13502/03
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 17/12/2003
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 07/11/2003Examen : 18/11/2003 (délégation pour l'Union européenne)
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : voir le dossier legislatif
Justice et affaires intérieures
Communication de M. Pierre
Fauchon sur le projet d'accord
entre l'Union européenne et l'Islande
et la Norvège
en matière d'entraide judiciaire
pénale
Texte E 2421
(Réunion du 18 novembre 2003)
Nous sommes saisis, au titre de la clause facultative de l'article 88-4 de la Constitution, d'un projet d'accord en matière d'entraide judiciaire pénale entre l'Union européenne, d'une part, et l'Islande et la Norvège, d'autre part.
Ces deux pays se situent dans une situation très particulière, car, bien que n'étant pas membres de l'Union européenne, ils sont liés par les accords de Schengen, qui ont été intégrés dans le droit de l'Union par le protocole annexé au traité d'Amsterdam relatif à l'acquis de Schengen. Certaines dispositions de la Convention de l'Union du 29 mai 2000 relative à l'entraide judiciaire en matière pénale, et de son protocole du 16 octobre 2001, qui constituent un développement de l'acquis de Schengen, sont donc d'ores et déjà applicables à ces deux pays. L'Islande et la Norvège ont exprimé le souhait de conclure un accord leur permettant d'appliquer aussi les autres dispositions de cette Convention et de son protocole.
Au départ, ces deux pays voulaient également conclure un accord portant sur l'extradition, mais la question de l'extension du mandat d'arrêt européen à ces deux pays est plus délicate, car elle n'est pas liée à l'acquis de Schengen. Il a donc été décidé de disjoindre les négociations sur ces deux projets d'accords et nous sommes appelés à nous prononcer uniquement sur celui relatif à l'entraide judiciaire pénale.
Si ce texte ne semble pas soulever de difficultés particulières sur le fond, il pose en revanche des questions essentielles sur la procédure, étant donné que le Conseil a décidé de recourir à l'article 24 du traité sur l'Union européenne. Or, la première fois que le Conseil a utilisé la procédure prévue à l'article 24 du traité sur l'Union européenne pour conclure des accords avec des pays tiers en matière de coopération judiciaire pénale, notre Assemblée avait exprimé de sérieuses réserves sur cette procédure. Notre délégation, rejointe par la commission des Lois, avait, d'ailleurs, demandé au Gouvernement de ne plus accepter le recours à l'article 24 du traité pour la conclusion d'accords politiques, « dans la mesure où cette procédure ne correspond pas à l'état actuel des traités et ne garantit pas les conditions nécessaires de sécurité juridique » (1(*)).
Il est vrai qu'il s'agissait alors de deux projets d'accords entre l'Union européenne et les États-Unis relatifs à l'entraide judiciaire pénale et à l'extradition qui soulevaient également de sérieuses préoccupations sur le fond, notamment au regard de la protection des droits fondamentaux et de la construction de l'espace judiciaire européen. Or, tel n'est assurément pas le cas du présent accord qui vise à prendre en compte la situation particulière de l'Islande et de la Norvège et qui représente un progrès, tant en matière de cohérence juridique, que du point de vue du renforcement des instruments de coopération judiciaire dans la lutte contre la criminalité.
Mais, si j'approuve le contenu de ce projet d'accord, je considère néanmoins qu'une clarification de la procédure prévue à l'article 24 est aujourd'hui indispensable compte tenu des difficultés rencontrées précédemment, en particulier dans notre pays, et étant donné que le Conseil envisage de recourir très largement à cette procédure pour conclure avec d'autres pays tiers des accords de coopération policière ou judiciaire pénale (1(*)).
Il convient de revenir au préalable sur les difficultés procédurales soulevées par les accords avec les États-Unis avant d'aborder le projet d'accord qui nous est soumis.
1. Les difficultés procédurales soulevées par les projets d'accords en matière d'entraide judiciaire pénale et d'extradition entre l'Union européenne et les États-Unis
La résolution adoptée par le Sénat à ce sujet, le 23 avril 2003, marquait tout à la fois nos doutes sur la compétence de l'Union à conclure seule de tels accords et notre volonté, compte tenu de l'importance politique et du caractère sensible des dispositions concernées, qu'ils soient soumis à un débat et à un vote de notre Parlement conditionnant leur approbation. Et la résolution constatait que seul le concept des « accords mixtes », conclus au nom de l'Union européenne et des États membres, permettrait de répondre à nos préoccupations.
