Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
Récidive des majeurs et des mineurs
Avis des assemblées territoriales
Déclaration d'urgence (Dialogue social)
Déclaration d'urgence (Universités)
Récidive des majeurs et des mineurs
Motion de renvoi en commission
Récidive des majeurs et des mineurs
Récidive des majeurs et des mineurs
Avis des assemblées territoriales
Déclaration d'urgence (Dialogue social)
Déclaration d'urgence (Universités)
Récidive des majeurs et des mineurs
Motion de renvoi en commission
Récidive des majeurs et des mineurs
Assemblée de la Polynésie française
SÉANCE
du jeudi 5 juillet 2007
3e séance de la session extraordinaire 2006-2007
présidence de M. Philippe Richert,vice-président
La séance est ouverte à 9 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Récidive des majeurs et des mineurs
(Urgence)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs. L'urgence a été déclarée.
Depuis le 1er juillet s'applique la nouvelle procédure de contrôle de la recevabilité financière des amendements au regard de l'article 40 de la Constitution, telle qu'elle a été retenue par notre Conférence des Présidents à la suite des travaux de la commission des finances. Pour le projet de loi que nous allons discuter, aucun amendement n'a été déclaré irrecevable.
Discussion générale
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. - (Applaudissements à droite et au centre) C'est un immense honneur pour moi de vous présenter aujourd'hui ce texte. J'ai un grand respect pour le travail des élus de la Haute Assemblée. Le Sénat est dépositaire d'une expérience, d'une culture de la loi, d'une mémoire des institutions, mais aussi des attentes, des questions de nos compatriotes. C'est un gardien du pacte républicain, mais aussi, par sa capacité d'imagination, son inventivité, un défricheur de voies nouvelles, notamment sur ces sujets sensibles, comme l'illustre le remarquable rapport de 2002 sur la délinquance des mineurs. Je salue le président, le rapporteur et les membres de la commission des lois.
Notre justice ne doit pas être un idéal figé et inaccessible ; c'est l'affaire de tous. La justice est une réalité humaine : imparfaite, donc perfectible. Je veux une justice adaptée au monde actuel, paisible, proche des citoyens, sereine, une présence vigilante et rassurante, dont l'efficacité ne fait pas de doute, dont la temporalité n'est pas trop décalée. C'est une tâche immense. La justice pacifie les relations sociales, familiales, économiques. La justice, c'est la garantie de vivre en bonne intelligence, dans la paix sociale. C'est la première de toutes les institutions humaines, la première des conquêtes de la civilisation !
Ce projet de loi s'inscrit dans cette vision. Il ne s'agit pas d'un texte technique, visant à aménager les règles existantes. La justice est un pilier de la démocratie. Sa mission est d'être le ciment du pacte républicain. Ce texte est rendu indispensable par l'état de notre société et de notre justice.
Il répond à quatre ambitions. La première est de bâtir une justice proche des Français. En matière de récidive, leurs attentes sont à la mesure de leurs inquiétudes. Le manque de respect, les incivismes, la violence qui exaspèrent les Français et sapent leur confiance dans la justice procèdent d'une société de droits, sans obligations, ravagée par l'individualisme. Cette France excédée n'aspire pas à la sécurité mais à la tranquillité !
Cette inquiétude est justifiée : les chiffres parlent d'eux-mêmes. Entre 2000 et 2005, les condamnations en récidive pour les crimes et délits ont augmenté de près de 70 %, et de 145 % pour les délits violents, le nombre des mineurs condamnés pour délits de violence de près de 40 % ! En 2006, 46 % des personnes mises en cause pour vols avec violence étaient des mineurs. (M. Mahéas proteste).
La sûreté des citoyens est le premier devoir de l'Etat. Il est de notre devoir d'apporter à ces inquiétudes des réponses nouvelles, capables de redonner du sens, afin de restaurer la confiance.
La deuxième ambition de ce projet est de bâtir une justice qui protège les plus faibles. Nous devons bien sûr aux coupables une justice digne, garantissant l'équité et le respect des droits, mais nous la devons avant tout aux victimes des délinquants et des criminels.
La troisième ambition, c'est celle d'une justice sereine, qui donne à ceux qui en exercent l'administration des outils adaptés. Ils exercent un métier difficile. Je sais les contraintes auxquelles sont soumis les magistrats, je connais les difficultés quotidiennes de la chaîne judiciaire. Au nom de nos concitoyens, du Président de la République et du Gouvernement, je salue le dévouement des magistrats, des greffiers, des policiers, des gendarmes, des responsables d'associations, des auxiliaires de justice. Ils sont, en première ligne, l'incarnation de la justice. (« Très bien ! » à droite). Ma mission est de leur donner les moyens dont ils ont besoin. J'y veillerai sans relâche, ils peuvent compter sur moi.
Quatrième ambition, enfin, de ce projet de loi : une justice ferme. Une justice forte, crédible et respectée doit adapter et renforcer ses sanctions pour faire face à des circonstances exceptionnelles. Il s'agit d'abord de délinquants ou de criminels récidivistes, majeurs ou mineurs, que la menace de la sanction puis la condamnation n'ont pas réussi à dissuader et à réinsérer.
Il s'agit ensuite des délinquants sexuels. Au 1er avril 2007, 20 % des détenus l'étaient pour des infractions de cette nature. Pensons à la douleur que ces comportements font naître. Mon devoir est de tout mettre en oeuvre pour éviter de tels drames. Rien ne me détournera de ce but.
A situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle. Pourquoi ne pas appliquer le principe de précaution aux victimes ? Ces comportements intolérables doivent être réprimés sans faiblesse. Il faut apporter à ces situations extrêmes une réponse claire aux yeux de nos concitoyens, légitime aux yeux des victimes, efficace à l'encontre des criminels ! Cela exige un véritable effort d'innovation.
C'est pourquoi ce projet de loi propose un régime pénal nouveau. Il instaure, en premier lieu, des peines minimales d'emprisonnement dès la première récidive, tant pour les majeurs que pour les mineurs. En cas de seconde récidive, la loi sera encore plus ferme. Le tribunal correctionnel sera tenu de motiver le choix d'une peine inférieure à ce minimum.
Au troisième vol avec violence, un mineur de plus de seize ans encourra désormais les mêmes peines qu'un majeur. Certains m'objecteront qu'il faut laisser sa chance au mineur multirécidiviste, qui n'est pas un adulte. C'est une vision bien éloignée de la réalité : 30 % des mineurs condamnés récidivent dans les cinq années qui suivent.
Ce chiffre est terrible. Une nouvelle fois : le sort des victimes doit nous préoccuper. Elles ne comprendraient pas que les mineurs de plus de seize ans bénéficient d'un régime de faveur bien qu'ils aient commis trois fois des faits extrêmement graves. Pour répondre à cette violence de plus en plus dure, à cet ancrage de la délinquance, le projet instaure des sanctions adaptées aux mineurs multirécidivistes, car des mesures inappropriées renforceraient le sentiment d'impunité.
M. Jean-Claude Carle. - Tout à fait !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Le troisième axe du projet de loi concerne le suivi médical et psychiatrique des condamnés, notamment pour crimes sexuels, dès lors qu'une expertise aura conclu à la possibilité d'un traitement. Oui, l'injonction de soins contribue à la nécessaire prise en charge médicale !
Ce projet renoue avec une loi pénale dissuasive, car la fermeté envers les criminels endurcis est indispensable à la vie en société, au respect du contrat social. Ce projet de loi est clair, intelligible et sans ambiguïté. Oui, il instaure des peines minimales. Oui, je suis persuadée que nul n'est censé ignorer la loi pénale.
Les peines minimales sont indispensables pour que le travail de prévention puisse s'appuyer sur la menace d'une sanction claire et précise. Les magistrats pourront ainsi affirmer une autorité dont la remise en cause est intolérable. Je ne laisserai pas prospérer l'idée selon laquelle prévention et répression seraient antagonistes, car elles sont indissociables et se renforcent mutuellement lorsque leur action est clairement perçue par les citoyens.
Je prends en considération l'humanisme judiciaire et l'appréciation fine des conditions du crime ou délit. Personne n'en a le monopole : on peut être ferme mais juste et humain. C'est pourquoi le projet n'instaure pas de peine incompressible. Contrairement à ce que prétend une vision caricaturale, il n'augmentera pas le nombre de détenus. (On en doute à gauche.) N'instaurant pas de peine mécanique, ce projet préserve le pouvoir d'appréciation du juge : en cas de première récidive, le juge pourra prononcer une peine inférieure à celle inscrite dans la loi pénale à raison des circonstances de l'infraction, de la personnalité son auteur ou de ses perspectives de réinsertion. L'individualisation des peines est explicitement rappelée dans le texte car j'ai le plus grand respect pour les magistrats et les avocats, dont le rôle est de situer la justice au plus près des réalités humaines. Même en cas de deuxième récidive, le juge pourra prononcer une peine inférieure au minimum instauré par la loi pénale en s'appuyant sur les perspectives exceptionnelles de réinsertion. Après le troisième acte, il est normal que la sanction soit plus exemplaire, sauf à mettre en cause l'idée que nos concitoyens se font de la justice.
Bien que les actes des délinquants soient insupportables, le projet permet aux juges de prendre en compte les situations humaines. Ferme et équitable, ce texte ne mérite pas les critiques outrancières dont il a été l'objet. (M. le rapporteur approuve.) Conforme à ce que nous avons souhaité, il respecte la Constitution, ce qui d'ailleurs le premier devoir du Garde des sceaux, mais sans oublier la répression des infractions et des atteintes à l'ordre public. Mon devoir, notre devoir, consiste à concilier les exigences de liberté et de préservation de l'ordre public. Ce texte porte la marque de cette conciliation, puisque les peines minimales restent proportionnées, le juge n'étant jamais obligé de prononcer des peines automatiques. L'individualisation des peines reste le principe. J'y suis très attachée.
S'agissant des mineurs, nous respectons les exigences constitutionnelles et internationales -qui imposent d'atténuer la responsabilité pénale, de privilégier le travail éducatif et de faire juger les intéressées par une juridiction spécifique- qu'il faut concilier avec le respect de l'ordre public.
Ce texte est équilibré : la majorité pénale reste fixée à dix-huit ans ; tous les mineurs seront jugés par une juridiction spécialisée. Par exception, certains mineurs âgés de plus de seize ans condamnés trois fois pour des fautes particulièrement graves, encourront les mêmes peines que des adultes ; mais une exception ne remet pas en cause le principe. Nous n'avons pas pris le parti de déroger à la philosophie du droit pénal des mineurs et de faire juger les mineurs de plus de seize ans par les tribunaux correctionnels. Vous le savez bien.
La tradition française s'est toujours gardée du dogmatisme. Ce projet s'inscrit dans cette tradition. Loin des caricatures, il est strictement conforme à nos engagements internationaux et à nos valeurs constitutionnelles. Ni laxisme ni répression aveugle, la justice recherche un équilibre entre la protection de la société et celle des libertés individuelles.
Je suis devant vous ce matin parce que les Français ont donné un mandat clair au Président de la République. Nos concitoyens sont exaspérés par l'impunité de certains. Ce n'est pas une obsession sécuritaire, mais une exigence légitime de tranquillité. Le premier devoir de l'État est d'assurer la sécurité des citoyens. Je suis ici ce matin au nom de la justice, qui est pour moi une valeur fondamentale. Pilier de la démocratie, elle rétablit l'égalité des droits et rappelle les devoirs. Comme Garde des sceaux, je veillerai à ce qu'elle soit impartiale juste et indépendante. Je veillerai à ce qu'elle fasse la balance entre l'ordre au sein de la société et la liberté de chacun.
Telle est la philosophie de ce projet de loi, qui sera efficace parce qu'il s'appuie sur le dévouement des hommes et des femmes qui servent la justice trois. Il sera efficace aussi parce qu'il s'appuie sur une volonté politique claire, constante et forte. Cette politique pénale ne contrevient ni à l'indépendance ni à la bonne administration de justice ; elle en est au contraire le meilleur allié, parce qu'elle est vouée à restaurer le lien de confiance entre les Français et leur justice.
Les plus belles pages de l'institution judiciaire n'ont pas été écrites sous le contrainte du pouvoir politique, ni dictées par la volonté de le combattre : elles ont été écrites à deux mains. La justice n'existe pas sans celles et ceux qui l'incarnent au quotidien, ni sans la vigilance du politique qui doit veiller à la protéger et à nourrir le lien l'unissant au peuple. Son rôle est au coeur du pacte républicain. Il est doté d'une mémoire : celle de l'héritage commun de la Nation, de Michel de l'Hospital à d'Aguesseau, de Portalis à Michel Debré. C'est le souffle de Simone Veil montant à la tribune pour défendre les droits des femmes, c'est ce souffle qu'incarnait Robert Badinter montant à la tribune pour abolir la peine de mort, c'est ce souffle que résumait Albert Camus en écrivant : « si l'homme échoue au concilier la liberté et la justice, alors il échoue à tout ». (Applaudissements à droite et au centre)
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois. - Notre commission a jugé ce projet utile adapté et raisonnable.
Mais il faut tout d'abord dissiper certaines confusions. La notion de récidive légale est très précise : il faut une condamnation définitive suivie d'une nouvelle infraction identique à la précédente ou assimilable à celle-ci, commise dans les cinq ans suivant l'expiration ou la prescription de la peine. Le délinquant en état de récidive légale encourt alors le doublement des peines maximales inscrites dans code pénal.
Les autres infractions commises après une condamnation définitive relèvent de la notion de réitération. Dans l'esprit du public, ces deux concepts sont confondus le plus souvent alors que les réalités sont très différentes. Ainsi, en 2005, 2,6 % des personnes condamnées en matière criminelle et 6,6 % des personnes condamnées en matière correctionnelle étaient des récidivistes au sens légal. En revanche 30 % des personnes condamnées en 2005 avaient déjà fait l'objet d'une condamnation.
Le contraste est encore plus marqué pour les mineurs, entre un taux de 0,6 % de récidive mais de 55 % de réitération. La délinquance d'habitude reste donc préoccupante.
En outre, les juges ne relèvent pas systématiquement l'état de récidive légale, ne serait-ce que parce qu'ils l'ignorent : l'informatisation du casier judiciaire est loin d'être achevée. Il y a toutefois des progrès : moins de six mois s'écoulent désormais entre le prononcé de la condamnation et son inscription judiciaire.
Ces évolutions permettent de prendre la mesure de la récidive et de donner toute sa portée à ce projet de loi qui prolonge les lois du 12 décembre 2005 et du 5 mars 2007. Il ne les contredit pas mais les complète et il innove en instaurant des peines minimales pour les récidivistes. Cette réponse sera-t-elle efficace ? L'exemple des autres États démocratiques incite à le penser, du moins en matière correctionnelle. Pour la matière criminelle, c'est plus douteux. Pour les délits punissables de dix ans d'emprisonnement, le quantum moyen effectivement prononcé est d'un an et demi ; une peine plancher de quatre ans aura donc un effet dissuasif sur les délinquants d'habitude.
Ce dispositif est apparu raisonnable à votre commission : il respecte les principes de personnalisation de la peine ; il ne remet pas en cause les principes fondamentaux de la justice des mineurs ; il généralise l'injonction de soins, qui nous paraît un bon moyen de favoriser la réinsertion.
L'exigence constitutionnelle de la personnalisation de la sanction est respectée puisque le juge peut toujours adapter le mode d'exécution en décidant un sursis avec mise à l'épreuve, voire simple. En outre, il pourra, sous conditions, prononcer une peine inférieure minimale. Il est vrai que, comme l'ont observé la plupart des praticiens du droit que nous avons auditionnés, ces conditions peuvent apparaître excessivement restrictives. Il faudra que l'accusé présente des « garanties exceptionnelles d'insertion ». Le juge devrait pouvoir les apprécier au cas par cas et tenir compte de la personnalité du récidiviste et des circonstances de son infraction. Nous suggérons aussi, afin de renforcer le caractère dissuasif des dispositions proposées, que le président de la juridiction avertisse celui qu'il condamne après une première infraction de la peine qu'il encourt en cas de récidive.
Pour donner toute capacité au juge d'apprécier, il faut lui apporter toutes les informations nécessaires. Les magistrats sont aptes à exercer leurs responsabilités pourvu que nous leur en donnions les moyens.
Le projet de loi nous apparaît raisonnable aussi parce qu'il ne met pas en cause les principes constitutionnels de la justice des mineurs. Il ne modifie pas l'âge de la majorité pénale et il maintient la spécialité des juridictions pour mineurs. Il ne fait qu'élargir les exceptions que le droit en vigueur admet d'ores et déjà à l'application de l'excuse de minorité pour les mineurs de seize à dix-huit ans.
Enfin, le projet de loi a utilement intégré des dispositions permettant la généralisation de l'injonction de soins, à laquelle nous avons toujours été favorables, en particulier dans le cas des condamnées pour des infractions à caractère sexuel. Il faut souligner, en outre, que le juge de l'application des peines pourra toujours s'opposer à l'injonction de soins. Nous souhaitons qu'il puisse aussi s'opposer à la suppression d'une réduction de peine supplémentaire. Notre commission estime que le juge d'application des peines a un rôle déterminant à jouer.
Ce projet de loi répond à une nécessité, il peut exercer un effet dissuasif et ne met en cause aucun des grands principes de notre droit. Il nous semble néanmoins que l'effort pour lutter contre la récidive doit connaître deux prolongements indispensables. D'abord par la mise en oeuvre des moyens financiers, assurer un meilleur suivi des personnes. Quelles initiatives comptez-vous prendre, madame la Ministre, de concert avec votre collègue de la Santé ?
L'efficacité de la lutte contre la récidive requiert aussi l'exécution effective et rapide des décisions. Chacun le sait, rien n'est pire que le sentiment d'impunité, en particulier lorsqu'il s'agit de la délinquance des mineurs
Sous réserve de ces observations et des amendements que nous vous proposons, notre commission propose d'adopter le projet de loi. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Le premier projet présenté par le nouveau gouvernement est un texte d'aggravation pénale. C'est tout un symbole, celui de la poursuite en pire d'une politique mise en oeuvre depuis cinq ans. « Plus vite, plus fort, plus loin » comme aime à dire le président de la République. La précédente législature avait commencé par deux lois de programmation de sécurité ; en cinq années, huit lois sécuritaires ont été votées à l'initiative du gouvernement. A quoi donc servent toutes ces lois ?
La volonté présidentielle a désormais force de loi. La garde des sceaux dit qu'elle « respecte les engagements du président de la République. Le débat a eu lieu ».
Les parlementaires n'ont-ils pas à s'interroger sur l'intérêt des projets de loi et sur leur efficacité au regard des ambitions du gouvernement ? Certes, les juges, les avocats, les éducateurs ne font pas la loi mais vous aviez souhaité un consensus. Or, de consensus, il n'y a point, pas plus qu'il n'y a eu de dialogue social. Souvent, on demande des études d'impact sur les projets et une évaluation des lois mais ici, des auditions au rapport, tout conduit à rejeter cet énième texte pénal.
Le projet est-il justifié du point de vue des objectifs affichés du président de la République ? Le discrédit dont souffrent les juges tient à l'affaire d'Outreau dans laquelle ils n'avaient pas péché par laxisme. Bien sûr, nos concitoyens s'inquiètent des crimes commis par des récidivistes mais fallait-il une huitième loi pénale en cinq ans alors que celle de 2005 n'est pas appliquée et que l'on en a voté une sur la prévention de la délinquance. La récidive coûte parfois seize ans alors qu'il est question de peines planchers de cinq à dix ans. Il en est de même pour les mineurs. C'est donc la délinquance ordinaire des jeunes que vous stigmatisez. La chancellerie se révèle d'ailleurs incapable de fournir des chiffres postérieurs à 2005 et de distinguer récidive et réitération. Faute de moyens, des peines ne sont pas exécutées. Quant aux peines automatiques, sur lesquelles le président de la République axe sa communication, la Constitution les rend impossibles et elles ont démontré leur inefficacité aux Etats-Unis -l'Australie les a abandonnées. En revanche, ce projet développera des effets pervers : l'augmentation du nombre de détenus et l'allongement de la détention seront contreproductifs. N'aurait-il pas mieux valu commencer par la loi pénitentiaire promise d'ici la fin de l'année ?
Malgré tout cela, le projet peut-il être efficace ? Il n'y a pas de corrélation entre la peur de la sanction et la délinquance. Si la peine de mort n'est pas dissuasive, la prison, criminogène, favorise la récidive. La lutte contre la récidive passe d'abord par les mises à l'épreuve, la liberté conditionnelle et autres aménagements de peine.
Quel paradoxe !, les parlementaires, qui pendant cinq ans ont résisté à la volonté du ministre de l'intérieur d'instaurer des peines planchers, s'apprêtent à les accepter aujourd'hui : tout a changé depuis la proposition de loi Estrosi et le débat sur la loi de 2005. Le garde des sceaux de l'époque avait annoncé la mise en place d'une commission : elle semble répugner à ce dangereux texte d'affichage qui inversera nos principes en obligeant les juges à motiver les décisions de clémence.
La défenseure des droits des enfants s'inquiète d'une négation de la spécificité de la justice des mineurs. La réponse judiciaire doit être progressive et adaptée car un mineur de seize ans ne saurait être traité comme un majeur. Magistrats et professionnels de l'enfance sont unanimes à expliquer que les jeunes sont dans l'immédiateté et peuvent réitérer un acte avant même la sanction. Depuis 2002, le gouvernement favorise l'incarcération des mineurs -chaque centre spécialisé coûtera 15 millions- tandis que la protection judiciaire des mineurs manque de moyens. Vous nous expliquez que la prévention n'est pas incompatible avec la sanction mais pour vous, la sanction est une forme de prévention ! Une sanction doit être comprise, intelligente ... et effective car il y va de sa crédibilité.
Ajoutée à la hâte, la dernière partie du projet traite de la délinquance sexuelle. La loi de 1998 est mal appliquée faute de personnel et de moyens. Alors que la véritable prévention passe par les aménagements de peine, votre démarche, en total décalage avec les besoins, consiste à instituer le soin contraint en conditionnant ceux-là à celui-ci.
Les amendements du rapporteur sont a minima. Nous les voterons cependant. La philosophie du projet restera dangereuse car si la prison était la panacée contre la délinquance, la situation serait bien meilleure aux Etats-Unis qui comptent trois millions de détenus. (Applaudissements à gauche)
M. Robert Badinter. - C'est la première fois que vous intervenez dans cet hémicycle, madame la Garde des Sceaux, et je considère avec sympathie votre accession à la Chancellerie. J'y vois un symbole extrêmement important de l'intégration républicaine à laquelle nous sommes tous très attachés.
M. Christian Poncelet. - Très bien !
M. Robert Badinter. - Pourtant, j'aurais souhaité que vous fassiez vos débuts sur un autre texte. Il ne manque pas de sujets brûlants : ainsi en est-il de la réforme de la carte judiciaire, ou de la situation dans nos prisons pour laquelle nous souhaitons depuis très, trop longtemps une loi pénitentiaire. Vous auriez rencontré alors nos critiques, mais aussi notre volonté constructive.
Mais le texte que vous nous soumettez est inutile, implicitement vexant pour la magistrature et, ce qui est plus grave encore, potentiellement dangereux.
Inutile ? C'est une évidence. Nous ne vivons pas dans un désert législatif. Tous les Gardes des Sceaux, tous les parlementaires, tous les citoyens souhaitent qu'on lutte contre la récidive. D'ailleurs, le législateur n'est pas resté inactif et il n'a pas pris conscience en mai de cet état de fait.
Durant les trois années écoulées, nous n'avons pas eu moins de trois textes à examiner concernant la lutte contre la récidive : il y a eu Perben II en mars 2004, il y a eu celui de votre prédécesseur, Pascal Clément, tout entier consacré au traitement de la récidive, en décembre 2005 et, il y a quelques mois, le ministre d'État, ministre de l'intérieur de l'époque, nous a présenté un texte sur la prévention de la délinquance dans lequel figurait nombre de dispositions sur la récidive. Tous vos prédécesseurs ont-ils cédé à une quelconque tentation laxiste ? Les commissions des lois du Parlement auraient-elles négligé des mesures importantes pour lutter contre la récidive ? Certainement pas !
La nécessité de ce texte n'apparaît donc pas, à moins que vous ne taxiez vos prédécesseurs d'incompétence, ce que je ne crois pas. Les effets de ces lois se sont-ils révélés décevants ? Nous n'en savons rien puisqu'il n'y a pas eu d'études ni de suivi de ces textes. Le Conseil d'État l'a, à juste titre, fait remarquer. Cette loi n'a pas non plus été précédée d'une étude d'impact, notamment sur la situation carcérale à venir.
Vous dites que ce texte est l'expression de l'engagement du Président de la République. Certes, il vient d'être élu, mais ce n'est pas pour autant qu'il a raison sur tous les points de son programme !
Revenons à l'essentiel. Un texte doit répondre à une finalité. D'ailleurs, l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme ne dit pas autre chose : « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Dans le rapport de notre commission figure un tableau très intéressant relatif aux peines actuellement prononcées en cas de récidive. Les magistrats disposent-ils des moyens légaux pour prononcer les peines que le législateur souhaite qualifier de plancher ? Sans aucun doute. Ils peuvent d'ores et déjà prononcer les peines que vous souhaitez instaurer.
Alors, pourquoi ce texte alors que les moyens existent déjà ? La deuxième partie du tableau présenté par notre rapporteur retrace la pratique au regard des peines prévues. Pour les crimes, les magistrats et les jurys vont très au-delà des peines plancher. La qualité de récidiviste n'est apparemment pas la meilleure carte à jouer pour susciter l'indulgence d'une cour d'assises. Concernant les crimes, ce texte ne sert donc à rien. Reste la question des délits. Dans ce domaine, la moyenne des condamnations est effectivement très en-dessous des peines plancher que vous voulez instaurer. Si les magistrats ne les prononcent pas, c'est qu'ils jugent, en leur âme et conscience, en fonction des circonstances et de la diversité des êtres humains. N'oublions pas qu'ils engagent leur responsabilité morale.
M. Jacques Mahéas. - Très bien !
M. Robert Badinter. - C'est pourquoi, lors de nos auditions, pas une voix ne s'est élevée au sein des associations de magistrats pour réclamer l'instauration de ces planchers. Ils nous ont tous demandé instamment de ne pas les prévoir. Et cependant vous le faites. Pourquoi ? Parce que vous estimez que les décisions des magistrats ne satisfont pas aux attentes du gouvernement et du Président de la République.
M. Jean-Claude Carle. - Et des Français !
M. Robert Badinter. - Il veut donc adresser aux magistrats une sorte d'injonction, en fonction de ce qu'il estime nécessaire en matière de sanction. Lorsqu'il s'adressait à la Nation en tant que candidat, chacun comprenait que les peines plancher ne concerneraient que les délits les plus graves. Alors, certes, vous avez ouvert une fenêtre, que dis-je, un interstice afin de sauvegarder le principe constitutionnel de la liberté des magistrats. Mais soyons réaliste : lorsqu'une loi dit aux magistrats les peines qu'ils doivent prononcer, au minimum, pour les récidivistes, tout en leur donnant aussi la possibilité d'aller en-dessous si ils motivent leur décision, que croyez-vous qu'il va se passer ? Si le juge décide, en son âme et conscience, de ne pas appliquer la peine plancher, il prendra un risque. Si le récidiviste commet un nouveau crime ou délit, qui sera stigmatisé ? Qui verra sa responsabilité engagée devant l'opinion publique et le gouvernement ? Le magistrat ! Certes, il existe des âmes intrépides et des coeurs courageux, mais gageons que la plupart ne prendront pas le risque de subir des critiques stigmatisantes et s'aligneront.
C'est pourquoi j'ai parlé, dans mon propos introductif, du caractère inutilement blessant de ce texte à l'égard des magistrats, car il sous-entend qu'ils sont laxistes et qu'ils n'appliquent pas, ou mal, la loi. Certes, la magistrature française n'a pas que des vertus, mais elle a beaucoup plus de qualités que celles que l'on veut bien lui reconnaître et le laxisme ou la faiblesse à l'égard des récidivistes ne sont en rien ses caractéristiques.
Ce texte est inutile et vexatoire, je l'ai dit. Mais, ce qui est plus grave, il est dangereux. Car il va accroître la surpopulation carcérale. Or, vous connaissez la situation actuelle : plus 18 % de prisonniers au cours des cinq dernières années. Nous en sommes à 63 500 détenus et les prévisions font état de 20 % de plus dans les prochaines années. Les maisons d'arrêt et les centres de détention connaissent un taux de remplissage qui va de 120 à 200 %. Le rapport sur la récidive rédigé par la Commission d'analyse et de suivi de la récidive, présidée par le professeur Jacques-Henri Robert, rappelle que les peines plancher instaurées aux Etats-Unis et au Canada n'ont pas eu les effets escomptés.
Nous savons -le constat est ancien- que le premier foyer de récidive, c'est la prison ; que dans les maisons d'arrêt surpeuplées se côtoient dans la même cellule de vieux chevaux de retour et des primo-délinquants, des professionnels du crime et des jeunes qui sortent de prison avec des adresses et des leçons. Vous jouez avec ce texte au pompier pyromane ; on comprend pourquoi vos prédécesseurs n'avaient pas voulu de peines plancher.
Nous pensons, nous, que la vraie question est celle de la signification de la récidive. C'est évidemment une faute du récidiviste, mais c'est aussi un échec qui le dépasse, un échec familial et social, un échec de l'institution judiciaire elle-même. Comment y remédier, sinon en agissant pour une réinsertion réussie ? Les procédures qui la permettent ont été multipliées ces dernières décennies, libération conditionnelle, semi-liberté, placement à l'extérieur, mais elles sont insuffisamment mises en oeuvre, faute de moyens ; éducateurs, travailleurs sociaux, médecins psychiatres sont trop peu nombreux. Nous luttons avec des textes, nous produisons du papier là où il nous faudrait combattre avec des professionnels.
Avec ce projet de loi, madame la garde des Sceaux, vous vous fourvoyez si vous croyez ainsi réduire la récidive. Lutter contre ce phénomène est avant tout affaire de moyens, donc de volonté politique. Nous ne voterons pas ce mauvais texte. (Applaudissements à gauche)
M. Yves Détraigne. - Les infractions commises en récidive suscitent toujours l'émotion légitime de l'opinion ; elles mettent en lumière les insuffisances de notre système répressif et plus généralement de notre modèle social. Nous souscrivons donc pleinement à l'idée de combattre plus efficacement ce phénomène afin de mieux protéger notre société.
Plus qu'aux chiffres globaux, c'est à leur typologie qu'il convient de s'intéresser. Le Gouvernement a décidé de s'attaquer aux infractions les plus graves, les crimes et les délits passibles d'une peine de trois ans d'emprisonnement, et de permettre de déroger plus facilement à l'excuse de minorité pour les mineurs de seize ans multirécidivistes. Ces sujets méritent certes que le Gouvernement et le Parlement les examinent attentivement ; mais nous en avons déjà débattu il ya quelques mois -avec notamment les lois des 12 décembre 2005 et 5 mars 2007. Je m'inquiète ainsi, comme beaucoup, de cette inflation législative, de l'empilement illisible des textes sans que jamais une loi générale ne vienne redéfinir les principes fondamentaux. Les acteurs judicaires, magistrats comme avocats, ont raison de s'en plaindre, car il n'est pas raisonnable de continuer à légiférer ainsi...
M. Jean-Pierre Sueur. - Alors, ne votez pas ce texte !
M. Yves Détraigne. ... d'autant que d'autres projets de loi sont déjà annoncés. La loi précédente sur le traitement de la récidive est-elle inefficace ? Pourquoi n'a-t-on pas pris le temps de la mettre en oeuvre, d'en faire le bilan ? N'était-ce qu'une loi d'affichage ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Excellente question !
M. Yves Détraigne. - N'aurait-il pas mieux valu attendre les conclusions de la commission de suivi ? J'invite le Gouvernement à réfléchir à l'impact de cette inflation législative dont les dommages collatéraux sont régulièrement dénoncés par les magistrats lors des séances solennelles de rentrée. Il faudra à l'avenir évaluer les effets des lois avant de légiférer à nouveau sur le même sujet, surtout quand les textes sont issus de la même majorité.
Le présent projet aborde trois thèmes : les peines minimales pour les crimes et délits passibles de trois ans d'emprisonnement, la dérogation de plein droit à l'excuse de minorité pour les mineurs de seize ans multirécidivistes et l'obligation de soin pour les auteurs des infractions les plus graves, notamment sexuelles. Si la fonction de la peine est d'être efficace et dissuasive, je ne suis pas certain que son aggravation, que la systématisation de l'emprisonnement soient les meilleures manières de lutter efficacement contre la récidive. Il n'est en effet pas démontré que la menace d'une sanction plus lourde soit un frein à la récidive.
Le groupe de l'Union centriste croit à une intervention plus en amont, à un volontarisme plus appuyé de notre système judiciaire lorsqu'il a affaire aux primo-délinquants. La bienveillance peut parfois donner le sentiment à ces derniers qu'ils ne risquent pas grand-chose ; elle peut être vécue comme une forme d'encouragement à poursuivre dans la voie de la délinquance. Lorsqu'un primo-délinquant comparaît devant une juridiction, il n'en est pas en général à sa première infraction ; s'il avait senti plus tôt le vent du boulet, il aurait pu s'abstenir de dériver vers une délinquance plus grave. Il faut donc agir précocement, améliorer la prévention, recentrer les missions de la PJJ sur les auteurs d'infractions pénales en laissant les services sociaux des collectivités locales s'occuper des jeunes qui relèvent du domaine social. Il faut pour cela s'en donner les moyens.
Quel rôle peut avoir une sanction tardive, quelle efficacité sur le parcours judiciaire du délinquant ? On peut légitimement poser la question. Mais s'il est intéressant de fixer des peines minimales, il faut laisser à la justice une latitude d'adaptation pour tenir compte de l'importance des faits et de la personnalité de l'inculpé. Certes, le projet ne met pas en cause le principe constitutionnel de l'individualisation de la peine, mais celle-ci devient l'exception. La certitude de la peine garantit-elle que l'infraction ne sera pas commise ? Notre rapporteur a raison de s'interroger. Derrière les faits, il y a des hommes et des femmes différents, avec une histoire et un profil psychologique propres. L'individualisation de la peine est essentielle pour sortir le condamné de la spirale de la délinquance. La volonté de la société n'est pas seulement qu'ils payent pour les conséquences de leurs actes, mais qu'ils ne recommencent pas. Ne serait-il pas plus utile d'appliquer réellement la sanction dès la première infraction, d'allouer plus de moyens pour assurer un suivi socio-judiciaire effectif, sachant qu'aujourd'hui, on sort souvent de prison plus mal préparé à affronter la réalité du monde ?
Il est indispensable d'améliorer les conditions d'exécution des peines et je salue les dispositions de la lettre rectificative qui systématisent l'obligation de soins pour les auteurs d'infractions graves : j'avais du mal à comprendre ce manque de détermination à l'égard de détenus qui peuvent tirer un réel bénéfice de soins.
Pour être efficace, ce texte doit s'accompagner d'une augmentation significative et rapide des moyens. Sans davantage de médecins et de personnel pénitentiaire, il resterait vain, l'opinion se sentirait flouée et un nouveau texte serait nécessaire.
Une grande réforme de notre système pénitentiaire -M. Alfonsi y reviendra- doit être rapidement engagée. Il est urgent de remédier à l'état dramatique de nos prisons : surpopulation, manque de moyens de formation, d'aide à la réinsertion, de soins. Résultat, nous envoyons des mineurs vers ce que la vox populi, souvent sévère il est vrai, qualifie d' « école du crime ».
Le « tout répressif », madame la ministre, a montré ses limites. Nous comptons sur vous pour convaincre le Premier ministre d'engager rapidement une grande réforme du système pénitentiaire pour que le passage en prison ne soit plus seulement un moyen de payer sa dette mais apporte aussi l'assurance que le détenu ne sera pas tenté, à sa sortie, de replonger dans la délinquance. Si cette réforme tardait, le texte que vous nous présentez aujourd'hui manquerait son objectif, d'autant qu'il pourrait accroître encore la surpopulation dans les prisons.
Nous attacherons, dans ce débat, une attention particulière aux amendements déposés par notre rapporteur dont je salue le travail. (Applaudissements au centre et à droite.)
M. Jean-René Lecerf. - Je m'étonne des commentaires entendus ces derniers jours sur ce texte. Les dispositions nouvelles qui nous sont proposées faisaient clairement partie des engagements de campagne de Nicolas Sarkozy. Certains peuvent encore être surpris qu'un président élu tienne les promesses du candidat, mais il faudra s'y habituer. N'oublions pas que les électeurs se sont exprimés, qu'ils ont élu un nouveau président, un nouveau Parlement, et c'est bien aux parlementaires de décider de la loi dans le respect de la Constitution, et à nulle autre autorité.
Le phénomène de la récidive, rapporté au nombre total des condamnations prononcées, reste pour ainsi dire anodin. Il représente environ 6 % du total des condamnations pénales, ce qui relativise les pourcentages impressionnants d'augmentation : plus 145 % en cinq ans pour les seuls crimes et délits violents. Mais tout change si l'on retient, non la définition juridique, mais la signification que ce mot revêt dans l'opinion, qui l'assimile à la réitération ou au concours d'infractions : les chiffres deviennent impressionnants.
Selon une étude du ministère de la justice en date d'avril 2005, plus d'un condamné sur deux récidive, au sens commun du terme, dans les cinq ans qui suivent sa libération. Ce taux atteint 70 % pour les cas de violences volontaires avec outrage, et 72 % pour les vols avec violence. Près du tiers des condamnés pour agressions ou atteintes sexuelles sur mineurs récidivent dans les cinq ans qui suivent leur sortie de prison.
Dans mon rapport sur le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, je faisais état d'une étude menée en 2002 sous les auspices du ministère de la Justice, qui constatait que, sur 18 000 mineurs condamnés en 1996, 49 % l'avaient été de nouveau dans les cinq années suivantes. M. Zocchetto cite une étude plus récente, révélant que sur les 16 000 mineurs condamnés en 1999, 55,6 % l'ont été de nouveau dans les cinq ans. Il est difficile, dès lors, de ne pas conclure à l'urgence.
Contrairement à une conviction presque unanimement répandue, le mode de libération des détenus -ce n'est pas sans conséquence- reste peu discriminant, de l'ordre de 26 % pour les libérations conditionnelles contre 30 % pour les fins de peine. La solution miracle reste donc à inventer.
Je m'étonne des commentaires à l'emporte-pièce qui taxent de fantasmes les vertus dissuasives de ce texte : la certitude de la sanction ne faciliterait en rien la lutte contre la récidive, et pourrait même la compliquer. Mais les délinquants, quel que soit leur âge, assimilent fort bien la portée de la règle de droit. Vous évoquiez récemment, madame la ministre, ces propos d'un mineur au centre éducatif fermé de Rouen : « Madame, c'est vrai que si on recommence, on va être jugé comme des majeurs ? » Je me souviens pour ma part de l'audition, devant la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs, du père Gilbert, qui nous contait l'histoire de Yann, douze ans et trois mois, répondant, en « distingué juriste », à ses admonestations : « Moi, monsieur, j'ai neuf mois à tirer. » Comment croire que la sanction est sans vertu dissuasive ?
Ce texte créerait, nous dit-on, des peines automatiques, et supprimerait l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs. Ceux qui l'affirment ont-ils lu le projet ? On peut en douter. La liberté d'appréciation du juge est préservée. Et l'obligation de motivation est-elle une charge si accablante, alors qu'il ne s'agit que d'exprimer des arguments dont on est en droit de penser qu'ils ont servi de fondement à la conviction du juge ? Quant à l'extension des conditions dans lesquelles celui-ci pourra écarter l'excuse de minorité pour les mineurs de plus de seize ans auteurs d'infractions d'une particulière gravité, elle ne peut être assimilée à un reniement de la règle d'atténuation érigée par le Conseil constitutionnel en principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Dernière objection, plus largement partagée : le risque d'augmentation du nombre de détenus. Le rapport de la commission d'enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, Prisons : une humiliation pour la République, dressait un constat tragique : maisons d'arrêt surpeuplées, droits de l'homme bafoués, arbitraire carcéral, loi du plus fort, contrôles inefficaces. Depuis 2000, la situation a évolué : création d'emplois, notamment de personnel d'insertion et de probation ; programmes de développement et de modernisation du parc immobilier ; création d'établissements exclusivement réservés aux mineurs ; efforts en faveur de la réinsertion. Le moment est venu de passer d'un progrès quantitatif à une évolution qualitative décisive.
Vous nous avez annoncé, madame la ministre, deux textes à venir, l'un sur la mise en place d'un contrôle général des lieux privatifs de liberté, l'autre, une grande loi pénitentiaire révolutionnant les conditions de détention et d'insertion. Ils devraient assurer une salutaire rupture, que nous attendons tous sur ces bancs. La prison sera alors lavée de l'accusation d'être une école de la récidive. Elle deviendra un lieu aidant les détenus qui payent leur dette à l'égard des victimes à accéder à l'éducation, à la formation, et à travailler ainsi à leur réinsertion.
Il est temps de surmonter l'opposition stérile entre partisans de l'éducation et partisans de la répression pour réhabiliter la sanction d'un point de vue éducatif. Lorsque la prison contribuera à la restructuration de l'individu, elle deviendra un outil, à côté des autres, propre à faire reculer la récidive. Dans cette perspective d'un bénéfice sur le long terme, devient acceptable une augmentation de la population carcérale à court terme, que les peines alternatives pourraient limiter.
Il faut donc envisager ce texte en cohérence avec les deux projets à venir annoncés. Vous pouvez compter, madame la ministre, sur l'entier soutien du groupe UMP. (Applaudissements à droite.)
M. Nicolas Alfonsi. - J'aborde ce texte sans préjugés. Représentant d'un groupe où toutes les sensibilités s'expriment, cette attitude me paraît d'autant plus justifiée que j'ai rendu hommage à l'augmentation considérable des moyens de la justice que l'on doit à vos prédécesseurs depuis cinq ans. Mais au-delà de nos sensibilités, une certaine unanimité se dégage au sein de notre groupe pour exprimer bien des réserves sur le texte que vous nous présentez aujourd'hui.
J'ai dit dans cette enceinte que le Sénat est un récidiviste, compte tenu des très nombreux textes que nous avons l'habitude de voter sur ce thème. En tant que co-auteur, vous en partagez la responsabilité avec beaucoup de récidivistes parmi vos prédécesseurs... Le présent texte vient après celui de décembre 2005 et celui de mars 2007... S'il y a un domaine où il n'y a pas de rupture -ce mot que l'on entend si souvent- mais au contraire permanence et grande continuité, c'est bien celui-là.
Si ce texte nous arrive si vite, alors que votre prédécesseur, M. Clément, avait eu la sagesse de créer une commission de suivi avant de s'engager dans une telle voie...
M. Jean-Pierre Sueur. - Il était contre !
M. Nicolas Alfonsi. - ... c'est qu'il exprime comme une frustration, une volonté très forte, quinze jours seulement après l'élection du nouveau président de la République, dans cette matière extrêmement difficile qu'est la matière pénale.
La lecture de l'exposé des motifs révèle qu'il s'agit bien d'un texte de circonstance. Bien souvent, en effet, l'on peut juger de la qualité d'un texte par son exposé des motifs. Et le vôtre, madame la ministre, tient en ces quelques mots, au bout des quatre premières lignes : « le commencement d'une nouvelle présidence et d'une nouvelle législature constitue le moment propice... ». Voire... Quinze jours après l'élection présidentielle, est-ce le moment propice pour instaurer des peines plancher ? La matière est pourtant complexe, deux écoles doctrinales s'opposent depuis deux siècles, entre Portalis, soucieux de la stricte application de la règle pénale, et Benjamin Constant, avocat des espaces de liberté qu'il faut donner au juge en matière pénale.
Vous invoquez comme argument fondamental à l'appui de ce texte qu'il s'agit d'une promesse ; qu'il y a donc urgence, le président élu attendant ce texte avec impatience ; qu'il faut une dissuasion, face à l'augmentation de 145 % de la récidive en cinq ans.
L'excellent travail de notre rapporteur clarifie la notion de récidive et celle de réitération, qui sont trop souvent confondues.
Nous ne pensons pas que les peines plancher constituent la réponse qu'il faut apporter. A la brutalité de cette progression de 145 %, ce texte oppose une autre brutalité, alors que rien n'est évident, rien n'est démontré. Les expériences américaines et canadiennes, notamment, montrent que les peines plancher sont loin d'être aussi efficaces qu'on voudrait bien le croire. Les taux de récidive légale ne sont que de 2 % à 6 %. En matière de réitération, le procureur de la République de Bobigny, entendu par la commission, a souligné les difficultés, les problèmes de lisibilité de la réponse pénale, lorsqu'elle intervient une quinzaine de mois après la commission des infractions. Mais, je le répète, rien ne démontre que les peines plancher soit efficaces, par rapport aux possibilités d'aménagement des peines. Il existe en effet toute une batterie de moyens permettant d'obtenir de meilleurs résultats. Il semble bien que l'aménagement des peines entraîne moins de récidive que les peines « sèches ».
Demeure le problème essentiel du Conseil constitutionnel. S'il n'avait tenu qu'à vous, vous auriez sans doute laissé moins de latitude aux juges... Mais la décision de juillet 2005 s'impose à vous.
Se pose aussi le problème de la responsabilité des juges, que soulève justement notre commission des lois, avec toutes les nuances habituelles qui s'attachent à la rédaction de ses rapports. Ce problème serait, dit-on, évoqué dans l'avis de la commission de suivi mise en place par votre prédécesseur, avis dont il eût été utile de pouvoir prendre connaissance : ce serait un bel exemple, un premier exemple de cette transparence qu'invoquait hier, ici même, le Premier ministre dans le débat de politique générale ! (M. Pierre-Yves Collombat approuve) Mais nous ne pouvons connaître de cet avis que ce qui se trouve dans quelques commentaires de presse...
Le problème de la surpopulation carcérale ne doit pas non plus être négligé. Il serait important de montrer que les peines plancher permettent réellement de diminuer la récidive. Le trouble est-il si grand pour que la Chancellerie ait jugé bon de répondre à un expert du CNRS, affirmant dans une tribune que l'on est dans l'incapacité de faire la preuve d'une efficacité de ces mesures.
S'agissant des mineurs, le taux de récidive légale est parfaitement insignifiant. Je suis préoccupé par l'atténuation de l'excuse de minorité, au moment même où vous annoncez la création de 29 centres éducatifs fermés, qui donnent des résultats, salués notamment par la commission européenne. Il n'est pas raisonnable, dans ces conditions, d'infliger aux mineurs les mêmes peines d'emprisonnement qu'aux auteurs majeurs. Il existe bien d'autres solutions de nature éducative comme les centres éducatifs fermés ou ouverts.
Je reconnais l'intérêt des dispositions relatives à l'injonction de soins, introduites par la lettre rectificative, mais, pour l'essentiel, comme vous l'avez dit vous-même, madame la ministre, c'est un texte promis, un texte différé, donc un texte d'affichage, qui laissera l'illusion à nos concitoyens qu'ils peuvent dormir tranquilles. Cette illusion sera vite dissipée : nous attendons avec impatience les premières statistiques qui nous annonceront la décélération de la récidive...
Il aurait fallu interpréter avec plus de nuances les causes de celle-ci et l'éventail des moyens humains dont il faudrait disposer pour y faire face, et qui sont trop faibles, pour que votre texte, texte de circonstance s'il en est, puisse contenir l'explosion de violence que nous connaissons.
Nous avons noté avec intérêt les engagements du gouvernement sur la grande loi pénitentiaire et la création d'un contrôleur général des lieux d'enfermement, que nous réclamons depuis longtemps avec notre commission. Sans doute votre texte aurait-il été mieux compris s'il s'était inscrit dans la suite logique de ces deux réformes, et nous ne pouvons que le regretter.
Nous attendons avec beaucoup d'intérêt vos réponses à nos interrogations mais il est peu probable qu'elles suffisent à lever toutes les réserves de notre groupe. (M. Fauchon applaudit)
M. Richard Yung. - Comme l'a dit M. Badinter, nous considérons, comme vous, qu'il faut prévenir, combattre et punir la récidive sous toutes ses formes, d'autant plus qu'elle est multiple et qu'elle concerne les mineurs.
Cependant, nous pensons que ce n'est pas par le biais d'un énième texte pris en urgence, mal fagoté, si je puis dire, et non gagé financièrement que l'on pourra atteindre ce triple objectif.
Ce projet de loi fait peser de nombreux risques sur l'autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles.
En réponse à M. Lecerf, permettez-moi tout d'abord de balayer l'idée fausse selon laquelle les juges seraient laxistes.
Monsieur le rapporteur, dans votre rapport de février 2005 sur la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, vous indiquiez vous-même que « le juge se montre plus sévère avec les récidivistes qu'avec les primo-délinquants ». Deux ans plus tard, vous dressez un constat identique : l'emprisonnement ferme est prononcé pour 57 % des récidivistes contre 11 % des primo-délinquants. En outre, le nombre de condamnations en récidive pour les crimes et délits a augmenté de 70 % entre 2000 et 2005. C'est considérable !
En entretenant la confusion entre récidive et réitération, on accrédite le chiffre de 50 % dans l'opinion publique, alors que dans sa définition exacte, la récidive est de 0,2 %.
S'agissant des mineurs, les peines prononcées sont de plus en plus sévères, même si l'état de récidive légale est rarement constaté. La tendance actuelle est de faire passer les jeunes délinquants du « chaos miraculeux de l'enfance » à « l'ordre féroce de la virilité », pour reprendre les mots de Michel Leiris. L'UNICEF a d'ailleurs condamné la partie du projet de loi relative aux mineurs.
Le sentiment d'impunité découlerait de la non application des peines, dites-vous. C'est un réel problème, mais, au lieu d'accorder les crédits nécessaires, vous avez préféré céder à une demande sociale alimentée par l'instrumentalisation des faits divers. Un juge optant pour une peine alternative ou inférieure à la peine plancher s'exposera à la critique, voire au lynchage médiatique. Vous enfermez les juges dans un dilemme moral : c'est une mesure de défiance à leur égard.
En dénonçant l'angélisme voire le laxisme judiciaire, vous remettez également en cause les délibérations des jurys populaires des cours d'assises et des juges citoyens qui siègent aux côtés des magistrats professionnels dans les tribunaux pour enfants : vous vous défiez du peuple français, au nom duquel justice est rendue ! Nous ne pouvons qu'exprimer notre défiance à l'égard de ce projet de loi, élaboré dans la précipitation et sans concertation, et que rejettent massivement les magistrats et les professionnels. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Claude Carle. - Madame la ministre, nous sommes honorés et fiers de vous voir aujourd'hui sur le banc des ministres.
Nicolas Sarkozy l'a dit pendant la campagne : « Je souhaite qu'on crée des peines plancher pour les multirécidivistes, parce que 50 % des délits sont le fait de 5 % de délinquants. Celui qui ne comprend pas qu'on ne doit pas revenir 25 fois devant le même tribunal pour la même chose, je souhaite qu'il soit puni sévèrement, avec la certitude de la sanction. Je veux des peines doublées pour les multirécidivistes. Je veux résoudre enfin le problème des mineurs. Le mineur multirécidiviste de seize à dix-huit ans sera puni comme un majeur ». (Mme Borvo Cohen-Seat s'exclame)
Je me réjouis que ces engagements soient tenus aujourd'hui.
Il existe, en effet, des personnes, que notre droit pénal actuel ne suffit pas à dissuader. La récidive exaspère nos concitoyens et appelle des sanctions plus sévères. La population ne comprend pas que l'on relâche dans la nature des personnes dont la dangerosité est avérée. (Mme Borvo Cohen-Seat s'indigne).
La fermeté à l'égard des récidivistes est une nécessité. Il faut garantir une sanction certaine, plus rapide et plus ferme pour les cas de récidive les plus graves.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Et voilà !
M. Jean-Claude Carle. - Ce texte propose trois pistes : instaurer des peines plancher de prison pour les crimes et délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement commis en récidive ; exclure l'excuse de minorité pour les multirécidivistes violents de plus de seize ans -le terme de minoration ou d'atténuation des peines serait d'ailleurs sans doute mieux perçu par nos concitoyens, car il ne s'agit pas d'« excuser » le mineur délinquant- ; imposer un suivi médical et judiciaire obligatoire pour les personnes condamnées pour les infractions les plus graves, principalement de nature sexuelle.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ah !
M. Jean-Claude Carle. - Il faut être ferme sur le respect de la loi. Il est impératif que les coupables soient jugés, et que les récidivistes ne puissent plus ignorer les risques qu'ils encourent.
Depuis 2002, la délinquance a nettement diminué, grâce à la politique efficace et courageuse engagée par précédent gouvernement, mais la délinquance des mineurs augmente. La Commission d'enquête sur la délinquance des mineurs, dont j'étais le rapporteur, affirmait dès 2002 que la délinquance des jeunes n'était pas un fantasme, comme certains voulaient le faire croire, mais bien une réalité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ah !
M. Jean-Claude Carle. - Depuis, les esprits ont évolué. Ceux qui nous accusaient de faire du « tout répressif » proposent aujourd'hui de placer les adolescents dans des structures à encadrement militaire...
M. Jacques Mahéas. - C'est mieux que la prison !
M. Jean-Claude Carle. - Je m'étonne donc du procès d'intention qui vous est fait, madame la ministre.
La délinquance des mineurs est plus importante : le nombre de mineurs condamnés pour des délits de violence a augmenté de près de 10 % en cinq ans ; plus violente, avec une augmentation de 38 % du nombre de mineurs condamnés pour des délits de nature sexuelle entre 2000 et 2005 ; enfin, les auteurs des actes de violence sont de plus en plus jeunes. Les mineurs délinquants multirécidivistes ne sont pas les plus nombreux, mais ils commettent les actes les plus graves. C'est cette escalade qu'il faut enrayer par des mesures appropriées et plus fermes, car un mineur délinquant de 2007 n'a plus rien de commun avec un mineur délinquant de 1945.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Encore !
M. Jean-Claude Carle. - Physiquement plus grand et plus fort, il est plus impressionnant face à sa victime.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Et Nicolas Sarkozy n'est pas le général de Gaulle !
M. Jean-Claude Carle. - Cette augmentation massive de la délinquance des mineurs s'explique avant tout par la défaillance, voire la faillite, des trois cercles de proximité qui structurent notre société autour du jeune : la famille, l'école et le tissu associatif.
Souvent, en l'absence du père, les relations familiales sont conflictuelles et c'est l'enfant qui fait la loi. Les adolescents découvrent rapidement qu'un profil délinquant leur offre une intégration au sein du quartier. L'école de la rue les entretient dans l'illusion que le crime paie et concurrence l'école.
M. Jacques Mahéas. - Vous avez supprimé la police de proximité !
M. Jean-Claude Carle. - Deuxième cercle de proximité, l'école ne parvient plus à transmettre le savoir, elle n'intègre plus les jeunes et n'est plus à l'abri de la violence.
Enfin, le tissu associatif peine également à intégrer les jeunes par la voie du sport ou des activités culturelles. Nombre de bénévoles démissionnent devant la violence ou les contraintes administratives et juridiques.
Il faut briser cette spirale infernale et lutter efficacement contre cette délinquance. Il est de notre devoir de faire respecter les lois et les règles de la République.
Un grand nombre des propositions de la Commission d'enquête ont été retenues dans la loi Perben du 9 septembre 2002, puis dans la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance : création des sanctions éducatives, procédure de jugement à délai rapproché, aggravation des sanctions à l'encontre des majeurs qui utilisent des mineurs pour commettre des infractions.
Il faut aller encore plus loin. Un mineur ne doit plus pouvoir s'enfoncer dans la délinquance.
Lorsqu'une peine d'emprisonnement ferme est prononcée, elle ne doit plus susciter incrédulité et révolte. Devant notre commission d'enquête, M. Petitclerc, éducateur spécialisé, a critiqué « le système judiciaire de réponse à la délinquance, non explicité, mais tellement inscrit dans les pratiques, qui a peut-être sa légitimité du côté des adultes, mais qui, à mes yeux, s'avère désastreux d'un point de vue pédagogique : la première fois, ce n'est pas grave, ce qui est grave, c'est de recommencer. Or, je suis de ceux qui pensent, comme bon nombre de parents, que si on n'apporte pas une réponse crédible à la première transgression, on se discrédite pour la suite ». Comment ne pas partager cette opinion ? Cette attitude désastreuse persuade le mineur qu'il n'y aura jamais de vraie réponse. Dans quelques instants, je réitérerai une proposition que vous avez déjà formulée, car le sentiment d'impunité de certains mineurs s'enracine dans ce constat : la justice ne fait pas ce qu'elle dit.
Une réponse systématique peut donc être apportée à chaque acte de délinquance. Il faut rendre un sens à la sanction et la mettre en oeuvre rapidement afin qu'elle soit comprise par le délinquant, la victime et la société. Ne nous y trompons pas : la sévérité accrue des sanctions dissuadera mieux.
Notre commission d'enquête ne réclamait pas l'emprisonnement massif des mineurs, mais l'accumulation des remises à parents, de sursis et de mises à l'épreuve consolident l'ancrage vers la délinquance. Les mineurs comprennent très vite comment cela fonctionne et ceux qui n'ont pas été dissuadés dès le premier passage en justice ne le seront guère par les suivants. L'enfermement des mineurs délinquants est parfois nécessaire, pour la société, qui doit être protégée des jeunes particulièrement violents, et pour les mineurs entrés dans un parcours d'autodestruction. Ce projet de loi va dans le bon sens : il est adapté à une délinquance plus massive, plus violente et perpétrée par des mineurs de plus en plus jeunes, il fixe une politique pénale claire, cohérente, efficace et dissuasive, enfin, il donne au juge des principes directeurs de sanctions pour dissuader la récidive, tout en respect les exigences constitutionnelles et internationales. Ne comportant aucune mesure scandaleusement répressive, ce texte répond à une attente forte de nos concitoyens : les délinquants sauront désormais qu'il y a une ligne rouge à ne pas franchir.
J'insiste également sur la nécessité d'appréhender notre politique pénale dans sa globalité.
En effet, tout en renforçant notre arsenal juridique, nous devons accorder toute leur place aux impératifs de réinsertion à la sortie de prison. Si l'emprisonnement devient la règle pour les récidivistes, il ne doit pas occulter la dimension éducative de la sanction. L'enfermement des mineurs doit s'inscrire dans un parcours éducatif dynamique vers la réinsertion. La sanction fait partie intégrante de l'éducation. C'est ce que fait chaque parent quand son enfant commet une bêtise. La sanction doit aller jusqu'à l'enfermement lorsque la gravité de l'acte commis l'exige, mais elle n'est pas une fin en soi : c'est un moyen de remettre le jeune sur la bonne voie. Dans notre rapport d'enquête, nous avons écrit : « mettre de la contrainte dans l'éducation, mais mettre également de l'éducation dans la contrainte ». Nous avons souhaité que de véritables parcours éducatifs permettent le suivi effectif des mineurs incarcérés. Tous doivent être mis en situation de réfléchir à leur insertion professionnelle. Je salue donc votre intention de développer la formation en alternance dans le milieu carcéral. L'assistance éducative constitue l'une de vos priorités et je vous accorde toute confiance pour mettre en oeuvre une justice à la fois plus ferme et plus humaine.
En conclusion, je réitère une des propositions que j'avais formulées lors du débat sur le texte « prévention de la délinquance ». Pourquoi ne pas soulager nos juridictions des primo-délinquants grâce aux maisons de la réparation, à l'instar de la Hollande ? Ces structures mettraient en oeuvre des mesures de réparation obligatoire proposées par le procureur de la République pour certaines infractions commises par des mineurs primo-délinquants. Seraient également concernés les contraventions, vols simples, destructions et dégradations. Cette solution a l'avantage d'empêcher immédiatement l'ancrage dans la délinquance par une mesure concrète, rapide, éducative et signifiante. En effet, la réparation permettrait au mineur de restaurer la situation dégradée par son infraction et de transformer un comportement négatif en comportement positif. Et les juridictions, très encombrées, pourraient apporter des réponses plus rapides aux délits plus graves, notamment ceux des récidivistes. J'espère que cette proposition sera reprise dans un prochain texte de loi.
Sachons protéger la société en combattant le sentiment d'impunité. Sachons prévenir, éduquer, sanctionner, mais aussi favoriser la réinsertion des personnes les plus vulnérables !
Avec mon groupe, je soutiendrai ce texte qui accroît la sévérité de notre droit lorsque c'est nécessaire, tout en respectant nos principes et traditions juridiques. (Applaudissements à droite)
M. Jacques Mahéas. - Avec la sensibilité d'un élu de Seine-Saint-Denis, je m'associe, Madame, aux propos de M. Badinter quant à votre nomination.
Inutile, inopérant, disproportionné, irréaliste et contre-productif : tout observateur honnête fera ce constat désolant à propos de votre texte. Les magistrats auditionnés par la commission sont consternés. Non par réflexe corporatiste ou repli idéologique...
