Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, préalable au Conseil européen
M. le président. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, préalable au Conseil européen des 29 et 30 octobre 2009.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. - Le Président de la République et le Premier ministre participeront les 29 et 30 octobre à Bruxelles au Conseil européen. J'aurai l'honneur, avec M. Kouchner, de les accompagner. Ce Conseil comporte à son ordre du jour des sujets d'une importance particulière pour la France. C'est pourquoi, moi-même ancien parlementaire, je regrette que cette séance de contrôle soit aussi peu suivie... (Protestations à gauche ; M. Yves Pozzo di Borgo applaudit)
M. Simon Sutour. - Il faudra le dire au Président Larcher, qui est bien loin d'ici !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Tout le Gouvernement a oeuvré à la préparation du Conseil. La semaine dernière, Mme Lagarde et M. Borloo étaient aux conseils Ecofin et environnement pour préparer les points de l'ordre du jour portant sur la crise économique et le climat. J'étais moi-même hier à Luxembourg au conseil affaires générales ; Bernard Kouchner y était ce matin pour la partie « relations extérieures ».
Au-delà, ce Conseil a été préparé par de nombreux contacts politiques : j'ai effectué de multiples déplacements ces dernières semaines pour rencontrer nos partenaires, suivant l'exemple du Président de la République et du Premier ministre qui, avant la présidence française, s'étaient rendus dans le plus grand nombre d'États membres. Dans une Union à 27, cet effort est indispensable. Chaque relation bilatérale compte. J'étais d'ailleurs accompagné à chacun de ces déplacements par un parlementaire.
Ce Conseil européen intervient un an après la crise financière et au moment où se mettent en place nos institutions dans un contexte international lourd de défis. Ma conviction, c'est que l'Europe est à l'aube d'une ère nouvelle. Comme l'a dit le Président de la République, « l'Europe peut faire l'Histoire et contribuer à forger le XXIe siècle, au lieu de se contenter de le subir ». Ce qui se joue, c'est la place de l'Europe dans la gouvernance mondiale. Tout ici est affaire de volonté et de détermination.
Notre premier rendez-vous est celui des institutions. En 2007, le Président de la République et Mme Angela Merkel ont posé les bases du traité de Lisbonne. L'évolution de l'Europe vers de nouvelles institutions plus efficaces est en effet une nécessité. Il est temps aujourd'hui de nous servir du traité. Le vote sans ambiguïté du peuple irlandais le 2 octobre a levé la dernière hypothèque ; il est le résultat de l'engagement du Président de la République et des garanties énoncées en décembre 2008 sous présidence française. L'Irlande a déposé son instrument de ratification vendredi dernier, après que la Pologne l'a fait la semaine dernière. Nous attendons l'achèvement de la procédure en République tchèque.
La Cour constitutionnelle tchèque, qui a été saisie par un groupe de sénateurs, doit rendre son jugement aujourd'hui. Nous pouvons être confiants, dans la mesure où la Cour s'est déjà prononcée à l'unanimité l'année dernière sur la conformité du Traité de Lisbonne à la constitution tchèque. La présidence suédoise mène actuellement des consultations avec toutes les autorités tchèques sur la récente demande de M. Klaus relative à la Charte des droits fondamentaux ; elle dira au prochain Conseil les conclusions qu'elle en a tirées et ses recommandations. La France est disposée à rechercher une solution pourvu que celle-ci ne conduise pas à rouvrir la négociation et la procédure de ratification. Les deux chambres du Parlement et le gouvernement tchèque se sont prononcés en faveur de la ratification ; ce pays, comme ses 26 partenaires, s'est engagé en décembre 2008 puis en juin 2009 sous sa présidence, à tout faire pour que le traité de Lisbonne entre en vigueur avant fin 2009. Mon homologue tchèque me l'a encore confirmé jeudi dernier. Nous devons cependant avoir des garanties que le président tchèque signera bien l'acte de ratification ; c'est tout l'objet de l'action que mène actuellement la présidence suédoise.
Les travaux préparatoires à la mise en oeuvre du traité se sont accélérés depuis le référendum irlandais. Le Conseil fera le point et approuvera en particulier les grandes lignes du futur service européen d'action extérieure ; nous en attendons une meilleure mobilisation des moyens disponibles ainsi qu'un pilotage plus efficace de la politique extérieure de l'Union, plus cohérent aussi avec l'action extérieure des États membres. Je ne veux plus voir, comme il y a quelques années, un aéroport comme celui de Sarajevo, financé par l'Union mais inauguré par le Secrétaire d'État américain ; comme je regrette d'avoir vu, quand j'ai été représentant spécial de la France dans la région, que l'aide massive de l'Union au Pakistan n'ait pas été concertée avec les pays qui engagent des forces en Afghanistan. Nous devons très vite constituer un embryon de ce service de l'action extérieure de l'Union, et pour cela puiser ses membres au sein de la commission, du Secrétariat général et des 27 États membres.
Le Conseil ne décidera pas d'un paquet complet de nominations. En attendant l'entrée en vigueur définitive du traité, la Commission et le Haut représentant pour la PESC resteront en fonctions -comme cela a été fait pour la commission Prodi. Mais nous sommes dans la dernière ligne droite. Nous connaîtrons cet automne l'achèvement d'un très long processus qui a vu l'Union, depuis la chute du Mur, courir derrière ses institutions au point d'éloigner les citoyens de l'idée même de construction européenne. La querelle institutionnelle est derrière nous, c'est une excellente nouvelle ; il est temps de passer à l'essentiel, à ces questions qui intéressent la vie, la sécurité, l'emploi et l'environnement des Européens.
Les institutions n'ont de sens que s'il existe une vision et une volonté. La crise économique et financière a montré qu'aucun pays ne peut faire face seul ; elle a montré aussi que, lorsque l'Union est unie comme elle l'a été au G20 de Pittsburgh autour de la France et de l'Allemagne, elle sait peser sur les affaires du monde. J'ai été frappé de voir, dans toutes les capitales européennes, à quel point chacun est conscient du risque de marginalisation de l'Europe dans un monde multipolaire, de l'attente aussi vis-à-vis de cette force d'impulsion qu'est le couple franco-allemand. (Marques d'approbation à droite)
Trois autres points importants sont à l'ordre du jour du Conseil. Le climat est d'abord un enjeu majeur pour l'avenir de la planète ; nous préparons la conférence qui se tiendra à Copenhague en décembre. Les objectifs sont connus, issus des travaux du Giec : la réduction de 50 % des émissions mondiales de CO2 à l'horizon 2050 par rapport à leurs niveaux de 1990, afin de limiter le réchauffement à moins de deux degrés depuis l'ère préindustrielle. Il s'agit d'obtenir l'engagement des pays développés de réduire leurs émissions de 25 % à 40 % d'ici 2020 et celui des pays émergents à chiffrer les leurs à moyen terme. Le paquet énergie-climat adopté sous présidence française a montré quelles étaient les ambitions de l'Union, qui est en position de force ; nous devrons défendre à Copenhague une position commune. Il appartiendra aux chefs d'État et de gouvernement de la définir.
Quatre paramètres restent à préciser. Le plus délicat est la contribution financière de l'Union à l'effort des pays en développement ; il faudra définir les besoins de financement, la contribution elle-même, sa répartition entre les États et la possibilité de recourir à des financements innovants. Là encore, ce sera au Conseil de trancher. Nous pourrions ensuite porter notre taux de réduction d'émission de gaz à effet de serre de 20 % à 30 % si, comme en a décidé le conseil Environnement du 21 octobre, tous les pays développés prennent des engagements comparables aux nôtres. En troisième lieu, nous devons pouvoir mettre en oeuvre le mécanisme d'inclusion carbone, si certains de nos partenaires internationaux refusaient de jouer le jeu à Copenhague. Ce mécanisme, reconnu compatible avec les règles de l'OMC, fait partie des options retenues par le paquet énergie-climat ; dans une lettre commune adressée en septembre par le Président de la République et Angela Merkel à M. Ban Ki-Moon, la France et l'Allemagne ont rappelé leur détermination à en user si cela était nécessaire. Nous ne pouvons accepter d'imposer à nos industriels des obligations supérieures à celles de leurs compétiteurs. L'Europe ne sera pas la variable d'ajustement de la négociation. Les récents conseils Environnement et Affaires générales ont confirmé que cette option était sur la table.
