Première édition de "Tremplin Recherche"
Palais du luxembourg - 8 février 2005
EXPÉRIENCES VÉCUES
Animateurs :
o Philippe Adnot, sénateur de l'Aube, Président du Conseil régional de l'Aube,
o Virginie Robert, Chef du service « Les Echos Innovation » des Echos.
Témoins :
o Jacques Lewiner, Directeur scientifique honoraire de l'Ecole Supérieure de Physique et de Chimie Industrielles de la ville de Paris,
o Thierry Jean, Président de Cerep,
o Pascal Royer, Directeur du laboratoire LNIO à l'Université de Technologie de Troyes, co-fondateur de Lovalite SAS,
o Jian Lu, Professeur, Directeur du laboratoire LASMIS,
o Paul Klebinder, Président de Galigeo SAS,
o Bruno Berge, Président de Varioptic.
Philippe ADNOT
Les témoignages qui vont suivre sont destinés à montrer que la valorisation de la recherche peut suivre différents chemins ; qu'il n'y a pas une mais plusieurs vérités. N'hésitez donc pas à poser des questions à ces intervenants afin d'enrichir nos débats.
Virginie ROBERT
Je suis journaliste aux Echos , où je suis notamment en charge du cahier Innovations .
Pour commencer nos débats, nous allons écouter Jacques Lewiner, qui est professeur à l'Ecole Supérieure de Physique et de Chimie. Il a également travaillé pendant quatorze ans avec Pierre-Gilles de Gennes, et dirige toujours un laboratoire d'électricité générale. Jacques Lewiner est par ailleurs le premier déposant de brevet privé français et a quatre sociétés qui doivent réaliser cette année 150 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Jacques LEWINER
Je voudrais vous faire passer un message selon lequel « c'est possible ». J'entends par-là que la recherche française est une recherche de grande qualité. On peut se poser des questions sur le nombre toujours plus restreint de brevets déposés ; sur le faible nombre de créations d'entreprises ; je tenterai d'analyser ici ces différents éléments à la lumière des différentes expériences que j'ai eu l'occasion de recueillir dans l'une ou dans l'autre de mes différentes vies professionnelles.
Nous sommes face à un premier problème d'ordre culturel. On a longtemps en France différencié artificiellement la recherche dite fondamentale et la recherche appliquée. Par ailleurs, on a constamment valorisé au plan intellectuel ce qui était théorique au détriment de ce qui était appliqué. Cette distinction est parfaitement injustifiée. Lorsque Pierre-Gilles de Gennes travaillait sur les mécanismes d'implication des polymères et des grosses molécules, il le faisait avec la même passion que lorsqu'il travaillait sur l'adhérence des pneus à la route. Il importe avant tout que la recherche soit bonne, qu'il s'agisse de recherche fondamentale ou de recherche appliquée.
La France a par ailleurs empilé des règlements qui rendent la vie des chercheurs très difficile ; enfin, la loi crée des blocages qui peuvent rendre l'investissement dans l'aventure industrielle ou même la prise de brevets très difficiles pour un chercheur. Au niveau législatif, la loi d'Aubert Allègre a été un très important progrès dans la mesure où elle a permis à des chercheurs de créer leur entreprise ou de rentrer dans des conseils d'administration. Ce progrès est néanmoins insuffisant.
En tant que Directeur scientifique de l'Ecole Supérieure de Physique et de Chimie, je prenais systématiquement en compte les relations industrielles lors des recrutements ou des promotions de chercheurs ou d'enseignants. Alors qu'il est fréquent dans de nombreuses universités pour un candidat de cacher une fonction de consultant dans l'industrie, j'ai pour ma part signifié aux candidats que je rencontrais que ce point était au contraire positif.
En outre, la formule traditionnelle des contrats avec le monde industriel pour les centres de recherche constitue une excellente façon de connaître des problèmes parfois très difficiles pour les centres de recherche. Il s'agit d'une opportunité exceptionnelle pour les entreprises,
et surtout pour les petites et moyennes, d'accéder à une technologie ou à un savoir qu'elles ne sont pas en mesure de maîtriser. On a trop souvent tendance à considérer que la recherche industrielle ne concerne que les grands groupes. Je pense pour ma part qu'il existe dans le tissu industriel français une lacune concernant des centres de recherche sur lesquels des entreprises de taille plus modeste pourraient s'appuyer.
Le nombre de brevets ne cesse de décliner en France. Un certain nombre d'entre nous déploient beaucoup d'efforts pour convaincre les chercheurs français de déposer des brevets. A mon sens il existe là encore des problèmes culturels. Pour ma part, je pense là encore que c'est possible et que cela peut rapporter gros. Si, à côté du plaisir qu'il retire de son activité, un chercheur peut gagner de l'argent et créer des emplois, cela profite à tous. Il n'y a donc aucune raison à être réticent à cela. Sans doute faut-il davantage axer l'enseignement dans les écoles et dans les universités sur ce qui touche à la propriété intellectuelle. C'est un domaine trop ignoré : il est étonnant que des ingénieurs puissent débuter leur vie professionnelle sans avoir jamais entendu parler des règles de base sur les brevets.
La création d'entreprise par les chercheurs est désormais légalement possible depuis la loi d'Aubert Allègre. C'est là une voie que nous devons impérativement explorer, car elle permet réellement de valoriser l'acquis scientifique.
Un intervenant de la salle
Parmi les nombreux brevets et licences que vous avez vendus, quelle est la proportion de licences délivrées à des français, à des japonais et à des américains ?
Jacques LEWINER
En termes de rentabilité, les Etats-Unis occupent la première place, le Japon la seconde et la France la troisième.
Un intervenant de la salle
Je suis Président du Conseil National des Universités pour la section 60. Ce Conseil National des Universités, qui qualifie les personnes qui postulent à l'entrée dans l'Université, a désormais pris conscience de l'importance des brevets et de la recherche appliquée. Nous évaluons qu'un brevet est équivalent à une publication majeure. Nous rencontrons néanmoins une difficulté technique : si le monde des publications scientifiques est balisé et connu de tous, celui des brevets l'est beaucoup moins. Nous ignorons ce que le terme même de « dépôt » signifie réellement. Ce terme induit-il qu'une relecture est intervenue ?