M. Jean-Claude Carle. - Si peu !
M. Jacques Mahéas. - ... mais parce qu'ils mesurent la seule véritable dimension du texte : l'affichage ! N'est-il pas aussi une conséquence de la « chicaya » ayant opposé le tribunal de Bobigny et l'ancien ministre de l'intérieur ! Négligeant la séparation des pouvoirs, celui-ci avait accusé les magistrats de démission, déclenchant une polémique inutile. Nous examinons la troisième loi en moins de deux ans traitant de la récidive, sans aucune évaluation des textes antérieurs. Il faut dire que la loi de répression - pardon : de prévention- de la délinquance est si récente que tous ses décrets d'application n'ont pas encore été publiés. Le nouveau texte n'est accompagné par aucune étude d'impact quant à l'inflation carcérale qu'il va mécaniquement provoquer. Notre rapporteur a reconnu la réalité de cette inflation, puisqu'il a noté que les durées d'emprisonnement passeraient en moyenne de 1,6 années à plus de quatre. Pour élaborer votre projet, vous n'avez pas attendu jusqu'au 14 juin jour où la commission d'analyse du suivi de la récidive mise en place par votre prédécesseur devait rendre son rapport. Est-ce parce que vous deviniez que celui-ci contrarierait vos propositions ? Pourquoi l'avoir instituée, si c'est pour ne pas la consulter, comme nous l'a assuré son président, le professeur Jacques Henri Robert ? Rien ne vous arrête, tant votre majorité semble multirécidiviste en matière d'inflation législative répressive !
Vos services nous ont transmis des statistiques, ce dont je vous remercie. Je me suis particulièrement attaché aux chiffres concernant les mineurs, cette catégorie présentée depuis un certain temps comme particulièrement dangereuse. S'agissant des crimes, deux mineurs récidivistes ont été condamnés en 2000 ; un seul en 2002 et 2005, aucun en 2004. Quant à la notion floue de « délits », le nombre de récidivistes s'échelonne de 128 à 316 par an. C'est peu. Quelle urgence y avait-il donc à légiférer, sinon de satisfaire une promesse électorale en forme de slogan, sinon, pour le Président de la République, d'organiser un battage médiatique, lui qui, à ses heures perdues, s'improvise Premier ministre ou garde des sceaux ?
Ne confondons pas pragmatisme et précipitation. Les acteurs de terrain savent que le suivi éducatif doit être mis en oeuvre dès la première peine. Or, depuis 2002, vous misez sur le tout carcéral. L'exemple des travaux d'intérêt général est navrant. Ainsi, la commune dont je suis maire, Neuilly-sur-Marne, est entrée dans le dispositif dès sa mise en place. À ce jour, avec nos quinze fiches de postes nous pouvons accueillir de nombreux condamnés puisqu'un TIG n'excède pas 210 heures. Or, après deux années quasiment sans affectation, nous n'avons reçu que trois personnes depuis le début de l'année 2007 alors que les postes ne sont pas réservés aux habitants de Neuilly-sur-Marne. Pourquoi cette peine est-elle négligée malgré son réel intérêt pour les jeunes délinquants ? Elle conjugue sentence et réinsertion par le travail. C'est ce que j'exprimais déjà en 2005 dans une question écrite au Garde des sceaux, à laquelle il a répondu qu'il partageait mon « souci de voir se développer les peines de travaux d'intérêt général, lesquels, tout en présentant un caractère de sévérité, participent de la réinsertion du condamné par le travail et de prévention de la récidive ». On ne saurait mieux dire !
Je terminerai sur une note plus personnelle. Interrogé par un grand quotidien publié aujourd'hui, votre frère affirme : « Ma soeur ne lâche rien. Elle aime décider seule. Elle veut toujours avoir le dernier mot ». (Rires) Démentez ces propos ! Vous ne pouvez retirer ce texte, puisque vous êtes en service commandé mais au moins, acceptez nos amendements ! (Rires et applaudissements à gauche.)
M. Hugues Portelli. - Ce projet de loi n'est pas le premier texte à traiter de la récidive.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est le moins qu'on puisse dire !
M. Hugues Portelli. - Il a un double objectif : intégrer les mesures sur les peines minimales adoptées dans les pays voisins et encadrer le rôle du juge. Depuis 1789, celui-ci est censé juger au nom du peuple français ; il doit donc, quoi qu'il en pense personnellement, appliquer l'expression de la volonté générale formulée par les représentants de la Nation.
Ce n'est pas pour autant que le législateur est libre de faire ce qu'il veut : le juge constitutionnel a dégagé un certain nombre de principes fondamentaux de la République, au nombre desquels l'atténuation de la responsabilité des mineurs et la nécessité de « rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge ». Ces principes, formulés dans la loi du 12 avril 1906 et dans l'ordonnance du 2 février 1945, sont confortés par ceux qu'a dégagés la Cour européenne des droits de l'Homme sur le caractère équitable des procès et sur l'existence de procédures pénales particulières pour les mineurs.
Pour autant, le juge constitutionnel s'aventure avec prudence dans le domaine pénal ; il tend, en France comme à l'étranger, à respecter le pouvoir discrétionnaire du législateur, pour peu que celui-ci ne remette pas en cause de façon manifeste les principes rappelés. Qu'en est-il de ce projet de loi, que la commission des lois a approuvé sans difficulté ? C'est un texte équilibré et proportionné. Tout en instaurant des peines minimales, il n'exclut pas l'individualisation de la peine. Tout en permettant d'écarter l'excuse atténuante de minorité pour les mineurs de plus de 16 ans, il ne remet pas en cause la fixation à 18 ans de la majorité pénale. Respecte-t-il les principes constitutionnels ? Oui, puisqu'il conserve au juge un pouvoir d'appréciation, sous la réserve, déjà formulée en mars 2007 et étendue cette fois aux peines minimales, de motiver ses décisions, ce qui est la moindre des choses pour une juridiction. Oui puisqu'en matière de mineurs, il respecte les principes de l'ordonnance de 1945, que le Conseil constitutionnel avait repris dans sa décision du 3 mars 2007, affirmant que le juge peut décider que certains mineurs de plus de seize ans peuvent être assimilés à des majeurs sur le plan pénal soit compte tenu des circonstances de l'espèce et de la personnalité du mineur, soit parce que les faits constituent une atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne et qu'ils ont été commis en état de récidive légale.
Soyons réalistes : rester dans le statu quo en la matière reviendrait à accepter une violence de plus en plus forte, à renforcer un sentiment d'impunité de plus en plus grand et à faire preuve d'un véritable mépris pour les victimes. Néanmoins, je souhaite mettre l'accent sur certains points.
La certitude de la peine est encore plus efficace que la sévérité de celle-ci, car elle met à mal le sentiment d'impunité. Il faut donc davantage de greffes, de moyens, une justice plus rapide. Pour les victimes et parce qu'un mineur délinquant « réitériste » ne se souvient plus véritablement plusieurs mois après les faits de l'infraction qui lui est reprochée. Ces jeunes vivent dans l'instant, la réponse judiciaire doit donc être rapide pour avoir un sens. Comme l'a dit Beccaria : « Plus le châtiment sera prompt et suivra de près le délit commis, plus il sera juste et utile ».
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Châtiment... bientôt le bagne !
M. Hugues Portelli. - S'il faut une réponse ferme à des actes de plus en plus violents et de plus en plus dirigés gratuitement contre les personnes, il faut aussi s'interroger sur le sens de l'emprisonnement. Les statistiques montrent que la récidive est plus faible quand les détenus ont bénéficié de la libération conditionnelle. La prison n'a de sens que si elle aide le détenu à préparer sa réinsertion. Il faut donc que les collectivités territoriales soient davantage associées à cet effort. Je vous dis d'expérience que cela marche. Dans le même esprit, il faut donner plus de moyens au suivi sociojudiciaire : le suivi post-carcéral est souvent défaillant, comme le suivi psychiatrique. Dès lors qu'une personne est condamnée à une peine autre que la perpétuité, il faut l'aider à l'après, sinon sa chance de survie sociale, psychologique et médicale hors de la prison est minime, et le risque de récidive est accru.
Enfin, si la peine est dissuasive, elle ne peut à elle seule incarner la prévention de la délinquance. Si la prévention situationnelle s'est développée ces dernières années, avec de plus en plus d'équipements de vidéosurveillance, de digicodes et autres contrôles d'accès, la prévention sociale, moins visible par l'opinion, ressentie comme moins rapide et moins efficace, doit être mise au même niveau que la politique de répression systématique de la délinquance. Dans leur grande majorité, les mineurs délinquants ont commencé par être des enfants en danger.
Le texte qui nous est proposé et que nous approuvons sans réserve est donc nécessaire car il parachève la mise à jour de notre code pénal. Mais il n'aura de sens et d'effet durable que s'il s'accompagne d'un effort considérable de prévention sociale et de suivi sociojudiciaire, dont l'injonction de soins, justement ajoutée au projet de loi, est une dimension essentielle. Nous comptons sur vous, madame la Ministre, pour que ne soit jamais perdu de vue que ces délinquants, quelle que soit la gravité de leur faute, même réitérée, sont et resteront des êtres humains dont nous devons restaurer la dignité perdue. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Bien que nous souscrivions à la nécessité de lutter efficacement contre la récidive, nous proposerons de modifier ce texte.
Lors du débat télévisé qui l'a opposé à Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy a évoqué un « taux considérable de récidive en matière sexuelle ». Nous n'avons pas les mêmes chiffres : pour nous, ce taux avoisine les 0,6 % ! Les Français doivent savoir comment vous avez instrumentalisé les statistiques pour les convaincre d'accepter ce projet de loi qui, pour ce qui concerne son objet affiché, ne sera qu'un coup d'épée dans l'eau. Mais il est censé plaire à une opinion publique que vous avez sciemment affolée, en particulier à la suite de l'affaire Cremel.
En jouant comme vous l'avez fait sur le mot récidive, vous avez fait d'une notion juridique un concept-gadget. La récidive légale ne concerne en fait que 2,6 % des crimes et 6,6 % des délits, et ce chiffre baisse régulièrement.
Quant aux peines minimales, elles n'ont jamais dissuadé le délit, pas plus que la peine de mort n'a empêché les crimes. La dissuasion n'est rien, si elle n'est pas accompagnée d'une politique active de prévention et de suivi des condamnés. Des États qui avaient adopté le système des peines minimales I'ont abandonné, du fait de son inefficacité et de son coût.
Ce projet de loi aura un effet désastreux sur le travail des juges, qui seront obligés de motiver chacune de leur décision, le prononcé de la peine prendra bientôt plus de temps que son exécution. (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, s'exclame) Nous allons assister à un engorgement sans précédent des tribunaux. L'atteinte délibérée de ce projet de loi au principe de l'individualisation de la peine va se traduire par un chantage aux responsabilités : si les juges motivent, cela ralentira encore plus les procédures, alors que leur prétendu laxisme est en fait un problème de moyens. La complexité des profils appelle une approche flexible des sanctions. Le délinquant n'est pas un être-type qu'une réponse unique pourrait appréhender. Le pouvoir d'individualisation est l'outil idoine pour cerner au mieux cette variété.
Ce projet aura également un effet immédiat sur Ia population carcérale. En un an les prisons devront accueillir plus de 10 000 personnes.
M. Jean-Jacques Hyest. président de la commission des lois - Vous vous contredisez : vous venez de dire que le taux de récidive était faible !
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Ce projet aura également pour effet de focaliser le prononcé de peines d'emprisonnement sur les couches sociales les plus défavorisées : les condamnés ayant le bac et déclarant une profession ont un taux de récidive proche de zéro, les autres de 80 %.
Ceux dont les parents offrent des garanties ou ont des moyens encourront des peines plus légères ou bénéficieront de mesures alternatives. Vous semblez désormais prendre au sérieux votre plaisanterie au sujet de la karchérisation des banlieues, comme si on luttait contre l'exclusion en emprisonnant les exclus. Vous privilégiez les riches et stigmatisez les autres par une justice à deux vitesses. Selon que vous serez puissant ou misérable...
Quelle abdication des principes de la justice des mineurs ! L'atténuation est un principe fondamental de notre droit et l'excuse de minorité doit être la règle et non l'exception. Bientôt, leurs juridictions ne seront plus spéciales, qui diront le même droit que les autres en jugeant les jeunes comme s'ils étaient majeurs, en contravention avec nos engagements internationaux et l'article 37 de la Convention internationale des droits de l'enfant.
Vous ruinez l'économie générale de l'ordonnance de 1945 sans même vous donner les moyens des mesures que vous prônez. Ni bilan ni évaluation ! Vous construisez une maison en commençant par le toit et encouragez les sanctions alternatives en mettant en prison les enfants qui auront volé des bonbons...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Caricature !
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Loin de favoriser la réinsertion, la prison est une école de la délinquance. La récidive est bien plus faible en cas de mesures alternatives.
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Le dernier volet introduit une grave confusion entre délinquance et pathologie, une psychiatrisation de la justice.
M. Jean-Pierre Sueur. - Absolument.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Vous opérez un dangereux transfert de compétences du juge vers le médecin car celui-ci doit intervenir dans le cadre défini par le juge : c'est à ce dernier d'individualiser la peine et au médecin de soigner, quand on a pu en recruter. Or il n'y a aucun bilan de l'existant. Vous greffez un corps étranger sur un corps malade sans diagnostic préalable : le greffon sera rejeté. Mieux vaut soigner les prisons que les remplir à tout prix. Vous ne développerez pas la prévention en oubliant les moyens de la réinsertion. (Applaudissements à gauche)
M. Christian Demuynck. - Je veux vous dire, madame, le plaisir que j'ai à vous voir à ce banc, vous qui avez été auditrice de justice au TGI de Bobigny, où la récidive est un fléau : qui mieux que vous aurait pu élaborer ce texte qui figurait dans les priorités du président de la République ? J'ai été particulièrement sensible à ce qui concerne la lutte contre la récidive des mineurs. En 2004, M. Raffarin m'avait confié une mission sur la violence scolaire. Beaucoup de jeunes manquent de repères par rapport à la norme : il faut qu'ils prennent conscience de la gravité de leurs actes par le biais de la prévention et de la sanction. Tous les chefs d'établissement, tous les éducateurs m'ont assuré que le succès tient à la célérité de la réaction car l'adulte, symbole de l'autorité, est testé en permanence et chaque absence de réaction est une défaite.
Dans mon département, des jeunes, loin de s'enfuir à l'approche des forces de l'ordre, les défient, les agressent parfois. (Mme Borvo Cohen-Seat s'exclame) A Bobigny, vous avez déclaré que chaque infraction appelait une réponse car 70 % des jeunes punis ne récidivent pas.
La récente loi de lutte contre la délinquance a déjà marqué un progrès. Cependant, votre texte est plus qu'utile, indispensable car tous les indicateurs de la délinquance des mineurs sont passés au rouge. N'ont-ils pas perpétré 71 % des actes violents en 2005 contre 52 % en 2002 ? L'excuse de minorité n'est pas étrangère aux 13 899 faits avec violence grave. Lors des émeutes de 2005, 132 mineurs seulement sur 1 650 déférés ont été poursuivis : les juges sont considérés comme des Père Noël...
M. Jacques Mahéas. - C'est insultant !
M. Christian Demuynck. - Allez au TGI de Bobigny et vous entendrez ce que disent les jeunes. (M. Mahéas proteste)
Nos concitoyens ne l'acceptent plus.
M. Jacques Peyrat. - Bien sûr !
M. Christian Demuynck. - Un jeune doit apprendre les limites à respecter et savoir que la récidive est une circonstance aggravante et qui est punie.
M. Christian Cambon. - Absolument !
M. Christian Demuynck. - Je ne demande pas qu'on jette tous les jeunes en prisons mais, à choisir, je préfère une machine à incarcération à une machine laxiste. Si la prison doit rester le dernier recours, la minorité ne doit pas être une excuse dans tous les cas. Il faut qu'un jeune sache qu'une infraction sera punie et que la récidive sera sanctionnée plus lourdement.
Contrairement à ce que prétend la responsable du Syndicat de la magistrature, les prisons n'exploseront pas, même si, il est vrai, elles sont surpeuplées. En revanche, la loi pénitentiaire et la création d'un contrôleur général des prisons contribueront à lever les dernières réticences à votre texte, que je soutiens résolument. (Applaudissements à droite)
M. Jacques Mahéas. - Rappel au règlement : j'ai été choqué que M. Demuynck traite les magistrats de Seine-Saint-Denis de Père Noël. Je lui demande de retirer cette insulte.
M. le président. - Acte vous est donné de cette déclaration.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Ce n'est pas un rappel au règlement, mais une mise en cause personnelle.
M. Jacques Peyrat. - L'esprit vivifie, la lettre tue, écrivait Saint Paul aux Corinthiens. Le président de la République a eu raison, dans son programme, de pointer du doigt le ressenti d'insécurité de notre Nation et de se préoccuper plus précisément de la récidive. Pourquoi pas un jour aussi de la réitération ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Pour toutes les délinquances !
M. Jacques Peyrat. - Dans votre discours, vous avez indiqué, madame la garde des sceaux, que l'objectif, avec ce texte, était « de vivre en bonne intelligence avec les autres ». Tel est bien notre but dans cette assemblée, à gauche comme à droite.
M. Jacques Mahéas. - Parlez pour la droite !
M. Jacques Peyrat. - Mais nous divergeons sur les moyens. Vous avez parlé, madame la ministre, d'une justice ferme. Je ne vois pas, comme d'autres, de volonté de punir selon des normes élaborées par le gouvernement, mais plutôt de punir selon des règles votées par le Parlement, reflets d'aspirations populaires, qui ont déjà porté aux plus hautes fonctions notre nouveau président.
Bien sûr, les précédents gouvernements, approuvés par la représentation nationale, ont essayé d'endiguer la récidive, mais ils n'ont, hélas !, pas réussi.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - D'autant que les lois ne sont pas encore appliquées !
M. Jacques Peyrat. - Il faut bien constater que la récidive continue à augmenter et que vos prédécesseurs, y compris ceux de gauche, se sont fourvoyés.
Dans la petite ville que j'administre... (Rires)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Ne soyez pas modeste !
M. Jacques Peyrat. - Quand on sait qu'il y a en Chine des agglomérations de 15 à 35 millions d'habitants, on se sent bien petit... Dans ma ville donc, comme dans la plupart des autres, plusieurs réalités se télescopent : multiplicité des actes d'incivisme, de vandalisme, de violence, d'agression ; désarroi de notre population qui ne se sent plus protégée et dont la confiance s'effrite ; policiers, gendarmes et gardiens de prison qui se découragent ; coûts des procédures, des éducateurs, des politiques de la ville qui s'accroissent en proportion inverse des résultats obtenus. Et puis, surtout, insupportable pour les victimes est l'impunité dont semblent jouir les malfrats de toute sorte, parmi lesquels ceux que l'on qualifiait naguère de délinquants d'habitude et contre lesquels on avait inventé, en 1970, la tutelle pénale comme substitut à la relégation.
Entre la crise de l'autorité que connaît notre société et une certaine forme de fatalisme face à la délinquance quotidienne, ce n'est pas un luxe de promettre une sanction ferme à tous ceux qui, majeurs et mineurs, croient pouvoir poursuivre leurs exactions délictuelles ou criminelles. Vous avez dit, madame la garde des sceaux, que ce n'est pas affaire de spécialiste, fut-il avocat pénaliste de métier, d'élaborer la loi. Certes, mais je pense, après 35 ans d'exercice professionnel, que le voleur, le violeur, l'assassin, quelles que soient leurs motivations, ont en commun un mépris total de leurs victimes. (Marques d'approbation à droite) C'est d'ailleurs ce qui marque le plus profondément la victime, lorsqu'elle reste en vie, en dehors du poids de la perte, des dégâts ou de l'exaction subie. Voila pourquoi la coercition ferme se justifie.
Ceci m'amène à vous dire mon total respect à l'égard des magistrats auxquels on demande souvent, dans la solitude de leurs responsabilités, d'être tout à la fois juriste, psychologue, sociologue, moraliste, diagnosticien et même éducateur social. Et souffrez, assurée de mon soutien total, que je vous alerte, comme M. Badinter, sur les dangers de ne pas entreprendre rapidement la construction de nouvelles prisons : nos maisons d'arrêt et de détention sont des incubateurs de délinquants professionnels, notamment en raison de la surpopulation carcérale. C'est inacceptable.
Il y a une vingtaine d'années, lors d'une séance de nuit à l'Assemblée nationale, nous étions nombreux à attirer l'attention du gouvernement sur la dégradation funeste de notre univers carcéral. Albin Chalandon, alors garde des sceaux, nous avait fait des propositions originales qui n'ont, hélas !, pas été suivies. Et le problème reste d'actualité, gravissime. Tant qu'il ne sera pas résolu, l'augmentation de la délinquance se poursuivra.
Je vous dis tout cela, madame la ministre, parce que vous êtes magistrat, garde des sceaux, et que vous avez toute ma confiance. (Applaudissements à droite)
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Nous aurons l'occasion de reprendre point par point tous les problèmes évoqués par les orateurs ce matin lors de l'examen des articles. Mais je me réjouis que, dans cette assemblée, nous puissions tous avoir pour objectif commun de lutter, sans dogmatisme, contre la récidive.
M. Carle disait que les mineurs délinquants de 1945 ne ressemblaient en rien à ceux d'aujourd'hui.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Rien n'est pareil !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - La délinquance, nous le savons tous, n'est plus la même. Quand vous visitez des établissements éducatifs fermés, des établissements pour mineurs ou des quartiers pour mineurs, vous vous retrouvez face à des jeunes de 13 à 15 ans qui sont déjà dans la multi-récidive et qui ont commis des infractions ou des délits graves. Et que répondre à un jeune de 15 ans qui vous demande s'il est vrai qu'à l'automne, il sera jugé comme un majeur, car sa principale préoccupation est de savoir s'il risque une peine plus élevée ? Notre responsabilité politique consiste à dire que oui, il y aura des peines plus élevées. (« Très bien ! » et applaudissements à droite) Il faut aussi avoir à l'esprit que lorsqu'on parle de primo-délinquant, il s'agit en fait de mineurs jugés pour plusieurs affaires.
A l'heure actuelle, il n'y a pas de politique pénale destinée aux mineurs dans notre pays. Or, chaque infraction appelle une réponse. Non, monsieur Badinter, une sanction n'est pas obligatoirement synonyme d'incarcération, mais elle doit impérativement impliquer une prise en charge des mineurs.
Il s'agit aussi de protéger les victimes : la société a besoin de tranquillité, de sureté. Il ne s'agit pas, madame Boumediene-Thiery, de vols de bonbons, mais de vols à main armée, de braquages, de délinquance sexuelle qui a considérablement augmenté chez les mineurs. Arrêtons l'angélisme : ces violences ne sont pas acceptables. Si nous ne faisons rien, si nous excusons tout, les actes de torture et de barbarie se multiplieront rapidement. Vous savez bien ce qui se passe en Seine-Saint-Denis, département que je connais très bien. (Applaudissements à droite)
La prison peut certes générer la récidive, mais je me veux, avant tout, pragmatique : on ne peut pas laisser les citoyens en danger et les mineurs doivent prendre conscience de la gravité de leurs actes. Ils pensent ne commettre que des bêtises, pas des crimes. Nous leur devons la vérité, d'autant que l'on constate dans la tranche d'âge des 13 à 16 ans une très forte augmentation de la délinquance. Il faut en finir avec une certaine vision angélique de la délinquance des mineurs. (Applaudissements à droite)
Je présenterai le 11 juillet au Conseil des ministres un texte créant un contrôleur indépendant des lieux privatifs de liberté, premier acte de ce gouvernement en faveur des droits fondamentaux des personnes détenues ou retenues.
Je travaille dès à présent à l'élaboration d'une loi pénitentiaire. Si on incarcère, il faut le faire dans la dignité. Or nos prisons ne sont pas aux standards européens, elles sont indignes. Je traiterai des droits élémentaires des détenus, des conditions de travail du personnel pénitentiaire -dont le dévouement constant mérite hommage- de l'éducation, de la formation professionnelle et du travail en prison. Il n'est pas normal qu'un jeune de 16 à 18 ans ne soit soumis à aucune obligation d'activité et dorme toute la journée. Nous avons développé, et nous développerons encore les centres éducatifs fermés, les foyers de placement, les alternatives à l'incarcération, l'aménagement des peines -et nous y mettrons les moyens. J'espère que nous pourrons en débattre sans a priori.
On me dit que ce texte est inutile et dangereux : c'est l'un ou l'autre ! Nous entendons donner aux magistrats les outils dont ils manquent aujourd'hui ...
M. Jean-Pierre Sueur. - Ils les ont déjà !
M. Alain Gournac. - Pas pour les mineurs !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Nous n'avons ni régime pénal adapté à la récidive, ni jurisprudence cohérente en la matière.
M. Jean-Pierre Sueur. - Qu'ont donc fait MM. Perben et Clément ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Je dirai cet après-midi plus précisément en quoi ce texte est un progrès et une innovation. (Applaudissements au centre et à droite)
La discussion générale est close.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°11, présentée par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs (n° 333 rect., 2006-2007) (urgence déclarée).
Mme Josiane Mathon-Poinat. - Le rituel est désormais bien établi : la session extraordinaire est à peine commencée qu'on nous demande de débattre d'une nouvelle réforme du code pénal et de l'ordonnance de 1945. Le thème de la lutte contre la récidive a été ultra-médiatisé par Nicolas Sarkozy pendant la campagne électorale ; il promettait alors des peines automatiques et la suppression de l'excuse de minorité, au prix, s'il le fallait, d'une modification de la Constitution. Le présent texte n'est pas conforme à ces promesses : les peines ne sont plus à proprement parlé automatiques, et la majorité pénale reste, heureusement, à 18 ans. La Constitution n'a plus besoin d'être modifiée, le gouvernement ayant pris de multiples précautions rédactionnelles.
Ce texte n'en porte pas moins atteinte à plusieurs de nos principes constitutionnels ; il inverse notre logique judiciaire et sacrifie la spécificité de la justice des mineurs sur l'autel de la surenchère médiatique. Aux termes de l'article 68 de la Constitution, l'autorité judiciaire est la gardienne des libertés individuelles et assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. Or cet article est bafoué dès lors que le juge devra motiver, non plus la privation de liberté mais le maintien en liberté. On peut s'inquiéter d'un État qui considère la perte de liberté comme un élément mineur ! Certes le juge pourra prononcer, selon des conditions limitativement énumérées, une peine inférieure à la peine minimale encourue ou une peine autre que l'emprisonnement en matière délictuelle par une décision spécialement motivée, mais la liberté d'appréciation du juge est strictement encadrée et bien mince.
Le principe de l'individualisation des peines devient l'exception. En cas de première récidive, le juge peut déroger à la peine minimale si les circonstances de l'infraction, la personnalité de son auteur ou ses garanties d'insertion ou de réinsertion le justifient. En cas de seconde récidive, pour les crimes et les délits les plus graves, le juge ne pourra y déroger que si le prévenu présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion -qui n'existent pas dans notre code pénal. Et si dérogation il y a, obligation lui est faite de prononcer une peine d'emprisonnement. Qui peut penser qu'un multirécidiviste pourra présenter de telles garanties au moment de sa comparution ?
Le Conseil constitutionnel a reconnu le principe de l'individualisation des peines dans sa décision du 22 juillet 2005, ce principe découlant de l'article 8 de la Déclaration de 1789. Il est dangereux de considérer que l'acte est déconnecté de tout, de la vie, de la personnalité de son auteur. Les amendements de la commission des lois traduisent le trouble ressenti par beaucoup. J'ajoute que le Conseil de l'Europe a recommandé que les condamnations antérieures ne soient pas considérées comme des facteurs aggravants et que la peine soit proportionnelle à la gravité de l'infraction en cours de jugement. L'individualisation de la peine vaut a fortiori pour les mineurs, qui impose de tenir compte de l'évolution personnelle des adolescents en cause. Leur appliquer des peines plancher, c'est admettre leur exclusion.
La rupture est encore plus flagrante si l'on s'attache à la justice des mineurs. Au prétexte que l'ordonnance de 1945 est désuète, alors qu'elle a été modifiée plus de vingt fois, au prétexte que la délinquance est plus précoce et plus violente, on veut la réformer une nouvelle fois. Mais la spécificité de la justice des mineurs ne date pas de 1945 : le Conseil constitutionnel , dans sa décision du 29 août 2002, notait que « l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle ; que ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante ».
Ce texte est en totale contradiction avec ces principes ; à 16 ans, un mineur pourra être jugé comme un majeur dès la deuxième récidive, et le juge devra motiver l'atténuation de responsabilité, donc la soumission du mineur à une législation qui lui est pourtant spécifique.
Cette disposition sous-entend qu'un enfant de 16 ans n'est plus considéré comme un mineur sur le plan pénal. Pourtant, l'âge de la majorité civile en France reste fixé à 18 ans. Le projet de loi ne semble respecter ni nos exigences constitutionnelles, ni la Convention internationale des droits de l'enfant qui, dans son article premier prévoit qu'« un enfant s'entend de tout être humain âgé de moins de 18 ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ». Partout ou presque en Europe, l'âge de la majorité pénale est de 18 ans ; plusieurs pays étendent même le régime des mineurs jusqu'à 21 ans.
La Convention internationale des droits de l'enfant, dans son article 40, précise que « tout enfant suspecté, accusé ou convaincu d'infraction à la loi pénale a droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle, qui renforce son respect pour les droits de l'homme et les libertés fondamentales d'autrui, et qui tienne compte de son âge ainsi que de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci ».
Cela n'empêche pas les exceptions. Le juge, avant la modification de l'article 20-2 de l'ordonnance de 1945, pouvait écarter l'atténuation de responsabilité. La modification que vous introduisez ici est donc inutile, voire dangereuse : elle met en cause les principes fondamentaux régissant le droit pénal des mineurs. Mme Versini elle-même s'en est émue qui demande, dans un communiqué du 27 mai, le maintien des dispositions actuelles « qui permettent au juge de décider au cas par cas d'écarter l'excuse atténuante de minorité en fonction de la gravité des faits et de la personnalité du mineur. »
D'autres dispositions encore revêtent un caractère anticonstitutionnel. L'article 3 prévoit que les peines automatiques seront de plein droit applicables aux mineurs. Ce n'est pas la première fois, hélas, que le gouvernement et sa majorité décident d'appliquer aux mineurs les mêmes dispositions qu'aux majeurs. Ainsi, la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales est applicable aux mineurs. Autre exemple de cette assimilation insidieuse, la procédure de jugement à délai rapproché, en tout point semblable à la comparution immédiate.
L'application de plein droit des peines minimales aux mineurs efface un peu plus la spécificité de la justice des mineurs, contrevenant par là à la décision du Conseil constitutionnel du 29 août 2002. Les procédures applicables aux mineurs ne sont plus qu'un ersatz de celles qui s'appliquent aux majeurs. Parce qu'elles favoriseront, Mme Borvo Cohen-Seat l'a rappelé, leur incarcération, elles dérogent au devoir éducatif et moral qui est le nôtre envers les enfants délinquants. Le projet de construction de 420 places dans sept nouveaux établissements pénitentiaires pour mineurs témoigne assez de vos intentions.
L'arsenal répressif que vous préparez, contraire non seulement à la Constitution, l'est aussi à la Convention internationale des droits de l'enfant, dont l'article 37 stipule que la détention ou l'emprisonnement d'un enfant ne peut être « qu'une mesure de dernier ressort et d'une durée aussi brève que possible ». La France s'éloigne toujours plus de cet engagement. Le comité des droits de l'enfant l'a souligné à plusieurs reprises. Dans un communiqué du 4 juin 2004, il réitère ses préoccupations quant à la tendance de notre pays à « favoriser les mesures répressives au détriment des mesures éducatives ».
Mais pour cette majorité, le respect des engagements internationaux ne compte pas plus que celui de nos principes constitutionnels. Le gouvernement ignore les recommandations des professionnels de terrain et des magistrats, qui répètent que les peines minimales n'auront pas plus d'effet dissuasif sur les mineurs que sur les majeurs et rappellent que l'incarcération crée plus de récidive qu'elle n'en prévient -les chiffres parlent d'eux-mêmes. Les choix idéologiques pèsent désormais plus lourd que la réalité des faits et que les droits de nos concitoyens. C'est pourquoi je vous invite à voter en faveur de cette motion. (Applaudissements à gauche)
M. François Zocchetto, rapporteur. - Les précautions oratoires qui ont été les vôtres -« il semble que », « il se pourrait que », « ceci est susceptible de »- montrent assez le manque de précision de votre analyse juridique d'inconstitutionnalité.
Vous évoquez la personnalisation des peines et l'atténuation de la responsabilité pour les mineurs. Ces deux points ont retenu toute notre attention, et les auditions que nous avons conduites m'ont convaincu, avec une majorité de la commission, que les principes constitutionnels étaient respectés.
Le principe d'individualisation des peines, de valeur constitutionnelle, interdit certes les peines automatiques. Mais nous n'y sommes pas.
Mme Josiane Mathon-Poinat. - C'est pourtant ce qui est affiché.
M. François Zocchetto, rapporteur. - De surcroît, ce principe ne revêt pas une valeur absolue ; il doit se concilier avec d'autres principes, dont celui qui veut que tous les citoyens vivent en France dans un environnement sûr et tranquille. J'ajoute que le texte conserve au juge sa liberté d'appréciation.
S'agissant de la justice des mineurs, les principes de l'ordonnance de 1945 ne sont pas remis en cause. La majorité pénale demeure fixée à 18 ans. Le principe d'atténuation de la responsabilité reste entier. Enfin, le principe de juridiction spécialisée pour les mineurs est maintenu.
La commission est donc défavorable à l'adoption de cette motion.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Même avis que celui que vient d'exprimer le rapporteur.
La motion n° 11, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, n'est pas adoptée.
La séance est suspendue à 13 h 10.
La séance est reprise à 15 h 30.
présidence de M. Guy Fischer,vice-président
Dépôt de rapports
M. le président. - Le président du Sénat a reçu de M. Roger Beauvois, président du conseil d'administration du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le rapport annuel d'activité de cet organisme qui sera transmis à la commission des affaires sociales.
Il a également reçu de M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, le rapport annuel pour 2006 de la commission bancaire qui sera transmis à la commission des finances.
Il a enfin reçu de M. Paul Champsaur, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, le rapport d'activité pour 2006 de cet organisme qui sera transmis à la commission des affaires culturelles et à celle des affaires économiques.
Avis des assemblées territoriales
M. le président. - Le président du Sénat a reçu par lettre en date du 19 juin 2007 les rapports et avis de l'Assemblée de la Polynésie française sur le projet de loi autorisant la ratification de l'acte portant révision de la convention sur la délivrance des brevets européens ; le projet de loi autorisant la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains ; et, enfin, le projet de loi autorisant la ratification de la convention relative à l'adhésion des nouveaux États membres de l'Union européenne à la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles.
Acte est donné de ces communications.
Déclaration d'urgence (Dialogue social)
M. le président. - Par lettre en date du 5 juillet 2007, le Premier ministre a fait connaître au président du Sénat, qu'en application de l'article 45, deuxième alinéa, de la Constitution, le gouvernement déclare l'urgence sur le projet de loi relatif au dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.
Déclaration d'urgence (Universités)
M. le président. - Par lettre en date du 5 juillet 2007, le Premier ministre a fait connaître au président du Sénat, qu'en application de l'article 45, deuxième alinéa, de la Constitution, le gouvernement déclare l'urgence sur le projet de loi relatif aux libertés des universités.
Récidive des majeurs et des mineurs
(Urgence)
(Suite)
M. le président. - Nous reprenons la discussion du projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.
Question préalable
M. le président. - Motion n° 50, présentée par M. Mermaz et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, tendant à opposer la question préalable.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des mineurs et des majeurs (n° 333 rect., 2006-2007) (urgence déclarée).
M. Louis Mermaz. - Depuis cinq ans, la délinquance ne cesse d'augmenter et les violences aux personnes, les plus graves, ont fait un bond spectaculaire. Cette situation est le résultat de l'absence de politique pour soigner ce mal. En France, il existe aujourd'hui des secteurs de non-droit où la vie est insupportable. Il faut rendre hommage à tous ceux qui n'ont pas déserté ces territoires et s'obstinent à assurer leur mission de service public dans des conditions de plus en plus rudes. (MM. Charles Gautier et Mahéas le confirment)
A mon sens, le pouvoir a tout fait à l'envers depuis 2002. Il a supprimé les emploi-jeunes dans l'enseignement. Il a détruit la police de proximité par idéologie et lancé des opérations coups de poing contre lesquelles les syndicats de police se sont d'ailleurs élevés. La multiplication des contrôles au faciès, les actions intempestives et certains amalgames scandaleux ont suscité l'exaspération dans de nombreux quartiers. Depuis cinq ans, l'on a demandé au Parlement de voter sept lois destinées à enrayer la délinquance. Pourquoi un nouveau texte alors que la loi du 12 décembre 2005 sur la récidive des infractions pénales attend toujours son étude d'impact et que les décrets de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance n'ont pas été publiés ? Mais faut-il vraiment se plaindre que cette panoplie inefficace et dangereuse ne soit pas encore applicable ? De même, depuis 2002, le pouvoir a révisé par quatre fois l'ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs, calculant avec cynisme que l'opinion attache plus de prix à la répression qu'à la prévention et à la réinsertion.
Aujourd'hui, les dégâts sont considérables. Mais le nouveau gouvernement, aussitôt mis en place, persévère dans cette voie sans issue. Avec ce texte, vous entendez vous défausser sur l'institution judiciaire, parent pauvre de notre République, au risque que la situation aille de mal en pis.
Ainsi, selon le chercheur au CNRS Pierre Tournier, l'établissement des peines plancher aura pour conséquence 10 000 détenus supplémentaires, alors que le taux d'occupation dans les maisons d'arrêt atteint déjà 150 %, voire 200 %, et que l'état des prisons est unanimement dénoncé.
De même, la plupart de ces peines minimales obligatoires ne pourront pas être aménagées de manière rapide puisque pour bénéficier d'une mesure de semi-liberté, de placement à l'extérieur ou sous surveillance électronique, le reliquat de peine restant à purger doit être inférieur à un an. Et la liberté conditionnelle, en cas de récidive, ne pourra intervenir qu'à deux-tiers de la peine, et non à mi-peine.
Par conséquent, nous allons assister à un accroissement de l'emprisonnement des mineurs.
Monsieur le président, puis-je faire un rappel au Règlement ?
M. le président. - C'est sans doute pour qu'on prête plus d'attention à vos propos.
M. Jacques Mahéas. - Nous les socialistes, nous sommes attentifs !
M. Louis Mermaz. - Si Mme la garde des sceaux et ses conseillers viennent dans l'hémicycle pour discuter entre eux... (Protestations à droite)
M. Jean-Luc Miraux. - C'est mesquin !
M. Louis Mermaz. - Les ministres des gouvernements Raffarin et de Villepin se montraient plus courtois.
Ce texte va conduire à une augmentation du taux d'incarcération des mineurs, disais-je, lequel n'a cessé de progresser. Bien que l'on connaisse l'effet criminogène de la prison et que certains États des États-Unis, pourtant répressifs en diable, constatent que le taux de récidive progresse à mesure de celui d'emprisonnement, vous privilégiez les peines d'emprisonnement au détriment des peines alternatives.
Ne faudrait-il pas s'attaquer aux causes du mal en reconnaissant que cette politique du tout-répressif a échoué ? En amont de la répression, nécessaire dans certaines circonstances -nul ne le conteste-, se situe la prévention ; et, en aval, l'insertion et la réinsertion, aussi difficiles et coûteuses soient-elles. Pour soigner le mal, il faut le comprendre. Il faut traiter la délinquance pour guérir, et non pour venger.
M. Jacques Mahéas. - Très bien !
M. Louis Mermaz. - Ce texte vise un effet d'affichage : en témoignent les déclarations de l'ancien ministre de l'intérieur contre le laxisme des magistrats, notamment des juges pour enfants. De surcroît, il peut se révéler dangereux. Personne ne conteste le droit de la société de punir les crimes et délits graves.
S'il se produit des crimes d'une exceptionnelle gravité qui doivent être sévèrement punis, il faut se garder des généralisations abusives, en jetant la suspicion sur la liberté d'appréciation des magistrats, voire en les soumettant au chantage d'une partie de l'opinion publique, aux pressions éventuelles de leur hiérarchie ou encore en leur imposant des conditions d'exercice encore plus difficiles lorsqu'il agit de rédiger leurs jugements, avec le manque de moyens et de temps que l'on sait.
Oui ! On retrouve ici la question lancinante du manque de moyens dont vous ne portez pas la responsabilité, puisque vous arrivez, mais dont vous devez tenir compte tant que vous n'aurez pas réussi à redresser la situation.
Considérons aujourd'hui le manque de personnel et parfois de matériel dans les greffes, la lenteur inacceptable, là aussi faute de moyens, dans la mise en oeuvre des mesures éducatives pourtant décidées par le juge dès la première présentation en attendant qu'intervienne le jugement au fond. Ce n'est pas la justice des mineurs qui est absente au rendez-vous, mais bien les gouvernements qui se sont succédé depuis 2002.
Le dispositif combiné des peines plancher avec l'abaissement de l'âge où intervient l'excuse de minorité risque à coup sûr d'enfermer le juge dans un carcan, de le transformer en distributeur automatique de peines. Il pourra toujours, direz-vous, motiver un jugement plus clément, prenant en compte la personnalité, le parcours du jeune lors d'une première récidive ? les conditions exceptionnelles de réinsertion lors d'une seconde. Encore une fois aura-t-il le temps d'apporter à son jugement les motivations exigées, par exemple lors des comparutions immédiates rendues plus fréquentes depuis la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance ?
Pour ce qui est des peines plancher, vos prédécesseurs s'y sont toujours opposés. Le 10 novembre 2006 le Premier ministre Villepin disait quant à lui : « Faut-il aller jusqu'aux peines plancher ? Je ne le crois pas. Pour qu'une peine soit efficace, il faut qu'elle soit personnalisée ». Un parlementaire de l'UMP, M. Jean-Luc Warsmann déclarait déjà devant la commission des lois en décembre 2004 : « Les peines plancher sont une inspiration du droit anglo-saxon. Les instaurer reviendrait à bouleverser la philosophie du droit français, remettrait en cause l'individualisation des peines. Et ça, nous ne le souhaitons à aucun prix ». Le code pénal en vigueur au 1er mars 1994 avait supprimé la notion même de minimum de la peine, préférant fixer plutôt un maximum.
Enfin est-il juste d'abaisser l'âge de l'excuse de minorité quand tant de jeunes enfants ou adolescents, faute de discernement, sont soumis à la contrainte et à la manipulation de leurs aînés dans divers trafics ?
Tous les actes européens et internationaux auxquels la France a adhéré entraînent des règles qui revêtent une force juridique supérieure à notre droit interne et s'imposent donc au législateur. Il en résulte que l'enfermement des mineurs doit être l'exception, alors que vous allez accentuer par votre texte la tendance manifestée depuis 2002 à donner la préférence à l'emprisonnement sur toute autre mesure. Vous tendez à ignorer que le jeune, même âgé de 16 à 18 ans, n'est pas un adulte. Il est en construction. Telle est la philosophie de l'ordonnance de 1945 prise après une longue période de barbarie. Cette ordonnance affirme à juste titre que la France a besoin de tous ses enfants. Pourquoi abaisser en fait l'âge de la majorité pénale, alors que les jeunes accèdent de plus en plus tard à une véritable autonomie ? Le comité des ministres du Conseil de l'Europe a adopté en 2003 une recommandation qui prévoit même des procédures adaptées aux jeunes majeurs afin de tenir compte de cette période de transition qui précède l'âge adulte. Ainsi, la France agirait, avec cette loi, à contre-courant d'une évolution humaniste et intelligente, même si aujourd'hui, certains pays de l'Union européenne cèdent à la tentation du tout répressif.
Mais plutôt que d'empiler les textes répressifs les uns sur les autres, il conviendrait de donner à la justice et à la société les moyens nécessaires pour prévenir le mal et le réduire, quand il est déjà là. Nous attendons impatiemment de connaître le budget de la justice de 2008 et les moyens qui seront alloués à la police dans les quartiers, à la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi qu'aux éducateurs et aux services médicaux de l'éducation nationale menacée, au demeurant, par des milliers de suppressions d'emploi. Nous attendons de connaître les moyens qui seront donnés aux greffes, aux magistrats, aux fonctionnaires des tribunaux et à l'administration pénitentiaire. Nous souhaitons enfin que lors de la révision de la carte judiciaire vous ayez le souci de ne pas éloigner la justice du justiciable et que rien ne soit entrepris sans une concertation sérieuse.
Prenons conscience de tout ce qui reste à faire pour que la situation dans les prisons soit décente, qu'elle ne soit plus l'objet des critiques des institutions européennes. N'oublions pas non plus l'état de la société, le creusement des inégalités de toute sorte, que la politique du nouveau gouvernement -du bouclier fiscal à la TVA sociale- ne fera qu'aggraver. Le vote de la question préalable permettrait d'opposer à ce projet de loi des propositions d'une autre nature et d'une autre portée. Il nous faut d'abord connaître les moyens qui seront alloués à l'intérieur et à la justice. Il faut ne pas réduire arbitrairement le nombre d'enseignants, mais consacrer davantage de moyens aux établissements scolaires des quartiers en difficulté. Il faut revenir aux emplois jeunes dans ceux-là, rétablir la police de proximité, doter la protection judiciaire de la jeunesse des moyens à hauteur des besoins, revoir de fond en comble notre politique pénitentiaire et, là aussi, prévoir les moyens nécessaires. Nous aurions préféré en effet vous voir venir devant nous pour défendre un projet de loi pénitentiaire et proposer la création d'un contrôleur des prisons. Autant de décisions politiques qui auraient traité efficacement la délinquance et auxquelles ce projet de loi tourne le dos.
C'est pour toutes ces raisons que je vous demande de bien vouloir voter la question préalable (Applaudissements à gauche).
M. Alain Gournac. - Il y a eu des élections !
M. François Zocchetto, rapporteur. - Après vous avoir entendu, Monsieur Mermaz, je suis encore plus convaincu de la nécessité de débattre de la récidive. Votre discours, argumenté, prouve qu'il y a matière à discuter et nous serions déçus de devoir arrêter là le débat. C'est pourquoi la commission est opposée à cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements à droite)
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Je suis tout à fait d'accord avec le rapporteur sur la nécessité du débat. Avis défavorable. (« Très bien ! » à droite)
La motion n° 50 n'est pas adoptée.
Motion de renvoi en commission
M. Alain Gournac. - Heureusement !
M. le président. - Motion n° 51, présentée par M. Collombat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs (333 rect., 2006-2007) (urgence déclarée).
M. Pierre-Yves Collombat. - Vouloir honorer une promesse électorale suffit-il à justifier cette contribution à l'inflation législative, à l'alignement de la justice des mineurs sur celle des majeurs ? A prendre le risque d'envoyer toujours plus d'hommes et de femmes en prison?
La réponse sera oui, s'il ne s'agit pas du énième ravaudage du code pénal en cinq ans, mais d'un texte cohérent et complet dont on puisse raisonnablement espérer qu'il résistera au prochain fait sanglant. Oui, s'il a de bonnes chances d'être efficace et si ses effets secondaires ne le rendent pas plus délétère que le mal qu'il combat. C'est pour répondre à ces questions complexes qu'un retour en commission est nécessaire.
Ce texte est-il cohérent et complet ? Aborde-t-il la délinquance et la récidive dans leur complexité, en tout cas suffisamment pour qu'on n'y revienne pas avant la prochaine élection présidentielle ? Les conditions de sa fabrication en font douter fortement.
D'abord quatre articles créant les peines plancher et supprimant, dans certaines conditions, l'atténuation de peines pour les mineurs. Puis, après passage express en conseil des ministres, six articles qui n'ont rien à voir... Comment tout cela s'articule-t-il avec les lois précédentes, notamment avec la loi Perben 2 qui, pour favoriser la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention prévoit que : « l'individualisation des peines chaque fois que cela est possible, doit permettre le retour progressif à la liberté et éviter ainsi une remise en liberté sans aucun suivi judiciaire » ? « L'efficacité de l'action contre la récidive passe aussi par une meilleure exécution des décisions de justice ainsi que par un effort accru en faveur de la réinsertion ». Nulle trace de ce souci dans le présent texte, d'inspiration totalement opposée.
Ce projet est « déraisonnable » nous dit le président de la chambre des mineurs de la cour d'appel de Paris, Philippe Chaillon dans Libération. Il aboutit à ce que des délits mineurs commis en récidive soient plus sanctionnés que des délits graves commis une première fois. Exemple : « S'il s'agit d'une troisième infraction, un mineur de 16 ans et quelques jours qui, dans le RER, aura dérobé à un autre jeune de son lycée, en compagnie d'un camarade, se verra obligatoirement condamné à un minimum d'emprisonnement de 4 ans et encourra un maximum de 20 ans d'emprisonnement » Ce même mineur de 16 ans pour un viol commis en première infraction ne sera pas soumis à une peine plancher et encourra une peine maximum de 7 ans et demi d'emprisonnement.
L'erreur consiste, une fois de plus, à traiter la récidive comme un phénomène auquel s'appliqueraient des solutions générales. Or, les formes et les mécanismes déclenchant la récidive sont très divers. Quel rapport entre le type de récidive que je viens d'évoquer, la récidive massive des jeunes de 18 à 20 ans condamnés pour vol avec violence, et celle des criminels de sang ou celle des délinquants sexuels ? Quel rapport entre des délits qui sont avant tout une activité économique et les violences initiatiques de bandes de jeunes ? Parler de délinquance sexuelle en général, a-t-il même un sens ? Les spécialistes comme Xavier Lameyre, en doutent. Manifestement voici donc un texte de circonstance qui en appellera d'autres. Sera-t-il une réponse efficace à la délinquance et à la récidive ? La « commission de suivi de la récidive », mise en place par votre prédécesseur, madame la ministre, aurait pu le dire Mais, on n'a vraiment pas de chance. En décembre 2005, en mars 2007 encore, la commission n'avait pas pu nous éclairer. Aujourd'hui que son rapport existe, c'est seulement sous forme de fuites dans la presse.
Est-ce parce que s'y expriment des doutes sur l'efficacité des peines plancher que vous gardez ce rapport sous votre coude, madame la ministre ? Il rappelle en effet que ces peines ont existé en France et ont été abandonnées. Il conclut également que les analyses des expériences étrangères et notamment anglo-saxonnes font apparaître que rien ne démontre l'efficacité de ces mesures et même qu'elles entraînent une augmentation de la récidive, en particulier de ces faits de violence grave commis par des mineurs.
Est-ce un problème d'information ? Être pragmatique, ce serait tenir compte de ces études. Le bon sens commande : « dans le doute abstiens-toi ! ». Aujourd'hui, c'est l'adage « dans le doute, ne t'abstiens pas ! » qui s'applique ! Le principe de précaution, désormais inscrit dans notre Constitution, vaut pour l'environnement. Vous avez dit, madame la ministre, qu'il valait aussi pour les victimes. Mais apparemment, il ne s'applique ni aux adolescents, ni aux innocents injustement condamnés.
Je l'ai dit, plusieurs études enregistrent même une augmentation de la récidive en particulier des mineurs qui ont commis des faits de violence grave. Les conclusions des travaux du chercheur Pierre Tournier sont connues : elles montrent que l'usage extensif de lourdes peines de prison n'est pas efficace. Et d'ajouter : « à une exception près, le taux de nouvelle condamnation ou les taux (plus restrictifs) de nouvelle condamnation à l'emprisonnement ferme sont plus élevés après la prison qu'après le prononcé d'une peine alternative ».
On entend aussi exercer un effet dissuasif sur les délinquants d'habitude. Mais on nous cite une étude établissant que les lois sur les peines minimales dissuadent davantage les délinquants occasionnels que les délinquants d'habitude.
« La loi sur la récidive sera contre-productive » : tel est le titre d'un article de Sébastian Roché, recensant les études étrangères les plus sérieuses sur le sujet, qui montre qu'il n'y a pas de rapport entre la sévérité des peines infligées et l'effet recherché sur la délinquance. Il ajoute que les études disponibles sur le transfert des mineurs vers une cour pour adultes ne montrent aucun effet positif. Ce que confirme l'exemple de la Grande-Bretagne -selon un article paru il y a deux jours dans Le Monde- où la quasi-suppression du traitement spécifique des mineurs n'a donné aucun résultat.
Alourdir les peines, traiter les mineurs comme les majeurs, n'entraîne donc aucune amélioration en matière de délinquance et de récidive, bien au contraire.
Mais que pèsent ces études objectives face aux promesses électorales ?
Que pèsent nos pauvres raisons et nos rêves de civilisation face à l'inconscient et à la part la plus archaïque de l'homme à laquelle on s'adresse ici ? (Protestations sur les bancs UMP)
M. Alain Gournac. - Et la démocratie ?
M. Dominique Braye. - Merci pour 53 % des électeurs.
M. Pierre-Yves Collombat. - Vous ne vous adressez pas, que je sache, aux seuls 53 % des électeurs qui ont voté pour vous, mais à l'ensemble de nos concitoyens !
Que pèsent les dégâts collatéraux probables de ce texte inefficace ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois - Même Ségolène est pour la sécurité !
M. Pierre-Yves Collombat. - Outre la probabilité d'accroître la récidive des délinquants qui posent le plus de problèmes et de briser un peu plus les innocents injustement embastillés...
MM. Dominique Braye et Alain Gournac. - Et les victimes ?
M. Christian Cointat. - Pas un mot pour elles.
M. Pierre-Yves Collombat. - ... les effets secondaires de ce texte méritent qu'on s'y arrête... (Protestations à droite)
MM. Dominique Braye et Alain Gournac. - Nous avons été élus !
M. Jacques Mahéas. - Les résultats des législatives sont mitigés !
M. Pierre-Yves Collombat. - Augmentation de la population carcérale, découragement la magistrature, augmentation de la confusion entre le médical et le judiciaire...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois - Vous l'avez déjà dit !
M. Alain Gournac. - Vous ne parlez jamais des victimes !
M. Dominique Braye. - Pas un mot !
M. Pierre-Yves Collombat. - Le texte élargit encore le champ de l'obligation du suivi médical et judiciaire, avant même de disposer d'une seule étude prouvant son efficacité. Ceux qui y sont soumis devront accepter l'injonction de soins dans la quasi-totalité des cas. Mais comment généraliser cette injonction, alors qu'on manque de 800 postes de personnel soignant en prison, qu'un TGI sur deux ne dispose pas de médecin coordonnateur, qu'il est si difficile de trouver des experts psychiatres, que le secteur privé se désintéresse de la prise en charge des condamnés, et que le secteur public est débordé ? Telle est la situation !
Rendre obligatoires des peines dont on sait qu'elles ne seront pas appliquées, cela a-t-il un sens ?
La population carcérale a explosé dans les pays qui ont appliqué la politique que vous voulez acclimater en France. Comment penser que les mêmes causes ne produiront pas les mêmes effets ? D'autant que la loi s'appliquera aussi aux petits délits et non pas seulement aux plus grands crimes. Déjà, ces cinq dernières années, la population carcérale a augmenté de 20 %. La seule chose qu'on ignore avec ce texte, c'est combien il créera de prisonniers en plus : 2000, 4000, 10 000 par an ?
Le découragement de la magistrature a déjà été évoqué. Comment des magistrats qui tiennent ce texte pour une manifestation de défiance pourront-ils rendre une bonne justice ?
Vous avez dit, madame la ministre, que la fonction première de la loi pénale est d'être dissuasive. Vous parlez d'or. Mais tout le problème est de savoir comment y parvenir. Certainement pas, en tout cas, en transformant les juges en distributeurs de peines de plus en plus lourdes, en dispensateurs de « renforçateurs négatifs » pour utiliser le jargon béhavioriste, de médicaments obligatoires par personnel soignant requis interposé !
La justice républicaine n'est pas réductible à une ingénierie sociale. Le sentiment que rien n'est définitif dans l'humain, avec ses incertitudes, ces échecs, mais aussi sa capacité à se relever, y tient un rôle central, avant le jugement, pendant l'accomplissement de la peine, et après.
Mardi, dans la péroraison de sa déclaration de politique générale, le premier ministre évoquait ces grandes figures qui, pour le monde, sont le visage de la France : Voltaire, Rousseau, Clemenceau, Gambetta et Victor Hugo.
M. Dominique Braye. - Excellentes références !
M. Pierre-Yves Collombat. - Attendez ! Visiblement, c'est plus pour la sonorité de ces noms, pas pour le message auquel ils renvoient ! Ainsi, pour un lecteur de Hugo, l'archétype du récidiviste, c'est Jean Valjean, ramené par les gendarmes, devant son bienfaiteur, Mgr Bienvenu, qu'il vient de voler et qui, loin de le dénoncer, lui tient ce langage : « n'oubliez pas, n'oubliez jamais que vous m'avez promis d'employer cet argent à devenir honnête homme (...) Jean Valjean, mon frère, vous n'appartenez plus au Mal, mais au Bien. C'est votre âme que je vous achète, je la retire aux pensées noires et à l'esprit de perdition, et je la donne à Dieu. »
Le premier ministre a raison : la France de Victor Hugo a de l'allure. Une autre allure que la France du ressentiment. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois - Hélas ! Je n'ai trouvé aucun argument, dans votre intervention si littéraire, pour motiver le renvoi en commission. Dois-je rappeler que la commission a procédé à pas moins de 25 auditions...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - ...qui n'allaient pas dans le bon sens, c'est-à-dire pas dans le sens du gouvernement ! (M. Gournac proteste)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois - nous avons entendu les auteurs des études que vous avez citées, les spécialistes, mais nous n'avons pas à les suivre ! Jusqu'à nouvel ordre, c'est le Parlement qui fait la loi et non pas les lobbies ! (On approuve vivement à droite) Nous avons entendu, notamment, M. Robert, président de la commission de suivi de la récidive, nous avons entendu les objections que vous avez soulevées, nous sommes donc parfaitement en mesure de délibérer ! (« Très bien ! » et applaudissements à droite)
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. - La société française a bien changé depuis Victor Hugo ! Je vous invite à voter contre cette motion.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est ici, sur ces bancs, que siégeait Victor Hugo !
La motion n° 51 n'est pas adoptée.
M. Alain Gournac - Faites entrer Jean Valjean !
M. le Président Amendement n° 28, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Le Garde des sceaux présente chaque année au Parlement, un rapport sur la situation dans les établissements pénitentiaires. Il rend compte du nombre des détenus au regard des places disponibles, de l'état des locaux, des conditions d'encellulement et de la situation sanitaire des détenus. Il rend compte également des mesures prises pour que les peines remplissent leurs missions : favoriser, dans le respect de la société et des droits des victimes, l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive.
M. Jean-Pierre Sueur. - Madame la ministre, vous avez vous-même souligné combien les conditions de détention sont à reconsidérer aujourd'hui ; si nous voulons lutter efficacement contre la récidive, il faut en effet s'assurer que la détention se fasse dans d'autres conditions et surtout que les moyens existent afin que le séjour en détention soit l'occasion de préparer la sortie.
Si l'on ne se soucie pas de réinsertion sociale et professionnelle, on favorise la récidive.
Nous aurions souhaité que les choses soient prises dans le bon ordre : d'abord un texte sur les moyens pénitentiaires, puis sur les moyens de la justice, avant d'éventuelles mesures spécifiques. A défaut, nous espérons pour le moins que vous souscrirez à cet amendement d'appel, qui propose que le gouvernement présente chaque année un rapport au Parlement sur la situation des établissements pénitentiaires.
M. Jacques Mahéas. - Très bien !
M. François Zocchetto, rapporteur. - C'est une bonne idée, mais qui trouvera davantage sa place dans le cadre de la loi pénitentiaire annoncée pour l'automne. Retrait.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Rendre compte de l'état des prisons sera la mission du futur contrôleur indépendant. Je rappelle au passage que, contrairement aux gouvernements de gauche, le dernier gouvernement a consenti un effort sans précédent en matière de création de places, notamment pour les mineurs, y compris dans des centre éducatifs fermés. Avis défavorable.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je soutiens cet amendement, car ce texte aura pour première conséquence d'augmenter le nombre de personnes emprisonnées. Vous n'êtes pas la première à nous promettre une grande loi pénitentiaire ; nous sommes échaudés... Les rapports de 2000 sur la situation pénitentiaire ne préconisent pas uniquement une augmentation du nombre de places ! Quid des résultats de la hausse permanente du nombre de détenus, des conditions de détention, de la question oubliée de la réinsertion ? L'urgence, c'est que nous puissions disposer d'une information régulière.
M. Louis Mermaz. - Je m'étonne que cet amendement puisse poser problème : il est au coeur du sujet. En quoi peut-il gêner la suite des opérations ? Nous attendons avec impatience le projet de loi pénitentiaire et la création du contrôleur général des prisons, mais un tiens vaut mieux que deux tu l'auras... J'avais interpellé votre prédécesseur, M. Clément, sur l'état de la prison Saint-Paul Saint-Joseph de Lyon, où j'avais croisé des cohortes de rats : il m'avait répondu, à la tribune du Sénat, qu'il n'osait pas y aller lui-même !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Qu'il y aille un peu, pour voir !
M. Jacques Mahéas. - Nous souhaitons ardemment disposer d'informations sur la récidive. L'Observatoire national de la délinquance (OND), dont je suis membre -et où les parlementaires sont fort peu représentés- n'a pas été en mesure de jouer ce rôle, voulu par M. Sarkozy, faute d'éléments. Pour étudier ces questions avec impartialité -qualité qui n'a pas caractérisé son président pendant la campagne présidentielle-, il lui faut disposer d'un rapport.