Nous devons enfin mieux porter et faire connaître le message politique de l'Union. Elle a formulé à Bangkok les propositions les plus ambitieuses mais a été, davantage que les autres, mise en accusation. C'est tout l'enjeu d'une communication efficace ; lorsque le négociateur américain ou chinois quitte la salle des négociations, il organise immédiatement une conférence de presse. Qui incarne aujourd'hui la position de l'Europe ?
Les négociations sont aujourd'hui difficiles, tant au sein de l'Union qu'avec nos partenaires. Novembre sera décisif ; la prochaine session de négociation aura lieu à Barcelone du 2 au 6 novembre. II faudra mettre à profit tous les grands événements pour faire avancer nos positions -je pense au sommet intermédiaire des chefs d'État, que le Président de la République a appelé de ses voeux à Pittsburgh, mais aussi aux sommets Union - États-Unis du 3 novembre, Union - Inde du 6 et Union - Chine du 30. Nous avons besoin d'un engagement renouvelé de l'ensemble des partenaires de la négociation. L'accord est encore loin, mais l'espoir est permis, car des partenaires importants, comme le Japon ou le Brésil, ont déjà évolué.
S'agissant des États-Unis, un vote déterminant est attendu au Sénat américain sur le Clean Energy Act : les discussions entre républicains et démocrates portent sur le nucléaire, la taxe aux frontières et les énergies renouvelables.
La préparation de la sortie de crise fait partie de l'agenda du prochain sommet. La présidence suédoise a obtenu des résultats en matière de supervision financière. Un accord sur le volet macrofinancier prévoit la création d'un comité contre les risques systémiques et le volet microfinancier transforme les comités de superviseurs en autorités dotées de pouvoirs contraignants. Nous serons aux côtés des Suédois pour que cette nouvelle architecture soit opérationnelle en 2010.
Le Conseil européen est convenu d'apporter des réponses à l'urgence migratoire en Méditerranée. Le pacte européen sur l'immigration a posé des principes mais, comme l'a dit Jacques Barrot, il est temps de passer du pacte aux actes. Eric Besson a soumis des propositions à nos partenaires en septembre. Je les relaie en collaboration avec la Grèce, l'Espagne et, surtout, l'Italie. Le Président de la République et le Président du conseil italien ont demandé que le Conseil européen fixe des orientations concrètes. Les 29 et 30 octobre, les chefs d'État et de gouvernement auront l'occasion de prendre des décisions courageuses. Nous voulons qu'il s'agisse de décisions de substance car l'Europe ne peut plus attendre : il y a urgence à agir !
S'agissant de la crise du lait, le Gouvernement a pris l'initiative d'une nouvelle régulation en juillet. Bruno Lemaire a bâti une proposition franco-allemande et convaincu 21 États membres de son bien-fondé, ce qui garantit une majorité qualifiée. Au cours d'une réunion informelle, un signal fort a été envoyé pour une nouvelle régulation européenne. Le groupe des experts doit rendre son rapport en juin ; 22 États membres ont obtenu la mise en place de mesures supplémentaires pour le stockage et la distribution de lait dans les écoles. Le Conseil de novembre devrait également valider le rachat de quotas à titre national ainsi que la possibilité de prendre plus facilement des mesures d'urgence. La Commission proposera à Ecofin l'inscription au prochain budget d'une enveloppe de 280 millions. La situation des producteurs de lait est bien à l'ordre du jour (M. Jacques Blanc s'en félicite), ainsi qu'un nouveau cadre de régulation.
Voilà les défis que l'Europe doit relever. Le traité de Lisbonne peut nous y aider. Avec sa prochaine entrée en vigueur, le moment est venu de clore un chapitre institutionnel : l'Europe ne peut rester dans une phase d'entre-deux. (Applaudissements à droite)
M. le président. - J'invite les orateurs à respecter leur temps de parole car nous devons impérativement aborder les questions cribles à l'heure prévue.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. - Avec ce débat, nous imitons enfin nos homologues européens et je dois rappeler que nous avons obtenu ce débat de haute lutte : lorsque la France a dit non au référendum, en 2005, le Premier ministre de l'époque a estimé qu'il fallait prendre un certain nombre de mesures, dont celle-ci. Il serait donc souhaitable d'étoffer notre présence à ces échanges.
Le traité de Lisbonne est le premier point à l'ordre du jour du Conseil. L'horizon s'éclaircit et tout laisse espérer qu'il entrera bientôt en vigueur. Le prix à payer en est une nouvelle dérogation aux règles communes, qui s'ajoute à celles consenties à l'Irlande et au Royaume-Uni. On peut le regretter car comment la Cour de justice européenne assumera-t-elle l'unité d'application du droit de l'Union si les droits fondamentaux ne s'appliquent pas à tous ? L'Europe à 27, et bientôt plus, ne peut être une Europe uniforme. Elle comportera plusieurs niveaux d'intégration -c'est d'ailleurs déjà le cas. Des avancées pourront être réalisées par des coopérations spécialisées, selon la formule chère à Pierre Fauchon. L'Union ne sera ni à la carte ni à menu et prix fixes, et je ne suis pas sûr qu'il faille s'en lamenter : nous avons renoncé en France au jacobinisme (M. Jacques Blanc s'en réjouit) et je préfère une Europe qui avance en ordre dispersé à une Union uniforme mais immobile. L'essentiel est de résoudre les problèmes qui se posent au niveau européen !
Le traité de Lisbonne nous donne des outils sur les grandes questions de politique étrangère. Cependant, alors que nous avions essayé de dépasser les conflits de compétence entre Commission et Conseil, il est préoccupant que le Parlement européen cherche de nouveau à s'octroyer des pouvoirs que les traités ne lui attribuent pas. Quelle est la position de la France à cet égard et veillera-t-on à ce que l'on respecte bien la lettre et l'esprit du traité de Lisbonne ?
La présidence suédoise a souhaité qu'on se concentre sur quelques sujets politiques, dont le réchauffement climatique. La seule chance pour que ses positions soient entendues est que l'Europe se présente unie à Copenhague. Le mandat doit donc être ambitieux sans être déraisonnable. L'Union est peut-être la seule puissance à avoir pris la mesure de l'enjeu, mais elle ne parviendra à rien si elle ne définit pas un équilibre délicat en son sein afin de conserver un rôle d'aiguillon. Les 27 se sont déjà dotés d'outils contraignants. Le paquet énergie-climat a été un succès de la présidence française. Marquant la réalité de son engagement, il a donné à l'Europe une expertise. Nous voulons donc fixer des objectifs chiffrés et ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, sans que ce soit interprété comme une position moralisante à l'égard de la Chine, de l'Inde ou de la Russie.
Le seul point d'achoppement est le partage des responsabilités en Europe, les pays d'Europe centrale et orientale estimant être dans une situation proche de celle des pays émergents. Comment aider ces derniers ? La Commission estime l'effort public à 15 milliards l'an jusqu'à 2020. S'il est de bonne stratégie de négociation de ne pas définir trop précisément ces montants, certains États d'Europe centrale souhaitent des clefs de répartition. Une compensation financière devra être prévue pour la Pologne qui ne pourra strictement assumer sa part, en raison de la part du charbon. Envisage-t-on de permettre à ces États de bénéficier après 2012 des quotas d'émission qu'ils n'auraient pas encore utilisés ?
Pensons très fort à un mécanisme d'inclusion du carbone aux frontières, à une taxe carbone sur les importations. Sans en faire une arme dans les négociations, il faut en discuter dès à présent.
Comment préparer la mise en place des quotas en 2012 ? Le paquet climat-énergie 2008 a profondément changé les règles et aucune régulation n'est encore prévue. Or de tels marchés se développeront dans le monde en cas d'accord à Copenhague.
La perspective d'un marché global intégré de carbone, appelé de ses voeux la semaine dernière par le conseil Environnement, doit nous conduire à définir des standards européens élevés, car il serait dommage que les Européens paraissent en retrait après avoir été des précurseurs : le Congrès des États-Unis examine en ce moment un projet de loi ambitieux, le projet Waxman. Quelles sont, sur ces thèmes, les grandes lignes de la position française ?
