COM (2013) 813 final
du 04/12/2013
Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)
Examen : 17/12/2013 (commission des affaires européennes)Le texte COM (2013) 813 propose la mise en place d'une protection européenne des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées - les secrets d'affaires - contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicite.
La Commission européenne propose de nouvelles règles visant à protéger les entreprises en cas de vol ou d'utilisation abusive d'informations confidentielles, afin d'encourager l'innovation et la collaboration. Ce dispositif permettrait d'assurer une meilleure protection des secrets d'affaires et ces informations commerciales confidentielles telles que l'algorithme de recherche de Google ou la recette d'un parfum, par exemple. Les secrets d'affaires ne sont pas assortis de droits exclusifs, contrairement aux brevets et aux droits de propriété intellectuelle tels que les droits d'auteur et les marques commerciales. Les concurrents peuvent donc s'efforcer de créer des produits ou des solutions similaires. Une entreprise sur cinq a été victime d'une tentative de vol de ses secrets d'affaires au cours des dix dernières années, et ces chiffres sont en augmentation. La concurrence mondiale et l'utilisation accrue des technologies numériques accentuent encore le problème.
La Commission européenne souhaite faciliter le traitement de ce type d'affaires par les tribunaux nationaux et le dédommagement des victimes. Elle vise également à établir une définition du secret d'affaires valable au sein de l'Union européenne. Le niveau de protection juridique est en effet variable d'un État membre à l'autre, certains ne disposant d'aucune législation spécifique en la matière. Il est, par ailleurs, difficile pour les victimes de saisir la justice car compte tenu de la méconnaissance des règles appliquées dans les autres pays.
Le texte définit ainsi le secret d'affaire et le détenteur de ce secret. Il souligne dans quelles conditions l'obtention, l'utilisation et la divulgation d'un secret d'affaire est illicite. Il détermine enfin les mesures, les procédures et les réparations que sont en droit d'attendre les victimes de vols de secret d'affaire, sans pour autant les préciser.
La proposition de la Commission propose de fait un cadre général pour lutter efficacement contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicite des secrets d'affaire, sans totalement harmoniser les règles de droit ou les sanctions applicables. Dans ces conditions, ce texte ne paraît pas susceptible de soulever de réserves au titre du principe de subsidiarité.
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 09/12/2013Examen : 04/06/2014 (commission des affaires européennes)
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n° 587 (2013-2014) : voir le dossier legislatif
Recherche et propriété intellectuelle
Texte E 8922
Proposition de directive relative au
secret des affaires
COM (2013) 813 final
Proposition de résolution européenne de Mme Sophie Joissains
M. Simon Sutour, président. - Notre ordre du jour appelle maintenant une communication de Sophie Joissains sur la proposition de directive relative à la protection des secrets d'affaires. Cette communication fait l'objet d'une proposition de résolution européenne qui vous a été adressée et que nous examinerons dans un second temps.
À travers cette notion de « secrets d'affaires », on vise des questions majeures pour la vie des entreprises. Sont en effet en cause des informations commerciales confidentielles, des procédés ou des savoir-faire. Il est donc essentiel pour les entreprises qu'ils soient protégés.
Or - on peut d'ailleurs s'en étonner - ces « secrets d'affaires » ne font généralement pas l'objet d'une protection au titre du droit de la propriété intellectuelle, y compris en France ! Les atteintes ne sont pourtant pas rares. Une réglementation européenne dans ce domaine peut donc être utile. C'est à la demande de Jean Bizet que nous examinons cette proposition de directive. Avec Richard Yung, il suit les questions de propriété intellectuelle au sein de notre commission.
Les discussions sur ce texte ont progressé rapidement au sein du Conseil. Une orientation générale a été dégagée au Conseil Compétitivité du 26 mai. C'est tout récent. Mais la procédure va se poursuivre. Le nouveau Parlement européen devra se prononcer. Un nouveau commissaire au Marché intérieur sera en charge de ce dossier. C'est pourquoi il peut être utile que nous formalisions notre position en vue des prochaines échéances.
Je donne la parole à notre collègue.
