Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte européenExamen : 28/04/2011 (commission des affaires européennes)
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n° 481 (2010-2011) : voir le dossier legislatif
Économie, finances et fiscalité
Proposition de résolution de M. Jean Bizet sur
l'application
du principe de subsidiarité à l'harmonisation
des taux de TVA
(Réunion du 28 avril 2011)
Le 1er décembre dernier, la Commission européenne a lancé une vaste consultation publique (« Livre vert ») sur le système de la TVA en vue d'une simplification et d'une amélioration de ce système. La consultation est ouverte jusqu'à la fin du mois de mai 2011.C'est la raison pour laquelle il m'a semblé opportun d'ouvrir le débat sur la question des taux réduits, et d'une manière plus générale sur la liberté pour les États membres de fixer les taux quand certaines conditions sont réunies.
Dans son Livre vert, la Commission européenne estime nécessaire de parvenir à un système plus simple, plus moderne et plus efficace pour la collecte d'une ressource fiscale majeure des États membres (en moyenne 21,4 % du total des rentrées fiscales, soit 862 milliards d'euros).
La Commission a articulé son Livre vert autour de 33 questions qui portent sur les fondements du système comme sur les problèmes spécifiques ; elle envisage d'harmoniser les taux et de limiter la possibilité d'établir des taux réduits pour certains services ou produits. Ce dernier aspect de la position de la Commission me paraît critiquable. Je crois que le problème n'est pas bien posé.
Les règles actuelles concernant les taux réduits sont issues de la directive TVA de 2006 modifiée en 2009.
La directive de 2006 permet aux États membres d'appliquer un ou deux taux réduits d'un minimum de 5 % aux biens et services énumérés dans une liste limitative figurant en annexe de la directive. Pour les autres activités ne figurant pas dans la liste, il est possible de demander des dérogations.
Il faut rappeler qu'en janvier 2006, le Conseil avait donné mandat à la Commission de présenter un rapport sur l'impact des taux réduits appliqués à certains services fournis localement en termes d'emploi, de croissance économique et de bon fonctionnement du marché intérieur.
C'est ce rapport qui a débouché sur la directive de 2009 autorisant l'application facultative de taux réduit sur la valeur ajoutée pour certains services à forte intensité de main-d'oeuvre fournis au niveau local, et pour lesquels il n'existe pas de risque de concurrence déloyale entre les prestataires de services dans les différents États membres. C'est dans cette liste de services qu'a été placée la restauration, à la demande de la France.
Je crois que cette question, à la lumière du traité de Lisbonne, devrait désormais être examinée dans une optique de subsidiarité.
En effet, dès lors que le recours aux taux réduits ne crée pas de dysfonctionnement dans le marché intérieur et qu'il n'y a pas de risque de distorsion de concurrence, il n'est pas nécessaire de tendre vers l'harmonisation des taux de TVA.
Au contraire, il conviendrait d'envisager alors la possibilité de recourir à une pleine application du principe de subsidiarité.
Si, en règle générale, l'harmonisation de la TVA concourt au bon fonctionnement du marché unique, en revanche, chaque fois que la taxation des biens et services n'entraîne aucune distorsion significative du marché intérieur, la décision devrait être du ressort de chaque État membre. Par exemple, comment justifier qu'il faille une décision européenne pour modifier le taux de TVA applicable à la coiffure ? Personne ne change d'État membre pour se faire coiffer.
Aujourd'hui, la question se pose avec acuité pour la filière équine pour laquelle la TVA est perçue au taux réduit de 5,5 % au titre des opérations portant sur les produits d'origine agricole et pour les gains perçus par les propriétaires à l'occasion de courses hippiques, et même au taux très réduit de 2,1 % en ce qui concerne les ventes d'animaux vivants de boucherie et de charcuterie à des personnes non assujetties à la TVA.
La doctrine administrative française compte les équidés parmi les animaux de boucherie et de charcuterie parce qu'ils sont des produits d'origine agricole. Cela a pour conséquence que les opérations de monte et de saillie, les activités d'entraînement, de prise en pension et d'enseignement de l'équitation, s'analysent comme des opérations portant sur des produits agricoles, qu'il s'agisse de ventes pour la boucherie ou pour l'hippodrome.
Depuis 2007, la Commission veut contraindre la France à modifier son taux, mais les représentants français rappellent que la quasi-totalité des chevaux est destinée in fine à l'abattage pour la boucherie ou à l'équarrissage, et qu'à ce titre, ils relèvent bien du taux réduit, que l'élevage des animaux est une activité agricole et que toutes les opérations d'entraînement et de vente s'insèrent dans la filière agricole.
Selon l'avis du Conseil économique et social de 2010 présenté par M. Jacky Lebrun (« Les enjeux et les perspectives de la filière équine en France »), la filière équine représenterait 75 000 emplois en France, dont la moitié liée aux courses ; la plupart des 55 000 entreprises qui y concourent sont de très petite taille et elles génèrent 12 milliards de chiffre d'affaires (dont 10 pour les courses). Il ne fait aucun doute que le passage à un taux plus élevé de TVA aurait un effet déstabilisant.