Le deuxième sujet majeur à l'ordre du jour du Conseil européen est la crise économique et financière.
La riposte concertée des États nous a épargné une nouvelle grande dépression, mais baisser trop vite la garde serait périlleux. En augmentant les prélèvements et en réduisant la dette dès aujourd'hui, nous risquerions de compromettre la reprise qui s'amorce. C'est pourquoi je me réjouis de voir l'Allemagne engagée dans une baisse durable des impôts, bien au-delà d'une loi Tepa si décriée. L'Allemagne ne sera plus un passager clandestin profitant des efforts de relance consentis par d'autres. (M. le président invite l'orateur à conclure)
La bonne démarche consiste à faire chaque chose en son temps : il faudra utiliser les périodes de croissance pour réduire les déficits, mais nous devons aujourd'hui combattre encore la crise. Si nous nous croyons trop vite tirés d'affaire, nous retrouverons les causes de la crise, après avoir tant dépensé pour en limiter les conséquences. Pour éviter la rechute, allons jusqu'au bout du traitement !
A mon avis, celui-ci devrait maintenir des fluctuations monétaires raisonnables. L'euro valait 1,18 dollar quand il a été lancé il y a dix ans ; deux ans plus tard, il était tombé de 40 % pour atteindre 0,8 dollar, avant de remonter de 90 % pour dépasser 1,5 dollar. A quoi servent les négociations commerciales multilatérales portant sur une fraction des droits de douane quand les fluctuations du cours peuvent à ce point affecter les échanges ? En ce domaine, l'Europe ne doit pas être une variable d'ajustement passive.
Nous attendons du Conseil européen des décisions concrètes à même de réconcilier les Européens avec l'Europe de Bruxelles ! (Applaudissements à droite)
M. Jacques Blanc, en remplacement de M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Je vous prie tout d'abord d'excuser le président de notre commission, M. Josselin de Rohan, qui se trouve au siège de l'Organisation des Nations Unies à New-York. Cela me vaut le privilège de le remplacer aujourd'hui.
Après le propos fort intéressant de M. le ministre et l'intervention particulièrement étayée du président de la commission des affaires européennes, je vais aborder en premier lieu la mise en oeuvre du traité de Lisbonne, notamment la mise en place du service européen d'action extérieure.
Après le « oui » irlandais et la signature du président polonais, celle du président tchèque devrait intervenir dans les jours ou les semaines à venir. Je rends hommage au Président Sarkozy pour avoir déclaré, dès la campagne électorale, qu'il faudrait apporter une réponse institutionnelle pour que l'Europe soit plus légitime et plus opérationnelle, en particulier grâce à un accroissement des pouvoirs du Parlement européen et du Comité des régions, dont on ne parle guère.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. - Cela viendra.
M. Jacques Blanc, en remplacement de M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Nous devons aujourd'hui envisager l'application du traité de Lisbonne. Il est bon de créer une présidence stable du Conseil européen, d'ajouter un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, de passer à la majorité qualifiée pour une cinquantaine de matières, d'étoffer les compétences parlementaires, mais des difficultés d'application se feront jour, car le traité de Lisbonne comporte des zones d'ombre et des ambiguïtés.
Ainsi, le président du Conseil européen ne sera-t-il que le président chairman souhaité par les pays du Benelux ou le leader voulu par la France ?
Qu'en sera-t-il de la présidence tournante du Conseil ? Contrairement à une idée répandue, le traité de Lisbonne a conservé cette présidence pour les formations spécialisées du conseil des ministres, à la seule exception du conseil Affaires étrangères. N'étant titulaire d'aucun mandat national, le président du Conseil n'aura plus d'autorité directe sur les ministres qui présideront ces formations spécialisées. Des mécanismes de coordination devront donc assurer la cohérence de l'action. A l'avenir distinct du conseil Affaires étrangères, le conseil Affaire générales pourra contribuer à cette coordination.
Le partage des tâches entre le président du Conseil européen, le président de la Commission et le Haut représentant en matière de politique étrangère n'ira pas de soi. Il faudra qu'un modus vivendi permette à chacun d'exercer la plénitude de ses pouvoirs sans empiéter sur les attributions des autres.
En outre, l'entrée en vigueur différée du traité de Lisbonne conduit à s'interroger sur le rôle de la Commission européenne, dont le mandat arrive à son terme le 1er novembre. Il semble qu'on s'oriente vers une prolongation de quelques mois. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?
J'en viens au futur service européen d'action extérieure. Placé sous l'autorité du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ce service institué par le traité de Lisbonne comportera des hauts fonctionnaires du Conseil ou de la Commission et des personnes détachées des services diplomatiques. Les contours sont envisagés de façon divergente par le Conseil, la Commission et le Parlement européens. Même sa localisation, quelque part entre le Conseil et la Commission, est discutée ! Son périmètre n'est pas défini, mais la politique de voisinage ne semble pas devoir entrer dans ses compétences et demeurer dans celles du Conseil.
Grâce au président de la commission des affaires étrangères, nous avons réalisé un rapport sur cette importante politique, destinée à modifier les relations entre l'Europe et ses voisins.
M. Yves Pozzo di Borgo. - C'est exact !
M. Jacques Blanc, en remplacement de M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - Quelles que soient les conséquences de Gaza, ne renonçons pas à l'Union pour la Méditerranée, car ce projet sera un élément majeur de la politique extérieure de l'Union européenne ! (M. le président invite l'orateur à conclure)
J'aurais voulu évoquer la situation en Afghanistan et au Pakistan, deux pays dont vous avez remarquablement parlé devant la commission, monsieur le ministre. Même regret pour le Moyen-Orient, cette zone géographique à laquelle nos collègues Jean François-Poncet et Monique Cerisier-ben Guiga ont consacré un rapport d'information. Je n'ai pas le temps d'aborder l'accord d'association entre l'Union européenne et la Syrie.
Mais je me réjouis que vous ayez rappelé, au moment où le Président de la République engage une grande politique destinée à résoudre les difficultés de notre agriculture, que notre ministre a réuni plus de vingt de ses homologues à Bruxelles.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Un peu de pommade...
M. Jacques Blanc, en remplacement de M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. - .Je me réjouis que la France, par la voix du ministre des affaires européennes, soit en phase avec les attentes du monde agricole, auxquelles le Président de la République devrait répondre à l'instant même ! (Applaudissements à droite)
M. le président. - Je ne souhaite pas interrompre les orateurs, mais je vous invite à respecter strictement les temps de parole si vous voulez entendre les réponses argumentées du ministre, puisque je devrai impérativement interrompre ce débat à 17 heures.
M. Pierre Hérisson, en remplacement de M.Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie - Le compte à rebours a commencé et 40 jours nous séparent désormais de la conférence de Copenhague : il faut saisir l'occasion de la crise actuelle pour passer à une économie durable à faible émission de CO2, qui stimulera l'activité et sera créatrice d'emplois. C'est d'autant plus nécessaire que le dérèglement climatique, plus rapide que prévu, a déjà commencé à produire ses effets.
Face à cette urgence climatique, nous devons défendre un accord ambitieux qui comporte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour les pays industrialisés comme pour les pays en développement, des engagements financiers en faveur de ces derniers, mais aussi des sanctions pour les pays qui ne respecteraient pas leurs engagements. Il est de la responsabilité de l'Union européenne de tout mettre en oeuvre pour éviter un échec de la conférence de Copenhague. Sur ce point, monsieur le ministre, à quelles conditions peut-on trouver un accord, notamment sur la contribution financière de l'Union pour aider les pays à s'adapter au changement climatique ? Certes, c'est une bataille difficile que nous engageons, notamment pour rallier les pays en développement à cette cause. Mais l'Europe a fait la preuve de son engagement en acceptant de réduire ses propres émissions de gaz à effet de serre d'au moins 20 % d'ici à 2020 -par rapport à 1990- et jusqu'à 30 % en cas d'accord international.
Pour assurer la transition vers une économie éco-efficiente, la France a fait le choix de la taxation du carbone et nous sommes nombreux à souhaiter sa rapide mise en place aux frontières, car notre volontarisme ne doit pas conduire à détruire des emplois dans nos territoires parce que d'autres États ne seraient pas aussi vertueux. Il nous faut préserver, voire rétablir, la compétitivité des industries européennes. A cet égard, où en est la réflexion de l'Union sur l'utilisation de cet instrument économique ?
