COM (2005) 462 final
du 27/09/2005
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 26/10/2005Examen : 16/11/2005 (délégation pour l'Union européenne)
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : voir le dossier legislatif
Institutions européennes
Examen des propositions
législatives
en instance devant le législateur
Texte E
2982 - COM (2005) 462 final
Communication de M. Bernard Frimat
(Réunion du 16 novembre 2005)
Le texte E 2982 que je vais évoquer devant vous est original à double titre :
- tout d'abord, son objet n'est pas d'avancer une proposition législative européenne, mais au contraire d'en retirer 68, d'un seul coup ;
- ensuite, le Sénat est saisi de ce texte au titre de la clause facultative de l'article 88-4 de la Constitution, qui permet au Gouvernement de soumettre aux deux assemblées des textes qui ne sont pas des projets d'actes européens comportant des dispositions de nature législative.
Le retrait de propositions législatives par la Commission européenne est quelque chose de normal : chaque fois qu'elle a un pouvoir de proposition en vertu du traité, la Commission a de ce fait également le droit de retirer sa proposition. Et les retraits de textes sont relativement fréquents : durant la précédente législature européenne (1999-2004), la Commission a retiré au total environ 250 textes.
Alors, qu'y a-t-il de nouveau dans l'ensemble de retraits dont nous sommes saisis ?
Tout d'abord, cette démarche se situe dans le cadre d'une initiative globale de la Commission, lancée en mars 2005, visant à « améliorer la réglementation en matière de croissance et d'emploi dans l'Union européenne ». Dans le cadre de cette initiative, la Commission a pris trois décisions :
- tout d'abord, l'« acquis communautaire » devra être mis à jour et, autant que possible, simplifié ;
- ensuite, les nouvelles propositions législatives feront l'objet d'une évaluation d'impact ;
- enfin, et c'est l'objet du document qui vous est soumis, la Commission a décidé de réexaminer les textes en instance d'examen qu'elle avait présentés avant le 1er janvier 2004, soit 183 propositions. Parmi ces textes, la Commission en a donc identifié 68 comme devant être retirés : selon la Commission, ces propositions « ne sont pas jugées cohérentes par rapport aux objectifs de Lisbonne ou aux principes relatifs à l'amélioration de la législation, ne sont pas suffisamment avancées sur le plan du processus législatif ou sont des propositions ayant perdu leur caractère d'actualité ».
En retirant d'un coup cet ensemble de propositions, la Commission prétend donc se situer dans une démarche d'amélioration de la qualité de la législation, en mettant en avant la priorité accordée à la croissance et à l'emploi.
Par ailleurs, ce retrait d'un ensemble de textes s'effectue dans des conditions nouvelles. D'après l'« accord-cadre » conclu en 2000 entre le Parlement européen et la Commission, celle-ci doit « informer » le Parlement et le Conseil avant de retirer des propositions. Cet engagement d'information n'avait pas eu jusqu'à présent beaucoup de portée. Or, cette fois-ci, compte tenu du retentissement que la Commission a voulu donner au retrait de cet ensemble de textes, aussi bien le Parlement que le Conseil ont décidé d'examiner de près la liste des propositions retirées. Cela n'enlève rien au droit qu'a la Commission de les retirer, mais cette fois-ci les deux branches du pouvoir législatif vont s'exprimer. Dans le cas du Conseil, cet examen aura lieu le 28 novembre, et c'est dans la perspective de cette réunion que le Gouvernement a décidé de nous consulter.
Cette nouvelle pratique me paraît une chose parfaitement normale. À partir du moment où des institutions législatives ont été saisies, ont commencé à délibérer sur un texte, il est normal de les écouter et de leur donner des explications avant de décider le retrait de ces textes. C'est une bonne pratique qui ne compromet pas le pouvoir d'initiative dont dispose la Commission, pouvoir qui est un des éléments de l'équilibre institutionnel au sein de l'Union.
