COM(2022) 688 final  du 13/12/2022

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


Deux propositions de directive relatives aux organismes pour l'égalité de traitement (COM (2022) 688 et COM (2022) 689)

A. Objectifs des deux propositions de directive

Comme annoncé dans son programme de travail pour 2022, la Commission européenne a publié deux propositions de directive visant à établir des normes applicables aux organismes pour l'égalité de traitement :

- d'une part dans le domaine de l'égalité de traitement et de l'égalité des chances entre les femmes et les hommes en matière d'emploi et de travail, y compris de travail indépendant (COM (2022) 688) ;

- d'autre part dans les domaines de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique, de l'égalité de traitement entre les personnes en matière d'emploi et de travail sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d'âge ou d'orientation sexuelle et de l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes en matière de sécurité sociale ainsi que dans l'accès à des biens et services et la fourniture de biens et services, (COM (2022) 689).

Concernant l'interdiction de la discrimination fondée sur le sexe, les organismes pour l'égalité de traitement ont été introduits lors d'une modification de la directive 76/207/CEE relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail. Cette directive fut, par la suite, abrogée et remplacée par la directive 2006/54/CE1(*) - qui, avec la directive 2010/41/UE2(*) - définissent aujourd'hui les compétences des organismes pour l'égalité de traitement dans ces domaines.

Concernant l'interdiction de la discrimination raciale, les organismes pour l'égalité de traitement ont été créés par la directive 2000/43/CE sur l'égalité raciale3(*).

La mission de ces organismes a ensuite été élargie à d'autres domaines, par trois directives ultérieures sur l'égalité: la directive 2004/113/CE sur l'égalité entre les femmes et les hommes dans le domaine des biens et des services4(*), la directive 2006/54/CE sur l'égalité entre hommes et femmes dans le domaine de l'emploi5(*) et la directive 2010/41/UE sur l'égalité entre hommes et femmes dans le domaine des activités indépendantes6(*).

Par ailleurs, deux autres directives sur l'égalité existent - la directive 2000/78/CE sur l'égalité de traitement en matière d'emploi7(*) et la directive 79/7/CEE sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale8(*) - mais ne comprennent pas de dispositions relatives aux organismes pour l'égalité de traitement. Dans la pratique, toutefois, de nombreux États membres ont choisi d'attribuer à ces organismes des compétences relatives à ces domaines de discrimination. Ce n'est cependant pas le cas de tous les États membres.

En outre, les actuelles directives de l'Union européenne (UE) sur l'égalité ne contiennent pas de dispositions sur la structure et le fonctionnement réels de ces organismes pour l'égalité de traitement; elles se limitent à exiger que ces derniers soient dotés de certaines compétences minimales et qu'ils agissent en toute indépendance dans l'exercice de celles-ci. Il existe ainsi des différences importantes entre les organismes pour l'égalité de traitement d'un État membre à l'autre.

Pour remédier à ces lacunes, la Commission européenne a ainsi adopté en 2018 une recommandation relative aux normes applicables aux organismes pour l'égalité de traitement. Toutefois, cette recommandation n'a pas permis, selon la Commission, de remédier à la plupart des difficultés visées par ce texte, d'où la publication de ces deux directives, objets de la présente note.

B. Principales dispositions de ces propositions de directives

En préambule, il convient de mentionner l'absence d'étude d'impact produite par la Commission à l'appui de ces deux textes, justifiée notamment par le fait que ces textes ne viennent que compléter des directives existantes, qui ont déjà fait l'objet d'étude d'impact. Cependant, cette absence est regrettable, d'autant plus que cette lacune devient récurrente de la part de la Commission européenne. Dans sa proposition de résolution européenne adoptée sur le programme de travail de la Commission européenne pour 2023, la commission des affaires européennes a donc demandé l'établissement systématique d'une analyse d'impact pour chaque initiative législative nouvelle.