Par ailleurs, il faut agir à d'autres niveaux pour conforter cette transition vers une économie durable : formation, éducation et encouragement à l'utilisation de technologies propres. Et dans tous ces domaines, les collectivités territoriales peuvent jouer un rôle majeur. Comment comptez-vous agir, monsieur le ministre, pour faire prendre en compte, au niveau de l'Union, le potentiel que représentent les collectivités dans la lutte contre le changement climatique ?
Le cours des cinquante prochaines années se décidera dans les semaines qui viennent. Mais il n'y aura pas de « plan B » pour la planète si nous échouons collectivement. Nous ne pourrons régler seuls la question du changement climatique puisque l'Europe ne représente aujourd'hui que 17 % des émissions mondiales de CO2. En outre, nous ne prendrons pas le risque de voir nos industries supporter des contraintes bien plus fortes qu'ailleurs et être pénalisées lourdement dans la compétition internationale. Chacun doit apporter sa contribution selon ses capacités et son niveau de responsabilités. Mais à la double peine -pas d'accord et des engagements unilatéraux pénalisants- la France doit préférer le double dividende : un accord international et une transition environnementale accélérée. (Applaudissements à droite)
M. Michel Billout. - Le prochain Conseil européen se tiendra dans la perspective de la mise en oeuvre du traité de Lisbonne. Beaucoup ici s'en satisferont tant il aura fallu d'acharnement pour y arriver. M. le ministre y voit même un traité qui « conduit à une Europe plus démocratique et plus proche des citoyens ». Curieux traité pourtant, qui prétend construire la démocratie tout en la piétinant par ses modalités d'adoption. Inquiétante Europe qui se construit sans les citoyens, loin de leurs préoccupations et malgré le rejet du projet de traité constitutionnel par les électeurs français et néerlandais en 2005. Loin de respecter le verdict des urnes, les dirigeants européens ont décidé alors de le contourner en rédigeant une sorte de plagiat du projet de traité. Ce n'est pas moi qui le dit mais un expert en la matière qui a décrit ainsi le traité de Lisbonne, il y a deux ans, jour pour jour : « Les propositions institutionnelles (...) se retrouvent intégralement dans le traité de Lisbonne, mais dans un ordre différent, et insérées dans les traités antérieurs (...) Ainsi l'expression « concurrence libre et non faussée », qui figurait à l'article 2 du projet, est retirée à la demande du Président Sarkozy, mais elle est reprise, à la requête des Britanniques, dans un protocole annexé au traité qui stipule que « le marché intérieur, tel qu'il est défini à l'article 3 du traité, comprend un système garantissant que la concurrence n'est pas faussée » (...) Quel est l'intérêt de cette subtile manoeuvre ? D'abord et avant tout d'échapper à la contrainte du recours au référendum, grâce à la dispersion des articles et au renoncement au vocabulaire constitutionnel ». Vous avez certainement reconnu l'analyse de Valéry Giscard d'Estaing, dans Le Monde, et là, malheureusement, il ne s'agit pas d'un roman...
La ratification du traité de Lisbonne aura été une parodie de démocratie. Les chefs d'États, M. Sarkozy en tête, ont de concert choisi de passer outre les avis des peuples tout simplement en ne les consultant pas. Seule l'Irlande a invité ses électeurs à s'exprimer, sa Constitution imposant cette démarche. Résultat ? Les Irlandais ont rejeté le traité de Lisbonne ! Ce traité devait donc être caduc le 12 juin 2008. Pourtant, les chefs d'État et de gouvernement ont de nouveau piétiné cette décision en poursuivant le processus de ratification et en faisant pression sur les Irlandais jusqu'à ce qu'ils revotent, puisqu'ils n'avaient pas fait le bon choix. Ainsi les Irlandais ont-ils revoté le 2 octobre dernier pour accepter le traité de Lisbonne. Les partisans du « oui » peuvent remercier les médias et les puissances de l'argent dont les grands patrons d'Intel et de Ryanair. La diabolisation du « non » et les mensonges sur les risques d'isolement de l'Irlande ont fini par payer. Étrange conception du référendum, où finalement nous n'aurions le choix qu'entre « oui » ou « oui ».
Ce résultat est aussi la conséquence de bas arrangements de coulisses. Les artisans du traité, pour assurer son adoption, sont allés jusqu'à donner satisfaction aux mouvements anti-avortement irlandais. C'est ainsi que l'Union européenne s'implique courageusement pour l'évolution du droit des femmes ! Plus récemment, pour arracher la signature du Président Klaus, on s'est accordé sur une solution enterrant les revendications des Allemands expulsés des Sudètes entre 1945 et 1946, et prévoyant la non-application de la Charte des droits fondamentaux en République tchèque.
La crise démocratique que traverse l'Union européenne n'est donc pas près d'être résolue. Après le vote « raisonné » des Irlandais, le Conseil européen est donc, selon la volonté de la présidence suédoise, l'occasion d'accélérer la mise en oeuvre du traité en se mettant d'accord sur le nom du futur président stable du Conseil européen. Je n'épiloguerai pas sur ce qui risque d'être un curieux casting pour décerner la couronne à la personnalité la plus européenne...
Il me semble qu'une Europe porteuse de paix pourrait, elle, être un symbole fort au moment où devrait se mettre en place le futur service européen d'action extérieure. Choisir un président du Conseil européen dont l'action en faveur de la paix dans le monde est incontestable pourrait être un signe positif pour les habitants de notre planète.
Ce Conseil européen sera marqué par la faiblesse de la réponse de l'Union face à la crise financière et économique, une réponse essentiellement marquée par l'action individuelle des États, souvent peu cohérente, rarement efficace. Loin d'une sortie de crise, c'est la prolongation d'une situation économique atone qui se profile, dans laquelle une croissance molle cohabiterait avec un taux de chômage durablement élevé. Le Président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, a déclaré que l'Union ne connaîtrait au cours des dix prochaines années qu'une croissance annuelle moyenne de 1,5 %, tout au plus. Non seulement la croissance ne sera pas au rendez-vous, mais le chômage va progresser et les déficits continuer d'exploser. La plupart des pays européens n'ayant plus de marges de manoeuvre, le tableau est sombre.
Pour sortir de la crise, l'Union doit agir au moins sur trois leviers : un véritable budget avec des recettes propres qui pourraient reposer sur une taxation des mouvements spéculatifs ; une véritable politique industrielle basée avant tout sur la coopération; une Banque centrale européenne, placée sous le contrôle du pouvoir politique et qui utiliserait efficacement le crédit en faveur de l'emploi et de la recherche. Cette banque doit agir aussi sur l'équilibre monétaire international car l'Europe ne peut durablement s'offrir le luxe d'une monnaie surévaluée par rapport au dollar, ce qui pénalise lourdement l'économie européenne. Enfin, elle doit être une Europe protectrice de ses citoyens et de leurs droits sociaux.
Le traité de Lisbonne n'apportera aucune arme à l'Union pour affronter la crise. C'est un outil au service des règles qui ont prévalu jusqu'à maintenant dans la construction européenne : celles de la financiarisation de l'économie et du dogme de la concurrence entre les hommes et les territoires. La crise laitière l'illustre bien : une crise mondiale de surproduction a entraîné l'effondrement des prix payés aux producteurs, désormais inférieurs aux coûts de production. La réunion extraordinaire des ministres européens de l'agriculture, le 5 octobre dernier, a été « une réunion pour rien », elle n'a abouti qu'à la demande d'un rapport de la Commission pour juin 2010. La mise en place d'une nouvelle régulation du marché après la disparition des quotas laitiers n'est pas à l'ordre du jour. De manière plus générale, c'est tout le secteur agricole qui pâtit des conséquences désastreuses du capitalisme.
L'Europe poursuit indéfectiblement sa route vers une plus grande libéralisation des échanges agricoles et l'absence d'une véritable politique des prix pour les producteurs. Comment donner aux citoyens européens le sentiment d'appartenir à une même communauté lorsque l'on soutient une concurrence aussi féroce entre les membres de cette même communauté ? Les institutions européennes doivent au contraire abandonner les mécanismes libéraux aujourd'hui en faillite, et d'abord la libre circulation des capitaux, le pacte de stabilité et la marchandisation de l'ensemble des activités humaines. Face à la crise il faut mettre en oeuvre un vrai bouclier social au plan européen, qui s'oppose aux plans de licenciement comme aux délocalisations, augmente les salaires, les minimas sociaux et les pensions. Il faut s'appuyer sur des services publics européens développés, soutenir une politique industrielle créatrice d'emplois de qualité et respectueuse de l'environnement.