On apprendrait ainsi que, si les pourcentages peuvent impressionner, le nombre de cas est infime : pour les crimes, la récidive ne concernait que deux mineurs ! Le Parlement doit être informé, comme l'a promis le président de la République, directement ou via l'OND. Je ne comprends pas que vous ne répondiez pas à cette attente.
M. Dominique Braye. - Les conditions de détention doivent être améliorées, chacun en convient. L'amendement de M. Sueur est tout à fait pertinent, mais il faudrait étudier l'évolution depuis 1981 !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Oh !
M. Dominique Braye. - Le gouvernement sortant a consenti un effort sans précédent. La Communauté d'agglomération de Mantes, en Yvelines, que je préside, s'apprête ainsi à créer un établissement pour mineurs, où les jeunes seront séparés des adultes.
Un tel rapport serait un bon aiguillon pour le gouvernement. Toutefois, l'amendement n'a pas sa place ici.
M. Jacques Mahéas. - Sarkozy ne va pas être content !
M. Pierre-Yves Collombat. - Le nombre de places a certes augmenté depuis 2002, mais pas aussi vite que le nombre de détenus ! Faut-il vraiment s'en féliciter?
M. Dominique Braye. - Il faut laisser les délinquants en liberté, alors !
L'amendement n°28 n'est pas adopté.
CHAPITRE IER
Disposition relatives aux peines minimales et à l'atténuation des peines applicables aux mineurs
Article 1er
Après l'article 132-18 du code pénal, il est inséré un article 13-18-1 ainsi rédigé :
« Art. 132-18-1. - Pour les crimes commis en état de récidive légale, la peine d'emprisonnement, de réclusion ou de détention ne peut être inférieure aux seuils suivants :
« 1° Cinq ans, si le crime est puni de quinze ans de réclusion ou de détention ;
« 2° Sept ans, si le crime est puni de vingt ans de réclusion ou de détention ;
« 3° Dix ans, si le crime est puni de trente ans de réclusion ou de détention ;
« 4° Quinze ans, si le crime est puni de la réclusion ou de la détention à perpétuité.
« Toutefois, la juridiction peut prononcer une peine inférieure à ces seuils en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
« Lorsqu'un crime est commis une nouvelle fois en état de récidive légale, la juridiction ne peut prononcer une peine inférieure à ces seuils que si l'accusé présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion. »
M. Charles Gautier. - Lors d'une récente conférence sur les peines plancher, les premiers présidents ont rappelé « l'attachement des juges à l'individualisation des peines, principe confirmé par l'expérience et partagé par la plupart des pays démocratiques », jugeant que « toute limitation du pouvoir d'appréciation du juge crée un risque d'inadéquation de la décision judiciaire sans pour autant garantir une meilleure efficacité de la politique pénale ».
Magistrats et avocats sont unanimes pour considérer que ce texte est au mieux inutile, au pire dangereux.
L'article premier instaure des peines plancher.
Ce durcissement est présenté comme dissuasif. Mais c'est illusoire. Une étude du Sénat du 9 juin compare les différents pays ayant opté pour une telle législation. Elle constate qu'aucun n'a pu en démontrer l'efficacité et qu'après six ans d'expérimentation, l'Australie a fini par renoncer. De manière générale, l'effet dissuasif des sanctions pénales est difficile à évaluer mais il est certain que personne n'a prouvé la moindre corrélation entre durcissement des peines et diminution de la récidive.
En matière criminelle, celle que vise cet article, le nombre de récidivistes atteint 84 -voilà pour combien de personnes on instaure cette innovation ! Elle apparaît aussi bien vaine au regard des peines effectivement prononcées par les cours d'assises, lesquelles ne sont pas inférieures à ces peines plancher.
Vaine, elle est surtout une marque de défiance à l'endroit des magistrats, présentés comme trop laxistes alors que toutes les études montrent un alourdissement des peines prononcées.
M. Jean-Pierre Sueur. - Peut-on démontrer que la durée de l'emprisonnement aurait quoi que ce soit à voir avec la récidive ? La commission des lois a reçu M. Tournier, directeur de recherches au CNRS, dont les études montrent l'absence de relation évidente. Elles montrent aussi que le taux de recondamnation est moindre pour les condamnés ayant bénéficié d'une liberté conditionnelle. L'analyse de 5 234 dossiers menée à l'Université de Lille II en liaison avec la direction des affaires pénitentiaires fait apparaître qu'à une seule exception près, le nombre de nouvelles condamnations est plus élevé après la prison qu'après le prononcé d'une peine alternative. Les chiffres de la Chancellerie ne contredisent pas ceux-là.
Je vous pose donc cette question, madame la ministre : contestez-vous ces études ? Si vous ne les contestez pas, comment justifiez-vous cette disposition de votre texte ? Pourquoi ne développez-vous pas plutôt les peines alternatives à l'emprisonnement et les mesures de liberté conditionnelle, dont l'efficacité contre la récidive est avérée ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ce projet de loi est fondé sur le postulat que les juges ne seraient pas assez sévères avec les récidivistes. Comme l'argument est contredit par la réalité des chiffres, il reste une justification à ce texte : servir d'indicateur pour les délinquants et les magistrats.
Les récidivistes sont déjà punis plus sévèrement que les primo-délinquants, et punis d'emprisonnement. Pour les crimes et délits graves que vise cet article, les peines effectivement prononcées ne sont pas inférieures aux peines plancher que vous prévoyez. De manière générale, elles ne cessent d'ailleurs de s'alourdir, ce qui pose problème. Ces peines de plus en plus lourdes empêchent-elles la récidive ? On nous dit que non puisqu'on nous propose de les aggraver encore ! En revanche, on ne fait rien pour les aménagements de peine dont nul ne conteste pourtant qu'ils sont les plus sûrs facteurs de prévention de la récidive. On accorde de moins en moins de libérations conditionnelles et les moyens du suivi sociojudiciaire diminuent.
M. le président. - Amendement n°29, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Robert Badinter. - Cet article premier s'applique à des criminels or il ressort de façon irréfutable que les cours d'assises prononcent des peines très supérieures aux peines plancher que vous voulez instaurer.
M. Dominique Braye. - C'est la volonté du peuple !
M. Robert Badinter. - J'aimerais pouvoir m'exprimer.
Existe depuis décembre 2005 un texte consacré en entier à la lutte contre la récidive. J'admire l'autocritique à laquelle se livre cette majorité en défendant le texte qui nous est aujourd'hui soumis ! Ce texte vieux de dix-huit mois seulement prévoyait la création d'une « commission d'analyse et de suivi de la récidive ». Cette commission, dont les membres ont été choisis par M. Clément, vient de rendre un avis -dont la commission des lois paraît n'avoir pas eu connaissance. Rien de plus éclairant n'a été présenté sur votre projet et sur son « efficacité » alléguée.
« La commission observe que ce projet tend à favoriser l'emprisonnement comme réponse à la récidive et qu'il aura nécessairement comme conséquence une augmentation de la population carcérale de majeurs et de mineurs ». Les peines minimales, continue-t-elle, ont existé en France avant d'être abandonnées et si elles se sont développées aux Etats-Unis et au Canada depuis 1978, où le taux d'emprisonnement est sept fois supérieur à celui de la France -si nous suivions cette voie, on imagine la désertification de certains quartiers- depuis 1978, des études scientifiques ont été publiées, qui ont démontré leur faible impact sur la diminution de la récidive, et en particulier celle des mineurs, d'où l'inversion actuelle de tendance. La commission, enfin, ne dispose pas d'informations équivalentes sur les expériences européennes. Quelle illustration plus éclatante peut-on souhaiter ? On ne peut plus objectivement approuver l'inspiration de ce projet, directement puisée aux Etats-Unis (Applaudissements à gauche).
M. le président. - L'amendement n° 53 présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC est identique.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je m'en suis déjà expliquée. Nous manquons d'une étude d'impact de ce projet comme d'une évaluation de la loi de 2005. La commission chargée du suivi a dit ses réserves sur un texte qui ignore ce qui importe à la société, je veux dire la prévention et tout ce qui fait reculer la récidive. Plus tard, nous dit le gouvernement. Mais alors, pourquoi légiférer tout de suite sur la récidive ?
M. le président. - Amendement n° 31, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Après le cinquième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Seules les sanctions pénales prononcées par le tribunal pour enfants ou la cour d'assises des mineurs sont prises en compte pour l'établissement de l'état de récidive des mineurs.
M. Robert Badinter. - Un amendement de précision ... et d'importance.
M. le président. - Amendement n° 14, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Supprimer l'avant-dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Amendement de repli. Pourquoi encadrer ainsi l'individualisation des peines qui est un principe fondamental de notre droit ? L'article 132-24 du code de procédure pénale, lui, ne contrevient pas à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme.
M. le président. - Amendement n° 32, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Dans les deux derniers alinéas du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal :
après les mots :
inférieure à ces seuils
insérer (à deux reprises) les mots :
, ou pour les mineurs, une mesure éducative,
M. Robert Badinter. - Les articles 2 et 20 de l'ordonnance de 1945 prévoient que le juge prononce à l'égard du mineur une mesure éducative, la sanction pénale demeurant exceptionnelle et résultant d'une décision motivée. La convention de New-York rappelle en effet que l'enfant a besoin d'une protection juridique appropriée et le conseil de l'Europe a marqué qu'il est un être en devenir. L'ordonnance de 1945 étant une loi spéciale, ses dispositions doivent s'appliquer aux mineurs au lieu des dispositions générales du code pénal, d'où cet amendement.
M. le président. - Amendement n° 15, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Après les mots :
des circonstances de l'infraction
rédiger comme suit la fin de l'avant-dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal :
ou de la personnalité de son auteur
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Je présenterai en même temps l'amendement n° 13.
M. le président. - Amendement n° 13, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Après les mots :
la juridiction
rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal :
peut prononcer une peine inférieure à ces seuils en considération des circonstances de l'infraction ou de la personnalité de son auteur. »
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Comment individualiser les peines en maniant une notion à géométrie variable ? Cette disposition est inutile car le juge est, en principe, libre d'apprécier et d'adapter la peine. Comment pourrait-il se fonder sur la capacité de réinsertion, laquelle suppose un suivi individualisé ? Je redoute une justice à deux vitesses.
M. le président. - Amendement n° 30, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Après les mots :
inférieure à ces seuils
rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal :
qu'en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties suffisantes d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
M. Robert Badinter. - Cet amendement rejoint celui de M. Zochetto qui voudra peut-être le présenter en priorité.
M. le président. - Amendement n° 1, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
Après les mots :
inférieure à ces seuils
rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal :
qu'à titre exceptionnel, en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Cet amendement procède des auditions de magistrats qui ont signalé que certains prévenus, même multirécidivistes, peuvent présenter des garanties d'insertion ou de réinsertion.
Ils ont fait remarquer que si l'on ne visait que les cas exceptionnels, il pourrait y avoir, pour les délits, des jugements surprenants. Il ne sera pas facile pour les juges d'appréhender la notion de « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion » et je me dois de vous dire qu'il en a été de même pour la commission. Nous proposons donc de prendre en compte les deux autres composantes -circonstances de l'infraction et personnalité de l'auteur- tout en gardant la motivation de la décision.
Votre commission souhaite toutefois introduire une distinction entre les cas de première récidive et les multi-récidives. C'est pourquoi nous vous proposons les termes « à titre exceptionnel » même si cette rédaction ne nous satisfait pas entièrement. Le problème est en effet de savoir ce qu'on entend par garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion. Cette terminologie permet-elle de ménager la liberté d'appréciation des juges, même en cas de multi-récidive ?
Il faut aussi s'interroger sur l'appréciation de la cour de cassation concernant les décisions des cours d'appel si le texte du gouvernement reste en l'état. Les juges d'appel seront-ils souverains lorsqu'ils se prononceront sur les garanties d'insertion ou de réinsertion ? La jurisprudence de la cour de cassation m'incite à penser qu'elle ne statuera pas sur cette question-là. Dans ce cas, les juges d'appel seraient souverains, ce qui réduirait d'autant l'impact de mon amendement.
M. le président. - Amendement n° 33, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Compléter le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal par une phrase ainsi rédigée :
Toutefois lorsque le crime est commis en état de récidive légale par un mineur, la juridiction ne peut prononcer une peine inférieure à ces seuils qu'en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
M. Robert Badinter. - Avec cet article, lorsque des personnes réitèrent ou récidivent, la peine plancher s'applique. Il n'est prévu qu'une seule dérogation : des garanties exceptionnelles de réinsertion. Or le principe d'individualisation des peines est fondamental et constitutionnel : le jugement doit prendre en considération les circonstances de l'affaire, la personnalité de l'auteur et la prise en compte des intérêts des victimes, sans compter bien sûr les garanties de réinsertion. Pour éviter l'automaticité des peines plancher, il convient de respecter ces principes. Or, le projet de loi oublie les circonstances de l'affaire et la personnalité de l'accusé. J'ai rarement vu pareil escamotage dans un texte !
Imaginez un jugement en cour d'assises : au moment où les magistrats et les jurés vont prononcer une lourde peine, comment voulez-vous qu'ils sachent si, à la sortie, l'accusé pourra bénéficier de garanties exceptionnelles de réinsertion ? C'est totalement impossible ! Dans ma jeunesse, on débattait de l'existence ou non d'une justice de classe.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - ça n'a pas changé !
M. Robert Badinter. - Or, avec cet article, les seuls qui pourraient justifier d'une garantie exceptionnelle de réinsertion après dix ou quinze ans de prison, ce seraient les fils de famille, car les parents pourraient apporter toutes les cautions demandées. Dans tous les autres cas, ce serait totalement impossible. On instaurerait donc un véritable clivage en fonction de la situation sociale entre les rares qui pourraient apporter des garanties et tous les autres.
C'est pourquoi nous voterons l'amendement de la commission des lois, même si nous préférons « garanties suffisantes » à « garanties exceptionnelles ».
M. François Zocchetto, rapporteur. - Il y a trois séries d'amendements.
Tout d'abord, il y a ceux qui proposent la suppression de l'article. Nous avons vu, lors de la discussion générale, qu'il y avait deux points de vue différents. Certains veulent la suppression de ce projet de loi auquel nous sommes attachés. Nous ne pouvons donc accepter ces amendements.
Il y a ensuite l'amendement n° 31 qui m'intéresse tout particulièrement puisque j'ai écrit dans mon rapport que seules les sanctions pénales devaient être prises en compte pour qualifier l'état de récidive. C'est d'ailleurs la position d'excellents juristes qui estiment que les mesures éducatives, disciplinaires, fiscales ne peuvent en constituer le premier terme. Cela semble aller de soi et nous vous serions reconnaissants, madame la garde des sceaux, de nous le confirmer. Si tel n'était pas le cas, le législateur se devrait de préciser ce point en adoptant l'amendement n° 31. Mais il serait préférable d'en faire l'économie pour ne pas alourdir le code pénal et le code de procédure pénale. Je souhaite donc entendre le gouvernement sur cet amendement.
Enfin, s'agissant des amendements relatifs aux éléments sur lesquels le juge peut se fonder pour écarter les peines minimales, je vous renvoie à l'amendement 1 de la commission.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Avis défavorable aux amendements de suppression, favorable à l'amendement 31 -vous le voyez, je suis ouverte à toutes les propositions, y compris celles de l'opposition.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Dès lors, même avis.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Avis défavorable aux amendements 14, 13 et 15, qui reviendraient à créer des peines automatiques ; et à l'amendement 32, inutile dès lors que le texte ne modifie pas l'article 2 de l'ordonnance de 1945.
S'agissant des amendements 30 et 1 : on ne peut prévoir le même régime pénal pour la première récidive et pour les suivantes. Dans le premier cas, le juge pourra déroger à la peine minimale en tenant compte de la personnalité de l'auteur de l'infraction, des circonstances de celle-ci et des garanties de réinsertion ; dans les autres, on peut considérer que la personnalité est en quelque sorte intégrée à la répétition de l'infraction elle-même. A l'auteur de démontrer qu'il a des garanties exceptionnelles de réinsertion ; on ne saurait ainsi se contenter, pour un trafiquant de stupéfiants multirécidiviste, d'un bail ou d'une attestation d'emploi : il devra montrer qu'il est en mesure de sortir de la spirale de la récidive. Je fais totalement confiance aux magistrats pour apprécier. Le Gouvernement est donc défavorable aux amendements 30, 1 et 33.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Un mot d'abord pour dire qu'il faudra sans doute coordonner d'autres textes avec l'amendement 31 ...
Nous soutenons le nouveau régime adapté à la récidive. Il y a l'individualisation, il y a aussi l'égalité des peines, à laquelle les révolutionnaires de 1789 étaient très attachés ; j'ajoute qu'il existait des peines minimales jusqu'en 1994. N'oublions pas que ce que nous visons, ce sont des crimes ou des atteintes graves à l'ordre public commis en état de multirécidive. Le législateur, le peuple que nous représentons est légitime quand il dit : « assez ! », même si ces cas sont peu nombreux. En ces circonstances, il est normal d'exiger, pour le prononcé d'une peine inférieure au minimum, des garanties très strictes.
M. Jacques Mahéas. - Les juges ne sont pas sots !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Mais c'est nous qui faisons la loi ! Et la jurisprudence est diverse, surtout en matière de délits.
Je repose la question à madame la garde des sceaux : la cour de cassation contrôlera-t-elle les garanties de réinsertion, ou laissera-t-on le juge les apprécier souverainement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Le juge du fond appréciera ; les garanties à offrir répondent à une gradation.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Nous ne pouvons retirer un amendement adopté par la commission ; mais le propos de la garde des sceaux m'incite à penser, à titre personnel, que l'amendement 1 n'est plus indispensable.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Le Sénat statuera à la lumière du débat.
M. le président. - Je mets aux voix les deux amendements de suppression.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je comprends mal, en premier lieu, que le gouvernement ait déclaré l'urgence sur un texte aussi sensible et aussi complexe, alors même que les moyens nécessaires à sa mise en oeuvre n'existent pas. S'il veut aller vite, c'est bien qu'il lui faut un affichage politique le plus rapidement possible.
En deuxième lieu, pourquoi le Gouvernement n'a-t-il apporté aucune réponse aux propos de ceux d'entre nous qui, reprenant études et analyses, ont contesté toute corrélation entre le quantum des peines et la récidive ou la non-récidive ? S'il réfute les chiffres, qu'il nous donne ses arguments ; sinon, pourquoi persiste-t-il à considérer que son texte sera efficace pour lutter contre la récidive ?
En troisième lieu, j'ai trouvé le débat sur l'amendement 30 très instructif.
Ce qui suscite débat dans le pays et inquiétude chez les magistrats, c'est que l'individualisation des peines soit remise en cause.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Ce n'est pas le cas !
M. Jean-Pierre Sueur. - Avec l'article premier, la peine plancher devient la règle, sauf considérations exceptionnelles, ce qui est contraire au principe de l'individualisation retenu dans notre Constitution. L'excellent rapport de février 2005 de M. Zocchetto...
M. François Zocchetto, rapporteur. - Merci.
M. Jean-Pierre Sueur. - ..., « le Zocchetto d'avant » (Sourires), m'en avait convaincu. « Pourquoi revenir à un système supprimé il y a plus de douze ans ? », pouvait-on y lire.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ah !
M. Jean-Pierre Sueur. - Madame le garde des sceaux, est-ce légitime de prendre en compte les circonstances et la personnalité du prévenu en cas de première récidive, mais non en cas de deuxième ? Vous créez un système de décision automatique, pour ne pas dire mécanique, avec gradation. Comment le justifierez-vous auprès des juges ? Tout cela est très théorique...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - C'est vous qui théorisez !
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous sacrifiez notre droit et la confiance qu'ont les élus et le peuple dans les magistrats à l'affichage politique.
M. Jacques Mahéas. - Pourquoi les récidivistes ? A cette question, votre seule réponse est « parce que les peines encourues sont trop légères ». Les centres éducatifs fermés me semblent être une meilleure voie. Mais pour l'heure, ils n'existent qu'à dose homéopathique : un pour tout l'Île-de-France, et bientôt deux... peut-être !
Pourquoi la récidive ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Parce qu'il existe des gens malfaisants !
M. Jacques Mahéas. - Le noyau dur des récidivistes est constitué de personnes non insérées et de toxicomanes. A leur sortie de prison, ils ne bénéficient ni de prise en charge, ni d'aide, ni de soins. Chômage, ghettos de pauvres, discrimination, crise du logement, surpopulation des prisons, ces éléments seront-ils pris en compte pour une éventuelle diminution de peine ?
Concernant les mineurs, ce texte ne paraît pas conforme à la Convention internationale sur les droits de l'enfant que la France a ratifiée.
Bref, vous êtes en service commandé, vous voulez aller trop vite sans avoir suffisamment réfléchi, l'urgence ne s'imposait pas et ce texte n'est pas bon.
M. Pierre-Yves Collombat. - Certains collègues veulent nous faire croire, pour s'en persuader eux-mêmes, qu'il faut choisir entre les délinquants et les victimes.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Oui !
M. Pierre-Yves Collombat. - Or toutes les études, qu'elles soient françaises ou étrangères, montrent que les peines plancher créeront des délinquants, et donc des victimes ! (Mme Lucette Michaux-Chevry se gausse)
En votre for intérieur, vous savez que ce texte est mauvais... (Exclamations à droite)
M. Dominique Braye. - Nous ne sommes pas socialistes !
M. Pierre-Yves Collombat. - ...et, pire encore, contreproductif ! Nous ne pouvons pas le voter.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ce débat augure mal de la revalorisation du rôle du Parlement...
M. Charles Pasqua. - Pas de débat possible, si vous n'avez pas de propositions !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - ...et des rapports entre l'exécutif et le législatif.
Contrairement à ce que les exemples étrangers montrent, vous soutenez qu'il existe une corrélation entre le quantum des peines et la récidive. Prouvez-le ! Pourquoi passer sous silence tout ce qui réduit efficacement la délinquance -la liberté conditionnelle, les peines alternatives et le suivi sociojuridique ?
La méthode Coué, que vous appliquez depuis cinq ans, ne nous convainc pas. En tant que législateurs, nous attendons, comme le peuple, des arguments et des résultats.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Les explications de Mme le garde des sceaux ne m'ont pas convaincue. Si l'on crée des peines plancher, on remet en cause le principe d'individualisation des peines et, donc, la liberté d'appréciation du juge. L'exemple du dealer n'était pas concret. Quelles garanties pourront offrir à leurs enfants les familles exclues, précarisées ou en butte à la discrimination ?
M. Dominique Braye. - Vous êtes manifestement très loin des préoccupations de nos concitoyens. M. Mahéas devrait se souvenir que nous étions ensemble dans la commission qui étudiait les conséquences des évènements de l'automne 2005 en banlieue : à l'unanimité, toutes sensibilités politiques confondues, les élus nous ont demandé de faire quelque chose contre les multirécidivistes, cette petite poignée de délinquants dont, monsieur Badinter, nos concitoyens les plus modestes sont les premières victimes. Les éducateurs spécialisés aussi...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ici, il s'agit des majeurs !
M. Dominique Braye. - ... nous reproche d'avoir laissé impunis des délinquants qui ensuite, évidemment, ont récidivé. (Exclamations à gauche) Et je me souviens d'un éducateur de Chanteloup-les-Vignes, prêtre et polytechnicien, qui affirmait que la répression était la première forme de prévention. (Applaudissements à droite)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Il s'agit ici des majeurs. Vous ne savez donc pas lire !
M. Dominique Braye. - Je rends enfin hommage au ministre, qui a répondu à toutes les questions, contrairement à ce qu'a affirmé M. Mahéas, et au rapporteur, qui a bien travaillé.
Les amendements identiques n°s29 et 53 ne sont pas adoptés, non plus que les amendements n° s 31, 14, 32, 1, 13 et 30.
L'amendement n° 1 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur. - La commission est désavouée ...
M. Pierre-Yves Collombat. - Avec la complicité de son président !
M. Charles Pasqua. - Le Sénat est souverain !
Voix sur les bancs socialistes- Le souverain est à l'Élysée ....
L'amendement n°54 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°33.
L'article premier modifié est adopté.
Article 2
Après l'article 132-19 du code pénal, il est inséré un article 132-19-1 ainsi rédigé :
« Art. 132-19-1. - Pour les délits commis en état de récidive légale, la peine d'emprisonnement ne peut être inférieure aux seuils suivants :
« 1° Un an, si le délit est puni de trois ans d'emprisonnement ;
« 2° Deux ans, si le délit est puni de cinq ans d'emprisonnement ;
« 3° Trois ans, si le délit est puni de sept ans d'emprisonnement ;
« 4° Quatre ans, si le délit est puni de dix ans d'emprisonnement.
« Toutefois, la juridiction peut prononcer, par une décision spécialement motivée, une peine inférieure à ces seuils ou une peine autre que l'emprisonnement en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
« Le tribunal ne peut prononcer une peine autre que l'emprisonnement lorsqu'est commis une nouvelle fois en état de récidive légale un des délits suivants :
« 1° Violences volontaires ;
« 2° Délit commis avec la circonstance aggravante de violences ;
« 3° Agression ou atteinte sexuelle ;
« 4° Délit puni de dix ans d'emprisonnement.
« Par décision spécialement motivée, le tribunal peut toutefois prononcer une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure aux seuils prévus par le présent article si le prévenu présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion. »
M. Charles Gautier. - Mes propos précédents quant à l'inutilité de ce texte s'appliquent également à cet article 2. Je ne les répèterai pas. J'ajouterai néanmoins un paradoxe, relevé par l'Union syndicale des magistrats. Ce texte fixe des peines minimales d'emprisonnement. Or cela n'exclut pas le sursis, accompagné ou non de travaux d'intérêts généraux ou de mise à l'épreuve. Le condamné peut alors repartir libre, sans que le magistrat n'ait à rien justifier.
Or, si le magistrat veut prononcer une peine d'emprisonnement ferme mais en dessous de la peine minimale, il devra motiver sa décision. Cela peut sembler curieux, mais ne fait que démontrer encore que l'objectif est de frapper l'opinion publique, sans réellement rechercher l'efficacité.
Je continuerai ici à me limiter aux cas des majeurs. Le taux de récidive est plus important pour les délits que pour les crimes. Pierre Tournier, sociologue, spécialiste des questions carcérales, évalue à 10 000 détenus supplémentaires par an l'effet de cette nouvelle loi. Or, la surpopulation carcérale a atteint ces dernières années un taux considérable. Au 1er juin 2007, le nombre de détenus en France est de 63 598. Les taux d'occupation explosent dans certains établissements. Madame la garde de sceaux, comment allez-vous loger ces nouveaux détenus ? Y aurait-t-il un plan de construction de nouveaux établissements dont vous n'auriez pas encore parlé ? Merci de vos réponses.
Préalablement à l'examen de ce texte, on n'a procédé à aucune étude d'impact, pas plus que pour les quatre précédents textes sur la délinquance. Attitude curieuse pour qui se targue de vouloir mieux contrôler les finances de l'État.
M. Jean-Pierre Sueur. - Pas de réponse ? Madame la garde des sceaux, nous posons souvent des questions ; il serait bon d'y répondre de temps en temps. Cette loi provoquerait 10 000 incarcérations supplémentaires par an. Cela pose un problème ! J'ai l'honneur de vous demander comment vous comptez le résoudre. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir me répondre.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - C'est une injonction !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - En réalité, 80 % des mineurs sanctionnés ne récidivent pas. Encore faut-il qu'il y ait eu sanction.
M. Jean-Pierre Sueur. - Personne ne dit qu'il ne faut pas sanctionner !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - La sanction n'implique pas l'incarcération. Ce texte ne remet pas en cause les alternatives à l'incarcération que le juge pourra toujours prononcer. Le taux actuel d'aménagement des peines est sans précédent, et ne cesse de progresser. Dès juin, j'ai envoyé à tous les parquets une circulaire recommandant de favoriser ces alternatives. Quant aux soins, ils seront la condition des libérations conditionnelles. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Sueur. - Tout cela, c'est très bien, mais cela ne justifie pas les peines plancher....
M. le président. - Amendement n°34, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Robert Badinter. - Ce texte aboutirait inévitablement à une augmentation de la population carcérale. Cet article, parfaitement inutile, contient, en outre, une critique, implicite mais réelle, de notre magistrature qui, dans son ensemble, a été choquée que le législateur pèse sur les juges en ce qui concerne les peines qu'ils prononcent dans des affaires individuelles. Ce texte ne produira que des fruits amers : plus de délinquance, plus de détenus, plus de récidive à la sortie de prison... Pour répondre à une demande du public, on présente un texte parfaitement inefficace.
Le devoir de l'homme et de la femme politique, c'est de ne pas systématiquement céder aux pressions de l'opinion publique (M. Braye s'exclame), mais de chercher où sont les voies de la raison et l'équilibre dans la cité...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission - Il faut que les juges soient raisonnables aussi !
M. Robert Badinter. - A l'heure où Tony Blair disparaît de la scène politique...
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. - Il n'est pas mort !
M. Robert Badinter. - ...souvenons-nous des propos qu'il a toujours tenus : « dur avec le crime et dur avec les causes du crime ». Vous avez oublié le deuxième terme de cette maxime ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Pas du tout !
M. le président. - Amendement identique n°55, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
Supprimer cet article.
Mme Éliane Assassi. - L'instauration de peines plancher d'emprisonnement en matière délictuelle provoque des effets pervers en cascade. (M. Hyest, président de la commission, le conteste) Le gouvernement dit que les juges peuvent y déroger, mais les magistrats doivent motiver spécialement leurs décisions, et faute de moyens et de temps, les juges seront forcément conduits à prononcer des peines plancher.
L'article 2 met en place un mécanisme répressif excessif et disproportionné. Si, comme il est probable, les juges seront peu nombreux à pouvoir motiver des dérogations aux peines plancher, le nombre de détenus va considérablement progresser. On estime à 10 000 personnes l'augmentation prévisible de la population carcérale entraînée par ce texte. Nos prisons -qui sont criminogènes- pourront difficilement absorber cette inflation... mais peut-être le gouvernement compte-t-il sur la grâce présidentielle ? L'aggravation des sanctions ne change rien. Après cinq ans de lois de plus en plus répressives, nous voyons bien que la délinquance ne diminue pas. Alors, pourquoi un tel entêtement ? Plutôt que de renforcer encore un arsenal répressif déjà tellement surchargé qu'il en devient incompréhensible, ne vaudrait-il pas mieux renforcer les moyens mis à la disposition des magistrats pour permettre l'aménagement des peines ? Nous savons depuis longtemps que les sorties programmées et les libérations conditionnelles fonctionnent. La commission consultative des droits de l'homme, dans l'avis qu'elle a rendu le 14 décembre 2006, a attiré l'attention sur les mesures de nature à prévenir la récidive et à constituer une alternative à la détention, qui donnent de bien meilleurs résultats que la prison et représentent un moindre coût pour la collectivité. Évidemment, ce n'est pas le choix que vous nous proposez aujourd'hui avec ce texte, dont nous refusons la logique. C'est pour cela que nous demandons la suppression de l'article 2.
M. le président. - Amendement n°56, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
Dans le sixième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, après le mot :
juridiction
insérer les mots :
, réunie en formation collégiale,
Mme Éliane Assassi. - Il s'agit d'un amendement de repli, qui tend à affirmer le principe de responsabilité des juges. En effet, s'il veut déroger au prononcé d'une peine plancher, le juge doit motiver sa décision sur des critères qui encadrent strictement sa liberté d'appréciation. Les magistrats sont ainsi pris au piège : soit ils appliquent strictement la loi et infligent des peines supérieures aux seuils proposés, soit ils dérogent aux peines minimums, mais risquent alors d'être mis en cause sur les plans politique, médiatique et disciplinaire en cas de nouvelle récidive.
Nous avons tous en mémoire l'affaire Nelly Kremel et nous entendons encore le ministre de l'intérieur de l'époque appeler, selon ses propres termes, à « faire payer » un juge, alors que la décision de libération de l'une des personnes impliquées dans ce meurtre avait été prise collégialement.
Afin de s'assurer qu'un magistrat seul ne risque pas d'être ainsi pris à partie en cas de récidive d'une personne condamnée à une peine inférieure à la peine minimale prévue ou avec un sursis avec mise à l'épreuve, nous proposons que la formation de jugement soit nécessairement collégiale.
M. le président. - Amendement n°21, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Dans le sixième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, supprimer les mots :
, par une décision spécialement motivée,
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Votre projet de loi oblige le juge à motiver sa décision, quelle que soit la nature de la peine prononcée.
Cet amendement, comme l'amendement n°22, supprime cette obligation de motivation systématique, qui risque de provoquer une inflation des procédures, alors même que la lourdeur de celles-ci les expose aux accusations de laxisme.
L'obligation de motivation de la décision du juge n'est pertinente que pour les peines les plus graves, dont les peines d'emprisonnement ferme. Ainsi, l'article 132-19 du code pénal, alinéa 2, dispose déjà qu'en matière correctionnelle, « la juridiction ne peut prononcer une peine d'emprisonnement sans sursis qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette peine. Toutefois, il n'y a pas lieu à motivation spéciale lorsque la personne est en état de récidive légale. »
Ce projet, en faisant abstraction de cet article, risque de créer une inflation judiciaire qu'il est de notre devoir d'éviter, pour permettre un meilleur traitement de la délinquance et de meilleures conditions de travail pour les juges. C'est pourquoi cet amendement propose la suppression de la référence à l'obligation de motivation, pour en rester à l'article 132-19, alinéa 2.
M. le président. - Amendement n°37, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
I - Dans le 6ème alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, après les mots :
inférieure à ces seuils
insérer les mots :
, ou pour les mineurs, une mesure éducative,
II - Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, après les mots :
inférieure aux seuils prévus par le présent article
insérer les mots :
, ou pour les mineurs, une mesure éducative,
M. Richard Yung. - L'ordonnance de 1945 doit s'appliquer aux mineurs. Le juge doit pouvoir s'interroger sur l'opportunité de prononcer une peine plancher ou une autre mesure, de nature éducative, permise par cette ordonnance. Nous tenons à rappeler cette possibilité au juge.
M. le président. - Amendement n°24, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Après les mots :
circonstances de l'infraction
rédiger ainsi la fin du sixième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal :
ou de la personnalité de son auteur.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Il s'agit de supprimer la référence à un critère qui encadre de manière trop restrictive le principe essentiel d'individualisation des peines que nous voulons réaffirmer par cet amendement, notamment parce qu'il exprime le pouvoir d'appréciation du juge. Le critère de la personnalité de l'auteur et celui des circonstances de l'affaire permettent en effet au juge d'individualiser les peines, sans qu'il soit nécessaire de se référer aux garanties d'insertion ou de réinsertion, dont l'appréciation relève normalement du juge d'application des peines et qu'il est impossible de mettre en oeuvre dans le cadre d'une condamnation pénale.
M. le président. - Amendement n°16, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
I. Après le sixième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le prévenu est jugé en comparution immédiate selon la procédure prévue par l'article 395 du code de procédure pénale, la juridiction n'est pas tenue d'apprécier, dans le prononcé de peines inférieures à celles prévues par les deuxième à cinquième alinéas du présent article ou d'une peine autre que l'emprisonnement, les garanties d'insertion ou de réinsertion visées à l'alinéa précédent ».
II. Compléter in fine cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Amendement n°17, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
I. Après le sixième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le prévenu est jugé en comparution immédiate selon la procédure prévue par l'article 395 du code de procédure pénale, la juridiction n'est pas tenue, dans le prononcé de peines inférieures à celles prévues par les deuxième à cinquième alinéas du présent article ou d'une peine autre que l'emprisonnement, de motiver sa décision. »
II. Compléter in fine cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le prévenu est jugé en comparution immédiate selon la procédure prévue par l'article 395 du code de procédure pénale, la juridiction n'est pas tenue, dans le prononcé de peines inférieures à celles prévues par les deuxième à cinquième alinéas du présent article, de motiver sa décision. »
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Ces deux amendements visent à exonérer le juge d'une motivation de sa décision fondée sur les garanties d'insertion ou de réinsertion d'un prévenu lorsque ce dernier est jugé en comparution immédiate. Comment, en effet, un juge peut-il apprécier une telle garantie en une seule journée ? Il n'en a pas le temps et cela suppose une enquête de personnalité qui est difficile à faire et qui est souvent bâclée. Soit le juge ne pourra pas justifier sa décision, parce qu'il manquera des éléments objectifs pour ce faire, soit il se risquera à justifier, mais en ce cas, la plupart du temps, il ne disposera pas non plus d'informations ou d'éléments suffisants pour justifier sa décision.
M. le président. - Amendement n°2, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
I. - Au début du septième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, remplacer les mots :
Le tribunal
par les mots :
La juridiction
II. - Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, remplacer les mots :
le tribunal
par les mots :
la juridiction
M. François Zocchetto, rapporteur. - Amendement de clarification.
M. le président. - Amendement n°19, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Supprimer le huitième alinéa (1°) du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Les peines minimums risquent de s'appliquer de façon quasi-automatique aux délits mineurs de violences volontaires. Or il s'agit de situations très et souvent trop variées pour qu'on puisse les traiter aussi indistinctement. Il peut en effet s'agir de vols avec bousculade, d'atteintes aux biens, sans atteintes aux personnes... Les violences volontaires les plus graves sont d'ores et déjà assimilées par le code pénal aux délits commis avec la circonstance aggravante de violences, en vertu de l'article 132-15-4 introduit par la loi du 12 décembre 2005.
Les délits avec circonstances aggravantes sont déjà visés à l'article 10 : cette référence est donc inutile.
M. le président. - Amendement n° 20, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Compléter le huitième alinéa (1°) du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal par les mots :
ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 10 jours
Mme Alima Boumediene-Thiery. - La notion de violence volontaire recouvre aussi bien des vols avec bousculade que ceux ayant entraîné une interruption temporaire de travail de vingt jours. Faut-il pour autant les traiter de la même manière ? « Qui vole un oeuf vole un boeuf », dit l'adage, mais n'exagérons pas ! Ce projet de loi ne fait pas de distinction : un multirécidiviste sera condamné à l'emprisonnement ferme indépendamment de la gravité des faits. Il faut prendre en compte les circonstances de l'affaire et le préjudice subi par la victime. Nous proposons donc de restreindre le champ d'application de l'article pour viser les seuls multirécidivistes violents.
M. le président. - Amendement n° 18, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Compléter le neuvième alinéa (2°) du texte proposé par cet article pour l'article 132-19 1 du code pénal par les mots :
ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 10 jours
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Même argumentaire.
M. le président. - Amendement n° 36, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Avant le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Seules les sanctions pénales prononcées par le tribunal pour enfants ou par la cour d'assises des mineurs peuvent être prises en compte pour la détermination de l'état de récidive.
M. Richard Yung. - Je doute de l'effet dissuasif de ces mesures, d'autant que les mineurs condamnés n'ont pas toujours véritablement conscience des peines qu'ils encourent. En outre, le problème des mineurs n'est pas tant la récidive que la réitération. Or, du fait de la charge de travail des juges et de l'encombrement des tribunaux, le jugement intervient au plus tôt six mois après les faits !
Les mesures ou sanctions éducatives, qui peuvent être prononcées pour des faits de moindre gravité, ne doivent pas constituer le premier terme de la récidive légale : seules les sanctions pénales doivent être prises en compte.
M. le président. - Amendement n° 22, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, supprimer les mots :
Par décision spécialement motivée,
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Il est défendu.
M. le président. - Amendement n°23, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Après les mots :
présent article
rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal :
en considération des circonstances de l'infraction ou de la personnalité de son auteur.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Il est défendu.
M. le président. - Amendement n° 35, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Après les mots :
inférieure aux seuils prévus par le présent article
Rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal :
en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties suffisantes d'insertion ou de réinsertion présentées par celui ci. »
M. Robert Badinter. - Je le soutiens, même si je connais déjà le verdict...
M. le président. - Amendement n° 3, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
Après les mots :
présent article
rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal :
, à titre exceptionnel, en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Je le retire, compte tenu du vote sur l'amendement n° 1.
L'amendement n° 3 est retiré.
M. le président. - Amendement n° 57, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, remplacer les mots :
garanties exceptionnelles
par les mots
gages sérieux
Mme Éliane Assassi. - Amendement de repli, avec le même objet qu'à l'article premier.
M. le président. - Amendement n°38, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Compléter le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal par une phrase ainsi rédigée :
Toutefois lorsque le crime est commis en état de récidive légale par un mineur, la juridiction peut prononcer une peine inférieure à ces seuils en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
M. Robert Badinter. - Même chose.
M. le président. - Amendement n° 4, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Les dispositions du présent article ne sont pas exclusives d'une peine d'amende et d'une ou plusieurs peines complémentaires. »
M. François Zocchetto, rapporteur. - Amendement de précision.
Avis défavorable aux amendements de suppression n°s 34 et 55. L'amendement n° 56 aurait pour effet paradoxal de conduire le juge unique à prononcer systématiquement des peines supérieures ou égales au minimum et introduirait une inégalité devant la loi selon que le jugement est rendu par un juge unique ou une formation collégiale. Avis défavorable.
L'amendement n° 21 vide le texte de sa portée : défavorable. L'amendement n° 37 a le même objet que l'amendement n° 22 : retrait ? Défavorable à l'amendement n° 24, qui reprend l'amendement n° 15.
L'amendement n° 16 conduirait paradoxalement à exonérer la juridiction de toute motivation de la dérogation pour un multirécidiviste, alors qu'il y est tenu pour un primo-délinquant. Avis défavorable, ainsi que sur l'amendement n° 17, qui exclut toute infraction jugée en comparution immédiate du champ de la loi. L'enquête de personnalité est déjà obligatoire, et, en tout état de cause, la juridiction peut toujours renvoyer l'affaire.
Défavorable à l'amendement n° 19, qui interdit une réponse plus ferme, ainsi qu'aux amendements n°s 20 et 18, qui ont le même objet.
Favorable à l'amendement n° 36, à la suite des explications du gouvernement sur l'amendement n° 31. Défavorable aux amendements n°s 22, 23, 35, 57 et 38, qui déclinent pour les délits ce qui avait été proposé à l'article premier pour les crimes.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Défavorable aux amendements de suppression n°s 34 et 55, ainsi qu'à l'amendement n° 56 : les textes actuels permettent déjà de renvoyer à une formation collégiale si nécessaire. Défavorable à l'amendement n° 21, pour les mêmes raisons qu'à l'article premier. L'amendement n° 37 est inutile.
L'amendement n° 37 est retiré.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Défavorable à l'amendement n° 24, ainsi qu'aux amendements n°s 16 et 17, qui suppriment l'exigence de motivation. Favorable à l'amendement rédactionnel n° 2. Défavorable à l'amendement n° 19 : les victimes qui ne demandent pas un certificat médical et une interruption temporaire de travail ne doivent pas être exclues. Défavorable aux amendements n°s 20 et 18. Favorable à l'amendement n° 36, défavorable à l'amendement n° 22, qui supprime la motivation, ainsi qu'aux amendements n°s 23, 35, 57 et 38. Favorable à l'amendement n° 4.
Les amendements identiques n°s 34 et 55 ne sont pas adoptés, non plus que les amendements n°s 56, 21, 24, 16 et 17.
L'amendement n° 2 est adopté.
L'amendement n° 19 n'est pas adopté, non plus que les amendements n°s 20 et 18.
L'amendement n° 36 est adopté.
L'amendement n° 22 n'est pas adopté, non plus que les n°s 23, 35, 57 et 38.
L'amendement n° 4 est adopté.
L'article 4 modifié est adopté.
M. le président. - Amendement n° 5, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant le dernier alinéa de l'article 41 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le procureur de la République ne peut prendre aucune réquisition tendant à retenir l'état de récidive légale s'il n'a préalablement requis, suivant les cas, l'officier de police judiciaire compétent, le service pénitentiaire d'insertion et de probation, le service compétent de la protection judiciaire de la jeunesse ou toute personne habilitée dans les conditions prévues par l'article 81, sixième alinéa, afin de vérifier la situation matérielle, familiale et sociale de l'accusé ou du prévenu et de l'informer sur les garanties d'insertion ou de réinsertion de l'intéressé. »
M. François Zocchetto, rapporteur. - La reconnaissance de la situation personnelle de l'accusé sera déterminante dans la décision de l'emprisonner ou non. Or les enquêtes de personnalité que le procureur peut toujours demander sont loin d'être systématiques, même si elles sont obligatoires dans certains cas comme la comparution immédiate ou quand il s'agit d'un mineur. Nous voulons les rendre obligatoires aussi pour les réquisitions tendant à retenir l'état de récidive légale.
Les magistrats, lors des auditions, nous ont dit être prêts à exercer leurs responsabilités si le législateur leur en donne les moyens.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Je suis un peu gênée de ne pas aller dans le sens de la commission...
Le parquet peut déjà demander une enquête de personnalité ; vous voulez la rendre obligatoire. Cela a un coût, qui peut aller de 40 à 70 euros, et ajouterait une nouvelle contrainte procédurale. N'oubliez pas qu'une telle enquête est déjà obligatoire dans certains cas.
Pour un primo-délinquant de 22 ans, je ne fais pas d'enquête de personnalité ; il revient comme récidiviste, je commence à le connaître, et c'est là que l'enquête de personnalité deviendrait obligatoire, à la charge de l'État, dans l'unique objectif de réduire la peine de l'accusé ! Défavorable, à regret.
M. Charles Pasqua. - Très bien !
M. Dominique Braye. - Je ne suis pas expert en la matière (Mme Borvo Cohen-Seat confirme) mais le président de la République fait très justement observer qu'à voter des dispositions qu'on n'a pas les moyens de mettre en oeuvre on discrédite la politique.
Il me semble que l'on connaît mieux un récidiviste qu'un primo-délinquant, à propos de qui l'enquête de personnalité ne serait pas obligatoire ! Nos collègues s'interrogent...
M. Charles Gautier. - Généralisons l'obligation à tous les accusés !
M. Pierre-Yves Collombat. - Cet amendement touche au problème de l'individualisation des peines. Si le juge n'a pas les moyens de connaître la personnalité du récidiviste, comment fera-t-il ? C'est de cela qu'il s'agit, pas de gros sous. Sans possibilité d'apprécier la personnalité, pas d'individualisation possible, ce qui serait contraire à la Constitution.
M. Richard Yung. - Je comprends M. Braye mais ce qui est vrai du primo-délinquant doit aussi l'être du récidiviste. Plusieurs années peuvent avoir passé et la personnalité avoir évolué.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Malheureusement, l'absence d'enquête rend inapplicable la disposition qu'instaure le texte pour déroger à la règle générale de la peine plancher.
Mme Lucette Michaux-Chevry. - Cet amendement est superfétatoire : aucun dossier ne se présente au pénal sans éléments permettant d'apprécier la personnalité de l'accusé. À l'audience, l'accusé ou son conseil peut toujours demander une telle enquête. La rendre obligatoire serait créer une surcharge de travail pour les parquets.
M. Robert Badinter. - Cette discussion m'étonne. La commission a voté cet amendement à l'unanimité, croyez-vous que ce soit par légèreté ou par laxisme ? Il est évident qu'il ne saurait y avoir de bonne justice sans une bonne connaissance des éléments concrets. L'argument du coût ne saurait être déterminant quand est en jeu l'emprisonnement d'une personne.
M. le président. - Je pensais que le président Hyest souhaitait s'exprimer en dernier ; qu'il me pardonne de ne pas lui avoir donné la parole dès qu'il me l'a demandée.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Quand je demande la parole, c'est pour l'avoir à cet instant même.
La commission a cherché un équilibre. Dès lors qu'il y a une peine minimum et que, pour le récidiviste, on tient compte de sa personnalité et des circonstances de l'infraction, il faut une enquête de personnalité. La commission reste fidèle à sa logique.
Il faut garder un équilibre : la commission réitère son invite à voter cet amendement.
M. Charles Pasqua. - L'assemblée fait ce qu'elle veut.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Le juge qui devra prononcer une peine minimale devrait connaître la personnalité pour passer en-deçà. Il peut y avoir un doute, il convient de le prévoir.
L'amendement n° 5 est adopté ; l'article additionnel est inséré.
M. le président. - Amendement n° 6, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 132-20 du code pénal, il est inséré un article 132-20-1 ainsi rédigé :
« Art. 132-20-1.- Lors du prononcé de la peine, le président de la juridiction avertit le condamné des conséquences qu'entraînerait une condamnation pour une nouvelle infraction commise en état de récidive légale. »
M. François Zocchetto, rapporteur. - Voici un amendement, je l'espère, plus consensuel. Certains délinquants ignorant les peines qu'ils encourent, il est utile d'inviter les présidents de juridiction à avertir les condamnés des peines qu'ils encourraient en cas de récidive. Certains le font déjà car mieux vaux prévenir que guérir.
M. le président. - Amendement n° 39, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 132 20 du code pénal, il est inséré un article 132 20 1 ainsi rédigé :
« Art....- Lors du prononcé de la peine, le président de la juridiction doit avertir le condamné des conséquences qu'entraînerait une condamnation pour une nouvelle infraction commise en état de récidive légale. »
M. Robert Badinter. - Tout au long des auditions j'ai demandé aux magistrats leur sentiment à cet égard. Si le délinquant n'est pas toujours attentif à l'évolution de la loi, il pourrait retenir l'avertissement donné au moment du prononcé de la peine, d'où cette forme de dissuasion individualisée et immédiate, plus efficace que bien des dispositions trop compliquées.
L'amendement n° 39 est retiré.
L'amendement n° 6, accepté par le gouvernement, est adopté ; l'article additionnel est inséré.
Article 3
I. - L'article 20-2 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par la phrase suivante : « La diminution de moitié de la peine encourue s'applique également aux peines minimales prévues par les articles 132-18, 132-18-1 et 132-19-1 du code pénal. » ;
2° Le deuxième alinéa est remplacé par les alinéas suivants :
« Toutefois, si le mineur est âgé de plus de seize ans, le tribunal pour enfants ou la cour d'assises des mineurs peut décider qu'il n'y a pas lieu de le faire bénéficier de l'atténuation de la peine prévue à l'alinéa précédent dans les cas suivants :
« 1° Lorsque les circonstances de l'espèce et la personnalité du mineur le justifient ;
« 2° Lorsqu'un crime d'atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne a été commis en état de récidive légale ;
« 3° Lorsqu'un délit de violences volontaires, un délit d'agressions sexuelles, un délit commis avec la circonstance aggravante de violences a été commis en état de récidive légale.
« Lorsqu'elle est prise par le tribunal pour enfants, la décision de ne pas faire bénéficier le mineur de l'atténuation de la peine doit être spécialement motivée, sauf pour les infractions mentionnées au 3° ci-dessus commises en état de récidive légale.
« L'atténuation de la peine prévue au premier alinéa ne s'applique pas aux mineurs de plus de seize ans lorsque les infractions mentionnées aux 2° et 3° ci-dessus ont été commises une nouvelle fois en état de récidive légale. Toutefois la cour d'assises des mineurs peut en décider autrement, de même que le tribunal pour enfants qui statue par une décision spécialement motivée. »
II. - Le treizième alinéa de l'article 20 de la même ordonnance est remplacé par les dispositions suivantes :
« 2° Y a-t-il lieu d'exclure l'accusé du bénéfice de la diminution de peine prévue à l'article 20-2 ou, dans le cas mentionné au septième alinéa de cet article, de faire bénéficier l'accusé de cette diminution de peine ? »
Mme Éliane Assassi. - Modifiant pour la cinquième fois en cinq ans l'ordonnance de 1945, le projet revient sur la loi du 5 mars 2007 qui n'est toujours pas appliquée. L'excuse de minorité serait remise en cause et l'automaticité de la peine interdirait d'appliquer le principe de proportionnalité. La commission, en pleine contradiction, réaffirme que la réponse carcérale ne doit intervenir qu'en dernier ressort, mais estime que la population carcérale augmentera. Si le taux de récidive légale est très faible et qu'il n'y a pas corrélation entre récidive et durée de l'emprisonnement, à quoi bon ce texte ? Le taux de réponse pénale est déjà plus élevé pour les mineurs. « Une infraction, une réponse », affirme la ministre sans dire dans quels délais.
Il est urgent de renforcer le suivi plutôt que de privilégier des peines de prison peu propices à la réinsertion. Tous les professionnels s'opposent à une telle disposition et vous l'ont fait savoir. Où est donc le dialogue social ? Mme Versini a rappelé la convention internationale des droits de l'enfant et le conseil d'Etat a émis une réserve interprétative sur l'article 3 pour réaffirmer les articles 2 et 20 de l'ordonnance de 1945. Il faut le rejeter.
M. le président. - Plusieurs amendements peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Amendement n° 40, présenté par M. Badinter et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Robert Badinter. - Nous touchons à ce que le texte comporte de plus saisissant et de plus regrettable. Voici en effet des dispositions contraires à la jurisprudence du conseil constitutionnel comme aux conventions internationales et, plus grave encore, à l'édifice patiemment construit depuis un demi-siècle pour la protection judiciaire des mineurs. Parce qu'ils sont des êtres en devenir, ils relèvent d'une juridiction spécialisée qui privilégie les peines éducatives et, en cas d'emprisonnement, bénéficient d'atténuations de peine de la moitié. Les conventions internationales vont dans le même sens, les évolutions à l'étranger aussi. C'est à tout cela que vous tournez le dos avec les peines plancher.
J'ai le triste privilège d'appartenir à cette génération pour laquelle l'ordonnance de 1945, du 2 février -il faut y prendre garde-, a été prise. La guerre continuait alors. Le gouvernement présidé par le général de Gaulle et auquel étaient associées toutes les forces de la Résistance a pris ce texte sans délai parce qu'il répondait à un besoin urgent. Beaucoup de pères des enfants de ma génération figuraient parmi les 1 800 000 prisonniers de guerre et les centaines de milliers de déportés qui ne sont jamais revenus.
Cette génération, celle des J3, à laquelle j'appartiens, avait vu tant d'exemples de corruption, de marché noir, d'abandon et de trahison qu'elle était déboussolée. C'est pour cette raison que, toutes affaires cessantes, on a voulu prendre cette ordonnance afin de définir les bases du traitement judicaire des jeunes délinquants. Si l'on a choisi de privilégier l'éducatif sur le répressif, ce n'est pas par laxisme ni par angélisme - ceux qui l'ont rédigé en étaient exempts- mais parce qu'on avait compris la spécificité de l'adolescence. C'est sur ces fondements que s'est édifié notre droit des mineurs.
Les temps ont changé et cette ordonnance a été révisée une vingtaine de fois. Pourtant, l'inspiration est restée la même. Lorsque nous vous disons « pas de prison pour les mineurs », ce n'est ni par angélisme, ni par laxisme, là encore, mais parce qu'elle est un lieu de risque extrême de récidive. Il n'y a pas un domaine où il faille être plus prudent qu'ici.
Quand j'entends dire que le moment est venu pour les mineurs de 16 à 18 ans d'être traités comme des adultes, comme si la majorité devait s'estimer à la taille des biceps, je dis qu'on marche sur la tête ! En Europe, notamment en Allemagne, c'est tout le contraire qui se passe : on estime que les jeunes jusqu'à 20 ans manquent de maturité et que les mesures de protection de la jeunesse doivent s'étendre au-delà de la majorité.
Vouloir traiter les mineurs comme des majeurs, c'est un non-sens car ce qu'il faut, avant tout, c'est protéger la jeunesse, y compris d'elle-même, et non pas prévoir, par un réflexe d'autodéfense, des réponses carcérales.
Les caractéristiques de l'adolescence, c'est la révolte, révolte contre les parents, contre la société, et cela se traduit par la réitération. On ne vole pas une fois dans un supermarché, mais à de multiples reprises, on ne vole pas une voiture, mais plusieurs. Ce n'est qu'ensuite que vient l'apaisement. En traitant les actes les uns après les autres, on va à coup sûr au désastre, d'autant que cette génération est soumise à une multitude de tentations.
Je demande donc, au nom du groupe socialiste, la suppression de cet article. Ne confondons pas la modernisation de l'ordonnance de 1945, qu'il faudra envisager, avec le traitement de la récidive des mineurs. (Applaudissements socialistes)
M. le président. - Amendement n°58, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
Rédiger ainsi cet article :
L'article 60 de la loi n°2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance est abrogé.
Mme Éliane Assassi. - Contrairement à Mme la ministre, j'ai écouté avec beaucoup d'attention M. Badinter et je considère que mon amendement est défendu.
M. le président. - Amendement n°59, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
Compléter le deuxième alinéa (1°) du I de cet article par une phrase ainsi rédigée :
Toutefois, le tribunal pour enfants peut, dans tous les cas, prononcer une mesure éducative.
Mme Éliane Assassi. - Il convient de rappeler que, dans l'ordonnance de 1945, le tribunal peut toujours prononcer une mesure éducative à l'encontre d'un mineur délinquant. Nous traduisons ainsi la réserve d'interprétation du Conseil d'État qui a rappelé que l'emprisonnement des mineurs devait rester une exception.
Le dispositif des peines plancher n'a vocation à s'appliquer que si la juridiction prononce une peine d'emprisonnement. En outre, le problème ne vient pas tant des jeunes que de la diminution progressive des moyens alloués aux magistrats et aux éducateurs pour mettre en oeuvre des mesures éducatives. Or, c'est bien souvent la lenteur de la réponse pénale qui favorise la récidive. Mais le gouvernement préfère les annonces médiatiques au financement de la protection judiciaire de la jeunesse. Vous estimez que le travail sur le long terme ne parle pas à l'opinion et c'est pourquoi vous lui préférez une justice mécanique, à contre-courant de ce qui devrait être fait pour les mineurs délinquants.
M. le président. - Amendement n°52, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Dans le septième alinéa (3°) de cet article, supprimer les mots :
un délit de violences volontaires,
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Le juge ne pourra atténuer la responsabilité pénale du mineur lorsqu'il aura commis un délit de violences volontaires. Or, dans un article de Libération, vous avez dit, madame la garde des sceaux, que « c'est à ces mineurs là, auteurs de violences graves et réitérées aux personnes, et à ceux-là seulement, que mon projet de loi s'adresse ».
Il convient donc de circonscrire le champ des délits visés en supprimant les atteintes aux biens.
M. le président. - Amendement n°25, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Dans le septième alinéa du I de cet article, après les mots :
délit de violences volontaires
insérer les mots :
ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 10 jours
Mme Alima Boumediene-Thiery. - La notion de délit ne recouvre pas les mêmes réalités. Il convient de faire la différence entre les divers types d'agression.
Je m'élève contre la procédure de comparution immédiate prévue pour les mineurs de 16 à 18 ans. En effet, l'exclusion de l'atténuation de la responsabilité du mineur par le juge impose un délai de réflexion et une appréciation approfondie de la personnalité du mineur, donc un rallongement des investigations avant le prononcé de la peine.
Le principe d'atténuation de la peine pour les mineurs est un principe constitutionnel auquel il ne peut être dérogé que dans le cadre d'une réelle étude du dossier : il s'oppose donc à ce que l'excuse de minorité soit écartée dans le cadre d'une procédure accélérée.
La présentation immédiate devant le juge n'est pas une procédure adaptée à une décision d'exclusion du principe de l'atténuation de la peine pour le mineur. Cette décision ne peut intervenir que dans le cadre de la procédure classique de jugement, avec les délais qui y sont attachés.
En cas de première récidive, le projet de loi impose au juge de motiver sa décision lorsque les circonstances et la personnalité du mineur le justifient : or tout ceci demande du temps, ce que la procédure de comparution immédiate ne permet pas.
En cas de deuxième récidive, le juge ne peut atténuer la peine que s'il motive de manière spéciale sa décision : là encore, une telle motivation peut prendre du temps et suppose des investigations approfondies qui ne sont pas possibles avec la procédure accélérée.
M. le président. - Amendement n°26, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Dans le septième alinéa du I de cet article, après les mots :
délit commis avec la circonstance aggravante de violences
insérer les mots :
ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 10 jours
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Il est défendu.
M. le président. - Amendement n°27, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Compléter in fine le I de cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« La décision de ne pas faire bénéficier le mineur de l'atténuation de la peine ne peut être prononcée par le tribunal pour enfants ou le juge des enfants lorsque le mineur est poursuivi en vertu de la procédure prévue à l'article 14-2. »
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Il est également défendu.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Rappelons le cadre dans le quel nous évoluons : aujourd'hui, la situation est extrêmement différente en fonction de l'âge du mineur.
Les mineurs de moins de 10 ans capables de discernement ne peuvent faire l'objet que de mesures éducatives.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Encore heureux !
M. François Zocchetto, rapporteur. - Les mineurs de 10 à 13 ans ne peuvent pas être condamnés à une peine mais ils sont susceptibles de sanctions éducatives introduites par la loi du 9 septembre 2002.
Les mineurs de 13 à 16 ans, qui, pour certains, commettent des actes graves, et qui peuvent déjà être récidivistes, peuvent être condamnés à certaines peines, mais ils bénéficient toujours d'une diminution des peines privatives de liberté et des peines d'amende. Pour ces trois catégories, le texte que nous examinons ne change rien.
J'en viens aux jeunes de 16 à 18 ans qui bénéficient, en principe, d'une atténuation de la responsabilité que la juridiction de jugement peut cependant écarter sous certaines conditions. Pour ceux-là, le projet de loi prévoit d'étendre les conditions dans lesquelles le juge, en cas de récidive, peut écarter l'excuse de minorité pour des infractions particulières, telles que crimes, violences ou agressions volontaires.
