Accord de transport aérien avec les États-Unis d'Amérique

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord de transport aérien entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et les États-Unis d'Amérique, d'autre part.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports.  - J'ai entendu avec intérêt le rapport passionnant du Médiateur de la République !

L'accord dont nous parlons à présent peut paraître anecdotique ; il est en réalité majeur. A la demande expresse du ministre des affaires étrangères et européennes, aujourd'hui à Londres, j'ai le privilège de vous le présenter aujourd'hui, car il y a urgence à le ratifier. A l'heure actuelle, les relations aériennes entre les États de l'Union européenne et les États-Unis sont régies par une série d'accords bilatéraux. Un citoyen européen, pour se rendre aux États-Unis, est donc contraint d'emprunter une compagnie soit américaine, soit de la nationalité du pays de départ. Il en résultait pour les compagnies européennes des discriminations fondées sur la nationalité. La Cour de justice des communautés européennes les a jugées incompatibles avec le droit communautaire, en particulier le traité relatif à la liberté d'établissement.

La Commission européenne a reçu du Conseil transport, en juin 2003, un mandat de négociation. Les discussions ont été longues et complexes, M. Jacques Barrot l'a lui-même reconnu : quatre années et onze sessions de négociations !

Le résultat est un accord « mixte », qui comporte des dispositions relevant encore de la compétence des États-membres. Il tend à libéraliser les échanges aériens transatlantiques et garantit aux transporteurs communautaires la possibilité de fixer librement tarifs, capacités des vols, pays de départ. Les contraintes réglementaires concernant Heathrow -qui a ouvert, non sans difficulté, son nouveau terminal aujourd'hui- ont été levées. En vertu d'un accord bilatéral de 1977, seules deux compagnies britanniques, British Airways et Virgin Atlantic, et deux compagnies américaines American Airlines et United Airlines, avaient la possibilité de desservir les États-Unis au départ de Londres ! Air France, dès que vous aurez donné votre autorisation pour la ratification, ouvrira une liaison Londres-Los Angeles.

L'accord améliore aussi la sécurité, la sûreté et la concurrence. Il annonce aussi les accords que nous cherchons à conclure, après le Grenelle de l'environnement, dans le domaine de l'aviation civile internationale.

Il s'agit d'un accord de première étape. La perspective d'un second accord est explicitement prévue à l'article 21. Peut-être aurez-vous une impression d'inachèvement : la libéralisation du cabotage n'est pas incluse, les Américains voulant en réserver les vols intérieurs à leurs seules compagnies. Un des objectifs en seconde étape sera d'obtenir une ouverture du marché américain aux compagnies européennes. L'accord du 30 avril 2007 appelle à la poursuite des négociations en ce sens et fixe un échéancier précis : le présent accord entre provisoirement en vigueur le 30 mars 2008 ; la seconde phase de négociations commence avant le 30 mai prochain ; un bilan des progrès sera effectué au plus tard fin 2009 ; la seconde phase de négociations doit s'achever fin 2010.

Enfin, l'Union européenne s'est réservé le droit de suspendre certaines parties de l'accord si le dialogue ne progresse pas dans les trois années suivantes. Malgré ces difficultés, les bénéfices de ce premier accord seront réels et apparaîtront rapidement. Un obstacle important à la régulation du marché unique européen de l'aviation a été levé. La présidence française sera l'occasion de progresser sur cette question.

En outre, cet accord couvrira plus de 60 % du trafic aérien mondial. Les liaisons vers l'Asie se développent, mais le marché américain reste le premier mondial. L'ouverture à plus de concurrence pourrait se traduire par une augmentation de 26 millions du nombre de passagers sur les vols transatlantiques en cinq ans, ainsi que par la création de 80 000 emplois. Enfin, nous avons là un modèle pour de futurs accords avec d'autres pays.

