COM(2016) 270 final
du 04/05/2016
Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)
Les textes COM 270, 272, 465, 466, 467 et 468 concernent la mise en place d'un régime d'asile européen commun. Ils viennent compléter un premier paquet législatif présenté en mai 2015.
La Commission entend tout d'abord rendre le système de Dublin plus transparent, améliorer son efficacité et prévoir un mécanisme pour répondre aux situations dans lesquelles une pression disproportionnée est exercée sur les régimes d'asile des États membres (texte COM 270). Il s'agit de déterminer rapidement l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile, de protéger les personnes qui en ont besoin et de décourager les mouvements secondaires. La Commission propose à cette fin la mise en place :
- d'un nouveau système signalant automatiquement qu'un pays traite un nombre disproportionné de demandes d'asile, notamment au regard de sa taille et de sa richesse. Lorsqu'un pays recevra un nombre de demandes disproportionné, allant au-delà de la valeur de référence (plus de 150 % de celle-ci), tous les nouveaux demandeurs présents dans ce pays (indépendamment de leur nationalité) seront, après vérification de la recevabilité de leur demande, relocalisés dans l'ensemble de l'Union jusqu'à ce que le nombre de demandes soit ramené en dessous de ce niveau. Un État membre aura aussi la possibilité de ne pas participer, à titre temporaire, à ce mécanisme. Dans ce cas, il devra faire une contribution de solidarité de 250 000 euros pour chaque demandeur dont il aurait autrement été responsable en vertu du mécanisme d'équité, au profit de l'État membre de relocalisation ;
- d'un mécanisme tenant également compte des efforts de réinstallation ;
- de délais plus courts pour l'envoi des demandes de transfert, la réception des réponses et la mise en oeuvre des transferts de demandeurs d'asile entre États membres ;
- d'obligations légales pour les demandeurs d'asile, notamment l'obligation de rester dans l'État membre responsable de l'examen de leur demande, des limites géographiques à l'offre d'avantages matériels en matière d'accueil et des conséquences proportionnées en cas de non-respect ;
- d'un renforcement des garanties en faveur des mineurs non accompagnés et à une définition modérément élargie des membres de la famille.
Afin de soutenir la mise en oeuvre concrète de la réforme du système de Dublin, la Commission propose d'adapter et de renforcer le système Eurodac et d'en élargir l'objet (texte COM 272). Elle souhaite ainsi faciliter les retours et contribuera à lutter contre la migration irrégulière. La proposition vise à étendre le champ d'application du règlement Eurodac afin de permettre aux États membres de stocker et de rechercher des données concernant des ressortissants de pays tiers ou des apatrides qui se trouvent en situation irrégulière, aux fins de retour ou de réadmission. Dans le plein respect des règles en matière de protection des données, elle permettra également aux États membres de stocker davantage de données à caractère personnel dans la base de données Eurodac, telles que le nom, la date de naissance, la nationalité, des éléments d'identification ou des documents de voyage, et l'image faciale. L'enrichissement des informations contenues dans le système devrait permettre d'identifier facilement un demandeur d'asile ou un ressortissant de pays tiers en situation irrégulière, sans avoir à demander des informations à un autre État membre séparément, comme c'est le cas actuellement.
La Commission souhaite mettre en place un cadre permanent prévoyant une procédure unifiée pour la réinstallation dans l'ensemble de l'Union (texte COM 468). Si les États membres continueront de décider du nombre de personnes à réinstaller chaque année, des plans annuels de réinstallation au sein de l'Union définiront les grandes zones géographiques prioritaires à partir desquelles les réinstallations auront lieu ainsi que le nombre total maximal de personnes devant être réinstallées pour l'année à venir sur la base de la participation et des contributions des États membres et des pays associés à l'espace Schengen.
