COM (2007) 856 final
du 19/12/2007
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 23/04/2009
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 16/01/2008Examen : 28/05/2008 (délégation pour l'Union européenne)
Environnement
Rapport d'information de Mme
Fabienne Keller
sur les émissions de CO2 par les voitures
particulières
Texte E 3756 - COM (2007) 856
final
(Réunion du 28 mai 2008)
Mme Fabienne Keller :
Cette proposition de règlement vise à réduire les émissions de CO2 des voitures particulières dans l'Union européenne. Le 30 avril, nous avons examiné ce texte au regard de la subsidiarité et de la proportionnalité, mais la délégation avait souhaité procéder également à une analyse au fond.
1. Quel est le contexte ?
Depuis dix ans, l'Europe a multiplié ses engagements en vue de réduire ses émissions de gaz à effet de serre, en particulier le dioxyde de carbone (CO2). En signant le protocole de Kyoto, il y a dix ans, l'Europe s'était fixé un objectif de - 8 %. L'examen à mi-parcours a montré que cet engagement ne serait pas tenu.
Face à cet échec annoncé, l'Union européenne a adopté récemment une série de mesures plus restrictives. Début 2007, le Conseil européen prenait l'engagement de réduire les émissions totales de gaz à effet de serre de 20 % d'ici 2020. Fin 2007, la Commission lançait une série de propositions de règlements sur l'utilisation des véhicules. En janvier 2008, la Commission adoptait le « paquet énergie-climat », qui est actuellement en débat au Parlement européen et au Conseil.
La présente proposition est donc un élément d'un ensemble visant, soit par l'impulsion, soit par la sanction, à maîtriser les émissions de gaz à effet de serre en général et de CO2 en particulier. Cette action passe notamment par le contrôle des voitures particulières. Pour donner quelques repères :
- les voitures particulières représentent 12 % des émissions totales de CO2 en Europe ;
- en France, 57 % des émissions de CO2 du secteur routier proviennent des voitures, 40 % viennent des véhicules utilitaires et des poids lourds.
Mais cette mobilisation européenne s'explique aussi par le fait que les engagements ont été mal respectés. Dès 1995 et 1998, la Commission et les constructeurs avaient annoncé des objectifs de réduction à 140, voire 120 grammes, d'ici 2008, contre les 186 grammes de l'époque. Ces objectifs ne seront pas atteints. Le niveau moyen des émissions de CO2 a bien été réduit à 160 grammes en 2006, mais cette baisse a été plus que compensée par un effet masse, lié à l'augmentation du parc automobile et du trafic. Au total, les émissions dues au transport individuel routier ont augmenté de 26 % en 15 ans !
Devant ce constat d'échec relatif, la Commission a été conduite à préparer cette proposition de règlement.
2. La proposition de règlement
Quel est le contenu de la proposition de règlement ? Le dispositif est articulé en deux volets.
En premier lieu, la proposition de règlement fixe une norme d'émission pour les voitures particulières. L'objectif est une limitation des émissions à 130 g/km. Il ne s'agit pas d'une norme unique par véhicule mais d'une norme globale qui doit conduire à un niveau moyen d'émission en Europe de 130 g/km. Cette norme est ensuite déclinée par constructeur en fonction des caractéristiques des véhicules qu'il produit. Le principe est que plus un véhicule est lourd et rapide, plus il consomme en carburant et plus ses rejets de CO2 sont importants. Pour éviter une discrimination qui leur serait trop défavorable, les constructeurs de grosses voitures se voient appliquer une norme distincte des constructeurs généralistes ayant aussi une gamme de petites voitures. Les premiers ont une cible à 135 ou 140 tandis que les seconds ont une cible à 127 par exemple.
En second lieu, ce seuil est assorti de pénalités financières qui s'appliqueraient à compter de 2012.
Que penser de ce projet ? Globalement, l'effort de la Commission mérite d'être soutenu.
1ère question : est-ce à l'Union européenne d'imposer des règles communautaires sur les émissions de CO2 ?
La réponse est oui. Nous avons déjà évoqué ce sujet. Nul ne peut disconvenir que l'objectif de contrôle des émissions de CO2 ne peut être atteint que par une action au niveau communautaire. L'action des industriels pour maîtriser les émissions est trop variable. On pourra noter que la France est bien placée dans ce domaine. Tant par les caractéristiques du marché que par les efforts industriels, les deux constructeurs français enregistrent les meilleurs résultats européens.
