3ème édition de TREMPLIN RECHERCHE



Colloque - Palais du Luxembourg 12 février 2008

CONFÉRENCE INAUGURALE
CHARLES WESSNER, DIRECTEUR DES POLITIQUES D'INNOVATION
À LA NATIONAL ACADEMY OF SCIENCES À WASHINGTON

Les membres de l'Académie nationale des sciences, à laquelle j'appartiens, sont souvent entendus par le Congrès à l'issue de leurs recherches. Celles-ci doivent être les plus exactes possibles dans la mesure où il peut arriver que les parlementaires suivent nos recommandations.

a) Un niveau de vie menacé

Aux Etats-Unis, nombreux sont ceux qui estiment que tout va très bien, comme en attestent les conversations sur le Super Bowl, qui me donnent le sentiment d'être stupide.

Or, si notre niveau de vie est particulièrement élevé, cette situation est susceptible de changer très rapidement. Cette évolution a d'ailleurs déjà commencé.

Il suffit de visiter Pékin et Shanghai pour constater que les Chinois n'ont pas adopté les 35 heures. Lorsque je voyage en Asie, en tant qu'expert en innovation, ce sont les ministres qui demandent à me rencontrer. En Europe, je suis reçu par les responsables d'organismes technologiques. Aux Etats-Unis, il est difficile de trouver un interlocuteur.

Face à la croissance de la Chine, il va être très difficile d'accroître et de maintenir notre niveau de vie. C'est pourquoi, nous devons avant tout réaliser que nous avons un défi à relever. Alors que je discutais avec des parlementaires suédois, l'un d'eux a remarqué que les Suédois étaient disposés à faire le nécessaire pour relever les défis de la mondialisation, à condition que rien ne change dans leurs habitudes de vie.

Alors qu'il y a quelques années les Chinois ne représentaient que 6 % de la R&D mondiale, ils atteignent aujourd'hui près de 16 %, dépassant ainsi le Japon et le Royaume-Uni. Les Etats-Unis quant à eux, contrairement à une opinion répandue, souffrent d'un certain nombre de faiblesses structurelles.

Si nous voulons maintenir notre niveau de vie, il convient d'innover. Dans ce processus, les universités sont essentielles. C'est pourquoi, des changements institutionnels sont nécessaires.

b) Les réalisations de la France

Aux Etats-Unis, nous n'avons pas une bonne compréhension de ce qu'a réalisé la France. Il en est ainsi de ces industriels américains qui mettent en doute la capacité industrielle de la France, alors qu'ils viennent de voyager à bord d'un Airbus, puis d'un TGV fonctionnant à l'électricité nucléaire.

J'ai été particulièrement impressionné par la nouvelle réforme des universités. La rigidité du marché du travail constitue l'un des principaux problèmes auquel la France a jusqu'ici été confrontée. Du fait de ces rigidités, il est difficile pour les jeunes entreprises d'embaucher et de licencier des salariés. Dans les années 80, je n'aurais jamais pensé que ce sujet ferait encore l'objet de nos conversations vingt ans plus tard. Je suis heureux de constater que cette réforme contribue à rendre l'environnement des affaires plus propice à la croissance des PME.

Par ailleurs, si j'avais à choisir entre une politique proactive et une politique réglementaire, je privilégierais la seconde. Récemment, des parlementaires allemands avec lesquels je discutais de leur loi sur la faillite m'ont expliqué qu'ils avaient réduit le délai d'interdiction pour monter, suite à une faillite, une nouvelle entreprise, de douze à huit ans.

c) Points forts et faiblesses de Etats-Unis

Il y a de nombreuses années, un observateur français du nom d'Alexis de Tocqueville a analysé notre pays, notamment notre objectif de prospérité individuelle. Si nos procédures sont loin d'être parfaites, il a identifié un certain nombre d'éléments de réussite que je vous rappellerai.

Les Américains ont tout d'abord la culture de la résolution des problèmes, ce qui constitue chez nous une grande force. J'ai été d'ailleurs ravi d'observer le lancement des pôles de compétitivité en France.

Nous avons par ailleurs tendance à accorder facilement une seconde chance. J'ai moi-même soutenu financièrement des amis qui n'ont réussi à monter une entreprise prospère qu'au bout de la troisième tentative. Ne pas accorder une seconde chance à une entreprise serait comme de monter une équipe de football et lui demander de quitter le terrain au premier essai manqué.