Toutefois, le 3 mars dernier, dans l'arrêt C41/09 Commission contre Pays-Bas, la Cour de justice de l'Union européenne a condamné les Pays-Bas en raison de leur taux réduit de TVA appliqué aux livraisons, importations et acquisitions de chevaux. La Commission a également engagé des procédures à l'encontre de l'Allemagne, l'Autriche, l'Irlande et la France. La Commission estime qu'il n'est pas possible « à un État membre d'appliquer un taux réduit à l'ensemble des livraisons de chevaux vivants, et ce, quelle que soit la destination de ceux-ci ». Pour la Commission, le taux réduit ne saurait concerner que les animaux destinés à la consommation.
La filière équine illustre la divergence existant entre la Commission et les États membres en matière de taux réduit de TVA et la position intransigeante de la Commission menace de fait certaines filières économiques fragiles alors même que la concurrence n'est pas faussée par l'application d'un taux réduit.
La Commission des Finances du Sénat, que j'ai consultée, m'a répondu par la voix de son Président qu'elle était sensible à la problématique de la subsidiarité. Toutefois la Commission des Finances constate un écart important entre le taux réduit et le taux normal et serait favorable, dans certains cas, à un taux intermédiaire. Ce n'est pas contradictoire avec l'approche que je vous propose, qui consiste à laisser plus de souplesse aux États membres lorsqu'il n'y a pas de risque d'atteinte au marché intérieur.
Ce que je vous propose, Chers Collègues, c'est donc de réaffirmer le principe de subsidiarité en matière de fixation des taux de TVA, quel que soit le montant de ces taux, chaque fois qu'il n'y pas de distorsion de concurrence possible. C'est le sens de la proposition de résolution que je vous demande d'adopter.
Compte rendu sommaire du débat
M. Denis Badré :
Je saisis cette occasion pour rappeler mon intérêt pour la filière équine et ma connaissance de ce secteur, mais je demande que l'on garde en mémoire le difficile débat sur les taux réduits et en particulier celui sur le taux réduit pour la restauration ; il convient d'être prudent et de ne pas ouvrir la boîte de Pandore dans la mesure où ce type de débat a toujours pour conséquence d'encourager les très nombreux secteurs, qui aspirent à un taux réduit, à faire valoir leurs revendications alors même qu'aujourd'hui la conjoncture économique comme les esprits poussent plutôt vers une augmentation des taux de TVA. Sous la pression de la crise, beaucoup de pays européens ont relevé leurs taux. Dans un pareil contexte, il faut bien voir que plus on augmente le taux normal de TVA, plus on creuse l'écart avec le taux réduit, rendant relativement intolérable le taux normal et plus désirable le taux réduit. C'est pour cela que la commission des finances du Sénat plaide depuis longtemps pour la création d'un taux intermédiaire autour de 12 %.
Par ailleurs, je souhaite que la résolution marque très clairement que c'est seulement dans les cas où il n'y a pas de risque de distorsion que le principe de subsidiarité doit s'appliquer, car l'harmonisation obtenue au sujet de la TVA est dans l'ensemble positive.
M. Charles Gautier :
Je remarque que nous faisons référence à un taux intermédiaire, mais que nous n'en parlons pas dans le corps de la résolution et je suggère que nous introduisions cette notion.
M. Jean Bizet :
Je voudrais apporter deux précisions. Tout d'abord, dans le cas de la filière équine, il ne s'agit pas d'introduire un nouveau taux réduit, mais de maintenir le régime en vigueur. Ensuite, dans les cas où la subsidiarité peut jouer, il s'agit de donner plus de latitude aux États membres, y compris pour l'utilisation d'un taux intermédiaire éventuel.
*
À l'issue de ce débat, la commission a conclu au dépôt de la proposition de résolution suivante :
Proposition de résolution
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu le Livre vert de la Commission européenne intitulé « Vers un système de TVA plus simple, plus robuste et plus efficace » du 1er décembre 2010, instaurant une consultation publique sur la réforme de la TVA,
- juge que cette initiative est nécessaire et qu'elle doit déboucher sur une plus grande simplicité et une plus grande souplesse du système de TVA en matière de taux réduits ;
- observe que, pour certaines activités, l'application de taux différents de TVA aux activités d'une filière économique n'entraîne pas une distorsion de concurrence significative entre les prestataires des différents États membres, rendant alors inutile une harmonisation des taux ;
- estime que c'est à bon droit que dans le cas particulier de la filière équine, la France ne partage pas l'analyse de la Commission européenne qui tend à priver la filière équine du bénéfice de l'application d'un taux réduit, voire d'un taux intermédiaire de TVA, au motif que tous les chevaux ne sont pas destinés de manière générale ou habituelle à la consommation ;
- considère au contraire que le taux réduit de TVA doit continuer à s'appliquer à l'ensemble de la filière équine tant à la livraison des équidés qu'aux activités qui s'y rattachent ;
- rappelle que la réglementation européenne sur la sécurité alimentaire s'applique à tous les détenteurs de chevaux et que l'élevage de chevaux constitue une activité agricole, quelle que soit la destination de l'animal ;
- estime que chaque fois que des taux différents de TVA ne peuvent pas être un facteur de distorsion significative de la concurrence au sein du marché unique européen, il convient d'appliquer le principe de subsidiarité ;
- demande au Gouvernement de s'opposer à tout encadrement plus contraignant du recours aux taux réduits de TVA et de promouvoir, au nom du principe de subsidiarité, la liberté pour chaque État membre de moduler les taux de TVA dans tous les domaines d'activité où cette application est sans conséquence sur la concurrence entre les États membres.