IV. DÉBATS SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (SÉANCE DU LUNDI 21 NOVEMBRE 2011)
Article 5 sexies ( nouveau )
M. le président. « Art. 5 sexies . - I. - L'article 279 du code général des impôts est complété par un n ainsi rédigé :
« n. Les prestations correspondant au droit d'utilisation des animaux à des fins d'activités physiques et sportives et de toutes installations agricoles nécessaires à cet effet, ainsi qu'aux prestations accessoires. »
II. - La perte de recettes pour l'État est compensée à due concurrence par la majoration des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, sur l'article.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la perspective d'une augmentation de la TVA sur les activités équines a provoqué beaucoup d'émoi en Basse-Normandie notamment, et dans le département de l'Orne en particulier.
La Basse-Normandie est la première région française pour son effectif équin, avec près de 80 000 équidés. Elle a d'ailleurs été labellisée pôle national de compétitivité pour la filière équine. Elle possède sur son territoire deux haras nationaux : celui du Pin dans l'Orne et celui de Saint-Lô dans la Manche. La filière cheval y est donc emblématique.
La filière équine représente en France 75 000 équivalents temps plein travaillé, dont 3 000 dans le département dont je suis l'élue. Celui-ci est d'ailleurs le premier département français pour l'élevage de trotteurs, le galop vient en deuxième position, le cheval de sport occupe la troisième place ; je vous ferai grâce, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, de la liste des races de chevaux : percherons, cobs, etc. Par ailleurs, une augmentation très sensible de l'activité des entreprises de tourisme équestre a été constatée.
Notre attention a été attirée sur les conséquences absolument dramatiques d'une augmentation du taux de TVA pour ces entreprises sportives. C'est donc avec plaisir que j'ai constaté que la commission des finances se rangeait à l'avis de l'Assemblée nationale en maintenant un taux de TVA réduit de 5,5 %, qui passera éventuellement à 7 % dans le projet de loi de finances rectificative pour 2012.
Je soutiens totalement cette position. Il s'agit là d'un excellent signal adressé à ces entreprises locales, qui font vivre une filière extrêmement importante dans l'Orne et en Basse-Normandie.
M. le président. L'amendement n° I-62, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Pour ma part, je soutiendrai la position exactement contraire ! Les membres de mon groupe et moi-même ne sommes pas partisans de la création de niches fiscales déguisées, car les temps ne s'y prêtent guère. Or c'est bien de cela qu'il s'agit, d'autant que, dans le cas qui nous occupe, nous sommes en présence d'une définition pour le moins imprécise des choses.
Sur le fond, nous avons opté pour un régime d'assujettissement à la TVA, selon les modalités du régime agricole, ou pour un taux réduit pour ce qui concerne l'ensemble de la filière équine, qu'il s'agisse des activités d'entraînement des équidés comme de l'ensemble des soins qui peuvent leur être apportés. Or, à mon sens, le droit d'utilisation des animaux à des fins d'activités physiques et sportives ne recouvre pas que les activités équestres ! C'est d'ailleurs là un premier point qui pourrait faire débat.
Quand bien même il nous faudrait préserver la filière équine...
Mme Nathalie Goulet. Bien sûr que oui !
M. Thierry Foucaud. Je partage votre sentiment sur ce point, ma chère collègue, mais nous devons néanmoins nous interroger sur la parfaite opportunité du choix opéré en matière de TVA.
Pour aider cette filière, nous avons peut-être mieux à faire que lui faire accorder le bénéfice d'un taux réduit d'imposition sur les prestations générales relatives à son activité et à son développement. D'autres formes de soutien public peuvent sans doute être sollicitées.
Tel est le sens est amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Par réalisme politique, la commission n'a pas proposé la suppression de cet article introduit par l'Assemblée nationale.
En effet, la question du taux de TVA sera tranchée par la Cour de justice de l'Union européenne. Il est donc inutile de polémiquer sur un sujet qui divise la filière elle-même, car certaines activités appartiennent au domaine sportif quand d'autres relèvent du régime agricole. Tant que la Cour de justice de l'Union européenne ne se sera pas prononcée, le taux de TVA restera réduit pour l'ensemble de la filière sur le fondement de la qualification agricole. C'est pour cette raison que la commission des finances n'a pas souhaité modifier cet article.
Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2012 à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a émis un avis de sagesse sur cette initiative, mais la commission des finances s'est montrée très réservée.
M. Thierry Foucaud. On la comprend !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Des intérêts que je ne cerne pas sont certainement en jeu. Les députés ont sans doute anticipé que la Cour de justice de l'Union européenne censurerait la législation française et proposent donc d'asseoir le fondement juridique du taux réduit sur le caractère sportif des activités. C'est ce qui explique l'agitation des acteurs de la filière, même si aucune unanimité ne semble se dégager. La Commission européenne ne conteste pas cette analyse pour les activités purement sportives, mais n'a pas tranché sur les « prestations accessoires » mentionnées dans l'article.