S'agissant du contenu de ces propositions de directive (COM(2022) 688 et COM (2022) 689), elles prévoient notamment :

· une obligation générale d'indépendance pour les organismes pour l'égalité de traitement, concernant notamment leur structure juridique, l'obligation de rendre des comptes, leur budget ou leurs effectifs (article 3) ;

· une obligation générale pour les États membres de doter les organismes pour l'égalité de traitement de ressources suffisantes pour s'acquitter de l'ensemble de leurs missions et exercer toutes leurs compétences de manière efficace (article 4) ;

· une clarification du rôle de ces organismes dans la promotion de l'égalité de traitement et dans la prévention de la discrimination (article 5). Selon la Commission européenne, les mécanismes de protection proposés par les directives sur l'égalité existantes interviennent essentiellement a posteriori (après qu'une discrimination a été constatée) et sont individualisés et centrés sur les victimes ;

· des précisions sur la manière dont les organismes pour l'égalité de traitement sont tenus d'aider les victimes après réception de leur plainte (article 6) ;

· la possibilité pour les organismes pour l'égalité de traitement d'enquêter sur d'éventuels cas de discrimination et d'émettre un avis motivé (non contraignant) ou d'adopter une décision (contraignante), à la suite d'une plainte ou de leur propre initiative (article 8). Les dispositions concernant la possibilité d'adopter une décision contraignante concernent uniquement les États membres qui le permettent dans leur droit national ;

· la possibilité pour ces organismes d'agir en justice, en leur propre nom, « notamment pour lutter contre une discrimination structurelle et systématique » (article 9 paragraphe 3), en l'absence de victime identifiée et au nom ou en soutien de plusieurs victimes (article 9 paragraphe 2c). Cet article prévoit aussi la possibilité pour les organismes pour l'égalité de traitement de présenter des déclarations orales ou écrites aux juridictions (à titre d'amicus curiae, par exemple) (article 9 paragraphe 2b) ;

S'agissant de ces dernières dispositions, il convient néanmoins de souligner que la France - dans le cadre des discussions au sein du groupe de questions sociales du Conseil - a demandé une réserve d'examen sur l'article 9 (Actions en justice). Les dispositions prévues à cet article pourraient en effet avoir un impact sur les missions actuelles du Défenseur des droits, et élargir notamment son champ de compétence à des prérogatives, non prévues par le droit national, telles que la possibilité d'engager une procédure au nom ou en soutien d'une ou plusieurs victimes. Des questions techniques se posent notamment s'agissant de la place du ministère public et d'avocat dans ces procédures. Il convient toutefois de noter que la directive sur la transparence salariale récemment adoptée et prévoit une telle disposition.

Une autre disposition de l'article 9 méritera également une attention particulière au cours des discussions au Conseil ; elle concerne la possibilité pour l'organisme pour l'égalité de traitement d'agir en son propre nom, « notamment pour lutter contre une discrimination structurelle et systématique ». Sont notamment visés les cas de discriminations sans victimes identifiées. La Commission a ainsi pris l'exemple d'un chef d'entreprise qui aurait dit publiquement ne pas vouloir embaucher des personnes appartenant à une catégorie spécifique. Toutefois, cette notion de « discrimination structurelle » va certainement être affinée au cours des débats et faire l'objet d'ajustements, sa rédaction actuelle demeurant trop imprécise.

Soulignons également qu'à ce stade des discussions, la France a également posé une réserve d'examen sur l'article 6 (Aide aux victimes) - essentiellement pour des raisons techniques - afin d'analyser plus précisément comment ces dispositions pourraient s'articuler avec notre droit national. Il convient, en effet, d'examiner notamment si la pratique du Défenseur des droits de confier la mission d'aide aux victimes à des associations dédiées est bien conforme aux dispositions de cet article.

C. Des propositions de directive - reposant sur deux bases juridiques différentes - conformes au principe de subsidiarité

L'objectif des deux propositions de directive parallèles est de renforcer le rôle et l'indépendance des organismes pour l'égalité de traitement établis en application de toutes les directives déjà adoptées dans le domaine de l'égalité de traitement, à savoir les directives 79/7/CEE, 2000/43/CE, 2000/78/CE, 2004/113/CE, 2006/54/CE et 2010/41/UE.