Cette formule de l'« accord mixte » n'a toutefois pas été retenue par le Conseil des ministres qui a estimé que l'Union pouvait, à elle seule, conclure de tels accords. Ces deux accords ont donc été signés entre l'Union européenne et les États-Unis d'Amérique, le 25 juin 2003. Cependant, lors de la signature, treize États membres (mais pas la France) ont fait une déclaration d'après laquelle ils ne seront liés par ces accords que lorsqu'ils auront satisfait à leurs règles constitutionnelles respectives. Il convient de souligner que c'est également la première fois que des États membres font usage d'une telle faculté, ouverte à eux en vertu de l'article 24 § 5 du traité, ce qui confirme le caractère très particulier de ces deux accords, par rapport à ceux que l'Union avait conclus précédemment en matière de politique étrangère et de sécurité commune.
En raison de ces déclarations, le Conseil a décidé de procéder en deux étapes : la décision de signature, qui n'a pas pour effet d'engager l'Union, sera suivie d'une décision de conclusion de ces accords lorsque les États membres ayant fait une telle déclaration auront achevé leurs procédures constitutionnelles. À cet égard, si la procédure interne d'un État membre aboutissait à un résultat négatif, son représentant au sein du Conseil devrait, soit voter contre la conclusion de l'accord, qui ne pourrait donc pas être conclu en raison de la règle de l'unanimité, soit s'abstenir. Mais, en tout état de cause, il découle de l'article 24 que l'État membre ne serait pas lié par l'accord conclu par l'Union dans un tel cas.
La France a été le seul pays avec la Grèce à ne pas faire usage de la réserve constitutionnelle prévue à l'article 24 § 5. Et encore, la position de la Grèce s'explique par le fait que ce pays exerçait alors la présidence de l'Union européenne et que son Parlement était très hostile à la conclusion de ces accords en raison de l'engagement américain en Irak. La décision du gouvernement grec de ne pas soumettre ces accords à l'approbation de son parlement a d'ailleurs été vivement critiquée par les parlementaires de ce pays. En effet, les autres États membres ont considéré que l'article 24 § 5 leur offrait la possibilité de procéder à une ratification de ces accords par leur parlement national. Ainsi, le gouvernement fédéral allemand a décidé de soumettre la décision de signature de ces accords à l'approbation du parlement fédéral, en application de l'article 59 § 2 de la loi fondamentale relatif à la ratification d'accords internationaux, bien que l'Allemagne ne soit pas une partie contractante.
À la différence des autres États membres, notre pays n'a pas soumis ces accords à ratification parce que le Gouvernement a cru devoir se ranger à l'interprétation donnée par le Conseil d'État de l'article 24 § 5. Étrangement, et malgré les avis contraires du service juridique de la Commission européenne et du Conseil, le Conseil d'État a estimé que la procédure visée à l'article 24 § 5 avait uniquement pour objet de permettre aux États membres d'assurer le respect des règles de fond d'ordre constitutionnel ; il en a déduit qu'elle ne pouvait être invoquée pour procéder à une ratification parlementaire. Cet avis du Conseil d'État est d'autant moins convaincant que le Conseil constitutionnel avait considéré que l'article 24 du traité était conforme à la Constitution précisément parce qu'il prévoyait cette possibilité (1(*)). Je considère donc que le gouvernement aurait dû, même si cela ne s'imposait pas, faire usage de la réserve prévue à l'article 24 § 5 pour procéder à une ratification parlementaire de ces accords.
Par ailleurs, les autorités américaines ont elles-mêmes exprimé des doutes sur la valeur juridique de ces accords et elles ont demandé de conclure avec chaque État membre des « instruments écrits » par lesquels les États membres devront « confirmer » envers les États-Unis l'application des accords de l'Union européenne. Les États-Unis ont indiqué au cours des négociations qu'ils envisagent de soumettre à ratification au Congrès ces instruments, ce qui semble indiquer que juridiquement ceux-ci sont considérés par les autorités américaines comme des protocoles des deux accords de l'Union. J'estime donc que le Gouvernement devrait également soumettre l'instrument bilatéral prévu par ces accords à une procédure de ratification parlementaire.
Comme le souligne le juriste européen Stéphan Marquardt (2(*)) :
« Du point de vue de l'Union européenne, cette approche semble remettre en cause la reconnaissance par les États-Unis de sa capacité de s'engager à leur égard de façon contraignante ainsi que le lien juridique qui en découle pour les États membres. En effet, dès lors que ceux-ci sont liés par des accords conclus par l'Union européenne, on voit mal la nécessité d'un instrument juridique supplémentaire pour « confirmer » ces engagements vis-à-vis des États-Unis (...) ».
« Au vu de ces difficultés, on peut se demander s'il n'aurait pas été juridiquement plus cohérent, dans le cas d'espèce, de prévoir une participation des États membres en tant que parties contractantes également, en d'autres termes de conclure un accord « mixte » entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et les États-Unis, d'autre part » concluait-il, en se référant expressément à la résolution adoptée par le Sénat.
