Modernisation des institutions de la Ve République (Suite)
M. le président. - Nous reprenons l'examen du projet de loi de modernisation des institutions de la Ve République.
Discussion des articles (Suite)
Article premier A
L'article premier de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les langues régionales appartiennent à son patrimoine. »
M. le président. - Amendement n°3 rectifié, présenté par M. Charasse, Mme Goulet et M. Fortassin.
Supprimer cet article.
M. Michel Charasse. - Lors d'une révision de la Constitution, les propositions les plus inattendues surgissent. J'ai été surpris, avec d'autres, de voir apparaître à l'Assemblée nationale un amendement tendant à classer les langues régionales au patrimoine de la France. Pourquoi ne pas y classer aussi les monuments historiques ou même la gastronomie, que certains verraient de surcroît au patrimoine de l'humanité ? Voir la potée auvergnate ainsi distinguée, je n'osais en rêver... (Sourires)
Cet article premier A n'a rien à faire dans la Constitution. (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite) Que la langue française soit celle de la République, cela va de soi ; aller au-delà, c'est véritablement inouï. De deux choses l'une : ou la mention ne sert à rien, ou elle cache quelque chose. M. Hyest nous dit, ce que je crois, qu'elle n'a pas de portée normative. Mais je suis persuadé que ceux qui l'on introduite, qui ne sont ni médiocres ni naïfs et qui savent donc qu'elle n'en a pas, y ont vu un moyen de contourner la décision du Conseil constitutionnel faisant obstacle à la ratification de la Charte des langues régionales -parce que celle-ci porte atteinte à l'unicité de la France, à l'indivisibilité de la République et au principe d'égalité des citoyens devant la loi.
Ou cet article est inutile, et il faut le supprimer ; ou la protection des langues régionales ne pourrait passer demain que par la ratification de la Charte, et il est dangereux. (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite)
M. le président. - Amendement identique n°77, présenté par MM. Gélard, Portelli et Lecerf.
M. Patrice Gélard. - Je suis en parfait accord avec ce que vient de dire M. Charasse. J'ajouterai seulement ceci : je ne sais pas très bien ce qu'est le patrimoine national. Cette notion est tellement floue qu'on pourrait bien inscrire demain dans la Constitution la franc-maçonnerie, le christianisme et les cathédrales, qui font aussi partie de notre patrimoine.
M. Jean-Luc Mélenchon. - Pas de la même manière, mon cher ! (Rires)
M. Patrice Gélard. - Nous souhaitons donc que cet ajout à l'article premier A soit supprimé.
M. Michel Charasse. - Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon. - Vous connaissez déjà mon point de vue sur la question des langues régionales : j'ai eu l'occasion de l'exposer à l'occasion d'un débat consécutif à une question posée par M. Alfonsi. Nos travaux sont suivis avec attention par les partisans des langues régionales, pas toujours très raisonnables, et même souvent injurieux à mon égard. Il n'est pas question d'opposer le français aux langues régionales, ni de nier leur existence, leur intérêt ou leur contribution à la construction de l'identité française. Les soldats de Valmy ne parlaient pas tous la même langue, n'adoraient pas tous le même Dieu, n'utilisaient pas tous les mêmes unités de mesure. Les langues régionales ont donc contribué à l'Histoire de France, et singulièrement à la grande rupture républicaine : il n'est pas question de le nier. L'origine de ce débat, ce sont les dispositions du Conseil de l'Europe visant à protéger les minorités nationales dans les pays où elles sont menacées. Mais en France, jamais personne n'a été poursuivi ou inquiété en raison de sa langue maternelle, ni interdit d'accès à aucune fonction. On parle souvent des pratiques pédagogiques de la IIIe République, par lesquelles on aurait étouffé les langues régionales ; elles étaient rudes, certes, mais, à l'époque, la pédagogie était rude dans tous les domaines ! On ne peut pas en tirer argument pour dire que ceux qui ne parlaient pas français étaient un objet d'opprobre ! En tant qu'homme de gauche, je m'inscris dans la tradition de Jean Jaurès, de Marcel Cachin et des socialistes attachés à la promotion des langues régionales. La première loi qui les a reconnues est l'oeuvre d'un homme de gauche, Maurice Deixonne. Par la suite, la loi Toubon a élargi leur enseignement, mais c'est le gouvernement de Lionel Jospin qui a permis l'enseignement du corse à tous les niveaux et créé une option de langue régionale au baccalauréat.
