe socialiste et une aux groupes UC, CRC-SPG et RDSE.
M. Richard Yung. - Je partage les observations faites sur l'organisation de nos travaux, mais je donne acte au Gouvernement qu'il n'y est pour rien. Une fois n'est pas coutume...
La stratégie de Lisbonne devait améliorer l'emploi « quantitativement et qualitativement ». Je parlerai donc non de finances, mais de travail.
L'objectif d'améliorer le taux d'emploi n'a pas été atteint, malgré une évolution positive. En effet, le taux global reste insuffisant et comporte d'importantes disparités selon les pays où la catégorie socioprofessionnelle. Le second objectif -créer des emplois de meilleure qualité- est également loin d'être atteint, puisque le redressement du taux d'emploi est imputable pour l'essentiel aux contrats à durée déterminée, à l'intérim et au travail à temps partiel, au détriment des femmes, des jeunes, des seniors et des migrants.
Ces résultats médiocres ont pour cause l'infléchissement libéral de la politique européenne, privilégiant l'assouplissement du marché du travail et la baisse des coûts salariaux. Conséquence : il y a de plus en plus de travailleurs pauvres. De la « flexisécurité », seule la flexibilité a été conservée.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Richard Yung. - Au vu de ce bilan critiquable, que compte faire la France pour améliorer la qualité de l'emploi, relancer les discussions sur le temps de travail et sur le détachement de travailleurs ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. - D'abord, je vous remercie pour avoir travaillé à la réforme du Quai d'Orsay, notamment à une meilleure protection de nos concitoyens à l'étranger.
La stratégie pour la croissance et l'emploi à l'horizon 2020 n'a pas fait l'économie d'une réflexion qualitative. Les peuples européens attendant des réponses claires, la commission a proposé le 3 mars un objectif précis : que 75 % des Européens âgés de 20 à 64 ans aient un emploi.
La Commission est allée plus loin, en soulignant l'importance d'adapter le cadre législatif à l'évolution des formules de travail, à la qualité de l'emploi et aux nouveaux risques pour la santé et la sécurité au travail.
La qualité de l'emploi fait partie intégrante des objectifs de la Stratégie européenne pour l'emploi, avec des critères de définition portant ,par exemple, sur la sécurité de l'emploi et des revenus, la formation et les qualifications, les conditions de travail, l'égalité hommes/femmes et la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, la non-discrimination...
La contribution française à la définition de la stratégie « Europe 2020 » a mis l'accent sur le caractère indissociable de l'objectif d'augmentation du taux d'emploi et de celui de qualité des emplois créés, afin notamment de lutter contre le phénomène des « travailleurs pauvres ». Il en va de la cohésion de nos sociétés.
M. Aymeri de Montesquiou. - Lancée en 2000, la stratégie de Lisbonne visait à faire de l'Union européenne « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici à 2010 ». Cette promesse n'a pas été tenue et ne l'aurait pas été sans la crise. La Commission a dévoilé son nouveau plan pour la décennie à venir. Il sera au centre des débats du Conseil des 25 et 26 mars. Sitôt sa présentation par José Manuel Barroso achevée, le manque d'envergure et l'aspect incantatoire d'Europe 2020 furent flagrants. Une forte impression de « déjà vu » s'en dégage en effet. Il y a déjà dix ans, l'investissement de 3 % du PIB dans la R&D était un objectif central de la stratégie de Lisbonne ! On en est loin ! Les dépenses dans ce domaine n'ont progressé que très légèrement, passant de 1,82 % en 2000 à 1,9 % en 2008. Aujourd'hui, l'Union s'essouffle loin derrière les États-Unis et le Japon qui y consacrent respectivement 2,7 et 3,4 % de leur PIB.
Il y a de quoi être non seulement sceptique mais très inquiet ! L'Europe possède pourtant de nombreux atouts -une main-d'oeuvre qualifiée, une base technologique et industrielle puissante, un marché intérieur et une monnaie unique qui ont permis de résister aux pires effets de la crise, une économie sociale et de marché qui a fait ses preuves-, mais elle ne pourra en tirer avantage et rester compétitive face à ses concurrents traditionnels et aux économies émergentes sans investir massivement dans la recherche et les technologies. Il faut cibler la politique de R&D et d'innovation sur des objectifs multiples que nous devons tous concrétiser. La pression budgétaire ne doit pas nous faire renoncer mais nous inciter à rationaliser notre action. Certains de nos partenaires européens l'ont bien compris : ainsi l'Allemagne dont la dépense de R&D atteint 2,5 % ou encore la Finlande et la Suède -3,5 %.
Au Conseil Ecofin du 16 mars, certains ministres des finances se soient montrés réticents à considérer les dépenses comme un critère de mesure de la R&D et de l'innovation. Le Conseil a d'ailleurs appelé à une réflexion urgente sur un indicateur plus large. Est-ce à dire que l'objectif de 3 % pourrait ne pas être retenu ? Ce serait une régression par rapport à la stratégie de Lisbonne ! Enfermée dans trop de contraintes, Europe 2020 ne sera-t-elle donc qu'une nouvelle pétition de principe ? Je vous remercie de nous rassurer...