En cas de nouvelle récidive, l'atténuation de la peine est exclue à moins que la juridiction en décide autrement.
Le texte ne remet en cause ni l'âge de la majorité pénale, ni le principe d'atténuation de responsabilité, ni -c'est un acquis essentiel de l'ordonnance de 1945- la spécialisation des juridictions pour mineurs. Ces observations étant faites, la commission est défavorable à tous les amendements qui viennent d'être défendus.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Avis défavorable aux amendements 40 et 59 dès lors que le texte ne modifie pas l'article 2 de l'ordonnance de 1945 ; le prononcé de mesures éducatives reste toujours possible. Même avis à l'amendement 58, qui ferait disparaître une des dispositions essentielles du projet. Je vais vous donner quelques chiffres concernant les mineurs de treize à seize ans : les condamnations pour homicide volontaire, violences ayant entraîné la mort ou viol ont augmenté de 28 % entre 2000 et 2005, celles pour violences volontaires ayant entraîné une ITT de plus de dix jours, de 19 % ; celles pour délits à caractère sexuel, de 43 %.
Avis défavorable à l'amendement 52 -l'article 3 rend plus lisible l'article 20-2, ce dont le conseil d'État s'est félicité ; à l'amendement 25 -le traumatisme peut être important, même si l'ITT est inférieure à dix jours ; enfin aux amendements 26 et 27.
M. Jean-Pierre Sueur. - M. Chaillou, très respecté et très compétent président de la chambre des mineurs à la cour d'appel de Paris, écrivait hier ceci : « Ce qui est certain, c'est que ce projet est parfaitement contraire à l'esprit de la convention internationale des droits de l'enfant que la France a ratifiée. (...) Il ne faudra pas s'étonner si notre pays est à nouveau montré du doigt. (...) La question de la récidive des mineurs reste préoccupante, difficile et complexe, mais mérite mieux que ce texte illusoire. Notre pays dispose en effet déjà de toute une gamme de mesures qui permettent de lutter contre ce phénomène.(...) Une des innovations les plus fortes, qui n'est plus guère contestée aujourd'hui, a été la création en 2002 des centres éducatifs fermés (CEF) qui connaissent des résultats salués par le commissaire européen aux droits de l'homme. » Et le magistrat poursuivait, dans ce point de vue publié dans Libération (Ironie à droite) : « La région parisienne, qui compte 12 millions d'habitants dont un certain nombre vit dans des banlieues en difficulté, ne dispose que d'un CEF, et ce depuis le 4 avril 2007 ; il accueille aujourd'hui six mineurs de 16 à 18 ans. Un deuxième ouvrira peut-être en 2008. »
Au lieu de cette loi d'affichage, qui pourra impressionner mais aura peu d'effets concrets, le gouvernement aurait dû venir nous présenter les moyens qu'il entendait dégager en priorité pour doter l'Île-de-France de centres supplémentaires !
M. Dominique Braye. - Le devoir d'un homme politique, a dit tout à l'heure M. Badinter, n'est pas de suivre l'opinion publique ; j'ajouterai : parce que celle-ci apporte souvent de mauvaises réponses à de vraies questions. Mais le devoir d'un homme politique, à mon sens, est aussi d'entendre les questions que se posent nos concitoyens en difficulté et d'apporter les bonnes réponses. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit). Un seul CEF en Île-de-France ? Mais qu'avez-vous fait vous-même ? Je repense aux conclusions de la commission spéciale sur les événements de l'automne 2005, à l'appel au secours des élus : de grâce, agissez !
Je suis de ceux qui pensent que ce texte conduira dans un premier temps à une augmentation du nombre d'incarcérations. Les auditions de la commission spéciale l'ont démontré, les éducateurs l'ont dit, qui ne savent plus quoi faire : c'est en laissant trop longtemps certains jeunes impunis qu'on les a ancrés dans la délinquance ; c'est toute une génération qui a été perdue.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Toute une génération ! Comme vous y allez !
M. Dominique Braye. - Je ne veux pas, moi, d'une autre génération perdue ! A la première infraction, il faut que la sanction tombe : c'est ce que permettra ce projet de loi. Et puis, que proposez-vous de concret ?
M. Jean-Pierre Sueur. - De nouveaux CEF !
M. Jean-René Lecerf. - Selon certains, les élus de la majorité seraient seulement préoccupés de répression et de sanction tandis que les représentants de l'opposition se soucieraient de prévention et d'insertion. Cette présentation est quelque peu manichéenne, caricaturale...
M. Charles Gautier. - Je n'ai jamais dit ça !
M. Jean-René Lecerf. - Pour Mme Assassi, nous aurions oublié, dans notre prétendue fureur répressive, de donner des moyens à la justice. Pourtant, le budget de la Chancellerie a augmenté de 38 % en cinq ans et les effectifs des services responsables de l'insertion ont augmenté dans des proportions jamais égalées auparavant. Telle est la réalité !
Par ailleurs, pourquoi accepter, comme le font certains à gauche pour qui j'ai de l'estime, voire de l'admiration, que la prison reste ce qu'elle est devenue depuis trop longtemps ? Si l'on mélange mineurs et majeurs délinquants, la prison se transforme en école de la récidive !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Juste !
M. Jean-René Lecerf. - Nous avons l'ambition de mettre fin à cet état de choses et nous attendons beaucoup d'un prochain texte sur le système pénitentiaire. Les éducateurs, les psychiatres et tous ceux qui travaillent aujourd'hui avec les mineurs délinquants s'accordent à dire que, dans certains cas, l'action éducative n'est efficace qu'en milieu fermé. D'ailleurs, l'expérience encourageante des centres éducatifs fermés est aujourd'hui saluée par les personnels de la PJJ, qui au départ y étaient violemment hostiles. Les établissements pénitentiaires pour mineurs ne doivent pas être le lieu où on laisse les jeunes faire ce qu'ils veulent...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Très bien !
M. Jean-René Lecerf. - ... mais un endroit où ils apprennent, sont éduqués et reçoivent une formation professionnelle. Connaître l'enfermement peut être une chance pour les jeunes, et non un handicap ! (Applaudissements à droite)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Lorsque l'on entend dire au Sénat que « toute une génération est dans la délinquance », il y a de quoi s'inquiéter...
M. Dominique Braye. - Reprenez le travail de la commission ! Vous refusez de voir la réalité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Les textes permettent déjà de sanctionner les mineurs délinquants tout en essayant de leur éviter, autant que faire se peut, la prison.
Ce texte est très limité. Après la loi de « prévention » de la délinquance, ce texte propose de prolonger l'emprisonnement des mineurs. La seule question qui vaille est : cela aura-t-il un effet sur la récidive ? Dans Libération, madame le garde des sceaux, vous avez longuement évoqué les mineurs délinquants et leur dangerosité, sans parler des prisons.
Le leitmotiv des partisans du tout-carcéral est que les jeunes d'aujourd'hui ne sont pas ceux de 1945. Quelle lapalissade ! Nous l'avons entendu hier, aujourd'hui...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Et vous l'entendrez encore demain !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Certes, les choses ont changé. Ordinateurs, GPS, téléphones mobiles n'existaient pas ; l'argent n'était pas aussi concentré dans les mains des riches et la violence gratuite ne s'étalait pas comme aujourd'hui à la télévision et sur internet. Plus important, le viol n'était pas considéré comme un crime et l'inceste était un tabou dans les familles. Aucun relevé n'en faisait état. Enfin, ceux qui ont libéré la France et repoussé la barbarie que d'autres soutenaient croyaient en l'homme, ils croyaient en la jeunesse. Ce qui n'est pas le cas de ceux qui affirment aujourd'hui que toute une génération est dans la délinquance... (Protestations à droite)
M. Dominique Braye. - N'importe quoi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - En 1945, on croyait en la solidarité. La société n'était envahie par l'argent. La délinquance financière, florissante aujourd'hui, est fort peu sanctionnée. Mais une chose n'a pas changé depuis 1945.
M. Dominique Braye. - Madame Borvo, continuez comme ça ! La prochaine fois, vous ferez 0,8 % aux présidentielles !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Un adolescent n'est pas un adulte...
M. Dominique Braye. - Un garçon n'est pas une fille, etc...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - ... et les adolescents le restent plus longtemps. Dans les familles aisées, c'est à 30 ans parfois que l'enfant prend son autonomie. Les adolescents sont des adultes en devenir. Ils sont parfois déstructurés, désocialisés, désorientés.
M. Dominique Braye. - On les comprend ! Avec vous, comment voulez-vous qu'ils s'y retrouvent !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Pour les jeunes, la prison est criminogène. Hélas ! Bien que de nombreux pays aient pris exemple sur la France après 1945, vous ne cessez de revenir sur cette grande avancée qu'est la justice des mineurs.
L'amendement n°40 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos 58, 59, 52, 25, 26 et 27.
L'article 3 est adopté.
La séance est suspendue à 19h 45.
présidence de M. Guy Fischer,vice-président
La séance est reprise à 21 h 50.
Commissions
(Candidatures)
M. le président. - Le groupe socialiste a fait connaître à la Présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des affaires économiques à la place laissée vacante par Mme Sandrine Hurel, élue députée.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du règlement.
Récidive des majeurs et des mineurs
(Urgence)
(Suite)
Article 4
La première phrase du premier alinéa de l'article 362 du code de procédure pénale est complétée par les mots : « , ainsi que, si les faits ont été commis en état de récidive légale, de l'article 132-18-1 et, le cas échéant, de l'article 132-19-1 ».
M. Richard Yung. - Cet article vise à compléter l'article 362 du code de procédure pénale pour permettre aux présidents de cour d'assises d'informer les jurés des dispositions des nouveaux articles relatifs aux peines minimales. Par coordination avec les amendements déposés aux articles premier et 2, nous demandons sa suppression.
M. le président. - Amendement identique n°60, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Coordination.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Par coordination, avis défavorable : ces amendements n'ont plus lieu d'être.
Les amendements identiques n° 41 et 60, repoussés par le gouvernement, ne sont pas adoptés.
L'article 4 est adopté.
Articles additionnels
L'amendement n°12 rectifié est retiré.
M. le président. - Amendement n°42 rectifié, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans le septième alinéa de l'article 41 du code de procédure pénale, après le mot : « prescrites » sont insérés les mots : « , à peine de nullité, ».
M. Jacques Mahéas. - Le sixième alinéa de l'article 41 du code de procédure pénale prévoit que le Procureur de la République peut requérir, suivant les cas, le service pénitentiaire d'insertion et de probation, le service compétent de l'éducation surveillée ou toute personne habilitée à vérifier la situation matérielle, familiale et sociale d'une personne faisant l'objet d'une enquête et de l'informer sur les mesures propres à favoriser l'insertion sociale de l'intéressé.
Le septième alinéa de cet article 41 prévoit que ces diligences doivent être prescrites dans un certain nombre de circonstances. Or, force est de constater que dans de nombreux cas déjà, ces diligences ne sont pas faites, faute de moyens humains et matériels : un constat de carence permettant de passer outre est produit. Le manque de moyens est un leitmotiv dans ce débat. Même si les choses ont progressé, il est temps que ce budget fasse un bond dans le prochain collectif.
Cet amendement prévoit que ces diligences doivent être faites à peine de nullité.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Il est vrai que le défaut de diligences sur l'enquête de personnalité n'est pas une cause de nullité. Mais il est des cas, comme la comparution immédiate, où l'affaire peut être renvoyée à une audience ultérieure quand la juridiction estime n'être pas suffisamment informée. Les juges sont responsables et, de fait, renvoient souvent l'audience. Votre préoccupation a été en outre satisfaite par l'amendement n°5 de la commission, qui prévoit que le ministère public ne peut prendre aucune réquisition visant à retenir la circonstance aggravante de récidive s'il n'a requis au préalable une enquête de personnalité.
L'amendement n° 5, repoussé par le gouvernement, n'est pas adopté.
M. Jacques Mahéas. - Ayant plus de confiance dans les magistrats que la majorité de cette assemblée, je me réjouis d'entendre dire pour une fois qu'ils sont capables de prendre leurs responsabilités. Compte tenu de cet état d'esprit, je retire l'amendement.
L'amendement n°42 rectifié et retiré.
L'amendement n°68 est retiré.
CHAPITRE II
Disposition relatives à l'injonction de soins
Article 5
I. - À l'article 131-36-4 du code pénal, le premier alinéa est abrogé et les deux premières phrases du deuxième alinéa sont remplacées par la phrase suivante :
« Sauf décision contraire de la juridiction, la personne condamnée à un suivi socio-judiciaire est soumise à une injonction de soins dans les conditions prévues aux articles L. 3711-1 et suivants du code de la santé publique, s'il est établi qu'elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement, après une expertise médicale ordonnée conformément aux dispositions du code de procédure pénale. »
II. - 1° Les deux premières phrases du troisième alinéa de l'article 763-3 du code de procédure pénale sont remplacées par les phrases suivantes :
« Si la personne condamnée à un suivi socio-judiciaire n'a pas été soumise à une injonction de soins, le juge de l'application des peines ordonne en vue de sa libération une expertise médicale afin de déterminer si elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement. S'il est établi à la suite de cette expertise la possibilité d'un traitement, la personne condamnée est soumise à une injonction de soins, sauf décision contraire du juge de l'application des peines. » ;
2° À la dernière phrase du même alinéa du même article, les mots : « de l'alinéa précédent » sont remplacées par les mots : « des deux alinéas précédents ».
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Poursuivant dans la défiance à l'égard des juges, cet article vise à leur retirer la faculté de prononcer une injonction de soins. Dans le régime en vigueur, le juge peut décider de ne pas l'ordonner, même si une expertise conclut à sa nécessité. Cette liberté traduit le respect du principe d'individualisation de la peine, et permet que le prononcé de soins ne prenne pas le caractère d'une sanction.
Avec cet article 5, le juge ne pourra plus se soustraire à l'avis de l'expert. Une telle psychiatrisation de la justice porte atteinte au pouvoir du juge -gardien des libertés individuelles en vertu de la Constitution- d'individualiser la peine ; elle le transforme en simple exécutant, requis d'obéir à une autorité médicale omnipotente et omnisciente.
Le principe d'individualisation des peines est pourtant l'un des principes fondamentaux de notre droit : le juge peut reconnaître une personne responsable même si l'expertise psychiatrique a conclu à l'irresponsabilité. Il garantit l'étanchéité des compétences : le médecin soigne et le juge prononce des sanctions. Tous deux collaborent pour prendre au mieux en compte l'intérêt du condamné. Confier un pouvoir quasi-juridictionnel à un expert psychiatre porte gravement atteinte aux principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance des juges.
Cela impose aux psychiatres des sujétions qui sortent de leur compétence, puisque la responsabilité des juges leur est transférée.
De plus, vous renoncez à la double expertise, pourtant indispensable pour appréhender l'injonction : en cas de doute, elle évite d'imposer des soins à une personne qui n'en aurait pas besoin. Avec ce projet de loi, cette précaution devient une chimère, puisque un seul expert a le pouvoir d'imposer des soins, en contradiction avec le principe de consentement.
Mme Éliane Assassi. - Avec cet article 5 nous abordons l'injonction de soins, ajoutée à la dernière minute par le gouvernement. Le texte tend à systématiser cette injonction pour les auteurs d'infractions sexuelles. Ainsi, la juridiction qui impose le suivi judiciaire devra impérativement ajouter l'injonction de soins si, d'après une expertise médicale, l'intéressé est susceptible de faire l'objet d'un traitement.
Les articles suivants transforment l'injonction en condition préalable à la mise à l'épreuve, à la réduction de peine et à la libération conditionnelle. Or presque dix ans après la loi de 1998 qui a imposé le suivi socio-judiciaire, son application est au point mort. Pourquoi ? Nous manquons de moyens financiers, de conseillers de probation et de psychiatres.
En matière de récidive et de délinquance sexuelle, vous accordez la priorité à l'incarcération dont on sait qu'elle n'est pas une solution. L'injonction de soins pourrait être une bonne chose, mais le champ des infractions concernées par un suivi socio-judiciaire est considérablement étendu, induisant une confusion entre criminalité, délinquance et pathologie mentale. À l'unanimité, les médecins défendent le principe du consentement aux soins. A l'inverse, le projet de loi, notamment ses articles 8 et 9, impose des soins sous contrainte. En effet, une personne qui refuserait un traitement ne pourrait bénéficier de réduction de peines ni de libération conditionnelle.
Cette mesure n'est que pur affichage. Notre rapporteur souhaite que l'élargissement de l'injonction de soins s'accompagne de moyens supplémentaires : votons la loi, nous verrons si les moyens suivent ; si ce n'est pas le cas, une nouvelle loi interviendra ! En réalité, le nouveau dispositif risque d'être contre-productif du point de vue médical et pour combattre la récidive.
Donnons-nous les moyens d'appliquer les mesures qui existent déjà !
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous abordons une question très difficile. Nous ne sommes pas hostiles à l'injonction de soins, qui doit pouvoir être décidée par le juge dans des circonstances très précises, mais ce texte introduit quelque chose de nouveau puisque le juge sera obligé de prononcer cette injonction. Ce dispositif est cohérent avec les peines plancher qui deviennent la règle. Pourquoi le juge perd-il toute capacité d'appréciation ? J'espère que nous aurons une réponse.
Ce dispositif s'inscrit dans le contexte général des cinq dernières années, marquées par de nouvelles manifestations de l'hygiénisme, cette approche qui tend à confier à la médecine le soin de régler des questions extérieures à son domaine. Ainsi, l'amendement déposé par M. Accoyer disposait que seuls des médecins et des psychologues diplômés pouvaient traiter la souffrance psychologique, à l'exclusion des psychanalystes et des psychothérapeutes. Dans le même ordre d'esprit, deux rapport de l'INSERM -dont l'un a beaucoup intéressé l'actuel président République- tendent à démontrer que -sous l'égide du ministère de la santé !- il fallait détecter les futurs délinquants dès l'âge d'un an, voire plus tôt. Cette réalité n'est pas étrangère aux déclarations faites par le président de la République lorsqu'il était candidat au cours d'une entrevue avec un philosophe : la criminalité, selon lui, était largement innée, tout comme l'esprit suicidaire. Ce déterminisme biologique a beaucoup de conséquences sur la conception de la société et de l'éducation. Aux termes des articles 5, 6, 7, 8 et 9, un expert appréciera s'il est pertinent ou non de prononcer une injonction thérapeutique et cette décision s'imposera au juge.
Les magistrats estiment que les psychiatres relèvent d'une déontologie fondée sur la confiance avec leurs patients. En faire des auxiliaires de justice porte donc atteinte à l'éthique médicale et l'obligation de prononcer l'injonction dote les experts d'un pouvoir quasi juridictionnel. Une nouvelle fois, le pouvoir du juge est mis en cause, ce qui viole de séparation des pouvoirs.
M. le président. - Amendement n° 43, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je viens de poser une question de principe, à laquelle j'espère obtenir une réponse, j'en viens aux questions pratiques.
Depuis que la loi de 1998 a instauré l'injonction de soins, aucune évaluation du dispositif n'est intervenue, alors même que son champ d'application était considérablement étendu, notamment en 2005. Or, les constats sont inquiétants. En effet, cette injonction suppose l'intervention d'un médecin coordonnateur, interface entre le juge d'application des peines et le médecin traitant du condamné. Le rôle du médecin coordonateur a été fixé par le décret du 16 juin 2000, mais les juridictions éprouvent le plus grand mal à recruter ces praticiens parce que de nombreux postes sont vacants dans les hôpitaux et les prisons.
De plus, la rémunération de ces médecins, non revalorisée depuis 1981, est peu attractive. C'est bien pourquoi le suivi socio-judiciaire avec injonction de soins ne peut être mis en place. Ce n'est pas mieux pour les médecins traitants : peu de psychiatres privés acceptent de prendre en charge des condamnés, et les psychiatres du public sont surchargés. Les cours d'appel ont aussi de plus en plus de mal à recruter des experts psychiatres. Donc, en confiant à ces experts une responsabilité déterminante, il est à craindre qu'ils ne décident systématiquement l'injonction de soins.
Vous proposez d'adopter, en urgence, un projet de loi qui modifie en profondeur le dispositif d'injonction de soin, pour le fonder sur des expertises et sur des psychiatres, alors même que nous manquons d'experts et de psychiatres ! Quel sens y a-t-il à voter dans l'urgence une loi que nous n'avons pas les moyens de mettre en oeuvre ? Mieux vaudrait s'occuper d'abord des moyens !
M. François Zocchetto, rapporteur. - Vous prétendez être favorables à l'injonction de soins.
M. Jean-Pierre Sueur. - Dans les conditions de la loi actuelle !
M. François Zocchetto, rapporteur. - L'injonction est une excellente façon de lutter contre la récidive. Actuellement, cette obligation peut être décidée par le juge avant même la condamnation. La violation de cette obligation peut entraîner la détention provisoire ou la révocation du sursis. Le dispositif proposé n'est donc pas novateur. En prison, les traitements se font sur la base du volontariat, le refus n'est pas punissable mais il peut amener à diminuer les réductions de peine supplémentaires.
M. Jean-Pierre Sueur. - Alors, pourquoi changer ?
M. François Zocchetto, rapporteur. - Le suivi socio-judiciaire peut comprendre l'injonction de soins, laquelle est déjà subordonnée à une expertise médicale. Je ne vois donc rien de choquant à ce que le magistrat prenne l'avis d'un spécialiste.
M. Jean-Pierre Sueur. - Pourquoi changer la loi ?
M. Dominique Braye. - Laissez-nous écouter !
M. François Zocchetto, rapporteur. - Le texte proposé généralise l'injonction pour les délinquants sexuels qui, pour la plupart, veulent en bénéficier : cela ne posera donc aucune difficulté.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est plus compliqué que cela, vous le savez bien.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Le projet de loi subordonne la liberté conditionnelle à un traitement. Ce n'est pas une obligation et le juge peut très bien ne pas suivre l'avis de l'expert et ne pas prononcer l'injonction. Quant au délinquant qui ne suivra pas son traitement, il assumera ses responsabilités : tombée du sursis ou absence de remise de peine supplémentaire.
Nous parlons ici essentiellement de délinquants sexuels ou de coupables d'actes de torture ou de barbarie : je ne comprends donc pas vos objections, toutes théoriques et liées à des considérations sur l'amendement Accoyer qui n'ont rien à faire ici.
Voix à gauche - Mais si ! C'est un tout !
M. François Zocchetto, rapporteur. - Madame la ministre, nous souhaitons que les décrets permettant aux psychologues d'intervenir dans le suivi socio-judiciaire soient publiés et nous souhaitons aussi que les moyens nécessaires soient donnés aux médecins coordonateurs et traitants. Des informations sur ce qu'envisage à ce sujet le Gouvernement nous rassureraient. Avis défavorable à l'amendement de suppression.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - En matière criminelle, l'expertise psychiatrique est obligatoire, sur le niveau de responsabilité et l'accessibilité à la sanction pénale. Ce n'est donc pas nouveau. Le délinquant devra se soumettre à l'injonction si le tribunal le décide, comme c'est déjà prévu en matière criminelle : l'objectif est de prévenir la délinquance sexuelle car si le délinquant se soigne, il récidivera moins. En détention, les remises de peine sont conditionnées au suivi de soins. Les délinquants sexuels sont souvent des détenus modèles car, en prison, ils n'ont pas de tentation. On les soigne pour protéger les citoyens, nos enfants, la société toute entière. Avis défavorable. (Applaudissements à droite)
M. Dominique Braye. - Pensez un peu aux victimes !
Mme Isabelle Debré. - Depuis plus de quinze ans, je travaille dans une association qui lutte contre la maltraitance des enfants. Vous n'évoquez jamais les victimes... Moi, j'ai été frappée à jamais par un cas de récidive : un grand-père avait violé sa petite-fille... pour la quatrième fois ! Il n'y avait jamais eu de suivi médical. Venez donc un peu dans l'association où j'ai l'honneur de travailler : alors, vous ne tiendrez plus ce genre de propos et vous penserez un peu plus aux victimes. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous sommes tous attachés à la défense des victimes et nous n'acceptons pas le procès qui nous est fait : au motif que nous n'approuvons pas l'écriture d'un texte, nous serions contre les victimes. Moi aussi, j'en ai côtoyé de près et je sais leurs souffrances.
Un certain nombre de personnes détenues, criminelles, se trouvent aussi dans des situations douloureuses, difficiles, graves. Relèvent-t-elles de troubles de la personnalité, de la médecine ? Chacun conviendra que vouloir tout régler par la médecine serait une erreur.
Mme Isabelle Debré. - Je n'ai jamais dit ça !
M. Jean-Pierre Sueur. - Madame la garde des sceaux, vous avez bien dit le rôle important des troubles de la personnalité. On ne peut pas laisser croire à nos concitoyens qu'ils seront protégés uniquement par le recours à la médecine. Entendez-moi bien (Marques d'impatience sur plusieurs bancs à droite) : je n'ai jamais dit que la médecine était inutile. Il y a, bien sûr, des cas où il faut faire appel à la médecine, à la pharmacie, aux médicaments. Mais croire que tous les problèmes psychiques lourds seront réglés par les médicaments serait une erreur. J'ai bien entendu M. le rapporteur et Mme la garde des sceaux qui ont présenté un très bon plaidoyer pour la loi actuelle (Mme Borvo Cohen-Seat approuve), qui fait déjà une place à l'injonction de soins. Je répète qu'il y a des cas où le juge doit pouvoir décider une injonction de soins mais il doit disposer d'un pouvoir d'appréciation. Pourquoi ne choisissez-vous pas cette voie moyenne ?
On peut discuter des peines planchers, qui sont clairement la première raison d'être de votre texte. La question de l'injonction thérapeutique est arrivée après...
M. Dominique Braye. - Et alors ?
Mme Isabelle Debré. - C'est la liberté du gouvernement !
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous n'avez pas présenté d'argument très fort pour modifier la loi. Si vous parlez aux magistrats de ce sujet, comme je l'ai fait, ils vous diront tous la même chose : d'abord, il est très difficile de trouver des experts ; dans de très nombreuses juridictions, il n'y a ni expert, ni psychiatre, pour appliquer ce qu'ils décident. (M. Braye s'impatiente) Je propose d'en rester à la loi existante. Mais donnons aux juges les moyens de l'appliquer, donnons-leur des experts et des psychiatres, cela prendra de l'argent et du temps. Ensuite, nous pourrons changer la loi. Ce serait plus réaliste que de modifier, comme vous le faites, à toute vitesse, les dispositions existantes.
M. Robert Badinter. - A maintes reprises et de tous côtés, nous nous sommes inquiétés de ce que devient ce que nous votons. L'une des fautes les plus graves serait de laisser croire que seront mises en oeuvre des mesures qui, dans la pratique, ne se réaliseront pas.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Eh oui !
M. Robert Badinter. - Sur le sujet qui nous intéresse, on n'a dressé aucun bilan, aucun compte rendu des progrès réalisés, des besoins exprimés, aucune étude d'impact sur le suivi socio-judiciaire et l'injonction de soins. Dans un document tout à fait récent, du 8 juin 2007, la commission instaurée par la loi de 2005 sur le traitement de la récidive estime indispensable d'évaluer l'efficacité actuelle du suivi socio-judiciaire. Elle cite des chiffres : 1 063 mesures en 2004, contre 853 en 2003, et bien moins encore en 2005. Elle précise que le nombre de mesures prononcées est très peu élevé par rapport au nombre des infractions relevant potentiellement de ce dispositif.
Déjà, je m'étais étonné que le rapport Garraud sur les réponses à la dangerosité veuille étendre les peines de suivi socio-judiciaire à l'ensemble des infractions concernant les atteintes aux personnes ! (Mme Borvo Cohen-Seat rit) Malgré ses questions, la commission que j'évoquais à l'instant n'a jamais pu constater le nombre d'injonctions de soins actuellement en cours. Quand elle note qu'il n'y a que 90 médecins coordonnateurs recensés sur 181 tribunaux de grande instance, elle conclut que, dans le meilleur des cas, l'injonction de soins ne s'applique que dans une petite moitié des tribunaux français, ce qui est très regrettable. Et d'ajouter qu'aucune évaluation ou étude n'a jamais été réalisée sur l'efficacité de ce suivi dans la durée ni sur la pertinence de cette peine pour la prévention de la récidive.
Le vrai problème, c'est celui des moyens, ce n'est pas celui des textes ! Quand le président de la chambre criminelle de la cour de cassation avoue lui-même que l'empilement des textes en matière pénale est si grand que lui, le meilleur expert en cette matière, n'est jamais sûr de rien, et que pendant ce temps-là, vous continuez à produire des textes nouveaux sans moyens, nous touchons là le coeur du problème.
Le rapport que j'évoquais il y a un instant ajoute même qu'un suivi peut devenir contre-productif au bout d'un certain temps.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Bien sûr !
M. Robert Badinter. - Et la même commission évoque les cas où le condamné demande des soins que l'on ne peut pas lui fournir, faute de moyens ! Alors, face à cette réalité, on prend une loi d'affichage, qui prend des postures, et les déceptions ne peuvent que succéder aux déceptions. Pour tous les justiciables français, pour nous tous, ce n'est tout simplement pas supportable !
Alors, madame le garde des sceaux, dans un an, venez nous présenter, pour notre information, la réalité des mesures et des moyens de suivi socio-judiciaire et d'injonction de soins ! (Mme le garde des sceaux approuve) On ne vote pas un texte sans en avoir les moyens !
M. Dominique Braye. - Nous sommes tous bien d'accord : il faut disposer des moyens nécessaires pour faire appliquer la loi, mais je peux vous retourner l'argument, et je me souviens de nos débats de l'an dernier, lorsque j'étais rapporteur pour avis de la loi sur le droit au logement opposable. Je vous dirais la même chose aujourd'hui : il faut le faire quand même, car la loi sera un aiguillon pour accroître les moyens ! Notre pays a besoin de cet aiguillon pour développer le suivi médical, pour pousser ces malades à se soigner ! Que n'avons-nous entendu sur vos bancs, lorsque nous avions proposé de créer le fichier des empreintes génétiques ! Je vous fais grâce du rappel des propos que vous teniez à l'époque et du nombre de criminels et de délinquants sexuels que nous avons ainsi empêché de récidiver ! (Mme Borvo Cohen-Seat s'exclame) Je suis convaincu qu'une fois de plus, nous sommes dans le droit chemin. (« Très bien ! » à droite)
L'amendement n°43 n'est pas adopté.
L'article 5 est adopté.
Article 6
Il est inséré après l'article 132-45 du code pénal, un article 132-45-1 ainsi rédigé :
« Art. 132-45-1. - Sauf décision contraire de la juridiction, la personne condamnée à une peine d'emprisonnement assortie du sursis avec mise à l'épreuve pour l'une des infractions pour lesquelles le suivi socio-judiciaire est encouru est soumise à une injonction de soins dans les conditions prévues aux articles L. 3711-1 et suivants du code de la santé publique, s'il est établi qu'elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement, après une expertise médicale ordonnée conformément aux dispositions du code de procédure pénale.
« En cas d'injonction de soins, le président avertit le condamné qu'aucun traitement ne pourra être entrepris sans son consentement, mais que, s'il refuse les soins qui lui seront proposés, l'emprisonnement prononcé pourra être mis à exécution.
« Lorsque la juridiction de jugement prononce une peine privative de liberté qui n'est pas intégralement assortie du sursis avec mise à l'épreuve, le président informe le condamné qu'il aura la possibilité de commencer un traitement pendant l'exécution de cette peine. »
M. le président. - Amendement n° 44, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Jacques Mahéas. - La droite n'a manifestement pas compris notre philosophie.
M. Dominique Braye. - C'est bien vrai !
M. Christian Cointat. - Elle est incompréhensible !
M. Jacques Mahéas. - Ne nous faites pas l'outrage de dire que nous ne pensons pas aux victimes. Nous voulons au contraire obtenir les moyens de les protéger, en luttant réellement contre la récidive ! Or ce texte n'est que pur affichage : aucun chiffrage financier, aucune étude d'impact des lois précédentes ! Nous sommes collégialement responsables de ces mauvaises habitudes, je le reconnais.
L'article 6 étend le champ de l'injonction de soins au sursis avec mise à l'épreuve, et la rend systématique à chaque fois que le suivi socio-judiciaire est encouru et qu'une expertise psychiatrique en a confirmé la pertinence. Le juge perdra donc son libre arbitre.
Mes arguments sont homothétiques de ceux avancés par M. Sueur : absence de bilan du fonctionnement de l'injonction de soins, difficulté à recruter des médecins coordonnateurs, manque de moyens, de médecins et d'experts, confusion entre délinquance et maladie psychiatrique -dans la lignée de votre précédente loi sur la délinquance. Je suis, moi aussi, un élu de terrain. Ma ville compte deux grands hôpitaux psychiatriques : tous les médecins disent qu'injonction ne signifie pas consentement, et que si le malade est opposé au traitement, c'est l'échec assuré !
Cette généralisation n'est pas opportune : assurons-nous d'abord de l'application effective des textes existants !
M. François Zocchetto, rapporteur. - Je me demande si vous avez pris la peine de lire le projet de loi : le juge « pourra » prononcer l'injonction de soins, il n'est pas question d'obliger quelqu'un à se soigner contre sa volonté ! Ne suscitez pas la confusion ! (M. Braye approuve).
M. Jacques Mahéas. - Et s'il refuse d'être soigné ?
M. François Zocchetto, rapporteur. - Il assumera ses responsabilités. Les conséquences sont encadrées par le texte : révocation du sursis, annulation des diminutions de peine, maintien en détention. Avis défavorable à l'amendement.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - L'injonction de soins et l'obligation de soins sont deux régimes différents. La première prévoit la présence d'un médecin coordonnateur qui rendra compte de la thérapie, de la réinsertion et de leur effet sur la prévention de la récidive. Le bâton, dites-vous ? Je préfère qu'il soit pour le délinquant que pour la victime !
Les moyens seront au rendez-vous : il y a déjà 192 médecins coordonnateurs, et nous allons lancer un plan de recrutement massif d'ici le 1er mars 2008, date d'entrée en vigueur de cette mesure.
M. Jacques Mahéas et M. Jean-Pierre Sueur. - Il faut dix ans pour former un psychiatre !
M. Dominique Braye. - Vous en avez rêvé, nous le faisons !
M. Jean-Pierre Cantegrit. - En 1981, j'avais été fort impressionné par le plaidoyer de M. Badinter en faveur de l'abolition de la peine de mort : c'était un grand moment du Parlement. Ce soir, je n'ai pas retrouvé cette fougue : j'ai entendu un grand avocat, défendant avec talent tantôt les victimes, tantôt les agresseurs...
M. Jacques Mahéas. - Pourquoi ce jugement de valeur ?
M. Jean-Pierre Cantegrit. - Je suis très étonné de la position de nos collègues socialistes, qui connaissent pourtant bien le dossier.
M. Dominique Braye. - Sûrement pas !
M. Jean-Pierre Cantegrit. - Vous trouvez vraiment la situation actuelle satisfaisante ? (Mme Borvo Cohen-Seat s'exclame). Pas moi. Ces dérives sont inadmissibles. Vous arguez de l'absence de moyens...
M. Jean-Pierre Sueur. - On demande des moyens supplémentaires !
M. Jean-Pierre Cantegrit. - La loi va permettre de les accorder...
M. Jacques Mahéas. - C'est la septième loi !
M. Jean-Pierre Cantegrit. - Qu'avez-vous fait quand vous étiez au gouvernement ? Pour ma part, je me félicite de ce souffle nouveau. (Applaudissements sur les bancs UMP).
L'amendement n° 44 n'est pas adopté.
L'article 6 est adopté.
Article 7
I. - L'article 723-30 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au troisième alinéa, les mots : « par les articles 131-36-2 (1°, 2° et 3°) et 131-36-4 » sont remplacés par les mots : « par l'article 131-36-2 (1°, 2° et 3°) » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Sauf décision contraire du juge de l'application des peines, le condamné placé sous surveillance judiciaire est soumis à une injonction de soins, dans les conditions prévues aux articles L. 3711-1 et suivants du code de la santé publique, lorsqu'il est établi, après expertise médicale prévue à l'article 723-31, qu'il est susceptible de faire l'objet d'un traitement. »
II. - À l'article 723-31 du même code, il est ajouté après les mots : « la conclusion fait apparaître la dangerosité du condamné », les mots suivants : « et détermine si le condamné est susceptible de faire l'objet d'un traitement, ».
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Cet article rend obligatoire l'injonction de soins dans le cadre de la surveillance judiciaire introduite par la loi du 12 décembre 2005. Mais avec quels moyens ? Comment allez-vous convaincre les médecins coordonnateurs, sachant que le suivi complet d'un individu leur rapporte 426 euros par an ? Les juridictions peinent à recruter ces médecins chargés de faire l'interface entre le juge d'application des peines et le médecin traitant, et plus de la moitié des tribunaux de grande instance n'en disposent pas. Les effectifs actuels sont déjà insuffisants : comment comptez-vous faire face à l'accroissement prévisible des injonctions ? Allez-vous forcer les médecins à prendre en charge un détenu libéré ? Il faut vous donner les moyens de votre politique ! Vous annoncez un grand plan de recrutements pour l'année prochaine. Mais comment évaluer toutes les conséquences de dispositions élaborées à la hâte, sans avoir au préalable rencontré les principaux intervenants qui oeuvrent dans ce domaine ?
Comment élargir autant le champ de l'injonction de soins sans avoir tiré au préalable un bilan de ce qui se fait ? On veut généraliser un système qui fonctionne mal faute de moyens !
M. le président. - Amendement n° 45, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Richard Yung. - Je comprends bien cette volonté de recruter un certain nombre de médecins psychiatres dans les prochains mois. Encore faudra-t-il leur offrir un peu plus que 420 euros par patient et par an si l'on veut trouver des volontaires.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Il n'y a pas assez de psychiatres en général.
M. Richard Yung. - Bien sûr, nous ne sommes pas opposés à l'injonction de soins, mais il faut aussi envisager des effets fâcheux : certains condamnés, parmi les pervers, pourraient demander à recevoir des soins tout en sachant très bien que ceux-ci ne pourraient leur être octroyés. Ils bénéficieraient ainsi des avantages de cette demande sans recevoir aucun soin effectif.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Il est très difficile de s'opposer à cet article 7 car il traite de condamnés dangereux et susceptibles de récidiver, et qu'il améliore sensiblement les dispositions existantes. Je suis contre l'amendement.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Défavorable à l'amendement n°45.
L'amendement n°45 n'est pas adopté
Article 8
La deuxième phrase du premier alinéa de l'article 721-1 du code de procédure pénale est remplacée par les dispositions suivantes :
« Aucune réduction supplémentaire de la peine ne peut être accordée à une personne condamnée pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru qui refuse pendant son incarcération de suivre le traitement qui lui est proposé. »
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Après un chantage à la responsabilité du juge, voici un chantage à la libération du détenu ! On écarte scandaleusement le juge de son rôle de gardien des libertés ! Le juge doit avoir la possibilité d'aménager la peine. Il est évident que des détenus vont accepter des soins pour accélérer leur libération ; on va ainsi gonfler la demande sans avoir les moyens de la satisfaire.
Vous imposez l'impossible et l'inacceptable. Ne soyez pas surpris si vous retrouvez les acteurs dans la rue !
M. le président. - Amendement n°46, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Jacques Mahéas. - Les condamnés peuvent bénéficier de deux mécanismes de réduction de peine. D'une part, un crédit calculé sur la durée de leur condamnation selon une formule mathématique compliquée ; d'autre part, la demande de suivi médico-judiciaire. Mais à quoi recourt-on réellement dans nos hôpitaux psychiatriques ? A la camisole chimique. Or la chimie ne saurait régler tous les problèmes. S'il y a effectivement création de postes de psychiatres, j'en féliciterai la garde des sceaux mais comment trouvera-t-on assez de psychiatres ? Nos hôpitaux en manquent déjà et il faut dix ans pour les former. On risque de se trouver devant des réveils douloureux quand les condamnés sous camisole chimique se retrouveront en liberté...
Cet article, en outre, amoindrit les pouvoirs du juge d'application des peines.
M. le président. - Amendement identique n° 61, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
Supprimer cet article.
Mme Éliane Assassi. - Cet article réduit encore les pouvoirs d'appréciation pour l'aménagement des peines. Si un condamné refuse des soins dont il estime n'avoir pas besoin, il a peu de chances de sortir un jour de prison.
Le juge d'application des peines n'aura plus la liberté d'aménager la peine du condamné alors même que cet aménagement est très intéressant pour éviter la récidive. L'injonction de soins est présentée comme une bonne manière de prévenir la récidive mais on manque de médecins. Il est dangereux de rendre obligatoire ce qu'on n'a pas les moyens de faire.
M. le président. - Amendement n° 7, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
Au début du texte proposé par cet article pour la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 721-1 du code de procédure pénale, ajouter les mots :
Sauf décision contraire du juge de l'application des peines,
M. François Zocchetto, rapporteur. - Le juge d'application des peines pourra prendre une décision contraire et décider que la réduction de peine ne sera pas supprimée. Nous faisons confiance à ces juges, dans une fonction certes nouvelle mais leur rôle s'est révélé déterminant dans la lutte contre la récidive.
Les auteurs des amendements de suppression pourraient les retirer au profit de celui-ci, qui change considérablement la donne.
M. le président. - Amendement n°8, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
Compléter la fin du texte proposé par cet article pour la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 721-1 du code de procédure pénale par les mots :
par le juge de l'application des peines en application des articles 717-1 et 763-7.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Amendement de précision.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Avis défavorable aux amendements de suppression et favorables à ceux de la commission.
Les amendements 46 et 61, identiques, ne sont pas adoptés.
M. Jacques Mahéas. - Nous regrettons que nos amendements n'aient pas été adoptés mais si le juge de l'application des peines peut avoir une opinion différente, il limitera les dégâts. Nous voterons donc les amendements 7 et 8.
L'amendement 7 est adopté ainsi que l'amendement 8 et que l'article 8 modifié.
Article 9
I. - L'article 729 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la personne a été condamnée pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru, une libération conditionnelle ne peut lui être accordée si elle refuse pendant son incarcération de suivre le traitement qui lui est proposé. Elle ne peut non plus être accordée au condamné qui ne s'engage pas à suivre, après sa libération, le traitement qui lui est proposé. »
II. - À l'article 731-1 du même code, le premier alinéa est remplacé par les dispositions suivantes :
« La personne faisant l'objet d'une libération conditionnelle peut être soumise aux obligations prévues pour le suivi socio-judiciaire si elle a été condamnée pour un crime ou un délit pour lequel cette mesure est encourue. Sauf décision contraire du juge de l'application des peines ou du tribunal de l'application des peines, elle est soumise à une injonction de soins dans les conditions prévues aux articles L. 3711-1 et suivants du code de la santé publique, s'il est établi, après l'expertise prévue à l'article 712-21, qu'elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement. »
III. - L'article 712-21 du même code est ainsi modifié :
1° Dans la première phrase, les mots : « mentionnée à l'article 706-47 » sont remplacés par les mots : « pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru » ;
2° L'article est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Cette expertise détermine si le condamné est susceptible de faire l'objet d'un traitement. »
M. le président. - Amendement n°47, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Richard Yung. - Même logique. On exerce une très forte pression sur les libérables pour l'injonction de soin mais celui-ci suppose un accord réel et non de façade du malade.
M. Christian Cointat. - Faut-il ne rien faire ?
M. le président. - L'amendement 62 présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC est identique.
Mme Éliane Assassi. - Il est défendu.
M. le président. - Amendement n°9, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
Compléter la fin du texte proposé par le I de cet article pour le dernier alinéa de l'article 729 du code de procédure pénale par les mots :
par le juge de l'application des peines en application des articles 717-1 et 763-7.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Amendement de précision. Avis défavorable aux amendements de suppression.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Même avis.
Les amendements 47 et 62, identiques, ne sont pas adoptés.
L'amendement 9 est adopté, ainsi que l'article 9, modifié.
Articles additionnels
M. le président. - Amendement n°63 rectifié, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
Après l'article 9, insérer une division additionnelle ainsi rédigée :
CHAPITRE ...
Dispositions relatives au contrôle général des lieux de privation de liberté.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je présenterai simultanément l'amendement suivant.
M. le président. - Amendement n°64, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
Après l'article 9, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Il est institué un contrôleur général des prisons, chargé de contrôler l'état, l'organisation et le fonctionnement des établissements pénitentiaires, ainsi que les conditions de la vie carcérale et les conditions de travail des personnels pénitentiaires.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Malgré nos efforts, la proposition de loi Hyest-Cabanel, qui résultait pourtant des travaux de la commission sénatoriale d'enquête sur la situation des prisons, n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale -ce qui n'est pas sans susciter des interrogations. Tout a été dit sur la situation des prisons. Pour faire partie des parlementaires qui usent régulièrement de leur droit de visiter les prisons, je peux témoigner d'une réalité insoutenable qui reste une humiliation pour la République. La situation va encore s'aggraver car avec la réforme, le nombre de détenus va encore augmenter. L'institution d'un contrôleur des prisons et lieux privatifs de liberté est donc particulièrement urgente.
Je me félicite de la déclaration de la ministre mais il n'y pas besoin d'attendre un nouveau débat : il suffit d'adopter mes amendements. Notre pays a déjà été montré du doigt par l'ancien Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe et le comité contre la torture des Nations unies a invité la France, en novembre 2005, à ratifier le protocole facultatif qui impose des visites impromptues par des experts internationaux et nationaux indépendants. Votre prédécesseur s'était engagé à le soumettre à ratification mais il est entré en vigueur le 22 juin 2006 sans notre concours, ce que regrettent tous les défenseurs de la liberté. Le contrôle que je propose répondrait aux exigences de ce protocole alors que M. Clément avait préféré un recours au médiateur de la République.
Je sais d'avance votre réponse sur mes amendements mais, au Sénat, le débat a eu lieu : on peut les voter.
M. François Zocchetto, rapporteur. - M. Hyest serait plus qualifié que moi pour répondre sur la proposition de loi d'avril 2001. Quant à ma réponse, elle sera sensiblement différente des précédentes. Vous avez systématiquement défendu cette création à l'occasion de tous les textes pénaux ; aujourd'hui, le gouvernement partage vos préoccupations et, la ministre ayant indiqué qu'elle nous soumettrait très prochainement un projet, vous avez désormais des assurances très précises sur le calendrier et pouvez retirer vos amendements.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - La proposition de loi qui résultait des travaux de la commission d'enquête sénatoriale n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale sous les deux dernières législatures. Aujourd'hui membre du conseil constitutionnel, M. Canivet avait lui-aussi préconisé la nomination d'un contrôleur général des prisons. Un projet sera déposé avant la fin de la session extraordinaire. Nous pourrons en débattre bientôt.
Notre proposition de loi avait sans doute besoin d'être améliorée mais, pour autant, je ne puis laisser dire que les travaux de la commission d'enquête ont été inutiles. Nous dénoncions les quartiers pour mineurs, les premiers établissements spécialisés sortent de terre.
C'est quand même grâce à la loi d'orientation et de programmation pour la justice que le nombre de personnel pénitentiaire a augmenté. Il est vrai qu'il faut du temps pour construire une prison et celles qui ouvrent aujourd'hui avaient été décidées non pas du temps de Mme Guigou mais du temps de M. Méhaignerie. Ça ne date pas d'hier ! Alors, rappelons-nous quels ont été les efforts accomplis et demandons-nous pourquoi les gouvernements précédents n'ont rien fait !
On nous disait aussi qu'il ne fallait pas faire de belles prisons. Mais si ! Il faut que la vie des détenus soit digne, car c'est le gage d'une réinsertion réussie.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Je souhaite le retrait de ces deux amendements car lors du prochain conseil des ministres, je présenterai un projet de loi sur le Haut contrôleur des lieux de détention. La création de cette autorité indépendante devrait satisfaire vos attentes.
S'agissant du programme immobilier, un effort sans précédent a été réalisé et nous disposerons bientôt de 60 000 places de prison, de 500 places dédiées exclusivement aux mineurs et de 420 places en centres éducatifs fermés.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je ne souhaitais pas lier la question du nombre de places de prison à celle de la création d'un Haut contrôleur des lieux de détention.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Il pourra contrôler si ces lieux sont dignes !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Certes, mais les deux logiques sont différentes. Je vais retirer mes amendements mais je constate que le projet de loi n'a pas encore été présenté en conseil des ministres. Nous aurons, j'en suis sûre, un débat fantastique sur le sujet et nous verrons combien de sénateurs y participeront.
Il est quand même tout à fait regrettable que le Parlement n'ait pas réussi, lors des précédentes législatures, à voter notre proposition de loi.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Mais le Sénat l'avait votée une fois !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous tournons en rond, monsieur le président.
Aujourd'hui, comme nous sommes pressés par les textes internationaux et que l'affaire d'un médiateur ne tient pas la route, nous allons peut-être toucher au but. Quel parcours !
M. le président. - Et vous aurez pris une part prépondérante au débat, madame la présidente !
M. Jacques Mahéas. - Nous aussi :
M. Dominique Braye. - Mais ce texte est déjà prêt !
M. le président. - Il n'empêche que Mme Borvo Cohen-Seat y aura pris une part importante. (M. Braye raille bruyamment)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - C'est de la solidarité présidentielle...
Mme Éliane Assassi. - Vous êtes, monsieur Braye, d'une grossièreté déconcertante !
M. Dominique Braye. - Non, je suis réaliste !
Les amendements n°s 63 rectifié et 64 sont retirés.
CHAPITRE III
Dispositions diverses et transitoires
Article 10
Les dispositions du chapitre II de la présente loi entrent en vigueur le 1er mars 2008. Toutefois, le II de l'article 5 et les articles 7 à 9 de la présente loi sont immédiatement applicables aux personnes exécutant une peine privative de liberté.
M. le président. - Amendement n°48, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Jean-Pierre Sueur. - Amendement de coordination.
M. le président. - Amendement n°10, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
Rédiger comme suit cet article :
Le I de l'article 5 et l'article 6 de la présente loi entrent en vigueur le 1er mars 2008.
Le II de l'article 5 et les articles 7 à 9 de la présente loi sont immédiatement applicables aux personnes exécutant une peine privative de liberté.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Amendement de clarification.
Je suis défavorable à l'amendement n°48 car il s'agit d'une coordination avec un amendement précédent qui n'a pas été voté.
L'amendement n°48, repoussé par le gouvernement, n'est pas adopté.
L'amendement n°10, accepté par le gouvernement, est adopté et l'article est ainsi rédigé.
Article 11
La présente loi est applicable dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
M. le président. - Amendement n°49, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Jean-Pierre Sueur. - Il est défendu.
L'amendement n°49, repoussé par la commission et par le gouvernement, n'est pas adopté.
L'article 11 est adopté.
Interventions sur l'ensemble
M. Jean-Pierre Sueur. - L'examen des articles de ce projet de loi a permis de révéler, au fil du débat, que l'hypothèse que nous avions formulée dès le départ, à savoir que vous vouliez légiférer rapidement en raison de vos promesses électorales, était la bonne.
Mais si l'on reprend les trois points principaux de ce texte, on voit bien que derrière l'affichage recherché, il n'y a malheureusement pas grand-chose. Concernant les peines plancher, vous nous avez expliqué qu'elles étaient nécessaires pour lutter contre la récidive tandis que nous avons rappelé les statistiques de vos services et celles du CNRS qui démontrent l'absence de corrélation entre l'augmentation des peines et l'absence de récidive. En revanche, nous savons tous que la récidive diminue lorsque sont prononcées des peines alternatives, que les détenus sont suivis en prison et que ceux qui sont libérés sont accompagnés. Nous savons donc comment réduire la récidive, mais nul besoin de mettre en cause la liberté des magistrats ni leur capacité d'individualiser les peines en les transformant en distributeurs automatiques de peines. Pour réduire la récidive, il faut des moyens et du personnel.
En second lieu, il est apparu évident qu'il fallait accorder une place importante à l'éducation des mineurs. Mais si certains doivent être placés en prison, il faut beaucoup de moyens pour que les conditions d'incarcération soient dignes. Il faut aussi prévoir des centres éducatifs fermés. Pour l'instant, il n'en existe qu'un seul pour 12 millions d'habitants en Île-de-France. Alors, on peut faire toutes les lois qu'on veut, mais il serait beaucoup plus utile de créer un deuxième, puis un troisième CEF. Bref, il faudrait les moyens nécessaires.
Concernant l'injonction thérapeutique, nul besoin de modifier la loi. Cette injonction ne peut, à elle seule, tout régler. Il y a des troubles de la personnalité dont le traitement ne passe pas par la seule voie médicale. Mais dans certains cas, cette injonction est indispensable, or la loi actuelle le permet. Le seul problème, c'est qu'aujourd'hui il n'y a ni experts, ni psychiatres en nombre suffisant. Cette loi d'affichage ne servira donc à rien tant que l'on ne créera pas les postes indispensables.
Nous ne pourrons donc pas voter votre loi car vous ne nous avez pas parlé de l'essentiel. En voulant satisfaire aux nécessités politiques de l'affichage, vous avez laissé devant vous ce qui était primordial : tout reste donc à faire. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous regrettons de ne pas avoir eu de véritable débat sur l'efficacité attendue de ce texte. Nos collègues de la majorité n'ont cessé de nous traiter de laxistes. Or je suis particulièrement émue de savoir qu'il y a beaucoup de délinquants sexuels qui n'ont jamais eu affaire à la justice et qui se promènent librement dans les rues.
Ces banalités peuvent animer longtemps une discussion de café du Commerce.
Par principe, nous sommes défavorables à l'introduction de peines plancher et inquiets de constater que le Sénat, qui dans sa majorité les a toujours repoussées, s'apprête à les voter sans états d'âme.
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est la rupture !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Les amendements du rapporteur n'ont pas apporté grand-chose. Je ne dis rien des autres, ils ont tous été repoussés.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Pas tous.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Les peines plancher inversent le principe du jugement et nient plus profondément encore la différence entre majeurs et mineurs.
Avant 1994, le juge devait certes prononcer des sanctions inscrites à l'intérieur d'une fourchette mais il disposait des circonstances atténuantes et de la faculté de personnaliser la peine en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de l'auteur. Notre proposition d'y revenir a-t-elle été acceptée ? Que nenni ! Demain, les magistrats ne disposeront même plus de cette marge de manoeuvre.
Ce recul, sur un droit aussi fondamental que l'individualisation des peines, est sans précédent. Il est dangereux. Les magistrats n'auront d'autre choix que de prononcer une peine minimale, sauf à devenir les boucs émissaires des peurs de nos concitoyens. En conséquence, le nombre de détenus va augmenter en même temps que les durées de détention.
Concernant la justice des mineurs, l'avalanche législative n'a pas cessé depuis 2002, pour durcir les sanctions prises à leur encontre. Nous ne sommes pas opposés à la sanction, mais elle doit servir à quelque chose et ne peut tenir lieu de prévention. Or, une fois de plus, on confond sanction et prévention. Pire, la sanction devient prévention.
Aucune réflexion de fond sur l'évolution de la société dans laquelle grandissent les jeunes, rien pour pallier le manque de moyens de la protection judiciaire de la jeunesse et faire exécuter les décisions des juges des enfants. Quant à la mansuétude dont les mineurs bénéficieraient, elle ne se traduit pas dans les chiffres : 88 % de taux de réponse pénale ni les près de 8 % de détention provisoire !
Votre solution ? Davantage d'enfermement. Les peines minimales leur seront applicables et le principe de l'atténuation de responsabilité pénale écarté après le premier acte de délinquance.
Comme pour la justice des majeurs, la liberté d'appréciation du juge des enfants sera restreinte. Or, plus encore que pour les majeurs, c'est l'adaptation la plus juste de la sanction à l'infraction commise qui permet de prévenir la récidive.
Ce texte instaure une justice mécanique, qui inverse notre philosophie pénale : c'est le maintien en liberté, et pour les mineurs, le maintien du principe de l'atténuation de responsabilité pénale, que le juge devra motiver. Les principes fondamentaux de notre justice sont mis en cause. Là est bien le danger.
Il n'y a eu ni étude d'impact, ni évaluation des textes précédemment votés, et pour cause : ils ne peuvent être évalués. Nous voterons donc résolument contre ce texte.
M. Jacques Mahéas. - Nous n'aurons pas, hélas, de débat en deuxième lecture. Mais à quoi bon s'interroger sur l'opportunité de l'urgence, eu égard au peu d'amendements que nous avons votés ensemble et de l'état d'esprit du rapporteur. La navette eut été superfétatoire !
Nous souhaitons tous voir disparaître la récidive. Nous souhaitons tous qu'il n'y ait pas de nouvelles victimes. D'aucuns ont taxé le groupe socialiste de laxisme : nous serions peu enclins à regarder du côté des victimes. C'est un non-sens. Élu de Seine-Saint-Denis, j'ai pu constater l'augmentation de la délinquance, notamment de voie publique -plus 15 % en 2006- avec son lot de récidive.
Vous nous aviez promis la rupture tranquille : c'est raté ! Vous êtes dans la continuité. Vous augmentez le quantum des peines, vous imposez au juge des peines plancher, alors que la justice des mineurs a besoin de bien autre chose. Manifestement, votre texte n'est rien d'autre que de l'affichage à destination du grand public, qui risque fort d'être déçu.
Nous proposons, puisque le maire est devenu depuis la loi de 2007 un agent de prévention, que le gouvernement lui donne des possibilités de financement pour mettre en place des associations dans les quartiers en difficulté, recruter les professionnels. Pas de réponse.
Pas de réponse non plus, madame la ministre, sur les travaux d'intérêt général. Il faut sortir de l'ornière. Les collectivités locales doivent s'impliquer. Le dispositif est bien compris des citoyens : il ne s'agit pas d'humilier les délinquants, mais de leur faire la courte échelle pour qu'ils retrouvent une place dans la société.
L'éducation, que vous massacrez en supprimant des postes après avoir supprimé les emplois jeunes, est au coeur du pacte républicain. Élu de Seine-Saint-Denis, j'en ai assez de voir stigmatiser ceux qui ont connu des difficultés et qui ont droit à être éduqués dans l'école de la République.
Que n'informez-vous les parlementaires ? Que ne chiffrez-vous les lois que vous faites votez ? Quid des études d'impact ? On sait bien que le taux de chômage, que la crise du logement font le terreau de la récidive.
Je déplore, enfin, que dans cet hémicycle, certaines paroles aient pu dépasser la pensée de ceux qui les ont proférées. Je suis blessé qu'un collègue de Seine-Saint-Denis ait pu traiter les juges de Bobigny de Pères Noël.
M. Dominique Braye. - On va essayer de vous rasséréner !
M. Jacques Mahéas. - Ce n'est pas digne d'un sénateur. Il serait bon que ce mauvais mot fût retiré. Il revient aux représentants du peuple de respecter les juges.
M. Dominique Braye. - Il n'y a pas de plus grand compliment que d'être traité de Père Noël !
Mme Nathalie Goulet. - Ce texte, en même temps qu'il prolonge les lois du 12 décembre 2005 et du 14 mars 2007, innove, en instaurant des peines minimales pour les récidivistes. Cette réponse doit d'abord être entendue comme un outil de dissuasion. On peut regretter, cependant, l'absence d'un volet relatif à la prévention.
Les dispositions permettant la généralisation de l'injonction de soins, à laquelle le Sénat a toujours été favorable, en particulier dans le cas des condamnés pour infractions à caractère sexuel, sont bienvenues.
La majorité du groupe RDSE estime que ce projet, malgré un examen en urgence, répond à une nécessité, et à une forte demande des citoyens. Il exercera un effet dissuasif sans mettre en cause les grands principes de notre droit.
Il nous semble indispensable de poursuivre, au-delà, l'effort de lutte contre la récidive, en allouant les moyens nécessaires pour assurer un meilleur suivi des personnes, une meilleure efficacité des décisions de justice et une plus grande rapidité dans l'exécution des peines.
Compte renduanalytique officiel
Jeudi 5 juillet 2007
Ici un titre
Ici un autre titre
Sommaire
Récidive des majeurs et des mineurs1
Discussion générale1
Exception d'irrecevabilité17
Dépôt de rapports19
Avis des assemblées territoriales19
Déclaration d'urgence (Dialogue social)19
Déclaration d'urgence (Universités)19
Récidive des majeurs et des mineurs20
Question préalable20
Motion de renvoi en commission22
SÉANCE
du jeudi 5 juillet 2007
3e séance de la session extraordinaire 2006-2007
présidence de M. Philippe Richert,vice-président
La séance est ouverte à 9 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Récidive des majeurs et des mineurs
(Urgence)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs. L'urgence a été déclarée.
Depuis le 1er juillet s'applique la nouvelle procédure de contrôle de la recevabilité financière des amendements au regard de l'article 40 de la Constitution, telle qu'elle a été retenue par notre Conférence des Présidents à la suite des travaux de la commission des finances. Pour le projet de loi que nous allons discuter, aucun amendement n'a été déclaré irrecevable.
Discussion générale
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. - (Applaudissements à droite et au centre) C'est un immense honneur pour moi de vous présenter aujourd'hui ce texte. J'ai un grand respect pour le travail des élus de la Haute Assemblée. Le Sénat est dépositaire d'une expérience, d'une culture de la loi, d'une mémoire des institutions, mais aussi des attentes, des questions de nos compatriotes. C'est un gardien du pacte républicain, mais aussi, par sa capacité d'imagination, son inventivité, un défricheur de voies nouvelles, notamment sur ces sujets sensibles, comme l'illustre le remarquable rapport de 2002 sur la délinquance des mineurs. Je salue le président, le rapporteur et les membres de la commission des lois.
