COM (2013) 492 final
du 02/07/2013
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 05/07/2013Examen : 09/07/2013 (commission des affaires européennes)
Économie, finances et fiscalité
Textes E 8371, E 8372 et E 8459
Communication de M.
Jean-François Humbert
sur l'entrée de la Lettonie dans la zone
euro
COM (2013) 337 final, COM (2013) 345 final
et COM (final) 492
final
M. Simon Sutour, président. -Nous sommes appelés à nous prononcer sur les trois textes qui prévoient l'entrée de la Lettonie dans la zone euro au 1er janvier 2014.
Il faut rappeler que la participation à l'union monétaire est normalement une obligation pour tous les États membres, dès lors qu'ils remplissent les critères de Maastricht (déficit, dette, inflation, stabilité du change). Les textes qui nous sont soumis se bornent donc à porter un jugement positif sur le respect de ces critères par la Lettonie. Si nous voulions nous opposer, il nous faudrait contester ce respect des critères.
Seuls sont dispensés d'entrer dans l'union monétaire les pays qui bénéficient selon les traités d'une dérogation. Dans la pratique, les choses sont plus nuancées, car la Suède qui remplit les critères a refusé jusqu'à présent l'entrée dans l'euro, à la suite d'un référendum. Mais en principe la zone euro a vocation à s'élargir progressivement, dès que les critères sont remplis.
Je donne la parole à Jean-François Humbert.
M. Jean-François Humbert. - Notre commission a été saisie de trois textes (E 8371, E 8372 et E 8459) au titre de l'article 88-4 de la Constitution concernant l'adhésion de la Lettonie à l'Union économique et monétaire au 1er janvier 2014. Cette démarche intervient six ans après que ce pays a connu une crise d'une ampleur inégalée. Cette crise avait sanctionné une surchauffe de l'économie locale. À une croissance annuelle du Produit intérieur brut (PIB) de 10 % entre 2004 et 2007 avait répondu une forte augmentation des salaires réels (+ 20 % sur la même période) et surtout l'apparition d'une bulle immobilière, les prix augmentant de 60 % entre 2006 et 2007. Le retournement de la conjoncture mondiale s'est traduit par une contraction du PIB inédite - - 18 % en 2009 - et une explosion du chômage, porté d'un coup à 15 % de la population active.
Cette dépression économique a débouché sur une crise bancaire nécessitant une aide financière internationale de 7,5 milliards d'euros, qui a été versée par l'Union européenne, le Fonds monétaire international et les voisins scandinaves fin 2008. Cette aide était conditionnée à l'adoption par Riga d'un vaste plan de rigueur. Les salaires dans le secteur public ont ainsi été abaissés de 30 %, 10 % des écoles ont été fermées, les ministères ont vu leurs crédits diminuer de 20 à 40 %. 310 000 Lettons ont dans le même temps choisi d'émigrer. Cette cure d'austérité sévère a eu des résultats relativement rapides, avec un retour de la croissance dès 2011, celle-ci atteignant alors 5,5 % du PIB. Les perspectives économiques restent aujourd'hui positives, les prévisions de la Commission européenne tablant sur une croissance de l'activité de 3,8 % pour 2013 et de 4,1 % en 2014. Le chômage devrait dans le même temps repasser en dessous de la barre des 10 %.
Le déficit public établi à 9,8 % du PIB en 2009 a été ramené en quatre ans à 1,2 %. Le gouvernement letton a par ailleurs remboursé par anticipation en décembre 2012 le solde de l'aide internationale qui lui avait été versée quatre ans plus tôt.
C'est dans ce contexte que la Lettonie a fait acte de candidature auprès de l'Union économique et monétaire en mars 2013. L'adhésion à la zone euro présente plusieurs avantages aux yeux du gouvernement letton. L'adoption de la monnaie unique doit permettre d'éliminer les attaques spéculatives contre sa monnaie, le Lats. Le refinancement de sa dette souveraine sera également moins coûteux. Les banques lettones pourraient également se refinancer dans de meilleures conditions auprès de la Banque centrale européenne.
Selon la Commission européenne, au regard des critères de convergence, l'intégration de la Lettonie se justifie pleinement. Le rapport de convergence qu'elle a publié le 5 juin dernier souligne ainsi que l'inflation s'est établie à 1,3 % entre mai 2012 et avril 2013. Fin février 2013, la Lettonie est d'ailleurs devenue un des trois pays de référence pour le critère de la stabilité des prix. La procédure pour déficit excessif visant la Lettonie a été clôturée alors que le déficit public atteignait 1,2 % du PIB en 2012. La dette publique représente quant à elle 40,7 % du PIB, soit un taux largement inférieur au ratio de 60 % du PIB retenu dans les critères dits de Maastricht. Le taux de change avec l'euro est, quant à lui, resté stable au cours des deux dernières années. Enfin, en ce qui concerne les taux d'intérêt à long terme, leur valeur moyenne s'établit à 3,8 % au cours des 12 derniers mois, soit en deçà de la valeur de référence de 5,5 % établie par l'Union européenne.
