Clôture des travaux
Jean-Jacques HYEST - Président de la commission des Lois du Sénat
Mesdames et Messieurs, je voudrais saluer la grande qualité des interventions qui ont marqué ce colloque et souligner l'intérêt de croiser les regards de tous sur une question de droit qui concerne très étroitement le quotidien de nos concitoyens.
Les versions successives de l'article 121-3 du Code pénal traduisent certainement la difficulté de trouver le bon équilibre dans la répression des délits non intentionnels. S'il faut éviter une répression excessive, il importe également de se garder d'une dépénalisation qui déresponsabiliserait les acteurs sociaux dans des domaines comme la sécurité routière, les accidents du travail, la santé publique ou l'environnement.
Les objectifs recherchés par le législateur de 2000 paraissent atteints grâce, en particulier, à la rédaction du dernier alinéa de l'article 121-3 du Code pénal et la référence à la notion de faute caractérisée. Si un accident se produit, la responsabilité pénale ne sera engagée, dans la plupart des cas, que si le décideur était préalablement et personnellement alerté de l'existence d'un risque, notions bien connues des juristes.
En revanche, la nouvelle rédaction de l'article 121-3 du Code pénal n'a pas diminué la répression dans certains domaines comme les accidents du travail.
Les dispositions actuelles donnent satisfaction. Faut-il pour autant conclure sur un statu quo législatif dans le domaine des délits non intentionnels ? Il est vrai que des affaires récentes, d'un grand retentissement médiatique, se sont traduites par des relaxes en l'absence de lien de causalité entre les comportements fautifs et les dommages constatés, suscitant un sentiment justifié d'incompréhension chez les victimes.
Le droit pénal n'est pas sans réponse face à de telles sanctions mais la peine encourue apparaît modeste au regard de la gravité de certains comportements et les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité pénale sont très difficiles. La référence au caractère délibéré de la violation de l'obligation de sécurité ou de prudence est fondamentale et constitue un garde-fou contre l'extension déraisonnable de la répression.
Deux aspects du dispositif méritent cependant réflexion. Ne faut-il pas prendre en compte les violations aux obligations fixées par « les règlements » et non par « un règlement » donné ? Serait-il envisageable de lever l'exigence tenant à l'exposition directe à un dommage lorsque celui-ci concerne potentiellement un grand nombre de personnes ?
Si une évolution de la législation devait s'imposer, elle devrait être inspirée par la recherche de l'équilibre le plus satisfaisant entre le souci d'équité et la répression. Je pense qu'intégrer le principe de précaution dans notre Code pénal représenterait un danger absolu.
Je ne saurais conclure sans remercier chaleureusement le Président du Sénat, le Premier Président et le Procureur général de la Cour de Cassation avec lesquels ce colloque a été organisé. Je voudrais dire également ma gratitude à Pierre Fauchon, dont la réflexion ne cesse d'être un aiguillon pour permettre d'améliorer notre droit.
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ANNEXES
1. Proposition de loi relative à la délinquance d'imprudence et à une modification des dispositions de l'article 223-1 du code pénal instituant le délit de « mise en danger délibérée de la personne d'autrui »
2. Décisions de jurisprudence
1. PROPOSITION DE LOI
N° 223
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011
Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 janvier 2011
PROPOSITION DE LOI
relative à la délinquance d' imprudence et à une modification des
dispositions de l'article 223-1 du code pénal instituant le délit de « mise
en danger délibérée de la personne d' autrui »,
PRÉSENTÉE
Par MM. Pierre FAUCHON, François ZOCCHETTO et Jean-René LECERF,
Sénateurs
(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et
d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions
prévues par le Règlement.)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis toujours le code pénal a posé le principe selon lequel l'imprudence pouvait constituer un délit, dès lors qu'elle avait causé un dommage à un être humain : blessure ou homicide par imprudence. La loi du 10 juillet 2000 a eu pour objet de faire en sorte que l'imprudence ainsi qualifiée de délictueuse ne soit pas n'importe quelle imprudence, mais, à tout le moins, une imprudence « caractérisée », étant entendu que cette restriction ne vaudrait que pour les personnes physiques et pour les circonstances où la relation de causalité entre l'imprudence et le dommage n'est qu'indirecte.