Notre justice ne doit pas être un idéal figé et inaccessible ; c'est l'affaire de tous. La justice est une réalité humaine : imparfaite, donc perfectible. Je veux une justice adaptée au monde actuel, paisible, proche des citoyens, sereine, une présence vigilante et rassurante, dont l'efficacité ne fait pas de doute, dont la temporalité n'est pas trop décalée. C'est une tâche immense. La justice pacifie les relations sociales, familiales, économiques. La justice, c'est la garantie de vivre en bonne intelligence, dans la paix sociale. C'est la première de toutes les institutions humaines, la première des conquêtes de la civilisation !
Ce projet de loi s'inscrit dans cette vision. Il ne s'agit pas d'un texte technique, visant à aménager les règles existantes. La justice est un pilier de la démocratie. Sa mission est d'être le ciment du pacte républicain. Ce texte est rendu indispensable par l'état de notre société et de notre justice.
Il répond à quatre ambitions. La première est de bâtir une justice proche des Français. En matière de récidive, leurs attentes sont à la mesure de leurs inquiétudes. Le manque de respect, les incivismes, la violence qui exaspèrent les Français et sapent leur confiance dans la justice procèdent d'une société de droits, sans obligations, ravagée par l'individualisme. Cette France excédée n'aspire pas à la sécurité mais à la tranquillité !
Cette inquiétude est justifiée : les chiffres parlent d'eux-mêmes. Entre 2000 et 2005, les condamnations en récidive pour les crimes et délits ont augmenté de près de 70 %, et de 145 % pour les délits violents, le nombre des mineurs condamnés pour délits de violence de près de 40 % ! En 2006, 46 % des personnes mises en cause pour vols avec violence étaient des mineurs. (M. Mahéas proteste)
La sûreté des citoyens est le premier devoir de l'Etat. Il est de notre devoir d'apporter à ces inquiétudes des réponses nouvelles, capables de redonner du sens, afin de restaurer la confiance.
La deuxième ambition de ce projet est de bâtir une justice qui protège les plus faibles. Nous devons bien sûr aux coupables une justice digne, garantissant l'équité et le respect des droits, mais nous la devons avant tout aux victimes des délinquants et des criminels.
La troisième ambition, c'est celle d'une justice sereine, qui donne à ceux qui en exercent l'administration des outils adaptés. Ils exercent un métier difficile. Je sais les contraintes auxquelles sont soumis les magistrats, je connais les difficultés quotidiennes de la chaîne judiciaire. Au nom de nos concitoyens, du président de la République et du gouvernement, je salue le dévouement des magistrats, des greffiers, des policiers, des gendarmes, des responsables d'associations, des auxiliaires de justice. Ils sont, en première ligne, l'incarnation de la justice. (« Très bien ! » à droite). Ma mission est de leur donner les moyens dont ils ont besoin. J'y veillerai sans relâche, ils peuvent compter sur moi.
Quatrième ambition, enfin, de ce projet de loi : une justice ferme. Une justice forte, crédible et respectée doit adapter et renforcer ses sanctions pour faire face à des circonstances exceptionnelles. Il s'agit d'abord de délinquants ou de criminels récidivistes, majeurs ou mineurs, que la menace de la sanction puis la condamnation n'ont pas réussi à dissuader et à réinsérer.
Il s'agit ensuite des délinquants sexuels. Au 1er avril 2007, 20 % des détenus l'étaient pour des infractions de cette nature. Pensons à la douleur que ces comportements font naître. Mon devoir est de tout mettre en oeuvre pour éviter de tels drames. Rien ne me détournera de ce but.
A situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle. Pourquoi ne pas appliquer le principe de précaution aux victimes ? Ces comportements intolérables doivent être réprimés sans faiblesse. Il faut apporter à ces situations extrêmes une réponse claire aux yeux de nos concitoyens, légitime aux yeux des victimes, efficace à l'encontre des criminels ! Cela exige un véritable effort d'innovation.
C'est pourquoi ce projet de loi propose un régime pénal nouveau. Il instaure, en premier lieu, des peines minimales d'emprisonnement dès la première récidive, tant pour les majeurs que pour les mineurs. En cas de seconde récidive, la loi sera encore plus ferme. Le tribunal correctionnel sera tenu de motiver le choix d'une peine inférieure à ce minimum.
Au troisième vol avec violence, un mineur de plus de 16 ans encourra désormais les mêmes peines qu'un majeur. Certains m'objecteront qu'il faut laisser sa chance au mineur multirécidiviste, qui n'est pas un adulte. C'est une vision bien éloignée de la réalité : 30 % des mineurs condamnés récidivent dans les cinq années qui suivent.
Ce chiffre est terrible. Une nouvelle fois : le sort des victimes doit nous préoccuper. Elles ne comprendraient pas que les mineurs de plus de 16 ans bénéficient d'un régime de faveur bien qu'ils aient commis trois fois des faits extrêmement graves. Pour répondre à cette violence de plus en plus dure, à cet ancrage de la délinquance, le projet instaure des sanctions adaptées aux mineurs multirécidivistes, car des mesures inappropriées renforceraient le sentiment d'impunité.
M. Jean-Claude Carle. - Tout à fait !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Le troisième axe du projet de loi concerne le suivi médical et psychiatrique des condamnés, notamment pour crimes sexuels, dès lors qu'une expertise aura conclu à la possibilité d'un traitement. Oui, l'injonction de soins contribue à la nécessaire prise en charge médicale !
Ce projet renoue avec une loi pénale dissuasive, car la fermeté envers les criminels endurcis est indispensable à la vie en société, au respect du contrat social. Ce projet de loi est clair, intelligible et sans ambiguïté. Oui, il instaure des peines minimales. Oui, je suis persuadée que nul n'est censé ignorer la loi pénale.
Les peines minimales sont indispensables pour que le travail de prévention puisse s'appuyer sur la menace d'une sanction claire et précise. Les magistrats pourront ainsi affirmer une autorité dont la remise en cause est intolérable. Je ne laisserai pas prospérer l'idée selon laquelle prévention et répression seraient antagonistes, car elles sont indissociables et se renforcent mutuellement lorsque leur action est clairement perçue par les citoyens.
Je prends en considération l'humanisme judiciaire et l'appréciation fine des conditions du crime ou délit. Personne n'en a le monopole : on peut être ferme mais juste et humain. C'est pourquoi le projet n'instaure pas de peine incompressible. Contrairement à ce que prétend une vision caricaturale, il n'augmentera pas le nombre de détenus. (On en doute à gauche) N'instaurant pas de peine mécanique, ce projet préserve le pouvoir d'appréciation du juge : en cas de première récidive, le juge pourra prononcer une peine inférieure à celle inscrite dans la loi pénale à raison des circonstances de l'infraction, de la personnalité son auteur ou de ses perspectives de réinsertion. L'individualisation des peines est explicitement rappelée dans le texte car j'ai le plus grand respect pour les magistrats et les avocats, dont le rôle est de situer la justice au plus près des réalités humaines. Même en cas de deuxième récidive, le juge pourra prononcer une peine inférieure au minimum instauré par la loi pénale en s'appuyant sur les perspectives exceptionnelles de réinsertion. Après le troisième acte, il est normal que la sanction soit plus exemplaire, sauf à mettre en cause l'idée que nos concitoyens se font de la justice.
Bien que les actes des délinquants soient insupportables, le projet permet aux juges de prendre en compte les situations humaines. Ferme et équitable, ce texte ne mérite pas les critiques outrancières dont il a été l'objet. (M. le rapporteur approuve.) Conforme à ce que nous avons souhaité, il respecte la Constitution, ce qui d'ailleurs le premier devoir du garde des sceaux, mais sans oublier la répression des infractions et des atteintes à l'ordre public. Mon devoir, notre devoir, consiste à concilier les exigences de liberté et de préservation de l'ordre public. Ce texte porte la marque de cette conciliation, puisque les peines minimales restent proportionnées, le juge n'étant jamais obligé de prononcer des peines automatiques. L'individualisation des peines reste le principe. J'y suis très attachée.
S'agissant des mineurs, nous respectons les exigences constitutionnelles et internationales -qui imposent d'atténuer la responsabilité pénale, de privilégier le travail éducatif et de faire juger les intéressées par une juridiction spécifique- qu'il faut concilier avec le respect de l'ordre public.
Ce texte est équilibré : la majorité pénale reste fixée à 18 ans ; tous les mineurs seront jugés par une juridiction spécialisée. Par exception, certains mineurs âgés de plus de 16 ans condamnés trois fois pour des fautes particulièrement graves, encourront les mêmes peines que des adultes ; mais une exception ne remet pas en cause le principe. Nous n'avons pas pris le parti de déroger à la philosophie du droit pénal des mineurs et de faire juger les mineurs de plus de 16 ans par les tribunaux correctionnels. Vous le savez bien.
La tradition française s'est toujours gardée du dogmatisme. Ce projet s'inscrit dans cette tradition. Loin des caricatures, il est strictement conforme à nos engagements internationaux et à nos valeurs constitutionnelles. Ni laxisme ni répression aveugle, la justice recherche un équilibre entre la protection de la société et celle des libertés individuelles.
Je suis devant vous ce matin parce que les Français ont donné un mandat clair au président de la République. Nos concitoyens sont exaspérés par l'impunité de certains. Ce n'est pas une obsession sécuritaire, mais une exigence légitime de tranquillité. Le premier devoir de l'État est d'assurer la sécurité des citoyens. Je suis ici ce matin au nom de la justice, qui est pour moi une valeur fondamentale. Pilier de la démocratie, elle rétablit l'égalité des droits et rappelle les devoirs. Comme garde des sceaux, je veillerai à ce qu'elle soit impartiale juste et indépendante. Je veillerai à ce qu'elle fasse la balance entre l'ordre au sein de la société et la liberté de chacun.
Telle est la philosophie de ce projet de loi, qui sera efficace parce qu'il s'appuie sur le dévouement des hommes et des femmes qui servent la justice trois. Il sera efficace aussi parce qu'il s'appuie sur une volonté politique claire, constante et forte. Cette politique pénale ne contrevient ni à l'indépendance ni à la bonne administration de justice ; elle en est au contraire le meilleur allié, parce qu'elle est vouée à restaurer le lien de confiance entre les Français et leur justice.
Les plus belles pages de l'institution judiciaire n'ont pas été écrites sous le contrainte du pouvoir politique, ni dictées par la volonté de le combattre : elles ont été écrites à deux mains. La justice n'existe pas sans celles et ceux qui l'incarnent au quotidien, ni sans la vigilance du politique qui doit veiller à la protéger et à nourrir le lien l'unissant au peuple. Son rôle est au coeur du pacte républicain. Il est doté d'une mémoire : celle de l'héritage commun de la Nation, de Michel de l'Hospital à d'Aguesseau, de Portalis à Michel Debré. C'est le souffle de Simone Veil montant à la tribune pour défendre les droits des femmes, c'est ce souffle qu'incarnait Robert Badinter montant à la tribune pour abolir la peine de mort, c'est ce souffle que résumait Albert Camus en écrivant : « si l'homme échoue au concilier la liberté et la justice, alors il échoue à tout ». (Applaudissements à droite et au centre)
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois. - Notre commission a jugé ce projet utile adapté et raisonnable.
Mais il faut tout d'abord dissiper certaines confusions. La notion de récidive légale est très précise : il faut une condamnation définitive suivie d'une nouvelle infraction identique à la précédente ou assimilable à celle-ci, commise dans les cinq ans suivant l'expiration ou la prescription de la peine. Le délinquant en état de récidive légale encourt alors le doublement des peines maximales inscrites dans code pénal.
Les autres infractions commises après une condamnation définitive relèvent de la notion de réitération. Dans l'esprit du public, ces deux concepts sont confondus le plus souvent alors que les réalités sont très différentes. Ainsi, en 2005, 2,6 % des personnes condamnées en matière criminelle et 6,6 % des personnes condamnées en matière correctionnelle étaient des récidivistes au sens légal. En revanche 30 % des personnes condamnées en 2005 avaient déjà fait l'objet d'une condamnation.
Le contraste est encore plus marqué pour les mineurs, entre un taux de 0,6 % de récidive mais de 55 % de réitération. La délinquance d'habitude reste donc préoccupante.
En outre, les juges ne relèvent pas systématiquement l'état de récidive légale, ne serait-ce que parce qu'ils l'ignorent : l'informatisation du casier judiciaire est loin d'être achevée. Il y a toutefois des progrès : moins de six mois s'écoulent désormais entre le prononcé de la condamnation et son inscription judiciaire.
Ces évolutions permettent de prendre la mesure de la récidive et de donner toute sa portée à ce projet de loi qui prolonge les lois du 12 décembre 2005 et du 5 mars 2007. Il ne les contredit pas mais les complète et il innove en instaurant des peines minimales pour les récidivistes. Cette réponse sera-t-elle efficace ? L'exemple des autres États démocratiques incite à le penser, du moins en matière correctionnelle. Pour la matière criminelle, c'est plus douteux. Pour les délits punissables de dix ans d'emprisonnement, le quantum moyen effectivement prononcé est d'un an et demi ; une peine plancher de quatre ans aura donc un effet dissuasif sur les délinquants d'habitude.
Ce dispositif est apparu raisonnable à votre commission : il respecte les principes de personnalisation de la peine ; il ne remet pas en cause les principes fondamentaux de la justice des mineurs ; il généralise l'injonction de soins, qui nous paraît un bon moyen de favoriser la réinsertion.
L'exigence constitutionnelle de la personnalisation de la sanction est respectée puisque le juge peut toujours adapter le mode d'exécution en décidant un sursis avec mise à l'épreuve, voire simple. En outre, il pourra, sous conditions, prononcer une peine inférieure minimale. Il est vrai que, comme l'ont observé la plupart des praticiens du droit que nous avons auditionnés, ces conditions peuvent apparaître excessivement restrictives. Il faudra que l'accusé présente des « garanties exceptionnelles d'insertion ». Le juge devrait pouvoir les apprécier au cas par cas et tenir compte de la personnalité du récidiviste et des circonstances de son infraction. Nous suggérons aussi, afin de renforcer le caractère dissuasif des dispositions proposées, que le président de la juridiction avertisse celui qu'il condamne après une première infraction de la peine qu'il encourt en cas de récidive.
Pour donner toute capacité au juge d'apprécier, il faut lui apporter toutes les informations nécessaires. Les magistrats sont aptes à exercer leurs responsabilités pourvu que nous leur en donnions les moyens.
Le projet de loi nous apparaît raisonnable aussi parce qu'il ne met pas en cause les principes constitutionnels de la justice des mineurs. Il ne modifie pas l'âge de la majorité pénale et il maintient la spécialité des juridictions pour mineurs. Il ne fait qu'élargir les exceptions que le droit en vigueur admet d'ores et déjà à l'application de l'excuse de minorité pour les mineurs de 16 à 18 ans.
Enfin, le projet de loi a utilement intégré des dispositions permettant la généralisation de l'injonction de soins, à laquelle nous avons toujours été favorables, en particulier dans le cas des condamnées pour des infractions à caractère sexuel. Il faut souligner, en outre, que le juge de l'application des peines pourra toujours s'opposer à l'injonction de soins. Nous souhaitons qu'il puisse aussi s'opposer à la suppression d'une réduction de peine supplémentaire. Notre commission estime que le juge d'application des peines a un rôle déterminant à jouer.
Ce projet de loi répond à une nécessité, il peut exercer un effet dissuasif et ne met en cause aucun des grands principes de notre droit. Il nous semble néanmoins que l'effort pour lutter contre la récidive doit connaître deux prolongements indispensables. D'abord par la mise en oeuvre des moyens financiers, assurer un meilleur suivi des personnes. Quelles initiatives comptez-vous prendre, madame la Ministre, de concert avec votre collègue de la Santé ?
L'efficacité de la lutte contre la récidive requiert aussi l'exécution effective et rapide des décisions. Chacun le sait, rien n'est pire que le sentiment d'impunité, en particulier lorsqu'il s'agit de la délinquance des mineurs
Sous réserve de ces observations et des amendements que nous vous proposons, notre commission propose d'adopter le projet de loi. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Le premier projet présenté par le nouveau gouvernement est un texte d'aggravation pénale. C'est tout un symbole, celui de la poursuite en pire d'une politique mise en oeuvre depuis cinq ans. « Plus vite, plus fort, plus loin » comme aime à dire le président de la République. La précédente législature avait commencé par deux lois de programmation de sécurité ; en cinq années, huit lois sécuritaires ont été votées à l'initiative du gouvernement. A quoi donc servent toutes ces lois ?
La volonté présidentielle a désormais force de loi. La garde des sceaux dit qu'elle « respecte les engagements du président de la République. Le débat a eu lieu ».
Les parlementaires n'ont-ils pas à s'interroger sur l'intérêt des projets de loi et sur leur efficacité au regard des ambitions du gouvernement ? Certes, les juges, les avocats, les éducateurs ne font pas la loi mais vous aviez souhaité un consensus. Or, de consensus, il n'y a point, pas plus qu'il n'y a eu de dialogue social. Souvent, on demande des études d'impact sur les projets et une évaluation des lois mais ici, des auditions au rapport, tout conduit à rejeter cet énième texte pénal.
Le projet est-il justifié du point de vue des objectifs affichés du président de la République ? Le discrédit dont souffrent les juges tient à l'affaire d'Outreau dans laquelle ils n'avaient pas péché par laxisme. Bien sûr, nos concitoyens s'inquiètent des crimes commis par des récidivistes mais fallait-il une huitième loi pénale en cinq ans alors que celle de 2005 n'est pas appliquée et que l'on en a voté une sur la prévention de la délinquance. La récidive coûte parfois seize ans alors qu'il est question de peines planchers de cinq à dix ans. Il en est de même pour les mineurs. C'est donc la délinquance ordinaire des jeunes que vous stigmatisez. La chancellerie se révèle d'ailleurs incapable de fournir des chiffres postérieurs à 2005 et de distinguer récidive et réitération. Faute de moyens, des peines ne sont pas exécutées. Quant aux peines automatiques, sur lesquelles le président de la République axe sa communication, la Constitution les rend impossibles et elles ont démontré leur inefficacité aux Etats-Unis -l'Australie les a abandonnées. En revanche, ce projet développera des effets pervers : l'augmentation du nombre de détenus et l'allongement de la détention seront contreproductifs. N'aurait-il pas mieux valu commencer par la loi pénitentiaire promise d'ici la fin de l'année ?
Malgré tout cela, le projet peut-il être efficace ? Il n'y a pas de corrélation entre la peur de la sanction et la délinquance. Si la peine de mort n'est pas dissuasive, la prison, criminogène, favorise la récidive. La lutte contre la récidive passe d'abord par les mises à l'épreuve, la liberté conditionnelle et autres aménagements de peine.
Quel paradoxe !, les parlementaires, qui pendant cinq ans ont résisté à la volonté du ministre de l'intérieur d'instaurer des peines planchers, s'apprêtent à les accepter aujourd'hui : tout a changé depuis la proposition de loi Estrosi et le débat sur la loi de 2005. Le garde des sceaux de l'époque avait annoncé la mise en place d'une commission : elle semble répugner à ce dangereux texte d'affichage qui inversera nos principes en obligeant les juges à motiver les décisions de clémence.
La défenseure des droits des enfants s'inquiète d'une négation de la spécificité de la justice des mineurs. La réponse judiciaire doit être progressive et adaptée car un mineur de 16 ans ne saurait être traité comme un majeur. Magistrats et professionnels de l'enfance sont unanimes à expliquer que les jeunes sont dans l'immédiateté et peuvent réitérer un acte avant même la sanction. Depuis 2002, le gouvernement favorise l'incarcération des mineurs -chaque centre spécialisé coûtera 15 millions- tandis que la protection judiciaire des mineurs manque de moyens. Vous nous expliquez que la prévention n'est pas incompatible avec la sanction mais pour vous, la sanction est une forme de prévention ! Une sanction doit être comprise, intelligente ... et effective car il y va de sa crédibilité.
Ajoutée à la hâte, la dernière partie du projet traite de la délinquance sexuelle. La loi de 1998 est mal appliquée faute de personnel et de moyens. Alors que la véritable prévention passe par les aménagements de peine, votre démarche, en total décalage avec les besoins, consiste à instituer le soin contraint en conditionnant ceux-là à celui-ci.
Les amendements du rapporteur sont a minima. Nous les voterons cependant. La philosophie du projet restera dangereuse car si la prison était la panacée contre la délinquance, la situation serait bien meilleure aux Etats-Unis qui comptent trois millions de détenus. (Applaudissements à gauche)
M. Robert Badinter. - C'est la première fois que vous intervenez dans cet hémicycle, madame la garde des sceaux, et je considère avec sympathie votre accession à la Chancellerie. J'y vois un symbole extrêmement important de l'intégration républicaine à laquelle nous sommes tous très attachés.
M. Christian Poncelet. - Très bien !
M. Robert Badinter. - Pourtant, j'aurais souhaité que vous fassiez vos débuts sur un autre texte. Il ne manque pas de sujets brûlants : ainsi en est-il de la réforme de la carte judiciaire, ou de la situation dans nos prisons pour laquelle nous souhaitons depuis très, trop longtemps une loi pénitentiaire. Vous auriez rencontré alors nos critiques, mais aussi notre volonté constructive.
Mais le texte que vous nous soumettez est inutile, implicitement vexant pour la magistrature et, ce qui est plus grave encore, potentiellement dangereux.
Inutile ? C'est une évidence. Nous ne vivons pas dans un désert législatif. Tous les gardes des sceaux, tous les parlementaires, tous les citoyens souhaitent qu'on lutte contre la récidive. D'ailleurs, le législateur n'est pas resté inactif et il n'a pas pris conscience en mai de cet état de fait.
Durant les trois années écoulées, nous n'avons pas eu moins de trois textes à examiner concernant la lutte contre la récidive : il y a eu Perben II en mars 2004, il y a eu celui de votre prédécesseur, Pascal Clément, tout entier consacré au traitement de la récidive, en décembre 2005 et, il y a quelques mois, le ministre d'État, ministre de l'intérieur de l'époque, nous a présenté un texte sur la prévention de la délinquance dans lequel figurait nombre de dispositions sur la récidive. Tous vos prédécesseurs ont-ils cédé à une quelconque tentation laxiste ? Les commissions des lois du Parlement auraient-elles négligé des mesures importantes pour lutter contre la récidive ? Certainement pas !
La nécessité de ce texte n'apparaît donc pas, à moins que vous ne taxiez vos prédécesseurs d'incompétence, ce que je ne crois pas. Les effets de ces lois se sont-ils révélés décevants ? Nous n'en savons rien puisqu'il n'y a pas eu d'études ni de suivi de ces textes. Le Conseil d'État l'a, à juste titre, fait remarquer. Cette loi n'a pas non plus été précédée d'une étude d'impact, notamment sur la situation carcérale à venir.
Vous dites que ce texte est l'expression de l'engagement du président de la République. Certes, il vient d'être élu, mais ce n'est pas pour autant qu'il a raison sur tous les points de son programme !
Revenons à l'essentiel. Un texte doit répondre à une finalité. D'ailleurs, l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme ne dit pas autre chose : « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Dans le rapport de notre commission figure un tableau très intéressant relatif aux peines actuellement prononcées en cas de récidive. Les magistrats disposent-ils des moyens légaux pour prononcer les peines que le législateur souhaite qualifier de plancher ? Sans aucun doute. Ils peuvent d'ores et déjà prononcer les peines que vous souhaitez instaurer.
Alors, pourquoi ce texte alors que les moyens existent déjà ? La deuxième partie du tableau présenté par notre rapporteur retrace la pratique au regard des peines prévues. Pour les crimes, les magistrats et les jurys vont très au-delà des peines plancher. La qualité de récidiviste n'est apparemment pas la meilleure carte à jouer pour susciter l'indulgence d'une cour d'assises. Concernant les crimes, ce texte ne sert donc à rien. Reste la question des délits. Dans ce domaine, la moyenne des condamnations est effectivement très en-dessous des peines plancher que vous voulez instaurer. Si les magistrats ne les prononcent pas, c'est qu'ils jugent, en leur âme et conscience, en fonction des circonstances et de la diversité des êtres humains. N'oublions pas qu'ils engagent leur responsabilité morale.
M. Jacques Mahéas. - Très bien !
M. Robert Badinter. - C'est pourquoi, lors de nos auditions, pas une voix ne s'est élevée au sein des associations de magistrats pour réclamer l'instauration de ces planchers. Ils nous ont tous demandé instamment de ne pas les prévoir. Et cependant vous le faites. Pourquoi ? Parce que vous estimez que les décisions des magistrats ne satisfont pas aux attentes du gouvernement et du président de la République.
M. Jean-Claude Carle. - Et des Français !
M. Robert Badinter. - Il veut donc adresser aux magistrats une sorte d'injonction, en fonction de ce qu'il estime nécessaire en matière de sanction. Lorsqu'il s'adressait à la Nation en tant que candidat, chacun comprenait que les peines plancher ne concerneraient que les délits les plus graves. Alors, certes, vous avez ouvert une fenêtre, que dis-je, un interstice afin de sauvegarder le principe constitutionnel de la liberté des magistrats. Mais soyons réaliste : lorsqu'une loi dit aux magistrats les peines qu'ils doivent prononcer, au minimum, pour les récidivistes, tout en leur donnant aussi la possibilité d'aller en-dessous si ils motivent leur décision, que croyez-vous qu'il va se passer ? Si le juge décide, en son âme et conscience, de ne pas appliquer la peine plancher, il prendra un risque. Si le récidiviste commet un nouveau crime ou délit, qui sera stigmatisé ? Qui verra sa responsabilité engagée devant l'opinion publique et le gouvernement ? Le magistrat ! Certes, il existe des âmes intrépides et des coeurs courageux, mais gageons que la plupart ne prendront pas le risque de subir des critiques stigmatisantes et s'aligneront.
C'est pourquoi j'ai parlé, dans mon propos introductif, du caractère inutilement blessant de ce texte à l'égard des magistrats, car il sous-entend qu'ils sont laxistes et qu'ils n'appliquent pas, ou mal, la loi. Certes, la magistrature française n'a pas que des vertus, mais elle a beaucoup plus de qualités que celles que l'on veut bien lui reconnaître et le laxisme ou la faiblesse à l'égard des récidivistes ne sont en rien ses caractéristiques.
Ce texte est inutile et vexatoire, je l'ai dit. Mais, ce qui est plus grave, il est dangereux. Car il va accroître la surpopulation carcérale. Or, vous connaissez la situation actuelle : plus 18 % de prisonniers au cours des cinq dernières années. Nous en sommes à 63 500 détenus et les prévisions font état de 20 % de plus dans les prochaines années. Les maisons d'arrêt et les centres de détention connaissent un taux de remplissage qui va de 120 à 200 %. Le rapport sur la récidive rédigé par la Commission d'analyse et de suivi de la récidive, présidée par le professeur Jacques-Henri Robert, rappelle que les peines plancher instaurées aux Etats-Unis et au Canada n'ont pas eu les effets escomptés.
Nous savons -le constat est ancien- que le premier foyer de récidive, c'est la prison ; que dans les maisons d'arrêt surpeuplées se côtoient dans la même cellule de vieux chevaux de retour et des primo-délinquants, des professionnels du crime et des jeunes qui sortent de prison avec des adresses et des leçons. Vous jouez avec ce texte au pompier pyromane ; on comprend pourquoi vos prédécesseurs n'avaient pas voulu de peines plancher.
Nous pensons, nous, que la vraie question est celle de la signification de la récidive. C'est évidemment une faute du récidiviste, mais c'est aussi un échec qui le dépasse, un échec familial et social, un échec de l'institution judiciaire elle-même. Comment y remédier, sinon en agissant pour une réinsertion réussie ? Les procédures qui la permettent ont été multipliées ces dernières décennies, libération conditionnelle, semi-liberté, placement à l'extérieur, mais elles sont insuffisamment mises en oeuvre, faute de moyens ; éducateurs, travailleurs sociaux, médecins psychiatres sont trop peu nombreux. Nous luttons avec des textes, nous produisons du papier là où il nous faudrait combattre avec des professionnels.
Avec ce projet de loi, madame la garde des sceaux, vous vous fourvoyez si vous croyez ainsi réduire la récidive. Lutter contre ce phénomène est avant tout affaire de moyens, donc de volonté politique. Nous ne voterons pas ce mauvais texte. (Applaudissements à gauche)
M. Yves Détraigne. - Les infractions commises en récidive suscitent toujours l'émotion légitime de l'opinion ; elles mettent en lumière les insuffisances de notre système répressif et plus généralement de notre modèle social. Nous souscrivons donc pleinement à l'idée de combattre plus efficacement ce phénomène afin de mieux protéger notre société.
Plus qu'aux chiffres globaux, c'est à leur typologie qu'il convient de s'intéresser. Le gouvernement a décidé de s'attaquer aux infractions les plus graves, les crimes et les délits passibles d'une peine de trois ans d'emprisonnement, et de permettre de déroger plus facilement à l'excuse de minorité pour les mineurs de 16 ans multirécidivistes. Ces sujets méritent certes que le gouvernement et le Parlement les examinent attentivement ; mais nous en avons déjà débattu il ya quelques mois -avec notamment les lois des 12 décembre 2005 et 5 mars 2007. Je m'inquiète ainsi, comme beaucoup, de cette inflation législative, de l'empilement illisible des textes sans que jamais une loi générale ne vienne redéfinir les principes fondamentaux. Les acteurs judicaires, magistrats comme avocats, ont raison de s'en plaindre, car il n'est pas raisonnable de continuer à légiférer ainsi...
M. Jean-Pierre Sueur. - Alors, ne votez pas ce texte !
M. Yves Détraigne. ... d'autant que d'autres projets de loi sont déjà annoncés. La loi précédente sur le traitement de la récidive est-elle inefficace ? Pourquoi n'a-t-on pas pris le temps de la mettre en oeuvre, d'en faire le bilan ? N'était-ce qu'une loi d'affichage ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Excellente question !
M. Yves Détraigne. - N'aurait-il pas mieux valu attendre les conclusions de la commission de suivi ? J'invite le gouvernement à réfléchir à l'impact de cette inflation législative dont les dommages collatéraux sont régulièrement dénoncés par les magistrats lors des séances solennelles de rentrée. Il faudra à l'avenir évaluer les effets des lois avant de légiférer à nouveau sur le même sujet, surtout quand les textes sont issus de la même majorité.
Le présent projet aborde trois thèmes : les peines minimales pour les crimes et délits passibles de trois ans d'emprisonnement, la dérogation de plein droit à l'excuse de minorité pour les mineurs de 16 ans multirécidivistes et l'obligation de soin pour les auteurs des infractions les plus graves, notamment sexuelles. Si la fonction de la peine est d'être efficace et dissuasive, je ne suis pas certain que son aggravation, que la systématisation de l'emprisonnement soient les meilleures manières de lutter efficacement contre la récidive. Il n'est en effet pas démontré que la menace d'une sanction plus lourde soit un frein à la récidive.
Le groupe de l'Union centriste croit à une intervention plus en amont, à un volontarisme plus appuyé de notre système judiciaire lorsqu'il a affaire aux primo-délinquants. La bienveillance peut parfois donner le sentiment à ces derniers qu'ils ne risquent pas grand-chose ; elle peut être vécue comme une forme d'encouragement à poursuivre dans la voie de la délinquance. Lorsqu'un primo-délinquant comparaît devant une juridiction, il n'en est pas en général à sa première infraction ; s'il avait senti plus tôt le vent du boulet, il aurait pu s'abstenir de dériver vers une délinquance plus grave. Il faut donc agir précocement, améliorer la prévention, recentrer les missions de la PJJ sur les auteurs d'infractions pénales en laissant les services sociaux des collectivités locales s'occuper des jeunes qui relèvent du domaine social. Il faut pour cela s'en donner les moyens.
Quel rôle peut avoir une sanction tardive, quelle efficacité sur le parcours judiciaire du délinquant ? On peut légitimement poser la question. Mais s'il est intéressant de fixer des peines minimales, il faut laisser à la justice une latitude d'adaptation pour tenir compte de l'importance des faits et de la personnalité de l'inculpé. Certes, le projet ne met pas en cause le principe constitutionnel de l'individualisation de la peine, mais celle-ci devient l'exception. La certitude de la peine garantit-elle que l'infraction ne sera pas commise ? Notre rapporteur a raison de s'interroger. Derrière les faits, il y a des hommes et des femmes différents, avec une histoire et un profil psychologique propres. L'individualisation de la peine est essentielle pour sortir le condamné de la spirale de la délinquance. La volonté de la société n'est pas seulement qu'ils payent pour les conséquences de leurs actes, mais qu'ils ne recommencent pas. Ne serait-il pas plus utile d'appliquer réellement la sanction dès la première infraction, d'allouer plus de moyens pour assurer un suivi socio-judiciaire effectif, sachant qu'aujourd'hui, on sort souvent de prison plus mal préparé à affronter la réalité du monde ?
Il est indispensable d'améliorer les conditions d'exécution des peines et je salue les dispositions de la lettre rectificative qui systématisent l'obligation de soins pour les auteurs d'infractions graves : j'avais du mal à comprendre ce manque de détermination à l'égard de détenus qui peuvent tirer un réel bénéfice de soins.
Pour être efficace, ce texte doit s'accompagner d'une augmentation significative et rapide des moyens. Sans davantage de médecins et de personnel pénitentiaire, il resterait vain, l'opinion se sentirait flouée et un nouveau texte serait nécessaire.
Une grande réforme de notre système pénitentiaire -M. Alfonsi y reviendra- doit être rapidement engagée. Il est urgent de remédier à l'état dramatique de nos prisons : surpopulation, manque de moyens de formation, d'aide à la réinsertion, de soins. Résultat, nous envoyons des mineurs vers ce que la vox populi, souvent sévère il est vrai, qualifie d' « école du crime ».
Le « tout répressif », madame la ministre, a montré ses limites. Nous comptons sur vous pour convaincre le Premier ministre d'engager rapidement une grande réforme du système pénitentiaire pour que le passage en prison ne soit plus seulement un moyen de payer sa dette mais apporte aussi l'assurance que le détenu ne sera pas tenté, à sa sortie, de replonger dans la délinquance. Si cette réforme tardait, le texte que vous nous présentez aujourd'hui manquerait son objectif, d'autant qu'il pourrait accroître encore la surpopulation dans les prisons.
Nous attacherons, dans ce débat, une attention particulière aux amendements déposés par notre rapporteur dont je salue le travail. (Applaudissements au centre et à droite.)
M. Jean-René Lecerf. - Je m'étonne des commentaires entendus ces derniers jours sur ce texte. Les dispositions nouvelles qui nous sont proposées faisaient clairement partie des engagements de campagne de Nicolas Sarkozy. Certains peuvent encore être surpris qu'un président élu tienne les promesses du candidat, mais il faudra s'y habituer. N'oublions pas que les électeurs se sont exprimés, qu'ils ont élu un nouveau président, un nouveau Parlement, et c'est bien aux parlementaires de décider de la loi dans le respect de la Constitution, et à nulle autre autorité.
Le phénomène de la récidive, rapporté au nombre total des condamnations prononcées, reste pour ainsi dire anodin. Il représente environ 6 % du total des condamnations pénales, ce qui relativise les pourcentages impressionnants d'augmentation : plus 145 % en cinq ans pour les seuls crimes et délits violents. Mais tout change si l'on retient, non la définition juridique, mais la signification que ce mot revêt dans l'opinion, qui l'assimile à la réitération ou au concours d'infractions : les chiffres deviennent impressionnants.
Selon une étude du ministère de la justice en date d'avril 2005, plus d'un condamné sur deux récidive, au sens commun du terme, dans les cinq ans qui suivent sa libération. Ce taux atteint 70 % pour les cas de violences volontaires avec outrage, et 72 % pour les vols avec violence. Près du tiers des condamnés pour agressions ou atteintes sexuelles sur mineurs récidivent dans les cinq ans qui suivent leur sortie de prison.
Dans mon rapport sur le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, je faisais état d'une étude menée en 2002 sous les auspices du ministère de la Justice, qui constatait que, sur 18 000 mineurs condamnés en 1996, 49 % l'avaient été de nouveau dans les cinq années suivantes. M. Zocchetto cite une étude plus récente, révélant que sur les 16 000 mineurs condamnés en 1999, 55,6 % l'ont été de nouveau dans les cinq ans. Il est difficile, dès lors, de ne pas conclure à l'urgence.
Contrairement à une conviction presque unanimement répandue, le mode de libération des détenus -ce n'est pas sans conséquence- reste peu discriminant, de l'ordre de 26 % pour les libérations conditionnelles contre 30 % pour les fins de peine. La solution miracle reste donc à inventer.
Je m'étonne des commentaires à l'emporte-pièce qui taxent de fantasmes les vertus dissuasives de ce texte : la certitude de la sanction ne faciliterait en rien la lutte contre la récidive, et pourrait même la compliquer. Mais les délinquants, quel que soit leur âge, assimilent fort bien la portée de la règle de droit. Vous évoquiez récemment, madame la ministre, ces propos d'un mineur au centre éducatif fermé de Rouen : « Madame, c'est vrai que si on recommence, on va être jugé comme des majeurs ? » Je me souviens pour ma part de l'audition, devant la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs, du père Gilbert, qui nous contait l'histoire de Yann, douze ans et trois mois, répondant, en « distingué juriste », à ses admonestations : « Moi, monsieur, j'ai neuf mois à tirer. » Comment croire que la sanction est sans vertu dissuasive ?
Ce texte créerait, nous dit-on, des peines automatiques, et supprimerait l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs. Ceux qui l'affirment ont-ils lu le projet ? On peut en douter. La liberté d'appréciation du juge est préservée. Et l'obligation de motivation est-elle une charge si accablante, alors qu'il ne s'agit que d'exprimer des arguments dont on est en droit de penser qu'ils ont servi de fondement à la conviction du juge ? Quant à l'extension des conditions dans lesquelles celui-ci pourra écarter l'excuse de minorité pour les mineurs de plus de 16 ans auteurs d'infractions d'une particulière gravité, elle ne peut être assimilée à un reniement de la règle d'atténuation érigée par le Conseil constitutionnel en principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Dernière objection, plus largement partagée : le risque d'augmentation du nombre de détenus. Le rapport de la commission d'enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, Prisons : une humiliation pour la République, dressait un constat tragique : maisons d'arrêt surpeuplées, droits de l'homme bafoués, arbitraire carcéral, loi du plus fort, contrôles inefficaces. Depuis 2000, la situation a évolué : création d'emplois, notamment de personnel d'insertion et de probation ; programmes de développement et de modernisation du parc immobilier ; création d'établissements exclusivement réservés aux mineurs ; efforts en faveur de la réinsertion. Le moment est venu de passer d'un progrès quantitatif à une évolution qualitative décisive.
Vous nous avez annoncé, madame la ministre, deux textes à venir, l'un sur la mise en place d'un contrôle général des lieux privatifs de liberté, l'autre, une grande loi pénitentiaire révolutionnant les conditions de détention et d'insertion. Ils devraient assurer une salutaire rupture, que nous attendons tous sur ces bancs. La prison sera alors lavée de l'accusation d'être une école de la récidive. Elle deviendra un lieu aidant les détenus qui payent leur dette à l'égard des victimes à accéder à l'éducation, à la formation, et à travailler ainsi à leur réinsertion.
Il est temps de surmonter l'opposition stérile entre partisans de l'éducation et partisans de la répression pour réhabiliter la sanction d'un point de vue éducatif. Lorsque la prison contribuera à la restructuration de l'individu, elle deviendra un outil, à côté des autres, propre à faire reculer la récidive. Dans cette perspective d'un bénéfice sur le long terme, devient acceptable une augmentation de la population carcérale à court terme, que les peines alternatives pourraient limiter.
Il faut donc envisager ce texte en cohérence avec les deux projets à venir annoncés. Vous pouvez compter, madame la ministre, sur l'entier soutien du groupe UMP. (Applaudissements à droite.)
M. Nicolas Alfonsi. - J'aborde ce texte sans préjugés. Représentant d'un groupe où toutes les sensibilités s'expriment, cette attitude me paraît d'autant plus justifiée que j'ai rendu hommage à l'augmentation considérable des moyens de la justice que l'on doit à vos prédécesseurs depuis cinq ans. Mais au-delà de nos sensibilités, une certaine unanimité se dégage au sein de notre groupe pour exprimer bien des réserves sur le texte que vous nous présentez aujourd'hui.
J'ai dit dans cette enceinte que le Sénat est un récidiviste, compte tenu des très nombreux textes que nous avons l'habitude de voter sur ce thème. En tant que co-auteur, vous en partagez la responsabilité avec beaucoup de récidivistes parmi vos prédécesseurs... Le présent texte vient après celui de décembre 2005 et celui de mars 2007... S'il y a un domaine où il n'y a pas de rupture -ce mot que l'on entend si souvent- mais au contraire permanence et grande continuité, c'est bien celui-là.
Si ce texte nous arrive si vite, alors que votre prédécesseur, M. Clément, avait eu la sagesse de créer une commission de suivi avant de s'engager dans une telle voie...
M. Jean-Pierre Sueur. - Il était contre !
M. Nicolas Alfonsi. - ... c'est qu'il exprime comme une frustration, une volonté très forte, quinze jours seulement après l'élection du nouveau président de la République, dans cette matière extrêmement difficile qu'est la matière pénale.
La lecture de l'exposé des motifs révèle qu'il s'agit bien d'un texte de circonstance. Bien souvent, en effet, l'on peut juger de la qualité d'un texte par son exposé des motifs. Et le vôtre, madame la ministre, tient en ces quelques mots, au bout des quatre premières lignes : « le commencement d'une nouvelle présidence et d'une nouvelle législature constitue le moment propice... ». Voire... Quinze jours après l'élection présidentielle, est-ce le moment propice pour instaurer des peines plancher ? La matière est pourtant complexe, deux écoles doctrinales s'opposent depuis deux siècles, entre Portalis, soucieux de la stricte application de la règle pénale, et Benjamin Constant, avocat des espaces de liberté qu'il faut donner au juge en matière pénale.
Vous invoquez comme argument fondamental à l'appui de ce texte qu'il s'agit d'une promesse ; qu'il y a donc urgence, le président élu attendant ce texte avec impatience ; qu'il faut une dissuasion, face à l'augmentation de 145 % de la récidive en cinq ans.
L'excellent travail de notre rapporteur clarifie la notion de récidive et celle de réitération, qui sont trop souvent confondues.
Nous ne pensons pas que les peines plancher constituent la réponse qu'il faut apporter. A la brutalité de cette progression de 145 %, ce texte oppose une autre brutalité, alors que rien n'est évident, rien n'est démontré. Les expériences américaines et canadiennes, notamment, montrent que les peines plancher sont loin d'être aussi efficaces qu'on voudrait bien le croire. Les taux de récidive légale ne sont que de 2 % à 6 %. En matière de réitération, le procureur de la République de Bobigny, entendu par la commission, a souligné les difficultés, les problèmes de lisibilité de la réponse pénale, lorsqu'elle intervient une quinzaine de mois après la commission des infractions. Mais, je le répète, rien ne démontre que les peines plancher soit efficaces, par rapport aux possibilités d'aménagement des peines. Il existe en effet toute une batterie de moyens permettant d'obtenir de meilleurs résultats. Il semble bien que l'aménagement des peines entraîne moins de récidive que les peines « sèches ».
Demeure le problème essentiel du Conseil constitutionnel. S'il n'avait tenu qu'à vous, vous auriez sans doute laissé moins de latitude aux juges... Mais la décision de juillet 2005 s'impose à vous.
Se pose aussi le problème de la responsabilité des juges, que soulève justement notre commission des lois, avec toutes les nuances habituelles qui s'attachent à la rédaction de ses rapports. Ce problème serait, dit-on, évoqué dans l'avis de la commission de suivi mise en place par votre prédécesseur, avis dont il eût été utile de pouvoir prendre connaissance : ce serait un bel exemple, un premier exemple de cette transparence qu'invoquait hier, ici même, le Premier ministre dans le débat de politique générale ! (M. Pierre-Yves Collombat approuve) Mais nous ne pouvons connaître de cet avis que ce qui se trouve dans quelques commentaires de presse...
Le problème de la surpopulation carcérale ne doit pas non plus être négligé. Il serait important de montrer que les peines plancher permettent réellement de diminuer la récidive. Le trouble est-il si grand pour que la Chancellerie ait jugé bon de répondre à un expert du CNRS, affirmant dans une tribune que l'on est dans l'incapacité de faire la preuve d'une efficacité de ces mesures.
S'agissant des mineurs, le taux de récidive légale est parfaitement insignifiant. Je suis préoccupé par l'atténuation de l'excuse de minorité, au moment même où vous annoncez la création de 29 centres éducatifs fermés, qui donnent des résultats, salués notamment par la commission européenne. Il n'est pas raisonnable, dans ces conditions, d'infliger aux mineurs les mêmes peines d'emprisonnement qu'aux auteurs majeurs. Il existe bien d'autres solutions de nature éducative comme les centres éducatifs fermés ou ouverts.
Je reconnais l'intérêt des dispositions relatives à l'injonction de soins, introduites par la lettre rectificative, mais, pour l'essentiel, comme vous l'avez dit vous-même, madame la ministre, c'est un texte promis, un texte différé, donc un texte d'affichage, qui laissera l'illusion à nos concitoyens qu'ils peuvent dormir tranquilles. Cette illusion sera vite dissipée : nous attendons avec impatience les premières statistiques qui nous annonceront la décélération de la récidive...
Il aurait fallu interpréter avec plus de nuances les causes de celle-ci et l'éventail des moyens humains dont il faudrait disposer pour y faire face, et qui sont trop faibles, pour que votre texte, texte de circonstance s'il en est, puisse contenir l'explosion de violence que nous connaissons.
Nous avons noté avec intérêt les engagements du gouvernement sur la grande loi pénitentiaire et la création d'un contrôleur général des lieux d'enfermement, que nous réclamons depuis longtemps avec notre commission. Sans doute votre texte aurait-il été mieux compris s'il s'était inscrit dans la suite logique de ces deux réformes, et nous ne pouvons que le regretter.
Nous attendons avec beaucoup d'intérêt vos réponses à nos interrogations mais il est peu probable qu'elles suffisent à lever toutes les réserves de notre groupe. (M. Fauchon applaudit)
M. Richard Yung. - Comme l'a dit M. Badinter, nous considérons, comme vous, qu'il faut prévenir, combattre et punir la récidive sous toutes ses formes, d'autant plus qu'elle est multiple et qu'elle concerne les mineurs.
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Cependant, nous pensons que ce n'est pas par le biais d'un énième texte pris en urgence, mal fagoté, si je puis dire, et non gagé financièrement que l'on pourra atteindre ce triple objectif.
Ce projet de loi fait peser de nombreux risques sur l'autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles.
En réponse à M. Lecerf, permettez-moi tout d'abord de balayer l'idée fausse selon laquelle les juges seraient laxistes.
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Monsieur le rapporteur, dans votre rapport de février 2005 sur la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, vous indiquiez vous-même que « le juge se montre plus sévère avec les récidivistes qu'avec les primo-délinquants ». Deux ans plus tard, vous dressez un constat identique : l'emprisonnement ferme est prononcé pour 57 % des récidivistes contre 11 % des primo-délinquants. En outre, le nombre de condamnations en récidive pour les crimes et délits a augmenté de 70 % entre 2000 et 2005. C'est considérable !
En entretenant la confusion entre récidive et réitération, on accrédite le chiffre de 50 % dans l'opinion publique, alors que dans sa définition exacte, la récidive est de 0,2 %.
S'agissant des mineurs, les peines prononcées sont de plus en plus sévères, même si l'état de récidive légale est rarement constaté. La tendance actuelle est de faire passer les jeunes délinquants du « chaos miraculeux de l'enfance » à « l'ordre féroce de la virilité », pour reprendre les mots de Michel Leiris. L'UNICEF a d'ailleurs condamné la partie du projet de loi relative aux mineurs.
Le sentiment d'impunité découlerait de la non application des peines, dites-vous. C'est un réel problème, mais, au lieu d'accorder les crédits nécessaires, vous avez préféré céder à une demande sociale alimentée par l'instrumentalisation des faits divers. Un juge optant pour une peine alternative ou inférieure à la peine plancher s'exposera à la critique, voire au lynchage médiatique. Vous enfermez les juges dans un dilemme moral : c'est une mesure de défiance à leur égard.
En dénonçant l'angélisme voire le laxisme judiciaire, vous remettez également en cause les délibérations des jurys populaires des cours d'assises et des juges citoyens qui siègent aux côtés des magistrats professionnels dans les tribunaux pour enfants : vous vous défiez du peuple français, au nom duquel justice est rendue ! Nous ne pouvons qu'exprimer notre défiance à l'égard de ce projet de loi, élaboré dans la précipitation et sans concertation, et que rejettent massivement les magistrats et les professionnels. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Claude Carle. - Madame la ministre, nous sommes honorés et fiers de vous voir aujourd'hui sur le banc des ministres.
Nicolas Sarkozy l'a dit pendant la campagne : « Je souhaite qu'on crée des peines plancher pour les multirécidivistes, parce que 50 % des délits sont le fait de 5 % de délinquants. Celui qui ne comprend pas qu'on ne doit pas revenir 25 fois devant le même tribunal pour la même chose, je souhaite qu'il soit puni sévèrement, avec la certitude de la sanction. Je veux des peines doublées pour les multirécidivistes. Je veux résoudre enfin le problème des mineurs. Le mineur multirécidiviste de 16 à 18 ans sera puni comme un majeur ». (Mme Borvo Cohen-Seat s'exclame)
Je me réjouis que ces engagements soient tenus aujourd'hui.
Il existe, en effet, des personnes, que notre droit pénal actuel ne suffit pas à dissuader. La récidive exaspère nos concitoyens et appelle des sanctions plus sévères. La population ne comprend pas que l'on relâche dans la nature des personnes dont la dangerosité est avérée. (Mme Borvo Cohen-Seat s'indigne).
La fermeté à l'égard des récidivistes est une nécessité. Il faut garantir une sanction certaine, plus rapide et plus ferme pour les cas de récidive les plus graves.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Et voilà !
M. Jean-Claude Carle. - Ce texte propose trois pistes : instaurer des peines plancher de prison pour les crimes et délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement commis en récidive ; exclure l'excuse de minorité pour les multirécidivistes violents de plus de 16 ans -le terme de minoration ou d'atténuation des peines serait d'ailleurs sans doute mieux perçu par nos concitoyens, car il ne s'agit pas d'« excuser » le mineur délinquant- ; imposer un suivi médical et judiciaire obligatoire pour les personnes condamnées pour les infractions les plus graves, principalement de nature sexuelle.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ah !
M. Jean-Claude Carle. - Il faut être ferme sur le respect de la loi. Il est impératif que les coupables soient jugés, et que les récidivistes ne puissent plus ignorer les risques qu'ils encourent.
Depuis 2002, la délinquance a nettement diminué, grâce à la politique efficace et courageuse engagée par précédent gouvernement, mais la délinquance des mineurs augmente. La Commission d'enquête sur la délinquance des mineurs, dont j'étais le rapporteur, affirmait dès 2002 que la délinquance des jeunes n'était pas un fantasme, comme certains voulaient le faire croire, mais bien une réalité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ah !
M. Jean-Claude Carle. - Depuis, les esprits ont évolué. Ceux qui nous accusaient de faire du « tout répressif » proposent aujourd'hui de placer les adolescents dans des structures à encadrement militaire...
M. Jacques Mahéas. - C'est mieux que la prison !
M. Jean-Claude Carle. - Je m'étonne donc du procès d'intention qui vous est fait, madame la ministre.
La délinquance des mineurs est plus importante : le nombre de mineurs condamnés pour des délits de violence a augmenté de près de 10 % en cinq ans ; plus violente, avec une augmentation de 38 % du nombre de mineurs condamnés pour des délits de nature sexuelle entre 2000 et 2005 ; enfin, les auteurs des actes de violence sont de plus en plus jeunes. Les mineurs délinquants multirécidivistes ne sont pas les plus nombreux, mais ils commettent les actes les plus graves. C'est cette escalade qu'il faut enrayer par des mesures appropriées et plus fermes, car un mineur délinquant de 2007 n'a plus rien de commun avec un mineur délinquant de 1945.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Encore !
M. Jean-Claude Carle. - Physiquement plus grand et plus fort, il est plus impressionnant face à sa victime.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Et Nicolas Sarkozy n'est pas le général de Gaulle !
M. Jean-Claude Carle. - Cette augmentation massive de la délinquance des mineurs s'explique avant tout par la défaillance, voire la faillite, des trois cercles de proximité qui structurent notre société autour du jeune : la famille, l'école et le tissu associatif.
Souvent, en l'absence du père, les relations familiales sont conflictuelles et c'est l'enfant qui fait la loi. Les adolescents découvrent rapidement qu'un profil délinquant leur offre une intégration au sein du quartier. L'école de la rue les entretient dans l'illusion que le crime paie et concurrence l'école.
M. Jacques Mahéas. - Vous avez supprimé la police de proximité !
M. Jean-Claude Carle. - Deuxième cercle de proximité, l'école ne parvient plus à transmettre le savoir, elle n'intègre plus les jeunes et n'est plus à l'abri de la violence.
Enfin, le tissu associatif peine également à intégrer les jeunes par la voie du sport ou des activités culturelles. Nombre de bénévoles démissionnent devant la violence ou les contraintes administratives et juridiques.
Il faut briser cette spirale infernale et lutter efficacement contre cette délinquance. Il est de notre devoir de faire respecter les lois et les règles de la République.
Un grand nombre des propositions de la Commission d'enquête ont été retenues dans la loi Perben du 9 septembre 2002, puis dans la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance : création des sanctions éducatives, procédure de jugement à délai rapproché, aggravation des sanctions à l'encontre des majeurs qui utilisent des mineurs pour commettre des infractions.
Il faut aller encore plus loin. Un mineur ne doit plus pouvoir s'enfoncer dans la délinquance.
Lorsqu'une peine d'emprisonnement ferme est prononcée, elle ne doit plus susciter incrédulité et révolte. Devant notre commission d'enquête, M. Petitclerc, éducateur spécialisé, a critiqué « le système judiciaire de réponse à la délinquance, non explicité, mais tellement inscrit dans les pratiques, qui a peut-être sa légitimité du côté des adultes, mais qui, à mes yeux, s'avère désastreux d'un point de vue pédagogique : la première fois, ce n'est pas grave, ce qui est grave, c'est de recommencer. Or, je suis de ceux qui pensent, comme bon nombre de parents, que si on n'apporte pas une réponse crédible à la première transgression, on se discrédite pour la suite ». Comment ne pas partager cette opinion ? Cette attitude désastreuse persuade le mineur qu'il n'y aura jamais de vraie réponse. Dans quelques instants, je réitérerai une proposition que vous avez déjà formulée, car le sentiment d'impunité de certains mineurs s'enracine dans ce constat : la justice ne fait pas ce qu'elle dit.
Une réponse systématique peut donc être apportée à chaque acte de délinquance. Il faut rendre un sens à la sanction et la mettre en oeuvre rapidement afin qu'elle soit comprise par le délinquant, la victime et la société. Ne nous y trompons pas : la sévérité accrue des sanctions dissuadera mieux.
Notre commission d'enquête ne réclamait pas l'emprisonnement massif des mineurs, mais l'accumulation des remises à parents, de sursis et de mises à l'épreuve consolident l'ancrage vers la délinquance. Les mineurs comprennent très vite comment cela fonctionne et ceux qui n'ont pas été dissuadés dès le premier passage en justice ne le seront guère par les suivants. L'enfermement des mineurs délinquants est parfois nécessaire, pour la société, qui doit être protégée des jeunes particulièrement violents, et pour les mineurs entrés dans un parcours d'autodestruction. Ce projet de loi va dans le bon sens : il est adapté à une délinquance plus massive, plus violente et perpétrée par des mineurs de plus en plus jeunes, il fixe une politique pénale claire, cohérente, efficace et dissuasive, enfin, il donne au juge des principes directeurs de sanctions pour dissuader la récidive, tout en respect les exigences constitutionnelles et internationales. Ne comportant aucune mesure scandaleusement répressive, ce texte répond à une attente forte de nos concitoyens : les délinquants sauront désormais qu'il y a une ligne rouge à ne pas franchir.
J'insiste également sur la nécessité d'appréhender notre politique pénale dans sa globalité.
En effet, tout en renforçant notre arsenal juridique, nous devons accorder toute leur place aux impératifs de réinsertion à la sortie de prison. Si l'emprisonnement devient la règle pour les récidivistes, il ne doit pas occulter la dimension éducative de la sanction. L'enfermement des mineurs doit s'inscrire dans un parcours éducatif dynamique vers la réinsertion. La sanction fait partie intégrante de l'éducation. C'est ce que fait chaque parent quand son enfant commet une bêtise. La sanction doit aller jusqu'à l'enfermement lorsque la gravité de l'acte commis l'exige, mais elle n'est pas une fin en soi : c'est un moyen de remettre le jeune sur la bonne voie. Dans notre rapport d'enquête, nous avons écrit : « mettre de la contrainte dans l'éducation, mais mettre également de l'éducation dans la contrainte ». Nous avons souhaité que de véritables parcours éducatifs permettent le suivi effectif des mineurs incarcérés. Tous doivent être mis en situation de réfléchir à leur insertion professionnelle. Je salue donc votre intention de développer la formation en alternance dans le milieu carcéral. L'assistance éducative constitue l'une de vos priorités et je vous accorde toute confiance pour mettre en oeuvre une justice à la fois plus ferme et plus humaine.
En conclusion, je réitère une des propositions que j'avais formulées lors du débat sur le texte « prévention de la délinquance ». Pourquoi ne pas soulager nos juridictions des primo-délinquants grâce aux maisons de la réparation, à l'instar de la Hollande ? Ces structures mettraient en oeuvre des mesures de réparation obligatoire proposées par le procureur de la République pour certaines infractions commises par des mineurs primo-délinquants. Seraient également concernés les contraventions, vols simples, destructions et dégradations. Cette solution a l'avantage d'empêcher immédiatement l'ancrage dans la délinquance par une mesure concrète, rapide, éducative et signifiante. En effet, la réparation permettrait au mineur de restaurer la situation dégradée par son infraction et de transformer un comportement négatif en comportement positif. Et les juridictions, très encombrées, pourraient apporter des réponses plus rapides aux délits plus graves, notamment ceux des récidivistes. J'espère que cette proposition sera reprise dans un prochain texte de loi.
Sachons protéger la société en combattant le sentiment d'impunité. Sachons prévenir, éduquer, sanctionner, mais aussi favoriser la réinsertion des personnes les plus vulnérables !
Avec mon groupe, je soutiendrai ce texte qui accroît la sévérité de notre droit lorsque c'est nécessaire, tout en respectant nos principes et traditions juridiques. (Applaudissements à droite)
M. Jacques Mahéas. - Avec la sensibilité d'un élu de Seine-Saint-Denis, je m'associe, Madame, aux propos de M. Badinter quant à votre nomination.
Inutile, inopérant, disproportionné, irréaliste et contre-productif : tout observateur honnête fera ce constat désolant à propos de votre texte. Les magistrats auditionnés par la commission sont consternés. Non par réflexe corporatiste ou repli idéologique...
M. Jean-Claude Carle. - Si peu !
M. Jacques Mahéas. - ... mais parce qu'ils mesurent la seule véritable dimension du texte : l'affichage ! N'est-il pas aussi une conséquence de la « chicaya » ayant opposé le tribunal de Bobigny et l'ancien ministre de l'intérieur ! Négligeant la séparation des pouvoirs, celui-ci avait accusé les magistrats de démission, déclenchant une polémique inutile. Nous examinons la troisième loi en moins de deux ans traitant de la récidive, sans aucune évaluation des textes antérieurs. Il faut dire que la loi de répression - pardon : de prévention- de la délinquance est si récente que tous ses décrets d'application n'ont pas encore été publiés. Le nouveau texte n'est accompagné par aucune étude d'impact quant à l'inflation carcérale qu'il va mécaniquement provoquer. Notre rapporteur a reconnu la réalité de cette inflation, puisqu'il a noté que les durées d'emprisonnement passeraient en moyenne de 1,6 année à plus de quatre. Pour élaborer votre projet, vous n'avez pas attendu jusqu'au 14 juin jour où la commission d'analyse du suivi de la récidive mise en place par votre prédécesseur devait rendre son rapport. Est-ce parce que vous deviniez que celui-ci contrarierait vos propositions ? Pourquoi l'avoir instituée, si c'est pour ne pas la consulter, comme nous l'a assuré son président, le professeur Jacques-Henri Robert ? Rien ne vous arrête, tant votre majorité semble multirécidiviste en matière d'inflation législative répressive !
Vos services nous ont transmis des statistiques, ce dont je vous remercie. Je me suis particulièrement attaché aux chiffres concernant les mineurs, cette catégorie présentée depuis un certain temps comme particulièrement dangereuse. S'agissant des crimes, deux mineurs récidivistes ont été condamnés en 2000 ; un seul en 2002 et 2005, aucun en 2004. Quant à la notion floue de « délits », le nombre de récidivistes s'échelonne de 128 à 316 par an. C'est peu. Quelle urgence y avait-il donc à légiférer, sinon de satisfaire une promesse électorale en forme de slogan, sinon, pour le président de la République, d'organiser un battage médiatique, lui qui, à ses heures perdues, s'improvise Premier ministre ou garde des sceaux ?
