COM(2008) 134 final  du 11/03/2008
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 21/10/2009

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 21/03/2008
Examens : 03/06/2009 (commission des affaires européennes), 15/07/2009 (commission des affaires européennes)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : voir le dossier legislatif


Environnement

Lutte contre les rejets polluants illégaux
effectués par les navires en mer

Texte E 3816 - COM (2008) 134 final

(Procédure écrite du 3 juin 2009)

Au-delà des grandes pollutions par accident telles que celle provoquée par le naufrage du pétrolier « Prestige » au large des côtes de la Galice (Espagne), l'Union européenne a affiché, en 2002, sa détermination à lutter contre la pollution régulière causée par les navires de façon intentionnelle (lors de « dégazages ») ou par négligence grave. Elle a finalement adopté en 2005 deux instruments législatifs complémentaires :

- la directive 2005/35/CE qui comporte notamment une définition des rejets illicites et l'obligation pour les États membres de prévoir des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, « pouvant inclure des sanctions de nature pénale ou administrative » (texte E 2244 - Procédure écrite du 14 mai 2003),

- et la décision-cadre 2005/667/JAI obligeant à ériger en infractions pénales l'ensemble des rejets considérés comme illicites aux termes de la directive, harmonisant les peines applicables aux faits de pollution maritime les plus graves et fixant les règles de compétence juridictionnelle en la matière (texte E 2291 - Examen en réunion le 3 mars 2004).

Toutefois, le 23 octobre 2007, la décision-cadre a été annulée par un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) faisant droit au recours de la Commission européenne qui estimait qu'elle avait été adoptée sur une base juridique erronée.

Cet arrêt constitue une illustration de la querelle juridique qui oppose la Commission et le Conseil sur la base juridique des instruments de rapprochement du droit pénal intervenant dans les matières communautaires. La Commission estime qu'elle est fondée à fixer des mesures pénales, qui relèvent normalement du troisième pilier (de nature intergouvernementale), dans le cadre d'un dispositif s'inscrivant dans le cadre du premier pilier (de nature communautaire) ; les États membres considèrent que tout rapprochement du droit pénal devrait relever exclusivement du troisième pilier. Un arrêt important de la CJCE, en date du 13 septembre 2005, est allé dans le sens de la Commission en posant que lorsqu'il est nécessaire d'harmoniser les législations pénales des États membres pour garantir la pleine efficacité de normes sectorielles édictées par la Communauté, c'est la base juridique sectorielle du « premier pilier » qui doit prévaloir et non celle du « troisième pilier ». Fort de cette jurisprudence, la Commission a donc entrepris de dénoncer la base juridique de la décision-cadre sur les sanctions pénales en cas de pollution par les navires. Confirmant l'arrêt de 2005, la CJCE a estimé que la politique des transports constituait un fondement de la Communauté et a reconnu au législateur communautaire, une compétence pour édicter des normes en relation avec le droit pénal des États membres. Elle a énoncé toutefois le principe selon lequel l'harmonisation des niveaux de sanctions pénales ne pouvait relever d'un instrument du premier pilier.

Suite à l'annulation de la décision-cadre, la Commission propose aujourd'hui d'en intégrer les principaux éléments au dispositif de la directive afin de combler le vide juridique créé. Toutefois, conformément à l'arrêt de la CJCE, aucune disposition relative au niveau des sanctions pénales ne figure dans la directive remaniée. En conséquence, les seuils fixés par la décision-cadre pour les sanctions pénales à l'encontre des personnes morales qui tendaient à harmoniser le niveau des sanctions, ont disparu. On ne peut que regretter cet état de fait tant la définition de niveaux de sanctions harmonisés se révèle importante dans ce domaine. La décision de la Commission de contester la base juridique de la décision-cadre aura donc finalement eu pour conséquence de remettre en cause certains progrès réalisés au niveau des gouvernements.

Pour conclure, en ce qui concerne le transfert de la pénalisation des sanctions d'un instrument de type « décision-cadre » vers un instrument de type « directive », il faut savoir que le débat qui entoure cette question devrait être caduc dans un avenir proche si le traité de Lisbonne est ratifié par l'ensemble des États membres, puisque celui-ci mettra fin à la structure de l'Union sous forme de piliers.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte dont l'adoption prochaine est programmée.