Mlle Sophie Joissains. - Le 28 novembre dernier, la Commission européenne a présenté une proposition de directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées, dits « secrets d'affaires », contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites. Cette démarche s'inscrit dans le contexte de la stratégie Europe 2020 et plus spécifiquement celui de la mise en place d'un marché unique de la propriété intellectuelle. Elle se fonde sur l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui traite du rapprochement des législations relatives au fonctionnement du marché intérieur.
1. L'objet du texte
Les secrets d'affaires, également dénommés informations commerciales confidentielles ou renseignements non divulgués, protègent divers savoir-faire, des procédés ou recettes de fabrication particuliers qui offrent à leur détenteur, qu'il s'agisse d'une entreprise, d'un laboratoire, d'une université ou d'un inventeur ou créateur individuel, un avantage compétitif sur ses concurrents. Le cas le plus fréquemment cité de secret d'affaires est la recette du Coca-Cola.
Ces secrets d'affaires ne peuvent généralement pas faire l'objet d'une protection au titre des droits de propriété intellectuelle (marques, brevets, modèles, dessins), qui, eux, font l'objet d'une publication, et leur détenteur n'a donc pas de droits exclusifs sur les informations concernées qui relèvent davantage de la confidentialité. Il paraît toutefois légitime de les protéger compte tenu de l'importance de leur valeur économique1(*), notamment pour les PME et les start-up, qui, de surcroît, ne disposent généralement pas des ressources humaines ni financières suffisantes pour faire respecter leurs droits2(*), et d'imposer des restrictions à leur utilisation, en particulier lorsqu'ils ont été obtenus de manière malhonnête et contre la volonté de leur détenteur. L'atteinte portée aux secrets d'affaires s'assimile en définitive à une concurrence déloyale.
Or, sur la base d'une évaluation réalisée entre janvier 2012 et mai 2013, grâce à deux études extérieures et une consultation publique, la Commission a constaté que :
- 20 % des entreprises avaient subi au moins une tentative d'appropriation illicite de secrets d'affaires au cours des dernières années, avec une tendance haussière, en particulier dans les secteurs de la chimie, de la pharmacie et de l'automobile. Les principaux responsables de ces détournements seraient les concurrents, pour la moitié des cas, suivis des anciens employés et des clients ;
- les lois en vigueur dans les États membres varient fortement en matière de protection offerte contre l'appropriation illicite de secrets d'affaires. Généralement, ceux-ci ne sont ni définis ni protégés et s'inscrivent dans le droit commun de la responsabilité civile. L'un des seuls États membres à avoir défini cette notion dans le droit national est la Suède, qui lui a consacré un dispositif spécifique dès 1990.
La loi française est également dépourvue de dispositions spécifiques relatives à la protection des secrets d'affaires, mais certains textes permettent de sanctionner l'accès frauduleux à des secrets. C'est le cas de l'article 1382 du code civil qui constitue le fondement du droit commun de la responsabilité civile. En janvier 2012, l'Assemblée nationale avait adopté une proposition de loi présentée par notre ancien collègue député Bernard Carayon visant à la création d'un nouveau délit sanctionnant la violation du secret d'affaires, alors que le texte soumis à notre examen porte délibérément sur le seul droit civil. Néanmoins, la procédure prévue était sans doute trop lourde et contraignante, notamment pour les PME. Notons que l'article L. 1227-1 du code du travail, reproduit à l'article L. 621-1 du code de la propriété intellectuelle, seule disposition pénale française en la matière, vise le vol de secrets de fabrique par des collaborateurs d'une entreprise3(*).