Ne confondons pas pragmatisme et précipitation. Les acteurs de terrain savent que le suivi éducatif doit être mis en oeuvre dès la première peine. Or, depuis 2002, vous misez sur le tout carcéral. L'exemple des travaux d'intérêt général est navrant. Ainsi, la commune dont je suis maire, Neuilly-sur-Marne, est entrée dans le dispositif dès sa mise en place. À ce jour, avec nos quinze fiches de postes nous pouvons accueillir de nombreux condamnés puisqu'un TIG n'excède pas 210 heures. Or, après deux années quasiment sans affectation, nous n'avons reçu que trois personnes depuis le début de l'année 2007 alors que les postes ne sont pas réservés aux habitants de Neuilly-sur-Marne. Pourquoi cette peine est-elle négligée malgré son réel intérêt pour les jeunes délinquants ? Elle conjugue sentence et réinsertion par le travail. C'est ce que j'exprimais déjà en 2005 dans une question écrite au garde des sceaux, à laquelle il a répondu qu'il partageait mon « souci de voir se développer les peines de travaux d'intérêt général, lesquels, tout en présentant un caractère de sévérité, participent de la réinsertion du condamné par le travail et de prévention de la récidive ». On ne saurait mieux dire !
Je terminerai sur une note plus personnelle. Interrogé par un grand quotidien publié aujourd'hui, votre frère affirme : « Ma soeur ne lâche rien. Elle aime décider seule. Elle veut toujours avoir le dernier mot ». (Rires) Démentez ces propos ! Vous ne pouvez retirer ce texte, puisque vous êtes en service commandé mais au moins, acceptez nos amendements ! (Rires et applaudissements à gauche)
M. Hugues Portelli. - Ce projet de loi n'est pas le premier texte à traiter de la récidive.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est le moins qu'on puisse dire !
M. Hugues Portelli. - Il a un double objectif : intégrer les mesures sur les peines minimales adoptées dans les pays voisins et encadrer le rôle du juge. Depuis 1789, celui-ci est censé juger au nom du peuple français ; il doit donc, quoi qu'il en pense personnellement, appliquer l'expression de la volonté générale formulée par les représentants de la Nation.
Ce n'est pas pour autant que le législateur est libre de faire ce qu'il veut : le juge constitutionnel a dégagé un certain nombre de principes fondamentaux de la République, au nombre desquels l'atténuation de la responsabilité des mineurs et la nécessité de « rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge ». Ces principes, formulés dans la loi du 12 avril 1906 et dans l'ordonnance du 2 février 1945, sont confortés par ceux qu'a dégagés la Cour européenne des droits de l'Homme sur le caractère équitable des procès et sur l'existence de procédures pénales particulières pour les mineurs.
Pour autant, le juge constitutionnel s'aventure avec prudence dans le domaine pénal ; il tend, en France comme à l'étranger, à respecter le pouvoir discrétionnaire du législateur, pour peu que celui-ci ne remette pas en cause de façon manifeste les principes rappelés. Qu'en est-il de ce projet de loi, que la commission des lois a approuvé sans difficulté ? C'est un texte équilibré et proportionné. Tout en instaurant des peines minimales, il n'exclut pas l'individualisation de la peine. Tout en permettant d'écarter l'excuse atténuante de minorité pour les mineurs de plus de 16 ans, il ne remet pas en cause la fixation à 18 ans de la majorité pénale. Respecte-t-il les principes constitutionnels ? Oui, puisqu'il conserve au juge un pouvoir d'appréciation, sous la réserve, déjà formulée en mars 2007 et étendue cette fois aux peines minimales, de motiver ses décisions, ce qui est la moindre des choses pour une juridiction. Oui puisqu'en matière de mineurs, il respecte les principes de l'ordonnance de 1945, que le Conseil constitutionnel avait repris dans sa décision du 3 mars 2007, affirmant que le juge peut décider que certains mineurs de plus de 16 ans peuvent être assimilés à des majeurs sur le plan pénal soit compte tenu des circonstances de l'espèce et de la personnalité du mineur, soit parce que les faits constituent une atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne et qu'ils ont été commis en état de récidive légale.
Soyons réalistes : rester dans le statu quo en la matière reviendrait à accepter une violence de plus en plus forte, à renforcer un sentiment d'impunité de plus en plus grand et à faire preuve d'un véritable mépris pour les victimes. Néanmoins, je souhaite mettre l'accent sur certains points.
La certitude de la peine est encore plus efficace que la sévérité de celle-ci, car elle met à mal le sentiment d'impunité. Il faut donc davantage de greffes, de moyens, une justice plus rapide. Pour les victimes et parce qu'un mineur délinquant « réitériste » ne se souvient plus véritablement plusieurs mois après les faits de l'infraction qui lui est reprochée. Ces jeunes vivent dans l'instant, la réponse judiciaire doit donc être rapide pour avoir un sens. Comme l'a dit Beccaria : « Plus le châtiment sera prompt et suivra de près le délit commis, plus il sera juste et utile ».
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Châtiment... bientôt le bagne !
M. Hugues Portelli. - S'il faut une réponse ferme à des actes de plus en plus violents et de plus en plus dirigés gratuitement contre les personnes, il faut aussi s'interroger sur le sens de l'emprisonnement. Les statistiques montrent que la récidive est plus faible quand les détenus ont bénéficié de la libération conditionnelle. La prison n'a de sens que si elle aide le détenu à préparer sa réinsertion. Il faut donc que les collectivités territoriales soient davantage associées à cet effort. Je vous dis d'expérience que cela marche. Dans le même esprit, il faut donner plus de moyens au suivi sociojudiciaire : le suivi post-carcéral est souvent défaillant, comme le suivi psychiatrique. Dès lors qu'une personne est condamnée à une peine autre que la perpétuité, il faut l'aider à l'après, sinon sa chance de survie sociale, psychologique et médicale hors de la prison est minime, et le risque de récidive est accru.
Enfin, si la peine est dissuasive, elle ne peut à elle seule incarner la prévention de la délinquance. Si la prévention situationnelle s'est développée ces dernières années, avec de plus en plus d'équipements de vidéosurveillance, de digicodes et autres contrôles d'accès, la prévention sociale, moins visible par l'opinion, ressentie comme moins rapide et moins efficace, doit être mise au même niveau que la politique de répression systématique de la délinquance. Dans leur grande majorité, les mineurs délinquants ont commencé par être des enfants en danger.
Le texte qui nous est proposé et que nous approuvons sans réserve est donc nécessaire car il parachève la mise à jour de notre code pénal. Mais il n'aura de sens et d'effet durable que s'il s'accompagne d'un effort considérable de prévention sociale et de suivi sociojudiciaire, dont l'injonction de soins, justement ajoutée au projet de loi, est une dimension essentielle. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour que ne soit jamais perdu de vue que ces délinquants, quelle que soit la gravité de leur faute, même réitérée, sont et resteront des êtres humains dont nous devons restaurer la dignité perdue. (Applaudissements à droite et au centre)
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Bien que nous souscrivions à la nécessité de lutter efficacement contre la récidive, nous proposerons de modifier ce texte.
Lors du débat télévisé qui l'a opposé à Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy a évoqué un « taux considérable de récidive en matière sexuelle ». Nous n'avons pas les mêmes chiffres : pour nous, ce taux avoisine les 0,6 % ! Les Français doivent savoir comment vous avez instrumentalisé les statistiques pour les convaincre d'accepter ce projet de loi qui, pour ce qui concerne son objet affiché, ne sera qu'un coup d'épée dans l'eau. Mais il est censé plaire à une opinion publique que vous avez sciemment affolée, en particulier à la suite de l'affaire Cremel.
En jouant comme vous l'avez fait sur le mot récidive, vous avez fait d'une notion juridique un concept-gadget. La récidive légale ne concerne en fait que 2,6 % des crimes et 6,6 % des délits, et ce chiffre baisse régulièrement.
Quant aux peines minimales, elles n'ont jamais dissuadé le délit, pas plus que la peine de mort n'a empêché les crimes. La dissuasion n'est rien, si elle n'est pas accompagnée d'une politique active de prévention et de suivi des condamnés. Des États qui avaient adopté le système des peines minimales I'ont abandonné, du fait de son inefficacité et de son coût.
Ce projet de loi aura un effet désastreux sur le travail des juges, qui seront obligés de motiver chacune de leur décision, le prononcé de la peine prendra bientôt plus de temps que son exécution. (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, s'exclame) Nous allons assister à un engorgement sans précédent des tribunaux. L'atteinte délibérée de ce projet de loi au principe de l'individualisation de la peine va se traduire par un chantage aux responsabilités : si les juges motivent, cela ralentira encore plus les procédures, alors que leur prétendu laxisme est en fait un problème de moyens. La complexité des profils appelle une approche flexible des sanctions. Le délinquant n'est pas un être-type qu'une réponse unique pourrait appréhender. Le pouvoir d'individualisation est l'outil idoine pour cerner au mieux cette variété.
Ce projet aura également un effet immédiat sur Ia population carcérale. En un an les prisons devront accueillir plus de 10 000 personnes.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois - Vous vous contredisez : vous venez de dire que le taux de récidive était faible !
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Ce projet aura également pour effet de focaliser le prononcé de peines d'emprisonnement sur les couches sociales les plus défavorisées : les condamnés ayant le bac et déclarant une profession ont un taux de récidive proche de zéro, les autres de 80 %.
Ceux dont les parents offrent des garanties ou ont des moyens encourront des peines plus légères ou bénéficieront de mesures alternatives. Vous semblez désormais prendre au sérieux votre plaisanterie au sujet de la karchérisation des banlieues, comme si on luttait contre l'exclusion en emprisonnant les exclus. Vous privilégiez les riches et stigmatisez les autres par une justice à deux vitesses. Selon que vous serez puissant ou misérable...
Quelle abdication des principes de la justice des mineurs ! L'atténuation est un principe fondamental de notre droit et l'excuse de minorité doit être la règle et non l'exception. Bientôt, leurs juridictions ne seront plus spéciales, qui diront le même droit que les autres en jugeant les jeunes comme s'ils étaient majeurs, en contravention avec nos engagements internationaux et l'article 37 de la Convention internationale des droits de l'enfant.
Vous ruinez l'économie générale de l'ordonnance de 1945 sans même vous donner les moyens des mesures que vous prônez. Ni bilan ni évaluation ! Vous construisez une maison en commençant par le toit et encouragez les sanctions alternatives en mettant en prison les enfants qui auront volé des bonbons...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Caricature !
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Loin de favoriser la réinsertion, la prison est une école de la délinquance. La récidive est bien plus faible en cas de mesures alternatives.
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Le dernier volet introduit une grave confusion entre délinquance et pathologie, une psychiatrisation de la justice.
M. Jean-Pierre Sueur. - Absolument.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Vous opérez un dangereux transfert de compétences du juge vers le médecin car celui-ci doit intervenir dans le cadre défini par le juge : c'est à ce dernier d'individualiser la peine et au médecin de soigner, quand on a pu en recruter. Or il n'y a aucun bilan de l'existant. Vous greffez un corps étranger sur un corps malade sans diagnostic préalable : le greffon sera rejeté. Mieux vaut soigner les prisons que les remplir à tout prix. Vous ne développerez pas la prévention en oubliant les moyens de la réinsertion. (Applaudissements à gauche)
M. Christian Demuynck. - Je veux vous dire, madame, le plaisir que j'ai à vous voir à ce banc, vous qui avez été auditrice de justice au TGI de Bobigny, où la récidive est un fléau : qui mieux que vous aurait pu élaborer ce texte qui figurait dans les priorités du président de la République ? J'ai été particulièrement sensible à ce qui concerne la lutte contre la récidive des mineurs. En 2004, M. Raffarin m'avait confié une mission sur la violence scolaire. Beaucoup de jeunes manquent de repères par rapport à la norme : il faut qu'ils prennent conscience de la gravité de leurs actes par le biais de la prévention et de la sanction. Tous les chefs d'établissement, tous les éducateurs m'ont assuré que le succès tient à la célérité de la réaction car l'adulte, symbole de l'autorité, est testé en permanence et chaque absence de réaction est une défaite.
Dans mon département, des jeunes, loin de s'enfuir à l'approche des forces de l'ordre, les défient, les agressent parfois. (Mme Borvo Cohen-Seat s'exclame) A Bobigny, vous avez déclaré que chaque infraction appelait une réponse car 70 % des jeunes punis ne récidivent pas.
La récente loi de lutte contre la délinquance a déjà marqué un progrès. Cependant, votre texte est plus qu'utile, indispensable car tous les indicateurs de la délinquance des mineurs sont passés au rouge. N'ont-ils pas perpétré 71 % des actes violents en 2005 contre 52 % en 2002 ? L'excuse de minorité n'est pas étrangère aux 13 899 faits avec violence grave. Lors des émeutes de 2005, 132 mineurs seulement sur 1 650 déférés ont été poursuivis : les juges sont considérés comme des Père Noël...
M. Jacques Mahéas. - C'est insultant !
M. Christian Demuynck. - Allez au TGI de Bobigny et vous entendrez ce que disent les jeunes. (M. Mahéas proteste)
Nos concitoyens ne l'acceptent plus.
M. Jacques Peyrat. - Bien sûr !
M. Christian Demuynck. - Un jeune doit apprendre les limites à respecter et savoir que la récidive est une circonstance aggravante et qui est punie.
M. Christian Cambon. - Absolument !
M. Christian Demuynck. - Je ne demande pas qu'on jette tous les jeunes en prisons mais, à choisir, je préfère une machine à incarcération à une machine laxiste. Si la prison doit rester le dernier recours, la minorité ne doit pas être une excuse dans tous les cas. Il faut qu'un jeune sache qu'une infraction sera punie et que la récidive sera sanctionnée plus lourdement.
Contrairement à ce que prétend la responsable du Syndicat de la magistrature, les prisons n'exploseront pas, même si, il est vrai, elles sont surpeuplées. En revanche, la loi pénitentiaire et la création d'un contrôleur général des prisons contribueront à lever les dernières réticences à votre texte, que je soutiens résolument. (Applaudissements à droite)
M. Jacques Mahéas. - Rappel au règlement : j'ai été choqué que M. Demuynck traite les magistrats de Seine-Saint-Denis de Père Noël. Je lui demande de retirer cette insulte.
M. le président. - Acte vous est donné de cette déclaration.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Ce n'est pas un rappel au règlement, mais une mise en cause personnelle.
M. Jacques Peyrat. - L'esprit vivifie, la lettre tue, écrivait Saint Paul aux Corinthiens. Le président de la République a eu raison, dans son programme, de pointer du doigt le ressenti d'insécurité de notre Nation et de se préoccuper plus précisément de la récidive. Pourquoi pas un jour aussi de la réitération ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Pour toutes les délinquances !
M. Jacques Peyrat. - Dans votre discours, vous avez indiqué, madame la garde des sceaux, que l'objectif, avec ce texte, était « de vivre en bonne intelligence avec les autres ». Tel est bien notre but dans cette assemblée, à gauche comme à droite.
M. Jacques Mahéas. - Parlez pour la droite !
M. Jacques Peyrat. - Mais nous divergeons sur les moyens. Vous avez parlé, madame la ministre, d'une justice ferme. Je ne vois pas, comme d'autres, de volonté de punir selon des normes élaborées par le gouvernement, mais plutôt de punir selon des règles votées par le Parlement, reflets d'aspirations populaires, qui ont déjà porté aux plus hautes fonctions notre nouveau président.
Bien sûr, les précédents gouvernements, approuvés par la représentation nationale, ont essayé d'endiguer la récidive, mais ils n'ont, hélas !, pas réussi.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - D'autant que les lois ne sont pas encore appliquées !
M. Jacques Peyrat. - Il faut bien constater que la récidive continue à augmenter et que vos prédécesseurs, y compris ceux de gauche, se sont fourvoyés.
Dans la petite ville que j'administre... (Rires)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Ne soyez pas modeste !
M. Jacques Peyrat. - Quand on sait qu'il y a en Chine des agglomérations de 15 à 35 millions d'habitants, on se sent bien petit... Dans ma ville donc, comme dans la plupart des autres, plusieurs réalités se télescopent : multiplicité des actes d'incivisme, de vandalisme, de violence, d'agression ; désarroi de notre population qui ne se sent plus protégée et dont la confiance s'effrite ; policiers, gendarmes et gardiens de prison qui se découragent ; coûts des procédures, des éducateurs, des politiques de la ville qui s'accroissent en proportion inverse des résultats obtenus. Et puis, surtout, insupportable pour les victimes est l'impunité dont semblent jouir les malfrats de toute sorte, parmi lesquels ceux que l'on qualifiait naguère de délinquants d'habitude et contre lesquels on avait inventé, en 1970, la tutelle pénale comme substitut à la relégation.
Entre la crise de l'autorité que connaît notre société et une certaine forme de fatalisme face à la délinquance quotidienne, ce n'est pas un luxe de promettre une sanction ferme à tous ceux qui, majeurs et mineurs, croient pouvoir poursuivre leurs exactions délictuelles ou criminelles. Vous avez dit, madame la garde des sceaux, que ce n'est pas affaire de spécialiste, fut-il avocat pénaliste de métier, d'élaborer la loi. Certes, mais je pense, après 35 ans d'exercice professionnel, que le voleur, le violeur, l'assassin, quelles que soient leurs motivations, ont en commun un mépris total de leurs victimes. (Marques d'approbation à droite) C'est d'ailleurs ce qui marque le plus profondément la victime, lorsqu'elle reste en vie, en dehors du poids de la perte, des dégâts ou de l'exaction subie. Voila pourquoi la coercition ferme se justifie.
Ceci m'amène à vous dire mon total respect à l'égard des magistrats auxquels on demande souvent, dans la solitude de leurs responsabilités, d'être tout à la fois juriste, psychologue, sociologue, moraliste, diagnosticien et même éducateur social. Et souffrez, assurée de mon soutien total, que je vous alerte, comme M. Badinter, sur les dangers de ne pas entreprendre rapidement la construction de nouvelles prisons : nos maisons d'arrêt et de détention sont des incubateurs de délinquants professionnels, notamment en raison de la surpopulation carcérale. C'est inacceptable.
Il y a une vingtaine d'années, lors d'une séance de nuit à l'Assemblée nationale, nous étions nombreux à attirer l'attention du gouvernement sur la dégradation funeste de notre univers carcéral. Albin Chalandon, alors garde des sceaux, nous avait fait des propositions originales qui n'ont, hélas !, pas été suivies. Et le problème reste d'actualité, gravissime. Tant qu'il ne sera pas résolu, l'augmentation de la délinquance se poursuivra.
Je vous dis tout cela, madame la ministre, parce que vous êtes magistrat, garde des sceaux, et que vous avez toute ma confiance. (Applaudissements à droite)
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Nous aurons l'occasion de reprendre point par point tous les problèmes évoqués par les orateurs ce matin lors de l'examen des articles. Mais je me réjouis que, dans cette assemblée, nous puissions tous avoir pour objectif commun de lutter, sans dogmatisme, contre la récidive.
M. Carle disait que les mineurs délinquants de 1945 ne ressemblaient en rien à ceux d'aujourd'hui.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Rien n'est pareil !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - La délinquance, nous le savons tous, n'est plus la même. Quand vous visitez des établissements éducatifs fermés, des établissements pour mineurs ou des quartiers pour mineurs, vous vous retrouvez face à des jeunes de 13 à 15 ans qui sont déjà dans la multirécidive et qui ont commis des infractions ou des délits graves. Et que répondre à un jeune de 15 ans qui vous demande s'il est vrai qu'à l'automne, il sera jugé comme un majeur, car sa principale préoccupation est de savoir s'il risque une peine plus élevée ? Notre responsabilité politique consiste à dire que oui, il y aura des peines plus élevées. (« Très bien ! » et applaudissements à droite) Il faut aussi avoir à l'esprit que lorsqu'on parle de primo-délinquant, il s'agit en fait de mineurs jugés pour plusieurs affaires.
A l'heure actuelle, il n'y a pas de politique pénale destinée aux mineurs dans notre pays. Or, chaque infraction appelle une réponse. Non, monsieur Badinter, une sanction n'est pas obligatoirement synonyme d'incarcération, mais elle doit impérativement impliquer une prise en charge des mineurs.
Il s'agit aussi de protéger les victimes : la société a besoin de tranquillité, de sureté. Il ne s'agit pas, madame Boumediene-Thiery, de vols de bonbons, mais de vols à main armée, de braquages, de délinquance sexuelle qui a considérablement augmenté chez les mineurs. Arrêtons l'angélisme : ces violences ne sont pas acceptables. Si nous ne faisons rien, si nous excusons tout, les actes de torture et de barbarie se multiplieront rapidement. Vous savez bien ce qui se passe en Seine-Saint-Denis, département que je connais très bien. (Applaudissements à droite)
La prison peut certes générer la récidive, mais je me veux, avant tout, pragmatique : on ne peut pas laisser les citoyens en danger et les mineurs doivent prendre conscience de la gravité de leurs actes. Ils pensent ne commettre que des bêtises, pas des crimes. Nous leur devons la vérité, d'autant que l'on constate dans la tranche d'âge des 13 à 16 ans une très forte augmentation de la délinquance. Il faut en finir avec une certaine vision angélique de la délinquance des mineurs. (Applaudissements à droite)
Je présenterai le 11 juillet au Conseil des ministres un texte créant un contrôleur indépendant des lieux privatifs de liberté, premier acte de ce gouvernement en faveur des droits fondamentaux des personnes détenues ou retenues.
Je travaille dès à présent à l'élaboration d'une loi pénitentiaire. Si on incarcère, il faut le faire dans la dignité. Or nos prisons ne sont pas aux standards européens, elles sont indignes. Je traiterai des droits élémentaires des détenus, des conditions de travail du personnel pénitentiaire -dont le dévouement constant mérite hommage- de l'éducation, de la formation professionnelle et du travail en prison. Il n'est pas normal qu'un jeune de 16 à 18 ans ne soit soumis à aucune obligation d'activité et dorme toute la journée. Nous avons développé, et nous développerons encore les centres éducatifs fermés, les foyers de placement, les alternatives à l'incarcération, l'aménagement des peines -et nous y mettrons les moyens. J'espère que nous pourrons en débattre sans a priori.
On me dit que ce texte est inutile et dangereux : c'est l'un ou l'autre ! Nous entendons donner aux magistrats les outils dont ils manquent aujourd'hui ...
M. Jean-Pierre Sueur. - Ils les ont déjà !
M. Alain Gournac. - Pas pour les mineurs !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Nous n'avons ni régime pénal adapté à la récidive, ni jurisprudence cohérente en la matière.
M. Jean-Pierre Sueur. - Qu'ont donc fait MM. Perben et Clément ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Je dirai cet après-midi plus précisément en quoi ce texte est un progrès et une innovation. (Applaudissements au centre et à droite)
La discussion générale est close.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°11, présentée par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs (n° 333 rect., 2006-2007) (urgence déclarée).
Mme Josiane Mathon-Poinat. - Le rituel est désormais bien établi : la session extraordinaire est à peine commencée qu'on nous demande de débattre d'une nouvelle réforme du code pénal et de l'ordonnance de 1945. Le thème de la lutte contre la récidive a été ultra-médiatisé par Nicolas Sarkozy pendant la campagne électorale ; il promettait alors des peines automatiques et la suppression de l'excuse de minorité, au prix, s'il le fallait, d'une modification de la Constitution. Le présent texte n'est pas conforme à ces promesses : les peines ne sont plus à proprement parlé automatiques, et la majorité pénale reste, heureusement, à 18 ans. La Constitution n'a plus besoin d'être modifiée, le gouvernement ayant pris de multiples précautions rédactionnelles.
Ce texte n'en porte pas moins atteinte à plusieurs de nos principes constitutionnels ; il inverse notre logique judiciaire et sacrifie la spécificité de la justice des mineurs sur l'autel de la surenchère médiatique. Aux termes de l'article 68 de la Constitution, l'autorité judiciaire est la gardienne des libertés individuelles et assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. Or cet article est bafoué dès lors que le juge devra motiver, non plus la privation de liberté mais le maintien en liberté. On peut s'inquiéter d'un État qui considère la perte de liberté comme un élément mineur ! Certes le juge pourra prononcer, selon des conditions limitativement énumérées, une peine inférieure à la peine minimale encourue ou une peine autre que l'emprisonnement en matière délictuelle par une décision spécialement motivée, mais la liberté d'appréciation du juge est strictement encadrée et bien mince.
Le principe de l'individualisation des peines devient l'exception. En cas de première récidive, le juge peut déroger à la peine minimale si les circonstances de l'infraction, la personnalité de son auteur ou ses garanties d'insertion ou de réinsertion le justifient. En cas de seconde récidive, pour les crimes et les délits les plus graves, le juge ne pourra y déroger que si le prévenu présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion -qui n'existent pas dans notre code pénal. Et si dérogation il y a, obligation lui est faite de prononcer une peine d'emprisonnement. Qui peut penser qu'un multirécidiviste pourra présenter de telles garanties au moment de sa comparution ?
Le Conseil constitutionnel a reconnu le principe de l'individualisation des peines dans sa décision du 22 juillet 2005, ce principe découlant de l'article 8 de la Déclaration de 1789. Il est dangereux de considérer que l'acte est déconnecté de tout, de la vie, de la personnalité de son auteur. Les amendements de la commission des lois traduisent le trouble ressenti par beaucoup. J'ajoute que le Conseil de l'Europe a recommandé que les condamnations antérieures ne soient pas considérées comme des facteurs aggravants et que la peine soit proportionnelle à la gravité de l'infraction en cours de jugement. L'individualisation de la peine vaut a fortiori pour les mineurs, qui impose de tenir compte de l'évolution personnelle des adolescents en cause. Leur appliquer des peines plancher, c'est admettre leur exclusion.
La rupture est encore plus flagrante si l'on s'attache à la justice des mineurs. Au prétexte que l'ordonnance de 1945 est désuète, alors qu'elle a été modifiée plus de vingt fois, au prétexte que la délinquance est plus précoce et plus violente, on veut la réformer une nouvelle fois. Mais la spécificité de la justice des mineurs ne date pas de 1945 : le Conseil constitutionnel , dans sa décision du 29 août 2002, notait que « l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle ; que ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante ».
Ce texte est en totale contradiction avec ces principes ; à 16 ans, un mineur pourra être jugé comme un majeur dès la deuxième récidive, et le juge devra motiver l'atténuation de responsabilité, donc la soumission du mineur à une législation qui lui est pourtant spécifique.
Cette disposition sous-entend qu'un enfant de 16 ans n'est plus considéré comme un mineur sur le plan pénal. Pourtant, l'âge de la majorité civile en France reste fixé à 18 ans. Le projet de loi ne semble respecter ni nos exigences constitutionnelles, ni la Convention internationale des droits de l'enfant qui, dans son article premier prévoit qu'« un enfant s'entend de tout être humain âgé de moins de 18 ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ». Partout ou presque en Europe, l'âge de la majorité pénale est de 18 ans ; plusieurs pays étendent même le régime des mineurs jusqu'à 21 ans.
La Convention internationale des droits de l'enfant, dans son article 40, précise que « tout enfant suspecté, accusé ou convaincu d'infraction à la loi pénale a droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle, qui renforce son respect pour les droits de l'homme et les libertés fondamentales d'autrui, et qui tienne compte de son âge ainsi que de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci ».
Cela n'empêche pas les exceptions. Le juge, avant la modification de l'article 20-2 de l'ordonnance de 1945, pouvait écarter l'atténuation de responsabilité. La modification que vous introduisez ici est donc inutile, voire dangereuse : elle met en cause les principes fondamentaux régissant le droit pénal des mineurs. Mme Versini elle-même s'en est émue qui demande, dans un communiqué du 27 mai, le maintien des dispositions actuelles « qui permettent au juge de décider au cas par cas d'écarter l'excuse atténuante de minorité en fonction de la gravité des faits et de la personnalité du mineur. »
D'autres dispositions encore revêtent un caractère anticonstitutionnel. L'article 3 prévoit que les peines automatiques seront de plein droit applicables aux mineurs. Ce n'est pas la première fois, hélas, que le gouvernement et sa majorité décident d'appliquer aux mineurs les mêmes dispositions qu'aux majeurs. Ainsi, la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales est applicable aux mineurs. Autre exemple de cette assimilation insidieuse, la procédure de jugement à délai rapproché, en tout point semblable à la comparution immédiate.
L'application de plein droit des peines minimales aux mineurs efface un peu plus la spécificité de la justice des mineurs, contrevenant par là à la décision du Conseil constitutionnel du 29 août 2002. Les procédures applicables aux mineurs ne sont plus qu'un ersatz de celles qui s'appliquent aux majeurs. Parce qu'elles favoriseront, Mme Borvo Cohen-Seat l'a rappelé, leur incarcération, elles dérogent au devoir éducatif et moral qui est le nôtre envers les enfants délinquants. Le projet de construction de 420 places dans sept nouveaux établissements pénitentiaires pour mineurs témoigne assez de vos intentions.
L'arsenal répressif que vous préparez, contraire non seulement à la Constitution, l'est aussi à la Convention internationale des droits de l'enfant, dont l'article 37 stipule que la détention ou l'emprisonnement d'un enfant ne peut être « qu'une mesure de dernier ressort et d'une durée aussi brève que possible ». La France s'éloigne toujours plus de cet engagement. Le comité des droits de l'enfant l'a souligné à plusieurs reprises. Dans un communiqué du 4 juin 2004, il réitère ses préoccupations quant à la tendance de notre pays à « favoriser les mesures répressives au détriment des mesures éducatives ».
Mais pour cette majorité, le respect des engagements internationaux ne compte pas plus que celui de nos principes constitutionnels. Le gouvernement ignore les recommandations des professionnels de terrain et des magistrats, qui répètent que les peines minimales n'auront pas plus d'effet dissuasif sur les mineurs que sur les majeurs et rappellent que l'incarcération crée plus de récidive qu'elle n'en prévient -les chiffres parlent d'eux-mêmes. Les choix idéologiques pèsent désormais plus lourd que la réalité des faits et que les droits de nos concitoyens. C'est pourquoi je vous invite à voter en faveur de cette motion. (Applaudissements à gauche)
M. François Zocchetto, rapporteur. - Les précautions oratoires qui ont été les vôtres -« il semble que », « il se pourrait que », « ceci est susceptible de »- montrent assez le manque de précision de votre analyse juridique d'inconstitutionnalité.
Vous évoquez la personnalisation des peines et l'atténuation de la responsabilité pour les mineurs. Ces deux points ont retenu toute notre attention, et les auditions que nous avons conduites m'ont convaincu, avec une majorité de la commission, que les principes constitutionnels étaient respectés.
Le principe d'individualisation des peines, de valeur constitutionnelle, interdit certes les peines automatiques. Mais nous n'y sommes pas.
Mme Josiane Mathon-Poinat. - C'est pourtant ce qui est affiché.
M. François Zocchetto, rapporteur. - De surcroît, ce principe ne revêt pas une valeur absolue ; il doit se concilier avec d'autres principes, dont celui qui veut que tous les citoyens vivent en France dans un environnement sûr et tranquille. J'ajoute que le texte conserve au juge sa liberté d'appréciation.
S'agissant de la justice des mineurs, les principes de l'ordonnance de 1945 ne sont pas remis en cause. La majorité pénale demeure fixée à 18 ans. Le principe d'atténuation de la responsabilité reste entier. Enfin, le principe de juridiction spécialisée pour les mineurs est maintenu.
La commission est donc défavorable à l'adoption de cette motion.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Même avis que celui que vient d'exprimer le rapporteur.
La motion n° 11, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, n'est pas adoptée.
La séance est suspendue à 13 h 10.
La séance est reprise à 15 h 30.
présidence de M. Guy Fischer,vice-président
M. le président. - Le président du Sénat a reçu de M. Roger Beauvois, président du conseil d'administration du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le rapport annuel d'activité de cet organisme qui sera transmis à la commission des affaires sociales.
Il a également reçu de M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, le rapport annuel pour 2006 de la commission bancaire qui sera transmis à la commission des finances.
Il a enfin reçu de M. Paul Champsaur, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, le rapport d'activité pour 2006 de cet organisme qui sera transmis à la commission des affaires culturelles et à celle des affaires économiques.
Avis des assemblées territoriales
M. le président. - Le président du Sénat a reçu par lettre en date du 19 juin 2007 les rapports et avis de l'Assemblée de la Polynésie française sur le projet de loi autorisant la ratification de l'acte portant révision de la convention sur la délivrance des brevets européens ; le projet de loi autorisant la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains ; et, enfin, le projet de loi autorisant la ratification de la convention relative à l'adhésion des nouveaux États membres de l'Union européenne à la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles.
Acte est donné de ces communications.
Déclaration d'urgence (Dialogue social)
M. le président. - Par lettre en date du 5 juillet 2007, le Premier ministre a fait connaître au président du Sénat, qu'en application de l'article 45, deuxième alinéa, de la Constitution, le gouvernement déclare l'urgence sur le projet de loi relatif au dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.
Déclaration d'urgence (Universités)
M. le président. - Par lettre en date du 5 juillet 2007, le Premier ministre a fait connaître au président du Sénat, qu'en application de l'article 45, deuxième alinéa, de la Constitution, le gouvernement déclare l'urgence sur le projet de loi relatif aux libertés des universités.
Récidive des majeurs et des mineurs
(Urgence)
(Suite)
M. le président. - Nous reprenons la discussion du projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.
Question préalable
M. le président. - Motion n° 50, présentée par M. Mermaz et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, tendant à opposer la question préalable.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des mineurs et des majeurs (n° 333 rect., 2006-2007) (urgence déclarée).
M. Louis Mermaz. - Depuis cinq ans, la délinquance ne cesse d'augmenter et les violences aux personnes, les plus graves, ont fait un bond spectaculaire. Cette situation est le résultat de l'absence de politique pour soigner ce mal. En France, il existe aujourd'hui des secteurs de non-droit où la vie est insupportable. Il faut rendre hommage à tous ceux qui n'ont pas déserté ces territoires et s'obstinent à assurer leur mission de service public dans des conditions de plus en plus rudes. (MM. Charles Gautier et Mahéas le confirment)
A mon sens, le pouvoir a tout fait à l'envers depuis 2002. Il a supprimé les emploi-jeunes dans l'enseignement. Il a détruit la police de proximité par idéologie et lancé des opérations coups de poing contre lesquelles les syndicats de police se sont d'ailleurs élevés. La multiplication des contrôles au faciès, les actions intempestives et certains amalgames scandaleux ont suscité l'exaspération dans de nombreux quartiers. Depuis cinq ans, l'on a demandé au Parlement de voter sept lois destinées à enrayer la délinquance. Pourquoi un nouveau texte alors que la loi du 12 décembre 2005 sur la récidive des infractions pénales attend toujours son étude d'impact et que les décrets de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance n'ont pas été publiés ? Mais faut-il vraiment se plaindre que cette panoplie inefficace et dangereuse ne soit pas encore applicable ? De même, depuis 2002, le pouvoir a révisé par quatre fois l'ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs, calculant avec cynisme que l'opinion attache plus de prix à la répression qu'à la prévention et à la réinsertion.
Aujourd'hui, les dégâts sont considérables. Mais le nouveau gouvernement, aussitôt mis en place, persévère dans cette voie sans issue. Avec ce texte, vous entendez vous défausser sur l'institution judiciaire, parent pauvre de notre République, au risque que la situation aille de mal en pis.
Ainsi, selon le chercheur au CNRS Pierre Tournier, l'établissement des peines plancher aura pour conséquence 10 000 détenus supplémentaires, alors que le taux d'occupation dans les maisons d'arrêt atteint déjà 150 %, voire 200 %, et que l'état des prisons est unanimement dénoncé.
De même, la plupart de ces peines minimales obligatoires ne pourront pas être aménagées de manière rapide puisque pour bénéficier d'une mesure de semi-liberté, de placement à l'extérieur ou sous surveillance électronique, le reliquat de peine restant à purger doit être inférieur à un an. Et la liberté conditionnelle, en cas de récidive, ne pourra intervenir qu'à deux-tiers de la peine, et non à mi-peine.
Par conséquent, nous allons assister à un accroissement de l'emprisonnement des mineurs.
Monsieur le président, puis-je faire un rappel au Règlement ?
M. le président. - C'est sans doute pour qu'on prête plus d'attention à vos propos.
M. Jacques Mahéas. - Nous les socialistes, nous sommes attentifs !
M. Louis Mermaz. - Si Mme la garde des sceaux et ses conseillers viennent dans l'hémicycle pour discuter entre eux... (Protestations à droite)
M. Jean-Luc Miraux. - C'est mesquin !
M. Louis Mermaz. - Les ministres des gouvernements Raffarin et de Villepin se montraient plus courtois.
Ce texte va conduire à une augmentation du taux d'incarcération des mineurs, disais-je, lequel n'a cessé de progresser. Bien que l'on connaisse l'effet criminogène de la prison et que certains États des États-Unis, pourtant répressifs en diable, constatent que le taux de récidive progresse à mesure de celui d'emprisonnement, vous privilégiez les peines d'emprisonnement au détriment des peines alternatives.
Ne faudrait-il pas s'attaquer aux causes du mal en reconnaissant que cette politique du tout-répressif a échoué ? En amont de la répression, nécessaire dans certaines circonstances -nul ne le conteste-, se situe la prévention ; et, en aval, l'insertion et la réinsertion, aussi difficiles et coûteuses soient-elles. Pour soigner le mal, il faut le comprendre. Il faut traiter la délinquance pour guérir, et non pour venger.
M. Jacques Mahéas. - Très bien !
M. Louis Mermaz. - Ce texte vise un effet d'affichage : en témoignent les déclarations de l'ancien ministre de l'intérieur contre le laxisme des magistrats, notamment des juges pour enfants. De surcroît, il peut se révéler dangereux. Personne ne conteste le droit de la société de punir les crimes et délits graves.
S'il se produit des crimes d'une exceptionnelle gravité qui doivent être sévèrement punis, il faut se garder des généralisations abusives, en jetant la suspicion sur la liberté d'appréciation des magistrats, voire en les soumettant au chantage d'une partie de l'opinion publique, aux pressions éventuelles de leur hiérarchie ou encore en leur imposant des conditions d'exercice encore plus difficiles lorsqu'il agit de rédiger leurs jugements, avec le manque de moyens et de temps que l'on sait.
Oui ! On retrouve ici la question lancinante du manque de moyens dont vous ne portez pas la responsabilité, puisque vous arrivez, mais dont vous devez tenir compte tant que vous n'aurez pas réussi à redresser la situation.
Considérons aujourd'hui le manque de personnel et parfois de matériel dans les greffes, la lenteur inacceptable, là aussi faute de moyens, dans la mise en oeuvre des mesures éducatives pourtant décidées par le juge dès la première présentation en attendant qu'intervienne le jugement au fond. Ce n'est pas la justice des mineurs qui est absente au rendez-vous, mais bien les gouvernements qui se sont succédé depuis 2002.
Le dispositif combiné des peines plancher avec l'abaissement de l'âge où intervient l'excuse de minorité risque à coup sûr d'enfermer le juge dans un carcan, de le transformer en distributeur automatique de peines. Il pourra toujours, direz-vous, motiver un jugement plus clément, prenant en compte la personnalité, le parcours du jeune lors d'une première récidive ? les conditions exceptionnelles de réinsertion lors d'une seconde. Encore une fois aura-t-il le temps d'apporter à son jugement les motivations exigées, par exemple lors des comparutions immédiates rendues plus fréquentes depuis la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance ?
Pour ce qui est des peines plancher, vos prédécesseurs s'y sont toujours opposés. Le 10 novembre 2006 le Premier ministre Villepin disait quant à lui : « Faut-il aller jusqu'aux peines plancher ? Je ne le crois pas. Pour qu'une peine soit efficace, il faut qu'elle soit personnalisée ». Un parlementaire de l'UMP, M. Jean-Luc Warsmann déclarait déjà devant la commission des lois en décembre 2004 : « Les peines plancher sont une inspiration du droit anglo-saxon. Les instaurer reviendrait à bouleverser la philosophie du droit français, remettrait en cause l'individualisation des peines. Et ça, nous ne le souhaitons à aucun prix ». Le code pénal en vigueur au 1er mars 1994 avait supprimé la notion même de minimum de la peine, préférant fixer plutôt un maximum.
Enfin est-il juste d'abaisser l'âge de l'excuse de minorité quand tant de jeunes enfants ou adolescents, faute de discernement, sont soumis à la contrainte et à la manipulation de leurs aînés dans divers trafics ?
Tous les actes européens et internationaux auxquels la France a adhéré entraînent des règles qui revêtent une force juridique supérieure à notre droit interne et s'imposent donc au législateur. Il en résulte que l'enfermement des mineurs doit être l'exception, alors que vous allez accentuer par votre texte la tendance manifestée depuis 2002 à donner la préférence à l'emprisonnement sur toute autre mesure. Vous tendez à ignorer que le jeune, même âgé de 16 à 18 ans, n'est pas un adulte. Il est en construction. Telle est la philosophie de l'ordonnance de 1945 prise après une longue période de barbarie. Cette ordonnance affirme à juste titre que la France a besoin de tous ses enfants. Pourquoi abaisser en fait l'âge de la majorité pénale, alors que les jeunes accèdent de plus en plus tard à une véritable autonomie ? Le comité des ministres du Conseil de l'Europe a adopté en 2003 une recommandation qui prévoit même des procédures adaptées aux jeunes majeurs afin de tenir compte de cette période de transition qui précède l'âge adulte. Ainsi, la France agirait, avec cette loi, à contre-courant d'une évolution humaniste et intelligente, même si aujourd'hui, certains pays de l'Union européenne cèdent à la tentation du tout répressif.
Mais plutôt que d'empiler les textes répressifs les uns sur les autres, il conviendrait de donner à la justice et à la société les moyens nécessaires pour prévenir le mal et le réduire, quand il est déjà là. Nous attendons impatiemment de connaître le budget de la justice de 2008 et les moyens qui seront alloués à la police dans les quartiers, à la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi qu'aux éducateurs et aux services médicaux de l'éducation nationale menacée, au demeurant, par des milliers de suppressions d'emploi. Nous attendons de connaître les moyens qui seront donnés aux greffes, aux magistrats, aux fonctionnaires des tribunaux et à l'administration pénitentiaire. Nous souhaitons enfin que lors de la révision de la carte judiciaire vous ayez le souci de ne pas éloigner la justice du justiciable et que rien ne soit entrepris sans une concertation sérieuse.
Prenons conscience de tout ce qui reste à faire pour que la situation dans les prisons soit décente, qu'elle ne soit plus l'objet des critiques des institutions européennes. N'oublions pas non plus l'état de la société, le creusement des inégalités de toute sorte, que la politique du nouveau gouvernement -du bouclier fiscal à la TVA sociale- ne fera qu'aggraver. Le vote de la question préalable permettrait d'opposer à ce projet de loi des propositions d'une autre nature et d'une autre portée. Il nous faut d'abord connaître les moyens qui seront alloués à l'intérieur et à la justice. Il faut ne pas réduire arbitrairement le nombre d'enseignants, mais consacrer davantage de moyens aux établissements scolaires des quartiers en difficulté. Il faut revenir aux emplois jeunes dans ceux-là, rétablir la police de proximité, doter la protection judiciaire de la jeunesse des moyens à hauteur des besoins, revoir de fond en comble notre politique pénitentiaire et, là aussi, prévoir les moyens nécessaires. Nous aurions préféré en effet vous voir venir devant nous pour défendre un projet de loi pénitentiaire et proposer la création d'un contrôleur des prisons. Autant de décisions politiques qui auraient traité efficacement la délinquance et auxquelles ce projet de loi tourne le dos.
C'est pour toutes ces raisons que je vous demande de bien vouloir voter la question préalable. (Applaudissements à gauche)
M. Alain Gournac. - Il y a eu des élections !
M. François Zocchetto, rapporteur. - Après vous avoir entendu, Monsieur Mermaz, je suis encore plus convaincu de la nécessité de débattre de la récidive. Votre discours, argumenté, prouve qu'il y a matière à discuter et nous serions déçus de devoir arrêter là le débat. C'est pourquoi la commission est opposée à cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements à droite)
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Je suis tout à fait d'accord avec le rapporteur sur la nécessité du débat. Avis défavorable. (« Très bien ! » à droite)
La motion n° 50 n'est pas adoptée.
M. le président. - Motion n° 51, présentée par M. Collombat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs (333 rect., 2006-2007) (urgence déclarée).
M. Pierre-Yves Collombat. - Vouloir honorer une promesse électorale suffit-il à justifier cette contribution à l'inflation législative, à l'alignement de la justice des mineurs sur celle des majeurs ? A prendre le risque d'envoyer toujours plus d'hommes et de femmes en prison?
La réponse sera oui, s'il ne s'agit pas du énième ravaudage du code pénal en cinq ans, mais d'un texte cohérent et complet dont on puisse raisonnablement espérer qu'il résistera au prochain fait sanglant. Oui, s'il a de bonnes chances d'être efficace et si ses effets secondaires ne le rendent pas plus délétère que le mal qu'il combat. C'est pour répondre à ces questions complexes qu'un retour en commission est nécessaire.
Ce texte est-il cohérent et complet ? Aborde-t-il la délinquance et la récidive dans leur complexité, en tout cas suffisamment pour qu'on n'y revienne pas avant la prochaine élection présidentielle ? Les conditions de sa fabrication en font douter fortement.
D'abord quatre articles créant les peines plancher et supprimant, dans certaines conditions, l'atténuation de peines pour les mineurs. Puis, après passage express en conseil des ministres, six articles qui n'ont rien à voir... Comment tout cela s'articule-t-il avec les lois précédentes, notamment avec la loi Perben II qui, pour favoriser la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention prévoit que : « l'individualisation des peines chaque fois que cela est possible, doit permettre le retour progressif à la liberté et éviter ainsi une remise en liberté sans aucun suivi judiciaire » ? « L'efficacité de l'action contre la récidive passe aussi par une meilleure exécution des décisions de justice ainsi que par un effort accru en faveur de la réinsertion ». Nulle trace de ce souci dans le présent texte, d'inspiration totalement opposée.
Ce projet est « déraisonnable » nous dit le président de la chambre des mineurs de la cour d'appel de Paris, Philippe Chaillon dans Libération. Il aboutit à ce que des délits mineurs commis en récidive soient plus sanctionnés que des délits graves commis une première fois. Exemple : « S'il s'agit d'une troisième infraction, un mineur de 16 ans et quelques jours qui, dans le RER, aura dérobé à un autre jeune de son lycée, en compagnie d'un camarade, se verra obligatoirement condamné à un minimum d'emprisonnement de 4 ans et encourra un maximum de vingt ans d'emprisonnement » Ce même mineur de 16 ans pour un viol commis en première infraction ne sera pas soumis à une peine plancher et encourra une peine maximum de 7 ans et demi d'emprisonnement.
L'erreur consiste, une fois de plus, à traiter la récidive comme un phénomène auquel s'appliqueraient des solutions générales. Or, les formes et les mécanismes déclenchant la récidive sont très divers. Quel rapport entre le type de récidive que je viens d'évoquer, la récidive massive des jeunes de 18 à 20 ans condamnés pour vol avec violence, et celle des criminels de sang ou celle des délinquants sexuels ? Quel rapport entre des délits qui sont avant tout une activité économique et les violences initiatiques de bandes de jeunes ? Parler de délinquance sexuelle en général, a-t-il même un sens ? Les spécialistes comme Xavier Lameyre, en doutent. Manifestement voici donc un texte de circonstance qui en appellera d'autres. Sera-t-il une réponse efficace à la délinquance et à la récidive ? La « commission de suivi de la récidive », mise en place par votre prédécesseur, madame la ministre, aurait pu le dire Mais, on n'a vraiment pas de chance. En décembre 2005, en mars 2007 encore, la commission n'avait pas pu nous éclairer. Aujourd'hui que son rapport existe, c'est seulement sous forme de fuites dans la presse.
Est-ce parce que s'y expriment des doutes sur l'efficacité des peines plancher que vous gardez ce rapport sous votre coude, madame la ministre ? Il rappelle en effet que ces peines ont existé en France et ont été abandonnées. Il conclut également que les analyses des expériences étrangères et notamment anglo-saxonnes font apparaître que rien ne démontre l'efficacité de ces mesures et même qu'elles entraînent une augmentation de la récidive, en particulier de ces faits de violence grave commis par des mineurs.
Est-ce un problème d'information ? Être pragmatique, ce serait tenir compte de ces études. Le bon sens commande : « dans le doute abstiens-toi ! ». Aujourd'hui, c'est l'adage « dans le doute, ne t'abstiens pas ! » qui s'applique ! Le principe de précaution, désormais inscrit dans notre Constitution, vaut pour l'environnement. Vous avez dit, madame la ministre, qu'il valait aussi pour les victimes. Mais apparemment, il ne s'applique ni aux adolescents, ni aux innocents injustement condamnés.
Je l'ai dit, plusieurs études enregistrent même une augmentation de la récidive en particulier des mineurs qui ont commis des faits de violence grave. Les conclusions des travaux du chercheur Pierre Tournier sont connues : elles montrent que l'usage extensif de lourdes peines de prison n'est pas efficace. Et d'ajouter : « à une exception près, le taux de nouvelle condamnation ou les taux (plus restrictifs) de nouvelle condamnation à l'emprisonnement ferme sont plus élevés après la prison qu'après le prononcé d'une peine alternative ».
On entend aussi exercer un effet dissuasif sur les délinquants d'habitude. Mais on nous cite une étude établissant que les lois sur les peines minimales dissuadent davantage les délinquants occasionnels que les délinquants d'habitude.
« La loi sur la récidive sera contre-productive » : tel est le titre d'un article de Sébastian Roché, recensant les études étrangères les plus sérieuses sur le sujet, qui montre qu'il n'y a pas de rapport entre la sévérité des peines infligées et l'effet recherché sur la délinquance. Il ajoute que les études disponibles sur le transfert des mineurs vers une cour pour adultes ne montrent aucun effet positif. Ce que confirme l'exemple de la Grande-Bretagne -selon un article paru il y a deux jours dans Le Monde- où la quasi-suppression du traitement spécifique des mineurs n'a donné aucun résultat.
Alourdir les peines, traiter les mineurs comme les majeurs, n'entraîne donc aucune amélioration en matière de délinquance et de récidive, bien au contraire.
Mais que pèsent ces études objectives face aux promesses électorales ?
Que pèsent nos pauvres raisons et nos rêves de civilisation face à l'inconscient et à la part la plus archaïque de l'homme à laquelle on s'adresse ici ? (Protestations sur les bancs UMP)
M. Alain Gournac. - Et la démocratie ?
M. Dominique Braye. - Merci pour 53 % des électeurs.
M. Pierre-Yves Collombat. - Vous ne vous adressez pas, que je sache, aux seuls 53 % des électeurs qui ont voté pour vous, mais à l'ensemble de nos concitoyens !
Que pèsent les dégâts collatéraux probables de ce texte inefficace ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois - Même Ségolène est pour la sécurité !
M. Pierre-Yves Collombat. - Outre la probabilité d'accroître la récidive des délinquants qui posent le plus de problèmes et de briser un peu plus les innocents injustement embastillés...
MM. Dominique Braye et Alain Gournac. - Et les victimes ?
M. Christian Cointat. - Pas un mot pour elles.
M. Pierre-Yves Collombat. - ... les effets secondaires de ce texte méritent qu'on s'y arrête... (Protestations à droite)
MM. Dominique Braye et Alain Gournac. - Nous avons été élus !
M. Jacques Mahéas. - Les résultats des législatives sont mitigés !
M. Pierre-Yves Collombat. - Augmentation de la population carcérale, découragement la magistrature, augmentation de la confusion entre le médical et le judiciaire...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois - Vous l'avez déjà dit !
M. Alain Gournac. - Vous ne parlez jamais des victimes !
M. Dominique Braye. - Pas un mot !
M. Pierre-Yves Collombat. - Le texte élargit encore le champ de l'obligation du suivi médical et judiciaire, avant même de disposer d'une seule étude prouvant son efficacité. Ceux qui y sont soumis devront accepter l'injonction de soins dans la quasi-totalité des cas. Mais comment généraliser cette injonction, alors qu'on manque de 800 postes de personnel soignant en prison, qu'un TGI sur deux ne dispose pas de médecin coordonnateur, qu'il est si difficile de trouver des experts psychiatres, que le secteur privé se désintéresse de la prise en charge des condamnés, et que le secteur public est débordé ? Telle est la situation !
Rendre obligatoires des peines dont on sait qu'elles ne seront pas appliquées, cela a-t-il un sens ?
La population carcérale a explosé dans les pays qui ont appliqué la politique que vous voulez acclimater en France. Comment penser que les mêmes causes ne produiront pas les mêmes effets ? D'autant que la loi s'appliquera aussi aux petits délits et non pas seulement aux plus grands crimes. Déjà, ces cinq dernières années, la population carcérale a augmenté de 20 %. La seule chose qu'on ignore avec ce texte, c'est combien il créera de prisonniers en plus : 2000, 4000, 10 000 par an ?
Le découragement de la magistrature a déjà été évoqué. Comment des magistrats qui tiennent ce texte pour une manifestation de défiance pourront-ils rendre une bonne justice ?
Vous avez dit, madame la ministre, que la fonction première de la loi pénale est d'être dissuasive. Vous parlez d'or. Mais tout le problème est de savoir comment y parvenir. Certainement pas, en tout cas, en transformant les juges en distributeurs de peines de plus en plus lourdes, en dispensateurs de « renforçateurs négatifs » pour utiliser le jargon béhavioriste, de médicaments obligatoires par personnel soignant requis interposé !
La justice républicaine n'est pas réductible à une ingénierie sociale. Le sentiment que rien n'est définitif dans l'humain, avec ses incertitudes, ces échecs, mais aussi sa capacité à se relever, y tient un rôle central, avant le jugement, pendant l'accomplissement de la peine, et après.
Mardi, dans la péroraison de sa déclaration de politique générale, le premier ministre évoquait ces grandes figures qui, pour le monde, sont le visage de la France : Voltaire, Rousseau, Clemenceau, Gambetta et Victor Hugo.
M. Dominique Braye. - Excellentes références !
M. Pierre-Yves Collombat. - Attendez ! Visiblement, c'est plus pour la sonorité de ces noms, pas pour le message auquel ils renvoient ! Ainsi, pour un lecteur de Hugo, l'archétype du récidiviste, c'est Jean Valjean, ramené par les gendarmes, devant son bienfaiteur, Mgr Bienvenu, qu'il vient de voler et qui, loin de le dénoncer, lui tient ce langage : « n'oubliez pas, n'oubliez jamais que vous m'avez promis d'employer cet argent à devenir honnête homme (...) Jean Valjean, mon frère, vous n'appartenez plus au Mal, mais au Bien. C'est votre âme que je vous achète, je la retire aux pensées noires et à l'esprit de perdition, et je la donne à Dieu. »
Le premier ministre a raison : la France de Victor Hugo a de l'allure. Une autre allure que la France du ressentiment. (Applaudissements à gauche)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois - Hélas ! Je n'ai trouvé aucun argument, dans votre intervention si littéraire, pour motiver le renvoi en commission. Dois-je rappeler que la commission a procédé à pas moins de 25 auditions...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - ...qui n'allaient pas dans le bon sens, c'est-à-dire pas dans le sens du gouvernement ! (M. Gournac proteste)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois - nous avons entendu les auteurs des études que vous avez citées, les spécialistes, mais nous n'avons pas à les suivre ! Jusqu'à nouvel ordre, c'est le Parlement qui fait la loi et non pas les lobbies ! (On approuve vivement à droite) Nous avons entendu, notamment, M. Robert, président de la commission de suivi de la récidive, nous avons entendu les objections que vous avez soulevées, nous sommes donc parfaitement en mesure de délibérer ! (« Très bien ! » et applaudissements à droite)
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - La société française a bien changé depuis Victor Hugo ! Je vous invite à voter contre cette motion.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est ici, sur ces bancs, que siégeait Victor Hugo !
La motion n° 51 n'est pas adoptée.
M. Alain Gournac - Faites entrer Jean Valjean !
M. le Président Amendement n° 28, présenté par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Le garde des sceaux présente chaque année au Parlement, un rapport sur la situation dans les établissements pénitentiaires. Il rend compte du nombre des détenus au regard des places disponibles, de l'état des locaux, des conditions d'encellulement et de la situation sanitaire des détenus. Il rend compte également des mesures prises pour que les peines remplissent leurs missions : favoriser, dans le respect de la société et des droits des victimes, l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive.
M. Jean-Pierre Sueur. - Madame la ministre, vous avez vous-même souligné combien les conditions de détention sont à reconsidérer aujourd'hui ; si nous voulons lutter efficacement contre la récidive, il faut en effet s'assurer que la détention se fasse dans d'autres conditions et surtout que les moyens existent afin que le séjour en détention soit l'occasion de préparer la sortie.
Si l'on ne se soucie pas de réinsertion sociale et professionnelle, on favorise la récidive.
Nous aurions souhaité que les choses soient prises dans le bon ordre : d'abord un texte sur les moyens pénitentiaires, puis sur les moyens de la justice, avant d'éventuelles mesures spécifiques. A défaut, nous espérons pour le moins que vous souscrirez à cet amendement d'appel, qui propose que le gouvernement présente chaque année un rapport au Parlement sur la situation des établissements pénitentiaires.
M. Jacques Mahéas. - Très bien !
M. François Zocchetto, rapporteur. - C'est une bonne idée, mais qui trouvera davantage sa place dans le cadre de la loi pénitentiaire annoncée pour l'automne. Retrait.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Rendre compte de l'état des prisons sera la mission du futur contrôleur indépendant. Je rappelle au passage que, contrairement aux gouvernements de gauche, le dernier gouvernement a consenti un effort sans précédent en matière de création de places, notamment pour les mineurs, y compris dans des centre éducatifs fermés. Avis défavorable.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je soutiens cet amendement, car ce texte aura pour première conséquence d'augmenter le nombre de personnes emprisonnées. Vous n'êtes pas la première à nous promettre une grande loi pénitentiaire ; nous sommes échaudés... Les rapports de 2000 sur la situation pénitentiaire ne préconisent pas uniquement une augmentation du nombre de places ! Quid des résultats de la hausse permanente du nombre de détenus, des conditions de détention, de la question oubliée de la réinsertion ? L'urgence, c'est que nous puissions disposer d'une information régulière.
M. Louis Mermaz. - Je m'étonne que cet amendement puisse poser problème : il est au coeur du sujet. En quoi peut-il gêner la suite des opérations ? Nous attendons avec impatience le projet de loi pénitentiaire et la création du contrôleur général des prisons, mais un tiens vaut mieux que deux tu l'auras... J'avais interpellé votre prédécesseur, M. Clément, sur l'état de la prison Saint-Paul Saint-Joseph de Lyon, où j'avais croisé des cohortes de rats : il m'avait répondu, à la tribune du Sénat, qu'il n'osait pas y aller lui-même !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Qu'il y aille un peu, pour voir !
M. Jacques Mahéas. - Nous souhaitons ardemment disposer d'informations sur la récidive. L'Observatoire national de la délinquance (OND), dont je suis membre -et où les parlementaires sont fort peu représentés- n'a pas été en mesure de jouer ce rôle, voulu par M. Sarkozy, faute d'éléments. Pour étudier ces questions avec impartialité -qualité qui n'a pas caractérisé son président pendant la campagne présidentielle-, il lui faut disposer d'un rapport.
On apprendrait ainsi que, si les pourcentages peuvent impressionner, le nombre de cas est infime : pour les crimes, la récidive ne concernait que deux mineurs ! Le Parlement doit être informé, comme l'a promis le président de la République, directement ou via l'OND. Je ne comprends pas que vous ne répondiez pas à cette attente.
M. Dominique Braye. - Les conditions de détention doivent être améliorées, chacun en convient. L'amendement de M. Sueur est tout à fait pertinent, mais il faudrait étudier l'évolution depuis 1981 !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Oh !
M. Dominique Braye. - Le gouvernement sortant a consenti un effort sans précédent. La Communauté d'agglomération de Mantes, en Yvelines, que je préside, s'apprête ainsi à créer un établissement pour mineurs, où les jeunes seront séparés des adultes.
Un tel rapport serait un bon aiguillon pour le gouvernement. Toutefois, l'amendement n'a pas sa place ici.
M. Jacques Mahéas. - Sarkozy ne va pas être content !
M. Pierre-Yves Collombat. - Le nombre de places a certes augmenté depuis 2002, mais pas aussi vite que le nombre de détenus ! Faut-il vraiment s'en féliciter?
M. Dominique Braye. - Il faut laisser les délinquants en liberté, alors !
L'amendement n°28 n'est pas adopté.
CHAPITRE IER
Disposition relatives aux peines minimales et à l'atténuation des peines applicables aux mineurs
Article 1er
Après l'article 132-18 du code pénal, il est inséré un article 13-18-1 ainsi rédigé :
« Art. 132-18-1. - Pour les crimes commis en état de récidive légale, la peine d'emprisonnement, de réclusion ou de détention ne peut être inférieure aux seuils suivants :
« 1° Cinq ans, si le crime est puni de quinze ans de réclusion ou de détention ;
« 2° Sept ans, si le crime est puni de vingt ans de réclusion ou de détention ;
« 3° Dix ans, si le crime est puni de trente ans de réclusion ou de détention ;
« 4° Quinze ans, si le crime est puni de la réclusion ou de la détention à perpétuité.