Ces directives déjà adoptées reposant sur deux bases juridiques différentes, la Commission européenne a fait le choix de faire reposer ces deux propositions de directive sur ces deux bases juridiques.

Ainsi, la proposition COM (2022) 688 concernant l'égalité de traitement dans le domaine de l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes en matière d'emploi et de travail, y compris de travail indépendant, est fondée sur l'article 157, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui prévoit que « [l]e Parlement européen et le Conseil, statuant selon la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, adoptent des mesures visant à assurer l'application du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière d'emploi et de travail, y compris le principe de l'égalité des rémunérations pour un même travail ou un travail de même valeur» et qui constitue la base juridique des directives 2006/54/CE et 2010/41/UE.

La proposition parallèle COM (2022) 689 est basée, quant à elle, sur l'article 19, paragraphe 1, du TFUE, qui fournit une base juridique à l'adoption d'actes de droit dérivé, tels que des directives, pour la prise des mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. L'article 19, paragraphe 1, du TFUE dispose que, «[s]ans préjudice des autres dispositions des traités et dans les limites des compétences que ceux-ci confèrent à l'Union, le Conseil, statuant à l'unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après approbation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle»

Les directives 2000/43/CE, 2000/78/CE et 2004/113/CE ont, en effet, été adoptées à l'unanimité sur la base de l'article 13 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 19, paragraphe 1, du TFUE9(*).

Cette double base juridique - qui repose sur deux procédures distinctes (procédure législative ordinaire pour la directive COM (2022) 688 et unanimité au Conseil pour la directive COM (2022) 689) - ne va toutefois pas sans poser de problèmes pratiques, qui devront être résolus pour éviter des difficultés de transposition des textes en droit national. En effet, la question se pose de savoir que faire sur le second texte en discussion au Conseil, si on aboutit à une orientation générale du Conseil pour le premier texte : fige-t-on le texte à ce moment-là ou attend-t-on la fin des trilogues - qui auront pu conduire à des modifications du texte - pour adopter deux textes semblables ? L'enjeu sera, en effet, d'aboutir à des textes similaires pour faciliter la transposition dans le droit national. Il conviendra de demeurer attentif à ce point.

***

Si ces textes suscitent les remarques de fond précitées, ils ne semblent pas relever de difficultés sur le plan du principe de subsidiarité. L'action de l'Union européenne semble légitime sur ces champs de compétences, sur lesquelles elle est déjà intervenue à plusieurs reprises, avec les directives existantes sur l'égalité de traitement susmentionnées. Ces nouvelles directives visent à ce que les citoyens de tous les États membres bénéficient d'un niveau minimal commun de protection contre la discrimination.

Compte tenu des observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé de ne pas intervenir plus avant au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


* 1 Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail

* 2 Directive 2010/41/UE du Parlement européen et du Conseil du 7 juillet 2010 concernant l'application du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes exerçant une activité indépendante, et abrogeant la directive 86/613/CEE du Conseil

* 3 Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique

* 4 Directive 2004/113/CE du Conseil du 13 décembre 2004 mettant en oeuvre le principe de l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l'accès à des biens et services et la fourniture de biens et services

* 5 Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail

* 6 Directive 2010/41/UE du Parlement européen et du Conseil du 7 juillet 2010 concernant l'application du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes exerçant une activité indépendante, et abrogeant la directive 86/613/CEE du Conseil

* 7 Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail

* 8 Directive 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978 relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale

* 9 La directive 79/7/CEE a été adoptée à l'unanimité conformément à l'article 235 du traité instituant la Communauté économique européenne, également désigné sous l'appellation de «clause de flexibilité», le traité ne prévoyant aucune base juridique spécifique pour cette action législative. Une telle base juridique est désormais prévue à l'article 19 du TFUE.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 16/12/2022


Questions sociales, travail et santé

Égalité de traitement entre les femmes et les hommes et lutte contre les discriminations
COM(2022) 688 final et COM(2022) 689 final - Textes E17356 et E17357

(Procédure écrite du 10 avril 2023)

La commission a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte au titre de l'article 88-4 de la Constitution.