Environnement

Communication de Mme Alima Boumediene-Thiery sur la responsabilité pénale des personnes morales
en matière de pollution maritime

Texte E 3816
(Réunion du mercredi 15 juillet 2009)

Pour lutter contre les pollutions maritimes causées par les navires, l'Union européenne a décidé d'élaborer un ensemble de règles définissant le régime applicable aux infractions de « rejets illicites ».

En 2005, elle adopta deux instruments : une directive du 7 septembre 2005, définissant l'infraction de rejet illicite et la nature des sanctions applicables, et une décision-cadre du 12 juillet 2005, harmonisant les peines applicables aux faits de pollution maritime les plus graves et fixant les règles de compétence juridictionnelle en la matière.

En filigrane de ce dispositif apparaît la volonté des États membres d'assurer une approche pénale commune du phénomène des pollutions maritimes, et surtout d'éviter de créer les conditions d'une pénalisation à géométrie variable des infractions de pollution dans les zones maritimes européennes.

Rappelons d'ores et déjà que cette décision-cadre visait, de manière expresse, la responsabilité pénale des personnes morales. C'est d'ailleurs l'un des ses points les plus importants : assurer la mise en oeuvre d'une responsabilité pénale qui s'étende à toute la chaîne de transport, allant de l'éventuelle personne morale commanditaire à la personne physique, le capitaine du navire par exemple, auteur en dernier lieu de l'infraction.

Ce dispositif allait cependant être la victime, quelques mois après son adoption, d'une querelle juridique intéressante concernant les délimitations des compétences de la Commission européenne en matière d'harmonisation des législations pénales applicables dans la Communauté.

Le débat juridique était le suivant : la Commission européenne est-elle compétente pour édicter des normes minimales en matière pénale applicable dans tous les États membres ? Dans un arrêt historique du 13 septembre 2005, la Cour de Justice des Communautés européennes a en effet considéré que s'il est vrai, en principe, que la législation pénale ne relève pas de la compétence de la Communauté, cela n'empêche pas le législateur communautaire de prendre des mesures en relation avec le droit pénal des États membres qu'il estime nécessaires pour garantir la pleine effectivité des normes qu'il édicte en matière de protection de l'environnement, laquelle figure parmi l'un des objectifs essentiels de la Communauté selon l'article 175 du traité instituant la Communauté européenne.

Sous réserve du principe de subsidiarité, qui empêche l'édiction précise d'une échelle de normes applicables dans tous les États, la Commission peut donc inviter les États membres à adopter des sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives dans le domaine de la protection de l'environnement.

C'est sur le fondement de cette même jurisprudence que, le 23 octobre 2007, la Cour de justice des Communautés européennes a annulé, à la demande de la Commission, la décision-cadre que j'évoquais ; considérant que certaines de ses dispositions concernaient le rapprochement des législations pénales des États membres, elles auraient dû être adoptées sur le fondement du traité instituant la Communauté européenne et non sur celui du titre VI du traité sur l'Union européenne.

Ainsi, la Cour de justice rappelle encore une fois que la Commission européenne peut inclure, dans une proposition de directive, des mesures en relation avec le droit pénal des États membres si elle estime que ces règles sont nécessaires pour garantir la pleine effectivité des normes européennes en matière de protection de l'environnement.

La Commission a décidé, suite à cet arrêt, de réintégrer dans la directive de 2005 les dispositions annulées de la décision-cadre.

C'est l'objet de la proposition de directive modifiant la directive de 2005 sur les pollutions maritimes et sanctionnant les personnes responsables des pollutions causées par les navires.

1. La proposition de directive modifiant la directive de 2005

En dépit de nombreuses avancées, par exemple en ce qui concerne l'obligation pour les États membres de prévoir une incrimination pénale de l'infraction de « rejet illicite », ou l'obligation de pénaliser les sanctions lorsqu'une telle infraction est commise par une personne physique, cette proposition de directive pose néanmoins une difficulté : elle est muette sur la question de la nature des sanctions encourues par les personnes morales. Ainsi, il n'est pas prévu, de manière explicite, que les personnes morales devront faire l'objet de sanctions pénales, alors même qu'il s'agit de l'objet de la directive : la mise en oeuvre d'un cadre répressif contre les pollutions maritimes.