« Toutefois, la juridiction peut prononcer une peine inférieure à ces seuils en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
« Lorsqu'un crime est commis une nouvelle fois en état de récidive légale, la juridiction ne peut prononcer une peine inférieure à ces seuils que si l'accusé présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion. »
M. Charles Gautier. - Lors d'une récente conférence sur les peines plancher, les premiers présidents ont rappelé « l'attachement des juges à l'individualisation des peines, principe confirmé par l'expérience et partagé par la plupart des pays démocratiques », jugeant que « toute limitation du pouvoir d'appréciation du juge crée un risque d'inadéquation de la décision judiciaire sans pour autant garantir une meilleure efficacité de la politique pénale ».
Magistrats et avocats sont unanimes pour considérer que ce texte est au mieux inutile, au pire dangereux.
L'article premier instaure des peines plancher.
Ce durcissement est présenté comme dissuasif. Mais c'est illusoire. Une étude du Sénat du 9 juin compare les différents pays ayant opté pour une telle législation. Elle constate qu'aucun n'a pu en démontrer l'efficacité et qu'après six ans d'expérimentation, l'Australie a fini par renoncer. De manière générale, l'effet dissuasif des sanctions pénales est difficile à évaluer mais il est certain que personne n'a prouvé la moindre corrélation entre durcissement des peines et diminution de la récidive.
En matière criminelle, celle que vise cet article, le nombre de récidivistes atteint 84 -voilà pour combien de personnes on instaure cette innovation ! Elle apparaît aussi bien vaine au regard des peines effectivement prononcées par les cours d'assises, lesquelles ne sont pas inférieures à ces peines plancher.
Vaine, elle est surtout une marque de défiance à l'endroit des magistrats, présentés comme trop laxistes alors que toutes les études montrent un alourdissement des peines prononcées.
M. Jean-Pierre Sueur. - Peut-on démontrer que la durée de l'emprisonnement aurait quoi que ce soit à voir avec la récidive ? La commission des lois a reçu M. Tournier, directeur de recherches au CNRS, dont les études montrent l'absence de relation évidente. Elles montrent aussi que le taux de recondamnation est moindre pour les condamnés ayant bénéficié d'une liberté conditionnelle. L'analyse de 5 234 dossiers menée à l'Université de Lille II en liaison avec la direction des affaires pénitentiaires fait apparaître qu'à une seule exception près, le nombre de nouvelles condamnations est plus élevé après la prison qu'après le prononcé d'une peine alternative. Les chiffres de la Chancellerie ne contredisent pas ceux-là.
Je vous pose donc cette question, madame la ministre : contestez-vous ces études ? Si vous ne les contestez pas, comment justifiez-vous cette disposition de votre texte ? Pourquoi ne développez-vous pas plutôt les peines alternatives à l'emprisonnement et les mesures de liberté conditionnelle, dont l'efficacité contre la récidive est avérée ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ce projet de loi est fondé sur le postulat que les juges ne seraient pas assez sévères avec les récidivistes. Comme l'argument est contredit par la réalité des chiffres, il reste une justification à ce texte : servir d'indicateur pour les délinquants et les magistrats.
Les récidivistes sont déjà punis plus sévèrement que les primo-délinquants, et punis d'emprisonnement. Pour les crimes et délits graves que vise cet article, les peines effectivement prononcées ne sont pas inférieures aux peines plancher que vous prévoyez. De manière générale, elles ne cessent d'ailleurs de s'alourdir, ce qui pose problème. Ces peines de plus en plus lourdes empêchent-elles la récidive ? On nous dit que non puisqu'on nous propose de les aggraver encore ! En revanche, on ne fait rien pour les aménagements de peine dont nul ne conteste pourtant qu'ils sont les plus sûrs facteurs de prévention de la récidive. On accorde de moins en moins de libérations conditionnelles et les moyens du suivi sociojudiciaire diminuent.
M. le président. - Amendement n°29, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Robert Badinter. - Cet article premier s'applique à des criminels or il ressort de façon irréfutable que les cours d'assises prononcent des peines très supérieures aux peines plancher que vous voulez instaurer.
M. Dominique Braye. - C'est la volonté du peuple !
M. Robert Badinter. - J'aimerais pouvoir m'exprimer.
Existe depuis décembre 2005 un texte consacré en entier à la lutte contre la récidive. J'admire l'autocritique à laquelle se livre cette majorité en défendant le texte qui nous est aujourd'hui soumis ! Ce texte vieux de dix-huit mois seulement prévoyait la création d'une « commission d'analyse et de suivi de la récidive ». Cette commission, dont les membres ont été choisis par M. Clément, vient de rendre un avis -dont la commission des lois paraît n'avoir pas eu connaissance. Rien de plus éclairant n'a été présenté sur votre projet et sur son « efficacité » alléguée.
« La commission observe que ce projet tend à favoriser l'emprisonnement comme réponse à la récidive et qu'il aura nécessairement comme conséquence une augmentation de la population carcérale de majeurs et de mineurs ». Les peines minimales, continue-t-elle, ont existé en France avant d'être abandonnées et si elles se sont développées aux Etats-Unis et au Canada depuis 1978, où le taux d'emprisonnement est sept fois supérieur à celui de la France -si nous suivions cette voie, on imagine la désertification de certains quartiers- depuis 1978, des études scientifiques ont été publiées, qui ont démontré leur faible impact sur la diminution de la récidive, et en particulier celle des mineurs, d'où l'inversion actuelle de tendance. La commission, enfin, ne dispose pas d'informations équivalentes sur les expériences européennes. Quelle illustration plus éclatante peut-on souhaiter ? On ne peut plus objectivement approuver l'inspiration de ce projet, directement puisée aux Etats-Unis. (Applaudissements à gauche)
M. le président. - L'amendement n° 53 présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC est identique.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je m'en suis déjà expliquée. Nous manquons d'une étude d'impact de ce projet comme d'une évaluation de la loi de 2005. La commission chargée du suivi a dit ses réserves sur un texte qui ignore ce qui importe à la société, je veux dire la prévention et tout ce qui fait reculer la récidive. Plus tard, nous dit le gouvernement. Mais alors, pourquoi légiférer tout de suite sur la récidive ?
M. le président. - Amendement n° 31, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Après le cinquième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Seules les sanctions pénales prononcées par le tribunal pour enfants ou la cour d'assises des mineurs sont prises en compte pour l'établissement de l'état de récidive des mineurs.
M. Robert Badinter. - Un amendement de précision ... et d'importance.
M. le président. - Amendement n° 14, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Supprimer l'avant-dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Amendement de repli. Pourquoi encadrer ainsi l'individualisation des peines qui est un principe fondamental de notre droit ? L'article 132-24 du code de procédure pénale, lui, ne contrevient pas à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme.
M. le président. - Amendement n° 32, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Dans les deux derniers alinéas du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal :
après les mots :
inférieure à ces seuils
insérer (à deux reprises) les mots :
, ou pour les mineurs, une mesure éducative,
M. Robert Badinter. - Les articles 2 et 20 de l'ordonnance de 1945 prévoient que le juge prononce à l'égard du mineur une mesure éducative, la sanction pénale demeurant exceptionnelle et résultant d'une décision motivée. La convention de New-York rappelle en effet que l'enfant a besoin d'une protection juridique appropriée et le conseil de l'Europe a marqué qu'il est un être en devenir. L'ordonnance de 1945 étant une loi spéciale, ses dispositions doivent s'appliquer aux mineurs au lieu des dispositions générales du code pénal, d'où cet amendement.
M. le président. - Amendement n° 15, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Après les mots :
des circonstances de l'infraction
rédiger comme suit la fin de l'avant-dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal :
ou de la personnalité de son auteur
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Je présenterai en même temps l'amendement n° 13.
M. le président. - Amendement n° 13, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Après les mots :
la juridiction
rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal :
peut prononcer une peine inférieure à ces seuils en considération des circonstances de l'infraction ou de la personnalité de son auteur. »
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Comment individualiser les peines en maniant une notion à géométrie variable ? Cette disposition est inutile car le juge est, en principe, libre d'apprécier et d'adapter la peine. Comment pourrait-il se fonder sur la capacité de réinsertion, laquelle suppose un suivi individualisé ? Je redoute une justice à deux vitesses.
M. le président. - Amendement n° 30, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Après les mots :
inférieure à ces seuils
rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal :
qu'en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties suffisantes d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
M. Robert Badinter. - Cet amendement rejoint celui de M. Zochetto qui voudra peut-être le présenter en priorité.
M. le président. - Amendement n° 1, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
Après les mots :
inférieure à ces seuils
rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal :
qu'à titre exceptionnel, en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Cet amendement procède des auditions de magistrats qui ont signalé que certains prévenus, même multirécidivistes, peuvent présenter des garanties d'insertion ou de réinsertion.
Ils ont fait remarquer que si l'on ne visait que les cas exceptionnels, il pourrait y avoir, pour les délits, des jugements surprenants. Il ne sera pas facile pour les juges d'appréhender la notion de « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion » et je me dois de vous dire qu'il en a été de même pour la commission. Nous proposons donc de prendre en compte les deux autres composantes -circonstances de l'infraction et personnalité de l'auteur- tout en gardant la motivation de la décision.
Votre commission souhaite toutefois introduire une distinction entre les cas de première récidive et les multi-récidives. C'est pourquoi nous vous proposons les termes « à titre exceptionnel » même si cette rédaction ne nous satisfait pas entièrement. Le problème est en effet de savoir ce qu'on entend par garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion. Cette terminologie permet-elle de ménager la liberté d'appréciation des juges, même en cas de multirécidive ?
Il faut aussi s'interroger sur l'appréciation de la cour de cassation concernant les décisions des cours d'appel si le texte du gouvernement reste en l'état. Les juges d'appel seront-ils souverains lorsqu'ils se prononceront sur les garanties d'insertion ou de réinsertion ? La jurisprudence de la cour de cassation m'incite à penser qu'elle ne statuera pas sur cette question-là. Dans ce cas, les juges d'appel seraient souverains, ce qui réduirait d'autant l'impact de mon amendement.
M. le président. - Amendement n° 33, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Compléter le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-18-1 du code pénal par une phrase ainsi rédigée :
Toutefois lorsque le crime est commis en état de récidive légale par un mineur, la juridiction ne peut prononcer une peine inférieure à ces seuils qu'en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
M. Robert Badinter. - Avec cet article, lorsque des personnes réitèrent ou récidivent, la peine plancher s'applique. Il n'est prévu qu'une seule dérogation : des garanties exceptionnelles de réinsertion. Or le principe d'individualisation des peines est fondamental et constitutionnel : le jugement doit prendre en considération les circonstances de l'affaire, la personnalité de l'auteur et la prise en compte des intérêts des victimes, sans compter bien sûr les garanties de réinsertion. Pour éviter l'automaticité des peines plancher, il convient de respecter ces principes. Or, le projet de loi oublie les circonstances de l'affaire et la personnalité de l'accusé. J'ai rarement vu pareil escamotage dans un texte !
Imaginez un jugement en cour d'assises : au moment où les magistrats et les jurés vont prononcer une lourde peine, comment voulez-vous qu'ils sachent si, à la sortie, l'accusé pourra bénéficier de garanties exceptionnelles de réinsertion ? C'est totalement impossible ! Dans ma jeunesse, on débattait de l'existence ou non d'une justice de classe.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - ça n'a pas changé !
M. Robert Badinter. - Or, avec cet article, les seuls qui pourraient justifier d'une garantie exceptionnelle de réinsertion après dix ou quinze ans de prison, ce seraient les fils de famille, car les parents pourraient apporter toutes les cautions demandées. Dans tous les autres cas, ce serait totalement impossible. On instaurerait donc un véritable clivage en fonction de la situation sociale entre les rares qui pourraient apporter des garanties et tous les autres.
C'est pourquoi nous voterons l'amendement de la commission des lois, même si nous préférons « garanties suffisantes » à « garanties exceptionnelles ».
M. François Zocchetto, rapporteur. - Il y a trois séries d'amendements.
Tout d'abord, il y a ceux qui proposent la suppression de l'article. Nous avons vu, lors de la discussion générale, qu'il y avait deux points de vue différents. Certains veulent la suppression de ce projet de loi auquel nous sommes attachés. Nous ne pouvons donc accepter ces amendements.
Il y a ensuite l'amendement n° 31 qui m'intéresse tout particulièrement puisque j'ai écrit dans mon rapport que seules les sanctions pénales devaient être prises en compte pour qualifier l'état de récidive. C'est d'ailleurs la position d'excellents juristes qui estiment que les mesures éducatives, disciplinaires, fiscales ne peuvent en constituer le premier terme. Cela semble aller de soi et nous vous serions reconnaissants, madame la garde des sceaux, de nous le confirmer. Si tel n'était pas le cas, le législateur se devrait de préciser ce point en adoptant l'amendement n° 31. Mais il serait préférable d'en faire l'économie pour ne pas alourdir le code pénal et le code de procédure pénale. Je souhaite donc entendre le gouvernement sur cet amendement.
Enfin, s'agissant des amendements relatifs aux éléments sur lesquels le juge peut se fonder pour écarter les peines minimales, je vous renvoie à l'amendement 1 de la commission.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Avis défavorable aux amendements de suppression, favorable à l'amendement 31 -vous le voyez, je suis ouverte à toutes les propositions, y compris celles de l'opposition.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Dès lors, même avis.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Avis défavorable aux amendements 14, 13 et 15, qui reviendraient à créer des peines automatiques ; et à l'amendement 32, inutile dès lors que le texte ne modifie pas l'article 2 de l'ordonnance de 1945.
S'agissant des amendements 30 et 1 : on ne peut prévoir le même régime pénal pour la première récidive et pour les suivantes. Dans le premier cas, le juge pourra déroger à la peine minimale en tenant compte de la personnalité de l'auteur de l'infraction, des circonstances de celle-ci et des garanties de réinsertion ; dans les autres, on peut considérer que la personnalité est en quelque sorte intégrée à la répétition de l'infraction elle-même. A l'auteur de démontrer qu'il a des garanties exceptionnelles de réinsertion ; on ne saurait ainsi se contenter, pour un trafiquant de stupéfiants multirécidiviste, d'un bail ou d'une attestation d'emploi : il devra montrer qu'il est en mesure de sortir de la spirale de la récidive. Je fais totalement confiance aux magistrats pour apprécier. Le Gouvernement est donc défavorable aux amendements 30, 1 et 33.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Un mot d'abord pour dire qu'il faudra sans doute coordonner d'autres textes avec l'amendement 31 ...
Nous soutenons le nouveau régime adapté à la récidive. Il y a l'individualisation, il y a aussi l'égalité des peines, à laquelle les révolutionnaires de 1789 étaient très attachés ; j'ajoute qu'il existait des peines minimales jusqu'en 1994. N'oublions pas que ce que nous visons, ce sont des crimes ou des atteintes graves à l'ordre public commis en état de multirécidive. Le législateur, le peuple que nous représentons est légitime quand il dit : « assez ! », même si ces cas sont peu nombreux. En ces circonstances, il est normal d'exiger, pour le prononcé d'une peine inférieure au minimum, des garanties très strictes.
M. Jacques Mahéas. - Les juges ne sont pas sots !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Mais c'est nous qui faisons la loi ! Et la jurisprudence est diverse, surtout en matière de délits.
Je repose la question à madame la garde des sceaux : la cour de cassation contrôlera-t-elle les garanties de réinsertion, ou laissera-t-on le juge les apprécier souverainement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Le juge du fond appréciera ; les garanties à offrir répondent à une gradation.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Nous ne pouvons retirer un amendement adopté par la commission ; mais le propos de la garde des sceaux m'incite à penser, à titre personnel, que l'amendement 1 n'est plus indispensable.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Le Sénat statuera à la lumière du débat.
M. le président. - Je mets aux voix les deux amendements de suppression.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je comprends mal, en premier lieu, que le gouvernement ait déclaré l'urgence sur un texte aussi sensible et aussi complexe, alors même que les moyens nécessaires à sa mise en oeuvre n'existent pas. S'il veut aller vite, c'est bien qu'il lui faut un affichage politique le plus rapidement possible.
En deuxième lieu, pourquoi le Gouvernement n'a-t-il apporté aucune réponse aux propos de ceux d'entre nous qui, reprenant études et analyses, ont contesté toute corrélation entre le quantum des peines et la récidive ou la non-récidive ? S'il réfute les chiffres, qu'il nous donne ses arguments ; sinon, pourquoi persiste-t-il à considérer que son texte sera efficace pour lutter contre la récidive ?
En troisième lieu, j'ai trouvé le débat sur l'amendement 30 très instructif.
Ce qui suscite débat dans le pays et inquiétude chez les magistrats, c'est que l'individualisation des peines soit remise en cause.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Ce n'est pas le cas !
M. Jean-Pierre Sueur. - Avec l'article premier, la peine plancher devient la règle, sauf considérations exceptionnelles, ce qui est contraire au principe de l'individualisation retenu dans notre Constitution. L'excellent rapport de février 2005 de M. Zocchetto...
M. François Zocchetto, rapporteur. - Merci.
M. Jean-Pierre Sueur. - ..., « le Zocchetto d'avant » (Sourires), m'en avait convaincu. « Pourquoi revenir à un système supprimé il y a plus de douze ans ? », pouvait-on y lire.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ah !
M. Jean-Pierre Sueur. - Madame le garde des sceaux, est-ce légitime de prendre en compte les circonstances et la personnalité du prévenu en cas de première récidive, mais non en cas de deuxième ? Vous créez un système de décision automatique, pour ne pas dire mécanique, avec gradation. Comment le justifierez-vous auprès des juges ? Tout cela est très théorique...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - C'est vous qui théorisez !
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous sacrifiez notre droit et la confiance qu'ont les élus et le peuple dans les magistrats à l'affichage politique.
M. Jacques Mahéas. - Pourquoi les récidivistes ? A cette question, votre seule réponse est « parce que les peines encourues sont trop légères ». Les centres éducatifs fermés me semblent être une meilleure voie. Mais pour l'heure, ils n'existent qu'à dose homéopathique : un pour tout l'Île-de-France, et bientôt deux... peut-être !
Pourquoi la récidive ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Parce qu'il existe des gens malfaisants !
M. Jacques Mahéas. - Le noyau dur des récidivistes est constitué de personnes non insérées et de toxicomanes. A leur sortie de prison, ils ne bénéficient ni de prise en charge, ni d'aide, ni de soins. Chômage, ghettos de pauvres, discrimination, crise du logement, surpopulation des prisons, ces éléments seront-ils pris en compte pour une éventuelle diminution de peine ?
Concernant les mineurs, ce texte ne paraît pas conforme à la Convention internationale sur les droits de l'enfant que la France a ratifiée.
Bref, vous êtes en service commandé, vous voulez aller trop vite sans avoir suffisamment réfléchi, l'urgence ne s'imposait pas et ce texte n'est pas bon.
M. Pierre-Yves Collombat. - Certains collègues veulent nous faire croire, pour s'en persuader eux-mêmes, qu'il faut choisir entre les délinquants et les victimes.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Oui !
M. Pierre-Yves Collombat. - Or toutes les études, qu'elles soient françaises ou étrangères, montrent que les peines plancher créeront des délinquants, et donc des victimes ! (Mme Lucette Michaux-Chevry se gausse)
En votre for intérieur, vous savez que ce texte est mauvais... (Exclamations à droite)
M. Dominique Braye. - Nous ne sommes pas socialistes !
M. Pierre-Yves Collombat. - ...et, pire encore, contreproductif ! Nous ne pouvons pas le voter.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ce débat augure mal de la revalorisation du rôle du Parlement...
M. Charles Pasqua. - Pas de débat possible, si vous n'avez pas de propositions !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - ...et des rapports entre l'exécutif et le législatif.
Contrairement à ce que les exemples étrangers montrent, vous soutenez qu'il existe une corrélation entre le quantum des peines et la récidive. Prouvez-le ! Pourquoi passer sous silence tout ce qui réduit efficacement la délinquance -la liberté conditionnelle, les peines alternatives et le suivi sociojuridique ?
La méthode Coué, que vous appliquez depuis cinq ans, ne nous convainc pas. En tant que législateurs, nous attendons, comme le peuple, des arguments et des résultats.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Les explications de Mme le garde des sceaux ne m'ont pas convaincue. Si l'on crée des peines plancher, on remet en cause le principe d'individualisation des peines et, donc, la liberté d'appréciation du juge. L'exemple du dealer n'était pas concret. Quelles garanties pourront offrir à leurs enfants les familles exclues, précarisées ou en butte à la discrimination ?
M. Dominique Braye. - Vous êtes manifestement très loin des préoccupations de nos concitoyens. M. Mahéas devrait se souvenir que nous étions ensemble dans la commission qui étudiait les conséquences des évènements de l'automne 2005 en banlieue : à l'unanimité, toutes sensibilités politiques confondues, les élus nous ont demandé de faire quelque chose contre les multirécidivistes, cette petite poignée de délinquants dont, monsieur Badinter, nos concitoyens les plus modestes sont les premières victimes. Les éducateurs spécialisés aussi...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ici, il s'agit des majeurs !
M. Dominique Braye. - ... nous reproche d'avoir laissé impunis des délinquants qui ensuite, évidemment, ont récidivé. (Exclamations à gauche) Et je me souviens d'un éducateur de Chanteloup-les-Vignes, prêtre et polytechnicien, qui affirmait que la répression était la première forme de prévention. (Applaudissements à droite)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Il s'agit ici des majeurs. Vous ne savez donc pas lire !
M. Dominique Braye. - Je rends enfin hommage au ministre, qui a répondu à toutes les questions, contrairement à ce qu'a affirmé M. Mahéas, et au rapporteur, qui a bien travaillé.
Les amendements identiques n°s29 et 53 ne sont pas adoptés, non plus que les amendements n° s 31, 14, 32, 1, 13 et 30.
L'amendement n° 1 est adopté.
M. Jean-Pierre Sueur. - La commission est désavouée ...
M. Pierre-Yves Collombat. - Avec la complicité de son président !
M. Charles Pasqua. - Le Sénat est souverain !
Voix sur les bancs socialistes - Le souverain est à l'Élysée ...
L'amendement n°54 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°33.
L'article premier modifié est adopté.
Article 2
Après l'article 132-19 du code pénal, il est inséré un article 132-19-1 ainsi rédigé :
« Art. 132-19-1. - Pour les délits commis en état de récidive légale, la peine d'emprisonnement ne peut être inférieure aux seuils suivants :
« 1° Un an, si le délit est puni de trois ans d'emprisonnement ;
« 2° Deux ans, si le délit est puni de cinq ans d'emprisonnement ;
« 3° Trois ans, si le délit est puni de sept ans d'emprisonnement ;
« 4° Quatre ans, si le délit est puni de dix ans d'emprisonnement.
« Toutefois, la juridiction peut prononcer, par une décision spécialement motivée, une peine inférieure à ces seuils ou une peine autre que l'emprisonnement en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
« Le tribunal ne peut prononcer une peine autre que l'emprisonnement lorsqu'est commis une nouvelle fois en état de récidive légale un des délits suivants :
« 1° Violences volontaires ;
« 2° Délit commis avec la circonstance aggravante de violences ;
« 3° Agression ou atteinte sexuelle ;
« 4° Délit puni de dix ans d'emprisonnement.
« Par décision spécialement motivée, le tribunal peut toutefois prononcer une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure aux seuils prévus par le présent article si le prévenu présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion. »
M. Charles Gautier. - Mes propos précédents quant à l'inutilité de ce texte s'appliquent également à cet article 2. Je ne les répèterai pas. J'ajouterai néanmoins un paradoxe, relevé par l'Union syndicale des magistrats. Ce texte fixe des peines minimales d'emprisonnement. Or cela n'exclut pas le sursis, accompagné ou non de travaux d'intérêts généraux ou de mise à l'épreuve. Le condamné peut alors repartir libre, sans que le magistrat n'ait à rien justifier.
Or, si le magistrat veut prononcer une peine d'emprisonnement ferme mais en dessous de la peine minimale, il devra motiver sa décision. Cela peut sembler curieux, mais ne fait que démontrer encore que l'objectif est de frapper l'opinion publique, sans réellement rechercher l'efficacité.
Je continuerai ici à me limiter aux cas des majeurs. Le taux de récidive est plus important pour les délits que pour les crimes. Pierre Tournier, sociologue, spécialiste des questions carcérales, évalue à 10 000 détenus supplémentaires par an l'effet de cette nouvelle loi. Or, la surpopulation carcérale a atteint ces dernières années un taux considérable. Au 1er juin 2007, le nombre de détenus en France est de 63 598. Les taux d'occupation explosent dans certains établissements. Madame la garde de sceaux, comment allez-vous loger ces nouveaux détenus ? Y aurait-t-il un plan de construction de nouveaux établissements dont vous n'auriez pas encore parlé ? Merci de vos réponses.
Préalablement à l'examen de ce texte, on n'a procédé à aucune étude d'impact, pas plus que pour les quatre précédents textes sur la délinquance. Attitude curieuse pour qui se targue de vouloir mieux contrôler les finances de l'État.
M. Jean-Pierre Sueur. - Pas de réponse ? Madame la garde des sceaux, nous posons souvent des questions ; il serait bon d'y répondre de temps en temps. Cette loi provoquerait 10 000 incarcérations supplémentaires par an. Cela pose un problème ! J'ai l'honneur de vous demander comment vous comptez le résoudre. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir me répondre.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - C'est une injonction !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - En réalité, 80 % des mineurs sanctionnés ne récidivent pas. Encore faut-il qu'il y ait eu sanction.
M. Jean-Pierre Sueur. - Personne ne dit qu'il ne faut pas sanctionner !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - La sanction n'implique pas l'incarcération. Ce texte ne remet pas en cause les alternatives à l'incarcération que le juge pourra toujours prononcer. Le taux actuel d'aménagement des peines est sans précédent, et ne cesse de progresser. Dès juin, j'ai envoyé à tous les parquets une circulaire recommandant de favoriser ces alternatives. Quant aux soins, ils seront la condition des libérations conditionnelles. (Applaudissements à droite)
M. Jean-Pierre Sueur. - Tout cela, c'est très bien, mais cela ne justifie pas les peines plancher....
M. le président. - Amendement n°34, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Robert Badinter. - Ce texte aboutirait inévitablement à une augmentation de la population carcérale. Cet article, parfaitement inutile, contient, en outre, une critique, implicite mais réelle, de notre magistrature qui, dans son ensemble, a été choquée que le législateur pèse sur les juges en ce qui concerne les peines qu'ils prononcent dans des affaires individuelles. Ce texte ne produira que des fruits amers : plus de délinquance, plus de détenus, plus de récidive à la sortie de prison... Pour répondre à une demande du public, on présente un texte parfaitement inefficace.
Le devoir de l'homme et de la femme politique, c'est de ne pas systématiquement céder aux pressions de l'opinion publique (M. Braye s'exclame), mais de chercher où sont les voies de la raison et l'équilibre dans la cité...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission - Il faut que les juges soient raisonnables aussi !
M. Robert Badinter. - A l'heure où Tony Blair disparaît de la scène politique...
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. - Il n'est pas mort !
M. Robert Badinter. - ...souvenons-nous des propos qu'il a toujours tenus : « dur avec le crime et dur avec les causes du crime ». Vous avez oublié le deuxième terme de cette maxime ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Pas du tout !
M. le président. - Amendement identique n°55, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
Supprimer cet article.
Mme Éliane Assassi. - L'instauration de peines plancher d'emprisonnement en matière délictuelle provoque des effets pervers en cascade. (M. Hyest, président de la commission, le conteste) Le gouvernement dit que les juges peuvent y déroger, mais les magistrats doivent motiver spécialement leurs décisions, et faute de moyens et de temps, les juges seront forcément conduits à prononcer des peines plancher.
L'article 2 met en place un mécanisme répressif excessif et disproportionné. Si, comme il est probable, les juges seront peu nombreux à pouvoir motiver des dérogations aux peines plancher, le nombre de détenus va considérablement progresser. On estime à 10 000 personnes l'augmentation prévisible de la population carcérale entraînée par ce texte. Nos prisons -qui sont criminogènes- pourront difficilement absorber cette inflation... mais peut-être le gouvernement compte-t-il sur la grâce présidentielle ? L'aggravation des sanctions ne change rien. Après cinq ans de lois de plus en plus répressives, nous voyons bien que la délinquance ne diminue pas. Alors, pourquoi un tel entêtement ? Plutôt que de renforcer encore un arsenal répressif déjà tellement surchargé qu'il en devient incompréhensible, ne vaudrait-il pas mieux renforcer les moyens mis à la disposition des magistrats pour permettre l'aménagement des peines ? Nous savons depuis longtemps que les sorties programmées et les libérations conditionnelles fonctionnent. La commission consultative des droits de l'homme, dans l'avis qu'elle a rendu le 14 décembre 2006, a attiré l'attention sur les mesures de nature à prévenir la récidive et à constituer une alternative à la détention, qui donnent de bien meilleurs résultats que la prison et représentent un moindre coût pour la collectivité. Évidemment, ce n'est pas le choix que vous nous proposez aujourd'hui avec ce texte, dont nous refusons la logique. C'est pour cela que nous demandons la suppression de l'article 2.
M. le président. - Amendement n°56, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
Dans le sixième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, après le mot :
juridiction
insérer les mots :
, réunie en formation collégiale,
Mme Éliane Assassi. - Il s'agit d'un amendement de repli, qui tend à affirmer le principe de responsabilité des juges. En effet, s'il veut déroger au prononcé d'une peine plancher, le juge doit motiver sa décision sur des critères qui encadrent strictement sa liberté d'appréciation. Les magistrats sont ainsi pris au piège : soit ils appliquent strictement la loi et infligent des peines supérieures aux seuils proposés, soit ils dérogent aux peines minimums, mais risquent alors d'être mis en cause sur les plans politique, médiatique et disciplinaire en cas de nouvelle récidive.
Nous avons tous en mémoire l'affaire Nelly Kremel et nous entendons encore le ministre de l'intérieur de l'époque appeler, selon ses propres termes, à « faire payer » un juge, alors que la décision de libération de l'une des personnes impliquées dans ce meurtre avait été prise collégialement.
Afin de s'assurer qu'un magistrat seul ne risque pas d'être ainsi pris à partie en cas de récidive d'une personne condamnée à une peine inférieure à la peine minimale prévue ou avec un sursis avec mise à l'épreuve, nous proposons que la formation de jugement soit nécessairement collégiale.
M. le président. - Amendement n°21, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Dans le sixième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, supprimer les mots :
, par une décision spécialement motivée,
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Votre projet de loi oblige le juge à motiver sa décision, quelle que soit la nature de la peine prononcée.
Cet amendement, comme l'amendement n°22, supprime cette obligation de motivation systématique, qui risque de provoquer une inflation des procédures, alors même que la lourdeur de celles-ci les expose aux accusations de laxisme.
L'obligation de motivation de la décision du juge n'est pertinente que pour les peines les plus graves, dont les peines d'emprisonnement ferme. Ainsi, l'article 132-19 du code pénal, alinéa 2, dispose déjà qu'en matière correctionnelle, « la juridiction ne peut prononcer une peine d'emprisonnement sans sursis qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette peine. Toutefois, il n'y a pas lieu à motivation spéciale lorsque la personne est en état de récidive légale. »
Ce projet, en faisant abstraction de cet article, risque de créer une inflation judiciaire qu'il est de notre devoir d'éviter, pour permettre un meilleur traitement de la délinquance et de meilleures conditions de travail pour les juges. C'est pourquoi cet amendement propose la suppression de la référence à l'obligation de motivation, pour en rester à l'article 132-19, alinéa 2.
M. le président. - Amendement n°37, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
I - Dans le 6ème alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, après les mots :
inférieure à ces seuils
insérer les mots :
, ou pour les mineurs, une mesure éducative,
II - Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, après les mots :
inférieure aux seuils prévus par le présent article
insérer les mots :
, ou pour les mineurs, une mesure éducative,
M. Richard Yung. - L'ordonnance de 1945 doit s'appliquer aux mineurs. Le juge doit pouvoir s'interroger sur l'opportunité de prononcer une peine plancher ou une autre mesure, de nature éducative, permise par cette ordonnance. Nous tenons à rappeler cette possibilité au juge.
M. le président. - Amendement n°24, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Après les mots :
circonstances de l'infraction
rédiger ainsi la fin du sixième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal :
ou de la personnalité de son auteur.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Il s'agit de supprimer la référence à un critère qui encadre de manière trop restrictive le principe essentiel d'individualisation des peines que nous voulons réaffirmer par cet amendement, notamment parce qu'il exprime le pouvoir d'appréciation du juge. Le critère de la personnalité de l'auteur et celui des circonstances de l'affaire permettent en effet au juge d'individualiser les peines, sans qu'il soit nécessaire de se référer aux garanties d'insertion ou de réinsertion, dont l'appréciation relève normalement du juge d'application des peines et qu'il est impossible de mettre en oeuvre dans le cadre d'une condamnation pénale.
M. le président. - Amendement n°16, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
I. Après le sixième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le prévenu est jugé en comparution immédiate selon la procédure prévue par l'article 395 du code de procédure pénale, la juridiction n'est pas tenue d'apprécier, dans le prononcé de peines inférieures à celles prévues par les deuxième à cinquième alinéas du présent article ou d'une peine autre que l'emprisonnement, les garanties d'insertion ou de réinsertion visées à l'alinéa précédent ».
II. Compléter in fine cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Amendement n°17, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
I. Après le sixième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le prévenu est jugé en comparution immédiate selon la procédure prévue par l'article 395 du code de procédure pénale, la juridiction n'est pas tenue, dans le prononcé de peines inférieures à celles prévues par les deuxième à cinquième alinéas du présent article ou d'une peine autre que l'emprisonnement, de motiver sa décision. »
II. Compléter in fine cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le prévenu est jugé en comparution immédiate selon la procédure prévue par l'article 395 du code de procédure pénale, la juridiction n'est pas tenue, dans le prononcé de peines inférieures à celles prévues par les deuxième à cinquième alinéas du présent article, de motiver sa décision. »
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Ces deux amendements visent à exonérer le juge d'une motivation de sa décision fondée sur les garanties d'insertion ou de réinsertion d'un prévenu lorsque ce dernier est jugé en comparution immédiate. Comment, en effet, un juge peut-il apprécier une telle garantie en une seule journée ? Il n'en a pas le temps et cela suppose une enquête de personnalité qui est difficile à faire et qui est souvent bâclée. Soit le juge ne pourra pas justifier sa décision, parce qu'il manquera des éléments objectifs pour ce faire, soit il se risquera à justifier, mais en ce cas, la plupart du temps, il ne disposera pas non plus d'informations ou d'éléments suffisants pour justifier sa décision.
M. le président. - Amendement n°2, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
I. - Au début du septième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, remplacer les mots :
Le tribunal
par les mots :
La juridiction
II. - Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, remplacer les mots :
le tribunal
par les mots :
la juridiction
M. François Zocchetto, rapporteur. - Amendement de clarification.
M. le président. - Amendement n°19, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Supprimer le huitième alinéa (1°) du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Les peines minimums risquent de s'appliquer de façon quasi-automatique aux délits mineurs de violences volontaires. Or il s'agit de situations très et souvent trop variées pour qu'on puisse les traiter aussi indistinctement. Il peut en effet s'agir de vols avec bousculade, d'atteintes aux biens, sans atteintes aux personnes... Les violences volontaires les plus graves sont d'ores et déjà assimilées par le code pénal aux délits commis avec la circonstance aggravante de violences, en vertu de l'article 132-15-4 introduit par la loi du 12 décembre 2005.
Les délits avec circonstances aggravantes sont déjà visés à l'article 10 : cette référence est donc inutile.
M. le président. - Amendement n° 20, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Compléter le huitième alinéa (1°) du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal par les mots :
ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 10 jours
Mme Alima Boumediene-Thiery. - La notion de violence volontaire recouvre aussi bien des vols avec bousculade que ceux ayant entraîné une interruption temporaire de travail de vingt jours. Faut-il pour autant les traiter de la même manière ? « Qui vole un oeuf vole un boeuf », dit l'adage, mais n'exagérons pas ! Ce projet de loi ne fait pas de distinction : un multirécidiviste sera condamné à l'emprisonnement ferme indépendamment de la gravité des faits. Il faut prendre en compte les circonstances de l'affaire et le préjudice subi par la victime. Nous proposons donc de restreindre le champ d'application de l'article pour viser les seuls multirécidivistes violents.
M. le président. - Amendement n° 18, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Compléter le neuvième alinéa (2°) du texte proposé par cet article pour l'article 132-19 1 du code pénal par les mots :
ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 10 jours
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Même argumentaire.
M. le président. - Amendement n° 36, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Avant le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Seules les sanctions pénales prononcées par le tribunal pour enfants ou par la cour d'assises des mineurs peuvent être prises en compte pour la détermination de l'état de récidive.
M. Richard Yung. - Je doute de l'effet dissuasif de ces mesures, d'autant que les mineurs condamnés n'ont pas toujours véritablement conscience des peines qu'ils encourent. En outre, le problème des mineurs n'est pas tant la récidive que la réitération. Or, du fait de la charge de travail des juges et de l'encombrement des tribunaux, le jugement intervient au plus tôt six mois après les faits !
Les mesures ou sanctions éducatives, qui peuvent être prononcées pour des faits de moindre gravité, ne doivent pas constituer le premier terme de la récidive légale : seules les sanctions pénales doivent être prises en compte.
M. le président. - Amendement n° 22, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, supprimer les mots :
Par décision spécialement motivée,
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Il est défendu.
M. le président. - Amendement n°23, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Après les mots :
présent article
rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal :
en considération des circonstances de l'infraction ou de la personnalité de son auteur.
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Il est défendu.
M. le président. - Amendement n° 35, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Après les mots :
inférieure aux seuils prévus par le présent article
Rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal :
en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties suffisantes d'insertion ou de réinsertion présentées par celui ci. »
M. Robert Badinter. - Je le soutiens, même si je connais déjà le verdict...
M. le président. - Amendement n° 3, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
Après les mots :
présent article
rédiger comme suit la fin du dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal :
, à titre exceptionnel, en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Je le retire, compte tenu du vote sur l'amendement n° 1.
L'amendement n° 3 est retiré.
M. le président. - Amendement n° 57, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
Dans le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal, remplacer les mots :
garanties exceptionnelles
par les mots
gages sérieux
Mme Éliane Assassi. - Amendement de repli, avec le même objet qu'à l'article premier.
M. le président. - Amendement n°38, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Compléter le dernier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 132-19-1 du code pénal par une phrase ainsi rédigée :
Toutefois lorsque le crime est commis en état de récidive légale par un mineur, la juridiction peut prononcer une peine inférieure à ces seuils en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
M. Robert Badinter. - Même chose.
M. le président. - Amendement n° 4, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Les dispositions du présent article ne sont pas exclusives d'une peine d'amende et d'une ou plusieurs peines complémentaires. »
M. François Zocchetto, rapporteur. - Amendement de précision.
Avis défavorable aux amendements de suppression n°s 34 et 55. L'amendement n° 56 aurait pour effet paradoxal de conduire le juge unique à prononcer systématiquement des peines supérieures ou égales au minimum et introduirait une inégalité devant la loi selon que le jugement est rendu par un juge unique ou une formation collégiale. Avis défavorable.
L'amendement n° 21 vide le texte de sa portée : défavorable. L'amendement n° 37 a le même objet que l'amendement n° 22 : retrait ? Défavorable à l'amendement n° 24, qui reprend l'amendement n° 15.
L'amendement n° 16 conduirait paradoxalement à exonérer la juridiction de toute motivation de la dérogation pour un multirécidiviste, alors qu'il y est tenu pour un primo-délinquant. Avis défavorable, ainsi que sur l'amendement n° 17, qui exclut toute infraction jugée en comparution immédiate du champ de la loi. L'enquête de personnalité est déjà obligatoire, et, en tout état de cause, la juridiction peut toujours renvoyer l'affaire.
Défavorable à l'amendement n° 19, qui interdit une réponse plus ferme, ainsi qu'aux amendements n°s 20 et 18, qui ont le même objet.
Favorable à l'amendement n° 36, à la suite des explications du gouvernement sur l'amendement n° 31. Défavorable aux amendements n°s 22, 23, 35, 57 et 38, qui déclinent pour les délits ce qui avait été proposé à l'article premier pour les crimes.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Défavorable aux amendements de suppression n°s 34 et 55, ainsi qu'à l'amendement n° 56 : les textes actuels permettent déjà de renvoyer à une formation collégiale si nécessaire. Défavorable à l'amendement n° 21, pour les mêmes raisons qu'à l'article premier. L'amendement n° 37 est inutile.
L'amendement n° 37 est retiré.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Défavorable à l'amendement n° 24, ainsi qu'aux amendements n°s 16 et 17, qui suppriment l'exigence de motivation. Favorable à l'amendement rédactionnel n° 2. Défavorable à l'amendement n° 19 : les victimes qui ne demandent pas un certificat médical et une interruption temporaire de travail ne doivent pas être exclues. Défavorable aux amendements n°s 20 et 18. Favorable à l'amendement n° 36, défavorable à l'amendement n° 22, qui supprime la motivation, ainsi qu'aux amendements n°s 23, 35, 57 et 38. Favorable à l'amendement n° 4.
Les amendements identiques n°s 34 et 55 ne sont pas adoptés, non plus que les amendements n°s 56, 21, 24, 16 et 17.
L'amendement n° 2 est adopté.
L'amendement n° 19 n'est pas adopté, non plus que les amendements n°s 20 et 18.
L'amendement n° 36 est adopté.
L'amendement n° 22 n'est pas adopté, non plus que les n°s 23, 35, 57 et 38.
L'amendement n° 4 est adopté.
L'article 4 modifié est adopté.
M. le président. - Amendement n° 5, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant le dernier alinéa de l'article 41 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le procureur de la République ne peut prendre aucune réquisition tendant à retenir l'état de récidive légale s'il n'a préalablement requis, suivant les cas, l'officier de police judiciaire compétent, le service pénitentiaire d'insertion et de probation, le service compétent de la protection judiciaire de la jeunesse ou toute personne habilitée dans les conditions prévues par l'article 81, sixième alinéa, afin de vérifier la situation matérielle, familiale et sociale de l'accusé ou du prévenu et de l'informer sur les garanties d'insertion ou de réinsertion de l'intéressé. »
M. François Zocchetto, rapporteur. - La reconnaissance de la situation personnelle de l'accusé sera déterminante dans la décision de l'emprisonner ou non. Or les enquêtes de personnalité que le procureur peut toujours demander sont loin d'être systématiques, même si elles sont obligatoires dans certains cas comme la comparution immédiate ou quand il s'agit d'un mineur. Nous voulons les rendre obligatoires aussi pour les réquisitions tendant à retenir l'état de récidive légale.
Les magistrats, lors des auditions, nous ont dit être prêts à exercer leurs responsabilités si le législateur leur en donne les moyens.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Je suis un peu gênée de ne pas aller dans le sens de la commission...
Le parquet peut déjà demander une enquête de personnalité ; vous voulez la rendre obligatoire. Cela a un coût, qui peut aller de 40 à 70 euros, et ajouterait une nouvelle contrainte procédurale. N'oubliez pas qu'une telle enquête est déjà obligatoire dans certains cas.
Pour un primo-délinquant de 22 ans, je ne fais pas d'enquête de personnalité ; il revient comme récidiviste, je commence à le connaître, et c'est là que l'enquête de personnalité deviendrait obligatoire, à la charge de l'État, dans l'unique objectif de réduire la peine de l'accusé ! Défavorable, à regret.
M. Charles Pasqua. - Très bien !
M. Dominique Braye. - Je ne suis pas expert en la matière (Mme Borvo Cohen-Seat confirme) mais le président de la République fait très justement observer qu'à voter des dispositions qu'on n'a pas les moyens de mettre en oeuvre on discrédite la politique.
Il me semble que l'on connaît mieux un récidiviste qu'un primo-délinquant, à propos de qui l'enquête de personnalité ne serait pas obligatoire ! Nos collègues s'interrogent...
M. Charles Gautier. - Généralisons l'obligation à tous les accusés !
M. Pierre-Yves Collombat. - Cet amendement touche au problème de l'individualisation des peines. Si le juge n'a pas les moyens de connaître la personnalité du récidiviste, comment fera-t-il ? C'est de cela qu'il s'agit, pas de gros sous. Sans possibilité d'apprécier la personnalité, pas d'individualisation possible, ce qui serait contraire à la Constitution.
M. Richard Yung. - Je comprends M. Braye mais ce qui est vrai du primo-délinquant doit aussi l'être du récidiviste. Plusieurs années peuvent avoir passé et la personnalité avoir évolué.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Malheureusement, l'absence d'enquête rend inapplicable la disposition qu'instaure le texte pour déroger à la règle générale de la peine plancher.
Mme Lucette Michaux-Chevry. - Cet amendement est superfétatoire : aucun dossier ne se présente au pénal sans éléments permettant d'apprécier la personnalité de l'accusé. À l'audience, l'accusé ou son conseil peut toujours demander une telle enquête. La rendre obligatoire serait créer une surcharge de travail pour les parquets.
M. Robert Badinter. - Cette discussion m'étonne. La commission a voté cet amendement à l'unanimité, croyez-vous que ce soit par légèreté ou par laxisme ? Il est évident qu'il ne saurait y avoir de bonne justice sans une bonne connaissance des éléments concrets. L'argument du coût ne saurait être déterminant quand est en jeu l'emprisonnement d'une personne.
M. le président. - Je pensais que le président Hyest souhaitait s'exprimer en dernier ; qu'il me pardonne de ne pas lui avoir donné la parole dès qu'il me l'a demandée.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Quand je demande la parole, c'est pour l'avoir à cet instant même.
La commission a cherché un équilibre. Dès lors qu'il y a une peine minimum et que, pour le récidiviste, on tient compte de sa personnalité et des circonstances de l'infraction, il faut une enquête de personnalité. La commission reste fidèle à sa logique.
Il faut garder un équilibre : la commission réitère son invite à voter cet amendement.
M. Charles Pasqua. - L'assemblée fait ce qu'elle veut.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Le juge qui devra prononcer une peine minimale devrait connaître la personnalité pour passer en-deçà. Il peut y avoir un doute, il convient de le prévoir.
L'amendement n° 5 est adopté ; l'article additionnel est inséré.
M. le président. - Amendement n° 6, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 132-20 du code pénal, il est inséré un article 132-20-1 ainsi rédigé :
« Art. 132-20-1.- Lors du prononcé de la peine, le président de la juridiction avertit le condamné des conséquences qu'entraînerait une condamnation pour une nouvelle infraction commise en état de récidive légale. »
M. François Zocchetto, rapporteur. - Voici un amendement, je l'espère, plus consensuel. Certains délinquants ignorant les peines qu'ils encourent, il est utile d'inviter les présidents de juridiction à avertir les condamnés des peines qu'ils encourraient en cas de récidive. Certains le font déjà car mieux vaux prévenir que guérir.
M. le président. - Amendement n° 39, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 132 20 du code pénal, il est inséré un article 132 20 1 ainsi rédigé :
« Art....- Lors du prononcé de la peine, le président de la juridiction doit avertir le condamné des conséquences qu'entraînerait une condamnation pour une nouvelle infraction commise en état de récidive légale. »
M. Robert Badinter. - Tout au long des auditions j'ai demandé aux magistrats leur sentiment à cet égard. Si le délinquant n'est pas toujours attentif à l'évolution de la loi, il pourrait retenir l'avertissement donné au moment du prononcé de la peine, d'où cette forme de dissuasion individualisée et immédiate, plus efficace que bien des dispositions trop compliquées.
L'amendement n° 39 est retiré.
L'amendement n° 6, accepté par le gouvernement, est adopté ; l'article additionnel est inséré.
Article 3
I. - L'article 20-2 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par la phrase suivante : « La diminution de moitié de la peine encourue s'applique également aux peines minimales prévues par les articles 132-18, 132-18-1 et 132-19-1 du code pénal. » ;
2° Le deuxième alinéa est remplacé par les alinéas suivants :
« Toutefois, si le mineur est âgé de plus de seize ans, le tribunal pour enfants ou la cour d'assises des mineurs peut décider qu'il n'y a pas lieu de le faire bénéficier de l'atténuation de la peine prévue à l'alinéa précédent dans les cas suivants :
« 1° Lorsque les circonstances de l'espèce et la personnalité du mineur le justifient ;
« 2° Lorsqu'un crime d'atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne a été commis en état de récidive légale ;
« 3° Lorsqu'un délit de violences volontaires, un délit d'agressions sexuelles, un délit commis avec la circonstance aggravante de violences a été commis en état de récidive légale.
« Lorsqu'elle est prise par le tribunal pour enfants, la décision de ne pas faire bénéficier le mineur de l'atténuation de la peine doit être spécialement motivée, sauf pour les infractions mentionnées au 3° ci-dessus commises en état de récidive légale.
« L'atténuation de la peine prévue au premier alinéa ne s'applique pas aux mineurs de plus de seize ans lorsque les infractions mentionnées aux 2° et 3° ci-dessus ont été commises une nouvelle fois en état de récidive légale. Toutefois la cour d'assises des mineurs peut en décider autrement, de même que le tribunal pour enfants qui statue par une décision spécialement motivée. »
II. - Le treizième alinéa de l'article 20 de la même ordonnance est remplacé par les dispositions suivantes :
« 2° Y a-t-il lieu d'exclure l'accusé du bénéfice de la diminution de peine prévue à l'article 20-2 ou, dans le cas mentionné au septième alinéa de cet article, de faire bénéficier l'accusé de cette diminution de peine ? »
Mme Éliane Assassi. - Modifiant pour la cinquième fois en cinq ans l'ordonnance de 1945, le projet revient sur la loi du 5 mars 2007 qui n'est toujours pas appliquée. L'excuse de minorité serait remise en cause et l'automaticité de la peine interdirait d'appliquer le principe de proportionnalité. La commission, en pleine contradiction, réaffirme que la réponse carcérale ne doit intervenir qu'en dernier ressort, mais estime que la population carcérale augmentera. Si le taux de récidive légale est très faible et qu'il n'y a pas corrélation entre récidive et durée de l'emprisonnement, à quoi bon ce texte ? Le taux de réponse pénale est déjà plus élevé pour les mineurs. « Une infraction, une réponse », affirme la ministre sans dire dans quels délais.
Il est urgent de renforcer le suivi plutôt que de privilégier des peines de prison peu propices à la réinsertion. Tous les professionnels s'opposent à une telle disposition et vous l'ont fait savoir. Où est donc le dialogue social ? Mme Versini a rappelé la convention internationale des droits de l'enfant et le conseil d'Etat a émis une réserve interprétative sur l'article 3 pour réaffirmer les articles 2 et 20 de l'ordonnance de 1945. Il faut le rejeter.
M. le président. - Plusieurs amendements peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Amendement n° 40, présenté par M. Badinter et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Robert Badinter. - Nous touchons à ce que le texte comporte de plus saisissant et de plus regrettable. Voici en effet des dispositions contraires à la jurisprudence du conseil constitutionnel comme aux conventions internationales et, plus grave encore, à l'édifice patiemment construit depuis un demi-siècle pour la protection judiciaire des mineurs. Parce qu'ils sont des êtres en devenir, ils relèvent d'une juridiction spécialisée qui privilégie les peines éducatives et, en cas d'emprisonnement, bénéficient d'atténuations de peine de la moitié. Les conventions internationales vont dans le même sens, les évolutions à l'étranger aussi. C'est à tout cela que vous tournez le dos avec les peines plancher.
J'ai le triste privilège d'appartenir à cette génération pour laquelle l'ordonnance de 1945, du 2 février -il faut y prendre garde-, a été prise. La guerre continuait alors. Le gouvernement présidé par le général de Gaulle et auquel étaient associées toutes les forces de la Résistance a pris ce texte sans délai parce qu'il répondait à un besoin urgent. Beaucoup de pères des enfants de ma génération figuraient parmi les 1 800 000 prisonniers de guerre et les centaines de milliers de déportés qui ne sont jamais revenus.
Cette génération, celle des J3, à laquelle j'appartiens, avait vu tant d'exemples de corruption, de marché noir, d'abandon et de trahison qu'elle était déboussolée. C'est pour cette raison que, toutes affaires cessantes, on a voulu prendre cette ordonnance afin de définir les bases du traitement judicaire des jeunes délinquants. Si l'on a choisi de privilégier l'éducatif sur le répressif, ce n'est pas par laxisme ni par angélisme - ceux qui l'ont rédigé en étaient exempts- mais parce qu'on avait compris la spécificité de l'adolescence. C'est sur ces fondements que s'est édifié notre droit des mineurs.
Les temps ont changé et cette ordonnance a été révisée une vingtaine de fois. Pourtant, l'inspiration est restée la même. Lorsque nous vous disons « pas de prison pour les mineurs », ce n'est ni par angélisme, ni par laxisme, là encore, mais parce qu'elle est un lieu de risque extrême de récidive. Il n'y a pas un domaine où il faille être plus prudent qu'ici.
Quand j'entends dire que le moment est venu pour les mineurs de 16 à 18 ans d'être traités comme des adultes, comme si la majorité devait s'estimer à la taille des biceps, je dis qu'on marche sur la tête ! En Europe, notamment en Allemagne, c'est tout le contraire qui se passe : on estime que les jeunes jusqu'à 20 ans manquent de maturité et que les mesures de protection de la jeunesse doivent s'étendre au-delà de la majorité.
Vouloir traiter les mineurs comme des majeurs, c'est un non-sens car ce qu'il faut, avant tout, c'est protéger la jeunesse, y compris d'elle-même, et non pas prévoir, par un réflexe d'autodéfense, des réponses carcérales.
Les caractéristiques de l'adolescence, c'est la révolte, révolte contre les parents, contre la société, et cela se traduit par la réitération. On ne vole pas une fois dans un supermarché, mais à de multiples reprises, on ne vole pas une voiture, mais plusieurs. Ce n'est qu'ensuite que vient l'apaisement. En traitant les actes les uns après les autres, on va à coup sûr au désastre, d'autant que cette génération est soumise à une multitude de tentations.
Je demande donc, au nom du groupe socialiste, la suppression de cet article. Ne confondons pas la modernisation de l'ordonnance de 1945, qu'il faudra envisager, avec le traitement de la récidive des mineurs. (Applaudissements socialistes)
M. le président. - Amendement n°58, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
Rédiger ainsi cet article :
L'article 60 de la loi n°2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance est abrogé.
Mme Éliane Assassi. - Contrairement à Mme la ministre, j'ai écouté avec beaucoup d'attention M. Badinter et je considère que mon amendement est défendu.
M. le président. - Amendement n°59, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
Compléter le deuxième alinéa (1°) du I de cet article par une phrase ainsi rédigée :
Toutefois, le tribunal pour enfants peut, dans tous les cas, prononcer une mesure éducative.
Mme Éliane Assassi. - Il convient de rappeler que, dans l'ordonnance de 1945, le tribunal peut toujours prononcer une mesure éducative à l'encontre d'un mineur délinquant. Nous traduisons ainsi la réserve d'interprétation du Conseil d'État qui a rappelé que l'emprisonnement des mineurs devait rester une exception.
Le dispositif des peines plancher n'a vocation à s'appliquer que si la juridiction prononce une peine d'emprisonnement. En outre, le problème ne vient pas tant des jeunes que de la diminution progressive des moyens alloués aux magistrats et aux éducateurs pour mettre en oeuvre des mesures éducatives. Or, c'est bien souvent la lenteur de la réponse pénale qui favorise la récidive. Mais le gouvernement préfère les annonces médiatiques au financement de la protection judiciaire de la jeunesse. Vous estimez que le travail sur le long terme ne parle pas à l'opinion et c'est pourquoi vous lui préférez une justice mécanique, à contre-courant de ce qui devrait être fait pour les mineurs délinquants.
M. le président. - Amendement n°52, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Dans le septième alinéa (3°) de cet article, supprimer les mots :
un délit de violences volontaires,
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Le juge ne pourra atténuer la responsabilité pénale du mineur lorsqu'il aura commis un délit de violences volontaires. Or, dans un article de Libération, vous avez dit, madame la garde des sceaux, que « c'est à ces mineurs là, auteurs de violences graves et réitérées aux personnes, et à ceux-là seulement, que mon projet de loi s'adresse ».
Il convient donc de circonscrire le champ des délits visés en supprimant les atteintes aux biens.
M. le président. - Amendement n°25, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Dans le septième alinéa du I de cet article, après les mots :
délit de violences volontaires
insérer les mots :
ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 10 jours
Mme Alima Boumediene-Thiery. - La notion de délit ne recouvre pas les mêmes réalités. Il convient de faire la différence entre les divers types d'agression.
Je m'élève contre la procédure de comparution immédiate prévue pour les mineurs de 16 à 18 ans. En effet, l'exclusion de l'atténuation de la responsabilité du mineur par le juge impose un délai de réflexion et une appréciation approfondie de la personnalité du mineur, donc un rallongement des investigations avant le prononcé de la peine.
Le principe d'atténuation de la peine pour les mineurs est un principe constitutionnel auquel il ne peut être dérogé que dans le cadre d'une réelle étude du dossier : il s'oppose donc à ce que l'excuse de minorité soit écartée dans le cadre d'une procédure accélérée.
La présentation immédiate devant le juge n'est pas une procédure adaptée à une décision d'exclusion du principe de l'atténuation de la peine pour le mineur. Cette décision ne peut intervenir que dans le cadre de la procédure classique de jugement, avec les délais qui y sont attachés.
En cas de première récidive, le projet de loi impose au juge de motiver sa décision lorsque les circonstances et la personnalité du mineur le justifient : or tout ceci demande du temps, ce que la procédure de comparution immédiate ne permet pas.
En cas de deuxième récidive, le juge ne peut atténuer la peine que s'il motive de manière spéciale sa décision : là encore, une telle motivation peut prendre du temps et suppose des investigations approfondies qui ne sont pas possibles avec la procédure accélérée.
M. le président. - Amendement n°26, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Dans le septième alinéa du I de cet article, après les mots :
délit commis avec la circonstance aggravante de violences
insérer les mots :
ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 10 jours
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Il est défendu.
M. le président. - Amendement n°27, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
Compléter in fine le I de cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« La décision de ne pas faire bénéficier le mineur de l'atténuation de la peine ne peut être prononcée par le tribunal pour enfants ou le juge des enfants lorsque le mineur est poursuivi en vertu de la procédure prévue à l'article 14-2. »
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Il est également défendu.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Rappelons le cadre dans le quel nous évoluons : aujourd'hui, la situation est extrêmement différente en fonction de l'âge du mineur.
Les mineurs de moins de 10 ans capables de discernement ne peuvent faire l'objet que de mesures éducatives.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Encore heureux !
M. François Zocchetto, rapporteur. - Les mineurs de 10 à 13 ans ne peuvent pas être condamnés à une peine mais ils sont susceptibles de sanctions éducatives introduites par la loi du 9 septembre 2002.
Les mineurs de 13 à 16 ans, qui, pour certains, commettent des actes graves, et qui peuvent déjà être récidivistes, peuvent être condamnés à certaines peines, mais ils bénéficient toujours d'une diminution des peines privatives de liberté et des peines d'amende. Pour ces trois catégories, le texte que nous examinons ne change rien.
J'en viens aux jeunes de 16 à 18 ans qui bénéficient, en principe, d'une atténuation de la responsabilité que la juridiction de jugement peut cependant écarter sous certaines conditions. Pour ceux-là, le projet de loi prévoit d'étendre les conditions dans lesquelles le juge, en cas de récidive, peut écarter l'excuse de minorité pour des infractions particulières, telles que crimes, violences ou agressions volontaires.
En cas de nouvelle récidive, l'atténuation de la peine est exclue à moins que la juridiction en décide autrement.
Le texte ne remet en cause ni l'âge de la majorité pénale, ni le principe d'atténuation de responsabilité, ni -c'est un acquis essentiel de l'ordonnance de 1945- la spécialisation des juridictions pour mineurs. Ces observations étant faites, la commission est défavorable à tous les amendements qui viennent d'être défendus.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Avis défavorable aux amendements 40 et 59 dès lors que le texte ne modifie pas l'article 2 de l'ordonnance de 1945 ; le prononcé de mesures éducatives reste toujours possible. Même avis à l'amendement 58, qui ferait disparaître une des dispositions essentielles du projet. Je vais vous donner quelques chiffres concernant les mineurs de treize à seize ans : les condamnations pour homicide volontaire, violences ayant entraîné la mort ou viol ont augmenté de 28 % entre 2000 et 2005, celles pour violences volontaires ayant entraîné une ITT de plus de dix jours, de 19 % ; celles pour délits à caractère sexuel, de 43 %.
Avis défavorable à l'amendement 52 -l'article 3 rend plus lisible l'article 20-2, ce dont le conseil d'État s'est félicité ; à l'amendement 25 -le traumatisme peut être important, même si l'ITT est inférieure à dix jours ; enfin aux amendements 26 et 27.