En tout état de cause, ce retrait de plusieurs dizaines de propositions met en relief les prérogatives de la Commission dans la procédure législative. Dans les débats sur la directive « services », on a parfois entendu que cette directive était désormais entre les mains des institutions législatives communautaires et qu'elle ne pouvait plus être retirée : on voit bien qu'il n'en est rien. La directive « services » aurait parfaitement pu s'ajouter à la longue liste de textes retirés qui nous est soumise. Il est vrai que la Commission a décidé de faire porter son réexamen seulement sur les textes antérieurs au 1er janvier 2004, et il se trouve que la directive « services » - heureux hasard - est datée du 13 janvier 2004. Au demeurant, une analyse attentive permet de trouver douze textes en réalité adoptés par la Commission après le 1er janvier 2004. En conséquence, rien ne s'opposait, sur le plan de la procédure, à ce que cette directive, ou plutôt cette proposition de directive, soit retirée. J'admets parfaitement qu'on attende l'avis du Parlement européen avant de la remettre en chantier, puisque cet avis fournira des indications utiles, mais ensuite rien n'empêchera qu'elle soit complètement remise à plat.
J'en viens maintenant au fond même du texte (E 2982), c'est-à-dire à la liste des propositions retirées.
Rassurez-vous, je ne vais pas analyser une à une ces 68 propositions. Leurs intitulés peuvent donner le sentiment qu'on est en présence de textes importants, mais, en réalité, la plupart des propositions en cause sont tout simplement périmées, soit parce que leur substance a été reprise dans d'autres textes, soit parce qu'elles s'appliquaient aux relations avec les nouveaux États membres avant leur adhésion et n'ont donc plus d'objet. Il y a donc, me semble-t-il, un souci d'affichage dans ce retrait d'un ensemble de textes dont beaucoup sont sans véritable portée.
C'est précisément ce souci d'affichage qui me paraît poser problème. Il pourrait y avoir là une confusion à mon avis dangereuse entre « mieux légiférer » et « moins légiférer ».
« Mieux légiférer », l'intention est louable : qui serait contre ? Et j'admets parfaitement que la construction européenne n'est pas forcément grandie par certaines réglementations très minutieuses qui encombrent l'ordre du jour au Parlement européen. Ainsi, un des textes retirés concerne « la gamme des poids nominaux des extraits de café et des extraits de chicorée » ; un autre concerne « l'harmonisation des dates des soldes ». Chacun admettra que la construction européenne ne souffrira pas du retrait de ces textes.
Pour autant, « mieux légiférer » ne doit pas signifier de manière systématique « moins légiférer ». Dans bien des domaines, nous avons encore besoin d'un développement de la législation européenne, je pense à des domaines comme les normes sociales, l'environnement, l'énergie, l'harmonisation des fiscalités, qui sont autant de domaines où les citoyens ont une attente à l'égard de l'Europe et où celle-ci peut apporter une réelle valeur ajoutée en développant une législation. « Mieux légiférer », ce doit être d'abord déplacer l'accent vers ces domaines, et non pas renoncer à toute législation ambitieuse. Je ne veux pas naturellement faire de procès d'intention, mais il me semble que cette tentation existe au sein de la Commission. Jusqu'à présent, le principal modèle juridique européen a été le modèle « romano-germanique » caractérisé par le rôle central du législateur. Mais aujourd'hui, le modèle anglo-saxon qui met davantage l'accent sur le contrat, sur la négociation, est de plus en plus souvent mis en avant, et cette évolution me paraît préoccupante. Si nous voulons que les citoyens se retrouvent davantage dans la construction européenne, nous devons, me semble-t-il, garder une ambition législative forte pour l'Europe.
Dans cet esprit, je souhaiterais vous proposer que nous manifestions notre attachement à certains des textes que la Commission entend retirer. Naturellement, on ne peut contester à la Commission le droit de retirer ces textes, mais à partir du moment où le Gouvernement est consulté dans le cadre du Conseil, et à partir du moment où lui-même nous demande notre avis, je crois que nous devons indiquer que quelques-uns de ces textes conservent un intérêt pour nous, et que, s'ils étaient malgré tout retirés, nous souhaiterions que la Commission prenne une nouvelle initiative dans le même domaine.
