Première édition de "Tremplin Recherche"
Palais du luxembourg - 8 février 2005
CLÔTURE
A. ALLOCUTION
DU PROFESSEUR ETIENNE-EMILE BAULIEU, ANCIEN PRÉSIDENT DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES
Je suis très heureux d'être ici ; je remercie le Sénat et toutes les personnes qui ont contribué à faire de cette journée un succès.
Si je parle aujourd'hui, c'est certes parce que je représente d'une certaine façon l'Académie des Sciences ; c'est aussi parce que la France a été le siège d'une éruption inattendue, un ouragan qui a parcouru le monde des chercheurs, en particulier les chercheurs du public, devant les très mauvaises conditions de notre pays. En réalité, il n'y a pas qu'en France que les choses ne vont pas bien. Mais elles ne vont réellement pas très bien dans notre pays, sans que l'on puisse dire pour autant que la recherche française aille mal.
La recherche française est dotée de très nombreux chercheurs de haute qualité, elle dispose de l'argent même si ses ressources sont insuffisantes ; elle est relativement mal organisée mais pas désorganisée. La recherche française souffre de l'état des relations entre les chercheurs, en particuliers les chercheurs des organismes de recherche publics, mais aussi du privé, avec le système universitaire, qui n'a pas su réaliser les progrès nécessaires. L'université, qui pourtant se doit d'être le passage de la connaissance que créent les chercheurs, n'est actuellement pas à la hauteur. Il existe une sorte de corporatisme universitaire, une mauvaise gouvernance, un mode d'élection des responsables d'universités inapproprié, qui entravent le système dévolutif de notre pays.
Après les événements de l'année dernière, les chercheurs ont acquis la confiance, l'amitié et le support du peuple français, qui a enfin réalisé l'importance de la recherche. Il a également reçu le soutien de certains secteurs de la société française, comme l'industrie privée et les entreprises. Au regard des budgets des différents pays d'Europe, le rapport entre la recherche privée et la recherche publique est relativement faible.
Un ouvrage intitulé « Le Colloque de Grenoble » est sorti le 7 janvier 2005 à l'occasion du premier mail ayant regroupé les chercheurs dans l'organisation « Sauvons la Recherche ». Ce livre reprend l'intégralité des débats suscités à cette occasion. A également paru le rapport général qui a été déposé au Gouvernement français qui l'a étudié et qui l'a à mon avis compris pour l'essentiel.
Tout récemment, nous avons assisté à la fuite d'un rapport gouvernemental portant sur l'évolution et la programmation de la loi de recherche. Ce « brouillon » n'est pas sorti par hasard : certaines personnes refusent qu'un milliard d'euros supplémentaire ait été promis cette année pour la recherche. Si le principe d'une augmentation des crédits est accepté et admis au sommet de l'Etat, il ne l'est pas toujours dans tous ses services, et l'on constate une certaine forme d'obstruction.
J'estime qu'il est nécessaire d'instaurer auprès du Président de la République un « Haut Conseil de la Recherche », qui ne soit pas nécessairement un « Haut Conseil de la Recherche et de l'Innovation ». Les chercheurs ne sont pas contre l'innovation. Mais elle relève d'une approche distincte de celle qui caractérise la recherche. Les innovations en matière de bougie n'ont pas contribué à créer l'électricité. Il convient d'élever la réflexion et de proposer des projets au niveau le plus élevé de l'état de la science d'une part, et d'autre part de créer les conditions pour réaliser ces projets concrètement.
Pour que notre démocratie puisse vivre, nous devons avoir le courage d'expliquer à la population, et en particulier aux responsables et aux décideurs, où en est la science et quelles attentes nous pouvons en avoir. Ces enjeux ne devront pas pour autant devenir des enjeux politiques.
Cette discussion retentit nécessairement sur la façon dont le Ministère de la Recherche pourra s'appuyer sur ce qu'il est convenu d'appeler une agence. De mon avis de chercheur, une agence devrait respecter les organismes dont nous disposons en France. Le CNRS, l'INSERM, l'INRA, l'INRIA et beaucoup d'autres sont fondamentaux ; les détruire reviendrait à massacrer la recherche française à court-terme et pour longtemps. Nous disposons d'un réseau qu'il faut nécessairement entretenir et améliorer. A cet égard, une agence centralisatrice est un élément positif. Les personnes qui ont vécu comme moi aux Etats-Unis savent ce que représente une instance comme la NSF dans ce pays en ce qui concerne la concrétisation de projets bottom up .