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Vous n'avez pas tort de dénoncer les objectifs par trop incantatoires. L'objectif de 3 % fixé par la stratégie de Lisbonne n'a pas été respecté, la moyenne européenne n'est que de 2 %... Si nous perdions le combat de l'innovation, il y aurait de quoi être inquiets...
La nouvelle stratégie devra pouvoir s'appuyer sur des actions concrètes : je pense, par exemple, à l'adoption d'un agenda stratégique de recherche axé sur la sécurité énergétique, les transports, le changement climatique, ou encore sur la santé et le vieillissement. Je pense également à l'amélioration de la compétitivité des entreprises européennes. La création d'un brevet européen unique sera particulièrement attendue, alors que la présidence de l'Office européen des brevets vient d'être remportée par le candidat français Benoît Battistelli. Je pense, enfin, à la mise en cohérence de tous les instruments financiers de l'Union : les fonds structurels bien sûr, mais aussi les programmes de la BEI, qui a joué un rôle majeur pendant la crise financière pour continuer à alimenter en crédits les PME.
Les dépenses européennes de R&D seront, au même titre que la PAC, la politique de cohésion ou les ressources du budget européen, un des grands enjeux des prochaines perspectives financières.
Pour sa part, la France est mobilisée pour l'innovation -c'est l'objet principal du grand emprunt. Enfin, hier soir, le président Van Rompuy a annoncé son intention de réunir un Conseil dédié à l'innovation. J'espère que tout cela sera suivi d'effets.
M. Jean Bizet. - La nouvelle stratégie européenne pour l'emploi et la croissance, la « Stratégie UE 2020 », qui sera au centre du Conseil européen de cette semaine, se veut une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive. Qui pourrait critiquer un tel programme ?
Mais elle souffre d'un grave handicap : elle succède à la Stratégie de Lisbonne dont la seule évocation a aujourd'hui un effet de repoussoir et ne suscite que scepticisme. Faut-il rappeler qu'elle visait à faire de l'Union européenne en 2010 la zone la plus dynamique et la plus compétitive du monde ? On ne sait aujourd'hui s'il faut en rire ou en pleurer.
Il est clair en tout cas que l'Union européenne ne doit pas et ne peut pas se tromper une deuxième fois sur un sujet d'une telle importance. C'est pourquoi il est indispensable de dégager les raisons de l'échec de la Stratégie de Lisbonne et de vérifier qu'on y apporte des réponses satisfaisantes. Pour ma part, je vois deux raisons majeures de l'échec de cette Stratégie : l'absence d'une gouvernance suffisante et le manque d'une réelle appropriation par chacun des États membres. Pour la gouvernance, j'ai cru comprendre que le Conseil européen en serait désormais chargé et qu'il aurait des débats réguliers sur ce sujet afin d'assurer un suivi continu. Cela paraît une bonne réponse.
Venons-en à l'appropriation nationale : la Stratégie de Lisbonne définissait des objectifs généraux alors que la nouvelle stratégie repose aussi sur des objectifs nationaux définis par chaque État-membre en fonction des situations nationales. Cela devrait favoriser l'appropriation nationale. Mais, en même temps, cela pose une question : comment le Gouvernement entend-il fixer les objectifs quantitatifs pour la France ? A-t-il prévu de mener pour cela un débat avec l'Assemblée nationale et le Sénat ?
On ne saurait en effet envisager une véritable appropriation nationale si l'exécutif arrêtait seul ces objectifs sans véritable débat parlementaire. On peut d'ailleurs poser la même question pour les objectifs européens de la nouvelle stratégie. Mme Merkel a écrit aux présidents de la Commission, du Conseil et du Parlement européen pour dire qu'elle ne pourrait souscrire aux objectifs proposés sans débat préalable au sein du Parlement allemand. Et il semble que, de ce fait, ces objectifs ne soient pas adoptés cette semaine.
La France ne devrait-elle pas agir de même ? J'irai plus loin : n'y aurait-il pas là un sujet idéal pour un travail parlementaire commun aux parlements français et allemand ? Ce serait une bonne application de la coopération plus étroite entre les parlements de nos deux pays que le Conseil des ministres franco-allemand appelait de ses voeux il y a quelques semaines.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Vous avez parfaitement raison de souligner que la stratégie européenne UE 2020 pour la croissance et l'emploi est une chose que nous devons prendre collectivement très au sérieux. L'Union européenne ne peut en effet, au sortir de la plus grave financière depuis 1929, se permettre d'échouer, et de reproduire les erreurs et les dérives bureaucratiques de la stratégie de Lisbonne. Pour cela, nous avons besoin d'une nouvelle gouvernance -c'est-à-dire d'une appropriation politique de la stratégie au plus haut niveau, celui des chefs d'État et de gouvernement. Cela signifie aussi de nouveaux objectifs et de nouvelles méthodes de travail.
Vous parlez également de la nécessaire appropriation nationale de la nouvelle stratégie, de la définition et du suivi des objectifs quantitatifs et indicateurs qui seront assignés à la France. Nous n'en sommes, au niveau européen, qu'à un stade encore très préliminaire, s'agissant de l'élaboration de ces outils ! La Commission a proposé le 3 mars de doter la stratégie d'un ensemble de cinq indicateurs généraux, valables pour toute l'Union européenne, et qui ont vocation à être déclinés pays par pays, en fonction de la situation de départ de chaque État. Mais le travail vient juste de commencer, et le Conseil européen de mars ne donnera que des premières orientations.