Je reconnais que ces textes sont bloqués depuis longtemps dans le processus de décision et ne paraissent pas avoir de chances d'être adoptés rapidement. Mais ils sont une pierre d'attente et traduisent du moins une volonté de légiférer. Les retirer purement et simplement pourrait avoir une signification politique, en signifiant que l'on renonce à légiférer dans ces domaines. Nous devons donc à mon avis marquer notre souhait que la Commission indique clairement qu'une législation communautaire dans ces domaines reste d'actualité.
Dans cet esprit, je vous propose de demander le maintien de six des textes dont la Commission envisage le retrait.
Il s'agit tout d'abord des deux textes relatifs à la mutualité européenne :
- la proposition de règlement portant statut de la mutualité européenne,
- la proposition de directive complétant le statut de la mutualité européenne pour ce qui concerne le rôle des travailleurs.
Il est vrai que ces textes sont en discussion depuis plus de dix ans et que les négociations sont rendues très difficiles par la grande variété des situations en Europe. Mais les mutuelles ont une réelle importance économique et sociale : par exemple, elles représentent 20 % du marché européen de l'assurance. Or, l'absence de statut européen les place en position défavorable par rapport aux sociétés anonymes qui bénéficient, quant à elle, d'un statut européen depuis 2000. De ce fait, la création de groupes mutualistes de taille européenne est pratiquement impossible. Le texte relatif au statut de la mutualité répond donc à un réel besoin. Quant au texte complémentaire sur le rôle des travailleurs, il prévoit un ensemble de prescriptions minimales concernant l'information et la consultation des travailleurs du secteur mutualiste.
Des raisons analogues plaident pour le maintien du texte concernant le statut d'association européenne et du texte complémentaire sur le rôle des travailleurs. Les associations du secteur de l'économie publique, sociale et coopérative voient leur développement au-delà des frontières nationales entravé par l'absence de statut européen. Il en est de même des ONG internationales ou, plus modestement, des structures associatives implantées dans des zones frontalières. La définition d'un statut d'association européenne paraît donc d'une indéniable utilité.
Quant au texte complémentaire sur le rôle des travailleurs dans le secteur associatif, il est de même esprit que celui concernant le secteur mutualiste.
Par ailleurs, la proposition de directive concernant les restrictions à la circulation des poids lourds me paraît fondée sur des préoccupations incontestables. Quelles que soient les insuffisances de la proposition de départ, on ne peut ignorer les problèmes auxquels ce texte entendait répondre : anarchie des plages horaires, stationnements sauvages sur les aires de repos, mauvaises conditions d'attente des chauffeurs routiers, dangers pour la sécurité routière. Compte tenu du projet de compromis préparé par la commission compétente du Parlement européen, il serait souhaitable que la discussion se poursuive. À tout le moins si le texte est retiré, il conviendrait qu'une nouvelle proposition soit présentée qui intègre les acquis des travaux du Parlement européen.
Enfin, je crois qu'il convient de rappeler l'intérêt qu'avait manifesté la délégation pour la proposition de directive tendant, d'une part, à harmoniser la taxation du gazole à usage professionnel et, d'autre part, à faire converger la taxation du gazole non professionnel vers celle de l'essence. Pour ce qui est du gazole à usage professionnel, l'harmonisation se justifie à la fois pour éviter des distorsions de concurrence et pour des raisons de protection de l'environnement, des trajets parfois nettement plus longs étant choisis pour des raisons fiscales. Quant à la convergence des accises applicables à l'essence et au gazole non professionnel, elle se justifie notamment pour des raisons environnementales. J'ajouterai que la demande de maintien de ce texte serait un symbole de l'importance que nous devons, me semble-t-il, attacher d'une manière générale à l'objectif d'une plus grande harmonisation fiscale en Europe, même si nous savons tous que la règle de l'unanimité rend cet objectif très difficile à atteindre. Non seulement l'absence d'harmonisation entraîne des distorsions de concurrence, mais encore elle conduit à une concurrence fiscale qui, à terme, risque de compromettre le modèle social européen.
Compte rendu sommaire du débat
M. Hubert Haenel :
Vous avez montré que ce texte posait un problème de principe. Toutefois, le Sénat devra se prononcer très rapidement pour que sa position puisse être prise en compte, le Conseil se réunissant le 28 novembre sur ce sujet.