Ce cadre de réinstallation devrait définir les critères dont il convient de tenir compte pour déterminer les régions ou les pays tiers à partir desquels la réinstallation aura lieu. Il établirait un ensemble commun de procédures types pour la sélection et le traitement des candidats à la réinstallation. Il énoncerait les motifs communs d'exclusion des candidats et détermine le type de procédure de réinstallation (procédure ordinaire ou procédure accélérée) qui pourrait être utilisé.
Afin de soutenir les efforts de réinstallation déployés par les États membres dans le cadre des mécanismes ciblés, la Commission versera, pour chaque personne réinstallée, une contribution de 10 000 euros prélevée sur le budget de l'Union.
La Commission propose ensuite de remplacer la directive relative aux procédures d'asile par un règlement instituant une procédure commune de protection internationale, pleinement harmonisée au niveau de l'UE (texte COM 467). Il s'agit de réduire les divergences des taux de reconnaissance entre États membres, de décourager les mouvements secondaires et d'offrir des garanties procédurales communes effectives aux demandeurs d'asile. La proposition devrait permettre :
- de simplifier, clarifier et abréger les procédures d'asile : la procédure globale est raccourcie et rationalisée, les décisions devant normalement être prises dans un délai de six mois maximum. Des délais sont également fixés pour la présentation d'un recours (allant d'une semaine à un mois) et pour les décisions rendues au stade du premier recours (allant de deux à six mois) ;
- d'offrir des garanties communes aux demandeurs d'asile: Les demandeurs d'asile auront droit à un entretien personnel, une assistance et à une représentation juridiques gratuites dès le stade de la procédure administrative. Des garanties renforcées seront offertes aux demandeurs d'asile ayant des besoins particuliers et aux mineurs non accompagnés, qui se verront attribuer un tuteur légal au plus tard cinq jours après le dépôt d'une demande ;
- d'établir des règles plus strictes pour lutter contre les abus ;
- de clarifier et rendre obligatoire l'application de la notion de pays sûr.
Afin d'harmoniser les normes de protection au sein de l'Union et de mettre un terme à la course à l'asile, la Commission propose également de remplacer l'actuelle directive relative aux conditions que doivent remplir les demandeurs d'asile par un règlement (texte COM 466). Il s'agit de favoriser :
- une plus grande convergence des taux de reconnaissance et des formes de protection ;
- une plus grande fermeté pour sanctionner les mouvements secondaires. Le délai d'attente de cinq ans imposé aux bénéficiaires d'une protection internationale pour pouvoir obtenir le statut de résident de longue durée sera ainsi reconduit chaque fois que la personne concernée sera repérée dans un État membre où elle n'a pas le droit de séjourner ou de résider ;
- Une limitation dans le temps de la protection internationale. Une vérification obligatoire du statut de la personne devrait être instaurée afin de tenir compte, par exemple, des changements intervenus dans les pays d'origine, qui sont susceptibles d'avoir une incidence sur le besoin de protection ;
- un renforcement des incitations à l'intégration : Les droits et obligations des personnes bénéficiant d'une protection internationale dans le domaine de la sécurité sociale et de l'aide sociale seront clarifiés et l'accès à certains types d'aide sociale pourra être subordonné à une participation à des mesures d'intégration.
La Commission souhaite enfin réformer la directive sur les conditions d'accueil afin de s'assurer que les demandeurs d'asile peuvent bénéficier de normes harmonisées permettant un accueil digne dans toute l'Union, ce qui contribuera à éviter les mouvements secondaires (texte COM 465). Il s'agit de :
- s'assurer que les États membres garantissent des capacités d'accueil suffisantes et adéquates, notamment dans les situations de pression migratoire disproportionnée ;
- que les demandeurs d'asile restent à disposition et soient dissuadés de fuir en permettant aux États membres de les assigner à résidence ou de leur imposer une obligation de se présenter aux autorités ;
- spécifier que les conditions d'accueil ne seront offertes que dans l'État membre responsable de l'examen de la demande et établir des règles plus claires, précisant quand le droit aux conditions matérielles d'accueil peut être réduit et les allocations financières être remplacées par des conditions matérielles d'accueil fournies en nature ;
- permettre un accès plus précoce au marché du travail, au plus tard six mois après l'introduction d'une demande d'asile, ce qui contribuera à réduire le nombre de personnes dépendantes, à condition que cet accès soit en totale conformité avec les normes correspondantes.