Jacques LEWINER
Il est certes positif de reconnaître le brevet, mais celui-ci ne demeure qu'une demande ; or n'importe qui peut demander n'importe quoi, et en particulier en France où il n'existe pas de garanties gouvernementales. Je vous conseillerais pour ma part d'examiner le rapport de recherche, qui arrive huit à neuf mois après une demande du brevet. Ce rapport de recherche est commandé par l'Institut National de la Propriété Industrielle à un centre spécialisé dans la recherche d'antériorité, et donne déjà une indication sur la nouveauté et l'inventivité du brevet.
Je vous conseille également de prendre en compte les brevets qui ont abouti à quelque chose. En effet, certains tentent de gonfler leur bibliographie avec des brevets qui ne valent rien. Il est donc utile de prendre le temps de vérifier que les brevets ont bel et bien débouché. Certes, certains bons brevets ne débouchent pas ; mais un inventeur créatif doit au bout d'un certain temps voir ses brevets aboutir.
Virginie ROBERT
Que pensez-vous de la prime au dépôt de brevet ? Vous semble-t-elle justifiée, ou êtes-vous d'avis que cette prime ne devrait être accordée qu'une fois le brevet valorisé ?
Jacques LEWINER
Je suis sceptique quant au principe de la prime au brevet. Le risque est ici de voir des chercheurs déposer uniquement dans l'idée de percevoir une prime, ce qui pourra engendrer des frais de brevet considérables.
En ce qui me concerne, je donnerais une prime lors du rapport de recherche, c'est-à-dire huit ou neuf mois après le dépôt, et une deuxième après la valorisation dans le cas où celle-ci est effective.
Virginie ROBERT
Thierry Jean est Président fondateur de la société CEREP. Son domaine d'expertise est celui des biotechnologies. Il a travaillé au CNRS pendant de nombreuses années, et a également travaillé aux Etats-Unis, notamment au National Institute of Health. Il a ensuite quitté le CNRS pour fonder sa propre société. Il développe aujourd'hui des molécules pour le compte de grands groupes pharmaceutiques français et internationaux.
Thierry JEAN
En découvrant le titre de ma présentation, je me suis demandé si je devais parler de la valorisation des biotechnologies par la recherche ou de la valorisation de la recherche par les biotechnologies. Je réalise qu'il s'agit en fait de la même chose.
CEREP représente aujourd'hui un groupe de 470 personnes, dont environ 300 chercheurs et 8 PHD et Medical Doctors. Nous travaillons dans des domaines variés, puisque nous avons des biologistes, des chimistes, des informaticiens et des médecins. La société a été créée en France, mais a aujourd'hui des filiales aux Etats-Unis, en Suisse et au Japon, et des filiales commerciales dans d'autres pays.
Nous sommes côtés au Nouveau Marché depuis 1998, et notre métier consiste en la découverte de nouveaux médicaments. Il s'agit d'un métier difficile car très coûteux en temps et en argent. Un nouveau médicament constitue entre douze et quinze ans de travail et de 600 à 800 millions d'euros d'investissement. Pour une société qui se crée dans ce secteur, toute la difficulté est de se financer. Nous avons pour notre part décidé d'autofinancer notre recherche et notre développement. Au cours de notre existence, nous avons développé de nouvelles technologies que nous n'avons jamais brevetées jusqu'à très récemment. Je ne considère pas que l'innovation suppose la pérennité : une technologie a une durée de vie très limitée et est rapidement dépassée. CEREP a toujours favorisé la confidentialité plutôt que le dévoilement de secrets que nous aurions dû protéger à coups de millions d'euros.
Nous utilisons ces technologies pour gagner de l'argent par de la vente de services ; nous avons en outre une recherche à plus long terme sous forme de partenariats pharmaceutiques avec des grands groupes et des projets en propre que nous autofinançons totalement.
En 2004, le chiffre d'affaires de CEREP attendu par la communauté financière est supérieur à 50 millions d'euros, dont 85 % à l'export, les Etats-Unis représentant 50 % du chiffre d'affaires. La Société est rentable depuis sa deuxième année d'existence, ce qui, dans le milieu des biotechnologies, lui confère un statut tout à fait particulier. CEREP est rentable malgré des investissements R&D importants, de l'ordre de 12 millions d'euros ces trois dernières années.
Nos clients sont pratiquement tous les labos pharmaceutiques du monde, l'INSERM, avec lequel nous avons un accord d'accès à des lignées cellulaires, le CNRS, avec lequel nous avons élaboré un programme de découverte d'un nouveau médicament, le CEA et, pour des raisons historiques, l'Institut Pasteur Lille qui est l'un de nos actionnaires.
Je suis en disponibilité du CNRS pour création d'entreprise. Lorsque j'ai voulu créer des liens avec des laboratoires académiques au début de la vie de CEREP, toute collaboration a été refusée en France, ces laboratoires préférant traiter avec de grosses sociétés plutôt qu'avec des start up. Je suis donc retourné aux Etats-Unis, où j'ai pu signer un certain nombre d'accords dans des conditions plus souples pour une petite entreprise. La société a donc été créée en 1990, avec un investissement de seulement 800 000 euros, qui nous ont permis de nous développer jusqu'à l'introduction en bourse en 1998. Nous nous devions donc d'être rentables, ce qui a été le cas de 1990 à 1996. Nous avons entamé des opérations de croissance externe en 1996, avec l'acquisition d'un laboratoire de chimie à l'Institut Pasteur de Lille. Trois acquisitions ont été réalisées par la suite afin d'étendre notre plate-forme, qui s'étend désormais de l'identification de cible jusqu'à la mise sur le marché des médicaments. Nous avons notamment acquis l'année dernière une société suisse spécialisée dans la recherche clinique.
Nous avons scellé notre premier partenariat en 1998 avec Sanofi. Je précise que, contrairement à un contrat de prestation de service, un contrat de partenariat prévoit que nous déposions nous-mêmes les brevets sur nos produits. Nous bénéficions ensuite d'un retour sous forme de redevance sur les ventes une fois les médicaments sur le marché. Nous avons réalisé notre deuxième partenariat en 1999 avec Bristol Meyer Squibb.