Or je rappelle que parmi les grandes marques américaines, comme Intel ou Microsoft, la première a quasiment échoué en 1968 et la seconde a manqué de faire faillite dans les années 80. Les six sociétés qui ont refusé de participer au projet Google, lancé dans la Silicon Valley, parce qu'elles n'y croyaient pas, le regrettent aujourd'hui.

Les Etats-Unis font également face à de nombreux problèmes.

Notre système éducatif ne fonctionne pas correctement. De moins en moins d'étudiants se lancent dans une carrière scientifique. Les évènements du 11 septembre 2001 ont en outre conduit à une diminution des étudiants étrangers. Nous souffrons également d'un manque de soutien pour la commercialisation de notre filière scientifique.

La stratégie de Lisbonne présente l'avantage d'obliger les pays à se concentrer sur l'innovation. Néanmoins, seule la production est évaluée et non les efforts qui sont menés pour aboutir à cette innovation. Les Indiens, les Chinois et les Suédois en revanche ont eu l'idée de convertir ses investissements de recherche en connaissances, en produits et en processus susceptibles d'améliorer la vie de la société et d'augmenter les richesses.

d) La politique d'innovation Américaine

Aux Etats-Unis, notre politique d'innovation suscite de plus en plus d'inquiétudes.

En Europe, nombreux sont ceux qui croient que les Américains disposent d'une grande « machine d'innovation ». En réalité, ce modèle, qui existait dans les années 50 et 60, ne fonctionne plus depuis près de 30 ans, provoquant ainsi une inquiétude croissante parmi les doyens d'université.

Selon une étude réalisée par le Congrès des Académies des universités, nous pourrions très rapidement perdre notre position dominante en matière de sciences et de technologies.

L'année dernière, à travers une nouvelle loi votée en août, il a été décidé de doubler le budget de l'Institut des sciences, de l'ingénierie, des mathématiques et des recherches en technologies, afin de financer un certain nombre de nouveaux programmes. Néanmoins, les augmentations se sont finalement avérées marginales. Même au Ministère de la Défense, le budget a été réduit.

En outre, les financements ont été investis dans des projets tout à fait spécifiques. L'université d'Alabama par exemple a reçu des fonds pour un projet en nanotechnologies alors même qu'elle ne dispose pas de professeurs dans ce domaine. L'argent est également utilisé pour la guerre en Irak, pour combler les déficits ou pour financer un certain nombre de projets très coûteux dans le domaine de l'eau.

Heureusement, il semble que le Président Bush et le secteur privé américain aient compris l'enjeu du réchauffement climatique. Il est clair que nous n'allons pas résoudre ce problème en diminuant l'activité économique. Il convient en revanche d'innover. En Californie, le secteur privé est à la tête de cette recherche en technologies propres. La Silicon Valley joue également un rôle important. Les PME sont les premières aux Etats-Unis à avoir pris conscience de ce problème.

e) Le mythe de la rationalité du système américain

Souvent, en discutant avec des Ministres étrangers, je me rends compte qu'ils croient que nous disposons d'un Ministère de la Science, chargé d'élaborer notre stratégie en ce domaine, ce qui n'est pas le cas.

De même les Etats-Unis sont-ils souvent cités en exemple, notamment par le Président Bush, pour leurs qualités exceptionnelles en matière de compétitivité. En réalité, le secret de la réussite de la Silicon Valley est d'être parvenue à réunir des capitaux allemands, des directeurs britanniques et des ingénieurs français. Nous n'apportons quant à nous que le sable. Dans ce sable, se trouvent les qualités que j'ai évoquées précédemment (persévérance, résolution des problèmes, PME actives, partenariats, etc.). Un entrepreneur qui réussit dans la Silicon Valley est susceptible de gagner beaucoup d'argent.