Des garanties communes renforcées seront offertes aux demandeurs d'asile ayant des besoins particuliers et aux mineurs non accompagnés, qui se verront attribuer un tuteur légal au plus tard cinq jours après le dépôt d'une demande.
Au regard du seul principe de subsidiarité, il apparaît clair que le principe même d'un mécanisme de partage des responsabilités en matière d'asile rend l'action de l'Union européenne nécessaire. En outre, ce dispositif a notamment vocation à lutter contre le problème des « mouvements secondaires » de ressortissants de pays tiers entre États membres, lequel est, par nature, transnational. Il permettra à tous les États membres d'appliquer plus facilement les procédures liées à l'application du concept de pays d'origine sûr. Il vise aussi à remédier à certaines divergences entre les listes nationales de pays d'origine sûrs établies par les États membres : les demandeurs d'une protection internationale originaires d'un même pays ne sont en effet pas toujours soumis aux mêmes procédures d'un État membre à l'autre. L'ensemble s'inscrit ainsi dans la mise en place progressive et souhaitable d'un régime d'asile européen commun, déjà prévu par le « paquet asile » en 2013.
Il a donc été décidé de ne pas intervenir plus avant sur ces textes au titre de l'article 88-6 de la Constitution.
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 03/08/2016Examen : 27/07/2017 (commission des affaires européennes)
Justice et affaires intérieures
Paquet
« Asile »
Communication de MM. Jean-Yves Leconte et
André Reichardt
COM (2016) 270 final et COM (2016) 272
final
Textes E 11375 et E 11376
M. Jean Bizet, président. - Notre troisième point d'ordre du jour prévoit la communication de Jean-Yves Leconte et André Reichardt. Ce dernier, m'ayant informé qu'il ne pouvait être présent aujourd'hui, c'est Jean-Yves Leconte qui va nous rendre compte de leurs travaux communs.
Nos deux rapporteurs suivent ce dossier complexe avec vigilance et je les en remercie. À travers sa récente commission d'enquête sur Schengen, que présidait Jean-Claude Requier, le Sénat a mené un important travail d'investigation. Le rapport de François-Noël Buffet a permis d'identifier les acquis mais aussi les failles du système européen.
La communication de ce jour s'inscrit donc dans le prolongement des travaux précédents du Sénat, conformément à notre mission de contrôle de la politique européenne.
Je donne la parole au rapporteur qui va nous faire un point sur les discussions en cours.
M. Jean-Yves Leconte. - Dans le contexte de la crise migratoire, la Commission européenne a présenté, le 4 mai 2016, un « paquet » relatif à l'asile qui a trois finalités : réviser les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale ; modifier le règlement Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales ; instituer une agence de l'Union européenne pour l'asile qui remplacerait le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO), institué en 2010.
Ce « paquet » a été complété, au mois de juillet suivant, par un second « paquet asile » qui porte sur les normes et procédures. C'est une démarche ambitieuse. La dernière fois que nous avions engagé une révision des directives européennes en matière d'accueil des demandeurs d'asile, il nous avait fallu des années pour aboutir à un nouveau texte en 2013, transposé dans notre droit national par la loi de 2015. Or, ce travail de longue haleine ne correspond pas forcément à l'urgence du moment. Depuis 2015, nous avons confié un nouveau mandat à Frontex pour renforcer la protection des frontières ; en revanche les désaccords persistent sur l'asile et nous n'arrivons pas à avancer. Ce décalage ne va pas sans risques.