En revanche, je vous rassure, la représentation parlementaire sera totalement impliquée dans la définition et le suivi de la nouvelle stratégie. Nous avons besoin de construire une « équipe de France » soudée, associant le Gouvernement, le Parlement, les députés européens, dans tous les grands débats qui nous attendent, que ce soit la déclinaison de la nouvelle stratégie UE 2020 ou la préparation des prochaines perspectives financières.
L'idée d'un rapport parlementaire commun entre la France et l'Allemagne sur UE 2020 est excellente mais les Parlements sont souverains et je renvoie la décision à votre Assemblée. Je rappelle que l'agenda franco-allemand 2020 avait clairement « encouragé les Parlements à envisager des étapes supplémentaires pour une coopération plus étroite, qui pourraient notamment inclure la rédaction de rapports parlementaires en commun ». C'est le type même de coopération possible à l'occasion de la stratégie 2020.
Mme Annie David. - Une fois encore, l'Union européenne fait le grand écart entre les paroles et les actes en matière de régulation financière. Toutes les surenchères ont été faites pour dénoncer ce système fou de la spéculation déconnecté de la réalité. Mais à l'heure de prendre d'indispensables mesures, les dirigeants européens reculent à nouveau. Preuve en est le projet de directive visant à réguler les fonds spéculatifs, retiré pour ne pas froisser les marchés britanniques à l'aube d'élections législatives qui s'annoncent difficiles pour Gordon Brown...
Une question simple et légitime : les États européens souhaitent-ils vraiment un accord ? Pendant que les fonds spéculatifs emplissent les poches de quelques boursicoteurs, les peuples européens sont appelés à se serrer la ceinture, au premier rang desquels, nos amis grecs, qui doivent supporter réductions de salaires, de pensions, de services publics. Le sommet du 25 et 26 mars sera donc crucial pour la Grèce : soit les chefs d'États s'accordent sur une aide financière à des taux d'intérêt non prohibitifs -car les taux d'intérêt que la Grèce doit aujourd'hui payer pour emprunter sur les marchés et financer ses déficits sont insupportables, plus de 6 %, et contribuent à l'enfoncer dans la crise-, soit, devant l'égoïsme de ses partenaires, elle n'aura d'autre recours que de s'adresser au FMI, dont les taux d'emprunt sont plus favorables, marquant ainsi l'échec de la politique monétaire européenne. Le comble c'est que le président de la Commission y serait favorable ! Quant à l'Allemagne, sa position est encore plus inquiétante puisqu'elle évoque la possibilité d'exclure de la zone euro les pays jugés trop permissifs en matière de déficit, visant en premier lieu la Grèce mais également le Portugal, l'Espagne, l'Italie, la France...
Les décisions qui seront prises lors de ce sommet seront donc cruciales pour le peuple grec, mais d'elles, découleront la conception que nous souhaitons donner à l'Europe.
Notre groupe considère qu'il faut rompre avec le dogme d'une Europe libérale qu'ont rejeté par référendum les Français, les Hollandais et les Irlandais. Ni l'Union européenne ni les gouvernements n'ont respecté la volonté des peuples ; ils ont continué à mettre en oeuvre des orientations aux conséquences désastreuses. Il faut porter aujourd'hui l'idée d'une Europe des peuples, remplacer le Pacte de stabilité par un Pacte de solidarité sociale qui permette de lutter contre la pauvreté et mette fin à la flexibilisation du marché du travail. N'est-il pas temps de redéfinir le rôle de la Banque centrale européenne, pour qu'elle intègre des objectifs de croissance et d'emploi ? A ce jour, les promesses du G20 sont bel et bien tombées aux oubliettes !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Je ne tire pas les mêmes conclusions que vous d'un constat que je partage largement. Vous avez raison, l'économie de marché ne doit pas se transformer en casino ; et ce sont la dérégulation, la cécité et la rapacité de certains qui ont conduit à la crise. Il est temps aujourd'hui de moraliser le capitalisme, comme l'ont dit le président Sarkozy et la chancelière Merkel, et d'organiser un système efficace de régulation.
Des progrès ont été accomplis dans cette voie, même si beaucoup reste à faire. Le G20, réuni pour la première fois à l'initiative de la France et sous présidence française, a décidé l'encadrement des rémunérations, l'interdiction des bonus garantis supérieurs à un an, l'étalement des rémunérations variables ; il a engagé la lutte contre les juridictions dites non coopératives. Tout cela était impensable il y a deux ans. Les participants se sont également engagés à mettre en oeuvre les accords de Bâle II au 1er janvier 2011.
L'Union européenne s'est dotée de son côté d'un nouveau cadre de supervision financière, avec notamment la création d'un comité du risque systémique. Il est exact que la directive relative à l'encadrement des hedge funds a été retardée pour tenir compte des difficultés de Gordon Brown en période préélectorale. Une législation sur les produits dérivés dits CDS doit voir le jour. Je suis convaincu qu'il faut mettre fin à l'impunité des spéculateurs ; c'est le sens des propositions qu'a faites hier la France.
