Respect de la diversité linguistique (Résolution européenne)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission des affaires culturelles sur la proposition de résolution européenne, présentée au nom de la commission des affaires européennes en application de l'article 73 bis du Règlement par M. Hubert Haenel, sur le respect de la diversité linguistique dans le fonctionnement des institutions européennes.
Discussion générale
M. Jacques Legendre, rapporteur de la commission des affaires culturelles. - Il faut insister sur un point : la France n'est pas seule dans le combat en faveur de la diversité linguistique au sein de l'Union européenne. (M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, approuve) Les entorses au multilinguisme au sein des institutions communautaires suscitent la même exaspération chez nos partenaires allemands, italiens, espagnols... Cette proposition de résolution est l'occasion de réaffirmer que le respect du plurilinguisme est une affaire d'intérêt général européen. Je remercie chaleureusement la commission des affaires européennes et son président pour leur vigilance et leur détermination.
La tendance, lourde, à l'unilinguisme anglophone méconnait de fait la devise européenne d'« unité dans la diversité ». Comprendre le projet européen dans sa langue, c'est la condition sine qua non pour s'y reconnaître et y adhérer. Ce n'est pas en ignorant sa diversité linguistique et culturelle que l'Europe pourra légitimement espérer un jour parler d'une seule et même voix sur la scène internationale.
Parce que l'Union européenne est productrice de règles de droit qui leur sont directement opposables, les États membres et les citoyens européens doivent être en mesure d'en prendre connaissance dans leur langue.
De plus, le multilinguisme institutionnel répond à un besoin de transparence démocratique, ce qui suppose que les parlements nationaux, gardiens du respect de la subsidiarité au sein de l'Union européenne, soient en mesure de débattre, dans leur langue et dans des délais raisonnables, de tout document de travail communautaire susceptible de les renseigner sur le processus décisionnel européen.
M. Hubert Haenel. - C'est essentiel !
M. Jacques Legendre, rapporteur. - Or, cette proposition de résolution se fonde précisément sur deux entorses au multilinguisme qui empêche notre assemblée de suivre certaines affaires européennes. Ainsi, les rapports de progrès de la Commission européenne sur les pays candidats potentiels à l'entrée dans l'Union ne sont disponibles qu'en anglais. Or, l'Allemagne comme la France participent activement aux missions européennes de stabilisation dans ces pays, en y envoyant des soldats et des policiers. En outre, certains documents préparatoires à l'avant-projet de budget communautaire sont soit exclusivement disponibles en anglais, soit traduits systématiquement en retard. Le défaut de traduction de certains documents de travail de la Commission empêche ainsi les parlements nationaux de faire entendre leur voix dans le processus décisionnel européen sur des sujets d'une importance aussi aiguë que l'élargissement ou le budget communautaire, ce qui perpétue l'inconfortable impression d'un processus décisionnel à caractère bureaucratique ou limité aux seules enceintes intergouvernementales.
Le fonctionnement commode des institutions ou encore le coût prétendument exorbitant des services de traduction et d'interprétation sont régulièrement avancés pour excuser les nombreuses infractions au respect de la diversité linguistique. C'est pourquoi il convient d'écarter tout malentendu : le coût total de la traduction et de l'interprétation dans une Union à 23 langues officielles, toutes institutions confondues, ne représente que 2,20 euros par citoyen et par an.
Quant au fonctionnement commode des institutions, il ne saurait servir de prétexte à des discriminations fondées sur la langue. Ainsi, dans ses activités à caractère international, la Cnil doit se prononcer sur des documents presque exclusivement rédigés en anglais : pour la protection des données personnelles, c'est redoutable ! Par ailleurs, la Commission a encouragé les États membres à rendre multilingue l'accès sur leur territoire national au numéro européen d'appel d'urgence unique, le 112, mais elle a, de son côté, lancé un site d'information sur le 112 dont la page d'accueil était, au départ, uniquement disponible en anglais !
Néanmoins, malgré la persistance de ces infractions linguistiques, j'écarte toute fatalité. Mon rapport se veut autant à charge qu'à décharge, et c'est pourquoi je tiens à saluer les efforts des pouvoirs publics français pour tenter de rétablir un équilibre satisfaisant entre les langues, même si les difficultés demeurent encore et toujours très aiguës.
Le plan pluriannuel d'action pour le français en Europe, géré par l'Organisation internationale de la francophonie, a permis de développer une offre de formation au français en direction des fonctionnaires communautaires. Les moyens restent cependant très insuffisants et il convient de les augmenter rapidement pour répondre à une demande croissante d'apprentissage du français. La coopération bilatérale en matière de formation des fonctionnaires nationaux et européens doit être considérablement renforcée, en particulier avec les nouveaux entrants.
Je tiens également à saluer les efforts de la présidence française de l'Union. Le Conseil a ainsi adopté, les 20 et 21 novembre 2008, une résolution sur le multilinguisme afin de lancer une réflexion sur la mise en place d'un programme européen spécifique de soutien à la traduction. Il faut s'en réjouir car, selon les mots d'Umberto Eco, « la langue de l'Europe, c'est la traduction ».
Dans sa dernière communication sur le multilinguisme, la Commission insiste sur le nécessaire développement des compétences linguistiques des citoyens européens avec l'apprentissage obligatoire de deux langues étrangères. Auteur d'une recommandation du Conseil de l'Europe sur la diversification des compétences linguistiques des Européens, je me réjouis de cet engagement. La période récente ne peut cependant que nous encourager à la plus grande vigilance : au Royaume-Uni, le caractère obligatoire de l'apprentissage des langues étrangères a été supprimé au prétexte de la lutte contre l'absentéisme... Et cette obligation pourrait prochainement ne plus s'appliquer aux collèges en Italie !
Le texte proposé par la commission des affaires européennes va dans le bon sens car il rappelle que nous ne sommes pas seuls dans ce combat et qu'il en va de l'adhésion même de tous les citoyens au projet européen. Notre commission a choisi de le compléter sur certains points afin d'exhorter le Gouvernement à la plus grande vigilance dans la lutte contre les discriminations fondées sur la langue.