Notre business Model est aujourd'hui reconnu. Nous faisons peu appel à nos investisseurs. Aujourd'hui CEREP a une valeur en bourse d'environ 150 millions d'euros, contre moins de 30 millions d'euros investis et 18 millions d'euros en banque. Il y eut à la fois création de valeur et création d'emplois grâce à la valorisation de la recherche dans les biotechnologies : c'est pour nous un grand plaisir.
Virginie ROBERT
Quels éléments vous ont les plus manqués lorsque vous avez créé votre société ? Comment avec vous surmonté les obstacles malgré tout ?
Thierry JEAN
Toutes mes démarches pour obtenir le moindre financement du CNRS, de l'ANVAR, de la Région ou de la COFACE ont étaient systématiquement refusées. J'ai assez vite compris que
nous avions mieux à faire que de remplir des dossiers d'aides : il importait de rechercher des opportunités sur les marchés. 800 000 euros constituaient une somme d'argent trop faible, d'où une pression très forte, mais peut-être aussi des contraintes qui nous ont amenées à faire les bons choix. La recherche et le développement étant relativement chers, nous n'avions pas droit à l'erreur.
Virginie ROBERT
Dans l'hypothèse où vous devriez faire la même chose aujourd'hui, chercheriez-vous à bénéficier de subventions, ou l'attitude consistant à chercher les marchés sans attendre vous paraît-elle encore pertinente aujourd'hui ?
Thierry JEAN
Dans la recherche de subventions, il est nécessaire de disposer d'un bon carnet d'adresse ou de réellement aimer cela. A titre personnel, je ne me lancerais pas dans une telle recherche de subvention. En revanche, j'essaierais de tisser des liens avec des organismes publics. Il existe des trésors inexploités en France, et des sociétés de notre taille seraient tout à fait à même de valoriser ces trésors, à condition qu'il y ait moins de suspicion lorsqu'un accord est signé avec un industriel. Un industriel n'est pas forcément uniquement un apporteur d'argent : il peut également constituer un vecteur de valorisation.
Un intervenant de la salle
Pourquoi avoir décidé récemment de ne plus garder secrètes vos innovations ? S'agit-il d'un changement définitif ?
Thierry JEAN
Nous avons besoin d'une certaine couverture. Lorsque nous disposons d'un candidat médicament, il serait suicidaire de ne pas le breveter. En revanche, lorsque nous développons une technologie qui nous donne un avantage sur une période de 18 ou 24 mois, je trouve dommage de perdre du temps et de l'argent à la breveter.
Un intervenant de la salle
Quels sont vos rapports actuels avec l'INSERM Transfert ? Etes-vous partie prenante du projet I2T associant le CNRS, l'INSERM et l'Institut Pasteur.
Thierry JEAN
Mes liens avec l'INSERM Transfert sont excellents. Nous ne sommes pas partie prenante de I2T, même si nous suivons ce dossier de prêt et que nous envisageons d'être partenaires un jour.
Virginie ROBERT
En outre, vous êtes une société privée, alors qu'I2T est une structure visant à valoriser la recherche publique.
Thierry JEAN
En effet. Nous n'avons pas pour l'heure de raison particulière pour prendre part à ce projet.
Un intervenant de la salle
Quel a été votre premier contrat ? Quels éléments ont été déterminants pour le décrocher ?
Thierry JEAN
Nous avons débuté par une série de petits contrats de l'ordre de 20 000 ou 30 000 francs. Le premier contrat majeur a été signé avec Pfizer en 1995. Ce contrat était le fruit de la maturité de l'entreprise qui avait travaillé sur tous les points fondamentaux nécessaires à l'obtention d'un contrat industriel : la qualité du travail, l'innovation et le marketing. Nous avons décidé d'investir en totalité les 400 000 francs que nous avions en banque dans un catalogue présentant nos services ; cela a probablement été le coup d'accélérateur qu'attendait la société. Ce catalogue s'est en effet imposé comme un standard dans l'industrie pharmaceutique.
Un intervenant de la salle
En dehors des difficultés que vous avez rencontrées au départ, les lois de bioéthique de 1994, les contrôles l'AFSSAPS, les instances administratives relatives à l'éthique ont-ils représentés une difficulté pour vous?
Thierry JEAN
Non. Tout au plus les lois de bioéthique posent-elles quelques contraintes au niveau de la manipulation des gênes.
Philippe ADNOT
Comment vous prémunissez-vous des éventuelles conséquences d'un événement comme la révélation des effets secondaires du Vioxx aux Etats-Unis ?
Thierry JEAN
La raison d'être de CEREP au sein de l'industrie pharmaceutiques est précisément sa capacité à prédire les effets secondaires. Notre savoir-faire et le développement de nos technologies sont axés vers la détection la plus précoce des effets secondaires et de tous les effets liés à un médicament. Nous faisons en sorte de réduire le taux d'échec des produits mis sur le marché.
Virginie ROBERT
A quel niveau votre responsabilité est-elle engagée en ce qui concerne la prédiction des effets secondaires ?
Thierry JEAN
Nous avons uniquement une responsabilité de moyens, et non de résultats.
Un intervenant de la salle
Développez-vous une stratégie de rapprochement ou de partenariat avec les jeunes start up dans le secteur des biotechnologies ?
Thierry JEAN
Non. Nous recevons beaucoup de dossiers émanant de start up désireuses d'élaborer un partenariat. Nous avons d'ailleurs acquis il y a quelques semaines une start up française. Mais nous n'avons pas élaboré une stratégie visant à créer des partenariats. Le partenariat constitue une démarche très difficile et très coûteuse en temps. Je crois que la création de partenariats nécessite d'être assez opportuniste. Les relations personnelles sont cruciales dans la réussite d'une telle démarche ; j'ai donc du mal à imaginer un réseau de partenariat qui puisse être réellement efficace.
Virginie ROBERT
La presse généraliste commence à s'intéresser au sujet des nanotechnologies. Pascal Royer s'y intéresse pour sa part depuis longtemps, puisqu'il dirige le laboratoire de nanotechnologie et d'instrumentation optique à l'Université de Technologie de Troyes. Parallèlement à cette activité, il a déposé huit brevets, dont l'un a servi à fonder la société Lovalite. Il est donc à la fois enseignant, chercheur et entrepreneur.