Le règlement Dublin III considère que l'État qui a pris la responsabilité de faire entrer une personne étrangère sur le territoire est responsable de l'examen de sa demande d'asile. Cependant, la prescription s'applique aujourd'hui et la personne étrangère peut faire sa demande d'asile dans un autre pays de l'Union européenne. Dublin ne fonctionne pas bien : quand la France renvoie des étrangers qui se trouvent à Calais en Italie où ils sont entrés, seulement un quart des retours sont effectifs. On se retrouve avec des gens qui attendent, dont on ne peut pas étudier la demande d'asile et qu'on ne peut pas renvoyer.
En réformant Dublin III, la Commission souhaite durcir le système en supprimant la prescription, ce qui revient à donner une responsabilité éternelle à l'État qui a fait entrer la personne étrangère sur le territoire de l'Union européenne. Les garanties apportées aux mineurs non accompagnés seraient renforcées.
Dans un souci de solidarité, la Commission souhaite assurer un partage équitable des responsabilités par un mécanisme d'attribution correcteur visant à alléger la charge des États membres les plus exposés. Ce mécanisme fonctionnerait grâce à un système automatisé qui permettra d'appliquer un mécanisme de correction des inégalités lorsque des États membres seront confrontés à un nombre disproportionné de demandes d'asile, c'est-à-dire en cas de dépassement de 150 % de la part de référence de l'État concerné. Lorsque cette part est dépassée, les nouvelles demandes d'asile présentées seront transférées vers d'autres États membres dont le nombre de demandes est inférieur à leur part de référence. Il est précisé que l'application de ce mécanisme ne doit pas conduire à séparer les membres d'une même famille. Si un État membre refuse de l'appliquer, il devra s'acquitter d'une contribution de solidarité de 250 000 euros par demandeur en faveur de l'État désigné responsable de l'examen de la demande.
La France a une position un peu différente de celle de la Commission sur ce point. Les pays du groupe de Visegrád sont extrêmement critiques tant sur le principe de la mesure que sur la contribution qui évalue à 250 000 euros le prix de la vie d'un réfugié. Ils rappellent aussi que la démarche de relocalisation mise en oeuvre il y a quelques années n'a pas fonctionné.
Enfin, la Commission souhaite prévenir les abus et les mouvements secondaires en établissant les obligations des demandeurs d'asile et en sanctionnant leurs manquements. Cependant, il existe deux cas de mouvements secondaires. L'un s'effectue lorsqu'on est demandeur d'asile dans un pays et qu'on décide de se rendre dans un autre pays pour tenter d'y être « dubliné » ; l'autre consiste à aller s'installer dans un autre pays de l'espace Schengen, une fois la protection accordée. La distinction entre les deux cas n'a pas été assez clairement établie. Quoi qu'il en soit, l'objectif de la Commission européenne est de fixer les personnes accueillies dans le pays où elles ont obtenu l'asile.
La base de données Eurodac contient les empreintes digitales des demandeurs d'asile et d'immigrants illégaux de plus de 14 ans se trouvant sur le territoire de l'Union européenne. En fournissant des preuves dactyloscopiques, elle permet d'appliquer le règlement Dublin.
Le champ d'application de ce règlement serait étendu à la lutte contre l'immigration irrégulière et au contrôle des mouvements secondaires. Davantage de données à caractère personnel à des fins de retour et de réadmission seraient stockées et la durée de leur conservation serait allongée. Le relevé d'empreintes digitales et la capture d'images faciales seraient obligatoires et les refus seraient sanctionnés. Compte tenu des problèmes de fiabilité auxquels le relevé des empreintes digitales a donné lieu ces dernières années, disposer d'une image faciale biométrisée est un progrès.
L'agence européenne pour l'asile aurait une pleine compétence opérationnelle et technique dans la mise en oeuvre du régime d'asile européen commun, alors que l'EASO a pour objet de diffuser l'expertise reposant sur la coopération interétatique.