À cet égard, je souhaiterais porter à la connaissance de la commission deux éléments sur lesquels plusieurs personnes que j'ai auditionnées ont insisté :
- d'une part, les difficultés à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle dans notre pays tiendraient moins à l'insuffisance des textes qu'au manque de moyen de la justice, en particulier de la 3e chambre du tribunal de grande instance de Paris, seule compétente pour les litiges de brevets d'invention depuis un décret d'octobre 2009, à l'insuffisante spécialisation des magistrats et à la mobilité trop rapide de ces derniers ;
- d'autre part, les cas d'espionnage industriel et leurs conséquences seraient sous-estimés en France. D'aucuns ont pu regretter l'absence de dispositions pénales dans le texte de la Commission. Néanmoins, il convient de constater que la pénalisation de la captation des secrets d'affaires est quasiment inexistante en Europe. Du reste, les États membres conservent la faculté d'instituer un délit spécifique qui viendrait compléter l'harmonisation de la procédure civile réalisée par la proposition de directive. À ce titre, il m'a été indiqué que le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, notre collègue Jean-Jacques Urvoas, avait constitué un groupe de travail visant à réfléchir aux modalités de renforcement de la protection des secrets d'affaires, incluant un volet pénal.
2. Les principales dispositions du texte de la Commission
La proposition de directive établit des règles de protection des secrets d'affaires contre l'obtention, la divulgation et l'utilisation illicites.
Elle donne une définition commune du secret d'affaires, qui reprend la définition retenue par l'article 39 de l'Accord de l'OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, dit ADPIC. Un secret d'affaires se définit par trois éléments : les informations doivent être confidentielles ; elles ont une valeur commerciale en raison de ce caractère confidentiel ; le détenteur du secret d'affaires a pris des dispositions raisonnables pour préserver sa confidentialité.
Le texte de la Commission définit également les circonstances dans lesquelles l'obtention, l'utilisation ou la divulgation d'un secret d'affaires est illicite. La notion centrale à retenir est celle de l'absence du consentement du détenteur du secret d'affaires. Inversement, les conditions d'obtention, d'utilisation et de divulgation licites d'un secret d'affaires sont également précisées.
Par ailleurs, les États membres doivent prévoir des mesures, procédures et réparations en matière civile pour se protéger contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites de secrets d'affaires. En revanche, on l'a vu, aucune disposition pénale n'est prévue.
Le texte propose également des dispositions visant à protéger le caractère confidentiel des secrets d'affaires qui pourraient être divulgués au cours des procédures judiciaires, telles que la restriction de l'accès aux pièces du dossier et aux audiences, ainsi qu'une obligation de confidentialité pour les participants à la procédure ou encore la rédaction de versions confidentielles des décisions judiciaires.
La proposition de directive comporte aussi un certain nombre de mesures provisoires et conservatoires telles que des ordonnances judiciaires visant la cessation ou l'interdiction provisoire de l'utilisation ou de la divulgation du secret d'affaires, ainsi que l'interdiction de produire, d'offrir, de mettre sur le marché, d'utiliser, d'exporter, d'importer ou de stocker des produits en infraction. Ces mesures peuvent aussi prendre la forme de saisie ou de remise des produits présumés en infraction de façon à empêcher leur introduction ou leur circulation dans le marché.
Les États membres doivent veiller à ce que le détenteur d'un secret d'affaires puisse obtenir par une décision judiciaire le versement par le contrevenant de dommages et intérêts correspondant au préjudice réellement subi du fait de l'obtention, de l'utilisation ou de la divulgation illicites de son secret.
Enfin, le texte proposé prévoit l'application de sanctions, des astreintes par exemple, à l'encontre des parties, de leurs représentants légaux ou de toute autre personne qui ne se conforme pas aux mesures arrêtées.
3. Où en est la négociation ?
La négociation du texte au Conseil a débuté en janvier 2014 au sein du groupe de travail sur la propriété intellectuelle. Après six réunions, un texte de compromis recueillant l'accord d'une large majorité d'États membres, dont la France, a pu être établi par la Présidence grecque.
Le 14 mai dernier, le COREPER a approuvé ce texte de compromis. Comme nous l'a indiqué notre Représentation permanente à Bruxelles au cours d'une visioconférence, le Conseil Compétitivité du 26 mai a confirmé à l'unanimité l'accord sur l'orientation générale que propose ce texte. Il a invité la Présidence à entamer les négociations avec le Parlement européen4(*) sur la base de cette orientation générale en vue de parvenir à un accord en première lecture.