Cependant, l'ensemble de ce système revient à ne prendre en compte que les imprudences ayant effectivement causé un dommage et les sanctions prévues étant fonction de l'importance de ce dommage, ce système tend à apprécier le caractère fautif d'une imprudence et la gravité de cette faute en fonction de ses conséquences, d'où il suit que des imprudences de faible gravité peuvent conduire à des condamnations sévères parce que l'enchainement, en lui-même fortuit, des circonstances aura fait que ces imprudences ont causé de très graves dommages, tandis que d'autres, beaucoup plus graves ne donnent lieu à aucune condamnation pour la simple raison qu'elles n'ont causé de manière certaine aucun dommage.
Ainsi, a-t-on vu dans l'affaire du sang contaminé prononcer la relaxe de personnes convaincues d'avoir distribué du sang dont elles savaient qu'il pouvait transmettre le SIDA, pour la simple raison, au demeurant correcte, selon laquelle les victimes avaient pu contracter ce mal autrement qu'à l'occasion d'une transfusion sanguine.
Une telle décision donne à penser que dans cette circonstance, la justice n'a pas été rendue. Elle conduit à s'interroger sur le point de savoir si le caractère délictueux ou non d'une « imprudence » ne devrait pas être apprécié d'avantage en fonction des éléments qui caractérisent cette imprudence plus que de l'effectivité de ses conséquences et prendre en compte même les imprudences n'ayant pas ou pas encore provoqué de dommages ou n'ayant pas de lien de causalité certain avec un dommage effectif.
Le code pénal contient d'ores et déjà une disposition qui répond à ces questions. C'est l'article 223-1 qui punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende « le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessure, etc. »
Il s'agit ici non du fait d'avoir effectivement causé un dommage mais du seul fait « d'exposer directement autrui... ». Cet article s'inscrivant dans la perspective générale de l'article 121-2 du même code. Les conditions de ce délit sont cependant tellement restrictives que la jurisprudence le concernant est lacunaire. Relevons cependant le récent arrêt de la cour de Douai de 2008 faisant application de la notion de mise en danger dans une affaire d'amiante.
Les processus industriels de toutes natures, y compris les transports, sont sans doute le domaine où une telle évolution trouve les occasions les plus remarquables de s'affirmer. L'actualité fournit à cet égard des exemples particulièrement significatifs.
Il n'y a pas cependant que les risques industriels, et la vie quotidienne peut offrir des occasions non moins importantes de recourir à la mise en danger d'autrui. En particulier lorsque des délits volontaires en eux même mineurs, apparemment, créent cependant des risques qui peuvent être considérables.
Il apparait que la notion de mise en danger ou de risque causé à autrui peut être une réponse adéquate aux problèmes posés par les hypothèses dans lesquelles on se trouve en présence d'une imprudence caractérisée, et même souvent beaucoup plus que caractérisée, en l'absence de dommages précis identifiés ou en l'absence d'un lien de causalité certain avec un tel dommage.
Cette démarche permet de donner à la délinquance d'imprudence une base plus satisfaisante moralement que celle qui mesure la gravité de l'imprudence à celle du dommage.
En effet, la survenance et la gravité du dommage procèdent de circonstances le plus souvent indépendantes du fait même de l'imprudence, alors que les éléments constitutifs de la mise en danger constituent à proprement parler la justification de la poursuite pénale, d'autant qu'avec la notion de mise en danger « délibérée », on se trouve en vérité à mi-route entre la délinquance d'imprudence et la délinquance intentionnelle.
Ces considérations invitent à amender le texte actuel de l'article 223-1 du code pénal dans le but d'élargir et d'assouplir ses conditions d'application sans pour autant leur donner un caractère illimité.
La principale difficulté réside dans l'exigence d'une « violation manifestement délibérée d'une « obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ».
Ce qui parait faire problème, ce n'est pas l'exigence d'une violation « délibérée » mais plutôt le fait que cette violation soit celle d'une obligation imposée par la loi ou le règlement.