A ce sujet, le sommet de Copenhague devra instaurer un cadre international de lutte contre le changement climatique et nous sommes très inquiets face à un possible échec de ce sommet en raison du refus possible des États-Unis de s'orienter résolument vers une économie décarbonnée, ce qui donnerait un signe très négatif à l'Inde ou à la Chine. Pour parvenir à un accord suffisamment ambitieux à Copenhague, les pays industrialisés devront prendre des engagements contraignants pour leurs économies, mais ils devront également apporter un soutien financier et technologique aux pays en voie de développement afin qu'ils puissent atteindre leurs propres objectifs et, cela, du fait de la responsabilité historique de ces pays industrialisés. A cet égard, l'Union européenne doit jouer un rôle essentiel. Elle doit également s'engager davantage dans la réduction d'émission de gaz à effet de serre et prévoir d'atteindre l'objectif de 30 % de réduction tout en créant une taxe carbone à ses frontières, pour éviter qu'au dumping social s'ajoute le dumping environnemental. Cependant, combattre sérieusement le réchauffement climatique et préparer une révolution énergétique, c'est avant tout s'attaquer aux logiques de rentabilité qui caractérisent le capitalisme financier mondialisé. Nous devons par exemple proscrire tout marché des « droits à polluer » et lutter contre les spéculations qui les accompagnent. Des politiques publiques fortes sont nécessaires pour réduire les émissions de CO2, par exemple dans le bâtiment ou les transports publics. Et enfin, il faut donner un caractère contraignant aux décisions de Copenhague, afin que les paroles, enfin, se transforment en actes. Parce que le bien commun de l'humanité qu'est notre planète ne peut attendre, nous ne pourrons nous satisfaire d'un simple contrat d'objectifs. (Applaudissements sur les bancs CRC-SPG. M. Pierre Fauchon applaudit aussi)
M. Yves Pozzo di Borgo. - La ratification probable du traité de Lisbonne par la République tchèque devrait permettre à l'Europe de sortir de l'ornière institutionnelle. Espérons que cela annonce la sortie de la crise économique. Hélas, si les États agissent chacun pour soi, le défaut de coopération entre les membres de la zone euro, notamment la France et l'Allemagne, menace l'euro lui-même. Les options stratégiques diffèrent des deux côtés du Rhin : là on baisse les prélèvements obligatoires, ici on s'apprête à lancer un grand emprunt. En Allemagne, malgré la baisse importante de la pression fiscale, les déficits publics mesurés par rapport au PIB devraient être deux fois inférieurs à ceux de la France en 2010 et 2011 : ce décrochage ne manque pas d'inquiéter.
Les Européens se sont concertés pour réagir dans l'urgence à la crise, mais ils ont accru leur déficit : vingt pays sur vingt-sept sont sous le coup d'une procédure pour déficit excessif de la Commission européenne. Il faut tracer les sentiers du retour vers l'équilibre, dans le cadre d'une stratégie commune.
Plus généralement, l'Union est à la croisée des chemins. Comme le demandait le Président de la République, l'Europe voudra-t-elle faire ou subir le XXIe siècle ? Quel président du Conseil européen voulons-nous, un arbitre ou un animateur susceptible d'entraîner l'Europe comme Jacques Delors ou Nicolas Sarkozy, et de lui donner une voix audible comme dans l'affaire géorgienne ? Sans leadership volontariste, l'Europe est condamnée à la cacophonie et au manque de crédibilité. J'assistais jeudi à une conférence sur l'architecture de sécurité européenne ; je suggérais à nos interlocuteurs russes la création d'un conseil Union européenne-Russie, à l'image du conseil Otan-Russie, mais cette idée leur a paru surréaliste ! Les mêmes questions se posent pour le futur Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune et ses services.
Il ne peut y avoir de politique étrangère sans politique de défense. Sur ce plan également, la France a donné un coup de fouet aux projets européens. Le retour de notre pays dans les structures de commandement intégré de l'Otan a rendu à nos plaidoyers en faveur de la défense européenne un accent de sincérité. Nous souhaitons que le processus de Corfou aboutisse bientôt à des résultats concrets. Cela seul nous évitera de nous laisser distancer par les États-Unis, dont l'avance s'est accentuée suite à la crise. Pourtant l'Europe a su développer une approche originale et efficace de la gestion des crises en coordonnant ses actions civiles et militaires : les opérations en Bosnie-Herzégovine et au large de la Somalie en sont l'illustration. Loin d'affaiblir l'Otan, la défense européenne sera complémentaire avec cette dernière si elle se spécialise dans la gestion des crises.
Où en sommes-nous ? Comme le remarquait le général Bentégeat, nos capacités militaires et de conduite des opérations ont récemment progressé : l'Europe dispose à présent de cinq quartiers généraux opérationnels. La mise en place d'un centre de commandement civil et militaire pourrait nous faire faire un immense pas en avant. La France est-elle favorable à ce que le dossier de la défense échoie au futur Haut représentant ? C'est un élément indispensable de la crédibilité de la politique internationale de l'Europe.
Il ne peut y avoir de puissance sans croissance durable. Défense et sécurité, croissance et compétitivité, énergie et climat : tout est lié. C'est pourquoi je vous propose de prendre de la hauteur, et de considérer l'Europe vue de l'espace. Le dossier spatial n'est pas à l'ordre du jour du prochain Conseil ; il condense pourtant tous les enjeux que je viens de mentionner. L'enjeu économique d'abord : face à la Chine ou à l'Inde, l'Europe ne tiendra son rang qu'en misant sur les nouvelles technologies ; or la recherche spatiale est essentielle au développement des industries de pointe, comme le sait bien M. Jacques Blanc. Pas moins de 600 produits issus de ce type de recherche fondent aujourd'hui notre compétitivité.
L'enjeu de défense ensuite : j'en veux pour preuve le système d'alerte avancée Spirale, le démonstrateur satellite Essaim et les progrès du renseignement électromagnétique.
L'enjeu de développement durable enfin : c'est grâce à l'espace que nous pourrons mieux maîtriser les énergies renouvelables, éolienne ou solaire. L'indépendance énergétique de l'Europe est à ce prix. Hier encore j'ai pu le vérifier en participant à une conférence sur le sujet.
Pourtant le budget de l'Agence spatiale européenne n'est que de 4,5 milliards de dollars, contre 17 milliards pour la Nasa, malgré leur égal niveau de compétitivité : nous sommes au coude à coude avec les Américains pour l'exploitation robotique de la planète Mars.
Il n'existe pas aujourd'hui d'arène politique où traiter de cette question. Si les Européens ne prennent pas les décisions qui s'imposent, d'autres le feront à leur place. C'est pourquoi je souhaite que la France oeuvre pour que ce dossier figure plus souvent à l'ordre du jour du Conseil européen. (Applaudissements à droite ; M. Pierre Fauchon applaudit aussi)
M. Roland Ries. - Nous sommes aujourd'hui réunis pour concourir à la définition de la position française lors du prochain Conseil européen. La situation économique de l'Europe sera bien évidemment à l'ordre du jour. Mais les discussions porteront principalement sur la mise en oeuvre du traité de Lisbonne et l'élaboration d'une position commune en vue de la conférence de Copenhague sur le changement climatique. Je vais m'efforcer d'exposer la position du groupe socialiste sur ces deux questions.
L'Union européenne fonctionne au ralenti depuis plusieurs mois. Les nouvelles institutions tardent à se mettre en place et le projet européen souffre d'une désaffection croissante, comme en témoigne le taux d'abstention de 55 % lors des dernières élections européennes. L'Europe de la dérégulation et de la sécurité a plusieurs longueurs d'avance sur l'Europe des droits sociaux et des libertés. Sur la scène internationale, l'Union a toutes les peines du monde à s'imposer, faute de vision commune. Aujourd'hui, elle a deux défis à relever.