M. Pierre Fauchon. - La crise grecque est une épreuve sérieuse, qui pourrait même être tragique pour la construction européenne. Comment en sommes-nous arrivés là, alors que les traités devaient nous mettre à l'abri de telles difficultés ? Le déficit grec, annoncé à 6 % du PIB, s'est avéré être de 12 %. La falsification des comptes devait durer depuis longtemps -n'était-ce pas un secret de Polichinelle ? Il y a pourtant un gardien des traités, la Commission ; il y a pourtant une Banque centrale. Est-il concevable qu'elles n'aient pas soupçonné le manque de sincérité des comptes grecs ? Et si elles avaient des doutes, ou des certitudes, pourquoi n'ont-elles rien dit, au risque d'aggraver le mal ? Si elles savaient, elles sont complices ; si elles ne savaient pas, c'est qu'elles n'ont pas fait leur travail. Et l'Eurogroupe ? A quoi sert-il ?
Il faut tout faire pour que de tels manquements ne se reproduisent pas. Qu'envisage-t-on pour garantir la sincérité des comptes dans la zone euro ? Faut-il changer le statut d'Eurostat ou renforcer ses moyens ? Donner de nouveaux pouvoirs à l'Eurogroupe ? Exprimer des regrets ? Prendre des sanctions ? Il faut en tout cas passer de la complaisance à la vigilance. Que compte faire le Gouvernement ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Je répondrai à votre colère par des arguments aussi concrets que possible. L'explosion de son déficit et de sa dette a entraîné des attaques spéculatives sur les cours des obligations souveraines de la Grèce, certainement encouragées par les incertitudes qui pesaient sur la qualité des statistiques publiques, qualité qui avait déjà été mise en cause en 2004. Les marchés financiers ont joué dans cette affaire un rôle extrêmement malsain, alimenté par le fonctionnement opaque des marchés des produits dérivés, l'absence de régulation et le comportement de prédateur des hedge funds.
Le Gouvernement grec a pris des engagements devant ses partenaires de l'Union, lesquels ont pris leurs responsabilités politiques lors de la réunion tenue le 11 février à l'initiative de M. Van Rompuy. Les chefs d'État et de gouvernement de la France, de l'Allemagne, du Luxembourg et de la Grèce ont demandé le 11 mars au président de la Commission la mise en place d'un système de régulation efficace des dérivés de crédit ; le 15 mars, les ministres de l'Eurogroupe ont identifié les instruments susceptibles d'appuyer une éventuelle intervention coordonnée des États membres. Le président Sarkozy et M. Zapatero ont appelé de leur côté les dirigeants de la zone euro à se réunir avant le conseil européen. Celui-ci insistera sur la nécessité d'améliorer la qualité des statistiques fournies par les États membres sur le fondement des propositions de la Commission.
M. Pierre Fauchon. - Ce n'est pas vraiment une réponse ! Je reste sur ma faim.
M. Roland Ries. - Les propositions de la Commission sur la stratégie 2020 seront au coeur du conseil des 25 et 26 mars. Dix ans après son lancement, la stratégie de Lisbonne, qui devait faire de l'Europe en 2010 l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, tout en favorisant l'emploi et la cohésion sociale, a échoué. La Commission et certains gouvernements expliquent cet échec par la crise. L'argument est hélas insuffisant, car l'échec est patent depuis 2005, depuis qu'ont été privilégiées la dérégulation et la libre concurrence au détriment du social et de l'environnement. L'idée originelle des socio-démocrates européens était à l'inverse de trouver le meilleur équilibre entre l'efficacité économique, la justice sociale et le développement durable. Certes, le nouvel objectif d'une croissance intelligente, durable et inclusive semble aller dans ce sens, mais il y a loin de la coupe aux lèvres. La Commission manque d'ambition pour le volet social et ne se donne pas les moyens d'atteindre l'objectif de réduction de la pauvreté qu'elle a fixé. Elle n'entend plus protéger les services publics. Quelle position la France défendra-t-elle au prochain conseil ? Le pilier social de la nouvelle stratégie n'est-il pas la condition de sa réussite comme de celle du projet européen ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Le volet social de la stratégie 2020 comporte des objectifs précis, dont l'emploi de 75 % des 20-64 ans.
Il faut associer tout le corps social à la réalisation de ces objectifs.
La France soutient également la lutte contre la pauvreté entreprise par la Commission, afin de venir en aide à 20 millions de personnes menacées par la crise. L'ennui est qu'aucun consensus ne se dégage à ce sujet. La Commission veut établir une plate-forme européenne contre la pauvreté, mobiliser le fonds social européen, lutter contre les discriminations, notamment celles qui visent les personnes handicapées, favoriser l'intégration des migrants tout en plaçant les États-membres devant leurs responsabilités sur des sujets comme les familles monoparentales ou les minorités roms. La discussion ne fait que commencer.