2ème question : les normes fixées sont-elles trop rigoureuses ?
La réponse est non. L'Europe ne peut se satisfaire de demi-mesures. L'exemple de l'Europe, prise à défaut malgré son engagement en faveur du protocole de Kyoto, est un très mauvais signal. Certes, la norme sera très contraignante pour les constructeurs. Le défi climatique mondial impose certainement ce type de mesures.
3ème question : les pénalités prévues sont-elles excessives ?
Il y a, sur ce point, une réponse plus nuancée. Il faut accepter l'idée qu'il n'y aura pas de changement de comportement sans contrainte forte. En revanche, l'application de pénalités qui pourraient être supérieures à un milliard d'euros, dès 2012, paraît très injuste. Dès lors qu'il faut huit ans pour faire un nouveau moteur, l'échéance prévue signifie que, quels que soient les efforts des industriels, ils devront payer. Payer pour être dans les règles ou payer s'ils n'y sont pas ! Il faut certainement un système plus progressif en fonction de l'importance du dépassement du seuil
3. Examen de cette proposition sur le fond.
Pourtant, malgré l'objectif consensuel, ce texte appelle quelques réserves. Le système proposé par la Commission est à la fois complexe, discutable et présente des risques d'effets pervers non négligeables.
En premier lieu, la réglementation est complexe. La Commission a choisi de définir un seuil moyen par constructeur en fonction du poids des voitures. Cette caractéristique est connue sous l'appellation de « pente de droits d'émissions ». Actuellement, le facteur clé qui détermine la pente est le poids de la voiture, mais certains pays suggèrent une pondération qui associerait d'autres critères tels que la puissance, l'emprise au sol...
Je regrette ce système inutilement complexe. D'autant plus qu'un autre choix était possible : le système avec une norme unique pour toutes les voitures, assortie d'un système de bonus/malus. C'est la voie choisie par la France suite au Grenelle de l'environnement : les voitures les moins polluantes bénéficient d'un bonus, versé par l'État. Les voitures les plus polluantes sont pénalisées par un malus. Cette solution présente de nombreux avantages. Elle est simple, comprise par tout le monde, parfaitement cohérente avec l'objectif recherché, et efficace. La part des véhicules ayant des émissions inférieures à 130 g/km a gagné 10 points alors que la part des véhicules ayant des émissions supérieures à 160 g/km a perdu 10 points. Il y a bien eu un effet accélérateur sur le renouvellement des flottes et vertueux sur le type de véhicule choisi. Après avoir pris en compte les intérêts respectifs des différents constructeurs/États, la solution du bonus/malus n'a pas été retenue par la Commission. Je le regrette d'autant plus que des formules de lissage dans le temps, afin de ne pas trop pénaliser les voitures puissantes, étaient parfaitement envisageables
En deuxième lieu, la réglementation est assez discutable tant dans son principe que dans ses modalités.
Sur un plan économique, le projet s'analyse comme une internalisation des coûts externes. Mais le redevable est le détenteur du bien et non l'usager. Le contrôle des émissions des voitures n'a de sens que s'il trouve sa place dans un plan d'ensemble sur l'usage et le trafic automobile.
La proposition exclut les micro-producteurs et, surtout, contient une disposition très contestable. Ainsi, la Commission se propose d'autoriser des pools de constructeurs, des alliances de circonstance qui permettraient d'atteindre les objectifs d'émission. Un constructeur de 4x4 pourrait s'allier à un constructeur généraliste et échapper ainsi à toute pénalité. Cette disposition me semble navrante.
En troisième lieu, la réglementation peut présenter un certain nombre d'effets pervers dont il faut être conscient.
