ARTICLE  4 BIS (NOUVEAU) : CRÉATION D'UNE TAXE SUR LES TRANSACTIONS AUTOMATISÉES

I. DÉBATS SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (SÉANCE DU VENDREDI 18 NOVEMBRE 2011)

Article additionnel après l'article 4

Mme la présidente. L'amendement n° I-11, présenté par Mme Bricq, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 235 ter ZE du code général des impôts, il est inséré un article 235 ter ZE bis ainsi rédigé :

« Art . 235 ter ZE bis. - I. - Les prestataires de services d'investissement soumis au contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et agréés pour fournir les services d'investissement mentionnés aux deuxième à quatrième alinéas et au septième alinéa de l'article  L. 321-1 du code monétaire et financier sont assujettis à une taxe sur les transactions automatisées au titre de leur activité exercée au 1 er janvier de chaque année.

« II. - L'assiette de la taxe sur les transactions automatisées est constituée du montant des ordres d'achat ou de vente d'instruments financiers transmis à un marché réglementé ou à un système multilatéral de négociation au cours d'une journée, dès lors que moins de la moitié du nombre de ces ordres est effectivement exécutée sur ces plates-formes de négociation.

« III. - Le taux de la taxe est fixé à 0,1 % du montant des ordres d'achat ou de vente transmis visés au II.

« IV. - La taxe sur les transactions automatisées est exigible le dernier jour de chaque mois. Elle est acquittée auprès du comptable public au plus tard le dernier jour du mois suivant. Le paiement est accompagné d'un état conforme au modèle fourni par l'administration faisant apparaître les renseignements nécessaires à l'identification de la personne assujettie et à la détermination du montant dû.

« V. - 1. La personne assujettie, dont le siège ou l'entreprise mère du groupe, au sens de l'article L. 511-20 du code monétaire et financier, est situé dans un autre État ayant instauré une taxe poursuivant un objectif équivalent à celui de la taxe sur les transactions automatisées, peut bénéficier d'un crédit d'impôt.

« 2. Le montant de ce crédit d'impôt est égal, dans la limite du montant de taxe sur les transactions automatisées dû par la personne assujettie, à la fraction de cette autre taxe que l'entreprise mère ou le siège acquitte au titre de la même année à raison de l'existence de cette personne assujettie.

« 3. Le crédit d'impôt peut être utilisé par la personne assujettie au paiement de la taxe sur les transactions automatisées de l'année ou lui être remboursé après qu'elle l'a acquittée.

« 4. Les 1 à 3 ne sont pas applicables lorsque la réglementation de cet autre État ne prévoit pas des avantages équivalents au bénéfice des personnes assujetties à la taxe mentionnée au 1, dont le siège ou l'entreprise mère est situé en France. La liste des États et taxes pour lesquels les 1 à 3 sont applicables est fixée par arrêté conjoint des ministres chargés de l'économie et du budget.

« VI. - À défaut de paiement ou en cas de paiement partiel de la taxe sur les transactions automatisées dans le délai de trente jours suivant la date limite de paiement, le comptable public compétent émet un titre exécutoire. La taxe est recouvrée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties, sûretés et privilèges que les taxes sur le chiffre d'affaires. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à cette même taxe.

« VII. - Les dispositions des I à VI s'appliquent aux ordres visés au II transmis à compter du 1 er janvier 2012.

« VIII. - Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application du présent article après avis de l'Autorité des marchés financiers. »

La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Le sujet dont il est ici question est tout aussi important que le précédent. En effet, cet amendement a pour objet de contrecarrer une dérive majeure du fonctionnement des marchés : il tend en effet à instaurer une taxe assise sur les transactions automatisées et vise tout particulièrement ce qu'il est convenu d'appeler le « trading à haute fréquence ».