Cet avis positif de la Commission ne saurait pourtant occulter les réserves émises par la Banque centrale européenne (BCE) sur l'économie lettone. Dans son rapport de convergence rendu public le 5 juin dernier, elle insiste notamment sur l'impact très important du programme d'aide financière internationale. C'est grâce à ce programme que la Lettonie a pu se rapprocher des standards de la zone euro en ce qui concerne les taux de change ou les taux d'intérêt. En faisant ce constat, la BCE s'interroge implicitement sur la capacité du pays à maintenir son niveau actuel de convergence. Elle s'inquiète dans le même temps d'une reprise de l'inflation à l'occasion de la conversion des prix en euros, phénomène que nous avons tous observé en France. La BCE rappelle que la volatilité des prix a été extrêmement importante en Lettonie au cours des dix dernières années, l'inflation variant selon les exercices de - 1,3 % à 15,3 %.
La BCE insiste, en conséquence, sur la nécessité de poursuivre le programme d'assainissement budgétaire, de mettre en oeuvre de nouvelles réformes structurelles destinées à améliorer le fonctionnement du marché du travail, et de pérenniser les gains de compétitivité acquis ces dernières années.
Il faut également relever les interrogations du Fonds monétaire international sur le niveau élevé de la dette à court terme. Afin de faire face aux échéances de remboursement en 2014-2015, la Lettonie devra en effet emprunter 3 milliards d'euros sur les marchés, soit 14 % du PIB.
La Banque centrale européenne pose également la question de la stabilité du secteur bancaire local. Le secteur bancaire letton ne représente que 128 % du produit intérieur brut, ce qui reste en deçà de la moyenne européenne. L'inquiétude de la Banque centrale européenne tient plutôt à la part des dépôts des non-résidents. Ceux-ci proviennent, pour l'essentiel, de Russie et des anciens pays de l'Union soviétique ; ils proviennent également, dans une moindre mesure, du Royaume-Uni. Ces dépôts des non-résidents représentent 48,9 % du total des dépôts dans les banques lettones. Ils dépassent pour la plupart 100 000 euros. 80 % d'entre eux sont des dépôts à court terme ce qui rend le secteur bancaire letton extrêmement vulnérable à une fuite des capitaux. Cette vulnérabilité a également été relevée par le Fonds monétaire international.
Depuis la crise chypriote, les autorités lettones s'emploient à réfuter toute comparaison entre les deux systèmes bancaires. Si le pays compte 29 banques pour 2 millions d'habitants, la contribution de celles-ci au PIB est de l'ordre de 4,5 %, là où la moyenne européenne s'établit à 6 %. L'attrait pour la Lettonie ne tient pas, par ailleurs, à des raisons fiscales - le taux de l'impôt sur les sociétés est établi à 25 % - ou à des taux rémunérateurs comme pour Chypre. La proximité de Moscou, l'importance de la population russophone (50 % des habitants de Riga) ou le partenariat commercial avec la Russie constituent les raisons de cet afflux de capitaux. Celui-ci ne débouche pas pour autant sur une hypertrophie du secteur bancaire. De plus, les banques qui accueillent ces dépôts ne jouent encore qu'un rôle très limité dans le financement de l'économie locale. Les stress tests menés en 2012 ont montré que les établissements financiers lettons pouvaient faire face à des retraits de 50 % des dépôts. La faillite de la Krajbanka en 2011 a par ailleurs souligné la forte résistance du secteur bancaire local en cas de crise. Reste que cette liquidation qui succède à celle de la Parex en 2008 vient souligner les failles de la supervision financière en Lettonie. Les autorités n'ont pas été en mesure de repérer les activités délictueuses de cet établissement, dont l'actionnaire de référence était russe.
Les observations de la Banque centrale européenne sont d'autant plus recevables qu'il existe bien une tendance à renforcer le rôle de plateforme financière régionale détenu par Riga. Les dépôts des non-résidents ont ainsi augmenté de 17 % en un an. Ce qui n'est sans doute pas sans rapport avec la crise chypriote : Riga pourrait devenir à terme une base de repli pour les capitaux russes malmenés à Chypre. Il convient de relever que les autorités lettones encouragent implicitement une telle évolution. La règlementation concernant les permis de résidence, entrée en vigueur en juillet 2010, favorise ainsi de tels dépôts : les citoyens des pays tiers peuvent obtenir un permis de séjour temporaire dès lors qu'ils ont investi 150 000 euros dans le secteur immobilier à Riga ou 75 000 euros dans les autres régions, ou s'ils ont financé à hauteur de 300 000 euros un établissement de crédit ou abondé de 37 500 euros le capital social d'une société lettone. Ce dispositif a permis des investissements immobiliers à hauteur de 360 millions d'euros. Le secteur bancaire, quant à lui, a bénéficié d'une manne de 76 millions d'euros. Je relève également que la Lettonie s'est montrée extrêmement sceptique sur le projet de taxe sur les transactions financières.