L'ancienne majorité sénatoriale a toujours défendu un traitement homogène de la filière équine, notamment à l'occasion de l'examen de la proposition de résolution du mois de juillet dernier. En adoptant cet article, nous anticipons sur l'issue du contentieux communautaire, ce qui semble rassurer de nombreux parlementaires et acteurs de la filière équine. Pour ma part, j'ai été destinataire de courriers de soutien au texte issu de l'Assemblée nationale émanant de sénateurs de toutes tendances. Je comprends les intérêts territoriaux qui se jouent : haras, installations, etc.
Voilà quelques années, le Sénat a décidé de faire bénéficier les installations annexes du régime agricole. À l'époque, ces dispositions n'ont pas provoqué de divisions : selon mes souvenirs, tous les sénateurs de la majorité les avaient votées.
Pour toutes ces raisons, la commission n'a pas d'avis catégorique et s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement. La mesure adoptée à l'Assemblée nationale ne crée pas une dépense fiscale nouvelle.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C'est vrai !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. En effet, l'article 5 sexies n'opère qu'une simple sécurisation législative du dispositif d'ores et déjà applicable aux centres équestres. Tel était le souhait de l'Assemblée nationale lorsqu'elle a adopté cette disposition dans les conditions qu'a rappelées Mme la rapporteure générale.
Par ailleurs, madame Goulet, le Gouvernement tient, lui aussi, à préserver le développement économique du secteur de l'équitation. Il partage également l'inquiétude suscitée par le prochain arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne en matière de TVA applicable à la filière équine, après les trois arrêts qu'elle a déjà rendus les 3 mars et 12 mai 2011 dans des affaires similaires concernant les Pays-Bas, l'Allemagne et l'Autriche.
M. le président. La parole est à M. Joël Bourdin, pour explication de vote.
M. Joël Bourdin. La filière équine n'est pas très riche ; on n'y gagne pas beaucoup d'argent. Elle compte nombre de petits centres équestres, de petits éleveurs ; en revanche, elle emploie beaucoup de monde. Quand on parle cheval, on pense toujours à Al Maktoum ou à l'Aga Khan. Non ! C'est pourquoi il faut protéger cette filière, pour protéger les petits.
En outre, ce secteur est très fragile. Un petit écart de fiscalité entre la filière équine française et la filière équine irlandaise peut avoir de grandes conséquences : on fait prendre l'avion à des juments et l'étalonnage se fait en Irlande !
Si l'on souhaite véritablement sauvegarder cette filière, il faut maintenir un taux de TVA relativement faible. Par conséquent, je ne voterai pas cet amendement de suppression présenté par Thierry Foucaud qui, en tant que normand, devrait protéger le cheval !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Nos collègues députés ont trouvé une formulation qui paraît juridiquement correcte et « eurocompatible », autant qu'il est possible, en concentrant l'attention sur les activités sportives.
Que ce soit en matière d'enseignement ou de compétitions, la fédération équestre française, le très grand nombre de clubs souvent associatifs ou sous gestion déléguée pour le compte de collectivités territoriales représentent un public de plus en plus diversifié. Au cours des dernières décennies, la démocratisation est devenue une réalité. Or un passage brutal de la TVA applicable aux leçons d'équitation de 5,5 % à 19,6 % porterait très lourdement préjudice au développement de cette filière sportive, compromettrait les efforts d'ouverture au grand public et représenterait un recul considérable par rapport aux progrès enregistrés ces dernières années. À mon sens, en ajoutant avec cet article, nos collègues députés ont apporté davantage de sécurité à ce secteur.
Il n'en reste pas moins - Joël Bourdin l'a rappelé à juste titre - qu'il existe aussi des professionnels qui exercent une activité d'élevage et qui pourraient être mis en difficulté si la Cour de justice de l'Union européenne contestait la pratique française. Le risque existe, il faut en avoir conscience, mais faisons au moins en sorte d'en exonérer l'ensemble des activités sportives, comme le permet cet article. C'est pourquoi cet amendement de suppression m'étonne vivement.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président de la commission des finances, de qui se moque-t-on ? S'il nous fallait procéder de cette manière pour toutes les filières en difficultés, nous ne cesserions pas d'amender !
Or vous savez aussi bien que moi que la filière équine est composée de riches et de pauvres. Mon collègue qui défend si bien la Normandie, notamment le département de l'Eure, l'a indirectement rappelé lorsqu'il a évoqué l'Aga Khan.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. L'Aga Khan ne prend pas de leçons d'équitation !
M. Thierry Foucaud. Je voudrais dire...
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il ne finance pas de centres équestres !
M. Thierry Foucaud. Qu'il finance donc la filière équine ! (M. le président de la commission des finances s'exclame.) En quoi cela vous dérange-t-il tant que l'on s'oppose à vous ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Vous mélangez tout !
M. Thierry Foucaud. Mais non, monsieur le président de la commission des finances !
Il faut trouver une solution, d'autant que vous reconnaissez vous-même que ce régime dérogatoire n'existera peut-être plus demain.
Soyons courageux et ne créons surtout pas de nouvelle niche fiscale, car c'est bien ce que nous sommes en train de faire. Cela dit, je partage votre souci d'aider réellement la filière équine - du moins, ceux de ses acteurs qui en ont véritablement besoin !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-62.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 5 sexies .
(L'article 5 sexies est adopté.)