Des sanctions à géométrie variable seront donc appliquées selon l'État qui est compétent. Les États membres qui ne reconnaissent pas la responsabilité pénale des personnes morales dans leur droit national ne seront donc pas obligés de modifier leur droit interne et il faut craindre que ces mêmes États deviendront des « eldorados du dégazage » puisque l'impunité des personnes morales y est organisée.

La nouvelle directive organise ainsi un nivellement vers le bas de la protection contre la pollution maritime : au lieu de poser en principe la pénalisation des sanctions contre les personnes morales, en réalité elle pose le principe de la liberté des États de choisir le type de sanctions à leur égard.

Cette démarche n'est pas, dans le domaine de la protection de l'environnement, propre à assurer une protection effective des zones maritimes européennes, eu égard à la nature particulière de l'infraction qui est visée : les atteintes à l'environnement sont rarement isolées. Elles concernent souvent de nombreux États, à l'image de la catastrophe de l'Erika. Seule l'harmonisation des règles de responsabilité pénale des personnes morales en cas de rejet illicite à l'échelle européenne est susceptible d'éviter les « fuites de pollution » rendues possibles par la disparité des sanctions applicables dans l'espace européen.

Cette divergence dans les systèmes pénaux permet à une entreprise d'ordonner un dégazage dans les eaux territoriales d'un État qui, en tout état de cause, n'engagera pas la responsabilité pénale de l'entreprise commanditaire, mais exclusivement celle du capitaine du navire.

La disparité des sanctions pénales, quand elles existent, est également un problème : si le montant des amendes est dissuasif dans les eaux territoriales d'un État comme la France, dans d'autres, il est littéralement attractif, si bien que les entreprises préfèrent dégazer et payer une amende, pour la simple et bonne raison que cette amende est moins élevée que ce que lui coûterait le vidage des cuves dans le respect des normes.

Pour illustrer cette disparité, je souhaite évoquer le droit pénal applicable, en France, aux personnes morales auteurs d'infractions de pollution maritime.

2. Le dispositif français de mise en oeuvre de la responsabilité pénale des personnes morales en matière de pollution maritime

En France, nous disposons d'un cadre juridique répressif complet depuis 2001, qui a été complété par la loi du 9 mars 2004 dite « loi Perben II » relative à l'adaptation de la Justice aux évolutions de la criminalité et par la loi du 1er juillet 2008 relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'environnement.

Si l'on a pu déplorer, dans le cadre du débat relatif à cette dernière loi, certaines lacunes du dispositif qui a été adopté, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit là de l'un des cadres répressifs les plus sévères dans l'espace européen.

Nous avons pris le parti d'intégrer, dans le champ des personnes responsables pénalement, tous les acteurs de la chaîne de transport, y compris les personnes morales impliquées dans la gestion ou la marche du navire.

L'article L. 218-19 du code de l'environnement dispose en effet que sont passibles de sanctions pénales « le propriétaire, l'exploitant ou leur représentant légal ou dirigeant de fait s'il s'agit d'une personne morale, ou toute autre personne que le capitaine ou responsable à bord exerçant, en droit ou en fait, un pouvoir de contrôle ou de direction dans la gestion ou la marche du navire ».

Cet article permet de sanctionner toute la chaîne de transport, c'est-à-dire toutes les personnes qui ont une responsabilité dans la conduite du navire, y compris l'affréteur et le commanditaire du fret.

C'est d'ailleurs la position qui a été adoptée par nos tribunaux, en l'absence même de dispositions spécifiques, lors de l'affaire Erika, qui a sombré le 12 décembre 1999 au large des côtes françaises. Il est intéressant de constater que le tribunal de grande instance de Paris a, le 15 janvier 2008 et en l'absence de textes clairs, eu l'audace de mettre en cause la responsabilité de l'affréteur, la société Total, en le condamnant à une amende maximale de 375 000 euros, pour « faute d'imprudence », caractérisée par le fait que l'affréteur Total n'a pas tenu compte de l'âge du navire - près de vingt-cinq ans - et de « la discontinuité de sa gestion technique et de son entretien ».

Ce dispositif complet dénote un engagement poussé de la France à assurer, dans le cadre de sa législation, une protection optimum contre la pollution de ses eaux territoriales. Mais cette position n'est pas sans conséquences.