Comme je l'avais souligné devant la délégation pour l'Union européenne le 1er avril dernier, cette solution aurait été la plus cohérente à la fois du point de vue du respect de la délimitation des compétences entre l'Union et les États membres et du point de vue du respect des prérogatives constitutionnelles du Parlement.
2. Le projet d'accord d'entraide judiciaire pénale entre l'Islande et la Norvège
Là encore, le Conseil a décidé de considérer cet accord comme un accord de l'Union seule et de procéder en deux étapes, en séparant la signature et la conclusion de cet accord. Nous sommes donc saisis d'un projet de décision du Conseil autorisant la présidence à signer, au nom de l'Union, le projet d'accord avec l'Islande et la Norvège. Cela explique que le Conseil d'État ait considéré ce texte comme ne relevant pas du domaine législatif, à la différence de la conclusion de cet accord.
Si le gouvernement a décidé de faire usage de la clause facultative de l'article 88-4 de la Constitution pour solliciter l'avis du parlement, c'est parce qu'il envisage de ne pas invoquer la réserve constitutionnelle prévue à l'article 24 § 5 lors de la signature et donc de ne pas procéder à une ratification parlementaire de cet accord. Et cela, alors que la plupart des États membres prévoient de recourir à nouveau à cette disposition. Mais la consultation des assemblées au titre de l'article 88-4 de la Constitution ne saurait constituer un palliatif à l'absence de ratification parlementaire, étant donné le caractère dépourvu de valeur contraignante de cette consultation.
Or, je considère que cet accord devrait être soumis par le Gouvernement, à l'instar de nos partenaires européens, au Parlement national pour autorisation de ratification. À cet égard, la solution la plus cohérente, du point de vue du respect de la délimitation des compétences entre l'Union européenne et les États membres, serait de considérer cet accord comme un « accord mixte » devant être conclu à la fois par l'Union européenne et les États membres. Mais, si le Gouvernement accepte que cet accord soit conclu par l'Union seule, il devrait alors faire usage de la déclaration prévue à l'article 24§5 pour invoquer le respect de ses exigences constitutionnelles et procéder à une ratification de cet accord.
Il importe de préciser qu'il ne s'agit pas seulement ici d'un débat théorique mais d'une difficulté majeure susceptible de remettre en cause l'effectivité même de cet accord. Ainsi, nonobstant l'avis du Conseil d'État concernant les projets d'accords entre l'Union européenne et les États-Unis, une mise en cause de l'effectivité même de ces accords à l'occasion d'un cas concret n'est pas à exclure, tant du côté des juridictions des États membres, que du côté des juridictions américaines.
*
À l'issue de cette communication, la délégation a conclu, après l'intervention de son président, au dépôt de la proposition de résolution suivante :
Proposition de résolution
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu le projet de décision du Conseil autorisant la signature du projet d'accord entre l'Union européenne et la République d'Islande et le Royaume de Norvège sur l'application de certaines dispositions de la Convention de 2000 relative à l'entraide judiciaire en matière pénale et de son protocole de 2001 (E 2421),
- Approuve le contenu de cet accord qui permettra d'étendre les dispositions de la Convention de l'Union relative à l'entraide judiciaire pénale du 29 mai 2000 et de son protocole du 16 octobre 2001 à ces deux pays ;
- Estime que cet accord est par nature un « accord mixte », relevant à la fois des compétences de l'Union et des États membres ;
- Considère, en tout état de cause, que cet accord devrait être soumis, à l'instar de nos partenaires européens, au Parlement pour autorisation de ratification.
* (1) Proposition de résolution n° 203 et rapport n° 252 de la commission des Lois présentés par M. Pierre Fauchon.
* (1) Ainsi, le Conseil envisage d'autoriser la présidence à négocier, sur la base de l'article 24 du Traité sur l'Union européenne, des accords sur l'échange d'informations classifiées avec la Bulgarie, la Roumanie, l'Islande, la Norvège, la Turquie, le Canada, la Fédération de Russie, l'Ukraine, les Etats-Unis d'Amérique, la Bosnie et la Macédoine.
* (1) Cf. J-E. Schoetll, commentaire de la décision 97-394 DC, Traité d'Amsterdam, 31 décembre 1997, AJDA 1998, p. 135.
* (2) « La capacité de l'Union européenne de conclure des accords internationaux dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale » in « Sécurité et justice : enjeu de la politique extérieure de l'Union européenne », Éditions de l'Université de Bruxelles, 2003, p. 179 à 194.