M. Jacques Blanc. - Je me désole que la cohésion territoriale ne figure pas assez clairement parmi les objectifs de 2020. On nous parle de « croissance intelligente », de « croissance durable » et même de « croissance inclusive », (marques d'ironie) mais on évoque à peine la cohésion territoriale, ambition nouvellement affichée du traité de Lisbonne, qui nécessiterait un effort budgétaire. M. Fauchon a évoqué le cas grec. Quant à moi, j'aimerais savoir comment la France compte sauver l'Union pour la Méditerranée et donner les moyens à la Grèce de sortir de l'impasse : l'équilibre de l'Union européenne est en jeu. Ne laissons pas penser qu'un pays pourrait être exclu de l'union monétaire, quelle que soit sa situation ! Les déclarations récentes de la chancelière allemande nous ont inquiétés.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - M. Blanc a soulevé beaucoup de problèmes à la fois. En ce qui concerne la cohésion territoriale, la Commission a déclaré explicitement le 3 mars dernier : « La cohésion économique, sociale et territoriale demeurera au coeur de la stratégie Europe 2020 (...). La politique de cohésion et les fonds structurels constitueront des mécanismes primordiaux en vue d'atteindre les objectifs prioritaires d'une croissance intelligente, durable et inclusive au niveau des États membres et des régions ». Si l'on fait abstraction du sabir de la Commission... (sourires)
M. Pierre Fauchon. - Sublime !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - ...l'objectif affiché est clair.
La France est très attachée à la pérennité des fonds structurels, rapidement mobilisés lors de la tempête Xynthia. Le député Pierre Lequiller a fait à ce sujet des propositions intéressantes. Nous sommes au début des négociations sur les futures perspectives financières. J'ai insisté hier pour que la Pac soit considérée comme un pilier de la stratégie de croissance et d'emploi pour 2020, (M. Jacques Blanc s'en félicite) car elle crée des emplois et de la richesse dans toute l'Europe.
L'Union pour la Méditerranée est en bonne voie depuis l'adoption le 3 mars des statuts du secrétariat et l'installation du secrétaire général. Une réunion permettra dans quelques jours de développer les activités de l'Union dans le domaine de l'eau, de l'environnement et du développement urbain durable. Je ne peux passer sous silence le rôle de l'association régionale et locale que vous connaissez bien.
L'exclusion de la Grèce de l'union monétaire n'est que pure fantaisie.
M. Jacques Blanc. - Très bien !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - N'alimentons pas la spéculation par nos querelles. Je suis convaincu que la France et l'Allemagne trouveront une solution conjointe, car je connais la sagesse de nos peuples et la convergence de nos économies.
M. Jacques Blanc. - Vous nous rassurez !
M. François Marc. - Pour les millions d'Européens touchés par la précarité et la pauvreté, les conséquences sociales de la crise sont source d'angoisse. L'Europe est-elle à la hauteur ? Tant s'en faut. On ne peut que constater la défaillance de la surveillance budgétaire, l'insuffisance des discussions économiques et l'absence des mécanismes de sortie de crise. L'article 122-2 du traité consolidé permet pourtant de soutenir un pays en butte aux attaques des spéculateurs. Une véritable gouvernance économique devrait être fondée sur la solidarité politique, économique et financière des États.
Trois outils devraient être privilégiés : la mutualisation de la dette des États ; un emprunt européen par le biais de la Banque européenne d'investissement, les grands pays pouvant garantir ces émissions obligataires, et enfin l'élargissement des actifs acceptés comme contrepartie de la liquidité par la BCE, qui pourrait ainsi acheter les obligations des pays attaqués comme ce fut fait pour les banques privées.
Aucun accord n'a été trouvé sur les hedge funds : c'est une occasion manquée.
Quelles solutions concrètes le Gouvernement entend-il promouvoir ? Qu'entend-il par « gouvernement économique » et comment compte-t-il donner corps à cette notion ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Vous m'embarrassez doublement. D'une part, la crise financière n'est pas à l'ordre du jour du prochain Conseil européen : elle est du ressort de l'Eurogroupe. D'autre part, tout ce que nous disons peut être utilisé par les spéculateurs, et il faut éviter de donner une impression de cacophonie. N'attendez pas de moi que j'entre dans le détail d'une discussion intergouvernementale. Ce qui est certain, c'est que l'union monétaire telle qu'elle résulte du traité de Maastricht repose sur l'autodiscipline. Il est interdit de renflouer un État en difficulté : c'est le no bail out. Mais la crise a fait voler en éclat les critères de convergence -3 % de déficit et 60 % d'endettement. Ceux-là même qui avaient été renfloués par les États en ont profité pour attaquer la dette souveraine de certains pays, ce qui est extrêmement grave. Diverses solutions ont été proposées à court et moyen terme, je pense par exemple aux recommandations de M. Schäuble. Il faudra mettre en place un gouvernement économique commun. Les États européens, dont les habitudes et les histoires divergent, commencent à se rapprocher sous l'effet d'une crise sans précédent.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Sans doute la crise monétaire n'est-elle pas à l'ordre du jour du prochain Conseil européen, mais elle sera au coeur des discussions entre chefs d'État et de gouvernement. Depuis des semaines, certains s'interrogent sur la viabilité de l'euro ou évoquent l'exclusion de tel ou tel État. Les journalistes aiment le sensationnel, mais nous devons porter sur ce sujet un regard plus distant.
La Grèce finance sa dette à un taux d'intérêt de plus en plus élevé.
Mme Annie David. - Eh oui !
Mme Marie-Thérèse Bruguière. - En quoi est-ce anormal ? Hors de la zone euro, les taux d'intérêt seraient certainement plus élevés encore ! La Californie, au bord de la faillite, paye aussi des taux d'intérêt très élevés : elle ne va pas pour autant abandonner le dollar.
L'accent mis sur les malheurs de la Grèce a eu un effet positif : la baisse de l'euro, aujourd'hui surévalué.