La question s'était posée de savoir si, en imposant des normes trop strictes, nous ne risquions pas de provoquer des délocalisations (changement d'État du pavillon), mais, surtout, de favoriser un détournement des eaux territoriales, sans que ces mêmes zones ne soient épargnées par les pollutions. En effet, les « fuites de pollutions » sont au coeur de nos préoccupations. Et il aurait été souhaitable que tous les États aient le même niveau d'exigence que la France dans ce domaine. Ce n'est pourtant pas le cas, et la proposition de directive modifiée constitue, dans ces circonstances, une occasion manquée. C'est ce constat qui nous a amené à déposer une proposition de résolution européenne.

3. Le dépôt d'une proposition de résolution européenne

En proposant de supprimer toute référence à la pénalisation des sanctions contre les personnes morales, la proposition de directive crée en réalité toutes les conditions pour que de telles fuites de pollution puissent être organisées en toute impunité dans l'espace européen.

Si la France a décidé de s'engager dans un dispositif rigoureux, et de porter des exigences environnementales fortes, elle ne peut rester insensible au sort qui est réservé aux pollueurs dans les autres pays européens, et notamment dans l'espace méditerranéen.

Si une harmonisation de l'échelle des sanctions pénales applicables n'est pas possible, il reste dans la compétence de la Communauté d'assurer que les personnes morales devront faire l'objet de sanctions pénales suffisamment fortes pour dissuader les pollueurs maritimes. Il est de notre responsabilité de ne pas créer de zones d'impunité pour les pollueurs maritimes. C'est pour cette raison que nous avons entrepris, avec le soutien important du groupe socialiste du Sénat, de déposer une proposition de résolution européenne.

Son objet est double :

D'une part, amener le Sénat à se prononcer sur la nécessité d'une mise en oeuvre homogène de la responsabilité pénale des personnes morales en cas de pollution maritime dans tout l'espace européen.

D'autre part, demander au Gouvernement français, en dépit de la qualité de notre législation dans le domaine et dans l'intérêt collectif européen, de tout faire pour que ce principe ne soit pas évacué de la directive.

Pour conclure, je souhaite vous faire part de mon regret que cette proposition de résolution européenne n'ait pas pu faire l'objet d'un examen par notre Commission. Cette communication me permet néanmoins d'attirer toute votre attention, mes chers collègues, sur la pertinence des points qu'elle soulève, qui demeurent d'actualité tant que la proposition de directive n'a pas fait l'objet d'une adoption formelle par le Conseil.

Compte rendu sommaire du débat

M. Jacques Blanc :

Le Président Hubert Haenel, retenu par une obligation impérieuse, m'a demandé de le remplacer et de faire part à la commission de sa position sur cette question, qui est la suivante.

Votre proposition de résolution, déposée le 17 juin, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions du règlement du Sénat, a été renvoyée à la commission des lois. Celle-ci est donc aujourd'hui seule compétente pour se prononcer à son sujet.

Certains États membres n'ont pas retenu la responsabilité des personnes morales, ce qui peut expliquer la position du Conseil. Dans sa résolution du 5 mai dernier, le Parlement européen a au contraire jugé nécessaire de prévoir une telle responsabilité. Des discussions sont actuellement en cours entre le Parlement européen et le Conseil en vue d'un accord en première lecture. Pour vous donner satisfaction, il faudrait que le Parlement européen parvienne à convaincre le Conseil.

Je veux souligner que la pollution par les navires constitue un vrai problème, en particulier en Méditerranée. L'efficacité des programmes de dépollution en cours suppose que, parallèlement, une lutte efficace soit menée contre la pollution causée par les navires. Dans ce contexte, votre proposition de résolution me parait tout à fait intéressante.

Mme Alima Boumediene-Thiery :

La commission des lois ayant décliné sa compétence sur cette proposition de résolution, il me paraît très important que la commission des affaires européennes puisse affirmer une position claire dans la perspective de la prochaine adoption de ce texte par le Conseil.

M. Jacques Blanc :

La commission des affaires européennes est tenue par la décision qui a été prise de renvoyer ce texte à la commission des lois. Elle doit se montrer particulièrement rigoureuse dans l'application du Règlement du Sénat. Dès lors que la proposition a été renvoyée à la commission des lois, la commission des affaires européennes ne peut pas l'adopter.