Pascal ROYER
Il n'est pas aisé d'assumer à la fois des fonctions de Directeur de laboratoire, des responsabilités administratives et des actions de valorisation. Nous travaillons donc dans le domaine des nanotechnologies, même si le projet qui a abouti à la création de la société relève plutôt du domaine micro.
L'idée est venue en 1998, suite à la visite d'un laboratoire de chimie, de déposer une petite goutte d'un matériau photosensible sur l'extrémité d'une fibre optique. Nous avons réalisé que nous avions fabriqué un micro-composant pouvant assurer de nombreuses fonctions, notamment des fonctions de couplage entre de petites sources de lumière et des fibres optiques, des fonctions dans la fibroscopie optique, et également des fonctions de capteur. Nous avons donc dépose un premier brevet en 1998, et nous avons travaillé en laboratoire. Ce projet n'était pas réellement prioritaire au sein du laboratoire. Je dois souligner que nous avons été très aidés, car, paradoxalement, ce projet est celui qui a brassé le plus d'argent au sein du laboratoire. A travers des allocations post doctorales et de recherche, le Conseil Général, le Conseil Régional, le CNRS et l'Europe nous ont aidés sur ce projet. Nous avons déposé un deuxième brevet 2001, suite auquel un dépôt international est intervenu en 2002.
Nous avons posé notre candidature au concours de création d'entreprise, pour lequel nous avons été lauréats en phase émergence en 2002. Nous avons continué à travailler en laboratoire sur la technologie, indépendamment de considérations de valorisation, car nous n'étions pas certains d'être lauréats lors du concours suivant. Or nous n'avons pas été lauréats en phase création en 2003. Je précise que nous aurions aimé avoir un retour des organisateurs pour savoir ce qui a été reproché à ce dossier. Je me pose toujours la question aujourd'hui.
Nous avons postulé à nouveau au concours en 2004, pour cette fois-ci être lauréats. Par ailleurs, notre projet appartient aux trente dossiers retenus par « Tremplin Recherche ». Nous avons donc décidé de créer une entreprise en 2004. Mais une difficulté est immédiatement survenue du fait que l'équipe projet ne disposait pas d'un dirigeant potentiel. Nous avons donc dû trouver un dirigeant qui n'était pas impliqué dans ce projet depuis son origine. Je souligne au passage qu'il serait bon que des organismes comme l'Anvar ou le Ministère de la Recherche puissent fournir une aide sur les démarches de recherche de dirigeants potentiels.
Après recrutement d'un dirigeant, la société Lovalite a été créée en octobre 2004. J'ai pour ma part pris les 15 % de capital que la loi m'autorisait à prendre. Je me félicite du fait que ce seuil passe à 30 %. Lorsque l'on reste directeur et chercheur au sein d'un organisme et que l'on s'implique fortement dans une société dont on est cofondateur, on souhaite pouvoir peser durablement. Or la situation actuelle ne le permet pas.
Concernant les contrats de licence, l'Université n'a pas voulu céder le brevet, la jeune société n'ayant pas nécessairement les épaules assez solides pour assumer les frais lié à la propriété industrielle. D'autre part, le projet est resté marqué par l'estampille de l'Université de Technologie, ce qui était un avantage vis-à-vis des capitaux-risqueurs.
La licence est une licence d'exploitation exclusive avec option d'achat à deux ans : la possibilité demeure donc pour l'Entreprise de racheter le brevet.
Notre parcours n'a pas été facile. Six années se sont en effet écoulées entre l'idée et la création de l'Entreprise. Il est à mon sens nécessaire d'intégrer des formations sur le sujet de la propriété industrielle. Nous avons rencontré nos premiers problèmes lors du dépôt de brevet. Pour d'autres brevets, un chercheur peut vite « s'auto-antérioriser ».
Dans le domaine de la création d'Entreprise, le soutien des grands organismes fait défaut. Se faire subventionner est certes indispensable, mais nous devons également être aidés pour d'autres types de démarches comme le consulting ou l'identification de dirigeants potentiels. J'ai souvent été ulcéré en m'entendant dire que je devais quitter l'Université pour devenir le dirigeant de ma propre entreprise. On ne peut décemment pas demander cela à un chercheur qui anime une équipe de trente personnes. Il convient au contraire de se donner les moyens de mener les deux en parallèle.
Il est nécessaire de mettre en avant les actions de valorisation des chercheurs, pour que ceux-ci puissent être reconnus dans leur évolution de carrière. Je signe pour ma part un contrat tous les trois ans, et mon évolution de carrière n'intéresse personne. Il faut donc réellement prendre en compte sur le terrain les actions de valorisation des chercheurs.
Virginie ROBERT
Quelles démarches avez-vous engagées pour vous financer ? Comment avez-vous choisi le dirigeant de votre l'Entreprise ?
Pascal ROYER
J'ai reçu un CV qui avait été adressé au Conseil Régional d'Alsace. J'ai contacté l'auteur de ce CV et nous nous sommes rencontrés régulièrement jusqu'à ce que cette personne s'imprègne du projet et surtout y croie. Cette personne dirige désormais l'entreprise.
Au plan financier, si nous avons été aidés pour la R&D, nous avons souhaité établir un business plan que l'on a souvent décrié pour sa modestie. Lors de l'éclatement de la bulle technologique il y a cinq ans, les Télécoms optiques ont connu une situation catastrophique ; or j'estime que nous devons tenir compte des leçons du passé. Nous nous plaçons dans le domaine de la nano-optique ; nous avons donc établi un business plan modeste prévoyant un appel à des capitaux extérieurs dès la deuxième année. Nous tentons pour l'heure très modestement d'accroître notre chiffre d'affaires et nous développons la R&D. Nous ferons un premier point à l'issue de la première année.
Virginie ROBERT
Monsieur Lewiner, comment avez-vous choisi les personnes qui gèrent actuellement votre société ?
Jacques LEWINER
J'ai toujours débuté mes projets accompagné de l'un de mes anciens chercheurs, en général un étudiant ayant passé sa thèse et quelques années en laboratoire. Après quelques années, cet étudiant s'est placé en disponibilité et a démissionné ensuite afin de se consacrer entièrement à l'industrie.