Nous avons recommandé qu'une agence distribue par contrat des fonds aux organismes de recherche, afin que ceux-ci puissent développer des projets. Cela passerait par une contractualisation au niveau des instituts de recherche qui souhaiteraient s'emparer de projets de ce type.
Nous ne désirons pas qu'une nouvelle bureaucratie soit instituée au nom d'une agence. Nous avons suffisamment de bureaucrates : qu'on les mette au travail.
Je voudrais vous entretenir du projet que nous avons de réunir sous le nom de PRES, pour Pôle de Recherche et d'Enseignement Supérieur, les universités, les systèmes dépendant des instituts de recherche et les entreprises de façon expérimentale et avec un contrat particulier. Sans autonomie de ces PRES, nous ne serons pas en mesure de créer des pôles d'excellence. Ces PRES devront être disséminés sur tout le territoire de façon à inclure les petites universités ou les petits laboratoires dans des structures plus importantes. Nous devons nous abstenir de créer un désert de recherche entre les pôles.
Avec la fondation Nobel, nous avons écrit il y deux ans environ un petit texte popularisé grâce à la présidence danoise de l'Europe. Ce texte a donné lieu à la formation d'un Comité pour proposer la création d'un Conseil Européen de la Recherche.
La recherche fondamentale est insuffisante en Europe. Le Commissariat à la Recherche n'a jusqu'à présent pas fait les efforts nécessaires ; il fonctionne selon un système obscur. En matière de recherche scientifique, le juste retour des fonds que l'Etat amène à Bruxelles est une hérésie. La recherche scientifique est soit bonne soit mauvaise. Il ne s'agit pas de juger que tel pays qui a débloqué tel montant de crédits doit en recevoir une contrepartie proportionnelle.
Il faut avoir le courage de créer quelques centres d'excellence en Europe. Certains existent déjà : je pense à Heidelberg, Cambridge, Grenoble ou Stockholm. Nous devons aider ces centres pour les rendre encore plus performants de telle sorte que le monde entier puisse y envoyer des scientifiques.
Il y a là une attitude en apparence antidémocratique. Mais il est évident que nous ne serons pas en mesure de créer un pôle d'excellence dans un petit pays qui n'en est pas actuellement doté. Cet état de fait représente néanmoins un obstacle d'ordre politique.
Le Conseil Européen de la Recherche devrait avoir en charge un grand programme destiné aux jeunes. L'Europe vieillit : il faut aider les jeunes gens à bâtir leur avenir. Ceux-ci devront être payés convenablement et disposer d'un budget consacré à l'achat de matériel ou au recrutement de personnel. Etendu à une échelle suffisamment importante, ce système permettra d'aider les pays qui pourraient être lésés par une organisation déficiente.
En conclusion, il est nécessaire que nous fassions à l'avenir confiance aux scientifiques. Le Conseil Européen de la Recherche devra aider le Commissaire à la Recherche à engager une politique ambitieuse en matière de recherche. Il devra être par des scientifiques qui décideront des orientations à donner à notre continent de manière à ce que l'exception culturelle trouve un débouché en matière de recherche.
Je vous remercie.
B. CONCLUSION DE LA JOURNÉE
PAR JANEZ POTOCNIK, COMMISSAIRE EUROPÉEN POUR LA SCIENCE ET LA RECHERCHE
Christian PONCELET, Président du Sénat
Avant de laisser la parole à Janez Potocnik, je voudrais lui adresser, en mon nom et au nom de tous mes collègues sénateurs, une cordiale bienvenue dans la Haute Assemblée.
Nous sommes heureux de l'accueillir, ce qui est d'ores et déjà une invitation à revenir.
Par ailleurs, je me félicite des excellentes relations que le Sénat de notre pays entretient avec la Slovénie, où j'ai eu l'occasion de me rendre à plusieurs reprises et où j'ai toujours été fort bien reçu. La coopération se développe entre nos deux pays, ce dont je me félicite car la Slovénie est une nation avec laquelle nous sommes, pour des raisons historiques, très liés.
Janez Potocnik, commissaire européen pour la science et la recherche
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de participer à cette journée de débats sur la recherche. Mon message est que la recherche est un tremplin pour permettre la réalisation de la société de la connaissance. La société de la connaissance constitue l'avenir de l'Europe.