Que penser des débats au sein du Conseil sur l'aide à accorder à la Grèce ? Deux choses importent : qu'il apparaisse clairement que les partenaires de la Grèce lui apporteront l'aide nécessaire en cas d'opération spéculative, et que l'on pèse sur la Grèce pour qu'elle remette en ordre ses finances et améliore son appareil statistique. Au-delà, toute controverse sur un fonds monétaire européen ou une aide du FMI est secondaire.
Une modification des traités ne serait pas comprise par nos concitoyens ; il faudrait de toute façon des années pour obtenir une ratification par les Vingt-sept. Le Gouvernement partage-t-il cette analyse et estime-t-il qu'un consensus peut apparaître ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Je partage beaucoup de vos analyses, même si je me dois d'être très réservé à ce stade de la discussion entre les États. La crédibilité des finances publiques doit être restaurée. Le gouvernement grec s'est engagé à réduire son déficit public dès cette année ; le conseil Ecofin en a pris acte le 16 mars. Depuis, les marchés ont réagi positivement, et la Grèce est toujours parvenue à se refinancer.
La déclaration politique des chefs d'État et de gouvernement du 11 février, rappelle la « responsabilité partagée pour la stabilité économique et financière dans la zone euro ». La nature du soutien éventuel que pourrait apporter l'Union européenne à la Grèce est en cours de discussion. Jean-Claude Juncker a délivré un message clair : « Si cela s'avérait nécessaire, l'accord est prêt dans la zone euro pour que de façon coordonnée et sous la houlette de la Commission, une aide bilatérale soit accordée », tout en répétant que les autorités grecques n'avaient pas demandé d'aide. Les choses sont en cours ; laissons les chefs d'État et de gouvernement se mettre d'accord.
Intervention du ministre
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Avec le Traité de Lisbonne et la mise en place de ses nouvelles institutions, l'Europe est entrée dans une nouvelle phase de son histoire. La succession ininterrompue de crises depuis décembre -Grèce, Haïti, avions ravitailleurs- l'a fait rentrer dans le monde réel.
Les chefs d'État et de gouvernement se pencheront, au Conseil européen des 25 et 26 mars, sur deux dossiers majeurs : l'économie et l'emploi, avec la stratégie dite UE 2020, et le climat.
Un seul sujet compte : comment sortir au plus vite de la crise, qui frappe avant tout l'Europe occidentale ? L'économie française, après avoir mieux résisté que d'autres en 2009, retrouvera en 2010 un taux de croissance positive, autour de 1,4 %. Mais la Chine dépassera 10 %, l'Inde 7 %, le Brésil 5 %. Les autres pays ne nous attendent pas ! Il nous faut gagner ces points de croissance supplémentaires pour sortir de la zone de dépression. L'Europe n'a pas le droit à l'échec.
La méthode impulsée par le président du nouveau Conseil européen, véritable gouvernement économique de l'Europe, est radicalement nouvelle. C'est aux chefs d'État et de gouvernement à prendre en main la nouvelle stratégie, qui doit s'inspirer d'une approche « du haut vers le bas », et non aux Conseils de faire remonter, du bas vers le haut, des documents bureaucratiques complètement ficelés ! Désormais, les chefs d'État et de gouvernement s'empareront politiquement des sujets, fixeront les objectifs et les méthodes.
Le Conseil des affaires générales, où je représente la France, « assure la cohérence des travaux des différentes formations du Conseil. Il prépare les réunions du Conseil européen et en assure le suivi en liaison avec le président du Conseil européen et la Commission ». Il a ainsi eu hier sa rencontre mensuelle avec le président Van Rompuy.
Au lieu de faire un point complet sur tout, il est plus efficace de consacrer les premières années à certains thèmes précis de la stratégie. Ainsi, le Conseil européen d'automne devrait être consacré à la recherche et à l'innovation.
La Commission a rendu publique le 3 mars dernier une communication sur la stratégie UE 2020, qui a été examinée hier à Bruxelles. J'en retiens tout d'abord qu'il n'y a pas de divergence de fond, en Europe, sur le contenu de la future stratégie. La stratégie de Lisbonne a échoué : gardons-nous de reproduire les mêmes erreurs.
La Commission a proposé d'assigner à la stratégie cinq objectifs : un taux d'emploi de 75 % en 2020 pour les 20-64 ans ; un investissement en R&D de 3 % du PIB européen en 2020 ; les objectifs climatiques et environnementaux de Copenhague ; un taux de 40 % d'accès à l'enseignement supérieur en 2020 ; enfin, la réduction de 25 % du nombre d'Européens sous les seuils nationaux de pauvreté.
Ces objectifs ont le mérite d'assigner un cadre précis et mesurable à la future stratégie ; sur le fond, ils conviennent à la France. Il reste toutefois beaucoup à faire pour les rendre opérationnels.
Ces objectifs ont vocation à être déclinés, pays par pays, et adaptés à la réalité économique et sociale de chaque État membre ainsi qu'à sa position de départ. Il faudra donc s'accorder sur la méthode de répartition de ces objectifs au niveau national, et s'assurer que la somme des 27 objectifs nationaux permet d'atteindre la cible européenne.
Certains objectifs poseront des difficultés à des États fédéraux qui ne disposent pas des leviers nécessaires et devront les décliner au niveau régional. Il faudra également homogénéiser la mesure mais aussi les modalités d'utilisation et d'interprétation des objectifs.