M. Roland Ries :
Je partage la conception qui s'est exprimée dans la communication : améliorer la qualité de la législation ne signifie pas réduire le nombre de textes. Je crois également que la directive « services » est à revoir entièrement, et je regrette que l'on n'ait pas profité de ce réexamen des textes en discussion pour la retirer. Je voudrais souligner toute l'importance d'une harmonisation européenne au sujet de la circulation des poids lourds. Depuis l'instauration d'un péage en Allemagne, on observe un report de trafic vers l'Alsace qui est source de fortes nuisances. Une solution européenne est manifestement nécessaire pour éviter de tels phénomènes.
M. Yves Pozzo di Borgo :
Quels ont été les critères qui vous ont conduit à sélectionner les six textes au retrait desquels vous vous opposez?
M. Bernard Frimat :
Parmi les 68 textes retirés, la plupart étaient des textes désormais sans objet, soit parce qu'ils concernaient les relations entre l'Union et des pays candidats qui, entre-temps, étaient devenus membres de l'Union, soit parce que leur contenu était repris dans d'autres textes. Je vais prendre un exemple : celui du texte concernant le personnel navigant de l'aviation civile. Apparemment, c'est un texte important : mais, quand on regarde de plus près, on voit que la Commission avait déjà annoncé le retrait de ce texte il y a plus d'un an, son contenu ayant été pour l'essentiel repris dans une autre proposition. Ces textes une fois éliminés, je me suis aperçu que d'autres propositions retirées ne correspondaient pas à un enjeu de fond. Par exemple, le texte concernant l'indemnisation des dommages causés par les accidents industriels sur les eaux transfrontières avait déjà été ratifié par les États membres et se trouvait donc en application : son enjeu véritable était de savoir si la signature de la Communauté devait s'ajouter à celle des États membres. En procédant ainsi par élimination, il ne restait plus qu'un petit nombre de textes. Les consultations auxquelles j'ai procédé sur ces derniers m'ont convaincu qu'il s'agissait de chantiers importants, qui ne devaient pas être désertés. Renoncer à ces textes, ou ne pas les remplacer par une nouvelle initiative, serait à mon avis un mauvais signal, car ce serait exprimer une réduction des ambitions législatives de l'Union dans des domaines où elle peut apporter une réelle plus-value.
*
A l'issue de ce débat, la délégation a conclu au dépôt de la proposition de résolution suivante :
Proposition de résolution
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la communication de la Commission : « Résultat de l'examen des propositions législatives en instance devant le législateur » (texte E 2982),
Souligne que le souci d'améliorer la qualité de la législation communautaire ne saurait justifier que l'Union renonce à l'objectif d'une large harmonisation des législations, notamment en matière sociale, fiscale et environnementale : « mieux légiférer » n'est pas « moins légiférer » ;
Estime qu'une concertation telle que celle qui a entouré le texte E 2982 doit être pratiquée avant le retrait de tout texte important ayant été examiné par le Parlement européen, afin notamment que soient pris en compte les travaux de celui-ci en cas de préparation d'une nouvelle initiative ;
Regrette que la Commission n'ait pas usé d'une méthode plus transparente, en ne fournissant pas pour chacun des textes les raisons ayant conduit à une décision de retrait ;
Relève que rien ne s'oppose au retrait et au réexamen complet, en tenant compte des travaux du Parlement européen, de la proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur ;
Invite le Gouvernement à demander à la Commission européenne de ne pas retirer les textes suivants :
- la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant statut de l'association européenne,
- la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant statut de la mutualité européenne,
- la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil complétant le statut de l'association européenne pour ce qui concerne le rôle des travailleurs,
- la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil complétant le statut de la mutualité européenne pour ce qui concerne le rôle des travailleurs,
- la proposition de directive du Conseil concernant un système transparent de règles harmonisées en matière de restrictions à la circulation applicables aux poids lourds effectuant des transports internationaux, compte tenu du projet de compromis préparé par la commission compétente du Parlement européen,
- la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 92/81/CEE et la directive 92/82/CEE en vue d'instituer un régime fiscal particulier pour le gazole utilisé comme carburant à des fins professionnelles et de rapprocher les accises de l'essence et du gazole,
ou de s'engager à prendre rapidement des initiatives de portée équivalente dans les domaines concernés.