Je crois beaucoup au mélange des cultures, et j'estime qu'il conviendra à l'avenir de créer des partenariats entre les écoles scientifiques et les écoles de gestion. La complémentarité entre des scientifiques et des personnes dotées de la fibre commerciale constituera à l'avenir une condition de réussite.
Thierry JEAN
Lorsque j'ai créé l'entreprise, j'ai bénéficié du soutien d'une personne occupant le rôle de Directeur administratif et financier. Cette personne m'a aidé à bâtir le business plan. J'ai en revanche pris en charge la Direction scientifique et la Direction commerciale. Le premier manager à été recruté sept ans après la création de l'entreprise. Si quelques ratés ont été observés en 1999, je dispose désormais d'une excellente équipe de managers.
Un intervenant de la salle
En complément des six milliards d'euros annoncés par le Ministre pour la Recherche, il serait à mon sens efficace d'amnistier les capitaux qui ont quitté la France à partir du moment où ils sont investis dans la recherche.
Ainsi, ce ne sont pas six, mais soixante milliards qui seront disponibles.
Un intervenant de la salle
Je suis chargé par le Conseil Général de Haute-Marne de construire un pôle technologique dans un département défavorisé. Il y a trente ans, j'étais chercheur à l'Ecole Centrale de Lyon. Nous avons alors créé la première société privée de valorisation de la recherche d'un laboratoire de mécanique des fluides. Malgré les contraintes pesant sur les compléments de salaire ou sur les participations aux sociétés, nous avons créé cette société qui a duré vingt ans. Malheureusement, ce genre d'initiatives ne s'est pas répandu largement en France.
Virginie ROBERT
Il semble que la nouveauté des brevets pose problème. Lors de la table ronde consacrée aux brevets, un avocat rappelait qu'il fallait prendre garde à ne pas « s'auto-antérioriser » lors de la publication d'un brevet.
Pascal ROYER
Nous avons développé certains procédés que nous n'avons pu breveter car ils étaient déjà antériorisés, soit par des collègues soit par nous-mêmes. Ainsi, en termes d'innovation, lorsqu'une idée est considérée comme novatrice, encore faut-il procéder à une recherche d'antériorité afin de s'assurer du caractère innovant de cette idée.
Aujourd'hui, il est possible de déposer un brevet très rapidement. Même les universités peuvent s'adresser à des cabinets qui, dans un laps de temps très bref, peuvent déposer un brevet. Il convient néanmoins de rester prudents et de ne pas dévoiler trop d'éléments sur des technologies sensibles.
Jacques LEWINER
Sans être juriste, je dispense un cours sur les brevets. J'incite à cette occasion les étudiants à se garder d'antérioriser eux-mêmes leurs propres inventions. Une telle mésaventure est très facile à éviter car un dépôt de brevet est rapide. Or à partir du moment où la demande de brevet est déposée, la protection est effective et aucune publication ne peut amoindrir cette protection. Dans tous les pays du monde à l'exception des Etats-Unis, où règne le plus grand respect pour l'inventeur absolu, le premier déposant est considéré comme l'inventeur. Le fait de déposer un brevet permet de publier par la suite ; si, pour des raisons stratégiques, il s'avère que le brevet a été déposé trop tôt, il existe une période de dix-huit mois pendant laquelle le brevet est secret.
Un intervenant de la salle
Il faut reconnaître que le système américain de publication des résultats est particulièrement efficace. Nous devrions selon moi en tirer des conclusions au niveau européen.
Jacques LEWINER
Sur ce plan, il y a une amélioration que l'Europe pourrait apporter à son système de brevetage : l'instauration d'un brevet communautaire unique. Un brevet américain couvre les cinquante états du pays ; en Europe, le coût d'une telle démarche est largement excessif. Une telle disposition, très simple, permettrait de faire gagner beaucoup à l'Union Européenne en termes d'innovation.
Un intervenant de la salle
Quel est l'avantage du système de la publication aux Etats-Unis ? Cela équivaut-il à déposer un brevet ?
Jacques LEWINER
Une publication ne remplace pas le brevet, mais l'inventeur américain qui a publié ne s'auto-antériorise pas. Autrement dit, il a la possibilité de déposer après un brevet qui sera reconnu. Or en Europe le critère majeur de le brevetabilité est la nouveauté absolue.
Un intervenant de la salle
Un français peut donc avoir intérêt à publier dans une revue américaine.
Jacques LEWINER
En effet.
Virginie ROBERT
Il existe un délai de grâce d'un an avant le dépôt du brevet.
Un intervenant de la salle
Serait-ce à dire qu'il est plus avantageux de déposer aux Etats-Unis plutôt qu'en France ou en Europe ?
Jacques LEWINER
Il est certain que, sur ce plan, les Etats-Unis présentent un avantage. Mais il existe une astuce encore plus intéressante.
Virginie ROBERT
Laquelle ?
Jacques LEWINER
Elle consiste à déposer aux Etats-Unis un Patton Cooperation Treaty (PCT). Le PCT est ce que les médias appellent parfois à tort le brevet international. Il n'existe pas à l'heure actuelle de brevet international. Le PCT consiste en un dépôt unique permettant de gagner du temps ; le principe est ici en quelque sorte d'acheter du temps. Dès lors que vous déposez un PCT, à condition qu'il soit rédigé en langue anglaise, celui-ci servira de date de référence aux Etats-Unis et dans le reste du monde. Si, au bout d'un an, vous devez faire vos extensions à l'étranger pour bénéficier de la priorité, vous disposez d'un an pour faire vos dépôts à l'étranger, mais vous garderez comme date de dépôt la date d'origine. Le dépôt de PCT d'extension permet d'étalonner dans la durée les coûts générés par le dépôt de brevet.
Un intervenant de la salle
Quand Monsieur Lewiner publiera-t-il en ligne son cours sur les brevets ?
Jacques LEWINER
Il est question que mon cours soit filmé cette année.