Tout d'abord, nous avons précisé en préambule que le respect du multilinguisme institutionnel conditionnait l'exercice effectif de la citoyenneté européenne, en garantissant à tous les ressortissants communautaires un droit égal d'accès à la réglementation européenne et de contrôle démocratique de ses institutions. Il a également été précisé que l'émergence d'un véritable espace public européen multilingue passe par le développement des compétences linguistiques des citoyens, notamment des fonctionnaires communautaires. A ce titre, la France se doit d'être exemplaire dans la mise en oeuvre de l'enseignement obligatoire d'au moins deux langues étrangères, comme nous l'avions dit dans deux rapports d'information en 1995 et en 2003.
En outre, votre commission a fait diverses propositions pour promouvoir le multilinguisme, notamment en encourageant la mise en place de mécanismes d'évaluation et de contrôle communautaires spécifiquement dédiés à la question du multilinguisme institutionnel et à la prévention des discriminations fondées sur la langue. Nous demandons donc au Gouvernement d'inviter les institutions communautaires à faire preuve de plus de discipline. Elles pourraient ainsi être appelées à rendre régulièrement compte devant le médiateur européen, dans le cadre de rapports annuels ou biannuels, de leurs efforts en faveur du multilinguisme institutionnel. Le Gouvernement doit exiger des institutions communautaires qu'elles clarifient les critères présidant à la traduction de certains de leurs documents de travail. Il s'agit de mieux prendre en compte la portée politique de ces documents en ne se limitant plus à de simples critères d'ordre formel, sans pour autant exclure les documents scientifiques ou techniques ayant un impact politique majeur, notamment en matière environnementale, comme l'a très justement rappelé notre collègue Marie-Christine Blandin.
Les parlements nationaux devraient disposer dans les meilleurs délais de toutes les informations nécessaires pour exercer efficacement leur mission de contrôle de l'action communautaire.
Les autorités communautaires, notamment la direction générale de l'élargissement de la Commission européenne, devront respecter le multilinguisme durant le processus d'élargissement. Les candidats à l'entrée dans l'Union européenne devraient, au minimum, pouvoir conduire leurs négociations d'adhésion dans la langue de leur choix parmi les langues de travail de la Commission européenne. Se limiter aux seules langues de travail de la Commission n'est sans doute pas encore complètement satisfaisant, en particulier pour les pays de langue latine. Mais rien ne saurait justifier que l'on se résigne à l'usage exclusif de l'anglais. Dans le cas de pays appartenant à la francophonie institutionnelle, comme la Roumanie ou la Bulgarie, ce serait inacceptable.
Enfin, notre engagement en faveur du multilinguisme institutionnel ne doit pas être interprété par nos partenaires comme un caprice franco-français. C'est pourquoi je souscris pleinement à la volonté exprimée par la commission des affaires européennes de voir la France et l'Allemagne se rapprocher dans ce combat. Néanmoins, afin de prévenir toute crispation chez nos partenaires européens, notamment nos alliés de langue latine, notre commission en appelle à un rapprochement plus large avec tous les gouvernements sensibles à l'avenir du multilinguisme en Europe.
Je vous propose donc d'adopter les conclusions de notre commission sur la proposition de résolution de la commission des affaires européennes afin d'envoyer un signal fort au Gouvernement et aux institutions communautaires en faveur du multilinguisme en Europe. Ce signal sera accueilli très favorablement, à n'en point douter, par l'ensemble de nos partenaires européens dont la langue est négligée dans le processus décisionnel communautaire. (Applaudissements)
M. Hubert Haenel. - Très bien !
Mme Bernadette Bourzai, au nom de la commission des affaires européennes. - Je veux tout d'abord remercier la commission des affaires culturelles et son rapporteur pour le travail accompli. A l'issue de ses travaux, la proposition de résolution de la commission des affaires européennes a été considérablement enrichie. Nos deux commissions ont ainsi oeuvré efficacement à la défense d'un principe, la diversité linguistique, qui est essentiel pour l'Europe que nous voulons bâtir.
Je rappellerai les conditions dans lesquelles notre commission des affaires européennes a été appelée à proposer au Sénat cette proposition de résolution : notre collègue Alex Türk, président de la Cnil, nous a alertés sur la composition d'un groupe d'experts sur la protection des données personnelles. Ce groupe était composé de cinq personnes qui, pour quatre d'entre elles, étaient issues soit de sociétés américaines, soit de cabinets d'avocats dont les principaux établissements sont également situés aux États-Unis.
La commission des affaires européennes a jugé inacceptable qu'un groupe d'experts ainsi composé puisse être chargé de formuler des propositions dans un domaine particulièrement sensible : elle a donc décidé de proposer au Sénat l'adoption d'une première proposition de résolution européenne.
Il s'agissait là de la première application de l'article 88-4 de la Constitution, tel qu'il résulte de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Nous pouvons désormais adopter des résolutions européennes sur des documents non législatifs émanant des institutions de l'Union européenne, même si ces derniers n'ont pas été transmis au Parlement. Avant la révision, la délégation pour l'Union européenne n'aurait pas pu déposer une proposition de résolution sur ce sujet car les seuls documents disponibles étaient un appel à candidatures en vue de mettre en place le groupe d'experts ainsi que le compte rendu de sa première réunion, documents de faible importance que le Gouvernement ne transmet pas aux assemblées.
Toujours est-il que la vigilance du président de la Cnil et de votre commission des affaires européennes a eu un résultat immédiat : le vice-président de la Commission européenne, Jacques Barrot, a décidé de dissoudre ce groupe d'experts !
Mais il y a un autre point soulevé par notre collègue Türk qui renvoie à notre débat d'aujourd'hui : l'appel à candidatures de la Commission européenne avait en effet prévu que la langue de travail de ce groupe d'experts serait l'anglais et que, au cas où les participants aux réunions s'entendraient pour ajouter d'autres langues de la Communauté pour les communications écrites et orales, la Commission européenne n'offrirait aucun service d'interprétation ou de traduction ! Une telle pratique est évidemment inacceptable. La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne proclame, dans son article 22, que l'Union respecte la diversité linguistique et interdit, dans son article 21, toute discrimination fondée sur la langue. Avec le traité de Lisbonne, cette Charte revêtira un caractère obligatoire et des procédures pourront être engagées sur son fondement.