Enfin, la Commission n'a, à ce stade, pas proposé d'objectif mesurant la compétitivité « externe » de l'Union par rapport à ses concurrents industrialisés ou aux grands émergents.
M. François Marc. - Eh oui !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Or c'est un sujet fondamental.
Les chefs d'État et de gouvernement devraient, à ce stade, n'avoir qu'un premier échange sur ces cinq objectifs.
Il faudra absolument éviter que la stratégie UE 2020 ne s'enlise dans des débats trop technocratiques, au risque de perdre en route nos concitoyens. Nous devons adopter une approche simple et pragmatique, et conserver une ligne claire avec des mots, des idées, des concepts compréhensibles par tous.
Je ne suis pas certain que les termes de « croissance durable, intelligente et inclusive » parlent à tout le monde et suscitent l'enthousiasme !
La stratégie de Lisbonne avait échoué car elle ne reposait que sur la contribution des politiques nationales à la croissance et à l'emploi. Le changement majeur consiste à reconnaître le fait que les institutions européennes, et les politiques européennes qu'elles définissent, apportent une contribution propre à la réussite de la future stratégie. Un plus. Cela vaut pour toutes les politiques européennes, y compris la politique agricole commune, laquelle est loin de faire l'unanimité des Vingt-sept, ce qui est pour nous très difficile.
Cette reconnaissance de la contribution des politiques européennes à la croissance doit nous permettre d'examiner -enfin !- certaines questions majeures pour l'avenir de l'Europe, comme la mise en place d'une véritable politique industrielle et d'une politique énergétique. Ceci doit nous conduire également à réexaminer de façon précise le fonctionnement de certaines politiques européennes, et je pense ici à la politique de la concurrence.
Le Président de la République l'a rappelé le 4 mars à Marignane : nous devons résister à l'idée facile selon laquelle les emplois pourraient être créés simplement dans les services et que l'on pourrait abandonner l'industrie. C'est bien l'emploi industriel et la création de valeur ajoutée dans l'industrie qui font la richesse d'un pays. Nicolas Sarkozy a raison de poser la question : « le jour où l'industrie sera partie, pour qui les services travailleront-ils ? » Les risques d'une désindustrialisation sont aujourd'hui compris par tous en France. C'est pourquoi il nous faut une véritable politique européenne tournée résolument vers l'industrie, l'innovation et le développement durable, qui encourage les nouvelles sources de croissance et privilégie les investissements qui apporteront les emplois et la croissance à long terme. C'est l'objet du Grand Emprunt, qui met l'accent sur l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation. C'est aussi la raison pour laquelle nous insistons pour que soit inscrite, dans les conclusions du Conseil européen, la mention d'une ambitieuse politique industrielle, qui promeuve l'innovation et l'excellence technologique.
L'Union européenne devrait, en outre, favoriser l'émergence d'acteurs européens compétitifs à l'échelle mondiale, ce qui impose de réexaminer notre politique de la concurrence, jusqu'alors évanescente. La stratégie européenne doit inclure un important volet externe qui assure la promotion des intérêts et positions européennes sur la scène internationale. II est temps, le Premier ministre l'a dit à Berlin le 10 mars, d'ouvrir une discussion sur la politique de change afin que la parité de l'euro ne constitue pas un frein à la croissance, comme c'est aujourd'hui le cas face au dollar et face au yuan. La France, qui présidera à compter de la fin 2010, à la fois le G-20 et le G-8, compte bien, prendre ce problème à bras-le-corps, et poser la question d'un nouveau Bretton-Woods. II y va de l'avenir de la compétitivité européenne.
Cessons de faire preuve de naïveté et faisons évoluer la politique commerciale européenne. Les grands pays émergents -Chine, Inde, Brésil- et même la nation par excellence du libéralisme, les États-Unis, tous défendent leur industrie. Quand les Chinois construisent des autoroutes en Pologne, acceptent-ils la réciproque ? Je pense aussi à la scandaleuse annulation du contrat liant le Pentagone à EADS, au bénéfice de son concurrent américain.
Nous devons donc ouvrir les yeux sur la réalité des échanges mondiaux et imposer une véritable réciprocité dans les échanges commerciaux, en particulier dans l'accès aux marchés publics. Comme l'indique Nicolas Sarkozy, « la pire situation pour l'Europe serait celle où son marché serait ouvert quand les autres lui sont fermés. » Il faut davantage de loyauté dans les échanges commerciaux. Il est temps que la Commission prenne ce sujet à bras-le-corps, fasse régulièrement rapport au Conseil de la situation et propose des mesures concrètes pour mettre un terme aux situations d'inégalité auxquelles nos entreprises sont confrontées. Je m'emploierai à convaincre nos partenaires du bien-fondé de cette démarche.
Il ne faut surtout pas donner l'impression qu'il est nécessaire d'attendre 2020 pour obtenir les premiers résultats concrets de la future stratégie. Les peuples européens ne nous le pardonneraient pas. Il faut des avancées dès maintenant.