Tout laisse à penser que le traité de Lisbonne entrera bientôt en application : l'Irlande et la Pologne l'ont ratifié début octobre, et le président tchèque M. Klaus a laissé entendre qu'il le signerait bientôt. Ce n'est pas la fin de tous nos problèmes, tant s'en faut. Les États membres devront encore s'accorder pour définir le rôle et les pouvoirs du président du Conseil européen, du Haut représentant pour les affaires étrangères et du président de la Commission, afin d'éviter redondances et contradictions. Ils devront également fixer les priorités de la politique européenne. La distribution des portefeuilles au sein de la future Commission pourrait être l'occasion de remettre à l'honneur la dimension sociale de l'Europe : les socialistes souhaitent que soit nommé un commissaire chargé spécifiquement des services publics.
En revanche, il conviendrait que les dossiers de l'immigration et de la sécurité ne soient plus réunis aux mains d'un même commissaire : il est désolant de voir la question de l'immigration réduite aux seuls problèmes de sécurité. L'accord en cours de négociation entre l'Europe et la Libye tend à faire renvoyer vers ce pays ses ressortissants qui ont tenté de pénétrer illégalement en Europe, ainsi que les migrants qui y ont transité : l'Union se défausse ainsi de ses responsabilités en sous-traitant la gestion de l'immigration illégale et en refusant de reconnaître la légitimité du droit d'asile. L'Europe doit enfin sortir d'une logique purement défensive et cesser de se considérer comme une forteresse assiégée : elle doit s'accepter comme terre d'immigration et d'accueil pour les réfugiés.
Le Conseil devra également adopter une position claire en vue du sommet de Copenhague : la tâche n'est pas mince. En décembre dernier, l'Union a adopté le plan énergie-climat ; mais au vu des nombreux blocages constatés ces derniers mois, notre déception est à la mesure de nos ambitions passées. Certes, la définition des objectifs à atteindre progresse pas à pas.
La décision du conseil des ministres de l'environnement de l'Union du 21 octobre dernier d'adopter l'objectif fixé par le Giec pour les pays industrialisés -réduire les émissions de gaz à effet de serre de 80 % au moins en 2050 par rapport à leur niveau en 1990- ne peut que nous satisfaire. Cependant, l'Europe pense encore la question environnementale de manière arithmétique -réduire les émissions dans le secteur des transports aériens de 10 % et dans le secteur maritime de 20 % pour 2020 par rapport à leur niveau en 2005- quand il conviendrait de l'articuler aux réalités sociales de chacun des États membres de l'Union et aux déséquilibres économiques mondiaux. La lutte contre le changement climatique va de pair avec la lutte contre la pauvreté, a souligné la Banque mondiale dans son dernier rapport. S'il est louable de fixer des objectifs chiffrés, encore faut-il apporter aux pays en développement, premières victimes du changement climatique, un soutien financier et technique suffisant pour leur permettre de participer à l'effort mondial de réduction des gaz à effet de serre. Or les États membres ne parviennent pas à s'accorder sur le montant de cette contribution financière car une seule question les préoccupe : la répartition de la charge financière...
L'Europe doit prendre ses responsabilités. Et quelle meilleure manière d'affirmer son leadership, sinon de proposer une assistance financière et technique suffisante aux pays en développement ? Alors que le Président des États-Unis ne peut pas afficher une position claire en vue du sommet de Copenhague à défaut d'avoir reçu l'aval du Congrès, l'Europe doit saisir la chance historique qui lui est faite de tenir le rôle de locomotive de ces négociations et faire en sorte que ce sommet ne se solde pas sur une simple déclaration de bonnes intentions. A cette heure, certains dirigeants de l'Union, dont le Président de la République, menacent déjà, en cas d'échec du sommet de Copenhague, de surtaxer les produits provenant de pays tiers peu regardants quant aux émissions de gaz à effet de serre. Si cette solution peut faire figure de recours, il faut trouver dans l'immédiat des méthodes moins comminatoires pour parvenir à un accord à Copenhague.
L'Europe a une lourde responsabilité, j'y insiste. Pour être entendue, elle doit parler d'une seule voix. Les pays développés doivent faire preuve d'une générosité suffisante envers les pays en développement pour sortir les négociations de l'impasse dans laquelle elles risquent de s'enliser. C'est ce message que la France doit faire entendre à l'occasion du Conseil européen et que l'Europe doit porter sur ces questions si sensibles pour l'avenir de notre planète ! (Applaudissements sur les bancs socialistes ; M. Jacques Mézard applaudit également)
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. - Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. - Je souhaite intervenir sur deux des six points à l'ordre du jour du prochain Conseil européen. Tout d'abord, les problèmes institutionnels liés à l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, après que les hérétiques auront tous abjuré leur coupable refus du dogme. Les « non » français et hollandais ont été contournés par un vote au Parlement, marquant le traité de Lisbonne d'un soupçon d'illégitimité qui le suivra toujours comme un défaut de naissance. Rien n'a été négligé, enfin, pour convaincre les Irlandais de revenir sur leur vote. La démocratie européenne est comme le crocodile : elle marche, mais la marche arrière lui est inconnue ! (Sourires)
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. - Il n'y a pas que le crocodile !
M. Jean-Pierre Chevènement. - Le traité de Lisbonne entre donc en vigueur vaille que vaille, les difficultés peuvent commencer... Un service diplomatique commun doit être créé sous l'autorité d'un Haut représentant qui n'a pas encore été désigné, non plus que le futur « président stable » du Conseil européen. On discerne déjà les conflits de compétences à venir entre ces deux personnalités d'abord, avec le président de la Commission ensuite. Ce dernier entendant préserver ses compétences acquises -le commerce, la politique de voisinage, l'élargissement-, le « président stable » devra conquérir ses pouvoirs, des pouvoirs que les textes ne lui donnent pas. Comment le Président de la République entend-il accommoder « ce mille-feuille » ? (Sourires) Comment pourrait-il imposer une « présidence forte » dès lors que ni l'Allemagne ni la Grande-Bretagne n'en veulent ? Plutôt qu'un homme politique de second ordre, un grand intellectuel comme Umberto Eco ferait mieux l'affaire. Et s'il faut un Français mondialement connu, je n'en vois qu'un : Zinedine Zidane ! (Sourires)
Revenons au service européen pour l'action extérieure. Quelles sont ses compétences dès lors que le traité de Lisbonne précise qu'elles « n'affecteront pas la base juridique existante, les responsabilités et les compétences de chaque État membre » ? A la bonne heure, nous voilà rassurés ! Ainsi, l'idée de partager notre siège de membre permanent du Conseil de sécurité avec l'Allemagne, évoquée par l'Institut Montaigne, n'est pas encore à l'ordre du jour... (M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État, le confirme) Elle serait, au reste, tout à fait contraire à l'organisation prévue dans les textes.
Cela dit, quelle sera l'activité du service commun pour l'action extérieure ? Outre que ses services géographiques ou thématiques feront doublon avec les services de la Commission et avec ceux du secrétariat général du Conseil, il passera essentiellement son temps à consulter le Conseil, la Commission, les États membres et, bien sûr, le Parlement comme le suggère le rapport d'Elmar Brok. Une cellule dédiée est déjà prévue à cet effet. Le service diplomatique commun pourra faire appel aux moyens du Conseil et de la Commission pour la traduction. Une chose est sûre : l'avenir des interprètes et des traducteurs est assuré dans la Babel européenne. C'est l'une des rares bonnes nouvelles pour l'emploi qui nous vienne de Bruxelles !