Elle surveillerait l'application du mécanisme de répartition. Elle disposerait de pouvoirs de contrôle de la mise en oeuvre par les États membres de leurs obligations en matière d'asile. À partir de rapports réalisés par ses équipes d'inspection, elle pourrait élaborer des recommandations qui, si elles n'étaient pas suivies, pourraient entraîner l'intervention de l'agence dans l'État membre concerné sans que ce dernier puisse s'y opposer.
En cas de pression disproportionnée sur le système d'asile d'un État membre, l'agence pourrait initier elle-même un plan de soutien opérationnel. Les États membres devraient obligatoirement abonder une réserve de 500 experts pouvant être déployés dans le cadre de ces plans. La nouvelle agence aurait aussi la responsabilité de fixer une liste des pays sûrs commune aux pays européens.
Pour autant, cette agence ne disposerait pas de pouvoirs contraignants à l'encontre des États. Une plus grande harmonisation européenne du droit d'asile, avec in fine un système de reconnaissance mutuelle entre États, mérite sans doute réflexion. Pour ce faire, elle requerrait des systèmes nationaux proches et comparables, ce qui est encore loin d'être le cas. La nouvelle agence ne sera pas indépendante, comme l'OFPRA l'est, en France, du gouvernement.
Pour l'essentiel, la France soutient les propositions de la Commission sur le « paquet asile ». Elle est favorable à l'économie générale de la réforme du règlement Dublin et notamment à la suppression de la prescription. Elle estime que le principe de la responsabilité permanente rendrait inopérantes les stratégies d'évitement qui cherchent à tirer parti de l'expiration des délais de transfert. Cette proposition est toutefois sévèrement appréciée par les ONG qui s'inquiètent à la fois de sa conformité aux principes fondamentaux et de son caractère opérationnel. Les délais de prescription posent de gros problèmes. Cependant, c'est grâce à la souplesse qu'ils introduisent dans le système que nous avons pu absorber toutes les demandes d'asile, notamment en 2011 et 2012. À faire peser sur l'Italie et la Grèce une responsabilité ad vitam aeternam comme pays de première entrée, on risque de durcir le système, avec pour seul filet, le mécanisme de solidarité, dont on ne sait pas s'il fonctionne.
Notre pays est favorable à un mécanisme de solidarité, mais considère que le caractère automatique de son déclenchement serait de nature à déresponsabiliser les États de première entrée en matière de contrôle des frontières extérieures. La France voudrait faire peser encore plus de responsabilités sur les pays d'entrée alors qu'ils ont déjà beaucoup fait, en développant notamment les hotspots. Il conviendrait que ce mécanisme soit mis en oeuvre à la suite d'une décision concertée prenant en compte plusieurs facteurs tels que les mesures prises sur le contrôle des frontières, une analyse des flux, les accords de réadmission avec les pays de transit ou la politique de retour.
Notre pays soutient également la réforme du règlement Eurodac visant à étendre son champ d'application. Les principales revendications françaises en la matière ont été satisfaites, en particulier la possibilité de consulter Eurodac à des fins répressives.
Enfin, la France soutient certes l'évolution de l'EASO en une agence européenne pour l'asile, mais à plusieurs conditions, portant notamment sur l'attribution de la décision d'une intervention de l'agence dans un État membre en crise au Conseil et non à la Commission et sur le réalisme des modalités de déploiement de la réserve de 500 experts nationaux (dont 75 à 80 au titre de notre pays, en provenance de l'OFPRA et du ministère de l'intérieur notamment). La convergence des agences de première instance des demandes d'asile n'a de sens que si l'on envisage aussi la convergence des instances de recours. Pour l'instant, la situation est bloquée.
Sur Eurodac, l'accès des services répressifs pourrait se heurter aux réticences du Parlement européen, traditionnellement sensible au respect des droits fondamentaux. Quant aux positions des États membres sur la future agence européenne pour l'asile, elles dépendent largement de leur situation géographique.