La ratification française prend ici toute son importance. L'accord sera appliqué par les parties dès le 30 mars 2008, avant son entrée en vigueur définitive. La France ne peut le faire sans votre autorisation de ratification. C'est pourquoi, tout en remerciant votre rapporteur de sa diligence, j'ai l'honneur de vous demander de bien vouloir autoriser cette ratification. (Applaudissements à droite)

M. Philippe Nogrix, rapporteur de la commission des affaires étrangères.  - Effectivement, la commission des affaires étrangères a fait diligence, mais l'accord doit entrer en vigueur dans quelques jours ! Il apportera des modifications notables sur le marché aérien transatlantique. Depuis bientôt dix ans, l'Europe a unifié son marché intérieur de l'aérien, ce qui conduit naturellement à traiter les relations avec les pays tiers à l'échelle européenne. Des accords ont déjà été conclus avec les pays des Balkans occidentaux et le Maroc, en substitution aux accords bilatéraux. La libéralisation du trafic aérien, à travers ces accords dits «ciel ouvert», lève aussi les restrictions quant aux dessertes ou aux droits de trafic.

Les questions du cabotage et de la propriété des compagnies ont été renvoyées à une seconde étape, avec un calendrier et des objectifs précis. Dès l'entrée en vigueur provisoire, les effets de l'accord seront clairement perceptibles. N'importe quelle compagnie européenne pourra desservir n'importe quelle ville des États-Unis à partir de n'importe quelle ville d'Europe. L'accord lèvera également les restrictions sur la possibilité pour les compagnies de chaque partie d'assurer des liaisons vers une tierce destination, au-delà des États-Unis pour les compagnies européennes et réciproquement. L'impact sera sensible à Londres-Heathrow, premier aéroport européen pour les vols vers les États-Unis mais dont la desserte était jusqu'à présent réservée à quatre compagnies aériennes en vertu de l'accord américano-britannique de 1977 ! A compter du mois prochain, Air France pourra offrir un vol quotidien Londres-Los Angeles.

Les Européens n'ont pas atteint tous les objectifs qu'ils s'étaient fixés. Outre le cabotage, il y a l'ouverture du capital des compagnies américaines, améliorée mais qui exclut toujours le contrôle par un investisseur étranger. Par parallélisme, une restriction analogue est désormais imposée aux investissements américains en Europe. Le calendrier précis pour de nouvelles négociations et la possibilité, en cas d'échec à l'échéance de fin 2010, de faire jouer une clause de suspension auront un rôle incitatif.

Un comité mixte sera créé pour la coopération sur la sécurité, la sûreté aérienne, la protection de l'environnement et celle du consommateur. Notre commission des affaires étrangères a estimé que cet accord levait de nombreuses restrictions et note qu'il met fin au régime très particulier qui protégeait le marché britannique. Les compagnies européennes, et notamment françaises, se trouvent en bonne position pour profiter de toutes les opportunités nouvelles, dont les voyageurs bénéficieront également. C'est pourquoi votre commission vous demande d'adopter le présent projet de loi.

M. Michel Billout.  - L'accord ouvre des couloirs aux compagnies françaises et libéralise le cadre régissant les relations aériennes entre l'Europe et les États-Unis.

Cet accord nous est présenté comme globalement satisfaisant. La libre concurrence est censée permettre une baisse significative des tarifs et donc améliorer le pouvoir d'achat des usagers. En outre, il devrait favoriser les compagnies communautaires, à commencer par Air France-KLM qui, bénéficiant d'un meilleur accès aux marchés, pourrait se développer et favoriser l'emploi et les activités aéroportuaires. D'après la Commission européenne, l'ouverture des couloirs aériens transatlantiques à la concurrence pourrait se traduire par une augmentation du nombre de passagers entre l'Europe et les États-Unis d'environ 25 millions en cinq ans ainsi que par la création de 80 000 emplois. L'expérience des conditions dans lesquelles s'est développé le transport aérien et le ralentissement, voire la récession, attendus outre-Atlantique nous permettent d'en douter.