Quelle sera la composition de ce service ? Il sera formé de fonctionnaires issus de la Commission, du Conseil et des diplomaties nationales, nous dit-on. Quel sera le régime des primes ? La question est essentielle car il y a fort à craindre qu'on choisisse l'alignement sur le régime le plus favorisé. Comment nos diplomates nationaux qui, pour avoir choisi de servir l'État n'en sont pas moins hommes et femmes, pourront-ils résister à l'attrait de gratifications qui, pour une heure de TGV entre Paris et Bruxelles, doubleront leurs traitements ? M. Kouchner, que j'ai interrogé en commission à ce sujet, m'a assuré que le ministère des affaires étrangères garderait la haute main sur les nominations. Mais comment le pourra-t-il alors que les textes prévoient que le Haut représentant choisira son personnel et que les candidatures seront libres ? Enfin, comment la politique de ce service diplomatique commun n'entrera-t-elle pas en concurrence avec notre diplomatie ? Bref, ce mille-feuille d'autorités superposées et de bureaucraties concurrentes nous garantit conflits et blocages. Je suggère, pour sa prochaine mise en place, que l'on s'en tienne à une ambition minimale, au format le plus modeste et aux primes les plus réduites. Ce serait conforme à la récente décision de la Cour constitutionnelle allemande selon laquelle l'Europe, en l'absence de peuple européen, est une organisation internationale qui doit respecter la démocratie qui vit dans chacune des Nations qui la composent. Ne faites pas comme si l'Union européenne pouvait devenir une fédération. Cette ambition est depuis longtemps dépassée. Nous n'avons pas besoin d'une bureaucratie supplémentaire qui affaiblirait la diplomatie de la France dont M. Kouchner se flatte qu'elle soit encore la troisième du monde -et pourquoi pas la deuxième ? Nos diplomates, réduits à la portion congrue avec un budget des affaires étrangères toujours plus étriqué, ont d'ailleurs du mérite de soutenir cette réputation !
J'en viens au deuxième point : les suites données au G20. Il me paraît tout à fait prématuré d'évoquer les stratégies de sortie de crise et l'assainissement des finances publiques pour 2011, comme l'a fait le conseil des ministres de l'économie et des finances du 20 octobre. Chassez le naturel, il revient au galop : nos élites libérales n'ont décidément rien appris et rien oublié ! On ne peut pas à la fois se féliciter de la réactivité des pouvoirs publics à la crise et appuyer sur la pédale du frein comme le fait le commissaire à l'économie et tous ceux qui proposent un retour rapide à l'application stricte des critères de Maastricht.
Aujourd'hui rien n'est acquis, à commencer par l'assainissement financier du système bancaire. Celui-ci demeure extrêmement frileux dans ses prises de risques. Sans l'intervention des États, l'activité économique se serait effondrée. Les déséquilibres macro-économiques à l'origine de la crise n'ont pas disparu, bien au contraire. On a combattu une crise née de l'endettement privé avec de l'endettement public... De nouvelles tensions sont déjà perceptibles, notamment sur le marché des changes avec un euro qui a dépassé la barre de 1,50 dollar. L'Europe, et plus particulièrement la zone euro, est prise dans un étau entre la concurrence déloyale des pays à bas coût salarial, telle la Chine, et celle des États-Unis qui, laissant filer leur dollar, proposent des produits plus compétitifs. D'autant que cette politique monétaire contribue également à rendre les produits chinois moins coûteux puisque les États-Unis ont accepté le rétablissement d'un lien fixe entre le yuan et le dollar.
C'est une stratégie concertée et la France est prise en tenailles ! Que compte faire le Président de la République pour sortir la France de cet étau où elle a été placée par les politiques conjuguées de tous les gouvernements depuis vingt-cinq ans ? Il faut à mon sens inscrire les parités des principales monnaies dans des bandes de fluctuation tolérables sur le modèle des fourchettes instituées en 1985 par les accords du Louvre
Je ne suis pas hostile à un grand emprunt...
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Tant mieux !
M. Jean-Pierre Chevènement. - ...s'il est bien ciblé et privilégie les secteurs d'avenir. La mauvaise dette est celle qui finance les dépenses de fonctionnement, la bonne, celle qui soutient l'investissement dans les filières rentables pour l'avenir. Vous allez vous heurter aux frileux, aux ratiocineurs, aux éternels tenants de l'orthodoxie, toutes obédiences confondues, mais souvenez-vous que ce sont eux qui nous ont mis dans cette situation ! Après Maastricht, la dette a bondi, de 32 à 58 % entre 1992 et 1998, parce que nous nous sommes alors alignés sur les taux d'intérêt excessifs de la Bundesbank. Halte au suivisme ! Nous avons un taux de croissance supérieur à celui de l'Allemagne et il doit bien y avoir place pour une stratégie nationale au sein de l'Europe, n'en déplaise à M. Trichet.
Je déplore l'absence de vue à long terme et l'opportunisme déguisé en pragmatisme qui conduit à faire se succéder dans la précipitation les politiques contradictoires, au Conseil européen comme au G20. Il nous manque une réflexion stratégique qui privilégierait un nouveau modèle de développement, fondé sur une planification à long terme compensant la logique des marchés financiers. Que la France ne se laisse pas enfermer, au Conseil européen, dans des controverses biaisées et prématurées ; qu'elle élève le débat sur les vrais enjeux, car la crise n'est pas terminée et le temps du volontarisme inscrit dans la durée est devant nous, pas derrière nous. Avez-vous cette volonté politique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. Hugues Portelli. - Le Conseil européen a été introduit au début des années soixante-dix par Georges Pompidou dans les institutions européennes alors que cette instance ne figurait dans aucun traité. Or dans le traité de Lisbonne il figure en place essentielle. Il est devenu le lieu d'impulsion et de conception politique ; c'est là que l'Union européenne se pense et se construit. Lorsque le Conseil fonctionne bien, l'Union avance ; quand il ne fonctionne plus, elle est paralysée.
Le groupe UMP est totalement d'accord avec la politique du Gouvernement : il ne souhaite donc pas ergoter sur les sujets à l'ordre du jour du Conseil, la politique d'immigration ou la lutte contre la crise mondiale. Il a toute confiance dans le Président de la République pour représenter la France au Conseil européen.
Sur la mise en oeuvre du traité de Lisbonne, je veux souligner que le changement de point de vue du peuple irlandais n'est pas dû à une terrible pression sur lui ; mais, confronté à la crise mondiale, il a constaté que le salut vient de l'Europe, alors qu'il y a un an il pensait pouvoir s'en sortir seul. (« Très bien ! » et applaudissements au banc des commissions) Quant au président de la République tchèque, il est élu par le Parlement et n'a en lui-même aucune légitimité pour choisir de ratifier ou non. Le Parlement est seul compétent et ratifiera tôt ou tard, le président peut seulement retarder le processus mais n'a pas le choix.
Le traité de Lisbonne avait surtout pour but l'efficacité, après les dix années de paralysie qui ont suivi le traité de Nice. Dans le nouveau traité, les règles de majorité et la représentation des États à hauteur de leur poids permettent enfin d'avancer. Il ne s'agit pas d'un copier-coller du traité constitutionnel, car le nouveau texte n'en reprend pas toutes les considérations théologiques, il contient uniquement des dispositions de droit et de politique. Que nous importe en effet la nature juridique de l'Union, si elle existe et fonctionne ! Le traité clarifie les compétences de l'Union et des États et précise les compétences partagées. Le souci est d'enfin progresser dans des domaines où rien n'a été fait depuis dix ans. Je pense au programme de Stockholm et au programme antérieur, appliqué à seulement 50 %. Le traité vise à sélectionner des priorités : l'Europe ne doit pas s'occuper de tout, mais s'occuper intégralement de ses domaines de compétence.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. - Très bien.
M. Hugues Portelli. - Hélas elle n'a guère de marges budgétaires, comme le montrent les crises de la PAC et des autres politiques publiques ; elle ne peut donc travailler correctement.
Appliquer le traité de Lisbonne, c'est choisir le réalisme. Nous sommes une fédération d'États qui fonctionne de façon contraire à tout ce que nous avons appris. Normalement, on met d'abord en commun une monnaie, une diplomatie, une défense. En cinquante ans de construction européenne, on a mis en commun d'abord ce qui relevait des États membres ; et la monnaie commune ne regroupe encore que la moitié des partenaires. Il faut progresser sur ces trois volets et faire reculer le poids de la zone dollar au profit de l'euro.
Enfin, le traité de Lisbonne accorde plus d'importance aux parlements nationaux. A nous de nous emparer des compétences que le traité nous donne dans le suivi des politiques et le contrôle de l'exercice des compétences : suivi des projets de directives, contrôle de la subsidiarité, possibilité pour les parlements de saisir la Cour de justice.