M. Adrien Gouteyron. - C'est vrai !
M. Jean-Luc Mélenchon. - Nous partageons la volonté de promouvoir et de développer les langues régionales. La République française n'opprime personne. La seule question est de savoir si le cadre légal permet ce développement, et c'est le cas. Pourquoi alors introduire les langues régionales dans la Constitution ? On pense que celles-ci, qui sont supposément les langues maternelles, sont constitutives de l'identité particulière des personnes. Mais soyons précautionneux : d'autres particularités, comme la foi, sont tout aussi constitutives de l'identité. La République française respecte et garantit la liberté de conscience : il n'est donc pas besoin d'introduire dans la Constitution cette particularité.
Pourquoi donc nous le demande-t-on ? Je crains que la bonne volonté de ceux qui souhaitent à juste titre promouvoir les langues régionales n'ait été surprise. Il existe un parti ethniciste qui veut que l'on introduise cette mention dans la Constitution, afin de contraindre la France à ratifier la Charte des langues régionales. Le texte qui nous est soumis aujourd'hui paraît inoffensif, mais c'est parce que le Gouvernement a fait retirer certains amendements de l'Assemblée nationale visant explicitement à permettre cette ratification. Il est temps de dire avec fierté que notre patrie républicaine n'opprime pas les langues régionales ! N'introduisons pas une mention qui risquerait d'insinuer le doute à cet égard. Avant même la rédaction de la Charte des langues régionales, la France appliquait l'essentiel de ses dispositions.
M. Yves Détraigne. - Absolument !
M. Jean-Luc Mélenchon. - Si nous ne l'avons pas signée, c'est seulement parce que certaines mesures nous paraissaient anticonstitutionnelles, comme l'introduction de différences de droits fondées sur la langue. Or la République ne fait aucune différence entre les citoyens selon leurs particularités. Affirmons haut et fort ses principes de laïcité, d'unité et d'indivisibilité ! (M. Robert Bret applaudit)
M. le président. - Amendement identique n°157, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
M. Ivan Renar. - Nous sommes favorables au plurilinguisme et à la diversité culturelle ; les langues régionales y contribuent, et nous soutenons leur pratique et leur enseignement. Mais l'inscription des langues régionales dans l'article premier de la Constitution risquerait d'écorner les grands principes républicains. La République est l'oeuvre de tous, quelles que soient les particularités de chacun ; elle consacre ce qui rassemble plutôt que ce qui divise. Pourquoi introduire de tels particularismes dans la Constitution ? Aujourd'hui, ce sont les langues, demain ce seront les religions. Cette modification risque d'ailleurs d'apparaître comme discriminatoire : pourquoi ne reconnait-on pas aussi les langues des migrants ? Le français est une langue mouvante ; les parlers populaires, le langage des quartiers, les langues des immigrants contribuent à son évolution, au plan de la syntaxe, de la prononciation et du lexique. Par ailleurs, est-il opportun de mentionner les langues régionales avant le français, qui n'apparaît qu'à l'article 2, au moment où le français est menacé dans les institutions internationales et européennes ? Dans le contexte de la mondialisation, les langues nationales sont progressivement supplantées par l'anglais. Le 9 juin, Le Monde publiait un article intitulé « Alerte sur les langues », à propos de la perte d'influence du français et de l'allemand dans les institutions européennes ; en mars 2006, le président Chirac a quitté le Conseil européen parce que M. Seillère, chef des patrons français, s'y exprimait en anglais. Défendons le français ! La langue est le premier aspect du génie d'un peuple. L'Académie française a exprimé son inquiétude et demandé le retrait de cette disposition, dans une démarche très rare. La France applique déjà de nombreuses dispositions de la Charte des langues régionales, même si certaines améliorations sont souhaitables. Le français est une langue fédératrice, qui permet de donner corps aux principes de liberté, d'égalité et de fraternité ; tous différents, nous sommes tous égaux. L'ordonnance de Villers-Cotterêts, sous François Ier, a institué le français comme langue du royaume et des actes juridiques, permettant à chacun de comprendre et de se faire comprendre. La modification qui nous est proposée constituerait un net recul. Si depuis 1992, l'article 2 de la Constitution stipule que le français est la langue de la République, ce n'est pas contre les langues régionales mais contre l'envahissement de l'anglais.