De l'aveu même de nombreux acteurs de la vie économique, ce mode de négociation est particulièrement néfaste. Ses méfaits sont connus : il crée une liquidité artificielle sur les marchés ; il rompt l'équité concurrentielle entre les intervenants ; il introduit des asymétries d'information ; il favorise les variations brutales de cours et une vision à très court terme ; enfin, il crée de nouvelles possibilités de manipulation des cours et d'abus de marchés.

Mes chers collègues, je vous rappelle que, dans ce cadre, les opérations de marché sont accomplies par des robots, et qu'elles échappent donc à tout contrôle ! Une fois l'algorithme lancé, le facteur humain n'intervient plus dans la transaction.

Un projet de révision de la directive sur les marchés d'instruments financiers, ou directive MIF, a certes été élaboré, mais je crains qu'il ne soit pas à la hauteur des enjeux.

Mes chers collègues, le mécanisme que nous proposons d'instituer afin de limiter l'essor de ce trading automatisé constitue une véritable innovation. Il s'agit d'instaurer, à compter du 1 er janvier 2012, une taxe qui serait due par un prestataire de services d'investissement sur une base mensuelle, dès lors que le taux d'annulation de ses ordres de bourse transmis chaque jour dépasserait 50 %. Le taux de la taxe serait de 0,1 % du montant des ordres transmis, et demeurerait inférieure aux frais de courtage généralement facturés aux clients.

Les modalités de mise en oeuvre de ce dispositif devraient nécessairement être fixées par un décret d'application, après avis de l'Autorité des marchés financiers.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Le Gouvernement comprend le souci qu'exprime la commission de réguler ces traitements automatisés, qui donnent lieu à des transactions financières.

Cependant, il est à mes yeux inconcevable d'assurer la régulation des transactions financières par une simple taxe franco-française. En effet, madame la rapporteure générale, étant donné le périmètre et le champ que vous lui attribuez, cette taxe ne concernerait que deux opérateurs français - à savoir la Société générale et BNP Paribas -, qui sont tout à fait en mesure de contourner ce dispositif en transférant hors de France le traitement automatisé de leurs transactions.

Ainsi, pour être viable, la taxe sur les transactions financières doit être mise en oeuvre au moins à l'échelle européenne et même, de préférence, au niveau mondial, faute de quoi elle sera nécessairement contournée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République a fait de l'instauration d'une taxe sur les transactions financières destinée à lutter contre la spéculation un de ses combats personnels. Et il y a rallié l'Allemagne ! Aujourd'hui, Paris et Berlin sont animés par la même volonté en la matière.

D'ores et déjà, si nos deux pays décidaient de créer une telle taxe, nous ferions un premier pas en avant.

Toutefois, il convient également de prendre en compte les puissantes places boursières - Londres, bien sûr, au premier chef - qui, à ce jour, restent totalement étrangères à une telle idée.

Madame Bricq, je suis certaine que l'instauration de cette taxe, telle qu'elle est définie par votre amendement, donnerait lieu à des contournements ; en tout état de cause, elle ne viserait que les deux grands groupes que j'ai cités, au titre des opérations financières que vous avez décrites. Le Gouvernement ne peut donc pas émettre un avis favorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Madame la ministre, vous ne pouvez pas balayer d'un revers de la main l'argumentation que j'ai développée...

Mme Valérie Pécresse, ministre. Ce n'est pas le cas !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. ... surtout en vous fondant sur une autre logique, celle de la taxe sur les transactions financières que nous allons évoquer dans la suite de ce débat puisqu'elle fait l'objet de six amendements qui seront examinés ultérieurement.

Le présent amendement repose sur une logique dissuasive, visant à lutter contre une pratique nocive.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Certes !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Dois-je vous rappeler ce qui s'est passé aux États-Unis le 6 mai dernier ? Vous le savez, le trading à haute fréquence a joué un rôle majeur dans le déclenchement du krach qui s'est produit. Et un semblable événement peut se répéter sur n'importe quelle autre place boursière, les techniques en cause ayant cours dans le monde entier !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Mais c'est une question de régulation fiscale !