Face à ce bel optimisme, il convient de regarder les choses d'un peu plus près. Il a fallu quatre ans de laborieuses négociations avec les États-Unis, qui peinaient à céder une partie de leurs avantages concurrentiels, avant de déboucher sur un accord incomplet. Celui-ci n'assure pas une égalité d'accès au marché intérieur de chacune des parties, au détriment des compagnies européennes. Cette ouverture du marché aérien transatlantique est également déséquilibrée sur les questions relatives au cabotage, au contrôle et à la propriété des entreprises.

Il n'y a pas d'égalité de traitement puisqu'il ne sera pas permis aux compagnies aériennes européennes d'effectuer aux États-Unis des vols intérieurs, alors que les compagnies américaines pourront assurer des liaisons entre différents pays européens. Les conditions de contrôle et de propriété des transporteurs aériens ne sont pas non plus identiques entre les deux parties : les prises de participations des compagnies européennes aux États-Unis restent limitées à 25 %, certes avec un droit de veto sur les décisions stratégiques, alors que les Américains pourront acquérir 49 % d'une entreprise européenne.

Ces déséquilibres sur des questions cruciales sont tellement flagrants qu'il a été convenu que si durant la seconde phase de négociations, prévue après l'entrée en vigueur de cet accord, il n'était pas possible d'aboutir à la possession de 100 % d'une compagnie américaine, chaque État européen pourrait suspendre tout ou partie de l'accord.

En permettant aux compagnies d'opérer sans restriction, cet accord aura inévitablement pour effet d'exacerber la concurrence entre compagnies. Pour que celle-ci s'exerce « dans des conditions libres et égalitaires », conditions qui, nous l'avons vu, ne sont pas vraiment respectées, toute subvention ou aide d'État aux entreprises qui seraient menacées de rachat est interdite. À terme, il risque de favoriser les compagnies américaines les plus puissantes qui sont déjà engagées dans un mouvement de fusion qui aboutit à une concentration des compagnies par absorption des unes par les autres, même si elles gardent leur nom et leur identité. Ce mouvement n'épargne pas l'Europe. On le voit ces jours-ci avec la tentative du groupe Air France-KLM de mettre la main sur Alitalia.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État.  - Ils sont en faillite !

M. Michel Billout.  - Le développement de la concurrence pourrait pénaliser les opérateurs qui ne bénéficient pas des meilleurs outils, tant en terme de fréquence et de réseau que de productivité. Ce mouvement de fusion- absorption qui a pour corollaire de faire baisser les coûts pour préserver les marges des entreprises a, l'expérience le montre, des conséquences sociales très négatives, en particulier sur les salaires et sur les effectifs, du fait du recours accru à la sous-traitance.

L'application concrète de cet accord risque fort d'entériner les mesures discriminatoires que l'administration américaine, obsédée par la lutte anti-terroriste, impose à certains passagers en provenance de l'Union européenne. En matière d'environnement, la coopération envisagée entre les parties en est à ses balbutiements. Elle n'est en tout cas pas à la hauteur des problèmes, notamment en termes de nuisances sonores et d'émission de C02, puisque cet accord doit concerner plus de 60 % du trafic mondial.

Pour cet ensemble de raisons, afin de marquer notre opposition à ce type d'accords d'essence ultralibérale et pour que la deuxième phase de négociations prenne en compte nos réticences, le groupe CRC votera contre ce projet de loi de ratification.

L'article unique est adopté.

Prochaine séance, mardi 1er avril à 16 heures.

La séance est levée à 17 h 20.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mardi 1er avril 2008

Séance publique

À 16 HEURES ET LE SOIR

Discussion du projet de loi (n° 211, 2007-2008) relatif aux contrats de partenariat.

Rapport (n° 239, 2007-2008) de M. Laurent Béteille, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale.

Avis (n° 240, 2007-2008) de M. Michel Houel, fait au nom de la commission des affaires économiques.

Avis (n° 243, 2007-2008) de M. Charles Guené, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation.

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DÉPÔT

La Présidence a reçu de M. Philippe Dallier un rapport d'information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur le suivi du rapport d'information n° 7 (2007-2008) relatif à l'établissement public d'aménagement de la défense (Epad).