M. Jean-Pierre Sueur. - M. Chaillou, très respecté et très compétent président de la chambre des mineurs à la cour d'appel de Paris, écrivait hier ceci : « Ce qui est certain, c'est que ce projet est parfaitement contraire à l'esprit de la convention internationale des droits de l'enfant que la France a ratifiée. (...) Il ne faudra pas s'étonner si notre pays est à nouveau montré du doigt. (...) La question de la récidive des mineurs reste préoccupante, difficile et complexe, mais mérite mieux que ce texte illusoire. Notre pays dispose en effet déjà de toute une gamme de mesures qui permettent de lutter contre ce phénomène.(...) Une des innovations les plus fortes, qui n'est plus guère contestée aujourd'hui, a été la création en 2002 des centres éducatifs fermés (CEF) qui connaissent des résultats salués par le commissaire européen aux droits de l'homme. » Et le magistrat poursuivait, dans ce point de vue publié dans Libération (Ironie à droite) : « La région parisienne, qui compte 12 millions d'habitants dont un certain nombre vit dans des banlieues en difficulté, ne dispose que d'un CEF, et ce depuis le 4 avril 2007 ; il accueille aujourd'hui six mineurs de 16 à 18 ans. Un deuxième ouvrira peut-être en 2008. »
Au lieu de cette loi d'affichage, qui pourra impressionner mais aura peu d'effets concrets, le gouvernement aurait dû venir nous présenter les moyens qu'il entendait dégager en priorité pour doter l'Île-de-France de centres supplémentaires !
M. Dominique Braye. - Le devoir d'un homme politique, a dit tout à l'heure M. Badinter, n'est pas de suivre l'opinion publique ; j'ajouterai : parce que celle-ci apporte souvent de mauvaises réponses à de vraies questions. Mais le devoir d'un homme politique, à mon sens, est aussi d'entendre les questions que se posent nos concitoyens en difficulté et d'apporter les bonnes réponses. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit). Un seul CEF en Île-de-France ? Mais qu'avez-vous fait vous-même ? Je repense aux conclusions de la commission spéciale sur les événements de l'automne 2005, à l'appel au secours des élus : de grâce, agissez !
Je suis de ceux qui pensent que ce texte conduira dans un premier temps à une augmentation du nombre d'incarcérations. Les auditions de la commission spéciale l'ont démontré, les éducateurs l'ont dit, qui ne savent plus quoi faire : c'est en laissant trop longtemps certains jeunes impunis qu'on les a ancrés dans la délinquance ; c'est toute une génération qui a été perdue.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Toute une génération ! Comme vous y allez !
M. Dominique Braye. - Je ne veux pas, moi, d'une autre génération perdue ! A la première infraction, il faut que la sanction tombe : c'est ce que permettra ce projet de loi. Et puis, que proposez-vous de concret ?
M. Jean-Pierre Sueur. - De nouveaux CEF !
M. Jean-René Lecerf. - Selon certains, les élus de la majorité seraient seulement préoccupés de répression et de sanction tandis que les représentants de l'opposition se soucieraient de prévention et d'insertion. Cette présentation est quelque peu manichéenne, caricaturale...
M. Charles Gautier. - Je n'ai jamais dit ça !
M. Jean-René Lecerf. - Pour Mme Assassi, nous aurions oublié, dans notre prétendue fureur répressive, de donner des moyens à la justice. Pourtant, le budget de la Chancellerie a augmenté de 38 % en cinq ans et les effectifs des services responsables de l'insertion ont augmenté dans des proportions jamais égalées auparavant. Telle est la réalité !
Par ailleurs, pourquoi accepter, comme le font certains à gauche pour qui j'ai de l'estime, voire de l'admiration, que la prison reste ce qu'elle est devenue depuis trop longtemps ? Si l'on mélange mineurs et majeurs délinquants, la prison se transforme en école de la récidive !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Juste !
M. Jean-René Lecerf. - Nous avons l'ambition de mettre fin à cet état de choses et nous attendons beaucoup d'un prochain texte sur le système pénitentiaire. Les éducateurs, les psychiatres et tous ceux qui travaillent aujourd'hui avec les mineurs délinquants s'accordent à dire que, dans certains cas, l'action éducative n'est efficace qu'en milieu fermé. D'ailleurs, l'expérience encourageante des centres éducatifs fermés est aujourd'hui saluée par les personnels de la PJJ, qui au départ y étaient violemment hostiles. Les établissements pénitentiaires pour mineurs ne doivent pas être le lieu où on laisse les jeunes faire ce qu'ils veulent...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Très bien !
M. Jean-René Lecerf. - ... mais un endroit où ils apprennent, sont éduqués et reçoivent une formation professionnelle. Connaître l'enfermement peut être une chance pour les jeunes, et non un handicap ! (Applaudissements à droite)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Lorsque l'on entend dire au Sénat que « toute une génération est dans la délinquance », il y a de quoi s'inquiéter...
M. Dominique Braye. - Reprenez le travail de la commission ! Vous refusez de voir la réalité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Les textes permettent déjà de sanctionner les mineurs délinquants tout en essayant de leur éviter, autant que faire se peut, la prison.
Ce texte est très limité. Après la loi de « prévention » de la délinquance, ce texte propose de prolonger l'emprisonnement des mineurs. La seule question qui vaille est : cela aura-t-il un effet sur la récidive ? Dans Libération, madame le garde des sceaux, vous avez longuement évoqué les mineurs délinquants et leur dangerosité, sans parler des prisons.
Le leitmotiv des partisans du tout-carcéral est que les jeunes d'aujourd'hui ne sont pas ceux de 1945. Quelle lapalissade ! Nous l'avons entendu hier, aujourd'hui...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Et vous l'entendrez encore demain !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Certes, les choses ont changé. Ordinateurs, GPS, téléphones mobiles n'existaient pas ; l'argent n'était pas aussi concentré dans les mains des riches et la violence gratuite ne s'étalait pas comme aujourd'hui à la télévision et sur internet. Plus important, le viol n'était pas considéré comme un crime et l'inceste était un tabou dans les familles. Aucun relevé n'en faisait état. Enfin, ceux qui ont libéré la France et repoussé la barbarie que d'autres soutenaient croyaient en l'homme, ils croyaient en la jeunesse. Ce qui n'est pas le cas de ceux qui affirment aujourd'hui que toute une génération est dans la délinquance... (Protestations à droite)
M. Dominique Braye. - N'importe quoi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - En 1945, on croyait en la solidarité. La société n'était envahie par l'argent. La délinquance financière, florissante aujourd'hui, est fort peu sanctionnée. Mais une chose n'a pas changé depuis 1945.
M. Dominique Braye. - Madame Borvo, continuez comme ça ! La prochaine fois, vous ferez 0,8 % aux présidentielles !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Un adolescent n'est pas un adulte...
M. Dominique Braye. - Un garçon n'est pas une fille, etc...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - ... et les adolescents le restent plus longtemps. Dans les familles aisées, c'est à 30 ans parfois que l'enfant prend son autonomie. Les adolescents sont des adultes en devenir. Ils sont parfois déstructurés, désocialisés, désorientés.
M. Dominique Braye. - On les comprend ! Avec vous, comment voulez-vous qu'ils s'y retrouvent !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Pour les jeunes, la prison est criminogène. Hélas ! Bien que de nombreux pays aient pris exemple sur la France après 1945, vous ne cessez de revenir sur cette grande avancée qu'est la justice des mineurs.
L'amendement n°40 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos 58, 59, 52, 25, 26 et 27.
L'article 3 est adopté.
La séance est suspendue à 19h 45.
présidence de M. Guy Fischer,vice-président
La séance est reprise à 21 h 50.
Commissions
(Candidatures)
M. le président. - Le groupe socialiste a fait connaître à la Présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des affaires économiques à la place laissée vacante par Mme Sandrine Hurel, élue députée.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du règlement.
Récidive des majeurs et des mineurs
(Urgence)
(Suite)
Article 4
La première phrase du premier alinéa de l'article 362 du code de procédure pénale est complétée par les mots : « , ainsi que, si les faits ont été commis en état de récidive légale, de l'article 132-18-1 et, le cas échéant, de l'article 132-19-1 ».
M. Richard Yung. - Cet article vise à compléter l'article 362 du code de procédure pénale pour permettre aux présidents de cour d'assises d'informer les jurés des dispositions des nouveaux articles relatifs aux peines minimales. Par coordination avec les amendements déposés aux articles premier et 2, nous demandons sa suppression.
M. le président. - Amendement identique n°60, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Coordination.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Par coordination, avis défavorable : ces amendements n'ont plus lieu d'être.
Les amendements identiques n° 41 et 60, repoussés par le gouvernement, ne sont pas adoptés.
L'article 4 est adopté.
Articles additionnels
L'amendement n°12 rectifié est retiré.
M. le président. - Amendement n°42 rectifié, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans le septième alinéa de l'article 41 du code de procédure pénale, après le mot : « prescrites » sont insérés les mots : « , à peine de nullité, ».
M. Jacques Mahéas. - Le sixième alinéa de l'article 41 du code de procédure pénale prévoit que le Procureur de la République peut requérir, suivant les cas, le service pénitentiaire d'insertion et de probation, le service compétent de l'éducation surveillée ou toute personne habilitée à vérifier la situation matérielle, familiale et sociale d'une personne faisant l'objet d'une enquête et de l'informer sur les mesures propres à favoriser l'insertion sociale de l'intéressé.
Le septième alinéa de cet article 41 prévoit que ces diligences doivent être prescrites dans un certain nombre de circonstances. Or, force est de constater que dans de nombreux cas déjà, ces diligences ne sont pas faites, faute de moyens humains et matériels : un constat de carence permettant de passer outre est produit. Le manque de moyens est un leitmotiv dans ce débat. Même si les choses ont progressé, il est temps que ce budget fasse un bond dans le prochain collectif.
Cet amendement prévoit que ces diligences doivent être faites à peine de nullité.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Il est vrai que le défaut de diligences sur l'enquête de personnalité n'est pas une cause de nullité. Mais il est des cas, comme la comparution immédiate, où l'affaire peut être renvoyée à une audience ultérieure quand la juridiction estime n'être pas suffisamment informée. Les juges sont responsables et, de fait, renvoient souvent l'audience. Votre préoccupation a été en outre satisfaite par l'amendement n°5 de la commission, qui prévoit que le ministère public ne peut prendre aucune réquisition visant à retenir la circonstance aggravante de récidive s'il n'a requis au préalable une enquête de personnalité.
L'amendement n° 5, repoussé par le gouvernement, n'est pas adopté.
M. Jacques Mahéas. - Ayant plus de confiance dans les magistrats que la majorité de cette assemblée, je me réjouis d'entendre dire pour une fois qu'ils sont capables de prendre leurs responsabilités. Compte tenu de cet état d'esprit, je retire l'amendement.
L'amendement n°42 rectifié et retiré.
L'amendement n°68 est retiré.
CHAPITRE II
Disposition relatives à l'injonction de soins
Article 5
I. - À l'article 131-36-4 du code pénal, le premier alinéa est abrogé et les deux premières phrases du deuxième alinéa sont remplacées par la phrase suivante :
« Sauf décision contraire de la juridiction, la personne condamnée à un suivi socio-judiciaire est soumise à une injonction de soins dans les conditions prévues aux articles L. 3711-1 et suivants du code de la santé publique, s'il est établi qu'elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement, après une expertise médicale ordonnée conformément aux dispositions du code de procédure pénale. »
II. - 1° Les deux premières phrases du troisième alinéa de l'article 763-3 du code de procédure pénale sont remplacées par les phrases suivantes :
« Si la personne condamnée à un suivi socio-judiciaire n'a pas été soumise à une injonction de soins, le juge de l'application des peines ordonne en vue de sa libération une expertise médicale afin de déterminer si elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement. S'il est établi à la suite de cette expertise la possibilité d'un traitement, la personne condamnée est soumise à une injonction de soins, sauf décision contraire du juge de l'application des peines. » ;
2° À la dernière phrase du même alinéa du même article, les mots : « de l'alinéa précédent » sont remplacées par les mots : « des deux alinéas précédents ».
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Poursuivant dans la défiance à l'égard des juges, cet article vise à leur retirer la faculté de prononcer une injonction de soins. Dans le régime en vigueur, le juge peut décider de ne pas l'ordonner, même si une expertise conclut à sa nécessité. Cette liberté traduit le respect du principe d'individualisation de la peine, et permet que le prononcé de soins ne prenne pas le caractère d'une sanction.
Avec cet article 5, le juge ne pourra plus se soustraire à l'avis de l'expert. Une telle psychiatrisation de la justice porte atteinte au pouvoir du juge -gardien des libertés individuelles en vertu de la Constitution- d'individualiser la peine ; elle le transforme en simple exécutant, requis d'obéir à une autorité médicale omnipotente et omnisciente.
Le principe d'individualisation des peines est pourtant l'un des principes fondamentaux de notre droit : le juge peut reconnaître une personne responsable même si l'expertise psychiatrique a conclu à l'irresponsabilité. Il garantit l'étanchéité des compétences : le médecin soigne et le juge prononce des sanctions. Tous deux collaborent pour prendre au mieux en compte l'intérêt du condamné. Confier un pouvoir quasi-juridictionnel à un expert psychiatre porte gravement atteinte aux principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance des juges.
Cela impose aux psychiatres des sujétions qui sortent de leur compétence, puisque la responsabilité des juges leur est transférée.
De plus, vous renoncez à la double expertise, pourtant indispensable pour appréhender l'injonction : en cas de doute, elle évite d'imposer des soins à une personne qui n'en aurait pas besoin. Avec ce projet de loi, cette précaution devient une chimère, puisque un seul expert a le pouvoir d'imposer des soins, en contradiction avec le principe de consentement.
Mme Éliane Assassi. - Avec cet article 5 nous abordons l'injonction de soins, ajoutée à la dernière minute par le gouvernement. Le texte tend à systématiser cette injonction pour les auteurs d'infractions sexuelles. Ainsi, la juridiction qui impose le suivi judiciaire devra impérativement ajouter l'injonction de soins si, d'après une expertise médicale, l'intéressé est susceptible de faire l'objet d'un traitement.
Les articles suivants transforment l'injonction en condition préalable à la mise à l'épreuve, à la réduction de peine et à la libération conditionnelle. Or presque dix ans après la loi de 1998 qui a imposé le suivi socio-judiciaire, son application est au point mort. Pourquoi ? Nous manquons de moyens financiers, de conseillers de probation et de psychiatres.
En matière de récidive et de délinquance sexuelle, vous accordez la priorité à l'incarcération dont on sait qu'elle n'est pas une solution. L'injonction de soins pourrait être une bonne chose, mais le champ des infractions concernées par un suivi socio-judiciaire est considérablement étendu, induisant une confusion entre criminalité, délinquance et pathologie mentale. À l'unanimité, les médecins défendent le principe du consentement aux soins. A l'inverse, le projet de loi, notamment ses articles 8 et 9, impose des soins sous contrainte. En effet, une personne qui refuserait un traitement ne pourrait bénéficier de réduction de peines ni de libération conditionnelle.
Cette mesure n'est que pur affichage. Notre rapporteur souhaite que l'élargissement de l'injonction de soins s'accompagne de moyens supplémentaires : votons la loi, nous verrons si les moyens suivent ; si ce n'est pas le cas, une nouvelle loi interviendra ! En réalité, le nouveau dispositif risque d'être contre-productif du point de vue médical et pour combattre la récidive.
Donnons-nous les moyens d'appliquer les mesures qui existent déjà !
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous abordons une question très difficile. Nous ne sommes pas hostiles à l'injonction de soins, qui doit pouvoir être décidée par le juge dans des circonstances très précises, mais ce texte introduit quelque chose de nouveau puisque le juge sera obligé de prononcer cette injonction. Ce dispositif est cohérent avec les peines plancher qui deviennent la règle. Pourquoi le juge perd-il toute capacité d'appréciation ? J'espère que nous aurons une réponse.
Ce dispositif s'inscrit dans le contexte général des cinq dernières années, marquées par de nouvelles manifestations de l'hygiénisme, cette approche qui tend à confier à la médecine le soin de régler des questions extérieures à son domaine. Ainsi, l'amendement déposé par M. Accoyer disposait que seuls des médecins et des psychologues diplômés pouvaient traiter la souffrance psychologique, à l'exclusion des psychanalystes et des psychothérapeutes. Dans le même ordre d'esprit, deux rapport de l'INSERM -dont l'un a beaucoup intéressé l'actuel président République- tendent à démontrer que -sous l'égide du ministère de la santé !- il fallait détecter les futurs délinquants dès l'âge d'un an, voire plus tôt. Cette réalité n'est pas étrangère aux déclarations faites par le président de la République lorsqu'il était candidat au cours d'une entrevue avec un philosophe : la criminalité, selon lui, était largement innée, tout comme l'esprit suicidaire. Ce déterminisme biologique a beaucoup de conséquences sur la conception de la société et de l'éducation. Aux termes des articles 5, 6, 7, 8 et 9, un expert appréciera s'il est pertinent ou non de prononcer une injonction thérapeutique et cette décision s'imposera au juge.
Les magistrats estiment que les psychiatres relèvent d'une déontologie fondée sur la confiance avec leurs patients. En faire des auxiliaires de justice porte donc atteinte à l'éthique médicale et l'obligation de prononcer l'injonction dote les experts d'un pouvoir quasi juridictionnel. Une nouvelle fois, le pouvoir du juge est mis en cause, ce qui viole de séparation des pouvoirs.
M. le président. - Amendement n° 43, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je viens de poser une question de principe, à laquelle j'espère obtenir une réponse, j'en viens aux questions pratiques.
Depuis que la loi de 1998 a instauré l'injonction de soins, aucune évaluation du dispositif n'est intervenue, alors même que son champ d'application était considérablement étendu, notamment en 2005. Or, les constats sont inquiétants. En effet, cette injonction suppose l'intervention d'un médecin coordonnateur, interface entre le juge d'application des peines et le médecin traitant du condamné. Le rôle du médecin coordonateur a été fixé par le décret du 16 juin 2000, mais les juridictions éprouvent le plus grand mal à recruter ces praticiens parce que de nombreux postes sont vacants dans les hôpitaux et les prisons.
De plus, la rémunération de ces médecins, non revalorisée depuis 1981, est peu attractive. C'est bien pourquoi le suivi socio-judiciaire avec injonction de soins ne peut être mis en place. Ce n'est pas mieux pour les médecins traitants : peu de psychiatres privés acceptent de prendre en charge des condamnés, et les psychiatres du public sont surchargés. Les cours d'appel ont aussi de plus en plus de mal à recruter des experts psychiatres. Donc, en confiant à ces experts une responsabilité déterminante, il est à craindre qu'ils ne décident systématiquement l'injonction de soins.
Vous proposez d'adopter, en urgence, un projet de loi qui modifie en profondeur le dispositif d'injonction de soin, pour le fonder sur des expertises et sur des psychiatres, alors même que nous manquons d'experts et de psychiatres ! Quel sens y a-t-il à voter dans l'urgence une loi que nous n'avons pas les moyens de mettre en oeuvre ? Mieux vaudrait s'occuper d'abord des moyens !
M. François Zocchetto, rapporteur. - Vous prétendez être favorables à l'injonction de soins.
M. Jean-Pierre Sueur. - Dans les conditions de la loi actuelle !
M. François Zocchetto, rapporteur. - L'injonction est une excellente façon de lutter contre la récidive. Actuellement, cette obligation peut être décidée par le juge avant même la condamnation. La violation de cette obligation peut entraîner la détention provisoire ou la révocation du sursis. Le dispositif proposé n'est donc pas novateur. En prison, les traitements se font sur la base du volontariat, le refus n'est pas punissable mais il peut amener à diminuer les réductions de peine supplémentaires.
M. Jean-Pierre Sueur. - Alors, pourquoi changer ?
M. François Zocchetto, rapporteur. - Le suivi socio-judiciaire peut comprendre l'injonction de soins, laquelle est déjà subordonnée à une expertise médicale. Je ne vois donc rien de choquant à ce que le magistrat prenne l'avis d'un spécialiste.
M. Jean-Pierre Sueur. - Pourquoi changer la loi ?
M. Dominique Braye. - Laissez-nous écouter !
M. François Zocchetto, rapporteur. - Le texte proposé généralise l'injonction pour les délinquants sexuels qui, pour la plupart, veulent en bénéficier : cela ne posera donc aucune difficulté.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - C'est plus compliqué que cela, vous le savez bien.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Le projet de loi subordonne la liberté conditionnelle à un traitement. Ce n'est pas une obligation et le juge peut très bien ne pas suivre l'avis de l'expert et ne pas prononcer l'injonction. Quant au délinquant qui ne suivra pas son traitement, il assumera ses responsabilités : tombée du sursis ou absence de remise de peine supplémentaire.
Nous parlons ici essentiellement de délinquants sexuels ou de coupables d'actes de torture ou de barbarie : je ne comprends donc pas vos objections, toutes théoriques et liées à des considérations sur l'amendement Accoyer qui n'ont rien à faire ici.
Voix à gauche - Mais si ! C'est un tout !
M. François Zocchetto, rapporteur. - Madame la ministre, nous souhaitons que les décrets permettant aux psychologues d'intervenir dans le suivi socio-judiciaire soient publiés et nous souhaitons aussi que les moyens nécessaires soient donnés aux médecins coordonateurs et traitants. Des informations sur ce qu'envisage à ce sujet le Gouvernement nous rassureraient. Avis défavorable à l'amendement de suppression.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - En matière criminelle, l'expertise psychiatrique est obligatoire, sur le niveau de responsabilité et l'accessibilité à la sanction pénale. Ce n'est donc pas nouveau. Le délinquant devra se soumettre à l'injonction si le tribunal le décide, comme c'est déjà prévu en matière criminelle : l'objectif est de prévenir la délinquance sexuelle car si le délinquant se soigne, il récidivera moins. En détention, les remises de peine sont conditionnées au suivi de soins. Les délinquants sexuels sont souvent des détenus modèles car, en prison, ils n'ont pas de tentation. On les soigne pour protéger les citoyens, nos enfants, la société toute entière. Avis défavorable. (Applaudissements à droite)
M. Dominique Braye. - Pensez un peu aux victimes !
Mme Isabelle Debré. - Depuis plus de quinze ans, je travaille dans une association qui lutte contre la maltraitance des enfants. Vous n'évoquez jamais les victimes... Moi, j'ai été frappée à jamais par un cas de récidive : un grand-père avait violé sa petite-fille... pour la quatrième fois ! Il n'y avait jamais eu de suivi médical. Venez donc un peu dans l'association où j'ai l'honneur de travailler : alors, vous ne tiendrez plus ce genre de propos et vous penserez un peu plus aux victimes. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous sommes tous attachés à la défense des victimes et nous n'acceptons pas le procès qui nous est fait : au motif que nous n'approuvons pas l'écriture d'un texte, nous serions contre les victimes. Moi aussi, j'en ai côtoyé de près et je sais leurs souffrances.
Un certain nombre de personnes détenues, criminelles, se trouvent aussi dans des situations douloureuses, difficiles, graves. Relèvent-t-elles de troubles de la personnalité, de la médecine ? Chacun conviendra que vouloir tout régler par la médecine serait une erreur.
Mme Isabelle Debré. - Je n'ai jamais dit ça !
M. Jean-Pierre Sueur. - Madame la garde des sceaux, vous avez bien dit le rôle important des troubles de la personnalité. On ne peut pas laisser croire à nos concitoyens qu'ils seront protégés uniquement par le recours à la médecine. Entendez-moi bien (Marques d'impatience sur plusieurs bancs à droite) : je n'ai jamais dit que la médecine était inutile. Il y a, bien sûr, des cas où il faut faire appel à la médecine, à la pharmacie, aux médicaments. Mais croire que tous les problèmes psychiques lourds seront réglés par les médicaments serait une erreur. J'ai bien entendu M. le rapporteur et Mme la garde des sceaux qui ont présenté un très bon plaidoyer pour la loi actuelle (Mme Borvo Cohen-Seat approuve), qui fait déjà une place à l'injonction de soins. Je répète qu'il y a des cas où le juge doit pouvoir décider une injonction de soins mais il doit disposer d'un pouvoir d'appréciation. Pourquoi ne choisissez-vous pas cette voie moyenne ?
On peut discuter des peines planchers, qui sont clairement la première raison d'être de votre texte. La question de l'injonction thérapeutique est arrivée après...
M. Dominique Braye. - Et alors ?
Mme Isabelle Debré. - C'est la liberté du gouvernement !
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous n'avez pas présenté d'argument très fort pour modifier la loi. Si vous parlez aux magistrats de ce sujet, comme je l'ai fait, ils vous diront tous la même chose : d'abord, il est très difficile de trouver des experts ; dans de très nombreuses juridictions, il n'y a ni expert, ni psychiatre, pour appliquer ce qu'ils décident. (M. Braye s'impatiente) Je propose d'en rester à la loi existante. Mais donnons aux juges les moyens de l'appliquer, donnons-leur des experts et des psychiatres, cela prendra de l'argent et du temps. Ensuite, nous pourrons changer la loi. Ce serait plus réaliste que de modifier, comme vous le faites, à toute vitesse, les dispositions existantes.
M. Robert Badinter. - A maintes reprises et de tous côtés, nous nous sommes inquiétés de ce que devient ce que nous votons. L'une des fautes les plus graves serait de laisser croire que seront mises en oeuvre des mesures qui, dans la pratique, ne se réaliseront pas.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Eh oui !
M. Robert Badinter. - Sur le sujet qui nous intéresse, on n'a dressé aucun bilan, aucun compte rendu des progrès réalisés, des besoins exprimés, aucune étude d'impact sur le suivi socio-judiciaire et l'injonction de soins. Dans un document tout à fait récent, du 8 juin 2007, la commission instaurée par la loi de 2005 sur le traitement de la récidive estime indispensable d'évaluer l'efficacité actuelle du suivi socio-judiciaire. Elle cite des chiffres : 1 063 mesures en 2004, contre 853 en 2003, et bien moins encore en 2005. Elle précise que le nombre de mesures prononcées est très peu élevé par rapport au nombre des infractions relevant potentiellement de ce dispositif.
Déjà, je m'étais étonné que le rapport Garraud sur les réponses à la dangerosité veuille étendre les peines de suivi socio-judiciaire à l'ensemble des infractions concernant les atteintes aux personnes ! (Mme Borvo Cohen-Seat rit) Malgré ses questions, la commission que j'évoquais à l'instant n'a jamais pu constater le nombre d'injonctions de soins actuellement en cours. Quand elle note qu'il n'y a que 90 médecins coordonnateurs recensés sur 181 tribunaux de grande instance, elle conclut que, dans le meilleur des cas, l'injonction de soins ne s'applique que dans une petite moitié des tribunaux français, ce qui est très regrettable. Et d'ajouter qu'aucune évaluation ou étude n'a jamais été réalisée sur l'efficacité de ce suivi dans la durée ni sur la pertinence de cette peine pour la prévention de la récidive.
Le vrai problème, c'est celui des moyens, ce n'est pas celui des textes ! Quand le président de la chambre criminelle de la cour de cassation avoue lui-même que l'empilement des textes en matière pénale est si grand que lui, le meilleur expert en cette matière, n'est jamais sûr de rien, et que pendant ce temps-là, vous continuez à produire des textes nouveaux sans moyens, nous touchons là le coeur du problème.
Le rapport que j'évoquais il y a un instant ajoute même qu'un suivi peut devenir contre-productif au bout d'un certain temps.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Bien sûr !
M. Robert Badinter. - Et la même commission évoque les cas où le condamné demande des soins que l'on ne peut pas lui fournir, faute de moyens ! Alors, face à cette réalité, on prend une loi d'affichage, qui prend des postures, et les déceptions ne peuvent que succéder aux déceptions. Pour tous les justiciables français, pour nous tous, ce n'est tout simplement pas supportable !
Alors, madame le garde des sceaux, dans un an, venez nous présenter, pour notre information, la réalité des mesures et des moyens de suivi socio-judiciaire et d'injonction de soins ! (Mme le garde des sceaux approuve) On ne vote pas un texte sans en avoir les moyens !
M. Dominique Braye. - Nous sommes tous bien d'accord : il faut disposer des moyens nécessaires pour faire appliquer la loi, mais je peux vous retourner l'argument, et je me souviens de nos débats de l'an dernier, lorsque j'étais rapporteur pour avis de la loi sur le droit au logement opposable. Je vous dirais la même chose aujourd'hui : il faut le faire quand même, car la loi sera un aiguillon pour accroître les moyens ! Notre pays a besoin de cet aiguillon pour développer le suivi médical, pour pousser ces malades à se soigner ! Que n'avons-nous entendu sur vos bancs, lorsque nous avions proposé de créer le fichier des empreintes génétiques ! Je vous fais grâce du rappel des propos que vous teniez à l'époque et du nombre de criminels et de délinquants sexuels que nous avons ainsi empêché de récidiver ! (Mme Borvo Cohen-Seat s'exclame) Je suis convaincu qu'une fois de plus, nous sommes dans le droit chemin. (« Très bien ! » à droite)
L'amendement n°43 n'est pas adopté.
L'article 5 est adopté.
Article 6
Il est inséré après l'article 132-45 du code pénal, un article 132-45-1 ainsi rédigé :
« Art. 132-45-1. - Sauf décision contraire de la juridiction, la personne condamnée à une peine d'emprisonnement assortie du sursis avec mise à l'épreuve pour l'une des infractions pour lesquelles le suivi socio-judiciaire est encouru est soumise à une injonction de soins dans les conditions prévues aux articles L. 3711-1 et suivants du code de la santé publique, s'il est établi qu'elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement, après une expertise médicale ordonnée conformément aux dispositions du code de procédure pénale.
« En cas d'injonction de soins, le président avertit le condamné qu'aucun traitement ne pourra être entrepris sans son consentement, mais que, s'il refuse les soins qui lui seront proposés, l'emprisonnement prononcé pourra être mis à exécution.
« Lorsque la juridiction de jugement prononce une peine privative de liberté qui n'est pas intégralement assortie du sursis avec mise à l'épreuve, le président informe le condamné qu'il aura la possibilité de commencer un traitement pendant l'exécution de cette peine. »
M. le président. - Amendement n° 44, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Jacques Mahéas. - La droite n'a manifestement pas compris notre philosophie.
M. Dominique Braye. - C'est bien vrai !
M. Christian Cointat. - Elle est incompréhensible !
M. Jacques Mahéas. - Ne nous faites pas l'outrage de dire que nous ne pensons pas aux victimes. Nous voulons au contraire obtenir les moyens de les protéger, en luttant réellement contre la récidive ! Or ce texte n'est que pur affichage : aucun chiffrage financier, aucune étude d'impact des lois précédentes ! Nous sommes collégialement responsables de ces mauvaises habitudes, je le reconnais.
L'article 6 étend le champ de l'injonction de soins au sursis avec mise à l'épreuve, et la rend systématique à chaque fois que le suivi socio-judiciaire est encouru et qu'une expertise psychiatrique en a confirmé la pertinence. Le juge perdra donc son libre arbitre.
Mes arguments sont homothétiques de ceux avancés par M. Sueur : absence de bilan du fonctionnement de l'injonction de soins, difficulté à recruter des médecins coordonnateurs, manque de moyens, de médecins et d'experts, confusion entre délinquance et maladie psychiatrique -dans la lignée de votre précédente loi sur la délinquance. Je suis, moi aussi, un élu de terrain. Ma ville compte deux grands hôpitaux psychiatriques : tous les médecins disent qu'injonction ne signifie pas consentement, et que si le malade est opposé au traitement, c'est l'échec assuré !
Cette généralisation n'est pas opportune : assurons-nous d'abord de l'application effective des textes existants !
M. François Zocchetto, rapporteur. - Je me demande si vous avez pris la peine de lire le projet de loi : le juge « pourra » prononcer l'injonction de soins, il n'est pas question d'obliger quelqu'un à se soigner contre sa volonté ! Ne suscitez pas la confusion ! (M. Braye approuve).
M. Jacques Mahéas. - Et s'il refuse d'être soigné ?
M. François Zocchetto, rapporteur. - Il assumera ses responsabilités. Les conséquences sont encadrées par le texte : révocation du sursis, annulation des diminutions de peine, maintien en détention. Avis défavorable à l'amendement.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - L'injonction de soins et l'obligation de soins sont deux régimes différents. La première prévoit la présence d'un médecin coordonnateur qui rendra compte de la thérapie, de la réinsertion et de leur effet sur la prévention de la récidive. Le bâton, dites-vous ? Je préfère qu'il soit pour le délinquant que pour la victime !
Les moyens seront au rendez-vous : il y a déjà 192 médecins coordonnateurs, et nous allons lancer un plan de recrutement massif d'ici le 1er mars 2008, date d'entrée en vigueur de cette mesure.
M. Jacques Mahéas et M. Jean-Pierre Sueur. - Il faut dix ans pour former un psychiatre !
M. Dominique Braye. - Vous en avez rêvé, nous le faisons !
M. Jean-Pierre Cantegrit. - En 1981, j'avais été fort impressionné par le plaidoyer de M. Badinter en faveur de l'abolition de la peine de mort : c'était un grand moment du Parlement. Ce soir, je n'ai pas retrouvé cette fougue : j'ai entendu un grand avocat, défendant avec talent tantôt les victimes, tantôt les agresseurs...
M. Jacques Mahéas. - Pourquoi ce jugement de valeur ?
M. Jean-Pierre Cantegrit. - Je suis très étonné de la position de nos collègues socialistes, qui connaissent pourtant bien le dossier.
M. Dominique Braye. - Sûrement pas !
M. Jean-Pierre Cantegrit. - Vous trouvez vraiment la situation actuelle satisfaisante ? (Mme Borvo Cohen-Seat s'exclame). Pas moi. Ces dérives sont inadmissibles. Vous arguez de l'absence de moyens...
M. Jean-Pierre Sueur. - On demande des moyens supplémentaires !
M. Jean-Pierre Cantegrit. - La loi va permettre de les accorder...
M. Jacques Mahéas. - C'est la septième loi !
M. Jean-Pierre Cantegrit. - Qu'avez-vous fait quand vous étiez au gouvernement ? Pour ma part, je me félicite de ce souffle nouveau. (Applaudissements sur les bancs UMP).
L'amendement n° 44 n'est pas adopté.
L'article 6 est adopté.
Article 7
I. - L'article 723-30 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au troisième alinéa, les mots : « par les articles 131-36-2 (1°, 2° et 3°) et 131-36-4 » sont remplacés par les mots : « par l'article 131-36-2 (1°, 2° et 3°) » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Sauf décision contraire du juge de l'application des peines, le condamné placé sous surveillance judiciaire est soumis à une injonction de soins, dans les conditions prévues aux articles L. 3711-1 et suivants du code de la santé publique, lorsqu'il est établi, après expertise médicale prévue à l'article 723-31, qu'il est susceptible de faire l'objet d'un traitement. »
II. - À l'article 723-31 du même code, il est ajouté après les mots : « la conclusion fait apparaître la dangerosité du condamné », les mots suivants : « et détermine si le condamné est susceptible de faire l'objet d'un traitement, ».
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Cet article rend obligatoire l'injonction de soins dans le cadre de la surveillance judiciaire introduite par la loi du 12 décembre 2005. Mais avec quels moyens ? Comment allez-vous convaincre les médecins coordonnateurs, sachant que le suivi complet d'un individu leur rapporte 426 euros par an ? Les juridictions peinent à recruter ces médecins chargés de faire l'interface entre le juge d'application des peines et le médecin traitant, et plus de la moitié des tribunaux de grande instance n'en disposent pas. Les effectifs actuels sont déjà insuffisants : comment comptez-vous faire face à l'accroissement prévisible des injonctions ? Allez-vous forcer les médecins à prendre en charge un détenu libéré ? Il faut vous donner les moyens de votre politique ! Vous annoncez un grand plan de recrutements pour l'année prochaine. Mais comment évaluer toutes les conséquences de dispositions élaborées à la hâte, sans avoir au préalable rencontré les principaux intervenants qui oeuvrent dans ce domaine ?
Comment élargir autant le champ de l'injonction de soins sans avoir tiré au préalable un bilan de ce qui se fait ? On veut généraliser un système qui fonctionne mal faute de moyens !
M. le président. - Amendement n° 45, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Richard Yung. - Je comprends bien cette volonté de recruter un certain nombre de médecins psychiatres dans les prochains mois. Encore faudra-t-il leur offrir un peu plus que 420 euros par patient et par an si l'on veut trouver des volontaires.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Il n'y a pas assez de psychiatres en général.
M. Richard Yung. - Bien sûr, nous ne sommes pas opposés à l'injonction de soins, mais il faut aussi envisager des effets fâcheux : certains condamnés, parmi les pervers, pourraient demander à recevoir des soins tout en sachant très bien que ceux-ci ne pourraient leur être octroyés. Ils bénéficieraient ainsi des avantages de cette demande sans recevoir aucun soin effectif.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Il est très difficile de s'opposer à cet article 7 car il traite de condamnés dangereux et susceptibles de récidiver, et qu'il améliore sensiblement les dispositions existantes. Je suis contre l'amendement.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Défavorable à l'amendement n°45.
L'amendement n°45 n'est pas adopté
Article 8
La deuxième phrase du premier alinéa de l'article 721-1 du code de procédure pénale est remplacée par les dispositions suivantes :
« Aucune réduction supplémentaire de la peine ne peut être accordée à une personne condamnée pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru qui refuse pendant son incarcération de suivre le traitement qui lui est proposé. »
Mme Alima Boumediene-Thiery. - Après un chantage à la responsabilité du juge, voici un chantage à la libération du détenu ! On écarte scandaleusement le juge de son rôle de gardien des libertés ! Le juge doit avoir la possibilité d'aménager la peine. Il est évident que des détenus vont accepter des soins pour accélérer leur libération ; on va ainsi gonfler la demande sans avoir les moyens de la satisfaire.
Vous imposez l'impossible et l'inacceptable. Ne soyez pas surpris si vous retrouvez les acteurs dans la rue !
M. le président. - Amendement n°46, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Jacques Mahéas. - Les condamnés peuvent bénéficier de deux mécanismes de réduction de peine. D'une part, un crédit calculé sur la durée de leur condamnation selon une formule mathématique compliquée ; d'autre part, la demande de suivi médico-judiciaire. Mais à quoi recourt-on réellement dans nos hôpitaux psychiatriques ? A la camisole chimique. Or la chimie ne saurait régler tous les problèmes. S'il y a effectivement création de postes de psychiatres, j'en féliciterai la garde des sceaux mais comment trouvera-t-on assez de psychiatres ? Nos hôpitaux en manquent déjà et il faut dix ans pour les former. On risque de se trouver devant des réveils douloureux quand les condamnés sous camisole chimique se retrouveront en liberté...
Cet article, en outre, amoindrit les pouvoirs du juge d'application des peines.
M. le président. - Amendement identique n° 61, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
Supprimer cet article.
Mme Éliane Assassi. - Cet article réduit encore les pouvoirs d'appréciation pour l'aménagement des peines. Si un condamné refuse des soins dont il estime n'avoir pas besoin, il a peu de chances de sortir un jour de prison.
Le juge d'application des peines n'aura plus la liberté d'aménager la peine du condamné alors même que cet aménagement est très intéressant pour éviter la récidive. L'injonction de soins est présentée comme une bonne manière de prévenir la récidive mais on manque de médecins. Il est dangereux de rendre obligatoire ce qu'on n'a pas les moyens de faire.
M. le président. - Amendement n° 7, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
Au début du texte proposé par cet article pour la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 721-1 du code de procédure pénale, ajouter les mots :
Sauf décision contraire du juge de l'application des peines,
M. François Zocchetto, rapporteur. - Le juge d'application des peines pourra prendre une décision contraire et décider que la réduction de peine ne sera pas supprimée. Nous faisons confiance à ces juges, dans une fonction certes nouvelle mais leur rôle s'est révélé déterminant dans la lutte contre la récidive.
Les auteurs des amendements de suppression pourraient les retirer au profit de celui-ci, qui change considérablement la donne.
M. le président. - Amendement n°8, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
Compléter la fin du texte proposé par cet article pour la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 721-1 du code de procédure pénale par les mots :
par le juge de l'application des peines en application des articles 717-1 et 763-7.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Amendement de précision.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Avis défavorable aux amendements de suppression et favorables à ceux de la commission.
Les amendements 46 et 61, identiques, ne sont pas adoptés.
M. Jacques Mahéas. - Nous regrettons que nos amendements n'aient pas été adoptés mais si le juge de l'application des peines peut avoir une opinion différente, il limitera les dégâts. Nous voterons donc les amendements 7 et 8.
L'amendement 7 est adopté ainsi que l'amendement 8 et que l'article 8 modifié.
Article 9
I. - L'article 729 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la personne a été condamnée pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru, une libération conditionnelle ne peut lui être accordée si elle refuse pendant son incarcération de suivre le traitement qui lui est proposé. Elle ne peut non plus être accordée au condamné qui ne s'engage pas à suivre, après sa libération, le traitement qui lui est proposé. »
II. - À l'article 731-1 du même code, le premier alinéa est remplacé par les dispositions suivantes :
« La personne faisant l'objet d'une libération conditionnelle peut être soumise aux obligations prévues pour le suivi socio-judiciaire si elle a été condamnée pour un crime ou un délit pour lequel cette mesure est encourue. Sauf décision contraire du juge de l'application des peines ou du tribunal de l'application des peines, elle est soumise à une injonction de soins dans les conditions prévues aux articles L. 3711-1 et suivants du code de la santé publique, s'il est établi, après l'expertise prévue à l'article 712-21, qu'elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement. »
III. - L'article 712-21 du même code est ainsi modifié :
1° Dans la première phrase, les mots : « mentionnée à l'article 706-47 » sont remplacés par les mots : « pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru » ;
2° L'article est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Cette expertise détermine si le condamné est susceptible de faire l'objet d'un traitement. »
M. le président. - Amendement n°47, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Richard Yung. - Même logique. On exerce une très forte pression sur les libérables pour l'injonction de soin mais celui-ci suppose un accord réel et non de façade du malade.
M. Christian Cointat. - Faut-il ne rien faire ?
M. le président. - L'amendement 62 présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC est identique.
Mme Éliane Assassi. - Il est défendu.
M. le président. - Amendement n°9, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
Compléter la fin du texte proposé par le I de cet article pour le dernier alinéa de l'article 729 du code de procédure pénale par les mots :
par le juge de l'application des peines en application des articles 717-1 et 763-7.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Amendement de précision. Avis défavorable aux amendements de suppression.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Même avis.
Les amendements 47 et 62, identiques, ne sont pas adoptés.
L'amendement 9 est adopté, ainsi que l'article 9, modifié.
Articles additionnels
M. le président. - Amendement n°63 rectifié, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
Après l'article 9, insérer une division additionnelle ainsi rédigée :
CHAPITRE ...
Dispositions relatives au contrôle général des lieux de privation de liberté.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je présenterai simultanément l'amendement suivant.
M. le président. - Amendement n°64, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.
Après l'article 9, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Il est institué un contrôleur général des prisons, chargé de contrôler l'état, l'organisation et le fonctionnement des établissements pénitentiaires, ainsi que les conditions de la vie carcérale et les conditions de travail des personnels pénitentiaires.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Malgré nos efforts, la proposition de loi Hyest-Cabanel, qui résultait pourtant des travaux de la commission sénatoriale d'enquête sur la situation des prisons, n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale -ce qui n'est pas sans susciter des interrogations. Tout a été dit sur la situation des prisons. Pour faire partie des parlementaires qui usent régulièrement de leur droit de visiter les prisons, je peux témoigner d'une réalité insoutenable qui reste une humiliation pour la République. La situation va encore s'aggraver car avec la réforme, le nombre de détenus va encore augmenter. L'institution d'un contrôleur des prisons et lieux privatifs de liberté est donc particulièrement urgente.
Je me félicite de la déclaration de la ministre mais il n'y pas besoin d'attendre un nouveau débat : il suffit d'adopter mes amendements. Notre pays a déjà été montré du doigt par l'ancien Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe et le comité contre la torture des Nations unies a invité la France, en novembre 2005, à ratifier le protocole facultatif qui impose des visites impromptues par des experts internationaux et nationaux indépendants. Votre prédécesseur s'était engagé à le soumettre à ratification mais il est entré en vigueur le 22 juin 2006 sans notre concours, ce que regrettent tous les défenseurs de la liberté. Le contrôle que je propose répondrait aux exigences de ce protocole alors que M. Clément avait préféré un recours au médiateur de la République.
Je sais d'avance votre réponse sur mes amendements mais, au Sénat, le débat a eu lieu : on peut les voter.
M. François Zocchetto, rapporteur. - M. Hyest serait plus qualifié que moi pour répondre sur la proposition de loi d'avril 2001. Quant à ma réponse, elle sera sensiblement différente des précédentes. Vous avez systématiquement défendu cette création à l'occasion de tous les textes pénaux ; aujourd'hui, le gouvernement partage vos préoccupations et, la ministre ayant indiqué qu'elle nous soumettrait très prochainement un projet, vous avez désormais des assurances très précises sur le calendrier et pouvez retirer vos amendements.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - La proposition de loi qui résultait des travaux de la commission d'enquête sénatoriale n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale sous les deux dernières législatures. Aujourd'hui membre du conseil constitutionnel, M. Canivet avait lui-aussi préconisé la nomination d'un contrôleur général des prisons. Un projet sera déposé avant la fin de la session extraordinaire. Nous pourrons en débattre bientôt.
Notre proposition de loi avait sans doute besoin d'être améliorée mais, pour autant, je ne puis laisser dire que les travaux de la commission d'enquête ont été inutiles. Nous dénoncions les quartiers pour mineurs, les premiers établissements spécialisés sortent de terre.
C'est quand même grâce à la loi d'orientation et de programmation pour la justice que le nombre de personnel pénitentiaire a augmenté. Il est vrai qu'il faut du temps pour construire une prison et celles qui ouvrent aujourd'hui avaient été décidées non pas du temps de Mme Guigou mais du temps de M. Méhaignerie. Ça ne date pas d'hier ! Alors, rappelons-nous quels ont été les efforts accomplis et demandons-nous pourquoi les gouvernements précédents n'ont rien fait !
On nous disait aussi qu'il ne fallait pas faire de belles prisons. Mais si ! Il faut que la vie des détenus soit digne, car c'est le gage d'une réinsertion réussie.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Je souhaite le retrait de ces deux amendements car lors du prochain conseil des ministres, je présenterai un projet de loi sur le Haut contrôleur des lieux de détention. La création de cette autorité indépendante devrait satisfaire vos attentes.
S'agissant du programme immobilier, un effort sans précédent a été réalisé et nous disposerons bientôt de 60 000 places de prison, de 500 places dédiées exclusivement aux mineurs et de 420 places en centres éducatifs fermés.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je ne souhaitais pas lier la question du nombre de places de prison à celle de la création d'un Haut contrôleur des lieux de détention.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Il pourra contrôler si ces lieux sont dignes !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Certes, mais les deux logiques sont différentes. Je vais retirer mes amendements mais je constate que le projet de loi n'a pas encore été présenté en conseil des ministres. Nous aurons, j'en suis sûre, un débat fantastique sur le sujet et nous verrons combien de sénateurs y participeront.
Il est quand même tout à fait regrettable que le Parlement n'ait pas réussi, lors des précédentes législatures, à voter notre proposition de loi.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Mais le Sénat l'avait votée une fois !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous tournons en rond, monsieur le président.
Aujourd'hui, comme nous sommes pressés par les textes internationaux et que l'affaire d'un médiateur ne tient pas la route, nous allons peut-être toucher au but. Quel parcours !
M. le président. - Et vous aurez pris une part prépondérante au débat, madame la présidente !
M. Jacques Mahéas. - Nous aussi :
M. Dominique Braye. - Mais ce texte est déjà prêt !
M. le président. - Il n'empêche que Mme Borvo Cohen-Seat y aura pris une part importante. (M. Braye raille bruyamment)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - C'est de la solidarité présidentielle...
Mme Éliane Assassi. - Vous êtes, monsieur Braye, d'une grossièreté déconcertante !
M. Dominique Braye. - Non, je suis réaliste !
Les amendements n°s 63 rectifié et 64 sont retirés.
CHAPITRE III
Dispositions diverses et transitoires
Article 10
Les dispositions du chapitre II de la présente loi entrent en vigueur le 1er mars 2008. Toutefois, le II de l'article 5 et les articles 7 à 9 de la présente loi sont immédiatement applicables aux personnes exécutant une peine privative de liberté.
M. le président. - Amendement n°48, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Jean-Pierre Sueur. - Amendement de coordination.
M. le président. - Amendement n°10, présenté par M. Zocchetto au nom de la commission.
Rédiger comme suit cet article :
Le I de l'article 5 et l'article 6 de la présente loi entrent en vigueur le 1er mars 2008.
Le II de l'article 5 et les articles 7 à 9 de la présente loi sont immédiatement applicables aux personnes exécutant une peine privative de liberté.
M. François Zocchetto, rapporteur. - Amendement de clarification.
Je suis défavorable à l'amendement n°48 car il s'agit d'une coordination avec un amendement précédent qui n'a pas été voté.
L'amendement n°48, repoussé par le gouvernement, n'est pas adopté.
L'amendement n°10, accepté par le gouvernement, est adopté et l'article est ainsi rédigé.
Article 11
La présente loi est applicable dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
M. le président. - Amendement n°49, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Supprimer cet article.
M. Jean-Pierre Sueur. - Il est défendu.
L'amendement n°49, repoussé par la commission et par le gouvernement, n'est pas adopté.
L'article 11 est adopté.
Interventions sur l'ensemble
M. Jean-Pierre Sueur. - L'examen des articles de ce projet de loi a permis de révéler, au fil du débat, que l'hypothèse que nous avions formulée dès le départ, à savoir que vous vouliez légiférer rapidement en raison de vos promesses électorales, était la bonne.
Mais si l'on reprend les trois points principaux de ce texte, on voit bien que derrière l'affichage recherché, il n'y a malheureusement pas grand-chose. Concernant les peines plancher, vous nous avez expliqué qu'elles étaient nécessaires pour lutter contre la récidive tandis que nous avons rappelé les statistiques de vos services et celles du CNRS qui démontrent l'absence de corrélation entre l'augmentation des peines et l'absence de récidive. En revanche, nous savons tous que la récidive diminue lorsque sont prononcées des peines alternatives, que les détenus sont suivis en prison et que ceux qui sont libérés sont accompagnés. Nous savons donc comment réduire la récidive, mais nul besoin de mettre en cause la liberté des magistrats ni leur capacité d'individualiser les peines en les transformant en distributeurs automatiques de peines. Pour réduire la récidive, il faut des moyens et du personnel.
En second lieu, il est apparu évident qu'il fallait accorder une place importante à l'éducation des mineurs. Mais si certains doivent être placés en prison, il faut beaucoup de moyens pour que les conditions d'incarcération soient dignes. Il faut aussi prévoir des centres éducatifs fermés. Pour l'instant, il n'en existe qu'un seul pour 12 millions d'habitants en Île-de-France. Alors, on peut faire toutes les lois qu'on veut, mais il serait beaucoup plus utile de créer un deuxième, puis un troisième CEF. Bref, il faudrait les moyens nécessaires.
Concernant l'injonction thérapeutique, nul besoin de modifier la loi. Cette injonction ne peut, à elle seule, tout régler. Il y a des troubles de la personnalité dont le traitement ne passe pas par la seule voie médicale. Mais dans certains cas, cette injonction est indispensable, or la loi actuelle le permet. Le seul problème, c'est qu'aujourd'hui il n'y a ni experts, ni psychiatres en nombre suffisant. Cette loi d'affichage ne servira donc à rien tant que l'on ne créera pas les postes indispensables.
Nous ne pourrons donc pas voter votre loi car vous ne nous avez pas parlé de l'essentiel. En voulant satisfaire aux nécessités politiques de l'affichage, vous avez laissé devant vous ce qui était primordial : tout reste donc à faire. (Applaudissements sur les bancs socialistes)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous regrettons de ne pas avoir eu de véritable débat sur l'efficacité attendue de ce texte. Nos collègues de la majorité n'ont cessé de nous traiter de laxistes. Or je suis particulièrement émue de savoir qu'il y a beaucoup de délinquants sexuels qui n'ont jamais eu affaire à la justice et qui se promènent librement dans les rues.
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En effet, l'exécution effective et rapide des décisions de justice est essentielle pour ne pas laisser au terrible sentiment d'impunité le temps de s'installer. Il est donc indispensable d'accroître très rapidement les moyens de l'institution judiciaire. C'est pourquoi nous attendons avec impatience la réforme de notre système pénitentiaire qui doit nous être soumise avant la fin de la session.
En matière de soins, mon département est complètement désertifié, comme de nombreux départements ruraux. Dans ces conditions, où trouver des médecins coordonnateurs et des psychiatres ? Il faudra penser à l'application de ce texte, lors de la réforme de la carte judiciaire, et conserver certains tribunaux ; comme celui d'Argenton, dont l'existence est menacée alors qu'existe dans cette ville un important centre de détention.
Sous ces réserves, la majorité du groupe RDSE votera ce texte.
M. Yves Détraigne. - Nul ne reste indifférent à cette loi.
A-t-elle autant de défauts qu'il a été dit ? Je ne le pense pas, car l'individualisation des peines est conservée, même en cas de récidive, à l'exception des multirécidivistes, car je doute qu'ils puissent aisément présenter les garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion exigée dorénavant pour échapper aux peines minimales. Mais ne soyons pas angéliques s'agissant de criminels multirécidivistes...
Cette loi a-t-elle pour autant toutes les qualités que certains lui prêtent ? Je le souhaite, mais je crains que son incidence sur la récidive ne soit pas à la hauteur des espoirs suscités par ses promoteurs, car il n'est pas prouvé que la prison impressionne les délinquants endurcis. En outre, les conditions de détention ne préparent pas à la réinsertion.
Cette loi devra être accompagnée très rapidement d'une réforme dotant le système pénitentiaire des moyens dont il a besoin. Une telle réforme coûtera cher, mais elle est indispensable et urgente pour que cette loi ne suscite pas plus de déception que d'espoir.
S'agissant des mineurs, il faut que les primo-délinquants mineurs cessent de se croire intouchables.
En espérant que des moyens supplémentaires arriveront bientôt, le groupe UC-UDF votera ce projet de loi.
Madame le garde des sceaux, je vous félicite pour votre baptême du feu parlementaire. Rappelez-vous que multiplier les textes ne règle pas les problèmes : il faut mettre en oeuvre ceux déjà votés et apprécier leur effet avant d'en présenter un nouveau.
M. Christian Cointat. - Au cours de ce débat, qui vient de lancer la nouvelle législature, j'avais l'impression de vivre toujours dans la législature précédente. En effet, les techniques de l'opposition n'ont pas changé ; depuis le début, elle multiplie les manoeuvres d'obstruction : question préalable, renvoi en commission, motion d'irrecevabilité, amendements de suppression sur tous les articles, autant de prétextes à une logorrhée verbale sans fondement solide. Pourtant, il y a quelques semaines, 85 % des Français ont voté lors de l'élection présidentielle et M. Sarkozy a été élu avec 20 millions de suffrages. C'est vous qui avez perdu cette élection et vous n'en avez tiré aucune conséquence ! Je ne devrai pas vous le dire, car en continuant ainsi, vous assurez notre pérennité aux affaires. (M. Mahéas s'esclaffe) Je ne suis pas le seul à l'affirmer : M. Strauss-Kahn a reconnu lundi que la droite avait su se moderniser, mais pas les socialistes. Si vous voulez être à la hauteur de vos principes, acceptez le débat démocratique ! Avec talent, vous avez jonglé avec les mots...
M. Dominique Braye. - Sans talent !
M. Christian Cointat. - ... mais où sont vos propositions ? À force de dire que l'on ne peut rien faire, vous me faites penser Paul-Henri Spaak, cet homme politique belge pour qui les bons experts étaient ceux qui rendaient les idées politiques possibles, alors que les mauvais étaient ceux qui les jugeaient inapplicables ! Avec vous, ce n'est jamais possible ! Pourtant, il faut agir : nos concitoyens l'ont dit par leur vote. Comme vous tournez autour du pot, ils ne vous font plus confiance. Travaillez avec la majorité, changez de méthodes, essayez de mettre en oeuvre vos idées ! (Exclamations à gauche)
Depuis cinq ans, je m'ennuie dans cet hémicycle.
M. Jacques Mahéas. - Quittez-le !
M. Christian Cointat. - Ce texte a le mérite d'exister et de répondre à une attente de nos concitoyens, qui ne veulent plus voir les délinquants multirécidivistes libres d'aller et de venir. Ils ne veulent pas une sanction permanente, mais au contraire une insertion réussie.
Ce texte renforce la dureté des peines pour faire comprendre que l'on ne peut pas faire n'importe quoi, mais en laissant aux magistrats la liberté d'y déroger. J'y vois une marque de confiance et de respect à l'égard des magistrats qui conservent toujours le pouvoir de passer outre ; ils devront seulement s'en expliquer, ce qui est la moindre des choses pour ceux qui rendent la justice au nom du peuple français.
Ce projet équilibré et solide constitue un premier pas ; il faudra aller plus loin et donner plus de moyens à la justice.
Au cours de ce débat, de grands noms ont été cités. Chateaubriand, Victor Hugo... Je rappellerai cette phrase de Clemenceau : la mission du gouvernement est de faire en sorte que les bons citoyens soient tranquilles et que les mauvais ne le soient pas. Madame la ministre, c'est ce que nous attendons de vous ! (Applaudissements à droite)
M. Dominique Braye. - Très bien !
M. André Ferrand. - Madame le garde des sceaux, je vous rends hommage au nom de l'ensemble du groupe UMP.
Notre assemblée est honorée d'avoir été saisie en premier de ce projet de loi. Je salue le travail du rapporteur et l'efficacité du président de la commission.
Comme l'a souligné le Président de la République, la certitude de la sanction est la meilleure dissuasion de la récidive. Ce projet combat donc sans faiblesse la récidive, tout en respectant les personnes. Ainsi, des décisions spécialement motivées permettent aux juges de conserver leur marge de manoeuvre. Ce projet ne met donc pas en cause les principes fondamentaux de notre droit pénal.
Nous nous félicitons du suivi médical désormais imposé aux auteurs des infractions les plus graves, notamment sexuelles.
Le groupe UMP votera ce texte sans hésitation.
Soyez assurée de notre soutien pour promouvoir une justice plus moderne, plus efficace, plus ferme, mais aussi plus humaine. (Applaudissements à droite)
L'ensemble du projet de loi est adopté.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Je remercie les membres de la commission des lois, en particulier son rapporteur, pour son travail très constructif, et son président, pour la finesse de ses analyses. Je remercie également tous les orateurs qui m'ont apporté leur soutien. Le travail parlementaire a enrichi ce texte. J'ai d'ailleurs donné un avis favorable à sept amendements présentés par la commission et à deux émanant de l'opposition. L'équilibre du texte a été préservé : il concilie la fermeté envers les récidivistes et le respect des principes constitutionnels.
Je remercie l'opposition pour le caractère constructif de sa contribution (Rires et exclamations sur tous les bancs).
M. André Ferrand. - Vous êtes gentille ...
M. Jacques Mahéas. - Objective !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Je remercie tous les membres du Sénat pour le travail accompli dans un climat qui fait honneur au Parlement. Nous nous reverrons bientôt. (Applaudissements à droite et au centre).
Commission (Nomination)
M. le président. - Le groupe socialiste a présenté une candidature pour la commission des affaires économiques. La Présidence n'ayant reçu aucune opposition, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Alain Le Vern membre de la commission des affaires économiques, à la place laissée vacante par Mme Sandrine Hurel, élue députée.
Dépôt de rapports
M. le président. - M. le président du Sénat a reçu de M. Roger Beauvois, président du conseil d'administration du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, en application de l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2001, le rapport annuel d'activité de cet organisme.
M. le président du Sénat a reçu de M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, le rapport annuel pour 2006 de la commission bancaire. Acte est donné du dépôt de ce rapport.
M. le président du Sénat a reçu de M. Paul Champsaur, président de l'autorité de régulation des communications électroniques et des postes, en application de L. 135 du code des postes et des communications électroniques, le rapport d'activité pour 2006 de cet organisme.
Assemblée de la Polynésie française
M. le président. - M. le président du Sénat a reçu, par lettre en date du 19 juin 2007, les rapports et avis de l'Assemblée de la Polynésie française sur :
- le projet de loi autorisant la ratification de l'acte portant révision de la convention sur la délivrance des brevets européens, signée à Munich le 29 novembre 2000 ;
- le projet de loi autorisant la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, adoptée le 16 mai 2005 à Varsovie ;
- le projet de loi autorisant la ratification de la convention relative à l'adhésion des nouveaux États membres de l'Union européenne à la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980, ainsi qu'aux 1er et 2ème protocoles concernant son interprétation par la cour de justice des communautés européennes, signés à Luxembourg le 14 avril 2005.
Acte est donné de ces communications.
Prochaine séance, mercredi 11 juillet à 15 heures.
La séance est levée à minuit et quart.
Le Directeur du service du compte rendu analytique :
René-André Fabre
ORDRE DU JOUR
du mercredi 11 juillet 2007
Séance publique
A QUINZE HEURES ET LE SOIR
Présidence :
M. Christian PONCELET, Président
M. Jean-Claude GAUDIN, Vice-Président
M. Roland du LUART, Vice-Président
1. Discussion du projet de loi (n° 367, 2006-2007) relatif aux libertés des universités.
Aucune inscription de parole dans le débat n'est plus recevable.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 11 juillet 2007, à l'ouverture de la discussion générale.