Mme Albanel a d'ailleurs annoncé le dépôt d'un projet de loi destiné à organiser l'apprentissage et l'emploi des langues régionales ; mais on peut craindre que cette loi reste sans effet, faute de moyens. On nous dit que la lecture en classe de La princesse de Clèves n'a plus aucun intérêt. Comment croire alors que les oeuvres de Frédéric Mistral ou de Jules Mousseron figurent dans les programmes ?
La promotion des langues régionales est souhaitable mais elle ne doit pas conduire à l'enfermement régionaliste ou communautariste. Avoir des racines ne doit pas empêcher d'avoir des ailes. Nous appartenons à une grande communauté, qui est l'humanité. Nous invitons donc à supprimer cette mention. (Les sénateurs du groupe CRC applaudissent, ainsi que M. Jean-Luc Mélenchon)
M. le président. - Amendement identique n°250 rectifié ter, présenté par M. Gouteyron, Mme Bernadette Dupont, MM. Gournac, Retailleau et Mme Papon.
M. Adrien Gouteyron. - Je me réjouis de constater que des amendements de suppression émanant de divers bancs se rejoignent. C'est un signe. Cet article de notre Constitution est fait pour rappeler, ainsi que l'ont souligné les orateurs qui m'ont précédé, ce qui nous rassemble, pas ce qui nous distingue. Relisez-en la teneur. La chute que l'on entend y ajouter est-elle à la hauteur de ce qui la précède ? (M. Michel Charasse approuve) Est-elle à la hauteur de la loi constitutionnelle ? Je ne le pense pas, et c'est pourquoi j'ai proposé cet amendement de suppression.
Je suis, moi aussi, attaché aux langues régionales. Je suis parmi vous un de ceux qui s'efforcent d'en parler une et de la promouvoir. Mais je reste persuadé que tous ceux qui, chez moi, ayant appris le français, continuent de parler leur langue régionale répondraient, si on les interrogeait, que la langue de leur pays est le français.
Le sujet est loin d'être anecdotique. Il est essentiel et je souscris pleinement à ce qui vient de se dire sur la Charte des langues régionales : maintenir cette phrase à l'article premier de notre Constitution signifierait que l'on veut conduire la France où elle ne veut pas aller. Si la France ratifiait cette Charte, il n'est pas de document interprétatif, quel qu'il soit, qui nous exonèrerait des obligations qu'elle emporte. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)
M. le président. - Amendement identique n°260 rectifié, présenté par MM. Détraigne, Deneux, Merceron, Mme Morin-Desailly, MM. Biwer, Fauchon, Jean-Léonce Dupont, Christian Gaudin, Zocchetto et Pozzo di Borgo.
M. Yves Détraigne. - Je me réjouis moi aussi qu'un amendement identique émane de plusieurs sensibilités et souscris à la plupart des propos qui ont été tenus. Je ne conteste pas que les langues régionales appartiennent à notre histoire ni qu'elles soient un des éléments constitutifs de notre patrimoine. Mais je ne vois pas, ou peut-être vois-je trop bien, pourquoi on veut l'inscrire dans notre Constitution. Notre loi fondamentale régit le fonctionnement de nos institutions. On ne peut impunément y introduire des dispositions déclaratives, placées là pour faire plaisir. Que les langues régionales appartiennent à notre patrimoine est sans rapport avec le fonctionnement de nos institutions. En inscrivant ici cette phrase, on ouvre la porte à des exigences qui pourraient remettre en cause l'unité nationale : ne permettrait-elle pas de réclamer, dans le futur, que l'apprentissage des langues régionales soit rendu obligatoire ou que certains documents publics soient publiés dans les deux langues ?
Et pourquoi s'en tenir là ? Pourquoi ne pas mentionner notre patrimoine paysager, notre patrimoine bâti -n'est-ce pas dans la cathédrale de Reims que Clovis fut baptisé par Saint Rémi ?
M. Nicolas About. - Et le château de Versailles !
M. Yves Détraigne. - Allons-y ! Et pourquoi pas notre patrimoine culinaire !
M. Philippe Marini. - Et le champagne !
M. Yves Détraigne. - En effet ! Revenons à la raison, et préservons notre loi fondamentale. (Applaudissements sur plusieurs bancs au centre et à droite)