Virginie ROBERT
Nous allons rester dans le domaine international, car nous allons évoquer une collaboration franco-chinoise avec Jian Lu. Jian Lu est un homme assez extraordinaire : il est arrivé en France à l'âge de dix-sept ans sans parler le français et à suivi des études à l'Université Technologique de Compiègne. Il est spécialiste de la mécanique et est aujourd'hui Directeur du laboratoire des systèmes mécaniques et d'ingénierie simultanée de l'Université de Technologie de Troyes, et dirige cinquante-cinq chercheurs.
Jian LU
Mon témoignage porte sur une série de quatre brevets à la base d'un projet de recherche franco-chinois.
Avant de développer mon exemple, je voudrais faire une courte introduction sur la politique que j'ai menée dans mon laboratoire. Il s'agit d'une politique volontariste de valorisation industrielle. En plus des nombreuses publications auxquelles nous avons procédé - nous avons une moyenne nettement supérieure à la moyenne exigée par un laboratoire du CNRS - nous avons quatre licences en copropriété avec l'INRIA ce qui nous a permis de céder des licences aux plus grands industriels français et aux plus grands éditeurs de logiciels de simulation mécanique. Grâce à ce partenariat, nos chercheurs ont pu développer un chiffre d'affaires global équivalent ces quatre dernières années à l'ensemble des cessions de logiciel du département Sciences pour l'ingénieur du CNRS, qui est composé d'une centaine de laboratoires. En outre, nous avons soutenu un doctorat pour participer au concours à la création d'entreprises innovantes, grâce à une technologie développée durant la thèse d'un étudiant. Cette entreprise se place sur le secteur de l'analyse de contraintes par des techniques ultrasonores. Grâce au support apporté par une pépinière d'entreprises, des contrats européens avec des partenaires comme Airbus Industrie ou Alcan Péchiney ont été décrochés dès sa première année d'existence.
L'exemple que je souhaite vous présenter concerne la génération de nanostructures de matériaux métalliques ou cristallins. Nos techniques permettent d'augmenter considérablement les propriétés physiques, physico-chimiques et mécaniques de ces matériaux. Sur un acier inoxydable, on obtient ainsi des propriétés mécaniques de cinq à six fois supérieures au métal de base. Aujourd'hui, grâce à des technologies développées suite à une collaboration avec le CEA, nous sommes capables de produire des tonnes d'acier inoxydable aux propriétés trois fois supérieures au métal de base. Ces matériaux permettront de développer des applications dans les secteurs aéronautique et automobile, ainsi que dans le domaine biomédical.
Ces inventions sont le fruit d'une coopération franco-chinoise. Depuis cinq ans, une équipe de l'Université Technologique de Troyes que je dirige et l'Institut de recherche des métaux de l'Académie des Sciences Chinoises dirigée par le Professeur Sien, qui à 38 ans est le plus jeune académicien de l'Académie des sciences chinoises. L'originalité de nos projets nous a permis d'obtenir des fonds de recherche en Europe, en Chine et au Japon. Ainsi, un projet international est financé par l'EDO en collaboration avec l'Université de Berkeley, le Tokyo Institute of technology, l'Université de Birmingham et nous-mêmes. Ce projet vise à développer de nouveaux nanométariaux aux propriétés exceptionnelles.
Des microturbines ou des objets à l'échelle micrométrique pourront ainsi être développés, grâce aux propriétés mécaniques exceptionnelles de ces matériaux.
Le résultat de ces recherches nous a permis de déposer trois brevets français et de procéder à une extension en Europe et aux Etats-Unis. Cela ne nous a pas empêchés de publier dans les meilleures revues dans le domaine de la mécanique, ainsi que dans la revue américaine de référence Science .
Concernant la copropriété, nous avons procédé à un partage du territoire entre l'Asie, l'Europe et les Etats-Unis afin d'exploiter les extensions dans ces trois régions du monde. Nous en sommes aujourd'hui à un partage de 50 % sur le monde ; en tant qu'Université de Technologie, nous étions contraints de céder notre part en Europe et aux Etats-Unis pour obtenir un cofinancement chinois sur l'extension de projets dans des zones qui restent très chères pour un chercheur de base. En France, les programmes de recherche comportent très peu de mécanismes permettant de financer des projets placés très en amont par rapport à des applications qui se situent à cinq ou dix ans. Dans le cas qui nous occupe, nous nous sommes nous-mêmes financés par l'extension des ces brevets en Europe et aux Etats-Unis grâce au reliquat de nos contrats industriels sur d'autres thématiques. La difficulté est la même en ce qui concerne la création d'entreprise, car la loi sur l'innovation ne permet pas de procéder à des modifications de dispositifs de détachement pour le soutien scientifique à la valorisation de la recherche. Aux Etats-Unis ou en Chine, un professeur peut créer une entreprise dès lors qu'il satisfait les obligations de base de son université en termes de recherche et d'enseignement. C'est le Président de l'université qui jugera de la comptabilité d'une activité de transfert avec la mission de base de l'enseignant-chercheur. Les contraintes économiques demandent donc une certaine souplesse de dispositif. On ne peut signer un contrat d'un an de disponibilité à 30 % si cela n'est pas conforme à la disponibilité exigée par la réalité économique.
La recherche française souffre certes d'un manque de financements, mais la libération des contraintes administratives permettrait certainement d'optimiser les moyens disponibles. On considère en France que les résultats de la recherche constituent un bien public que l'état doit préserver. Mais ce bien est périssable dans le temps à très court terme. Nous devons lutter contre la dégradation naturelle des résultats de la recherche française. En tant que chercheur de base, je lance un appel au monde politique : il faut permettre aux chercheurs français de valoriser leurs résultats de recherche en les libérant des contraintes administratives liées aux transferts technologiques et à la valorisation des brevets. Les chercheurs doivent pouvoir leur entreprise à court-terme sans pour autant être obligés de quitter leur poste. Dans le cas contraire, il n'y aura plus à l'avenir de nouvelles ressources pour alimenter la création d'activités économiques.
Jacques LEWINER
Je souscris entièrement à ce qui vient d'être dit. Ces propos synthétisent des problèmes que j'ai pour ma part vécu de nombreuses fois. Certains d'entre nous ont réussi à se frayer un chemin dans les méandres de la réglementation française, mais il est désormais nécessaire de libérer les chercheurs des contraintes qui pèsent sur eux.