Je le répète, nous faisons confiance au Président de la République pour nous représenter au prochain Conseil européen. (Applaudissements à droite ; M. Yves Pozzo di Borgo applaudit aussi)
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Je comprends les inquiétudes exprimées par M. Haenel sur le rapport Elmar Brok et sur une possible sujétion du service européen d'action extérieure au Parlement européen. Nous serons vigilants car un tel contrôle par le Parlement européen est pour nous à exclure ! Le Haut représentant est membre du Conseil, il représente les États et il est le vice-président de la Commission. Il coordonne l'action extérieure de l'Union, à ce jour dispersée entre les commissaires et les représentants de l'Union pour les négociations commerciales, l'aide au développement, la PESC.
L'usine à gaz, monsieur Chevènement, c'est la situation actuelle : les compétences de l'Union sont dispersées, chaque commissaire fait sa politique étrangère dans son coin. Le Haut représentant fera la jonction, en liaison avec la Commission, dont il sera vice-président, et en synergie avec les États. C'est un travail difficile mais passionnant.
S'agissant du climat, la question de la compensation pour les État membres qui n'ont pas consommé tous leurs crédits est en cours de négociation. Le développement du marché du carbone repose sur l'échange des quotas, avec pour objectif une baisse de 20 % des émissions. La France est l'un des rares États à avoir atteint et même dépassé les objectifs de Kyoto. Nous sommes très attentifs à la question de la clé de répartition entre détenteurs ; là encore, la négociation est en cours.
Monsieur Jacques Blanc, la présidence tournante concernera les conseils techniques ; les affaires internationales relèveront du président stable et du Haut représentant. Certains parlent avec ironie de « mille-feuilles » ; d'autres, comme M. Portelli, d'un système de confédération inédit, entre des États qui ont pris la difficile décision de partager leur souveraineté. Le choix des personnes colorera les fonctions de président et de Haut représentant. Aurons-nous un président fort ou un simple coordinateur ? Aux chefs d'État de trancher.
Pour nous, le Haut représentant sera un multiplicateur de puissance, non un concurrent de la diplomatie nationale. Toute frilosité me paraît contre-productive. La personnalité qui sera choisie, la taille du pays dont elle sera le ressortissant seront essentiels. Il s'agit d'une mission très importante et ambitieuse.
Sur les grands enjeux, nous avons besoin de l'Union : 500 millions d'Européens pèsent plus que 65 millions de Français ! Jamais nous n'aurions emporté seuls l'implantation d'Iter à Cadarache. Je suis aussi patriote que vous, monsieur Chevènement, mais je suis européen par intérêt !
M. Jean-Pierre Chevènement. - L'avenir tranchera.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - Nous verrons.
Le périmètre du service européen d'action extérieure sera ambitieux et englobera la politique de voisinage.
L'Union pour la Méditerranée (UPM) fait l'objet d'un suivi par mon cabinet, en liaison avec M. Guaino. Nicolas Sarkozy l'a dit dès son discours de Toulon en février 2007 : l'Afrique comptera bientôt deux milliards d'habitants ; il est impensable que l'Europe s'en désintéresse. Il faut une maison commune entre les 27 et le monde méditerranéen. Cette affaire est complexe, elle a été parasitée par Gaza, mais elle n'est pas morte : les sujets sont nombreux et les projets de développement concrets.
M. Ries a critiqué la politique de contrôle de l'immigration commune menée au niveau européen, qu'il s'agisse de l'harmonisation de la politique des visas ou de la protection de nos côtes. Écoutez donc le nouveau ministre grec des affaires européennes, qui est pourtant socialiste ! La Grèce est saturée de clandestins, au point que cela menace son équilibre interne. Elle a arrêté l'an dernier 150 000 clandestins, qui arrivent de Turquie par voie de mer, se déclarent réfugiés et se retrouvent ainsi dans l'espace Schengen.
« Il faut que l'Europe s'accepte comme terre d'accueil de tous les réfugiés », dites-vous. On parle ici de dizaines de millions de personnes ! Ce sont des centaines de milliers de clandestins qui rentrent chaque année en Europe, par la Grèce mais aussi Malte ou l'Italie. Tous les gouvernements méditerranéens reconnaissent l'urgence de la situation. Ce n'est pas être raciste ou xénophobe que de dire qu'il faut gérer et non subir l'immigration : des terres d'accueil comme le Canada, les États-Unis ou l'Australie ne font pas autrement.
Peut-on raisonnablement critiquer l'accord de réadmission avec la Lybie ou avec la Turquie ? Quant au soutien aux pays en voie de développement pour le climat, il représente 100 milliards d'euros ! Faut-il ne faire aucune distinction entre les grands pays émergents et ceux qui n'ont rien ? Les mêmes règles doivent-elles s'appliquer en matière de transferts d'argent et de technologies, indépendamment du niveau d'émission et du PNB ?
Sur la taxe carbone, vous parlez de « méthode comminatoire ». Mais qu'avez-vous d'autre à proposer ? D'une main, il y a la générosité, de l'autre, l'arme de dissuasion. Maire d'une grande ville, vous connaissez aussi bien les problèmes d'immigration que les problèmes de développement ! Sans règles communes, nous institutionnaliserions le dumping écologique.
M. Chevènement juge que le traité de Lisbonne est entaché d'un soupçon d'illégitimité. Mais l'assemblage de ceux qui ont dit non en France, à commencer par vos anciens amis politiques...
M. Jean-Pierre Chevènement. - 55 % des Français !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. - ... ne porte-t-il pas un soupçon d'incohérence ? Vous moquez MM. Zinédine Zidane ou Umberto Eco, mais, quand l'orage grondait, Chamberlain ou Laval se sont-ils mieux comportés que des amateurs ? Les garde-fous sont là. Je préfère un système collectif pour prendre des décisions en cas de crise. Heureusement que nous avions un cadre européen pour gérer la crise financière, ou la crise géorgienne ! Il y a dans notre histoire des gens qui auraient mieux fait de jouer au football...
S'agissant du Conseil de sécurité, nous avons fait des propositions, l'Allemagne les a refusées. Le système actuel n'est pas si mauvais, avec le Conseil de sécurité en charge des affaires politico-militaires et le nouveau G20 en charge des affaires économiques. Un mot sur les suites du G20. Nous ne servirons pas de monnaie de réserve gratuite ou d'alibi aux dévaluations compétitives permanentes du dollar et du yuan. Vous avez eu raison de dire que c'est la grande affaire des années qui viennent. Construisons d'abord une Union économique solide puis nous gérerons la compétition entre les monnaies.
M. Pozzo di Borgo a bien voulu rendre hommage aux efforts que je déploie pour faire partager notre volontarisme dans les affaires de défense. Le futur Haut représentant n'aura pas moins de compétences dans ce domaine que l'actuel, étant entendu que nous n'entendons pas communautariser les mécanismes militaires. Quant à l'espace, l'article 189 du traité de Lisbonne fixe comme objectif l'élaboration d'une politique spatiale européenne qui déboucherait sur un programme spatial européen. Dans ce domaine, le budget européen est le quart du budget américain, mais notre bilan n'est pas médiocre, qu'il s'agisse de Galileo, des applications militaires ou des satellites. Il faut certes que les financements suivent, comme l'a relevé M. Portelli, mais les compétences sont là.
Je respecte le droit de M. Billout de critiquer le traité et la politique européenne, mais je ne peux lui laisser dire que le verdict des peuples a été bafoué ou qu'il y a eu une parodie de démocratie. Il est piquant que le parti communiste se retrouve sur la même ligne que les adversaires irlandais du traité, les adversaires acharnés du droit à l'avortement ou les représentants de la droite la plus extrême. Il l'est encore davantage de constater, pour qui connaît un peu son Histoire, que M. Billout s'est senti obligé de venir au secours de M. Klaus en évoquant les Sudètes à la manière des extrémistes allemands...
Je remercie enfin M. Hérisson de son soutien, qui s'est interrogé : comment aider les collectivités territoriales à entrer dans l'économie verte ? Je rappelle l'existence des fonds structurels et des aides budgétaires de l'Union. Je souhaite que les collectivités territoriales déposent des dossiers en nombre. Nous travaillons avec le Premier ministre à améliorer leur consommation du milliard et demi d'euros que l'Union met à la disposition de la France. Deux parlementaires en mission ont été nommés, qui feront des propositions en ce sens. (Applaudissements au centre et à droite)
La séance, suspendue à 16 h 50, reprend à 17 heures.