Je voudrais rendre hommage à l'ancien Ministre de la Recherche Hubert Curien. Hubert Curien l'un des architectes majeurs de la recherche européenne. Il a joué un rôle-clé dans l'histoire de la coopération scientifique en Europe, et nous devons assumer son héritage en construisant la recherche européenne de demain.
Nous avons vu aujourd'hui de nombreux exemples du dévouement et de l'enthousiasme que les chercheurs et les innovateurs manifestent pour la science.
Cet enthousiasme est hautement communicatif. J'ai pour ma part la même passion à promouvoir une politique de la connaissance en Europe que vous à développer vos talents.
Cet enthousiasme pour le savoir est partagé par l'ensemble de la Commission Européenne. La semaine dernière, la Commission a proposé d'établir un partenariat pour l'emploi et la croissance entre les membres de l'Union Européenne et tous les acteurs de la recherche. Nous nous proposons donc de relancer la stratégie de Lisbonne pour développer l'emploi et la compétitivité en Europe. Dans ce nouveau partenariat, nous nous focaliserons sur la connaissance et l'innovation.
Pour la première fois, nous sommes parvenus à adopter une approche commune pour construire une Europe du savoir. C'est là la seule manière de faire preuve de sérieux envers le futur de notre continent.
Nous souhaitons que les entreprises européennes soient en position de leadership sur les marchés internationaux. Nous sommes d'ores et déjà performants dans le domaine de
l'économie de la connaissance, mais nous devons devenir encore plus forts. Certains de nos partenaires commerciaux utilisent des ressources dont nous ne disposons pas. Ils utilisent une main d'oeuvre à bas coût, ce que nous refusons. D'autres se battent sur les marchés en détruisant l'environnement, ce que nous ne pouvons accepter. La seule manière pour l'Europe et pour les entreprises européennes de construire un leadership durable consiste à exploiter le savoir à travers la recherche et l'éducation.
L'une des faiblesses de l'économie européenne réside dans le trop faible investissement dans la recherche développement. Par ailleurs, notre économie est spécialisée sur des secteurs de faible ou de moyenne technologie où la valeur ajoutée est faible et où la compétition porte davantage sur les coûts que sur l'innovation ou la qualité.
En 2003, les tendances concernant les cinq cents plus grandes entreprises européennes étaient peu prometteuses : leur investissement dans la recherche développement baissait de 2 %. En revanche, cet investissement augmentait de 3,9 % dans les cinq cents plus grandes entreprises situées hors d'Europe.
Au sein de l'Union Européenne, la plus grande partie de cet investissement provient de l'industrie automobile et des pièces détachées. En dehors de l'Europe, cet investissement concerne majoritairement les hautes technologies. C'est là l'une de nos sources d'inquiétude majeures.
La France connaît une tradition de programmes technologiques basés en particulier sur les secteurs de l'aéronautique et du nucléaire. Mais elle n'a pas connu de succès similaires dans les secteurs clés de l'économie du futur comme les biotechnologies et les nanotechnologies.
Faire l'Europe nous demandera un changement structurel afin de placer les hautes technologies dans tous les secteurs. La vision de notre avenir nous amènera à sortir de la vieille opposition entre la compétitivité et le progrès social, cette opposition n'étant plus désormais pertinente. Le savoir ne fait pas que rendre nos entreprises plus compétitives ; il contribue aussi à apporter des progrès continus à la société.
Les progrès dans des secteurs comme la santé, la protection de l'environnement ou les énergies renouvelables dépendent largement des progrès de la connaissance. De plus, l'économie du savoir accroîtra la qualité des emplois par une hausse de la qualification. Enfin, seule la croissance durable que seule l'économie du savoir apportera nous permettra de limiter la consommation de ressources naturelles.
En termes d'investissement, le défi que nous nous étions lancés en 2002 semble inatteignable. En 2002, le Conseil de l'Europe s'était fixé l'objectif d'un investissement dans la recherche publique et privée supérieur à 3 % du PIB d'ici 2010. Les institutions européennes ont créé une réelle mobilisation autour de cet objectif. Des mesures incitatives, notamment fiscales, ont été prises dans les états membres pour aboutir à accroître l'investissement. Elles n'ont cependant pas suffi jusqu'à présent à accroître significativement l'investissement dans notre Continent. Nous sommes encore très loin des sommes consacrées à la recherche au Japon et aux Etats-Unis.