Je veux non pas encadrer cette pratique, mais dissuader d'y recourir. C'est pourquoi il faut aller plus loin qu'un simple principe.

Vous reprenez l'argument habituel, à savoir il faut faire en sorte qu'une taxe mondiale sur les transactions financières soit adoptée. Afin que non seulement la conception, mais aussi la mise en oeuvre d'une telle taxation prospèrent, il convient, dans un premier temps, d'instaurer celle-ci là où c'est possible. C'est pourquoi la commission vous propose de créer tout d'abord une taxe de cette nature sur le sol national.

Madame la ministre, cette idée fait l'objet de débats depuis longtemps ; les uns et les autres, nous la présentons régulièrement depuis quelques années. L'instauration d'une taxe sur les transactions financières a même été votée à l'Assemblée nationale en 2001 ; je peux en témoigner, puisque j'ai participé aux débats.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Tout à fait !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Mais cette taxe n'a pas toujours été très efficace !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Évidemment puisqu'elle n'a pas été mise en oeuvre !

Quoi qu'il en soit, à un moment donné, il faut poser les problèmes. Ce qui n'était pas concevable avant 2008 - je peux vous dresser une liste, qui comprendra l'intervention de la Banque centrale européen - le devient en période de crise économique. Pour sortir de celle-ci, il faut réguler la finance. C'est cette logique que j'essaie de mettre en oeuvre, afin de corriger - il faudra bien y parvenir à un moment quelconque - un système extrêmement nocif pour les acteurs du marché.

C'est pourquoi je vous propose, mes chers collègues, d'adopter la taxation en question, afin qu'elle ne soit pas enterrée au petit matin. Je laisse le soin au Sénat d'innover !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je souscris aux intentions.

M. Jean-Marc Todeschini. C'est déjà ça !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. S'il s'agissait de signer dans un grand journal international une tribune relayant la proposition de Mme la rapporteure générale, je le ferai dès demain.

Cela dit, je voudrais vous faire part d'une expérience très récente, vous livrer un exemple concret, facilement vérifiable.

J'ai reçu cette semaine une délégation syndicale de Nyse Euronex Paris....

M. David Assouline. Quel événement ! C'est rare !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ce personnels s'inquiètent - on peut les comprendre - des modalités de la fusion annoncée d'une entité déjà fusionnée - elle gère des places européennes et américaine, quoique son leadership américain soit très dominant-  avec la bourse de Frankfort, la Deutsch Börse . Ils craignent, tout comme l'encadrement et une bonne part de l'administration, le déplacement de la faible activité de la place de Paris vers d'autres sites, plus spécialement vers Londres, qui est représentée dans cet ensemble par une filiale, Euronex Liffe. Ils m'ont indiqué que la suppression ou la taxation à Paris du trading haute fréquence serait une très mauvaise nouvelle pour eux.

Nyse Euronex Paris n'est plus une très grande entreprise. Néanmoins, on a intérêt à sauvegarder certaines compétences dans toute une série de domaines.

Mes chers collègues, voter la mesure que propose la commission simplement pour donner un signal tout en sachant que les techniques incriminées auront toujours cours sur la principale place financière européenne qu'est Londres, ce n'est pas être dans le monde réel, j'ai le regret de le dire !

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Depuis que vous avez été désigné président de la commission des finances, vous oubliez, monsieur Marini, que vous avez été rapporteur général ! (Sourires.) Or, souvenez-vous, lorsque vous avez défendu la taxe Google, le même argument que celui que vous venez d'exposer vous a été opposé.

Mme Nathalie Goulet. Et voilà !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. La vie est compliquée !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Mais vous êtes passé outre. Vous avez défendu avec ardeur la taxe Google...

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Et vous m'avez soutenu !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Si l'on écoutait les opposants à tout changement, on ne ferait jamais rien !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° I-11.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 4.