Il est donc particulièrement choquant que la Commission européenne, qui devrait être la gardienne du multilinguisme dans le fonctionnement des institutions, fasse ainsi la promotion de l'unilinguisme ! C'est pourquoi nous demandons que la Commission européenne, lorsqu'elle met en place de tels groupes d'experts, veille au respect du multilinguisme. Dans le cas contraire, le gouvernement français devrait indiquer clairement qu'il ne pourrait que s'opposer à toute proposition de la Commission européenne qui ne serait pas élaborée à partir d'une réflexion conduite dans le respect de ce principe.
Pourquoi avons-nous jugé nécessaire de présenter une proposition de résolution sur le respect de la diversité linguistique ? M. Türk a attiré notre attention sur la généralisation de l'anglais dans les institutions européennes. Comment accepter qu'une conférence européenne sur la protection des données se fasse uniquement en anglais, sans aucune traduction ? Que la France doive assumer le coût des traductions dans le cadre de la procédure d'évaluation Schengen ? Dans un nombre croissant d'instances, de plus en plus de membres s'expriment en anglais, ce qui pose un sérieux problème au service de traduction... Pouvons-nous accepter que nos hauts fonctionnaires s'expriment en anglais dans des réunions européennes ? Les circulaires de 1994 et 2003 précisent pourtant qu'ils sont tenus d'employer le français !
M. Jacques Legendre, rapporteur. - Eh oui !
Mme Bernadette Bourzai, au nom de la commission des affaires européennes. - Monsieur le ministre, pouvez-vous rappeler au Sénat les consignes données à nos fonctionnaires qui représentent la France dans les instances européennes ? Les manquements sont-ils sanctionnés ?
Les documents juridiques sur lesquels la Cnil doit se prononcer sont désormais rédigés en anglais. En conséquence, les homologues anglais de la Cnil disposent d'un pouvoir d'arbitrage juridique exorbitant ! Comment admettre que les rapports de la Commission sur les pays candidats, adressés aux parlements nationaux, soient disponibles exclusivement en anglais ? Est-il acceptable que des documents budgétaires soient disponibles uniquement en anglais ? Le récent rapport de La Rosière sur la supervision financière dans l'Union européenne, sujet essentiel s'il en est, n'est disponible qu'en anglais !
Mais nous ne sommes pas seuls à rejeter l'unilinguisme. Le président du Bundestag a adressé au président du Sénat une motion adoptée à l'unanimité le 16 octobre 2008 sur la politique de l'Union européenne en matière de traduction, qui rappelle que le Bundestag a, à de multiples reprises, fait savoir à la Commission que la traduction intégrale de l'ensemble des documents de l'Union était une demande primordiale de l'Allemagne.
Nous devons agir de concert avec les autres États membres pour obtenir que la diversité linguistique soit effectivement respectée. L'Union européenne se fonde sur « l'unité dans la diversité ». Le multilinguisme est une richesse et non un fardeau ! La Charte des droits fondamentaux de l'Union proclame le respect de la diversité linguistique et interdit toute discrimination fondée sur la langue. Nous en sommes loin. Il est urgent d'agir pour que l'Europe réponde aux aspirations de nos peuples. En adoptant cette proposition de résolution, le Sénat dira clairement qu'il juge cette dérive inacceptable et demandera au Gouvernement de mettre en oeuvre tous les moyens pour faire vivre la diversité linguistique. (Applaudissements)
Mme Claudine Lepage. - « L'unité dans la diversité », telle est la devise de l'Europe. La construction européenne a toujours veillé à respecter tant la diversité des cultures que les langues de chaque État membre. Le premier règlement communautaire de 1958 fixant le régime linguistique de l'Union européenne proclame le principe d'égalité des langues. Ainsi l'Union compte-t-elle aujourd'hui 23 langues officielles et de travail.
Beau principe que ce multilinguisme institutionnel, mais la réalité est tout autre, en dépit de l'adoption de la Charte des droits fondamentaux de l'Union ou du code de conduite du multilinguisme. On ne peut que regretter l'hégémonie croissante de l'anglais, au détriment du français ou de l'allemand.
Nous devons en premier lieu inciter les institutions européennes à respecter leurs obligations linguistiques. A cet égard, un rapprochement avec les pays dont la langue officielle est négligée est essentiel. Nous devons développer un partenariat dans le domaine de la formation des fonctionnaires nationaux et européens, ces derniers étant fortement incités à s'exprimer en anglais. L'obstacle est avant tout budgétaire, sachant que le Parlement européen consacre un tiers de son budget à la traduction et à l'interprétariat...
Je salue l'action franco-allemande demandant la maîtrise d'une seconde langue pour l'accès aux postes à responsabilité des fonctionnaires européens.
M. Hubert Haenel. - C'est bien.
Mme Claudine Lepage. - La formation linguistique des fonctionnaires et responsables européens est un enjeu majeur. A cet égard, le plan pluriannuel d'action pour le français en Europe, signé dès 2002 avec la Belgique, le Luxembourg et l'Organisation internationale de la francophonie, auquel seize pays sont associés, est très positif.
Cette formation pourrait être confiée à notre réseau d'établissements culturels à l'étranger, dont les moyens sont malheureusement en baisse, de 15 à 30 % selon les pays. Cette baisse devrait s'accentuer en 2010 et 2011 ; 113 instituts culturels ont été fermés en Europe ces dernières années. Pourtant, nous n'avons d'autre choix que d'investir massivement dans notre offre de formation, d'autant que les instituts Goethe ou Cervantès ont vu, eux, leurs subventions augmenter. Sa nécessaire restructuration ne doit pas servir d'alibi pour brader notre réseau culturel, véritable « soft power » -si je puis m'exprimer ainsi- de notre diplomatie.
La réforme annoncée de l'action culturelle extérieure suscite déjà de grandes inquiétudes. Pour inciter à la pratique de notre langue, il faut savoir donner l'envie de la culture française. Seuls 6 % des élèves scolarisés apprennent le français : c'est une baisse de trois points en moins de dix ans. Le français est de plus en plus fréquemment enseigné en troisième langue, après l'anglais et une langue régionale, comme le catalan, voire après le latin en Bavière !
L'objectif de Barcelone de promouvoir l'enseignement d'au moins deux langues étrangères est loin d'être atteint : l'Italie pourrait reprendre sa réforme encourageant l'apprentissage exclusif de l'anglais, ajournée en 2005 à la suite des avertissements de la Commission européenne, et au Royaume-Uni, l'étude des langues étrangères n'est même plus obligatoire au lycée ! La mise en oeuvre effective de l'objectif de Barcelone 2002 demeure une priorité. Dans ce domaine, la France se doit d'être exemplaire.