C'est sur la réforme du règlement Dublin qu'achoppent les négociations, plus particulièrement sur le mécanisme de solidarité, qui consiste à pérenniser le mécanisme de relocalisation d'urgence mis en place par deux décisions du Conseil de septembre 2015, même s'il n'a pas fonctionné de manière parfaite jusqu'à présent.
Ce nouveau mécanisme rencontre une forte opposition à la fois des États de première entrée, qui considèrent insuffisantes les mesures proposées, et des pays du groupe de Visegrád, qui est cependant moins uni qu'en apparence.
Force est de constater que les négociations sont bloquées. Face à cette situation, les présidences slovaque puis maltaise ont présenté diverses mesures pour tenter d'avancer.
La Présidence estonienne est mobilisée sur ce dossier. Elle a pour objectif de réunir les éléments d'un compromis d'ici la fin de l'année. Néanmoins, les discussions restent difficiles au Conseil et le seront aussi vraisemblablement au cours des trilogues. Aboutir à un accord sur le règlement Dublin est la condition de l'adoption de l'ensemble du « paquet asile », de nombreux États membres, dont la France, étant attachés à une approche globale.
Certains aspects de ce compromis - qui ne sont cependant que des propositions - pourraient poser problème à notre pays. J'en vois deux principaux : d'une part, la possibilité pour les États membres de choisir la nationalité des personnes à relocaliser, qui est clairement discriminatoire ; d'autre part, le concept de pays tiers sûrs défendu par l'Allemagne, qui fait référence à des pays qui seraient disposés à accueillir à la place d'un pays de l'Union européenne des migrants dont ils examineraient la demande d'asile. Il s'agirait en quelque sorte de généraliser ce qui a été fait pour l'accord avec la Turquie, qui est controversé. Même si elle ne l'a jamais explicitement indiqué, l'Allemagne penserait à la Tunisie.
Toutefois, la notion de pays tiers sûrs serait plus politique que juridique. Elle est dangereuse dans la mesure où elle pourrait remettre en cause le principe même du droit d'asile. Cela reviendrait pour ainsi dire à sous-traiter une part de notre responsabilité à un autre pays sans nous assurer de la cohésion du système. En ce qui concerne les mouvements secondaires, il faudrait distinguer le cas d'une personne dont la demande d'asile a été rejetée dans un pays de l'Union européenne et qui ne doit pas pouvoir réitérer sa demande dans un autre pays et le cas d'une personne dont la protection est reconnue et qui doit pouvoir bénéficier des mêmes droits que les citoyens européens pour circuler et s'installer là où elle trouve un emploi. Il en va de l'intégration des migrants.
Les allocations pour les demandeurs d'asile et l'hébergement d'urgence sont financées par les budgets nationaux. Ce qui, dans certains pays, entretient les blocages au sujet du mécanisme de solidarité.
En supprimant la prescription, on risque de durcir le système. Le mécanisme de solidarité n'a jusqu'à présent pas bien fonctionné. Les propositions de la Commission ne sont pas assez abouties sur ce point. On entend dire qu'il faudrait lier la délivrance des visas à la manière dont les pays coopèrent en matière d'immigration et de retour, ce qui est très dangereux. Nous devons veiller à ce que les décisions de la Commission européenne ne remettent pas en cause nos engagements nationaux et institutionnels en matière d'asile. Un système qui nierait le droit d'asile serait anticonstitutionnel. D'autant que la France est signataire de la Convention de Genève en tant qu'État. L'Allemagne, généreuse en 2015, s'interroge sur l'avenir et envisage des réponses qui pourraient remettre en cause le droit d'asile. Restons vigilants.
M. Jean Bizet, président. - Monsieur Leconte, merci pour cette communication qui montre votre parfaite maîtrise du sujet.