4. Les difficultés soulevées par la proposition de directive
Les professionnels que j'ai auditionnés ont tous exprimé leur satisfaction de disposer de ce texte. De même, notre pays soutient ses grandes orientations, en particulier l'objectif visé d'harmonisation de la définition des secrets d'affaires.
En revanche, il a cherché, au cours des négociations, à parvenir à un équilibre entre la nécessaire protection des secrets d'affaires et le respect des principes fondamentaux de la procédure civile. En effet, l'article 8 du texte, relatif à la protection du caractère confidentiel des secrets d'affaires au cours des procédures judiciaires, comporte des dispositions susceptibles de remette en cause la portée de ces principes. À ce titre, il a été le plus débattu au Conseil.
Le groupe de travail du Conseil a essentiellement abordé trois domaines :
1°) Les définitions juridiques : la définition des secrets d'affaires qui figure dans le texte de la Commission et qui est reprise de l'article 39 de l'ADPIC est conservée. La notion de « valeur commerciale » mentionnée dans cette définition a été précisée dans un considérant à la demande de la France en indiquant qu'il s'agit de la valeur « effective ou potentielle ».
Les causes d'exclusion et d'exonération ont été précisées pour les rapprocher du droit commun de la responsabilité civile telles que l'absence de faute ou le respect d'un intérêt supérieur.
La définition des comportements illicites a également été reformulée. Désormais, l'obtention d'un secret d'affaires doit être considérée comme licite dès lors qu'elle résulte d'une création ou découverte indépendante, d'un exercice de rétro-ingénierie dans les limites, le cas échéant, des stipulations contractuelles convenues avec le détenteur du secret d'affaires concerné, ou de toute autre pratique conforme, au regard des circonstances, aux usages commerciaux honnêtes. De même, l'utilisation ou la divulgation d'un secret d'affaires doit être considérée comme licite dès lors qu'elle est requise, sinon permise par le droit national ou le droit de l'Union européenne. Par ailleurs, ne pourra être tenue civilement responsable toute personne qui obtient, utilise ou diffuse un secret d'affaires soit dans le cadre légal de la liberté d'information ou d'expression, soit pour les besoins de dénoncer une faute, malversation ou activité illégale de la personne se prévalant dudit secret, soit dans les limites de sa mission de représentation et d'information des salariés ;
2°) Deuxième sujet abordé : le souci de ne pas créer un régime ad hoc de responsabilité. En l'espèce, la France pourra continuer d'appliquer les dispositions existantes du droit de la responsabilité, par exemple l'article 1382 du code civil.
De même, les États membres se sont mis d'accord pour éviter que le dispositif proposé ne conduise à une régression de la protection accordée actuellement au niveau national. Au terme des négociations au Conseil, les États membres ont ainsi obtenu la possibilité d'adopter des mesures plus favorables aux détenteurs de secrets d'affaires, en dehors de celles relatives aux cas d'exclusion ou d'exonération de responsabilité, aux aménagements du contradictoire et aux conditions d'application des mesures préventives et correctives. Cette possibilité était déjà prévue par la directive 2004/48/CE relative au respect des droits de propriété intellectuelle. Le texte assure donc une harmonisation minimale ;
3°) Troisième sujet abordé, le plus important : la préservation du principe du contradictoire et des règles de la procédure civile face aux règles envisagées de protection de la divulgation des secrets d'affaires devant les juridictions.
Le texte de compromis précise désormais de façon explicite qu'il ne porte que sur la procédure civile et non sur la procédure pénale, celle-ci demeurant de la compétence exclusive des États membres.
De même, un meilleur équilibre entre protection de la confidentialité et respect du principe du contradictoire a pu être trouvé.
Je rappelle que l'article 8 prévoit deux dispositifs pour les procédures judiciaires ayant pour objet l'obtention, l'utilisation ou la divulgation illicite d'un secret d'affaires : une obligation de confidentialité d'une part, et diverses mesures destinées à assurer la protection des secrets d'affaires d'autre part.