Comment attendre une bonne connaissance de notre langue si nous-mêmes ne faisons pas l'effort de nous exprimer aussi dans une autre langue européenne que l'anglais ?
M. Hubert Haenel. - Très bien !
Mme Claudine Lepage. - Déjà en 1994 et 2003, les rapports de notre collègue Legendre exprimaient une vive inquiétude face aux enjeux relatifs à l'apprentissage des langues étrangères dans un environnement mondialisé. Cette inquiétude n'est pas dissipée.
Cela nous incite à mener une réflexion sur la pédagogie des langues en France. Dans le système éducatif français, seulement 10 % de l'emploi du temps des élèves est consacré aux langues contre un quart de l'emploi du temps d'un élève allemand. L'apprentissage le plus précoce possible est également absolument nécessaire. Les progrès dans ce domaine, depuis les dernières années avec l'initiation obligatoire d'une langue dès le primaire, restent encore insuffisants. Dans certains pays, les professeurs de langues de collèges et lycées doivent faire une partie de leurs études à l'étranger ; en France, aucune obligation comparable.
Le rapport d'information de la commission des affaires culturelles de fin 2003 préconisait le recours à des professeurs étrangers ou à des assistants étrangers, formés spécifiquement aux programmes français. Certes, l'apprentissage des structures grammaticales et lexicales peut être dispensé par un professeur non natif, mais qui mieux qu'un natif peut enseigner parfaitement le mode de pensée et d'expression propre à chaque langue ainsi que les codes interculturels de communication non verbale ? Si la langue est, en premier lieu, un outil de communication, elle doit aussi être le vecteur d'une culture.
Le groupe socialiste soutiendra cette résolution même s'il aurait souhaité un texte plus contraignant, comparable à celui qui a été adopté par le Bundestag le 18 juin 2008. C'est le sens des amendements que nous avons déposés. (Applaudissements à gauche et sur le banc de la commission)
M. Jack Ralite. - Le président Legendre a bien analysé la dérive que connaît la politique du multilinguisme dans le fonctionnement des institutions européennes. Je n'y reviendrai pas, sauf pour donner notre accord avec ses conclusions enrichies par la commission des affaires culturelles. Je souhaite plutôt insister sur les conséquences que cela a dans la vie démocratique des institutions européennes.
Au préalable, je ne peux taire les béances de notre politique culturelle à l'étranger. Je ne peux passer sous silence la désinvolture avec laquelle est utilisée notre langue, y compris au faîte de l'État où l'on confond la bravoure politique du « dire-vrai » avec le « parler cash ». Je ne peux ignorer que, dans les grandes entreprises, les réunions des hauts cadres se tiennent obligatoirement en anglais même s'ils sont français. Je ne peux esquiver le référent gouvernemental au seul classement de Shanghai pour les universités, qui est en anglais, comme la majorité des publications scientifiques. Il y a du souci à se faire devant une telle désharmonie dans les paroles, les écrits et les pratiques.
Mme de Chartres, dans La Princesse de Clèves, nous livre la pédagogie : « ne craignez point de prendre des partis trop rudes et trop difficiles, quelque affreux qu'ils vous paraissent d'abord : ils seront plus doux dans les suites que les malheurs d'une galanterie ». Aujourd'hui, on dirait d'une démagogie.
Julien Gracq avait l'art d'augmenter les têtes. Ce rechargeur de vie, ce grand intercesseur demeure une des plus belles munitions pacifiques de la vie internationale. En voici une : « Outre leur langue maternelle, les collégiens apprenaient jadis une seule langue, le latin, moins une langue morte que le stimulus artistique incomparable d'une langue filtrée par une littérature. Ils apprennent aujourd'hui l'anglais, (...) comme un esperanto qui a réussi, (...) comme le chemin le plus commode de la communication triviale, comme un ouvre-boîte, un passe-partout universel. Grand écart qui ne peut pas être sans conséquences ».
Lors de son audition, le président du British Council notait qu'en Grande-Bretagne, on était si sûr que sa langue était devenue universelle, qu'elle régressait dans ses formes et rétrécissait l'apprentissage des langues étrangères. Quant au président du Goethe Institut, il notait qu'outre-Rhin, cela mettait en cause l'apprentissage d'une deuxième langue.
A Bruxelles, il y a 22 000 fonctionnaires et 17 000 lobbyistes. Ces derniers parlent américain, avec un vocabulaire restreint sans respiration, enfermé dans les processus financiers et gestionnaires. La revue Quaderni du printemps 2007 nous en a donné un riche abécédaire : « adaptation, compétitivité, dégraisser, employabilité, excellence, flexibilité, fracture, France d'en bas, management, mobilité, mutation, proximité, sensible (comme quartier ou question), zéro, marque, obligation de résultats, performances, évaluation, gouvernance, parachute doré, stock-options, actions gratuites... ». Ces mots manipulent, corrompent les rapports sociaux, ont acquis la valeur d'une évidence proche du prétendu bon sens populaire. Ils sont source de consensus mous parce qu'ils court-circuitent sur tout sujet l'idée même de conflit, de contradiction dont on puisse discuter. Ce vocabulaire est une naturalisation de la mainmise sur le principe de réalité, de fatalisation des avancées technologiques, inventées par les hommes pour s'en servir mais qui se servent des hommes pour en servir quelques-uns. Les dominés sont victimisés, il n'y a pas de cause à leur état. Ces mots sont des commodités des puissants. Il y a une désubstantialisation de la langue et des rapports qu'elle implique ou qu'elle crée. Au lieu de s'ouvrir à l'intuition d'autrui, elle tire les volets sur la pensée complexe.
Je suis de banlieue, où l'on renverse ces mots. Des élèves du collège Rosa Luxembourg à Aubervilliers ont silhouetté une société où l'on décide enfin de regarder un individu pour ce qu'il est, non pour ce que l'on croit qu'il est. La banlieue ajoute des mots venus des langues d'ailleurs qu'on ne peut plus méconnaître.