Je citerai l'exemple d'un entrepreneur hongrois qui a vendu sa société pour 400 millions de dollars. Lorsqu'il l'a annoncé au téléphone à sa mère, celle-ci s'est inquiétée de savoir s'il trouverait un nouveau travail.

f) La vallée de la mort

Nous pouvons par conséquent nous demander comment, dans cette vallée de la mort, établir le pont nous permettant de passer d'une rive à l'autre. Je vous ai parlé de l'importance du capital risque. Or, aux Etats-Unis, ces marchés demeurent insuffisants. Il est très difficile en effet d'investir dans la société adéquate. Avec le recul, nous pourrions nous demander comment les six sociétés que j'ai évoquées précédemment ont pu douter de la réussite de Google. En réalité, elles ne disposaient pas, à l'époque, d'informations suffisantes pour aboutir à cette conclusion. Les détenteurs de capital risque pensaient simplement qu'il s'agirait d'un moteur de recherche supplémentaire.

D'une manière générale, les marchés du capital risque américains ne se concentrent pas suffisamment sur les premières étapes de la constitution d'une entreprise. Lorsque certains essaient d'imiter avec des fonds public l'activité du capital risque, cela pose de très grandes difficultés, dans la mesure où les hésitations peuvent nous faire perdre beaucoup d'argent. Aux Etats-Unis, seul 4 % du capital risque est investi dans les PME.

La recherche universitaire américaine est soutenue par différents organismes. Nous disposons du financement de DARPA ainsi que de celui d'autres programmes, comme le programme SBIR pour l'innovation, qui oblige les organismes à investir dans les PME.

Ce système existe depuis 25 ans. L'un des principaux problèmes auxquels sont confrontés nos collègues britanniques est que, tous les deux ans, leur gouvernement modifie complètement le système.

Tous les organismes américains ont l'obligation de disposer d'un budget pour la recherche externe. Ce programme se concentre donc véritablement sur le problème crucial de la vallée de la mort. Deux filtres ont été prévus. Il n'est pas nécessaire d'avoir une ligne de budget. Ce programme implique également un changement d'organisation dans les laboratoires et les universités. Sans pour autant obliger chaque professeur à devenir entrepreneur, il leur donne la possibilité de le devenir.

g) Questions auxquelles les programmes ne peuvent pas répondre

Comment une PME peut-elle savoir qu'elle est en train de réussir ? De quels moyens de mesure dispose-t-elle ?

Souvent, les chances de réussite d'une PME sont évaluées à l'aune des investissements qui lui sont consacrés. Le programme SBIR a donné lieu à une forte croissance des sociétés. Le financement SBIR a également encouragé le partenariat entre les PME et les universités. Ce programme permet de diffuser le capital intellectuel et d'établir des réseaux entre les universités. Il a incité un certain nombre de professeurs à fonder des sociétés, avant de revenir auprès des universités en tant que PDG expérimentés. Il s'agit d'une source d'inspiration pour les étudiants qui se rendent compte qu'il est possible de gagner de l'argent en travaillant sur les problèmes d'environnement et de santé.

Nous appelons « université du XXI ème siècle », cette université qui enseigne non seulement des théories mais également des compétences pratiques.

Aux Etats-Unis, nous sommes confrontés à de nombreux problèmes, liés aux déchets nucléaires, aux recherches sur les cellules souches, etc. L'Europe dispose d'universités, telles que Louvain, qui sont excellentes dans ce domaine. D'une manière générale, j'ai pu constater que les universités qui procédaient aux meilleurs recherches fondamentales étaient également celles qui arrivaient le mieux à vulgariser et à commercialiser leurs travaux.

h) Conclusion

Si des mesures ont été mises en place pour aider les chercheurs, ne pourrions-nous pas donner davantage de pouvoir et de moyens aux responsables d'universités ? L'introduction des fondations dans la nouvelle loi française sur l'université est à ce titre tout à fait prometteuse. Nous sommes à l'aube d'un changement de mentalités essentiel, consistant à inciter les sociétés et les individus à investir.

Il conviendrait également d'encourager davantage les partenariats entre les industries et les universités. Dans cette optique, vous pourriez sans doute réfléchir au programme SBIR. Un certain nombre de pays, comme la Finlande, la Suède, les Pays-Bas, la Russie, Taiwan, la Corée, le Japon et, dans une moindre mesure, le Royaume-Uni, l'ont déjà adopté.

Si le système américain a souffert d'un manque de financement, nous sommes aujourd'hui parvenus au bout du tunnel. D'ici neuf à dix mois, nous aurons certainement de nouvelles positions dans ce domaine. En tout état de cause, il est essentiel que nous coopérions pour que l'économie mondiale reflète nos valeurs.

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