Sur le premier point, le texte initial prévoit que tous les acteurs de la procédure, les parties et leurs représentants, les témoins, les experts et les personnels judiciaires, sont astreints à une obligation de confidentialité quant aux secrets d'affaires ou présumés tels dont ils auront pu prendre connaissance à l'occasion de cette procédure. Une telle obligation de confidentialité n'existe dans aucune autre procédure devant une juridiction civile française5(*). Elle a soulevé plusieurs questions de fond de la part de très nombreux États membres : comment respecter le principe de la publicité des débats si ceux-ci sont menés à huis clos ? Comment vérifier le respect du secret et sanctionner sa violation ? Comment cette obligation de confidentialité s'articulerait-elle avec les règles existantes du secret professionnel ? Le texte de compromis prévoit que cette obligation de confidentialité ne portera que sur les secrets d'affaires ou secrets d'affaires présumés que le juge aura spécialement identifié comme confidentiels, sur demande dûment motivée de l'une des parties.
Sur le second point, le texte initial prévoit que le tribunal pourrait prendre les mesures nécessaires à la préservation de la confidentialité de tout secret d'affaires ou prétendu secret d'affaires. Ainsi, le tribunal devrait notamment pouvoir restreindre à un nombre limité de personnes tant l'accès en tout ou partie à un document produit par une partie ou un tiers contenant un secret d'affaires qu'aux audiences lorsque des secrets d'affaires sont susceptibles d'y être révélés. En outre, il pourrait décider de mettre à disposition une version non confidentielle de toute décision judiciaire dans laquelle les passages contenant des secrets d'affaires ont été supprimés.
On le voit, ces dispositions porteraient atteinte aux principes fondamentaux du contradictoire, de la publicité des débats et de la publicité des décisions judiciaires en matière contentieuse. L'ensemble des pièces produites ne seraient plus communiquées à toutes les parties, mais seulement à leurs représentants, ce qui pourrait affecter les relations entre les avocats et leurs clients. En outre, une telle procédure aurait pour conséquence de rendre obligatoire le ministère d'avocat, alors que ce n'est pas systématique actuellement - le ministère d'avocat n'est pas obligatoire devant le tribunal de commerce par exemple.
Ces obstacles de principe se retrouvent pour les mesures restreignant l'accès à l'audience, dont les parties elles-mêmes pourraient se trouver exclues, ce qui porterait atteinte à l'exercice des droits de la défense, ainsi que pour celles restreignant la publicité du jugement, qui limiteraient de façon disproportionnée l'exercice des voies de recours.
Le texte de compromis lève une grande partie de ces incertitudes et difficultés. Il précise que le juge peut toujours restreindre l'accès aux documents susceptibles de contenir des secrets d'affaires et aux audiences au cours desquelles de tels secrets pourraient être divulgués, « pour autant qu'au moins une personne de chaque partie, son avocat ou représentant dans la procédure et les intervenants des tribunaux aient pleinement accès à ces audiences, rapports ou transcriptions ». De même, les parties au litige doivent pouvoir bénéficier d'une version complète de la décision rendue, une version confidentielle pouvant être prévue, mais uniquement à l'égard des tiers.
Au total, le compromis de la Présidence grecque sur la protection des secrets d'affaires donne satisfaction à une large majorité d'États membres, dont la France.
Cependant, la procédure d'adoption de ce texte est loin d'être achevée. Les négociations au Conseil ont certes rapidement abouti à un compromis, mais devraient se poursuivre au sein de ses groupes de travail. En outre, elles devraient connaître une « pause » liée au renouvellement du Parlement européen et de ses organes et à la désignation d'un rapporteur qui cherchera sans doute à s'entretenir avec le nouveau commissaire européen en charge du Marché intérieur. Il n'est donc pas certain que le texte soit définitivement adopté sous Présidence italienne, d'ici la fin de l'année.
C'est pourquoi il me semble utile d'affirmer une position qui vienne conforter ces orientations dans la perspective des débats à venir devant le Parlement européen. Aussi, je vous suggère d'adopter la proposition de résolution européenne qui vous a été préalablement distribuée.