Le grand helléniste Jean-Pierre Vernant a dit : « pas d'homme sans outillage, mais pas d'homme non plus, à côté des outils et techniques, sans langage ». Les mots sont des domaines extraordinaires dont on voudrait que pas un être ne fût orphelin, y compris les guichetières. « Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger, se prolonger dans et par lui. Demeurer enclos dans son identité, c'est se perdre. On se connaît, on se construit par le contact, l'échange avec l'autre. Entre les rives du même et de l'autre, l'homme est un pont ». Jean-Pierre Vernant portait là à son extrême intensité le rôle de la langue. Albert Camus avait déjà dit : « mal nommer les choses c'est ajouter au malheur du monde ». La vie se tricote avec des mots et il ne s'agit pas d'en avoir peu, comme un vocabulaire Smic, mais d'en avoir abondance, comme un bouquet composé des fleurs du pays et du monde. Cette idée milite pour le pluralisme linguistique qui ne doit pas considérer qu'il y a des petites langues et qui est garant des échanges entre citoyens et citoyennes, entre institutions, parlements, gouvernements, associations, syndicats, ONG, artistes, entreprises.
Parlant ainsi, je considère toutes les pratiques relationnelles humaines, et pas seulement celles des affaires. On constate à quels hiatus sociaux le laisser-faire en faveur de la communication en basic english peut conduire. Contradictoirement, nombre d'auteurs étrangers écrivent en français. Ainsi, les prix littéraires 2008 : le Goncourt à Atiq Rahimi, le Renaudot à Tierno Monembo, le prix Théophile Gauthier de l'Académie Française à Seymus Dagtekin. Le Goncourt explique : « Je ne voulais pas présenter la femme afghane comme un objet caché sans corps ni identité. Je souhaitais qu'elle apparaisse comme toutes les autres femmes emplies de désirs, de plaisirs, de blessures. Le français m'a donné cette liberté ». La romancière danoise Pia Petersen ajoute : « Le français ne fige jamais le sens interne. En cela, il reflète bien la mentalité d'un peuple toujours enclin à contester, interroger, réagir. Une langue indocile, c'est toujours attirant pour un écrivain ». Tant d'autres fouillent cette analyse : Hector Bianciotti, Eduardo Manet, Andrei Makine, Anne Weber, Ying Chen. La situation n'est pas perdue mais le cynisme, la désinvolture, le désengagement règnent.
Réagir est une obligation de responsabilité. Nous sommes parlementaires, femmes et hommes de la parole, nous sommes législateurs ; il nous faut garantir pour penser, créer, partager, disputer, coopérer, vivre vrai ensemble et durablement. (Applaudissements)
M. Louis Duvernois. - Depuis le 1er janvier 2007, l'Union européenne compte 23 langues officielles. Les institutions consacrent le principe du multilinguisme au nom de l'égalité des langues. Mais son application varie car le satisfaire pleinement nécessiterait des moyens financiers et humains considérables.
Le rapport du président Legendre dresse un panorama complet des pratiques des différentes institutions, qui montre une volonté de respect du multilinguisme mais avec des assouplissements concernant les documents et réunions préparatoires. L'anglais, le français et l'allemand se sont imposés comme langues de travail. Au début de la construction européenne, des raisons objectives ont conféré au français une place privilégiée.
La première était l'emplacement géographique des principales institutions, à Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg, trois villes francophones. D'où l'importance du personnel francophone dans les sièges. Ensuite, le français était la langue officielle de trois des six pays fondateurs -France, Luxembourg et Belgique. Enfin, le français a toujours rempli la fonction de langue du droit de l'Union européenne.
Notre langue est demeurée majoritaire dans la communication interne communautaire jusqu'au début des années 1990 mais l'élargissement à l'Autriche, la Finlande et la Suède a marqué une rupture principalement à cause de l'usage courant de l'anglais dans les pays nordiques. Cette tendance n'a fait que s'accentuer depuis et le français ne cesse de reculer au profit de l'anglais. L'un des principaux indicateurs des usages linguistiques dans la pratique quotidienne des institutions européennes est celui de la langue utilisée pour la première rédaction des textes produits. En sept ans, de 1997 à 2004, on est passé, au niveau de la Commission, de 40 % de documents rédigés en français à seulement 26 %, tandis que pour les documents en anglais, la tendance était inverse avec 45 % en 1997 et 62 % en 2004. Cette évolution de l'anglais se fait principalement au détriment du français et de l'allemand. L'Union européenne suit ainsi une tendance lourde à l'unilinguisme.
Depuis une cinquantaine d'années, l'influence de l'anglais ne cesse de croître du fait de la mondialisation et du poids économique des États-Unis. Des pans entiers d'activités sont régis par l'anglais, comme l'informatique, les télécommunications, ou l'aviation civile. L'anglais est également la langue la plus fréquemment utilisée dans les rencontres internationales. Il n'est donc pas étonnant de retrouver cette suprématie au coeur même des institutions européennes. Le rapport donne des exemples alarmants de l'unilinguisme institutionnel : plus de la moitié du contenu mis en ligne est exclusivement disponible en anglais. Par conséquent, l'accès direct à l'information n'est pas accordé à tout citoyen. On constate des problèmes de traduction ou des retards de transmission en matière budgétaire. Ou encore, on a pu voir l'anglais s'imposer comme langue unique dans les négociations d'adhésion des pays de l'Europe centrale et orientale. L'engagement en faveur de la diversité culturelle et linguistique est pourtant inhérent au projet européen et cette diversité est protégée par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Des solidarités se sont nouées entre pays européens afin de promouvoir la diversité linguistique. En janvier 2002, pour tenter d'enrayer le recul important de notre langue, un « Plan pluriannuel d'action pour le français »a été signé entre la France, la communauté française de Belgique, le Luxembourg et l'Organisation internationale de la francophonie. Ce plan comporte notamment un important volet de formation. Des cours de français sont offerts à des diplomates et fonctionnaires des nouveaux pays membres ainsi qu'à des fonctionnaires des institutions européennes, des interprètes, des traducteurs, des journalistes et des juristes. En 2006, ce plan a permis de former près de 11 000 fonctionnaires, notamment des nouveaux États membres. Le nombre de pays bénéficiaires est passé de 10 à 24. Le bilan est donc très positif.