Au regard de ces éléments, la Banque centrale européenne souhaite que la Lettonie mette rapidement en place une panoplie de mesures destinées à faire face aux risques pesant sur la stabilité financière, et qu'elle limite la dépendance de son secteur bancaire aux dépôts des non-résidents. Rappelons que le mécanisme de surveillance bancaire européen ne supervisera que les trois plus gros établissements du pays. La Commission européenne rejoint, par ailleurs, la Banque centrale européenne sur la nécessité pour le gouvernement letton de mettre en oeuvre de façon résolue les règlements anti-blanchiment.
À ces réserves purement économiques ou financières, il convient d'ajouter une dimension politique. Si l'adhésion à la monnaie unique constitue un objectif partagé par les autorités locales et les partenaires sociaux, je note qu'elle ne suscite pas l'enthousiasme de la majorité de la population. Un sondage publié début juin mettait en avant que seuls 36 % des Lettons étaient favorables à l'euro. Le gouvernement attend beaucoup d'une campagne d'information sur l'introduction de la monnaie européenne qui devrait débuter à la mi-juillet. Des organisations non-gouvernementales tentent de leur côté de provoquer la tenue d'un référendum national sur la question en multipliant les pétitions. Cette option demeure cependant peu crédible.
Pour conclure, je ne pense pas qu'il y ait lieu de s'opposer à l'adhésion de la Lettonie à la zone euro. Les critères de convergence sont, en effet, pleinement respectés. Or, il faut souligner que l'entrée dans l'euro est un processus résultant des traités : dès lors qu'un pays remplit les critères de convergence, il doit adopter la monnaie unique sauf s'il bénéficie d'une dérogation.
On peut néanmoins s'interroger sur une intégration aussi rapide, moins de cinq ans après la crise que ce pays a pu traverser et alors qu'il sort à peine d'un programme d'assistance financière internationale. Les difficultés rencontrées par Chypre jettent par ailleurs un éclairage particulier sur le rôle financier exercé par Riga et notamment l'importance croissante des capitaux russes. Enfin, je l'ai dit, cette intégration à marche forcée ne répond pas véritablement à une demande populaire et sa signification politique demeure assez faible.
Toutefois, et c'est un point capital, l'Union européenne s'est dotée de nouveaux moyens pour mieux surveiller l'évolution macro-économique de ses membres et prévenir les risques pesant sur leur stabilité financière. Je ne doute pas que ces mécanismes joueront. Il s'agira donc d'une intégration sous surveillance au sein de l'Union économique et monétaire et dans ces conditions, il me semble que nous n'avons pas à nourrir des appréhensions excessives.
M. Simon Sutour, président. - Je remercie le rapporteur pour son travail qu'il sera amené à poursuivre dans les prochains mois.
M. Jean-Paul Emorine. - Je suis favorable à ce que la Lettonie entre dans la zone euro. Ses habitants, comme leurs voisins baltes, sont des Européens convaincus en raison notamment de leurs difficultés séculaires avec la Russie. Je note d'ailleurs que des différents frontaliers existent toujours entre Moscou et Riga.
En ce qui concerne les recommandations de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international, il s'agit là d'une application du principe de précaution... Je serais d'ailleurs curieux de savoir combien de pays membres de l'Union économique et monétaire respectent aujourd'hui pleinement les critères de convergence.
M. Simon Sutour, président. - Cette question des rapports avec la Russie est d'autant plus aigüe en Lettonie que près de 600 000 russophones vivent sur son territoire, sans avoir pleinement accès d'ailleurs à la citoyenneté lettonne. Celle-ci ne peut être obtenue qu'au terme d'une procédure complexe qui n'est pas d'ailleurs sans susciter d'interrogation.
Mme Bernadette Bourzai. - La Lettonie, comme la Lituanie d'ailleurs, est très attachée à son indépendance, notamment à l'égard de la Russie. Celle-ci est très difficile à assumer en matière énergétique notamment. L'Union européenne doit être aux côtés de ces États dans leur combat en faveur de la sécurité d'approvisionnement énergétique.
M. Pierre Bernard-Reymond. - Cette question de la Russie est cruciale. Au sujet de l'adhésion à la zone euro, la Russie a-t-elle d'ailleurs été spectatrice obligée ou a-t-elle favorisé la démarche de la Lettonie, en pensant pouvoir peser à travers elle sur les décisions touchant à la monnaie unique ? Ce problème d'un éventuel « entrisme » russe mériterait d'être abordé au cours de travaux ultérieurs.