La première exigence parait en effet être essentielle pour la qualification délictueuse, d'autant qu'elle introduit un élément en quelque sorte intentionnel dans l'imprudence, la seconde au contraire parait quelque peu arbitraire dans la mesure ou il n'y a pas de concordance nécessaire entre l'édiction d'une norme législative ou réglementaire et la création d'un risque, création qui, par nature, peut parfaitement échapper à la vigilance du législateur, alors surtout que le développement des techniques ou l'imagination malfaisante créent chaque jour de nouvelles circonstances potentiellement dangereuses.
La présente proposition de loi a pour objet de répondre à ces préoccupations.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
L'article 223-1 du code pénal est ainsi rédigé :
« Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entrainer une mutilation ou une infirmité permanente soit par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, soit par la commission d'une faute d'imprudence grave et qui expose autrui à un risque d'une particulière gravité que l'auteur de cette faute ne pouvait ignorer est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende. »
2. DÉCISIONS DE JURISPRUDENCE
• Conseil Constitutionnel - Décision n° 2010-15/23 QPC du 23 juillet 2010 - Région Languedoc-Roussillon et autres - Article 575 du code de procédure pénale
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 1er juin 2010 par la Cour de cassation (arrêts n° 12027 et n° 12028 du 31 mai 2010), puis le 11 juin 2010 par cette même cour (arrêt n° 12039 du 4 juin 2010) dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de trois questions prioritaire de constitutionnalité posée, respectivement, par la région LANGUEDOC-ROUSSILLON, Mme Irène C. et M. Francisco A., relatives à la conformité de l'article 575 du code de procédure pénale aux droits et libertés que la Constitution garantit. LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la région LANGUEDOC-ROUSSILLON par la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 16 juin 2010 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 16 juin 2010 ;
Vu les observations produites pour M. A. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de Cassation, enregistrées le 23 juin 2010 ;
Vu les nouvelles observations produites pour les requérants, enregistrées le 30 juin et le 1er juillet 2010 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Arnaud Lyon-Caen pour la région LANGUEDOC-ROUSSILLON, Me Piwnica pour M. A., Me Thouin-Palat pour AGF et Mme Cécile BARROIS de SARIGNY, désignée par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 12 juillet 2010 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les questions transmises par la Cour de cassation portent sur la même disposition législative ; qu'il y a donc lieu de les joindre pour y répondre par une seule décision ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 575 du code de procédure pénale : « La partie civile ne peut se pourvoir en cassation contre les arrêts de la chambre de l'instruction que s'il y a pourvoi du ministère public.
« Toutefois, son seul pourvoi est recevable dans les cas suivants :
« 1° Lorsque l'arrêt de la chambre de l'instruction a dit n'y avoir lieu à informer ;
« 2° Lorsque l'arrêt a déclaré l'irrecevabilité de l'action de la partie civile ;
« 3° Lorsque l'arrêt a admis une exception mettant fin à l'action publique ;
« 4° Lorsque l'arrêt a, d'office ou sur déclinatoire des parties, prononcé l'incompétence de la juridiction saisie ;
« 5° Lorsque l'arrêt a omis de statuer sur un chef de mise en examen ;
« 6° Lorsque l'arrêt ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale ;
« 7° En matière d'atteintes aux droits individuels telles que définies aux articles 224-1 à 224-5 et 432-4 à 432-6 du code pénal » ;
3. Considérant que, selon les requérants, l'interdiction faite à la partie civile de se pourvoir contre un arrêt de non-lieu de la chambre de l'instruction en l'absence de pourvoi du ministère public porte atteinte au principe d'égalité devant la loi et la justice, au droit à un recours effectif et aux droits de la défense ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties ;
5. Considérant qu'en vertu de l'article préliminaire du code de procédure pénale, l'autorité judiciaire veille à l'information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale ; qu'aux termes de l'article 1er de ce même code : « L'action publique pour l'application des peines est mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi. ° Cette action peut aussi être mise en mouvement par la partie lésée, dans les conditions déterminées par le présent code » ; que son article 2 dispose : « L'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction » ;
6. Considérant qu'en application de l'article 85 du code de procédure pénale, toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut, en portant plainte, se constituer partie civile devant le juge d'instruction compétent ; qu'au cours de l'instruction préparatoire, la partie civile peut accéder à la procédure, être informée du déroulement de celle-ci, formuler une demande ou présenter une requête en annulation d'actes d'instruction ou demander la clôture de la procédure ; que, conformément à l'article 87 du même code, elle peut interjeter appel de l'ordonnance déclarant sa constitution irrecevable ; que, par application des deuxième et troisième alinéas de son article 186, elle peut également former appel des ordonnances de non-informer, de non-lieu, des ordonnances faisant grief à ses intérêts ainsi que de l'ordonnance par laquelle le juge statue sur sa compétence ; que la même faculté d'appel lui est ouverte par l'article 186-1 de ce code, pour les ordonnances refusant les actes d'instruction qu'elle a demandés, relatives à la prescription de l'action publique ou écartant une demande d'expertise ; qu'en vertu de l'article 186-3, il en va de même de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel si la victime estime que les faits renvoyés constituent un crime ;
7. Considérant qu'aux termes de l'article 567 du même code, les arrêts de la chambre de l'instruction peuvent être annulés en cas de violation de la loi sur pourvoi en cassation formé par le ministère public ou la partie civile à laquelle il est fait grief suivant les distinctions établies ;
8. Considérant que la partie civile n'est pas dans une situation identique à celle de la personne mise en examen ou à celle du ministère public ; que, toutefois, la disposition contestée a pour effet, en l'absence de pourvoi du ministère public, de priver la partie civile de la possibilité de faire censurer, par la Cour de cassation, la violation de la loi par les arrêts de la chambre de l'instruction statuant sur la constitution d'une infraction, la qualification des faits poursuivis et la régularité de la procédure ; qu'en privant ainsi une partie de l'exercice effectif des droits qui lui sont garantis par le code de procédure pénale devant la juridiction d'instruction, cette disposition apporte une restriction injustifiée aux droits de la défense ; que, par suite, l'article 575 de ce code doit être déclaré contraire à la Constitution ;
9. Considérant que l'abrogation de l'article 575 est applicable à toutes les instructions préparatoires auxquelles il n'a pas été mis fin par une décision définitive à la date de publication de la présente décision,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article 575 du code de procédure pénale est déclaré contraire à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23 11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 juillet 2010, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, MM. Jacques BARROT, Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 23 juillet 2010
Journal officiel du 24 juillet 2010, p. 13727
• Cour de cassation -
Première chambre civile
Arrêt n° 114 du 28 janvier 2010
(08-18.837)
Demandeur(s) : Mme S... X..., épouse Y...
Défendeur(s) : la société UCB Pharma, société anonyme, et autres
Sur le moyen unique , pris en sa première branche :
Vu l'article 1382 du code civil, ensemble l'article 1315 du même code ;
Attendu qu'atteinte d'une stérilité qu'elle impute à la prise par sa mère, durant sa grossesse, de l'hormone de synthèse dénommée dyéthylstilbestrol (DES), Mme Y... a recherché la responsabilité, à titre principal de la seule société UCB Pharma, fabricante de la spécialité Distilbène® et, à titre subsidiaire, de ladite société et de la société Novartis santé familiale, distribuant la molécule sous le nom de Stilbestrol Borne ;
Attendu que pour rejeter l'ensemble des demandes en expertise et en indemnisation de Mme Y..., l'arrêt attaqué retient que le fait que les deux sociétés aient toutes deux mis sur le marché la molécule à l'origine du dommage, fait non contesté, ne pouvant fonder une action collective, ce fait n'étant pas en relation directe avec le dommage, il conviendrait que soit établi que les deux produits lui ont été administrés, preuve non rapportée en l'espèce ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'en cas d'exposition de la victime à la molécule litigieuse, c'est à chacun des laboratoires qui a mis sur le marché un produit qui la contient qu'il incombe de prouver que celui-ci n'est pas à l'origine du dommage, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 juin 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
• Cour d'appel de Douai - Arrêt du 27 juin 2008 - 06/02310
Décision attaquée : Tribunal des affaires de sécurité sociale de Lille du 11 Septembre 2006
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Attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat , notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise et que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l' article L. 452-1 du code de la sécurité sociale , lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Attendu que Monsieur Gérard VERSTRAETE a travaillé au sein de la société SOLLAC ATLANTIQUE du 13 janvier 1964 au 10 juillet 1994 en qualité d'ouvrier d'aciérie.
Qu'il a occupé successivement les postes suivants :
• Manoeuvre aux hauts
fourneaux de 1964 à 1966.
• Surveillant
épuration de 1967 à 1974.
• Surveillant des hauts
fourneaux de 1974 à 1989.
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Qu'il ressort de ces différents témoignages que Monsieur VERSTRAETE a été exposé quotidiennement à l'amiante dans son activité professionnelle sur le site de DUNKERQUE entre 1964 et 1989.
Attendu qu'en France la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières d'amiante a dès 1945 été inscrite dans le tableau no 25 consacré aux maladies professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières siliceuses et amiantifères (ordonnance du 2 août 1945 faisant référence au cardage, à la filature et au tissage de l'amiante.
Que par la suite, le décret du 31 août 1950 a instauré le tableau no 30 des maladies professionnelles consacré à l'asbestose, lequel contenait une liste simplement indicative des travaux susceptibles de provoquer cette maladie et ne fixait par ailleurs aucun seuil d'exposition, en deçà duquel le risque n'existait pas.
Que le fait que le tableau no 30 des affections respiratoires liées à l'amiante ait été crée dès 1945 et qu'il ait été complété à plusieurs reprises a eu pour conséquence que, quelle que fut la pathologie concernée et les incertitudes scientifiques de l'époque, tout entrepreneur avisé était dès cette époque tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de cette fibre.
Que ces dispositions réglementaires étaient à l'époque la concrétisation des observations internationales ainsi que des travaux de scientifiques français comme ceux des Professeurs DHERS et DESOILLE ( 1930 ) et la publication de tels documents dans les revues spécialisées traitant de la médecine du travail.
Que dès 1955 l'enquête de Ricard DOLL sur les maladies professionnelles des travailleurs de l'amiante en Grande-Bretagne confirma l'existence d'un risque de cancer du poumon.
Qu'en 1964 fut organisé à CAEN un Congrès International sur l'asbestose, auquel assistaient les médecins du travail des principales entreprises françaises utilisant de l'amiante et la majorité des professeurs de médecine directement concernés parles problèmes de santé au travail.
Qu'au cours de ce congrès le Professeur WAGNER a exposé les résultats d'études menées en Afrique du Sud sur la relation entre l'exposition à l'amiante et la mésothéliome, travaux formalisés depuis 1960.
Que le premier cas de mésothéliome en France fut décrit lors de la séance de l'académie de Médecine du 9 février 1965 par le Professeur TURIAF.
Qu'en 1967, une note de l'Institut National de Recherche et de Sécurité
(INRS), rappelant le retard pris par la France dans le domaine de l'exposition à l'amiante, dressait un état des lieux des mesures déjà prises dans d'autres pays.
Qu'en 1973, le Bureau International du Travail (BIT) soulignait, au sujet du risque du cancer broncho pulmonaire, qu'il n'existait aucun seuil d'exposition minimal de protection.
Que toujours à propos de ce risque cancérigène, une note de l'INRS de 1976 établissait une revue bibliographique sur le pouvoir cancérogène des amiantes et des matériaux fibreux et débutant par l'observation suivante : « Depuis 15 ans environ, l'attention a été attirée sur l'amiante, déjà connue pour ses propriétés fibrosantes (asbestose ), comme agent étiologique des cancers humains : carcinome bronchique, mésothéliome pleural, péritonéal et peut-être certains cancers du tractus gastro-intestinal.»
Que dans son rapport sur la gestion du risque et des problèmes de santé publique posés par l'amiante en France (1998), le Professeur GOT s'est exprimé de la façon suivante : « Dès le début du siècle et les premiers développements de l'usage industriel de l'amiante, le risque d'asbestose a été identifié en France par AURIBAULT en 1906. Il y a là, à mes yeux, une évidence. Les moyens de prévention qui sont relativement simples ont été constamment sous-développés depuis. Lutter contre l'empoussièrement a un coût, mais c'est techniquement réalisable avec des méthodes qui étaient disponibles il y a cinquante ans, au moment où de nombreuses victimes actuelles de l'amiante débutaient leur exposition à des niveaux d'empoussièrement dangereux souvent dès l'âge de 14 ans. Le risque de développer un cancer, en particulier pleural, est bien identifié depuis une quarantaine d'années (DOLL en 1933 pour le cancer broncho-pulmonaire - WAGNER en 1960 pour le mésothéliome). En France, les écrits de TURIAF (1963) n'ont pas été des textes de diffusion réduite. Les revues où il les publiait étaient les plus diffusées de la presse médicale».
Que par conséquent l'employeur ne pouvait donc pas ne pas avoir conscience du danger que représentait l'inhalation de poussière d'amiante par ses salariés qui, comme Monsieur Gérard VERSTRAETE, étaient quotidiennement exposés à ce matériau, cette connaissance des risques devant s'apprécier objectivement par rapport à ce que doit connaître un employeur dans son secteur d'activité.
Attendu que pendant la période d'emploi de Monsieur Gérard VERSTRAETE étaient applicables un certain nombre de textes légaux et réglementaires qui avaient pour objet de prévenir les dangers consécutifs à l'inhalation de poussières en général parmi lesquelles figuraient naturellement les poussières d'amiante :
- la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels (article 2).
- le décret du 10 juillet 1913 modifié le 13 décembre 1948, le 6 mars 1961 puis le 15 novembre 1973 par décrets d'administration publique pris pour l'exécution des dispositions du Livre II du Code du travail en ce qui concerne les mesures générales de protection et de salubrité applicables à tous les établissements assujettis ( article 6 ).
- le décret du 13 décembre 1948 qui prescrivait, en cas d'impossibilité de mise en place des équipements de protection collectifs, le port de masques et de dispositifs individuels appropriés.
Que le décret du 17 août 1977 est venu compléter le dispositif existant en fixant des seuils de concentration moyenne en fibres d'amiante ( à l'origine 2 fibres par Cm3 ) dans les établissements où le personnel était exposé à l'action des poussières d'amiante et en prévoyant un dispositif de contrôle de l'atmosphère et de protection des salariés ( protections collectives ou individuelles ).
Que les dispositions de ce décret étaient applicables aux établissements soumis aux dispositions de l'article L.231-1 du Code du travail, c'est-à-dire aux établissements industriels, commerciaux et agricoles et leurs dépendances, de quelque nature que ce soit, publics ou privés, « pour les parties des locaux et chantiers où le personnel est exposé à l'inhalation de poussières d'amiante à l'état libre dans l'atmosphère, notamment dans les travaux de transport, de manipulation, de traitement, de transformation, d'application et à l'inhalation de poussières d'amiante à l'état libre dans l'atmosphère, notamment dans les travaux de transport, de manipulation, de traitement, de transformation, d'application et d'élimination de l'amiante et de tout produit ou objet susceptible d'être à l'origine de l'émission de fibres d'amiante »( article 1er ).
Que cette réglementation était donc applicable à la société SOLLAC ATLANTIQUE.
Attendu que l'employeur ne soutient pas et ne démontre pas qu'il ait mis en oeuvre les mesures de protection prévues par les textes qui viennent d'être énumérés.
Que cette carence est à l'origine de la maladie professionnelle contractée par Monsieur VERSTRAETE.
Qu'en conséquence de tout ce qui précède, il s'ensuit que la société SOLLAC ATLANTIQUE, aux droits de laquelle vient la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE n'a pas respecté l'obligation de sécurité de résultat dont elle était tenue à l'égard de Monsieur VERSTRAETE et qu'elle a donc commis au détriment de ce dernier un manquement caractérisant sa faute inexcusable.
Qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ses dispositions décidant que la maladie professionnelle affectant Monsieur VERSTRAETE est la conséquence de la faute inexcusable de la SAS SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE venant aux droits de la SA SOLLAC ATLANTIQUE.