En 2002, les chefs d'État et de gouvernement, réunis en Conseil européen à Barcelone, sont convenus qu'au moins deux langues étrangères devraient être enseignées dès le plus jeune âge dans les pays de l'Union. De cette manière, le français pourrait devenir « la première deuxième langue étrangère enseignée ». A l'heure actuelle, seuls 6 pays sur 25 ont adopté cette politique et il faudrait, comme le propose le rapport, interroger nos partenaires européens sur la mise en oeuvre effective de l'objectif de Barcelone.
La défense de la langue française est malheureusement trop souvent assimilée à un réflexe identitaire et à l'expression du conservatisme.
M. Jacques Legendre, rapporteur. - Hélas !
M. Louis Duvernois. - Notre langue a connu un rayonnement important en Europe, s'imposant comme la langue de la culture, de la diplomatie et du droit, ce qui légitime que nous veillions à son respect. Mais promouvoir le français au sein des institutions européennes, c'est avant tout agir contre l'uniformisation culturelle et linguistique. Notre groupe soutient ce combat et votera évidemment cette proposition de résolution. (Applaudissements)
Mme Anne-Marie Escoffier. - Notre collègue Alex Türk s'est ému que l'anglais soit employé à 98 % dans les institutions européennes, observation relevée par Hubert Haenel pour faire naître, opportunément, cette proposition de résolution.
Loin de moi l'idée de faire entrer en compétition la langue de Goethe avec celle de Du Bellay, si joliment attaché à son « petit Liré », celle de Dante ou celle de Shakespeare. J'ai fait trop de versions et de thèmes pour ne pas mesurer la richesse de nos langues. Dès lors, comment ne pas m'émouvoir de cette propension à l'unilinguisme, quel qu'il soit, qui voudrait imposer à la « jeune Europe » le monopole absolu d'une langue unique pour tous ? C'est le moyen le plus sûr de compromettre l'esprit même de l'Europe puisque c'est l'ensemble de ses différences qui, seul, peut faire la force du vieux continent, résorber ses antagonismes et harmoniser ses contraires.
L'unilinguisme est une sorte de fuite en avant dans laquelle sont gommées les fécondes différences qui font la richesse des peuples, au profit d'un pragmatisme linguistique réducteur. Pour s'en convaincre, il n'est que d'observer cette nouvelle religion de la consommation de masse à laquelle notre société s'est convertie, avec son long cortège de productions planétaires, qu'il s'agisse de cinéma, de littérature, de nourriture, de mode, de moeurs et, même, d'idées.
Je n'en veux pas plus à l'anglais d'avoir pris la première place qu'à toute autre langue qui aurait eu la même ambition. Je n'ai pas davantage la nostalgie de ce temps où le Congrès de Vienne s'exprimait exclusivement en français. Je note d'ailleurs que notre République a renvoyé au passé le décret Barère interdisant l'usage des langues régionales, pour faire entrer à l'université, dans les années 1981-1982 le breton, le basque, l'occitan, le créole... Devrions-nous accepter dans l'Europe d'aujourd'hui ce que nous avons rejeté dans la France d'il y a un quart de siècle ?
La pluralité linguistique européenne, avec pour corollaire l'égalité des langues, a été inscrite dans tous les textes fondateurs. Le respect de la diversité linguistique y est clairement posé et toute discrimination fondée sur la langue est interdite. L'excellent rapport souligne la dérive progressive du multilinguisme vers un unilinguisme anglais. Il faut donc faire respecter les principes fondateurs. Le Bundestag allemand s'est alarmé de la situation et a adopté en octobre 2008, à l'unanimité, une motion sur la pratique de l'Union en matière de traduction. En passant de 15 à 27 membres et de 11 à 23 langues officielles, le nombre de combinaisons linguistiques bilatérales est passé de 110 à 506 et, de 2003 à 2008, pour la Commission, le coût de la traduction a augmenté de 20 % et celui de l'interprétation de 37 %. Si ces dépenses doivent être maîtrisées, elles sont relativement modestes -2,20 euros par an et par citoyen- et ne doivent donc pas contrecarrer les efforts faits en faveur du multilinguisme.
Je ne peux qu'approuver la proposition d'enseigner deux langues étrangères, une première dès l'école primaire, une deuxième, voire une troisième, dans le secondaire. Avec Jacqueline de Romilly je regrette la place modeste faite aux langues dites « mortes », latin et grec, pourtant piliers de notre culture occidentale. Mais je salue la volonté de donner à l'enseignement de langues étrangères un nouveau souffle et des méthodes moins littéraires et plus pragmatiques.
Quel que soit l'intérêt de la littérature étrangère classique, la langue véhiculaire est centrée sur la vie courante. Ces nouveaux modes d'apprentissage ressemblent à ce que souhaitait l'inventeur de l'esperanto et de la méthode Assimil. Peut-être connaissait-il la phrase de Charles Quint, qui dit un jour au Titien : « Je parle allemand à mon cheval, espagnol à Dieu, français aux hommes et italien aux dames. » (On se montre admiratif au banc des commissions) Voilà le patrimoine culturel de l'Europe qu'il nous faut préserver. Le multiple est au service de l'unité : telle est la conviction du groupe RDSE qui votera cette résolution.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. - C'est la conviction du Sénat tout entier !
M. le président. - Au nom du Sénat, je remercie M. le ministre d'avoir fait en sorte d'assister à la discussion de ce projet de résolution.
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. - Tout a été dit et je viens trop tard : les intervenants successifs ont tous souligné l'importance de la diversité linguistique en Europe. Je remercie M. Legendre d'avoir déposé ce projet de résolution.
La question du multilinguisme est avant tout une question de respect, à l'égard des règles européennes d'abord : le règlement du 15 avril 1958 dispose que le français est une des langues officielles et de travail des communautés européennes et impose l'égalité de traitement entre toutes les langues officielles. De même qu'il n'y a pas de grands et de petits États en Europe, il n'y a pas de grandes et de petites langues.
C'est aussi le respect de l'identité européenne qui est en jeu. L'Europe se caractérise par la diversité de ses territoires, de ses paysages, de ses hommes et de ses femmes, mais aussi de ses langues, contrairement à d'autres continents plus uniformes.
Je pense aussi au respect des intérêts français, car la langue est un vecteur d'influence. Nous ne défendons pas seulement notre point de vue par nos actions et nos décisions mais aussi par la pratique de notre langue qui véhicule une représentation mentale du monde.
Or la réalité est assez loin de ce que nous pourrions souhaiter. La pratique des langues dans les milieux diplomatiques internationaux et européens diminue rapidement au seul profit de l'anglais. Cela peut s'expliquer par une certaine paresse intellectuelle, une certaine nonchalance et par la puissance du modèle culturel anglo-saxon.
Mais cette évolution n'est pas une fatalité, et la proposition de M. Legendre montre que nous pouvons réagir.
Certaines solutions sont praticables, d'autres le sont moins. J'ai longtemps rêvé d'une sorte de Pentecôte européenne où l'Esprit-Saint communiquerait instantanément le don des langues à tous les Européens. Mais cette solution n'est guère envisageable dans ce temple républicain qu'est le Sénat... (Sourires)
Les chefs d'État disposent d'interprètes qui les suivent comme leur ombre et traduisent les propos de leurs homologues. J'ai pu le constater lors des Conseils européens où M. Sarkozy, Mme Merkel et M. Brown s'isolent parfois avec leurs interprètes pour régler un point litigieux : chacun parle dans sa propre langue et les interprètes traduisent. Mais les 490 millions de citoyens européens n'ont pas cette chance...
Seule la volonté politique peut nous faire avancer, et la résolution de M. Legendre porte bien son nom. Plusieurs pistes méritent d'être explorées. Il nous faut d'abord balayer devant notre porte : nos fonctionnaires à Bruxelles doivent veiller à ce que le français reste bien une langue de travail de l'Union. C'est bien le moins que les réglementations européennes soient respectées au sein des institutions de l'Union !
Nous devons également renforcer notre contrôle et lutter contre la dérive qui consiste à privilégier l'anglais, notamment au sein de la Commission. Celle-ci est la gardienne des traités et doit respecter leurs dispositions.
Nous pouvons également collaborer avec d'autres pays qui s'inquiètent de la disparition de multilinguisme, notamment l'Allemagne. N'oublions pas cependant que les Allemands rechignent parfois à défendre notre langue et considèrent que le français et l'allemand doivent être défendus ensemble ou pas du tout : raison de plus d'agir ensemble.
Enfin, on ne peut défendre le plurilinguisme si l'on ne parle pas soi-même plusieurs langues. Telle est la grande faiblesse de la position française : nos fonctionnaires et nos ressortissants maîtrisent mal les langues étrangères. Les Allemands m'ont souvent dit que l'on pourrait parler de la défense du plurilinguisme le jour où un ou deux ministres français parleraient l'allemand...
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. - Il y en a au moins un aujourd'hui !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. - Sans doute davantage. Mais lorsque l'ensemble des fonctionnaires et des responsables politiques français parleront bien aussi l'anglais, nous serons plus crédibles pour défendre la diversité des langues. (Marques d'approbation au banc des commissions)
Je citerai pour finir une phrase de Pascal, dont je me suis souvent inspiré, non pour me conformer à ce qu'il condamne mais pour en prendre le contrepied : « Ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. » La cause du multilinguisme est juste, faisons qu'elle soit forte. (Applaudissements)
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes - Très bien !
La discussion générale est close.
Discussion du texte de la commission
M. le président. - Amendement n°1 rectifié, présenté par Mme Bourzai et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Après le dix-septième alinéa, insérer un alinéa ainsi rédigé :
? réviser et renforcer leur politique de traduction et d'interprétation en y impliquant les États membres ;
Mme Bernadette Bourzai. - A l'instar de la motion adoptée par le Bundestag allemand, la résolution française doit préciser que les politiques actuelles de traduction et d'interprétation, manifestement inadaptées, doivent être révisées avec la participation de l'ensemble des États membres.
M. Jacques Legendre, rapporteur. - Mme Bourzai a tout à fait raison d'insister sur le rôle de la traduction. Il y a actuellement un débat au sein de l'Union : certains considèrent que les traductions coûtent trop cher. Nous pensons au contraire que la traduction est la langue de l'Europe et qu'il faut poursuivre nos efforts. La révision promise pour 2008 par la Commission européenne se fait attendre, rappelons lui que les promesses doivent être tenues. Avis favorable.
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. - Avis tout à fait favorable.
L'amendement n°1 rectifié est adopté.
M. le président. - Amendement n°2 rectifié, présenté par Mme Bourzai et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Après le dix-huitième alinéa, insérer un alinéa ainsi rédigé :
? présenter distinctement, dans le cadre de la procédure budgétaire, les moyens affectés à la traduction et l'interprétation ;
Mme Claudine Lepage. - Comme le Bundestag allemand, nous devons insister pour que les moyens affectés à la politique d'interprétation et de traduction apparaissent au sein du budget et des documents budgétaires.
M. Jacques Legendre, rapporteur. - Avis tout à fait favorable. Cela rendra nos efforts plus visibles.
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. - Favorable également.
L'amendement n°2 rectifié est adopté.
Interventions sur l'ensemble
Mme Catherine Morin-Desailly. - Le groupe de l'Union centriste apporte son soutien au projet de résolution tel qu'amendé. Il est bon de réaffirmer, à la veille des élections européennes, le projet constitutif de l'Union européenne.
M. Ivan Renar. - Notre vote n'aura de valeur que s'il est suivi d'un passage à l'acte. La traduction et l'interprétation n'ont pas de prix, elles ont un coût, comme la démocratie -dans laquelle on finance les partis politiques et l'on rémunère les élus. « La preuve du pudding, c'est qu'on le mange », disait un philosophe anglais. Il serait bon de nous retrouver à la rentrée prochaine pour faire le point après les élections européennes, en nous appuyant sur les députés européens pour faire avancer les choses. (M. le président Haenel applaudit)
Mme Maryvonne Blondin. - Je veux saluer la qualité des interventions, dignes de notre belle langue française. Je suis votre représentante au Conseil de l'Europe ainsi qu'à l'Union de l'Europe occidentale (UEO) : je suis angliciste de formation et de métier, pourtant je m'y exprime en français, certes pas dans les couloirs et les échanges informels mais chaque fois que, dans l'hémicycle, je porte la parole de la France. Je salue aussi l'effort de formation consenti par notre pays afin de promouvoir notre langue auprès des fonctionnaires des institutions. Je voterai évidemment la proposition de résolution.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. - C'est la première fois que nous utilisons l'article 88-4 de la Constitution pour nous saisir d'un texte qui n'est pas forcément de nature législative. Je m'en réjouis car la commission des affaires européennes entend assumer un rôle de veilleur.