Virginie ROBERT
Quelle est aujourd'hui la priorité ? S'agit-il de libérer du temps au chercheur pour que celui-ci puisse se consacrer à la création d'une entreprise ?
Jian LU
La priorité est de créer des mécanismes permettant aux chercheurs de pouvoir mener en parallèle la gestion d'une entreprise et les activités de recherche. Le temps de disponibilité doit pouvoir être ajusté. J'estime pour ma part qu'à partir du moment où un enseignant-chercheur remplit ses missions de base en termes d'activité et de cours, il doit avoir la possibilité de créer des entreprises. On peut certes limiter la prise de participation de ces chercheurs dans les entreprises, mais nous devons gagner en souplesse. Le simple dossier à remplir pour le Comité de déontologie peut à lui-seul décourager bien des chercheurs.
Un intervenant de la salle
Il faut donner aux responsables d'établissement un volume de temps à transférer, ce temps pouvant être réparti en fonction des dossiers déposés. Je précise que cette répartition devra être possible sans qu'il soit nécessaire de remplir deux kilomètres linéaires de papiers administratifs.
Jacques LEWINER
A partir du moment où le Président de l'université ou le Directeur de l'école constate que l'enseignant chercheur remplit de façon correcte et honorable ses fonctions de chercheur et d'enseignant, pourquoi ne pas le laisser occuper le reste de son temps ?
Virginie ROBERT
Abordons à présent le cofinancement du brevet
Jian LU
Nous avons signé un accord aux termes duquel nous nous occupons de l'Europe et des Etats-Unis tandis que les Chinois s'occupent de l'Asie. Comme nous manquons de financement, nous avons renégocié le contrat pour y inclure une participation chinoise de 50 %. Les Chinois paient 50 % des frais de brevet, tandis que nous assumons les 50 % restants. Le risque est qu'à l'avenir nous ne puissions assurer qu'une participation de 10 % par manque de moyens financiers pour le dépôt, la défense et l'industrialisation de ces brevets. Les Universités prélèvent quant à elles entre 30 et 40 % de chaque contrat de recherche ave l'Etat ; ce prélèvement permet de financer en interne des cellules de valorisation.
Un intervenant de la salle
Je voudrais féliciter ce chercheur créatif et capable de nouer des partenariats avec le monde entier. Je pense que c'est l'objectif que devrait se donner tout chercheur, c'est-à-dire rapporter à son université et non être en position de mendicité vis-à-vis d'elle.
Je voudrais néanmoins modérer ses propos au sujet de la propriété industrielle. Les organismes ont les moyens de payer les frais de propriété industrielle ; l'INSERM assume même les frais de propriété industrielle lorsqu'il transfère des brevets dans start up, et consent des avances de trésorerie très importantes.
En matière de disposition pour les chercheurs qui créent une entreprise, il est faux de dire que la paperasserie est très importante. La Commission de déontologie a appris à simplifier les dossiers ; n'attribuons pas tous les freins à l'administratif. Les freins sont avant tout dans les esprits. Je ne pense pas que la Commission de déontologie soit ici un obstacle.
Jian LU
Le temps nécessaire à l'extension d'un brevet à l'international est trop important. De plus, nous avons fait appel à la Commission de déontologie dans le cadre de la création d'entreprises innovantes. Or il est impossible de bénéficier de l'ensemble des mesures avant qu'un fichier ne soit ouvert. L'INSERM a sans doute une politique de valorisation très active, mais si un chercheur de base souhaite développer un brevet au CNRS, il doit d'abord déposer un dossier au niveau de la Région et remplir de nombreux tableaux. Nous avons besoin de l'assistance d'organismes comme le CNRS ou l'INSERM pour nous aider à développer de réels projets de valorisation, mais je pense que les décisions devraient être délocalisées au niveau des Présidents d'Université.
Virginie ROBERT
Paul Klebinder est ingénieur agronome, spécialiste du traitement de l'image et de la télédétection. Il est titulaire d'un Master de l'Ecole Centrale dans le domaine de la sûreté des systèmes qu'il a mis à profit pour l'analyse des risques en feu de forêt. Aujourd'hui, sa spécialité est la cartographie. Après avoir travaillé trois ans dans une SSII, il a rejoint France Télécom où il a élaboré un essaimage en cartographie nommé Galigeo.
Paul KLEBINDER
Galigeo compte aujourd'hui quatre ans d'existence et onze personnes. Cette société a démarré en autofinancement et en fonds propres. J'étais en 2000 responsable d'une unité d'affaires dans une filiale d'Orange dont l'objectif était de déployer des réseaux mobiles à l'international. Mon métier consistait à déployer des solutions de cartographie pour les opérateurs après intégration des données de manière à répondre aux appels d'offre et à déployer le business du Groupe France Télécom à l'international.
Après cinq ans, mandatés par France Télécom, nous avons créé un projet visant à relier les énormes bases de données constituées par le Groupe sur le réseau télécom, ses clients ou les objectifs marketing. Notre idée était de créer ce lien à travers la cartographie. Ce projet a connu un grand succès, et nous avons eu l'idée d'appliquer cette intégration innovante dans des problématiques de géomarketing ou de politiques territoriales. Nous avons consulté des capitaux-risqueurs en 2000, une période peu favorable. On nous a donc plutôt fermé la porte, ce qui nous a permis de mûrir notre projet suite aux questions qui nous étaient posées. France Télécom nous a également plutôt fermé la porte en tant qu'investisseur.
Plutôt que de courir derrière des subventions ou des investisseurs potentiels, nous avons décidé d'aller chercher le business et de faire financer notre R&D par nos clients. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur un mécanisme d'essaimage, ce mécanisme étant acté de manière claire par France Télécom. J'étais pour ma part à la tête d'une Business Unit de dix-sept personnes, et je partais avec cinq de mes collaborateurs ; inutile de préciser que ma hiérarchie ne voyait pas cela d'un très bon oeil. En ce sens, l'essaimage a constitué un compromis RH. Il s'agissait de quitter petit à petit une activité business existante pour nous permettre de créer notre propre entreprise, et également de pratiquer un accompagnement en termes de formation. J'avais en effet une formation technique de manager, mais la gestion de l'entreprise en termes de comptabilité, de recrutement, de finance ou de juridique m'était inconnue. J'ai donc suivi l'Ecole des entrepreneurs, qui est une école interne à France Télécom.