M. André Gattolin. - Mon point de vue est sensiblement différent de celui de notre rapporteur. Je m'interroge en effet sur l'opportunité de légiférer sur la protection des secrets d'affaires. La Commission européenne a conduit une enquête publique dont il ressort que 75 % des citoyens européens considèrent qu'il n'y a pas d'urgence à adopter un texte sur ce sujet, alors que 75 % des entreprises disent l'inverse. Pourquoi un tel texte ? Je note également que la définition retenue des secrets d'affaires, qui est celle de l'accord ADPIC, est tautologique et particulièrement floue, alors que les mesures de protection des secrets d'affaires sont, quant à elles, extrêmement précises. Je considère que la Commission a retenu une approche particulièrement déséquilibrée et que son texte risque de constituer un obstacle pour l'activité des « lanceurs d'alerte ». Avec un tel texte, nous n'aurions sans doute pas eu d'« affaire Servier ». Par ailleurs, le texte de la Commission repose sur une vision économique de l'innovation qui me paraît archaïque. Au total, ce texte ne me paraît pas prioritaire et je voterai contre la proposition de résolution européenne qui nous est soumise car mon groupe est hostile au principe même de cette proposition de directive.
M. Éric Bocquet. - L'absence de définition précise des secrets d'affaires est assurément problématique. Je me demande si, avec le texte de la Commission, les listings de la banque HSBC auraient pu être divulgués ou si le flou de la définition n'aurait pas servi à étouffer cette affaire. Je rappelle que l'article 40 du code de procédure pénale oblige un agent public français à signaler au procureur de la République un délit dont il a connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
M. Richard Yung. - La protection des secrets d'affaires a précisément pour objectif de compléter la défense des droits de propriété intellectuelle. En effet, ceux-ci ont été institués pour rendre publiques les innovations, à l'exemple du brevet. Mais il existe des informations qui par nature doivent rester confidentielles : ce sont des secrets d'affaires dont la notion est toutefois, en général, peu utilisée en matière industrielle. La protection des secrets d'affaires existe surtout pour les informations commerciales et financières. Cette notion revêt un caractère marketing indéniable, par exemple dans le cas de la recette du Coca-Cola qui, en réalité, est assez peu mystérieuse.
Mlle Sophie Joissains. - Il est exact que la dénomination même de « secrets d'affaires » peut être trompeuse car elle suscite des inquiétudes sur ce que ces secrets recouvrent, mais il me semble que ces inquiétudes ne sont pas nécessairement fondées. Je rappelle, comme l'a indiqué le représentant du ministère du redressement productif, que de nombreuses PME françaises voient leurs secrets d'affaires trop souvent pillés par de grandes sociétés, en particulier étrangères. Le texte qui nous est proposé poursuit un objectif d'harmonisation qui est souhaitable, même si ses effets se feront sentir sans doute moins en France que dans d'autres États membres. La proposition de directive ne contient pas de dispositions portant atteinte à l'activité des « lanceurs d'alerte ».
M. André Gattolin. - Il est vrai que le concept de « lanceurs d'alerte » est difficile à définir, mais je ne peux m'empêcher de penser que ce texte comporte des risques quant à leur rôle dans la société.
M. Simon Sutour, président. - Il me paraît possible de partager les propos de notre collègue André Gattolin qui ne sont cependant pas nécessairement incompatibles avec la proposition de résolution qui nous est soumise par Sophie Joissains.
Je soumets cette proposition de résolution au vote de la commission.