II reste, bien entendu, de nombreux sujets de travail pour l'Europe dans les mois à venir, à commencer par la gestion des questions climatiques après l'accord de Copenhague, qui enregistre des avancées majeures : l'objectif du seuil des 2 degrés Celsius à ne pas dépasser et la diminution de 50 % des émissions de Co2 en 2050 par rapport à 1990 ; la création d'un cadre spécifique pour l'adaptation aux changements climatiques ; le principe de l'enregistrement des objectifs et actions de réduction d'émissions des principaux pays émetteurs -développés et en développement. A l'heure actuelle, 114 pays ont notifié leur soutien à l'accord de Copenhague, dont 43 au sein de l'annexe I à l'accord (pays développés) et 72 au sein de l'annexe Il (pays en développement). L'Accord de Copenhague a franchi une étape importante en obtenant le soutien écrit des deux tiers des pays du monde, représentant 80 % des émissions, avec le ralliement de la Chine et de l'Inde début mars. Nous avons pour objectif une augmentation significative des ressources financières pour aider les pays en développement à lutter contre le changement climatique, à court et moyen terme avec la création d'un groupe sur les financement innovants et l'instauration rapide de mécanismes pour lutter contre la déforestation et favoriser le déploiement des technologies propres.
Trois mois après Copenhague, le calendrier des négociations dans les différents processus se met progressivement en place, dans un climat beaucoup plus positif que celui qui avait marqué les premières semaines de l'année. Mais rien n'est terminé, et de grandes échéances sont encore devant nous. Nous devons préparer les grandes échéances internationales de 2010, notamment la prochaine session de négociations à Bonn en juin et à Mexico début décembre.
Nous devrons également maintenir le rôle de leader de l'Union européenne sur la scène internationale et renforcer sa crédibilité. Je vous rappelle les paroles du Président de la République : « on ne peut pas continuer la fiction qui consiste à penser que 192 pays et leurs représentants peuvent négocier un texte. »
Nous devons également avancer sur le front du financement rapide en faveur des pays les plus vulnérables et les moins avancés, et aussi le financement à long terme des pays en développement pour les aider à lutter contre le changement climatique ; l'accord de Copenhague mentionne le chiffre de 100 milliards de dollars par an d'ici 2020.
Nous devons maintenir la pression pour que les pays acceptent des engagements qui permettent d'atteindre effectivement l'objectif de 2° C. Ceci implique de mettre en place des mécanismes de vérification efficaces. Nous demeurons convaincus de la nécessité d'une Organisation mondiale de l'environnement.
Enfin, l'Europe, si elle veut se faire respecter sur la scène internationale, doit mettre en place un mécanisme d'inclusion carbone. Le risque de fuites de carbone demeure et il n'existe pas encore de régime de contrôle des engagements. Les leçons de Copenhague ont porté : la vertu et l'exemplarité ne suffisent pas. Nous attendons donc que soient mises en oeuvre les dispositions du paquet climat-énergie et nous souhaitons convaincre nos partenaires les plus réticents de l'importance de mettre simultanément sur la table de négociation, en sus de nos engagements -parmi les plus contraignants au monde- des instruments de dissuasion, sans lesquels les autres grands blocs n'accepteront pas cette politique. Nous avons besoin d'un instrument de pression et sans ce fameux mécanisme de taxe carbone aux frontières nous serions les seuls à être vertueux et à surtaxer nos entreprises.
M. François Marc. - Il fallait y penser avant !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - La nuit est fort avancée. Nous avons eu un débat vif et passionnant ; beaucoup de questions restent ouvertes et justifieraient un débat plus approfondi. Elles méritent mieux qu'un tel débat nocturne. Mais le Gouvernement est à la disposition du Parlement. (Applaudissements à droite et au centre)
Commissions (Nominations)
M. le président. - Le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la commission des affaires européennes. Le délai prévu par l'article 8 du Règlement est expiré. La présidence n'a reçu aucune opposition. En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Jean-François Humbert membre de la commission des affaires européennes en remplacement de M. Hubert Haenel dont le mandat de sénateur a cessé.
Le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté trois candidatures pour les commissions des affaires étrangères, de l'économie et des affaires sociales. Le délai prévu par l'article 8 du Règlement est expiré. La présidence n'a reçu aucune opposition. En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame M. Philippe Paul, membre de la commission des affaires étrangères en remplacement de M. Hubert Haenel dont le mandat de sénateur a cessé ; M. Jean-François Mayet membre de la commission de l'économie en remplacement de M. Philippe Paul, démissionnaire ; M. Jean-Louis Lorrain, membre de la commission des affaires sociales en remplacement de M. Jean-François Mayet, démissionnaire.
Prochaine séance, aujourd'hui, mercredi 24 mars 2010, à 14 h 30.
La séance est levée à 1 h 15.
Le Directeur du service du compte rendu analytique :
René-André Fabre
ORDRE DU JOUR
du mercredi 24 mars 2010
Séance publique
A 14 HEURES 30,
1. Proposition de loi tendant à assurer l'assistance immédiate d'un avocat aux personnes placées en garde à vue, présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues du groupe du RDSE (n° 208, 2009-2010).
Rapport de M. François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n° 327, 2009-2010).
2. Proposition de loi tendant à interdire le Bisphénol A dans les plastiques alimentaires, présentée par M. Yvon Collin et plusieurs de ses collègues du groupe du RDSE (n° 595, 2008-2009).
Rapport de M. Gérard Dériot, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 318, 2009-2010).