Nous avons créé l'entreprise en avril 2001 en fonds propres. Nous avons alors commencé à investir en R&D. Nous avons aujourd'hui de grands clients comme la Gendarmerie Nationale, intéressée par l'analyse de la criminalité, ou le Ministère sur le suivi d'indicateurs sociaux ou sanitaires. Nous pénétrons aujourd'hui le monde industriel à travers des sociétés comme Arcelor ou les aéroports. Enfin, nous travaillons désormais dans le domaine du géomarketing en analysant les données clients à travers une carte constituant un support de décision et de communication intéressant.
L'entreprise étant financée en fonds propres, il était nécessaire que nos résultats financent notre R&D, et réciproquement. Nous devions donc enclencher un cercle vertueux. France Télécom a été notre premier client et a financé 75 % de notre chiffre d'affaires lors de la première année d'existence de l'entreprise, directement ou indirectement. Le risque juridique pour France Télécom était à l'époque que nous devenions filiale de fait. Le Groupe nous aurait donc refusé des contrats si nous n'étions pas parvenus à réduire à moins de 50 % la part de chiffre d'affaires imputable à France Télécom. Aujourd'hui, Orange France Télécom représente moins de 30 % de notre chiffre d'affaires.
Le Groupe nous a par la suite sollicités pour que nous nous penchions sur la problématique de la géolocalisation. France Télécom souhaitait que nous développions ce produit, voire même cette technologie. Nous nous sommes donc attelés à ce chantier dans le cadre d'un partenariat, puisque notre produit intègre la technologie de France Télécom, notre cible étant constituée des clients du Groupe. Nous travaillons énormément dans le domaine de la sécurisation et du fret. France Télécom a de nombreux investissements dans le domaine de la recherche à travers FT R&D, qui nous sollicite beaucoup. Après quatre ans, nous sommes donc entrés dans une relation de partenariat business et non plus de sous-traitant.
Notre chiffre d'affaires s'élève à 1 million d'euros, ce qui nous permet de maintenir notre R&D et de présenter un résultat positif. L'entreprise est aujourd'hui dans une période charnière, car nous revenons vers les investisseurs qui nous avaient fermé la porte il y a quatre ans. Nous mettons actuellement l'accent sur le développement à l'international, notamment à travers des accords avec le Maroc et l'Espagne.
De par son histoire, l'Entreprise a une couleur France Télécom, ce qui peut nous fermer certains projets avec des opérateurs concurrents. Nous espérons que cette couleur s'estompera avec le temps et avec le développement de nos compétences.
Un intervenant de la salle
Je suis administrateur d'un mouvement national nommé France Angels. Avez-vous contacté des investisseurs privés ou des sociétés de capital-risque avant d'opter pour l'autofinancement ?
Paul KLEBINDER
Nous avons fait le tour de la place parisienne et d'autres places européennes. Mais notre but n'était pas de courir après des financements mais de nous lancer dans le business ; nous avons donc estimé au bout d'une année que le marché ne nos attendrait pas et que nous devions nous lancer. Nous ne déposons aujourd'hui aucun brevet suite au développement de nos innovations. Nous nous appuyons sur des partenariats importants avec des opérateurs dans le domaine de la géolocalisation, mais aussi dans le domaine du géo-décisionnel avec de grands éditeurs américains de systèmes d'information géographique et avec Business Object dans le domaine du décisionnel. Nous avons donc davantage mis l'accent sur la recherche de partenariats et de clients et sur l'innovation dans l'intégration des technologies à notre portée que sur la recherche de financements.
Aujourd'hui, nos concurrents nous copient, et nous devons chercher par tous les moyens à maintenir notre avance, d'où une recherche de fonds destinée au développement. Nous avons été contactés par des sociétés de service aux Etats-Unis ou en Australie, mais nous sommes aujourd'hui incapables de nous impliquer sur de tels projets sans risque.
Virginie ROBERT
Bruno Berge est un chercheur issu de l'Ecole Normale Supérieure. Il est depuis cinq ans professeur de physique à l'Ecole Supérieure de Lyon et a inventé la technologie de la lentille liquide. Pour valoriser cette invention, il a décidé de créer sa propre société, Varioptic, dont il est aujourd'hui Directeur de la Recherche.
Bruno BERGE
Varioptic est née d'une découverte que j'ai faite en 1995 dans un laboratoire de l'Université de Grenoble. Par chance, cette découverte a été brevetée très tôt. J'ai appris par la suite que de grands groupes japonais travaillaient sur le même type de technologies, mais en se concentrant sur des technologies plus prometteuses que les liquides, à savoir des produits à base de gel. Mais ces recherches se sont finalement avérées décevantes.
J'ai donc pu déposer sur les brevets de base de cette technologie en 1997 et 1999. La cellule de valorisation de l'Université de Grenoble m'a immédiatement fortement soutenu pour prendre et étendre ces brevets. Je suis ensuite passé à l'Ecole Normale Supérieure de Lyon. Cette lentille liquide a immédiatement suscité l'intérêt de grands Groupes japonais, dont un leader de la photographie. Ainsi, j'ai hésité un temps entre un transfert de technologie simple et la création d'une entreprise. Du fait qu'il n'ait pas été possible de signer un accord de confidentialité, j'ai finalement décidé de me lancer dans la création d'une entreprise, d'autant que j'étais las de la recherche fondamentale. L'Ecole Normale Supérieure a hébergé et soutenu Varioptic pendant deux ans ; je souhaitais pour ma part prendre moi-même en charge la Direction de l'Entreprise, car j'estime qu'un chercheur est parfaitement à même de faire du commercial.
La société Varioptic a été créée en 2002. En 2003 est intervenu un premier contrat important avec Samsung en Corée. En 2003, nous avons procédé à une première levée de fonds avec Sofinnova, puis avec l'investisseur allemand Polytechnos pour environ dix millions d'euros. Varioptic compte aujourd'hui 45 personnes. Nous disposons d'une salle blanche, et aujourd'hui notre principal effort vise à sortir des produits fiables. Il est en effet très difficile de passer du laboratoire au produit industrialisé.