Passer à l'acte, dit M. Renar. Dans le cadre du contrôle renforcé par la réforme de la Constitution, je demanderai, dans une année environ, au Gouvernement, quel sort il a réservé à notre résolution. (Applaudissements)
M. Ivan Renar. - Très bien !
La proposition de résolution, amendée, est adoptée.
M. le président. - Je me réjouis de l'unanimité du vote. Conformément à l'article 73 bis du Règlement, la résolution sera transmise au Gouvernement et à l'Assemblée nationale.
Prochaine séance, demain, jeudi 26 mars 2009 à 9 h 50.
La séance est levée à minuit cinquante.
Le Directeur du service du compte rendu analytique :
René-André Fabre
ORDRE DU JOUR
du jeudi 26 mars 2009
A 9 HEURES CINQUANTE
1. Question orale avec débat n°28 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur à Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi sur l'avenir des sous-traitants et équipementiers du secteur automobile.
M. Jean-Pierre Sueur interroge Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi sur l'avenir de la filière automobile. Depuis octobre 2008, une succession de mesures destinées à la filière automobile ont été annoncées, que ce soit sur le plan national ou sur le plan européen.
Le Gouvernement vient de présenter un nouveau plan de relance dont un volet serait consacré à la mise en oeuvre du « pacte automobile » annoncé le 9 février dernier. Celui-ci se traduit notamment par l'octroi de 6,5 Md€ aux constructeurs automobiles afin de leur permettre de financer leurs projets stratégiques et par une subvention de 240 M€ à Oseo afin de garantir 1 Md€ de prêts supplémentaires aux sous-traitants automobiles.
L'on peut se féliciter de ce que le Gouvernement prenne enfin la mesure de la gravité de la crise du secteur et du risque qui pèse sur l'ensemble de cette filière industrielle essentielle au développement économique de nos territoires.
Mais, force est de s'interroger sur les contreparties en termes notamment de maintien des sites et de préservation de l'emploi, de conditions de travail et de salaires ainsi qu'en termes de formation professionnelle qui seront exigées des constructeurs bénéficiaires du plan de relance. La crise de la filière automobile est en effet à la croisée de questions essentielles, celle de la préservation des emplois, celle d'une meilleure indemnisation du chômage, et celle non moins fondamentale de la formation continue.
Dans le prolongement de ces questions, il convient également de s'interroger sur la stratégie industrielle qui sous-tend toutes ces mesures du plan de relance. Car cette crise qui concerne la préservation des bassins industriels des territoires questionne également sur les mutations profondes qu'il convient d'initier et d'accompagner dès aujourd'hui. Les constructeurs mais surtout les équipementiers et sous-traitants, acteurs essentiels de la filière automobile, souffrent énormément avec des risques de délocalisations qui deviennent chaque jour plus réels.
Pour toutes ces raisons, il l'interroge sur les contreparties sociales que le Gouvernement pourrait exiger des constructeurs automobiles bénéficiaires des aides. Il lui semble également nécessaire d'effectuer un premier bilan de toutes les aides et de leur destination afin de pouvoir mesurer leur traçabilité et leur efficacité en termes de maintien de l'emploi et de préservation de l'ensemble de la filière automobile.
Enfin, il souhaite également obtenir des précisons sur la stratégie industrielle pour l'ensemble de la filière automobile française et européenne qui sous-tend les plans de relance. Et au-delà, comment le Gouvernement envisage l'avenir du secteur automobile sur le moyen et long terme ?
2. Question orale avec débat n°29 de M. Simon Sutour à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire sur l'avenir des services publics dans les zones rurales.
M. Simon Sutour interroge M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire sur l'avenir des services publics dans les zones rurales. Les services publics doivent être efficaces et accessibles à tous les citoyens quel que soit leur lieu de résidence. Il s'agit d'un principe communément admis dans notre république mais qui est malheureusement de plus en plus éloigné de la réalité, particulièrement dans les zones rurales.
On le constate depuis quelques années, qu'il s'agisse notamment de l'école, de La Poste, des structures d'accueil pour la petite enfance ou pour les personnes âgées, des transports et des services d'intérêt général comme la santé, la sécurité, en particulier les gendarmeries, et la justice, la qualité des services publics disponibles dans les zones les moins densément peuplées se détériore, quand ils ne disparaissent pas, et ce, au mépris des principes de solidarité et de cohésion territoriale. Or l'attractivité économique des zones rurales et leur attractivité résidentielle, c'est-à-dire l'amélioration du cadre de vie et l'installation de nouvelles populations, dépendent du maintien et du développement des services publics.
Par ailleurs, du fait de la révision générale des politiques publiques suivant une logique purement comptable, les services de l'État sont de moins en moins présents dans les départements et l'État poursuit son désengagement.
Quelles sont les intentions et les perspectives d'action du Gouvernement pour lutter contre le développement de cette situation et faire que la fracture territoriale ne s'aggrave pas davantage et de manière irrémédiable.
A 15 HEURES
3. Proposition de loi tendant à abroger le bouclier fiscal et à moraliser certaines pratiques des dirigeants de grandes entreprises en matière de revenus, présentée par M. Thierry Foucaud et les membres du groupe CRC-SPG (n°29, 2008-2009).
Rapport de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (n°295, 2008-2009).
4. Proposition de loi visant à exclure les communes de moins de 2 000 habitants du dispositif de service d'accueil des élèves d'écoles maternelles et élémentaires, présentée par M. Yvon Collin et plusieurs de ses collègues (n°219, 2008-2009).
Rapport de M. Philippe Richert, fait au nom de la commission des affaires culturelles (n°289, 2008-2009).
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DÉPÔTS
La Présidence a reçu :
- de M. Jacky Le Menn un rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de résolution (n°234, 2008-2009) présentée par M. Roland Ries, au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 bis du Règlement sur la proposition de directive relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers (n°E-3903) ;
- le texte de la commission des affaires sociales sur la proposition de résolution européenne, présentée par M. Roland Ries au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 bis du Règlement, sur la proposition de directive relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers (n°E-3903).