Il y a un besoin urgent à prendre des mesures pour faire de l'Europe l'endroit le plus attractif pour investir dans la recherche. Cela nous amène à la question cruciale du cadre économique dans lequel évolueront nos entreprises. Concernant cet objectif de 3 %, 2 % devraient provenir du secteur privé et 1 % du secteur public. Aujourd'hui, 5 % de l'argent public investi provient d'un budget de l'Union Européenne et 95 % de budgets nationaux. Notre défi majeur
sera de créer des conditions favorables aux entreprises. Si les entreprises quittent l'Europe, nous ne pourrons en aucun cas mener une politique de recherche ambitieuse.
Ma première priorité sera de créer des conditions plus favorables pour la recherche en Europe. Nous travaillerons à créer des incitations à la recherche et au développement, notamment par le biais de mesures fiscales.
Le recrutement et la mobilité des chercheurs devront être accrus et les transferts de technologie entre la recherche publique et l'industrie devront être encouragés. Bien-sûr, ces initiatives ouvriront la voie à des mesures spécifiques aux différents états membres.
Ma première priorité concerne le programme européen de recherche. Créer un cadre favorable est un devoir crucial pour l'Europe, mais cela n'est pas suffisant. La recherche doit également être soutenue et intégrée au niveau européen. Pour concourir sur des marchés des hautes technologies, nos ressources nationales ne suffiront pas. Créer une base technologique forte en France est nécessaire, mais insuffisant. De même, créer un axe franco-allemand de la recherche ne suffira pas. Nous devons désormais utiliser pleinement toutes les ressources de l'Union Européenne, l'ensemble des capacités de 460 millions de personnes.
Ainsi, notre programme cadre devra faciliter davantage de flexibilité et de simplicité dans les procédures. Aujourd'hui, il contribue directement à notre compétitivité en apportant des fonds des projets de développement immédiatement viables au plan industriel. Ces projets incluent à la fois des institutions publiques et des entreprises privées et contribuent à réduire le fossé entre recherche publique et recherche privée.
Je soutiens pour ma part l'Agence de l'Innovation française dont je suis certain qu'elle procurera de grands bénéfices si elle est s'insère harmonieusement dans le cadre européen. Seuls des partenariats public-privé à l'échelle européenne pourront amener au leadership dans des domaines clés de la technologie.
En plus de préparer le terrain pour des initiatives liées à la technologie, les agendas de recherche stratégique et de développement constituent la base de l'orientation du programme FP7 dans sa globalité. FP7 apportera une marge de manoeuvre supplémentaire dans le domaine de la recherche européenne en nous permettant de tirer parti de l'innovation en termes de croissance. En ce sens, le projet de fusion nucléaire ITER est un exemple éloquent d'une approche européenne intégrée. La convergence entre les programmes scientifiques nationaux sera améliorée et coordonnée grâce au programme Heranet. Pour cela, la Commission doublera les fonds consacrés à ce programme, qui passeront de 5 à 10 millions d'euros par an.
Les prochaines décisions de l'Union Européenne constitueront en tout état de cause un moment de vérité. Les dirigeants européens devront choisir entre une Europe bucolique choisissant de vivre sur ses acquis ou une Europe basée sur la connaissance et la croissante économique afin de garantir une prospérité durable à un grand nombre de personnes. Je présume que tous les leaders européens choisiront la seconde alternative. Mais leur position devra être corroborée par des actes. Nous devons comprendre qu'il est crucial d'optimiser les structures et la compétitivité de l'Union Européenne.
En conclusion, je répéterai que vote enthousiasme pour la science est contagieux. Avec la conjugaison de nos énergies, la conscience de l'importance du savoir grandit en Europe. Selon un sondage européen récent, 63 % des personnes interrogées considéraient que l'amélioration de l'éducation devrait être la priorité dans une optique d'amélioration des performances économiques. En deuxième position, avec 48 %, venait l'investissement dans la recherche.
Les mois à venir seront cruciaux pour l'avenir de l'Union Européenne. Vous pouvez compter sur moi pour apporter ma pierre au développement du savoir. Et en vous voyant, j'ai le sentiment que votre pays fera de même.
Ensemble, nous pouvons réussir.
Je vous remercie.