Premier effet pervers : ce qu'on peut appeler la triple peine des constructeurs généralistes, fabricants de petits modèles :
- première peine : les seuils de rejets autorisés sont plus bas, or il est plus coûteux de gagner les derniers grammes d'émission ;
- deuxième peine : les possibilités de répercussion de ce coût sur le consommateur sont très différentes selon la gamme de voitures. Ce coût pourrait atteindre 1 000 euros par voiture, ce qui sera beaucoup plus pénalisant pour la clientèle des petites voitures que pour la clientèle des voitures de grand confort ;
- troisième peine : les pénalités sont considérables pour les constructeurs généralistes. La pénalité est calculée en multipliant le coût unitaire du gramme de CO2 par le dépassement par rapport au seuil et par le nombre de véhicules produits par les constructeurs. Les trois éléments n'ont pas le même poids dans l'équation : le prix est identique pour tout le monde, l'écart s'exprime en grammes, tandis que le nombre de voitures s'exprime en centaines de milliers, voire en millions. L'élément déterminant est, bien sûr, le nombre de voitures. Ainsi, les constructeurs spécialisés dans les niches de voitures puissantes seront beaucoup moins pénalisés que les constructeurs généralistes !
Deuxième effet pervers : des distorsions de concurrence sont probables.
Contrairement aux affirmations de la Commission, la réglementation n'est pas neutre sur la compétition internationale. Certes, les constructeurs non européens se verront imposer les mêmes contraintes mais, évidemment, uniquement sur les véhicules qu'ils vendent en Europe, tandis que le constructeur européen qui vend surtout en Europe paiera pour l'essentiel de sa production.
Troisième effet pervers : la réglementation peut entraîner des effets retardataires sur le renouvellement des flottes.
Tandis que le système français a accéléré le renouvellement du parc, le système européen qui entraîne aussi un renchérissement des voitures va certainement le retarder !
Enfin, il faut évoquer un manque de cohérence globale qui affecte la crédibilité de la Commission.
Le système choisi et la pente envisagée autour de 60° ont été conçus pour ne pas défavoriser les constructeurs de grosses voitures. Il y a de toute évidence derrière cette solution un enjeu industriel majeur qu'il est inutile de cacher.
Il est inutile de s'en offusquer, cette imbrication entre intérêt communautaire et défense des intérêts nationaux est au coeur même de la construction européenne depuis toujours. Pourtant, les concessions n'ont-elles pas été trop importantes ?
Autant on peut accepter de renoncer à une norme unique de type bonus/malus, autant il paraît inacceptable que le système soit dégressif. Tout degré de pente supérieur à 45° est une concession à l'industrie automobile spécialisée dans les grosses voitures.
Ce choix parait très contestable. Si l'Europe veut s'engager dans la lutte contre le CO2, elle doit aussi choisir un mode de consommation cohérent avec cet objectif. Il ne paraît pas inimaginable de pénaliser les grosses voitures les plus polluantes. Il est même certainement temps de le faire.
*
À l'issue du débat, la délégation a approuvé les conclusions suivantes et autorisé la publication de ce rapport d'information, paru sous le n 361 et disponible sur Internet à l'adresse suivante :
www.senat.fr/europe/rap.html
Conclusions
La délégation pour l'Union européenne du Sénat :
Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des normes de performance en matière d'émissions pour les voitures particulières neuves dans le cadre de l'approche intégrée de la Communauté visant à réduire les émissions de CO2 des véhicules légers (COM (2007) 856 final) ;
Constate que le dispositif prévu par la proposition de règlement ne répond que très imparfaitement à l'objectif annoncé de réduction des émissions de CO2 des véhicules particuliers ;
Considère que l'intérêt communautaire doit prévaloir sur la défense des intérêts particuliers des constructeurs de véhicules les plus lourds ;
Regrette que la Commission n'ait pas suivi la voie plus efficace, plus simple, moins lourde à gérer et moins dérogatoire au principe d'égalité en adoptant un mécanisme de type « bonus/malus » ;
Souhaite que la pente établissant les seuils d'émission en fonction du poids des voitures soit la plus neutre possible en se rapprochant le plus possible d'une pente à 45° qui assurerait une stricte proportionnalité de la norme d'émission au poids des voitures ;
Souhaite une modulation des pénalités en fonction de l'importance des dépassements de seuil ;
Dénonce la disposition autorisant les constructeurs à former des groupements artificiels dans le seul but de s'affranchir des contraintes et des pénalités prévues par la réglementation des émissions de CO2 ;
Encourage la Commission à réfléchir à des propositions de réglementation des émissions de CO2 des poids lourds et des véhicules utilitaires légers.