*
À l'issue de ce débat, la commission a adopté, par sept voix pour, une voix contre et trois abstentions, la proposition de résolution européenne dans la rédaction suivante :
Proposition de résolution européenne
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites (COM(2013) 813 final),
Estime que, compte tenu des enjeux économiques liés aux secrets d'affaires, qui, contrairement aux droits de propriété intellectuelle, n'ouvrent pas de droits exclusifs à leur détenteur, il est indispensable d'assurer leur protection afin de préserver la confidentialité qui s'y attache et d'éviter une concurrence déloyale qui résulterait de leur obtention, utilisation et divulgation illicites ;
Partage en conséquence l'objectif poursuivi par la proposition de directive d'une harmonisation de la définition des secrets d'affaires dans l'Union européenne, en raison de la grande diversité des situations juridiques observée dans les États membres ;
Considère néanmoins que cette harmonisation doit être minimale et, qu'en conséquence, les États membres doivent avoir la possibilité d'appliquer les dispositions nationales en vigueur, éventuellement plus protectrices des secrets d'affaires que la proposition de directive, comme cela existe dans le cadre de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle ;
Juge que la proposition de directive ne doit pas aboutir à l'institution d'un dispositif autonome de responsabilité au motif de protection des secrets d'affaires, mais doit au contraire laisser aux États membres la possibilité d'appliquer leur régime de responsabilité de droit commun ;
Approuve la reprise dans la proposition de directive des termes de l'article 39 de l'accord ADPIC, qui engage l'Union européenne, pour définir les secrets d'affaires ;
Soutient les dispositions auxquelles les négociations au Conseil ont abouti qui précisent, d'une part, les clauses d'exclusion et d'exonération de manière à les rapprocher du droit commun de la responsabilité civile et, d'autre part, la définition des comportements illicites ;
Fait valoir la nécessité de préserver l'équilibre auquel les négociations au Conseil sont parvenues sur la rédaction de l'article 8 de la proposition de directive relatif à la protection du caractère confidentiel des secrets d'affaires au cours des procédures judiciaires ayant pour objet l'obtention, l'utilisation ou la divulgation illicites de secrets d'affaires, qui permet d'assurer une telle protection tout en respectant les principes fondamentaux de la procédure civile ;
Estime que, pour assurer le respect du principe de la publicité des débats, la proposition de directive ne saurait instaurer une obligation de confidentialité à laquelle l'ensemble des acteurs d'une procédure concernant la protection de secrets d'affaires, c'est-à-dire les parties et leurs représentants, les témoins, les experts et les personnels judiciaires, seraient astreints, d'autant plus que cette obligation de confidentialité n'existe dans aucune autre procédure devant une juridiction civile ;
Considère que les mesures contenues dans la proposition de directive pour préserver la confidentialité des secrets d'affaires telles que la restriction de l'accès aux pièces et à l'audience et de la publicité du jugement doivent être respectueuses des principes du contradictoire, des droits de la défense et du droit au recours ;
Appelle à ne pas sous-estimer les cas d'espionnage industriel et leurs conséquences et juge dès lors que les États membres doivent conserver la faculté d'instituer un délit pénal spécifique de manière à compléter au niveau national la procédure civile harmonisée par la proposition de directive ;
Insiste sur les conditions d'application de la proposition de directive lorsqu'elle aura été transposée en droit français et souligne la nécessité d'une plus grande spécialisation des magistrats en matière de contentieux de la propriété intellectuelle compte tenu de la technicité de la matière, ainsi que d'une stabilité dans leurs fonctions plus importante qu'aujourd'hui ;
Invite le Gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours.
* 1 Selon les chiffres de la Commission, 56 % des entreprises interrogées ont indiqué que les détournements ou tentatives de détournement de secrets d'affaires ont eu pour conséquence une perte de chiffre d'affaires, pour 44 % d'entre elles, des frais d'enquête internes, et pour 35 % des dépenses de protection.
* 2 Selon ces mêmes chiffres, sur 140 entreprises qui ont fait état de détournements ou de tentatives de détournement, seules 57, soit 40,7 %, ont eu recours à des tribunaux. Parmi les raisons ayant motivé le non engagement de poursuites, figurent les difficultés à recueillir des preuves (pour 43 %), l'impact sur la réputation (30 %) et les frais de justice (30 %).
* 3 Peine d'emprisonnement de deux ans et amende de 30 000 euros.
* 4 Notre compatriote Marielle Gallo avait été désignée rapporteure de cette proposition de directive en janvier dernier au nom de la commission des affaires juridiques, mais, sachant qu'elle ne siégerait plus dans le Parlement européen issu des élections du 25 mai 2014, elle n'a pas entamé son examen du texte.
* 5 Il existe néanmoins une obligation de confidentialité devant l'Autorité de la concurrence pénalement sanctionnée à l'article L. 463-6 du code de commerce (un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende).