COM(2024) 365 final  du 31/05/2024

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2018/1806 concernant la République de Vanuatu (COM (2024) 365 final)

Conformément à l'article 77 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE)1(*), le règlement (UE) 2018/1806 du 14 novembre 2018 fixe la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures de l'espace Schengen2(*) et celle des pays tiers dont les ressortissants sont exemptés d'une telle obligation.

Le régime d'exemption de visas est aujourd'hui en vigueur entre les États membres de l'Union européenne et 60 pays tiers, sur la base d'un principe de réciprocité (les pays tiers concernés sont mentionnés à l'annexe II du règlement précité). Il permet aux ressortissants des pays tiers intéressés d'entrer dans l'espace Schengen sans visa pour des courts séjours qui n'excèdent pas 90 jours sur toute période de 180 jours. Signalons à cet égard que la France constitue la deuxième destination (après l'Espagne) de ces ressortissants lorsqu'ils se rendent dans l'espace Schengen.

L'article 8 de ce règlement prévoit cependant un mécanisme de suspension temporaire de l'exemption de visa accordée aux ressortissants d'un pays tiers. Ce dernier peut être mis en oeuvre dans les hypothèses suivantes :

a) un accroissement substantiel3(*) du nombre de ressortissants d'un pays tiers bénéficiant de l'exemption de visa qui se sont vu refuser l'entrée dans un État membre ou qui y séjournent sans en avoir le droit ;

b) un accroissement substantiel du nombre de demandes d'asile déposées par les ressortissants d'un pays tiers bénéficiant de l'exemption de visa pour lequel le taux de reconnaissance est faible4(*) ;

c) une diminution de la coopération d'un pays tiers bénéficiant de l'exemption de visa en matière de réadmission ;

d) un accroissement des risques ou une menace imminente pour l'ordre public ou la sécurité intérieure des États membres.

Encadré : la procédure de suspension temporaire se déroule en trois phases :

1) Un État membre touché par l'une des évolutions précitées depuis au moins deux mois, doit le notifier à la Commission européenne. Si cette dernière, qui doit par ailleurs assurer une veille permanente sur le respect des critères ayant justifié l'exemption de visas, estime la demande justifiée, elle adopté un acte d'exécution5(*) rendant effective la suspension pour une durée de neuf mois.

Simultanément elle doit mener un dialogue approfondi avec le pays tiers visé afin de résoudre la situation.

2) Si, néanmoins, les difficultés recensées persistent, la Commission européenne peut, deux mois avant l'expiration de la période de neuf mois, adopter cette fois, un acte délégué6(*) afin de mettre en oeuvre la suspension temporaire pour une période de dix-huit mois ;

3) Enfin, si les problèmes demeurent, la Commission peut proposer la levée définitive du régime d'exemption de visa à l'égard des ressortissants du pays visé ;

À chaque étape, la Commission européenne fait rapport au Parlement européen et au Conseil.

Le 18 octobre 2023, la Commission européenne, prenant acte, d'une part, d'« un accroissement de l'immigration irrégulière du fait du dépassement de la durée de séjour autorisée par les voyageurs exemptés de l'obligation de visa ou en raison du nombre élevé de demandes d'asile introduites par des ressortissants de pays tiers bénéficiant de l'exemption et pour lequel le taux de reconnaissance est faible »7(*) et, d'autre part, de menaces grandissantes pour l'ordre public ou la sécurité intérieure des États membres constitués par les programmes de citoyenneté par investissement dans certains États membres, dans un contexte de guerre menée par la Russie en Ukraine et de tentatives de déstabilisation de la Russie sur les sociétés démocratiques européennes, a présenté une réforme de ce mécanisme. Cette réforme tend, à titre principal, à remédier aux risques et menaces précités en :

a) mentionnant de nouveaux motifs de suspension du régime d'exemption des visas : non-respect par un pays tiers des critères ayant présidé au choix de l'Union européenne d'exempter ses ressortissants de visas ; défaut d'alignement d'un pays tiers sur la politique européenne des visas ; bénéfice pour un pays tiers, d'un programme de citoyenneté par investissement dans un État membre, « en échange de paiements ou d'investissements prédéterminés » dans ce dernier ;

b) prévoyant une possibilité, pour la Commission européenne, de déclencher le mécanisme de suspension du régime d'exemption de visas à l'égard d'un pays tiers en dehors des seuils fixes prévus pour ce déclenchement, à l'issue d'une évaluation au cas par cas ;

c) allongeant les délais prévus pour les périodes de suspension (la période initiale passant de neuf à douze mois et l'éventuelle prolongation par acte délégué, de dix-huit à vingt-quatre mois) ;

d) instituant une procédure d'urgence permettant à la Commission européenne d'adopter des actes d'exécution immédiatement applicables pour une durée de douze mois.

Cette proposition a été adoptée par le Conseil, le 13 mars dernier et demeure en discussion.

1. Le contenu de la proposition législative de la Commission

La présente proposition de règlement COM(2024) 365 final tend à modifier le règlement (UE) 2018/1806 concernant la situation des ressortissants de la République du Vanuatu.

En vertu d'un accord signé, le 28 mai 2015, entre cet archipel de la mer de Corail d'un peu moins de 300 000 habitants et l'Union européenne, entré en vigueur le 1er avril 2017, les ressortissants du Vanuatu bénéficient de l'exemption de visa pour entrer dans l'Espace Schengen et effectuer un court séjour dans l'un de ses États parties.

Cependant, depuis le 25 mai 2015, la République du Vanuatu a simultanément développé un programme d'acquisition de la nationalité par investissement au profit de ressortissants de pays tiers souhaitant profiter de cette facilité d'accès à l'Espace Schengen.

Or, ce programme constitue une modalité avérée de contournement des règles de contrôle de l'Espace Schengen qui constitue un cas avéré d'accroissement des risques ou de menace imminente pour l'ordre public ou la sécurité intérieure des États membres.

Au terme d'un long processus d'enquête de la Commission européenne, le Conseil de l'Union européenne, par une décision du 3 mars 2022, avait déjà suspendu temporairement le mécanisme d'exemption de visa concernant les ressortissants du Vanuatu bénéficiant de passeports ordinaires émis à compter du 25 mai 2015. Sur la base de l'article 8 du règlement (UE) 2018/1806, le règlement (UE) 2022/693 a fixé une période de suspension temporaire de neuf mois. Simultanément, la Commission européenne a tenté d'engager un dialogue avec les autorités compétentes du Vanuatu pour les convaincre de renoncer à leur programme de citoyenneté par investissement. En vain.

La suspension temporaire de l'exemption de visas a donc été prolongée de dix-huit mois par un acte délégué (UE) 2023/222 en date du 1er décembre 2022.

Malheureusement, malgré l'ouverture d'un dialogue effectif, la Commission européenne, dans un rapport, a constaté que cette nouvelle période de suspension n'avait pas permis de faire évoluer la situation, les risques de contournement des règles de l'Espace Schengen par les dispositions en vigueur au Vanuatu demeurant. Dans son rapport sur les effets du programme de citoyenneté par investissement visé, la Commission prend acte :

-du taux de refus très faible des demandes d'acquisition de la citoyenneté, qui soulève des doutes quant à la fiabilité de l'examen de sécurité mis en oeuvre ;

-de l'absence d'exigence de présence physique ou de résidence du demandeur, des délais de traitement très courts des demandes et de l'absence d'échange entre les autorités compétentes du Vanuatu et leurs homologues des pays d'origine des demandeurs ;

-de l'octroi de la citoyenneté du Vanuatu à des ressortissants de pays tiers recherchés par Interpol ;

-des nationalités d'origine des demandeurs retenus, parmi lesquelles figurent plusieurs pays dont les ressortissants sont soumis à une obligation de visa pour entrer dans l'Union européenne.

En conséquence, la présente proposition de règlement :

-tend à modifier le règlement (UE) 2018/1806 pour soumettre de manière pérenne les ressortissants du Vanuatu à une obligation de visa pour entrer dans l'Espace Schengen (inscription du Vanuatu à l'annexe I de ce règlement et suppression de sa mention dans l'annexe II) ;

-précise qu'un nouvel acte délégué va prévoir une troisième période de suspension temporaire (d'une durée de six mois), le temps que l'interdiction définitive soit adoptée.

2. Cette proposition législative est-elle conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ?

a) La base juridique est-elle correcte ?

Tout comme le règlement (UE) 2018/1806 dont elle n'est qu'une modification partielle, la proposition de règlement COM (2024) 365 final est fondée sur l'article 77 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE)8(*), qui constitue une base juridique pertinente.

b) La proposition est-elle nécessaire ? Apporte-t-elle une valeur ajoutée européenne ?

Depuis l'adoption du règlement (UE) 2018/1806, la politique des visas a, en droit et en pratique, été très largement déléguée à l'Union européenne et même, à la Commission européenne, qui négocie des accords d'exemption de visas avec des pays tiers et modifie ensuite ce régime d'exemption par des actes d'exécution et des actes délégués, en fonction des circonstances géopolitiques.

Si l'on peut déplorer, sur le principe, cette possibilité de prolonger la « suspension » de l'exemption de visa par simple acte délégué de la Commission européenne, il convient d'observer, d'une part, que la Commission européenne en fait rapport au Conseil et au Parlement européen, et, d'autre part, que cette délégation avait été acceptée par les autorités françaises lors des négociations du règlement (UE) 2018/1806.

Enfin, à l'heure actuelle, ce système fonctionne.

c) La modification du règlement (UE) 2018/1806 est-elle proportionnée ?

Oui, sans contestation. Après une longue phase d'enquête et de dialogue, qui aurait pu permettre au Vanuatu de modifier sa législation, la proposition de règlement prend acte de son refus d'évoluer et tend à régler un cas objectif de contournement des règles de contrôle d'accès à l'Espace Schengen, qui profite aujourd'hui à des ressortissants de pays tiers recherchés par la justice ou susceptibles d'entrer dans l'Union européenne pour contribuer à des actions illicites ou des ingérences étrangères.

La proposition de règlement ne semble donc pas porter atteinte aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


* 1 Le paragraphe 2 de cet article précise que le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent les mesures sur « la politique commune des visas et d'autres titres de séjour de courte durée. »

* 2 L'espace Schengen est constitué de 23 des 27 États membres de l'Union européenne (c'est-à-dire, à l'exception de Chypre, de la Bulgarie, de la République d'Irlande et de la Roumanie) et de 4 États associés (Islande ; Liechtenstein ; Norvège ; Suisse).

* 3 Le considérant 23 de l'exposé des motifs du règlement précise qu'un « accroissement substantiel » signifie un accroissement excédant un seuil de 50%.

* 4 Le considérant 24 de l'exposé des motifs du règlement indique qu'un faible taux de reconnaissance des demandes d'asile signifie un taux de reconnaissance de l'ordre de 3 à 4%.

* 5 Aux termes de l'article 291, paragraphe 2, du TFUE, « lorsque des conditions uniformes d'exécution des actes juridiquement contraignants de l'Union sont nécessaires, ces actes confèrent des compétences d'exécution à la Commission... ».

* 6 L'article 290, paragraphe 1, prévoit en effet qu'un « acte législatif peut déléguer à la Commission le pouvoir d'adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l'acte législatif. »

* 7 Exposé des motifs (p 2) de la proposition de règlement.

* 8 Le paragraphe 2 de cet article précise que le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent les mesures sur « la politique commue des visas et d'autres titres de séjour de courte durée. »


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 18/06/2024